Mémoire Des Délibérations Du Conseil Exécutif Séance Du 15 Décembre 1988 a 19 H 00 Sous La Présidence Du Premier Ministre Monsieur Robert Bourassa

Mémoire Des Délibérations Du Conseil Exécutif Séance Du 15 Décembre 1988 a 19 H 00 Sous La Présidence Du Premier Ministre Monsieur Robert Bourassa

MÉMOIRE DES DÉLIBÉRATIONS DU CONSEIL EXÉCUTIF SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1988 A 19 H 00 SOUS LA PRÉSIDENCE DU PREMIER MINISTRE MONSIEUR ROBERT BOURASSA Membres du Conseil exécutif présents: Monsieur Robert Bourassa, Premier ministre Madame Lise Bacon, Vice-Première ministre; ministre des Affaires culturelles Monsieur André Bourbeau, Ministre de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu Monsieur John Ciaccia, Mnistre de l'Énergie et des Ressources Monsieur Albert Côté, Ministre délégué aux Forêts Monsieur Marc-Yvan Côté, Ministre des Transports Monsieur Robert Dutil, Ministre délégué à la Famille, à la Santé et aux Services sociaux Monsieur Pierre Fortier, Ministre délégué aux Finances et à la Privatisation Monsieur Richard French, Ministre des Communications, ministre délégué à la Technologie et ministre des Approvisionnements et Services Madame Monique Gagnon-Tremblay, Ministre déléguée à la Condition féminine Monsieur Michel Gratton, Ministre du Tourisme; Leader parlemen­ taire et ministre délégué à la Réforme électorale Monsieur Daniel Johnson, Ministre délégué à l'Administration, Président du Conseil du trésor Madame Thérèse Lavoie-Roux, Ministre de la Santé et des Services sociaux Monsieur Gérard D. Levesque Ministre des Finances Monsieur Clifford Lincoln, Ministre de l'Environnement Monsieur Pierre MacDonald, Ministre de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie Monsieur Herbert Marx. Ministre de la Sécurité publique Monsieur Pierre Paradis, Ministre des Affaires municipales Monsieur Yvon Picotte, Ministre du Loisir, de la Chasse et de la Pêche et ministre délégué aux Pêcheries Monsieur Gil Rémillard. Ministre de la Justice, ministre délégué aux Affaires intergouverne­ mentales canadiennes Monsieur Guy Rivard. Ministre délégué aux Affaires culturelles et de l'Immigration Madame Louise Robic. Ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration Monsieur Claude Ryan. Ministre de l'Éducation; ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science Monsieur Raymond Savoie. Ministre délégué aux Mines et aux Afaires autochtones Monsieur Yves Séguin. Ministre du Revenu. ministre du Travail MÉMOIRE DES DÉLIBÉRATIONS LE 15 DÉCEMBRE 1988 CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE M. Rémillard résume d'abord les faits saillants du jugement que la Cour suprême a rendu ce matin: ce jugement reconnaît la compétence du Québéc en matière linguistique dans les domaines relevant de ses compétences. Il valide l'utilisation québécoise de la clause dérogatoire (article 33) . L'art i cl e 58 de l a Charte de la langue française est protégé jusqu'au 1er février 1989 en vertu de la Charte canadienne, mais non vis-à-vis de la Charte québécoise; il n'y a aucune protection en ce qui concerne l'article 69. La liberté d'utiliser la langue de son choix constitue une liberté fondamentale d'expression. Cette liberté fondamentale d'expression comprend le discours commercial. Les articles 58 et 69 de la Charte de la langue française restreignent cette liberté fondamentale. Cette restriction ne peut être considérée raisonnable et justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'objectif législatif de la Charte de la langue française est légitime et vise des besoins réels et urgents; il y a un lien rationnel entre le fait de protéger la langue française et le fait d'assurer que la réalité de la société québécoise se réflète dans le visage linguistique où prédomine la langue française; l'exigence de l'emploi exclusif du français n'est pas considérée comme nécessaire pour atteindre cet objectif législatif ni considérée comme proportionnelle à celui-ci; elle n'est pas nécessaire pour défendre ou améliorer la situation de la langue française au Québec. Exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l'objectif de promotion et de préservation d'un visage linguistique français au Québec et sera en conséquence justifié en vertu des chartes canadienne et québécoise. En d'autres termes, cela veut dire qu'on pourrait exiger que le français accompagne toute autre langue dans l'affichage, ou qu'on pourrait exiger qu'il soit plus en évidence. La réalité du visage linguistique du Québec devrait être communiquée à tous, quelle que soit leur langue maternelle. Ce sont, conclut monsieur Rémillard, les grandes lignes du jugement de la Cour suprême. Suite à ce jugement, poursuit M. Rémillard, les plaintes pendantes devront être réexaminées une à une, chacune à son mérite, et plusieurs devront être annulées. Jusqu'à ce qu'une autre loi soit adoptée, l'affichage unilingue anglais est permis, puisque rien ne l'empêche plus. Quant à la nécessité d'invoquer la clause dérogatoire pour l ' adopt ion d'une nouve 11 e l ég i s lat ion, cela dépendra du contenu du projet de loi; si, par hypothèse, on envisageait de permettre l'affi­ chage en deux langues à l'intérieur des commerces, mais d'exiger le français à l'extérieur, il est possible que la clause doive être invoquée. Les juristes poursuivent leur étude de la question. M. Rémillard et le Premier ministre répondent ensuite aux questions de leurs collègues sur le jugement. Le Premier ministre invite ensuite M. Rivard à prendre la parole. Celui-ci indique que le climat en 1988 est différent de celui qui prévalait il y a quelques années encore. Les francophones ont parcouru un chemin important. Ce qui est essentiel, ce que tout les Québécois se sentent chez eux, peu importe leur langue. Les valeurs en cause dans ce dossier sont le visage français du Québec, la liberté d'expression, la philosophie libérale et la qualité de la décision à prendre qui doit être à la fois simple, claire, applicable et explicable. L'affichage, soul i gne- t -il, ne touche qu'une part i e de la caractéri st i que francophone du Québec. Compte tenu cependant de las itua t ion démograph i que et géopolitique au Québec, le fait français en Amérique demeure fragile. Les valeurs actuelles de la société québécoise favorisent la modération, la tolérance et le respect mutuel. Les francophones demeurent cependant très sensibles à la question de la langue. 2 M. Rivard souligne que la formule de la prépondérance du français à l'intérieur des commerces est tout à fait applicable, de l'avis même des responsables à la Commission de la langue française. Un ministre s'informe de savoir si le jugement de la Cour suprême laisse au gouvernement la possibilité d'accorder certaines permissions, par exemple à des villages anglophones en régions éloignées. M. Rivard note que cette approche pose un certain nombre de difficultés et qu'on ne peut l'envisager qu'en faisant appel à la notion consacrée "là ou le nombre le justifie"; sans compter que le risque est de créer un nouveau genre de ghetto linguistique. La difficulté, en tout cas, consiste à permette certaines exceptions sans que l a régi on de Montréal soi t touchée. Le Premier ministre note que les solutions ne sont pas très nombreuses: le bilinguisme intégral ne peut être retenu; les solutions territoriales posent des problèmes; la formule du français prioritaire peut être examinée, encore qu'elle apparaisse poser certaines difficultés, sans compter qu'elle peut rapidement mener au bilinguisme intégral. Un ministre indiquant qu'il suffirait de donner le droit d'afficher dans les deux langues et qu'en pratique ce droit ne serait pas nécessairement exercé, le Premier ministre indique qu'il ne peut s'en remettre à la bonne volonté des commerçants pour donner l'assurance que le français aura la place qui lui revient. Quant à exclure le centre-ville de Montréal, comme le suggère un ministre, cela nécessite aussi d'adopter une clause dérogatoire. Sans compter que si un problème émergeait en dehors de Montréal, le gouvernement serait alors démuni pour le régler, puisque qu'il n'aurait légiféré que pour Montréal. C'est pourquoi le Premier ministre favorise, quant à lui, la formule dite "intérieur extérieur", selon laquelle seul le français serait permis pour l'affichage extérieur. Si l'Accord du Lac Meech est adopté, poursuit le Premier ministre, et cela est réalisable pour trois des cinq conditions posées par le Québec, les tribunaux vont devoir tenir compte de l'obligation qu'a le Québec de promouvoir la langue française. A l'intérieur des commerces, le Premier ministre trouve plus difficile à justifier que les commerçants ne puissent afficher dans leur langue. Quant à la formule pour permette cela, plusieurs sont possibles. Il s'agit de savoir si vraiment il sera nécessaire de recourir à la clause dérogatoire pour réaliser cette solution. Certains ministres indiquent être d'avis que le jugement de la Cour suprême laisse peu d'autres solutions. Le Premier ministre note qu'il informera les autres Premiers ministres canadiens de la solution qui aura été retenue, mais que, quelles que soient leurs réactions, il ne saurait assujettir la sauvegarde de la sécurité culturelle du Québec à une entente politique comme celle du Lac Meech. Plusieurs ministres disent leurs inquiétudes face à l'utilisation de la clause dérogatoire. On craint aussi des répercussions sur les i nvest i ssements étrangers. D'autres mini stres se di sent davantage favorable à la formule de la prépondérance du français, telle que défi nit par l a Cour suprême. D'autres préféreraient le statu quo à l'utilisation de la clause dérogatoire. Le Premier ministre dit se sentir plus à l'aise d'expliquer la formule "intérieur extérieur" qu'une autre où on ne laisserait à l'anglais que la portion congrue en bas des affiches. La discussion se poursuit, certains ministres se disant favorables à l'approche prise par le Premier ministre, d'autres ayant plus de difficultés à l'accepter, la croyant contraire aux prises de position du parti libéral depuis de nombreuses années. Certains font remarquer que le Premier ministre doit assumer la responsabilité d'une décision visant l'ensemble des Québécois, dans le contexte d'aujourd'hui.

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