ACADÉMIE DES SCIENCES D’ALBANIE SECTION DES SCIENCES SOCIALES STUDIA ALBANICA 2 Numéro spécial consacré à la Séance solennelle de l’Académie des Sciences à l’occasion du Centenaire de l’Indépendance de l’Albanie Tirana, le 26 novembre 2012 XLIXe Année 2012 STUDIA ALBANICA _______ Conseil de Rédaction : Seit MANSAKU (Rédacteur en chef) Muzafer KORKUTI (Rédacteur en chef adjoint) Arben LESKAJ (Secrétaire scientifique) Francesco ALTIMARI Jorgo BULO Emin RIZA Shaban SINANI Marenglen VERLI Pëllumb XHUFI © 2012, Académie des Sciences d’Albanie ISSN 0585-5047 Académie des Sciences d’Albanie Section des Sciences sociales 7, place Fan S. Noli AL-1000 Tirana STUDIA ALBANICA 2012/2 ALLOCUTION D’OUVERTURE DU PROF. GUDAR BEQIRAJ, PRÉSIDENT DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES D’ALBANIE L’Académie des Sciences d’Albanie organise cette séance solennelle sous le signe du centenaire de la proclamation de l’indépendance de l’Albanie. À cette occasion, permettez-moi de vous saluer et de vous remercier de votre présence, avec une profonde reconnaissance pour les historiens qui se sont engagés par des discours académiques et tout particulièrement pour les scientifiques venus du Kosovo, de la Macédoine, des États-Unis, de l’Allemagne et de l’Italie, qui nous honorent par leur participation. La proclamation de l’indépendance de l’Albanie à Vlora, le 28 novembre 1912, est un évènement majeur dans la vie des Albanais. Cependant, cet acte n’a été ni inattendu, ni séparé de notre histoire nationale. Au contraire, la proclamation de l’indépendance était le résultat d’une longue évolution historique, d’un effort incessant de toutes les régions et les forces vives de la nation en vue de réaliser leur aspiration séculaire à vivre libres sur leurs propres territoires, à occuper la place qui appartenait aux Albanais, comme l’un des peuples les plus anciens de la péninsule balkanique, dans la famille des nations européennes. Ces efforts ont été précédés d’insurrections libératrices dans le Nord et dans le Sud tout au long des cinq siècles d’occupation ottomane, dirigées par Gjoleka, Isa Boletini, Hasan Prishtina, Dedë Gjo Luli, Çerçiz Topulli et d’autres, guidées par les idées des pionniers de la cause nationale, comme Naum Veqilharxhi, Zef Jubani, Pashko Vasa, Sami Frashëri et d’autres, précédées et inspirées par la culture et la littérature de la Renaissance nationale, l’œuvre patriotique de Naïm Frashëri, De Rada, Asdren, Ndré Mjeda, Çajupi, Gjergj Fishta, Noli et Konitza, orientées par l’expérience et les leçons historiques de l’époque de Skanderbeg et de la Ligue de Prizren, qui ont marqué et frayé le chemin vers l’indépendance. 4 Allocution d’ouverture du Prof. Gudar Beqiraj La proclamation de l’indépendance était un grand acte courageux entrepris au moment voulu par le sage vieillard Ismaïl Qemali avec Luigj Gurakuqi, dom Nikollë Kaçorri, Isa Boletini et d’autres grands patriotes qui, d’un coup d’épée, tel le héros de la légende, allaient trancher le nœud gordien des conflits et des hésitations internes, et l’imbroglio inextricable des intrigues extérieures qui avaient bloqué les processus de l’indépendance et de la formation de l’État national indépendant des Albanais. La proclamation de l’indépendance venait réaliser le programme majeur de la Renaissance nationale, bien que partiellement, puisque la moitié des territoires ethniques sont restés en dehors des frontières de l’État albanais. Toutefois, l’Assemblée de Vlora, aussi bien par la participation de délégués représentant toutes les régions que par la volonté politique qu’ils ont exprimée, visait essentiellement cet objectif majeur. D’autre part, ses décisions, inspirées par les principes de la Renaissance nationale, ont traduit et sanctionné dès la naissance du nouvel État son identité politique et juridique européenne. Ceci est le mérite de ses fondateurs, mais aussi un patrimoine historique dont la valeur reste toujours d’actualité. L’historiographie albanaise et les travaux d’historiens étrangers consacrés aux études albanaises ont fait beaucoup pour mettre en lumière l’histoire de la formation de l’État albanais et nous devons leur être reconnaissants. Les efforts actuels en vue de mener de l’avant ces études avec un esprit d’objectivité scientifique méritent également d’être salués. Voilà quelle est la mission de la présente assemblée scientifique, tenue aujourd’hui à l’Académie des Sciences, à laquelle je tiens à souhaiter beaucoup de succès. STUDIA ALBANICA 2012/2 Kristo FRASHËRI L’ASSEMBLÉE NATIONALE DE VLORA ET SES PRINCIPES EUROPÉENS Du point de vue historique et scientifique, la proclamation de l’indépendance, le 28 novembre 1912, marque la fin de l’époque de domination séculaire étrangère et le début de celle de l’Albanie en tant qu’un État libre, indépendant et souverain. L’Assemblée nationale de Vlora a été ainsi un pont qui reliait deux époques de contenus historiques tout à fait différents, celles du passé et de l’avenir. La question fondamentale que l’on est en droit de se poser est la suivante : qui a influé davantage sur les actes décidés par l’Assemblée nationale de Vlora concernant l’identité politique de l’État albanais, la longue occupation ottomane ou l’aspiration européenne des Albanais ? * * * Avant la proclamation de l’indépendance de l’Albanie, certains milieux diplomatiques et médiatiques européens se doutaient que l’Albanie, une fois devenue indépendante, compte tenu de sa population à majorité musulmane et des siècles passés sous la domination ottomane, ne devienne une « petite Turquie », dans le sens d’un pays non européen. Ils soutenaient que, si l’Albanie indépendante était créée, l’Empire ottoman quitterait l’Europe en sortant par la porte, mais y retournerait en quelque sorte de nouveau par la fenêtre, à travers l’Albanie. D’autre part, beaucoup d’observateurs étrangers pensaient que, compte tenu des confessions et des rites différents pratiqués par les Albanais, ce pays indépendant serait rongé de l’intérieur par les antagonismes religieux. 6 Kristo Frashëri Or l’Assemblée nationale de Vlora a rejeté ces préjugés le jour même de la proclamation de l’indépendance. Elle a exprimé sa volonté de se détacher de la domination séculaire ottomane dès son premier acte. En effet, le document historique de la proclamation de l’indépendance stipulait que l’Assemblée avait décidé que « l’Albanie devienne à partir d’aujourd’hui un pays à part, libre et indépendant », ce qui signifiait qu’elle se détachait définitivement de l’Empire ottoman et rompait tout lien avec lui. Deuxièmement, la participation des délégués venus de toutes les régions de l’Albanie (dans la mesure où cela était possible dans les circonstances de la Première Guerre balkanique, de Mitrovica à Preveza, de Shkodra à Tetovo, a donné à l’Assemblée un caractère pan-national. Autrement dit, l’Assemblée de Vlora suivait l’exemple de la Ligue albanaise de Prizren, où ont également participé des délégués venus de tous les territoires albanais. Troisièmement, la participation de délégués appartenant à toutes les confessions et les rites différents qui étaient pratiqués en Albanie (musulmans sunnites, bektachis, chrétiens orthodoxes et catholiques) a donné à l’Assemblée de Vlora un caractère national extrêmement prononcé. Quatrièmement, à la différence de l’Empire ottoman qui était un État théocratique, l’Assemblée nationale de Vlora a proclamé l’Albanie un État laïque, malgré l’existence d’une population à majorité musulmane. Dans l’Albanie indépendante, toutes les confessions religieuses seraient traitées de manière égale de la part de l’État. Par ses traits laïques, le nouveau-né de l’Europe, comme l’État albanais était qualifié à l’époque de la part des media européens, se différentiait aussi par rapport aux monarchies balkaniques, dont les constitutions affirmaient le caractère religieux de l’État. La composition du premier gouvernement albanais a été également un acte important. Présidé par Ismaïl Qemali, le Gouvernement comptait quatre ministres musulmans (Mehmet Pacha Dërralla, Abdi Toptani, Mit’hat Frashëri et Mufid Libohova), trois ministres orthodoxes (Petro Poga, Lef Nosi et Pandeli Cale) et deux catholiques (Luigj Gurakuqi et le monseigneur Nikollê Kaçorri qui était également vice-premier ministre). L’Assemblée nationale de Vlora et ses principes européens 7 Le même rapport a été respecté plus ou moins même au Conseil des Sages élu par l’Assemblée nationale, qui avait des fonctions consultatives et législatives. Il est un fait indéniable que les fanatismes religieux, islamiques, orthodoxes ou catholiques, qui étaient attisés par leurs centres universels respectifs et exploités par les monarchies voisines balkaniques et qui provoquaient la discorde et la division dans pas mal de régions de la Méditerranée, n’ont pas eu cours en Albanie. C’était, au contraire, la tolérance religieuse qui prédominait. Les quatre décisions prises par l’Assemblée nationale de Vlora le 28 novembre 1912 ont sanctionné politiquement et juridiquement l’idéologie de la Renaissance nationale albanaise. C’était sans nul doute un signe qui montrait que l’Albanie, sous l’influence de la Renaissance nationale, s’orientait vers la civilisation européenne. L’Assemblée nationale de Vlora a pris aussi d’autres décisions qui illustraient le fait que ce nouvel État indépendant s’était complètement détaché de l’Empire ottoman. Il ne faut pas oublier que, le 28 novembre 1912, la Première Guerre balkanique battait son plein. Les quatre monarchies balkaniques, la Serbie, la Grèce, la Bulgarie et le Monténégro, étaient sur le point de remporter une victoire contre l’Empire ottoman. Les gouvernements serbe, monténégrin et grec avaient des projets de se partager entre eux les territoires albanais. Voire leurs armées avaient commencé à envahir les régions albanaises. Cependant, à peine né dans ces circonstances dramatiques, l’État albanais a demandé le bon voisinage des monarchies balkaniques, en dépit des convoitises grecques, serbes et monténégrines et des crimes commis par leurs armées.
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