Il Diluvio universale Quelles sont les conditions climatiques de la Suisse, du côté de Staint- Gall ? Parce que quand Donizetti composait —fébrilement comme toujours— cet étonnant ouvrage ni opéra, ni oratorio, Il Diluvio universale, un tel déluge s’abattait effectivement sur la ville de Naples qu’on alla jusqu’à l’accuser ! Mais conjurons le sort : cette reprise du Festival de Saint-Gall est une bonne occasion de se plonger dans un sujet biblique emporté par le flux de l’esprit du Romantisme. « Depuis octobre, il ne fait que pleuvoir et il arrive parfois certaine tempête qui brise les vitres partout puisque les maisons ne sont pas ici protégées contre de tels compliments. (...) Et le temps continue à toujours être nuageux ; et même, ils me disent tous que depuis que j’ai commencé à écrire le Diluvio, j’ai attiré sur Naples le véritable fléau. » Lettre de Gaetano à son père, en date du 13 février 1830 Gaetano Donizetti au grand tournant de sa carrière Le 10 janvier 1830, Gaetano Donizetti écrivait déjà à son père la rigueur du temps, par cette énumération suggestive : « Quelle pluie... quels froids... quelle neige... quel hiver. » Pouvait-il sentir d’autre part que cette année allait être véritablement marquante dans sa carrière ?... Il avait derrière lui trente de ses soixante-dix opéras, et s’apprétait à donner cette curieuse farse intitulée I Pazzi per progetto, traitant le thème de la folie mais sur le mode bouffe, les personnages feignant en effet la folie, « à dessein », pour traduire le « per progetto » du titre. La plupart de ses ouvrages avaient été bien accueillis et certains étaient même entrés dans le répertoire courant du moment, comme La Zingara, L’Ajo nell’imbarazzo, Olivo e Pasquale, Otto Mesi in due ore, Alina regina di Golconda ou L’Esule di Roma. Ce dernier ouvrage, donné en 1828, proposait des nouveautés, documentées dans les lettres du compositeur, notamment par cette phrase souvent citée : « L’année prochaine, je terminerai le premier acte par un quatuor et le second par une mort à ma façon. Je veux secouer le joug des finales... ». Il le secoua en effet, terminant son premier acte, non par le « pezzo concertato » traditionnellement attendu, mais par un simple trio, anticipant en l’occurrence ce que Bellini ferait avec le Finale Primo de Norma. Un autre opéra sortant des rangs, pour ainsi dire, devait être Il Paria en lequel Gaetano avait une confiance 1 dépassant le peu de notoriété recueilli par l’œuvre, et qu’il cristallisa cette phrase, écrite en confidence à son cher maître Simone Mayr : « (Entre nous) je ne donnerais pas un morceau du Paria pour tout le Castello di Kenilworth ». Il signifiait ainsi la différence fondamentale entre les deux opéras, pourtant donnés la même année 1829, faisant du premier (Il Paria) une œuvre hors du commun, tandis que Elisabetta al Castello di Kenilworth retrouvait un bon “standard” donizettien aux mélodies évidentes et immédiatement sympathiques. I Pazzi per progetto devait suivre, le 6 février 1830, puis une autre œuvre particulière, motivant le présent article, Il Diluvio universale, créé le 28 du même mois. Comme faisant écho à l’originalité de Il Paria, cette Imelda de’ Lambertazzi, créée le 23 août, présentait notamment une saisissante aria finale, non plus double selon le schéma habituel (air lent-cabalette), mais unique, lente et brève tirade exténuée et désespérée, exhalée par une héroïne rejetée par les siens. Tous ces hors du commun devaient conduire au premier chef-d’œuvre incontesté, cette fascinante Anna Bolena créée le 26 décembre 1830… et à trente-six (sans jeu de mots !) autres, recélant de fort belles choses... Après la création de Il Castello di Kenilworth (6 juillet 1829), Donizetti obtient un congé de six semaines auprès de l’impitoyable impresario des théâtres napolitains, Domenico Barbaja, et prend le chemin de Rome d’où Virginia, son épouse bien-aimée, est originaire. Elle pourra ainsi mettre au monde parmi les siens l’enfant qu’elle attend. Le 29 juillet 1829 naissait avec deux mois d’avance le petit Filippo Francesco Achille Cristino, mais laissons la parole à Gaetano qui écrivait à son père : « il avait une très large veine sur le dessus de la tête, qui allait d’une oreille à l’autre, traversant le dessus du crâne, le fait est que au bout de sept jours de vie, il commença à avoir des convulsions, il tordait les yeux, ne mangeait plus, et, après quelque temps d’une vie forcée et arrachée en lui donnant du lait à la petite cuillère, il resta deux jours la bouche clôse et mourut : c’est mieux ainsi plutôt que d’avoir un garçon gâté par la maladie puisqu’ils ont dit que s’il guérissait, il serait au moins resté estropié : qu’on n’en parle plus ! » La lucidité du récit est d’autant plus frappante, qu’une certaine douleur perce, toute légitime dans ce malheur. A Domenico Barbaja qui le rappelle déjà à Naples au bout de quinze jours (!), il envoie une réponse à la fois poignante et ironique que seul un esprit romantique pouvait concevoir : « Vous m’avez concédé un mois et demi, cela fait quinze jours que je suis arrivé ; vous savez, mon épouse a besoin d’au moins quarante jours et beaucoup plus maintenant, alors que cette nuit notre fils est déjà mort, et vous voulez me faire partir ? Pitié mon Barbaja pitié : si cela vous était vraiment nécessaire, j’accepterais pour vous rendre service, mais à présent que vous disposez de Guglielmi1 pour le 19, et qu’il y a Pacini2 pour le 4 octobre, que Gilardoni est occupé et ne peut travailler pour moi, pourquoi me faire promener à 1 Pasquale Guglielmo (1813-73), compositeur sicilien dont la Teresa Navagero fut précisément créée le 19 août. 2 Le prolixe Giovanni Pacini fit effectivement représenter avec succès I Fidanzati sur un livret de Gilardoni. 2 Naples ? J’ai à peine accouché et déjà vous voulez me faire attendre un autre enfant? Vous êtes trop cruel (...) ». L’ironie est la métaphore de l’enfantement pour la composition d’un opéra mais la même image fait douloureusement écho à l’accouchement malheureux de Donna Virginia, l’épouse bien-aimée. Cette considération de ses malheurs, avec un recul mi-ironique mi-douloureux est un trait de l’esprit romantique, et typique de la manière d’être de toute la vie de Donizetti. Barbaja n’insista apparemment pas, puisque le 10 octobre, Gaetano était encore à Rome, ville d’origine de son épouse, et donnait au Teatro Valle, une version révisée de Alina regina di Golconda. D’autre part, il composa un trio et le choeur final de la cantate Il Genio dell’armonia pour célébrer l’élection du pape Pie VIII. Rentré à Naples, Gaetano se documente sur le personnage de son nouvel opéra, tiré de la Bible. Faisant écho au Mosè in Egitto de Rossini, voici Naples submergée par Il Diluvio universale (le Déluge universel). De fait, les Napolitains superstitieux ne manquèrent pas de lui attribuer la responsabilité des pluies torrentielles qui déferlèrent curieusement sur la ville, à ce moment-là !3 Le Teatro San Carlo s’était assuré la collaboration de chanteurs estimés, tels Adelaide Tosi, la fameuse basse Luigi Lablache et le ténor Berardo Winter. Il faut noter d’autre part, dans un rôle comprimario, les débuts du ténor Lorenzo Salvi4. Lors de la révision pour le Teatro Carlo Felice de Gênes, Noè fut confié au baryton-basse basse Domenico Cosselli, valeureux interprète de Rossini et de Donizetti dont il créa notamment le beau rôle grand-seigneur du duc de Ferrare dans Parisina. Malheureusement, le soir de la première au San Carlo, le 6 mars 1830, la Boccabadati attaqua vingt mesures trop tôt sa phrase débutant la Stretta finale du premier acte et celui-ci s’acheva dans un tumulte que la célèbre basse Lablache, chantant Noè, ne put dominer. D’autre part, trahi par une réalisation scénique grotesque, le beau tableau final provoqua des sifflets et le Déluge fut lui-même submergé ! Quant à Gaetano, il dut être ramené chez lui, en proie à une crise de convulsions, puis la fièvre le cloua au lit durant une semaine. Les choses s’améliorèrent lors des sept représentations successives et la musique put être appréciée. Ce n’est que justice car le pauvre Gaetano était conscient d’avoir adapté son inspiration à ce singulier sujet : « A propos de cette musique, confiait-il à son père, je me hasarde à dire que j’ai assez peiné et je m’en suis trouvé fort content. Si vous croyez y trouver les cabalettes alors ne cherchez pas à les entendre, mais si vous voulez comprendre comment j’ai pensé différencier le 3 Dans une lettre à son père, il inscrit au-dessus de la date du 10 janvier 1830 (!) : “Quelle pluie... quels froids... quelle neige... quel hiver.” Le 13 février, il précisera, toujours à Andrea Donizetti : “Depuis octobre, il ne fait que pleuvoir et il arrive parfois certaine tempête qui brise les vitres partout puisque les maisons ne sont pas ici protégées contre de tels compliments. (...) Et le temps continue à toujours être nuageux ; et même, ils me disent tous que depuis que j’ai commencé à écrire le Diluvio, j’ai attiré sur Naples le véritable fléau.” 4 (1810-79). Il crée les rôles de ténor de Il Furioso, de Betly, Gianni di Parigi, puis ceux de la version italienne La Figlia del reggimento (1840) et de Adelia . Il crée également les deux premiers opéras de Verdi. 3 genre de la musique profane du genre sacré, alors souffrez [au sens de “supporter”], écoutez, et sifflez si cela ne vous plaît pas.
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