L'équipée Belle

L'équipée Belle

Il est des êtres qui gardent le sens de la liturgie. Mais leur attachement rituel, indomptable aux legs du passé, ne chasse pas en eux la soif d'innover, à condition que des paradoxes oiseux, nés d'une recherche de l'originalité à tout prix, ne viennent pervertir par avance le fruit de leur imagination. Leur univers passionnel est situé à des galaxies du caprice. Apôtre de l'énergie, sensible au souffle du rêve, Jacques Goddet est de ces hommes en qui le poids suprême de la tra- dition et l'appel inexorable de l'avenir cohabitent. Son sens de la création le tire vers le haut; cette exigence ne le lasse jamais. Sa raison d'être? Servir le sport, entreprise d'allégresse et aussi de douleur où l'athlète accepte de moins en moins ses limites mais doit se résigner quand la houle du renoncement l'atteint. D'où l'ivresse et le pathétique de ces vies fré- missantes. «Vais-je donc passer sans fournir la note que Dieu avait mise en moi?» s'interro- geait Maurice Barrès. La question hante ceux pour qui l'existence est un acte de foi. Leur force d'âme n'est pas là pour mas- quer leurs échecs mais au contraire pour les pousser à satisfaire le plus difficile, autrement dit soi-même. Jacques Goddet peut être rassuré. Cette note que « Dieu avait mise» en lui, il l'a jouée. Et plus d'une fois. Comme journaliste, il s'est émer- veillé, avec des tremblements d'adoles- cent, de ce qu'il a vu et souvent suscité car le blasement n'a pas prise sur sa personne. Comme organisateur, il a comblé le besoin lyrique de nos cœurs parce que ses intui- tions, son expérience, sa détermination ont toujours su améliorer ou inventer des «batailles» qui furent autant de bouts d'éternité pour les fervents de l'effort phy- sique aiguillonné par l'esprit. Voilà près de trois quarts de siècle que dure la belle aventure. Lire la suite en page 3 de couverture. COLLECTION «VÉCU» JACQUES GODDET L'ÉQUIPÉE BELLE ROBERT LAFFONT/STOCK Ouvrage fkblié sous la direction de 'Daniel Mermet @ Éditions Robert Laffont, S.A., et Stock, Paris, 1991 ISBN 2-221-07290-1 à Jean-Baptiste et Camille, à Eliott, et aux jeunes de tous les âges. Je n'ai jamais eu assez de complaisance pour croire un seul instant que ma vie mériterait d'être rapportée dans un livre. Vouloir écrire ses Mémoires m'a toujours semblé un désir pour le moins étrange, et passer à l'acte, bien sûr, ne me disait rien qui vaille. Je n 'ai aucune inclination parti- culière pour le passé et, toute ma vie justement, homme d'action et de passion raisonnable, je n'ai eu pour seul souci que de regarder devant moi. D'un autre côté, refuser obstinément de consigner sur le papier ce qu'on a vu et les événements dont on a eu la chance d'être le témoin me paraît aussi comme une forme de complaisance plus maligne encore. Aussi me suis-je résigné à raconter le plus simplement possible les étapes d'une vie toute consacrée à la merveil- leuse aventure du sport à travers la destinée d'un journal et celles de certaines manifestations qui ont marqué de leurs très belles empreintes l'histoire moderne. On ne change pas son passé, et en aurait-on la possibilité que je n'y change- rais rien. Ma vie fut bien remplie et ne vaut, en définitive, que par la permanence de certains principes qui l'ont gui- dée, le travail, la simplicité, l'honnêteté, auxquels je me suis toujours efforcé de rester fidèle contre vents et marées. Jacques Goddet 1 L'AUTO LE TOUR, LE PARC : les sanctuaires du sport (1905-1939) Au début du siècle, tous les dimanches de mon enfance, je les ai passés en culottes courtes, suivant mon père et Henri Desgrange, l'hiver au Vél'd'Hiv' et l'été au Parc des Princes. Aussi ma mémoire est encore tout imprégnée du parfum des embrocations et de l'odeur de l'herbe fraîche. Et j'ai appris ce qu'était la nature de personnages exceptionnels, qui avaient installé à cette époque un métier inédit, le journalisme de sport, soutenu par des activités et des organisations concordantes. Victor Goddet était de cette espèce d'homme qui ne connaissait que les semaines de quatre-vingts heures. D'origine modeste, sans for- mation particulière, sans fortune, il s'était élevé dans la hiérarchie des responsabilités par un moyen tout simple : le travail. Il se trouvait que cet entrepreneur tout à fait «self made» savait merveilleusement compter. Amoindri dans son rendement physique par un accident de jeunesse qui l'avait estropié, se déplaçant avec difficulté, il avait compensé en consacrant tous ses efforts au développement du quoti- dien automobile sportif créé en 1900, l'Auto-Vélo ; à la bonne marche du Parc des Princes, le premier des trois, construit en 1897; au succès du Vélodrome d'Hiver, bâti près du boulevard de Grenelle, sur la rue Nélaton, devenue fameuse, après que mon père fut parvenu à réunir les fonds nécessaires. Et en réunissant l'intégration rationnelle des trois instruments, en cimentant leur nécessaire complémentarité. Je dois remercier mon père pour cet inestimable héritage, solide- ment charpenté, mais destiné à être malmené, et même, un moment, anéanti. Je dois aussi le remercier de l'exemple et de ses leçons. Ma chance fut de trouver un autre père quand l'auteur de mes jours eut, beaucoup trop tôt, disparu, en 1926. J'allais avoir vingt et un ans, le goût d'une vie sociale épanouie, le désir - déjà! - de me marier (ayant tôt évacué l'obligation du service militaire en devançant l'appel) et l'envie de jouer un rôle dans le cadre des activités qui avaient meublé le début de mon existence. Je les aimais déjà, ces activités, pour l'ambiance si vivante des milieux traversés, pour la chaleur et la forme des sujets traités. Je devins donc journaliste. C'est la fierté de ma vie. Journaliste nanti de la carte professionnelle, un des rares patrons de presse ayant cette qualification. J'ai passionnément aimé ce moyen d'expression pour sa spontanéité, sa diversité, l'influence qu'il peut dégager. Écrire dans un journal d'actualité, c'est dépeindre et faire comprendre, appor- ter une explication, juger même, influencer peut-être, donner des idées en tout cas. Cela peut devenir une sorte de mission si l'on se trouve confronté à des événements susceptibles d'infléchir le comportement humain dans sa morale individuelle ou les mœurs de la société. Écrire pour un journal, c'est-à-dire à destination de lecteurs innocents, qu'on agresse soudain, à leur insu, est un devoir difficile. Il est pourtant néces- saire, à mon sens, sans jamais transgresser la vérité des faits, de donner son opinion, ou du moins une opinion, d'essayer de traduire en clair les péripéties que l'on doit relater de telle manière qu'en soient comprises les raisons. La matière qu'apporte le sport se situe absolument à part. D'abord, pour le principal, parce que la rédaction porte sur des élé- ments dont beaucoup d'autres personnes ont été les témoins. On ne dupe pas les spectateurs du stade ! Situation qui s'est étrangement préci- sée depuis l'avènement de la télévision et son insertion dans le domaine du sport qui semble avoir été inventé pour elle. Nous avons donc, nous les plumitifs (terme totalement périmé) de la chose, été amenés à confronter en permanence notre vision avec celle de la masse de specta- teurs ou téléspectateurs (ou auditeurs, aussi, bien sûr), tous détenant les éléments qui permettent de porter des jugements et de forger sa propre opinion. Eh bien, mon évangile personnel m'enseigne qu'il ne faut sur- tout pas, à cause de cela même, se confiner dans une sorte de neutra- lisme d'expression, au contraire. Engageons le débat. Donnons matière à réflexion, voire à discussion. Le lecteur de sport porte sa passion en lui. Il est, dans son subconscient, supporter, arbitre, juge. Jamais indif- férent. Il est (ou tout au moins, se croit) compétent. Vous ne le convain- crez peut-être pas. Mais vous le tromperez difficilement. Et vous sti- mulerez son intérêt. Le sport, à coup sûr, c'était ce qu'il y avait de plus créateur dans ce monde que j'avais craint de voir disparaître durant les années 14-18, un moyen de le sauver de lui-même, de ses conflits guerriers, de ses luttes de races et de classes, de la maladie et de la déchéance corporelle qu'entraîne notre civilisation du progrès en nous privant d'exercices. Je me sentais en harmonie de pensée avec l'admirable pédagogue moderne que fut de Coubertin écrivant : « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre! » Et davantage encore avec la rustique et forte sentence d'Eugène Chris- tophe, le rude routier, le « Vieux Gaulois » qui répara seul sa fourche chez le forgeron d'un petit village pyrénéen du Tour de France, répon- dant, mâchoire proéminente, à ceux qui l'interrogeaient sur les meil- leurs moyens de gagner : « Faut vouloir. » La création de l'Auto (l'Auto- Vélo plus exactement) constitue en elle-même un joli roman d'aventures. L'Auto-Vélo fut fondé au début du siècle, engagé dans la plus moderne des révolutions, celle des tech- niques, sur l'initiative du comte de Dion, par un groupe de construc- teurs désireux d'assurer la défense des industries - toutes neuves donc fragiles - du cycle et de l'automobile.

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