![LA VIE PARISIENNE 8 Décembre 1866](https://data.docslib.org/img/3a60ab92a6e30910dab9bd827208bcff-1.webp)
8 décembre 1866. LA. VIE PARISIENNE 673 LES SAISONS, à la salle Bischoffsheim. Décembre 180G. chevaux de race, ni de femmes à la mode, ni de brillants cavaliers. Le bois s'est fait austère. Philippe de Champagne a pris la place C'est aux journées de brouillard que de grand matin le bois de Bou¬ d'EugèneLami. Le silence n'est troublé que par la chute des feuilles logne, devenu mystérieux, fait oublier tous les plaisirs mondains qui, ou le cri de poule d'un cygne noir à bec rouge. Mais cette austérité la veille, s'ébattaient sur te gravier. Plus de traces d'équipages, ni de a la poésie de toute brume. 674 LA VIE PARISIENNE 8 décembre 1866. Des vapeurs légères s'élèvent au-desssus du lac ; plus pâle que la Ceci est particulièrement réussi. Les chœurs font merveille. lune le soleil commence à percer les brouillards épais. En tête de l'été la partition porte : « L'introduction annonce l'aube matinale. » J'ai passé tout l'été à regarder les choristes. Elles sont cinq sur le premier banc ; quatre charmantes ; sur les quatre deux juives. La veille j'avais entendu, à. la salle Bischofï'sheim, la symphonie On recommande particulièrement aux connaisseurs la juive brune des Saisons et je ne pouvais détacher le souvenir de l'œuvre d'Haydn placée près du chef d'orchestre et sa compagne, une blonde rieuse, de cette promenade autour du lac. la boucha un peu grande, qui ne cessait d'accabler de tendres et capri¬ Une grande œuvre que ces Saisons, quoiqu'il semble difficile de les cieux regards un joli garçon aux fauteuils d'orchestre. Amourettes de acclimater en France. Il faut des esprits attentifs qui ne craignent Cons; rvatoire. point un développementsymphonique d'une durée de deux heures, et Le sujet de l'introduction de l'automne est « la joie du laboureur à en même temps que nous sommes devenus trop pressés, trop de ré¬ la vue de ses riches moissons. » volutions de toute sorte, en politique et dans les mœurs, nous sépa¬ Serait-il pos?ib e de suivre l'idée du compositeur sans le livret? rent maintenant du courant sur lequel une telle œuvre a pu douce¬ Beethoven, dans la Symphonie pastorale, me paraît entrer plus pro¬ ment voguer. fondément dans la peinture de la nature. L" fameux passage au bord Il faudrait un public de 1789 à 1800, nourri de Rousseau et des en¬ d'un ruisseau (après toutefois que le livret m'a indiqué que nous ' cyclopédistes, un public à qui deux mots surtout sont familiers : sommes au bord d'un ruisseau) est certainement d'un ordre plus pa¬ veriu, nature. Alors le fonds de la conversation se compose d'un thétique. Malgré les beautés incontestables des deux maîtres dans ces prince vertueux, d'uu citoyen vertueux, d'un laboureur vertueux. Le essais d'imitations de la nature, leurs symphonies sans indications ! mot est à la mode en France; il est pris au pied delà lettre, en Alle¬ ni paroles est supérieure à leurs descriptions. magne où Haydn en devient la plus patriarcale expression. — E>t-il paysagiste? était une question à la mode il y a deux ans Le grand compositeur n'a rien à voir avec ses contemporains et entre rapins littéraires. Un roman ne pouvait se passer de paysage. ses successeurs. Il ne saurait être confident des galanteries de Mozart. Sacerdoce que d'être paysagiste. Il était permis de rogner les m-irges Beethoven doit le froisser par ses. sensations douloureuses et les de l'action à condit'on de peindre un bout de paysage. Les physio¬ sonorités fantastiques de Weber sont absolument hors de sa portée. nomies, les caractères, le drame qu'étaient-ce à côté de la fameuse Sentiment exquis delà famille, douces joies du foyer, gaietés inno¬ question : Est-il paysagiste? centes, adoration de l'Éternel sont le lot de Haydn. Tout cela est Rien de plus faux que le paysage quand même introduit par les gravé sur sa figure comme dans ses partitions. jeunes gens de l'école Bovary. Ce dialogue à froid de prairies, de Les beautés du compositeur ont souvent un caractère vieillot; le bœufs, de fumier, passé à l'état de procédé dans des livres d'essence masque lui-même de Haydn n'a été populaire que vieillot. Il faut bourgeoise, la musique n'est elle pas exposée à de grands dangers en aimer l'homme ainsi ou fermer l'oreille aux accents du doux composi¬ teur. l'employant? J'y pense en écoutant les Saisons quoiqu'ici heureuse¬ ment la sensation dépasse la description. C'est ce qui explique pourquoi les Saisons, parleur long développe¬ ment, ne sauraient devenir populaires. Un quatuor, une symphonie, Dans la forêt le cor sonne c'est affaire de demi-heure. Deux heures de succession de tableaux est un des réveillons de l'automne. Méhul a été champêtres d'une nature discrète et sans oppositions marquées man¬ plus loin qu'Haydn dans la quent de piment pour le public de 1866. peinture de la chasse. Mais j'ai hâte d'arriver à la saison où sont « par commence. » On voit de jolies choristes à 1a. salle BischofTsheim... — Ce. n'est dépeints les épais brouillards lesquels Vhiver Il pas là affaire de critique musical. — Plus qu'on ne le croit, une y a dans cette partie une chanson ravissante : belle physionomie gagne à être regardée pendant la musique ; une Marie est fille, sage. mélodie augmente de charme quand les yeux sont occupés par quel¬ Le duc lui fait la cour. que charmante figure. Le chœur de l'introduction : Viens, doux prin¬ Les chansons temps, perdrait certainement à être chanté par les monstres de populaires ne sont pas plus naïves et la symphonie l'Opéra-Comique. s'achève par le chœur : Au début du drame paraît le laboureur : Dieu garde à ses élus un bonheur sans nuage, Un printemps éternel. Le laboureur s'empresse, 11 mène aux champs ses bœufs; Prière du vieil Haydn qui n'a pas voulu terminer son œuvre sans Dans les sillons « qu'il laisse » Il siffle un air joyeux. la signer religieusement. C'est une chanson de basse fort de bonne humeur ; et il y a quelque Il méchanceté de ma part d'avoir souligné la fin du troisième vers, car le La musique de Haydn ne peut être entièrement goùiée que par poèmp, traduit par Roger, est tout à fait dans l'esprit du temps La ceux qui connaissent la vie de l'homme. Aux esprits qui aiment les simplicité de Jeanne y est montrée « sans fard et sans apprêt : » douces émotions je conseille de lire la correspondance de Carpani Après le dur labeur d'une journée entière, dans laquelle Stendhal a puisé si largement. Il y a mieux encore, Aux mains de Dieu remettant son espoir, c'est le récit publié par un directeur de théâtre, Schmitt, qui, en 1807, Le laboureur au ciel adresse sa prière. alla rendre visite, en compagnie du comédien Ill'land, au com¬ positeur que le grand âge retenais dans sa petite maison du faubourg Voilà qui dépeint admirablement le vieil Haydn, car personnages Gumpendorf, à Yienne. et chœurs semblent l'incarnation du compositeur. Haydn, à cette époque, doucement tombait en enfance. Le printemps se termine par un ensemble joyeux de jeunes gens et A notre question si Haydn était visible, dit Iffland, la bonne ré¬ de jeunes filles. pondit que « monsieur » revenait du jardin, qu'aussitôt qu'il serait Accourez 1 car la prairie remonté au salon, elle lui demanderait s'il pouvait nous recevoir, Vient de se parer. Comme sur l'herbe fleurie qu'il marchait très lentement et qu'elle nous priait de prendre pa¬ Il est doux d'errer ! tience. 11- 8 décembre 1866. 675 En même lemps les visiteurs furent introduits dans un cabinet où qu'un instant; un certain accablement céda à ce court enthousiasme. se remarquaient aux murs des manuscrits de Haydn lui-même, sous Haydn regarda son domestique qui lui tendit sa canne, et un instant silence se fit vnrre, et la notation encadrée dans des guirlandes de fleurs. La de parmi les visiteurs. « L'oratorio de la Création d'être bonne » étant revenue, pria Schmitt et Iffland de passer dans le venait repris à Berlin avec un grand salon où Haydn les attendait. succès. Donnée au profit d'une œuvra de bienfaisance, la Création avait Assis sur un fauteuil, la figure tournée vers la cro'sée du jardin, produit presque huit mille francs, disait Iffland. la chapeau à la main, Haydn tenait de l'autre main sa canne et un Haydn releva la tête et radieux : gro-; bouquet. — Plus de deux mille thalers pour les pauvres ! As-tu entendu ? dit A 1 aide du domestique, Haydn se leva pour rendre hommage à ses le vieil'ard en se retournant vers le domestique. Ma Création a pro¬ vi.-iteurs, lit quelques pas en traînant la jambe nbn sans peine. Sa duit plus de deux mille thalers à Berlin, et pour les pauvres! les larmes du respiration était, oppressée, et de la main il faisait une sorte de'visière Alors compositeur coulèrent doucement. — à sa vue alYaiblie. Pendant les premières politesses entre gens qni Pour les pauvres ! s'écria t-il. Mon travail a procuré une bonne ne se connaissent que dd réputation, le maître regardait son bouquet journée aux pauvres ! Cela est magnifique, cela est consolant ! La et le respirait avec délices. part faite à l'émotion, Haydn dit encore : — Aujourd'hui je ne — J'ai fait aujourd'hui mes dévotions à la nature, dit-il, c'est plus fais plus rien, je ne peux plus ! Mais l'exécution a bien marché.
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