Université Bordeaux Montaigne Master de recherche en Histoire moderne et contemporaine Parcours géopolitique et relations internationales du XVIe siècle au XXIe siècle Mémoire de recherche de master 2 _____ La concurrence géopolitique dans l’espace baltique de l’Entre-deux-guerres (1919-1940) ____ Luc Mora Sous la direction de monsieur le Professeur Philippe Chassaigne Soutenu le 04.05.2021 2 Je tiens à remercier mon directeur de recherche monsieur Philippe Chassaigne, qui m’a suggéré de m’intéresser à la Baltique et a répondu aux interrogations qui ont rythmé mes recherches. 3 Avant-propos La région baltique ayant un passé très multiculturel, beaucoup de noms de villes et autres toponymes se déclinent dans différentes langues. Pour des raisons de neutralité, nous avons fait le choix d’employer le plus souvent les noms en usage actuel dans notre développement, bien que nous laissions apparaître leurs variantes linguistiques et orthographiques dans le cadre des citations. Nous conservons cependant l’usage des noms d’époque lorsque leurs équivalents contemporains nous paraissent trop anachroniques. Nous ferons donc référence à Vilna et Königsberg plutôt qu’à Vilnius et Kaliningrad. Concernant les noms de personnes, nous privilégions l’orthographe de leur langue d’origine, sauf lorsque l’usage prévoit un équivalent traduit en français. Quant aux noms russes, nous avons opté pour une translittération phonétique. 4 Introduction générale ______________________________ Au mois de juin 1940, alors que l’attention internationale est rivée sur les fulgurants progrès de la campagne de France, l’URSS envoie un ultimatum aux États baltes. Ces derniers sont accusés de conspiration, et de trahison de leur alliance soviétique signée moins d’un an auparavant1. Faute de moyens de défense suffisants, les trois pays sont contraints d’accepter la destitution de leurs gouvernements et l’occupation de leur territoire par l’Armée Rouge. En juillet 1940, les nouveaux gouvernements de la Baltique demandent un à un l’adhésion de leurs Républiques à l’URSS, requêtes évidemment acceptées par le Kremlin dans les jours qui suivent2. De petites puissances telles que la Lettonie ou l’Estonie ne pouvaient certes pas espérer de victoire frontale face à l’Union soviétique. En revanche, leur isolement diplomatique reste plus difficile à expliquer. Perçue comme un enjeu stratégique, mais aussi comme instable, morcelée et susceptible de voir naître un nouveau conflit d’ampleur, la Baltique ne laisse pas les grandes puissances indifférentes. En Occident notamment, dès la fin de la Grande Guerre, on se méfie de ces « Balkans du nord3 ». Après tout, il est vrai que la Seconde Guerre mondiale commence effectivement sur les rivages de la Baltique, avec l’invasion de la Pologne permettant à Berlin d’annexer Danzig. Il apparaît donc qu’après plusieurs années d’investissement et de rivalité avec les révisionnistes, les défenseurs du statu quo ont échoué à sauver les petits États de l’Est. Repenchons-nous donc sur la genèse du problème baltique. 1 « Въ одномъ изъ ближайшихъ засѣданiи правительства – ратификацiя латвiйско-совѣтскаго пакта [Dans l’une des prochaines séances du gouvernement – ratification du pacte soviéto-letton] », Сегодня, no278, Riga, 08.10.1939, <http://www.periodika.lv/periodika2-viewer/view/index- dev.html?lang=fr#panel:pa|issue:/sego1939n278_1|article:DIVL12|issueType:P>, [Consulté le 14.04.1939] ; « Эстонскiй нейтралитетъ и договоръ о взаимной помощи съ СССР [La neutralité estonienne et le pacte d’assistance mutuelle avec l’URSS] », Сегодня, no278, Riga, 08.10.1939, <http://www.periodika.lv/periodika2-viewer/view/index- dev.html?lang=fr#panel:pa|issue:/sego1939n278_1|article:DIVL22|query:%D1%81%D0%B5%D0%B3%D0 %BE%D0%B4%D0%BD%D1%8F%7CissueType:P>, [Consulté le 14.04.2020]. 2 « Латвийская ССР принята в состав Союза Советских Социалистических Республик [La RSS de Lettonie est acceptée au sein de l’Union des Républiques Socialistes Sociétiques] », Для Вас, no33, Riga, 11.08.1940, <http://www.periodika.lv/periodika2-viewer/view/index- dev.html?lang=fr#panel:pp|issue:/p_003_dlva1940s01n33|article:DIVL24|page:2|issueType:P>, [Consulté le 27.09.2020]. 3 GUESLIN (J.), La France et les petits États baltes : réalités baltes, perceptions françaises et ordre européen (1920-1932), Thèse de doctorat sous la direction de Robert FRANCK, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 2004, p.136, p.141, ⟨tel-00126331⟩, [Consulté le 29.01.2020]. 5 À l’heure où les peuples baltes décident de se saisir de leurs destins, les grandes puissances européennes sont encore mobilisées par la Grande Guerre. En 1918, soumis à l’administration militaire allemande depuis la paix de Brest-Litovsk, des mouvements nationaux se forment autour des figures de Konstantin Päts, Kārlis Ulmanis et Antanas Smetona. Les mouvements baltiques, matérialisés par des troupes populaires, prennent une réalité concrète à mesure que les troupes allemandes et austro-hongroises évacuent chaotiquement l’Europe de l’Est suite à l’Armistice de Compiègne4. Dans toute l’Europe orientale en effet, la retraite allemande laisse place à un immense no man’s land rapidement revendiqué par une multitude de factions. En Occident cependant, l’enjeu des indépendances baltiques n’est alors pas perçu comme une épopée nationaliste au même titre que celles de Pologne ou de Finlande. La raison en est simple, l’existence même des peuples baltes échappe en grande partie à l’opinion publique de l’ouest du continent5. Il faut dire que même les termes d’« Estonie » et surtout de « Lettonie » sont quasiment des néologismes en français ou en anglais, là où pendant des siècles on se référait au terme de « Livonie » pour désigner un ensemble plus topographique qu’ethnographique6. À Paris ou à Londres, les factions lettone et estonienne sont perçues comme le résultat naturel mais éphémère du chaos de la fragmentation de la Russie. Le regard est légèrement différent pour la Lituanie en raison de son antériorité historique, mais on peine globalement à la dissocier de la Pologne. Cela étant, une perception pour le moins nébuleuse n’empêche ni le Quai d’Orsay ni le Foreign Office de prendre en compte les factions baltiques dans l’espace exsangue qui sépare l’abîme révolutionnaire du reste de l’Europe. En effet en fin d’année 1918, les armées rouges avancent dans les territoires perdus à Brest-Litovsk dans une poussée générale vers l’Europe centrale. Dans les provinces baltiques, les forces nationalistes sont rudement éprouvées. Cherchant à contenir la révolution, Français et 4 ЛААМАНЪ (Э.), « “Балтiйские ворота на Востокъ” [Les portes de l’Est par la Baltique] », Сегодня, no174, Riga, 26.06.1938, <http://www.periodika.lv/periodika2-viewer/view/index- dev.html?lang=fr#panel:pa|issue:/sego1938n174_3|article:DIVL147|issueType:P>, [Consulté le 22.09.2020]. 5 GUESLIN (J.), « La France, la naissance des États baltes (Estonie, Lettonie) et le problème de l'influence germanique au début des années vingt », Nordiques, Paris : Institut Choiseul ; Caen : Bibliothèque de Caen, Association Norden, 2007, p.1, ⟨hal-01405401⟩, [Consulté le 29.01.2020]. 6 Il existe d’ailleurs à cette époque un débat en France pour trancher entre les termes « Latvie » ou « Lettonie ». Quant à l’orthographe, on rencontre aussi bien Esthonie qu’Estonie, Lithuanie que Lituanie. 6 Britanniques front pression auprès de l’Allemagne pour maintenir voire redéployer des troupes dans les provinces baltiques7. De leur côté, les Allemands sont divisés mais n’ont pas dit leur dernier mot. Avec la politique d’Octobre en 19188, les socialistes cherchent à sécuriser une influence politique et économique de long terme dans les futurs États baltes, se reposant sur une politique favorable à la communauté des Barons9. Cependant il y a aussi les défenseurs acharnés du Baltikum (la Baltique germanique). C’est notamment le cas du général von der Goltz, à la tête des Freikorps, qui mène une véritable campagne militaire, aussi bien contre les nationalistes que les bolchéviques10. Ainsi, au commencement de l’année 1919, Freikorps et armées rouges envahissent les territoires baltiques, se disputant la région pendant les derniers instants de flou séparant la guerre de la paix. Quant aux Occidentaux, opposés aussi bien à une germanisation qu’à une soviétisation de la région, ils soutiennent finalement les factions baltes tentant de repousser les envahisseurs. Londres envoie une flotte militaire dans la mer Baltique sous le commandement d’Edwin Sinclair dès novembre 191811. En avril 1919, la France envoie une division navale sous le commandement de Jean Joseph Brisson pour combattre aux côtés des forces pro-Ulmanis12. Non sans surprise, et en partie grâce au soutien occidental, les forces baltes l’emportent contre toutes les autres factions13, ouvrant la voie à des traités de paix fondant leur existence juridique14. Débarrassés des menaces immédiates à leur existence, les États baltes, à l’aube des années 1920, cherchent à trouver leur place dans la nouvelle Europe. Bien que faisant figure d’épicentre des tensions à plusieurs reprises, la Baltique n’est pas la seule à s’embraser au cours des six mois séparant l’Armistice de la paix de Versailles. 7 « The Bolshevik Bugbear, Lettish Military Complications – a German Armistice Dispute », The Manchester Guardian, Manchester, 08.01.1919, <http://search.proquest.com/hnpguardianobserver/docview/476234104/cit ation/6CD57E70427347F4PQ/15>, [Consulté le 04.12.2019] ; « Germany, the Armistice, and the Bolsheviks », The Manchester Guardian, Manchester, 09.01.1919, <http://search.proquest.com/hnpguardianobserver/docview/476202179/citation/6CD57E70427347F4PQ/17>, [Consulté le 04.12.2019]. 8 HIDEN (J.), The Baltic States and Weimar Ostpolitik, Cambridge University Press, Cambridge, 1987. 9 Les nobles allemands de la Baltique, grands propriétaires terriens, sont appelés « Barons baltes ». 10 HIDEN (J.), The Baltic States and Weimar Ostpolitik, Cambridge University Press, Cambridge, 1987. 11 STOKER (D.), Britain, France and the Naval Arms Trade in the Baltic, 1919-1939: Grand Strategy and Failure, Londres, F.
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