L'année Des Masques Ouvrages Des Mêmes Auteurs

L'année Des Masques Ouvrages Des Mêmes Auteurs

L'ANNÉE DES MASQUES OUVRAGES DES MÊMES AUTEURS DE PHILIPPE BOGGIO ET ALAIN ROLLAT Ce terrible monsieur Pasqua (Olivier Orban, 1988) D'ALAIN ROLLAT Guide des Médecines parallèles (Calmann-Lévy, 1973) Les Hommes de l'extrême droite (Calmann-Lévy, 1985) Avec Edwy Plenel : L'effet Le Pen (La Découverte-Le Monde, 1984) Mourir à Ouvéa (La Découverte-Le Monde, 1988) LES CARNETS SECRETS DE PHILIPPE BOGGIO ALAIN ROLLAT L'ANNÉE DES MASQUES OLIVIER ORBAN Ouvrage publié sous la direction de Gilles Hertzog © Olivier-Orban, 1989 type="BWD" AVERTISSEMENT Pour les historiens de l'immédiat que sont les jour- nalistes, l'actualité est aussi faite de tout ce qu'ils savent mais n'écrivent pas, faute de temps, faute de place, ou parce qu'il faut aller, pour l'édition du jour, à l'essentiel : au politique. De ces « chutes » est né ce livre, tissé de ces mille petites phrases, confidences, révélations impru- dentes ou intentionnelles, lâchées sur le vif, saisies au bond, regrettées ou oubliées le lendemain. Au-delà du plaisir de l'éphémère, ces Carnets secrets, bout à bout d'instantanés enregistrés au cours d'une année riche en rebondissements, per- mettent, à côté des biographies ou des essais, de reconstituer le puzzle subtil des personnages qui nous gouvernent, de comprendre leurs ressorts, les cohérences - ou incohérences - de leurs faits et gestes. En politique, comme ailleurs, les petits ruis- seaux font les grandes rivières. Les coulisses des événements majeurs de 1988, plus encore que de coutume, ont d'abord révélé, loin des idéologies, la primauté des humeurs, des psychologies, des affinités et des passions de ces comédiens pas comme les autres que sont les acteurs du théâtre politique. VŒUX A L'ÉLYSÉE. LE PRÉSIDENT : «JE VOUS SOUHAITE BONNE... CHANCE. » Lundi 4 janvier. - Nos meilleurs vœux pour la France! François Mitterrand accueille Jacques Chirac et son gouvernement pour la traditionnelle cérémonie du Nouvel An. Ors, stucs et courtoisie républicaine au palais de l'Élysée. Mascarade, aussi. La cohabitation s'essouffle, meurtrie par les coups bas que s'échangent des rivaux, contraints, pour sau- ver la face, de se combattre en coulisses. « Le pays parle d'une seule voix »... Qui le croit encore? Un diplomate japonais se souvient d'avoir entendu François Mitterrand et Jacques Chirac au sommet de Tokyo échanger des propos aigres-doux à propos de la position des micros, pour une conférence de presse commune. Le moindre souffle d'air pourrait provoquer une explosion. François Mitterrand et Jacques Chirac ont usé leurs réserves de bienséance. Ils donnent le change comme on donne la comédie. Un incident, une franche et saine querelle devant des caméras de télé- vision, tout paraît possible, presque souhaitable, tant la tension est forte entre les deux hommes, entre les deux camps, à quatre mois de l'élection présiden- tielle. Comme chacune de ces rencontres contre nature, la cérémonie de vœux a été longuement négociée entre l'Elysée et Matignon. On a décidé de vanter, pour des Français sceptiques, les charmes un peu flé- tris de la cohabitation. Les impératifs de l'heure, à l'étranger, surtout à Washington et à Moscou, cette fameuse « parole de la France » à entretenir, les sou- rires ironiques de nos voisins, l'approche de l'Europe ouverte, tout incite à une harmonie forcée. C'est la coutume, Jacques Chirac s'approche du micro, devant le parterre gouvernemental et quel- ques collaborateurs du président. Souriant, détendu, l'œil respectueux, le front lisse de dévotion, il entend jouer son rôle à la perfection. Un match, un autre, se prépare discrètement sous le grand lustre de la salle des fêtes. Celui qui doit désigner le meil- leur cohabitationniste de l'année nouvelle. Un bre- vet qui doit servir pour les prochains mois. André Giraud, ministre de la Défense, confiera que cette salle de bal avait, ce jour-là, l'apparence d'un ring. Tout en répétant que cette période est « assez inha- bituelle », le Premier ministre observe que « chacun, à sa place, a fait ce qu'il devait faire ». François Mit- terrand écoute ces propos avec un plaisir non dissi- mulé. Jacques Chirac a l'art de tirer du mérite commun son profit personnel. « Il ne peut pas s'empêcher, dira le chef de l'État, de se pousser du col. » Cet éloge de la cohabitation n'est qu'un dis- cours de campagne. Son discours, manifestement, a été écrit, François Mitterrand le parierait, pour habiller sa candidature. « Il faut que la France gagne et porte son message dans le monde. » Sous-entendu : « Que la France gagne avec moi et que je porte son message. » Délicieusement irrité, le président écoute, la tête un peu penchée, son Premier ministre espérer que l'échéance électorale soit abordée avec « sérénité ». Il en était sûr, l'autre n'allait pas pouvoir se rete- nir d'en parler. Pourtant, les collaborateurs de Mati- gnon et de l'Élysée, témoins permanents d'un duel jamais consommé, avaient garanti le matin même encore, qu'on s'en tiendrait à des paroles générales. La présidentielle ne devait pas être de la cérémonie. Coup d'œil du chef de l'État en direction de Jean- Louis Bianco, le Secrétaire général de la présidence. Celui-ci, imperceptiblement, hausse les épaules, peu surpris. François Mitterrand se vengera plus tard dans la journée, lorsque le Conseil d'Etat, derrière son vice- président Marceau Long, viendra à son tour présen- ter ses vœux au chef de l'État. Abordant le futur scru- tin, il soulignera que « nos libertés ont besoin de paix civile et de paix sociale ». Ces propos largement improvisés viseront bien sûr Jacques Chirac et le RPR. Devant Jean-Louis Bianco, le président a déjà évoqué les semaines précédentes, « le mal causé par l'État-RPR» et sa propre difficulté à défendre l'unité nationale face à la voracité des amis du gouverne- ment. Aux vœux des ministres, il n'en laisse rien paraître. Surtout ne pas montrer ce qui préoccupe le camp d'en face... Surtout ne rien laisser lire sur son visage, que ses adversaires aiment à décrire de cire. Il y a là Édouard Balladur et Charles Pasqua, les deux stratèges de Jacques Chirac en pré-campagne. Le président a négligé le premier, comme à son habitude, et salué amicalement le second. Les jeunes loups de la garde montante, Léotard et Madelin, musardent. Albin Chalandon admire les carats du lustre. Bernard Pons, le nerveux ministre des DOM- TOM, évite de croiser le regard du chef de l'État. Tous n'ont qu'une idée fixe. Une seule obsession. Au point qu'ils en oublient d'écouter leur chef et son ode à la cohabitation. Se représentera-t-il? Il n'en dit jamais rien, s'amuse des questions embarrassées. En cette nouvelle année, François Mitterrand sait qu'il est l'objet de toutes les interrogations. Ce 4 janvier, il ne livre rien. Il se plaît à tourner, devant ses hôtes, quelques phrases bien lisses, bien républicaines. Dans sa réponse au Premier ministre, il souligne la nécessité du « sens de l'État et la volonté de servir la France ». Il s'adresse à l'éternité, volontairement vague sur l'époque, devant des hommes qui n'ont qu'un horizon : le soir du 8 mai. « Il n'y a pas de raison pour que cela change et il ne faut pas que cela change. » C'est la seule impression qu'il tienne à donner, dans cette atmosphère de veille électorale. Celle de l'arbitre qui se sait respon- sable de la qualité du débat, qui trouve ces prépara- tifs de croisade un peu vulgaires. N'a-t-il pas été élu pour sept ans? On ne lui volera pas un jour, quelle que soit la fièvre des prochains mois. Les ministres en sont pour leurs frais. Le chef de l'État garde le silence. «Je vous souhaite bonne... chance », lâche-t-il, avant de reconduire ses hôtes. Lapsus, sans doute. Il ne voulait souhaiter à ses ministres qu'une bonne année ordinaire. Certains le prennent mal. Surtout les gaullistes. En regagnant son ministère de la Culture, François Léotard, qui ne déteste pas l'ironie, confie : « Il nous use les nerfs. Jamais Jacques Chirac ne tiendra le coup. » JEAN-LOUIS BIANCO DANS LE SECRET Lundi 4 janvier. - François Mitterrand, flanqué de son Secrétaire général, regagne son bureau, après ce rituel des vœux. « Il serait fort dommageable pour la France que le chef du gouvernement devienne le président de la République, vous ne trouvez pas? » Jean-Louis Bianco sait qu'il n'a rien à répondre à cette phrase faussement interrogative. Le chef de l'État a pris l'habitude de soliloquer devant son prin- cipal collaborateur. La solitude élyséenne de la cohabitation a rapproché les deux hommes. Le ministre plénipotentiaire du palais présidentiel, celui qui cent fois a tenté depuis mars 1986 de faire valoir le point de vue du « Château » auprès de Mati- gnon, en usant ses talents de persuasion et surtout de patience, l'intermédiaire des mauvaises heures, l'interlocuteur de Maurice Ulrich, directeur de cabi- net et de Denis Baudouin, porte-parole de Jacques Chirac, a surtout entendu souvent François Mitter- rand dénier, lui aussi, toute qualité d'homme d'État au Premier ministre. « C'est un homme emporté, et de ce fait, dangereux. » « Il n'a pas de conviction per- sonnelle, épouse l'opinion du dernier qui parle, s'en veut et applique, par dépit, j'oserais dire par impuis- sance, presque à chaque fois la politique du pire. » Confident discret et empressé, Jean-Louis Bianco sait, ce 4 janvier, qu'il est pratiquement le seul à détenir le secret qui excite tout Paris : François Mit- terrand a pris sa décision de se représenter.

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