réVoluTIon culTurelle 2017 Le PouVoIR De L’IMAGINAtIoN demande à des écrivain(e)s d’imaginer, Charles de comploter, de sublimer sous la forme d’une nouvelle, la présidentielle de 2017. Politique-fiction ? Si l’on veut… En tout cas, à coup sûr, le pouvoir de l’imagination. N°1 Premier de la série : Jérôme Leroy. dans La peau d’aLain juppé de jérôme LerOy Jérôme Leroy, ancien professeur de t cette pluie ne va pas s’arrêter, évidemment. lettres devenu écrivain à part entière, La pluie, la nuit, la défaite. Le triptyque parfait pour un a gagné dans la presse ses galons de début de roman. J’écrirai peut-être un jour un roman, « nouveau Manchette », ou de « nouvel d’ailleurs, sur tout ça. Oui, un roman plutôt qu’un essai. ADG », qui sait, avec la publication Je ne pourrai pas être plus nul que Giscard. J’aurais du Bloc dans la collection Série Noire, en 2011. Et c’est encore avec un aimé être écrivain, en fait, ma tentation de Venise ou roman policier très politique e du Québec… qu’il reviendra dès septembre Un gaulliste, ça doit savoir partir. Et on a beau dire, je suis le en librairie, toujours dans la dernier gaulliste. Ou je l’étais. Parce que je vais partir, ce coup-là, Série Noire. et définitivement. C’est vraiment foutu. Les Français ne me méritent pas. C’est ce que je me suis dit, en voyant tomber les résultats du premier tour, tout à l’heure et ça s’est résumé en deux mots : « Les cons ! ». Benoist Apparu, qui était juste à côté de moi, m’a entendu. Il a eu un sourire amer et il m’a fait remarquer que c’était la phrase attribuée par Sartre à Daladier de retour de Munich, en 1938, quand la France s’était agenouillée devant Hitler. Il m’a étonné sur ce coup-là, Apparu. C’est un excellent politique, un vrai manœuvrier avec ce qu’il faut de séduction pour emporter le morceau dans une négociation difficile et Dieu sait qu’il lui en pOrtrait patrice nOrmand a fallu, de la séduction, pour convaincre les hésitants dans 139 Charles réVoluTIon culTurelle 2017 PAR JéRôMe LeRoy cette coquille vide qu’était l’UMP, une coquille vide qui a achevé de Et pourtant, j’en ai encaissé de sales coups, dans ma carrière. Mon se fracasser ce soir, avec la candidature de Fillon. Il va juste avoir de inéligibilité en 2004, ma défaite aux législatives de 2007, et surtout, quoi rembourser ses frais de campagne, ce nul. Mais enfin, Apparu, surtout, voir des plus cons que moi comme Sarkozy ou Fillon jouer je ne le voyais pas en lecteur du Sursis, il est d’une génération pour les premiers rôles. Et pour faire quoi ? Pour se retrouver avec un laquelle la littérature ne veut plus rien dire. Le sursis, tu parles… En Alfred Garcia au second tour. Tout cela serait risible si le pays n’était l’occurrence, ce n’est même pas un sursis, ce qui nous arrive, c’est la pas à feu et à sang, si on ne s’enfonçait pas dans la tiers-mondisation catastrophe… accélérée depuis dix-huit mois. Mon chauffeur est un bon, l’officier de sécurité aussi, la DS5 est une La pluie redouble, une pluie de cinéma. Je vais avoir le temps d’aller excellente bagnole, surtout pour mes vertèbres, mais la météo est au cinéma, moi, du coup. Ne sois pas amer. Il y a pire que d’aller voir vraiment désastreuse. Il ne manquerait plus qu’on se foute en l’air un cycle Bergman avec Isabelle à l’Utopia de Bordeaux : sur l’autoroute. Ce serait complet. À la vitesse où on va, je devrais être à Bordeaux dans trois heures, trois heures et demie. On vient Pensez, chers confidents d’un amour si fidèle, de passer au large d’Orléans. J’entrevois des silhouettes d’entrepôts Tenez-moi compagnie et parlons d’Isabelle qui ont brûlé, dans une zone commerciale, entre deux bretelles d’au- toroute. Tristan L’Hermite… Je n’ai pas lu de poésie depuis un temps fou, Orléans, Beaugency, moi. Tiens, écrire un roman et puis faire une anthologie de la Notre-Dame de Cléry, poésie française aussi, comme Pompidou. Je me demande à qui ça Vendôme, Vendôme ! a manqué, de ne pas avoir le temps de lire de la poésie, parmi les Les ennemis ont tout pris candidats de cette élection pourrie. Sûrement pas à Alfred Garcia, Ne lui laissant par mépris ni à Philippot. Ni même à Duflot. À Mélenchon peut-être. Il doit bien Qu’Orléans, Beaugency, être emmerdé, lui, tiens, ce soir… Une aussi vilaine surprise que la Notre-Dame de Cléry, mienne, dans le genre. Vendôme, Vendôme ! Mon portable vibre. C’est Bayrou. Je n’ai pas envie de répondre. Pas – Quelque chose ne va pas, monsieur ? me demande l’officier de la force. Il va me parler de recours possible, me dire qu’il reste encore sécurité en se tournant vers moi. les voix de l’Outre-Mer, que je dois faire une déclaration quand Je m’aperçois alors que j’ai chantonné à haute voix. Je suis fatigué. même. Il va me dire de faire demi-tour, qu’il faut que je sois à Paris Pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir mon âge, soixante- demain, que tout devient incontrôlable, que mon nom pèse encore, douze ans quand même. Et mes vertèbres… qu’il faut prendre position, que l’abstention énorme rend la légiti- – Non, je vous remercie. mité du scrutin inexistante. Les conneries habituelles des vaincus. Mais effectivement, quelque chose ne va pas. La France ne va pas, Il aurait fait un bon premier ministre, Bayrou. On aurait eu une com- vraiment pas. Je me demande soudain pour qui a voté ce flic. Pour plicité d’agrégés. On aurait pu citer Sénèque sous les ors de l’Élysée Alfred Garcia, si ça se trouve. Et mon chauffeur que je connais depuis ou dans des week-ends de travail au Pavillon de la Lanterne. Je vingt ans, un Landais comme moi, il a voté pour qui ? Parce que les pense que nos conversations auraient eu une autre dimension qu’à 22% de Garcia, ils viennent bien de quelque part… l’époque de Sarko-Fillon et de Hollande-Valls. C’était prévu, Bayrou, Nom de Dieu, j’avais imaginé toutes les hypothèses quand je me suis premier ministre. C’était écrit, gagné, plié. lancé. Mais pas celle-là, pas cette humiliation. Je peux toujours me Tu parles. Il doit se morfondre avec NKM dans notre siège de consoler en me disant qu’il n’y a pas que moi qui suis humilié dans campagne, avec les conseillers, les attachés de presse, les porte- cette histoire. Que c’est la France toute entière qui s’est humiliée ce paroles, les militants. NKM doit avoir sa tête des mauvais jours, soir, qui se ridiculise aux yeux du monde. Il n’empêche : c’est quand quand son côté préraphaélite cède le pas à la rockeuse maladive. Elle même dur à avaler. aussi, elle aurait fait une excellente ministre d’État. Elle voulait 141 Charles réVoluTIon culTurelle 2017 PAR JéRôMe LeRoy l’Éducation. Je la voyais plutôt à un vrai grand ministère de la Plani- Et puis, à un moment, ça m’a paru vain. J’ai laissé un communiqué fication écologique. Quand j’ai mis ça dans mon programme, la plani- écrit à Marielle de Sarnez, de la main à la main. C’est une intuitive. fication écologique, Mélenchon a hurlé au pillage idéologique. Mais Elle avait les larmes aux yeux. « Attendez, Alain, attendez au moins Mélenchon hurle tout le temps. Il pourra encore hurler ce soir. Ça ne que votre bureau politique se réunisse tout à l’heure. » J’ai dit non. Je ne changera rien aux 22% d’Alfred Garcia. me suis pas vu descendre dans la salle de presse. Je ne me suis pas vu La pluie redouble. Tropicale. Il fait 25°c à minuit alors qu’on est fin redire ce que tout le monde disait. Que c’était la faute de Hollande et avril. C’est monté à 35 dans la journée. Et ça dure depuis des mois. de Valls. De la faute au coup de tonnerre du 16 janvier 2016. Marielle Le dérèglement du climat, on y est. Les écolos avaient raison. Je l’ai a essayé un dernier argument qui prouvait bien où on en était arrivé : toujours su. Je n’ai pas vraiment eu le temps de leur dire : j’ai dû être « Et puis quitter Paris ce soir n’est pas très sûr. Il y a des émeutes partout, le ministre de l’Environnement le plus éphémère de la vème, entre la les gares et les aéroports sont en grève. Et avec ce temps… » présidentielle et les législatives de 2007. Je m’étire. Il a plu aussi comme vache qui pisse quand Mitterrand a gagné en 72 ans. Les vertèbres. Le cholestérol. J’aurais fait un seul quinquen- 81. Et pour Hollande en 2012. Bizarrement, je ne me souviens plus nat, bien sûr. On aurait remis les choses au point avec l’Europe sans du temps qu’il faisait pour l’élection de Sarkozy. J’ai dû refouler. Voir tout foutre en l’air mais fermement quand même. J’aurais fait du ce Julien Sorel avec gourmette gagner à force de vulgarité démago- keynésianisme sans le dire, le FMI n’aurait pas dit non. Une France gique, cela m’avait irrité au plus haut point.
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