Document généré le 24 sept. 2021 07:08 Séquences La revue de cinéma 35 Rhums En pays de connaissance 35 Rhums, France/Allemagne, 2008, 100 minutes Jérôme Delgado Numéro 262, septembre–octobre 2009 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1877ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Delgado, J. (2009). Compte rendu de [35 Rhums : en pays de connaissance / 35 Rhums, France/Allemagne, 2008, 100 minutes]. Séquences, (262), 45–45. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ CRITIQUES I LES FILMS 35 Rhums En pays de connaissance En subtilité, en longs plans et sous une ambiance douce et doucereuse, le dernier opus de Claire Denis s'affaire à décrire l'inévitable fin de la cohabitation père-fille. 35 Rhums possède des moments forts, d'une grande tendresse, mais aussi un bon nombre de séquences qui repoussent inutilement le moment où Lionel et Joséphine devront se séparer. JÉRÔME DELGADO distance pour garder sa poésie. Sa narration repose sur une description à la fois solennelle et retenue des protagonistes. Dans 35 Rhums, il manque cependant ce charme aux images. La pauvreté des décors (on est loin, avec l'appartement au cœur du récit, des somptueux paysages africains que Denis a souvent filmés), la simplicité des situations et la carence des dialogues — et lorsqu'il y en a, ils sont d'une grande banalité — font que le film tombe souvent à plat. Et s'étire inlassablement. On reconnaît à Claire Denis sa manière presque obsessive, mais passionnelle, de filmer les corps, d'hommes surtout. Sa caméra sait se faire lente et sensuelle, avec suffisamment de distance pour garder sa poésie. Une rupture inévitable L'intérêt est ailleurs. Il est dans ce Paris hors clichés, dans ionel (Alex Decas) est conducteur de RER dans Paris. cette relation père-fille plutôt rare au cinéma et dans ce Et il a élevé seul sa fille Joséphine (Mati Diop), aujourd'hui portrait aucunement condescendant d'une communauté L jeune femme aux études. Ils vivent en banlieue. Mais noire — tous les personnages, à l'exception d'un voisin- dans une banlieue loin du cliché des cités. En fait, le Paris prétendant de Joséphine (Grégoire Colin), sont noirs. Fille que filme Claire Denis n'est pas celui des cartes postales. 11 de fonctionnaire français, élevée en grande partie en est celui de ce couple père-fille, aussi ordinaire qu'anonyme. Afrique, Claire Denis a bâti sa filmographie, depuis sa toute première œuvre, Chocolat (1988), autour de ce trait qui la 35 Rhums est un film d'amour. Un film d'amour, comme seule caractérise, elle, la Noire blanche de France. Dans 35 Rhums, Claire Denis sait les faire. Si elle a abordé le désir dans Beau cette communauté appartient peut-être à la classe ouvrière, Travail ( 1999) et la violence passionnelle dans Trouble Every elle vit dans une certaine aisance, est épanouie et heureuse. Day (2001), deux films très charnels, ici, la cinéaste s'attarde C'est un groupe comme un autre, sans les étiquettes qu'on lui à quelque chose de peu physique. N'empêche, l'amour entre colle habituellement, celles de la misère et de la délinquance. Lionel et Joséphine passe autant par les gestes que par les regards ou les silences. Et puis, cette relation n'est pas Claire Denis offre une sorte de métaphore de sa propre vie. seulement de sang, elle s'est construite sur des années de Le groupe qu'elle filme et décrit de l'intérieur, c'est un peu le cohabitation, elle repose sur une complicité bâtie dans sien, uni et quelque part homogène, avec les mêmes intérêts, l'intimité d'une vie à deux. la même réalité. Ils sont tous dans le même bateau et la cinéaste aime cette idée, elle qui travaille en famille et fait La trame nous situe à l'orée de la rupture, inévitable, de ce appel à une équipe de fidèles, de son coscénariste de toujours, couple. Joséphine a atteint l'âge de trouver un autre amour, Jean-Pol Fargeau, à Agnès Godard, aux images. Alex Decas de mener sa vie ailleurs que sous le toit familial. Lionel vient figure au générique d'un bon nombre de ses films depuis de prendre sa retraite et devra assumer son vieillissement. S'en fout la mort (1990). Grégoire Colin, lui, était le jeune De là, cette tension, sourde et retenue, qui se dessine d'une soldat au cœur de Beau Travail. La trame sonore de scène à l'autre et qui éclate sur une crise un peu enfantine. Tindersticks est la troisième que le groupe britannique signe En contrepartie, il y a la jolie allusion à cette coutume de pour Claire Denis. Visiblement, elle aime naviguer en pays marin qui veut qu'on boive 35 rhums d'affilée pour accepter, de connaissance. ou oublier, le départ de sa fille. Le bateau arrive à bon port, il faut l'assumer. • France / Allemagne, 2008, 100 minutes — Real.: Claire Denis — Scén.: Claire Denis, Jean-Pol Fargeau — Images: Agnès Godard — Mont.: Guy On reconnaît à Claire Denis sa manière presque obsessive, Lecorne — Cost.: Judy Shrewsbury — Son: Martin Boisseau — Dir. art.: Arnaud de Morelon — Mus.: Tindersticks — Int.: Alex Decas (Lionel), Mati mais passionnelle, de filmer les corps, d'hommes surtout. Sa Diop (Joséphine), Nicole Dogue (Gabrielle), Grégoire Colin (Noé), Ingrid caméra sait se faire lente et sensuelle, avec suffisamment de Caven (tante), Julieth Mars-Toussaint (René), Adèle Ado (la patronne du bar), Jean-Christophe Folly (Ruben) — Prod.: Bruno Pesery — Dist.: Métropole. SÉQUENCES 262 >• SEPTEMBRE - OCTOBRE 2009 LES FILMS I CRITIQUES Away We Go Cœurs qui battent en Amérique Sam Mendes n'a pas eu à attendre longtemps la consécration. Son premier film, American Beauty, pamphlet acide mais placide sur la conformité sociale, avait frappé dans le mille et obtint nombre de récompenses. Depuis, il décortique l'âme de son pays sous différents angles et en différents lieux. OLIVIER BOUFÎQUE douce-amère, qui peut toutefois agacer. Car ceux qui entourent ces deux trentenaires — sortis tout droit de l'Amérique granola de Barack Obama — sont souvent trop schématiques, trop liés à leur territoire. L'amie de Verona provenant de Phoenix est une blonde désabusée qui sort avec un homme épais qui aime les courses de chien. Le message est on ne peut plus clair : qu'ils sont cons, les gens qui habitent le sud des Etats-Unis ! Et c'est la même ritournelle pour les autres villes: une autre connaissance, qui habite Madison au nord (Maggie Gyllenhaal), est une professeure ésotérique et intellectuelle; les gens de Montréal — qui ressemble à un gros «Ghetto McGill » — se saoulent la gueule; à Miami, ils sont tristes et entourés de palmiers. Mendes y est allé de raccourcis qui ne l'honorent pas toujours. Mais bon, Away We Go est sauvé par un je-ne-sais-quoi qui apparaît ici et là. Le film flotte dans un folk américain pas du tout déplaisant qui fait écho aux sentiments des deux personnages. Voilà des jeunes gens, très décents, pas tout à fait adultes, pas complètement ados, qui ont décidé de prendre leur vie en main. Leur quête du bonheur est légitime et force l'admiration. Combien déjeunes couples s'installent dans leur maison déjà achetée et peinturée sur un chemin déjà tracé? Au contraire, Burt et Verona ont décidé de se Proximité et complicité poser les questions les plus élémentaires de la vie, de se mettre en danger pour comprendre la société qui les ne constante chez Mendes ; le rêve qui se frotte à la entoure. En ce sens, le long métrage ressemble à L'Auberge réalité. Dans American Beauty, on se rappelle ce espagnole de Cédric Klapish, qui avait également mis en père de famille vivant de fantasmes dans une étouf­ U scène de jeunes adultes cherchant leur place, leur profession, fante banlieue américaine. Dans les Noces rebelles, un jeune leurs aspirations. Comme dans ce film, la démarche de couple idéaliste n'arrive pas à réaliser ses ambitions pourtant Mendes n'est pas du tout cucul la praline. D'ailleurs, son grandes dans une Amérique à la Douglas Sirk. Avec Away dessin de cette génération, celle qui vote pour les We Go, le réalisateur poursuit son exploration des aspira­ Démocrates, celle qui n'a jamais senti l'appel de Wall Street tions humaines mais aussi de l'amertume de nos sociétés et qui a préféré les chemins modestes du centre américain, face à la bêtise parfois abyssale qui nous entoure. est toujours tendre. Burt et Verona (remarquablement naturels, John Krasinksi et Outre la réalisation nickel du mari de Kate Winslet, Away Maya Rudolph) forment un couple trentenaire qui attend un We Go est surtout l'affaire des deux protagonistes qui illuminent enfant. Après une visite aux parents excentriques de Burt le film en entier. La proximité et la complicité de John Krasinski (Catherine O'Hara et Jeff Daniels), qui décident de partir et Maya Rudolph donnent du tonus et un supplément d'âme deux ans en Belgique, les deux jeunes parents en devenir au long métrage.
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