Qu’est-ce qui vous a décidé, après sept ans d’absence et les problèmes de santé importants que l’on connaît, à revenir au cinéma ? Jean-Paul Belmondo : Quand j’ai eu cet accident vasculaire cérébral il y a six ans, en Corse, j’étais en pleine forme. Je suis resté huit mois sans parler, cinq mois allongé, moi qui étais si actif. Et puis, au 1 cours de ma convalescence, j’ai pu me rendre compte que des jeunes gens de 20 ans étaient dans un état bien pire que le mien, paralysés des pieds jusqu’à la tête, et je me suis dit que finalement j’avais de la chance. Quand j’ai quitté l’hôpital, je me suis juré de me battre pour leur montrer qu’on peut encore faire quelque chose, je ne savais pas quoi mais j’en avais la volonté. Finalement ce sera ce film : “ Un Homme et son chien (2007) ”. Je le fais pour eux. 2 Avant le projet qui vous a été présenté par Francis Huster et Jean-Louis Livi, aviez-vous déjà été contacté par des producteurs pour effectuer ce retour que plus personne n’attendait ? Bien sûr, j’aurais pu retourner avant et plusieurs fois. Depuis que je vais un peu mieux, on m’a soumis de nombreux scénarios. Dans la plupart, voire dans la totalité d’entre eux, il m’arrivait un nombre incalculable d’accidents et je prenais au minimum une balle dans le bras toutes les dix minutes. Vous voyez le 3 genre ! Je ne veux plus de ce type de films d’action. J’ai tout refusé. Je ne souhaitais pas retravailler pour retravailler. Comment cela s’est-il passé pour “ Un Homme et son chien (2007) ” ? Jean-Louis Livi, que je connais depuis le temps où il dirigeait l’agence Artmédia, a appelé à la maison. J’ai rencontré Jean- Louis, j’ai vu le film original de Vittorio de Sica qui m’avait dirigé il y a presque cinquante ans dans “ La Ciociara - Paysanne aux pieds nus (La Ciociara) (1960) ”, j’ai lu 4 le nouveau script écrit par Francis Huster. Ce personnage, c’est moi. Ils avaient raison d’insister. J’ai dit : “Je le fais mais à une condition : vous me filmez comme je suis !” Qu’est-ce qui vous a réellement séduit dans le parcours de ce personnage ? Je ne décide pas de revenir sur un plateau de cinéma pour la gloire, mais parce que je me retrouve dans cette histoire, empreinte de dignité et d’honneur d’un homme qui a beaucoup vécu, qui paraît en fin de vie, qui s’accroche à la relation 5 affectueuse qui le lie a son chien parce qu’il ne lui reste plus que lui. Et puis qui retrouve, peut-être, une certaine forme d’espoir dans l’existence. Je vais me lancer de toutes mes forces dans cette aventure très particulière qui me tient spécialement à coeur. Je ne pense pas qu’il y en ait une autre après. Mais qui sait ? Est-ce qu’à un moment vous avez eu le trac ? Je n’ai jamais eu le trac au cinéma. J’y suis même allé parfois un peu fort dans la 6 décontraction, on me l’a reproché. Le personnage de Charles, que vous incarnez, vous a-t-il rappelé certains de vos autres rôles ? Absolument pas. Ce film ne ressemble à rien de tout ce que j’ai pu tourner. Francis dit que j’aborde un nouveau registre [il sourit], ce sera à vous d’en juger. Quel souvenir fort, quel moment d’émotion garderez-vous de ce tournage ? J’ai eu l’impression que je ne m’étais 7 jamais arrêté de jouer. C’est une drôle de sensation, mais je vous jure que je l’ai ressentie, contre toute attente. Ce qui est extraordinaire, aujourd’hui, c’est la façon dont vous transcendez votre handicap. Mon handicap ? C’est quelque chose que j’ai complètement intégré, oublié. Je vis juste une nouvelle existence, différente... Vous avez quelques représentants de la jeune génération comme partenaires, José 8 Garcia, Jean Dujardin. On les compare beaucoup à vous dans un autre style... José et Jean sont de formidables acteurs, ils ont leur style et c’est très bien comme ça. Il est inutile de comparer ou de les juger en se référant au passé. Rien ne m’énerve plus que les vieux de mon âge qui disent du mal des jeunes. Le jeudi 20 mars, c’était votre dernier jour de tournage. Etiez-vous triste ? La première chose à laquelle j’ai pensé le matin en me réveillant, c’est que je n’allais 9 plus voir ces camarades qui avaient tous été mes amis pendant dix semaines. Eh oui, ça m’a rendu triste. Ce sentiment ne m’a pas quitté de la journée, mais je n’avais pas le droit de le montrer. Pour l’équipe, pour les spectateurs, je devais paraître le plus heureux des hommes. Je devais sourire comme je l’ai toujours fait, quoi qu’il m’arrive. C’est mon rôle. C’est moi. 10 Belmondo époque Verneuil : Pour les uns, c'est un grand du septième art populaire qui s'est éteint. Pour les autres, un faiseur qui avait trop ou trop souvent regardé vers Hollywood. Une critique qui le blessait profondément. `Peut-être que quand j'aurai un pied dans 11 la tombe, on estimera que j'ai un énorme talent ´, plaisantait-il déjà dans les années 50. Le public, lui, n'avait pas attendu ce moment pour le consacrer roi de ce que l'on n'appelait pas encore, à l'époque, le box-office. Car plus que tout autre, le réalisateur d'origine arménienne savait s'entourer des plus grands et faire financer des projets colossaux. C'est pourtant petitement et par une porte dérobée qu'il arrive au cinéma. Débarqué à Marseille à l'âge de quatre ans, à bord d'un cargo rempli d'oranges, 12 Achod Malakian avait vu le jour à Rodosto, en Turquie, le 15 octobre 1920. Sa famille, fuyant le génocide arménien perpétré par les Turcs, s'installe sur la Canebière. Achod s'inscrit aux Arts et Métiers et embrasse, plus tard, la carrière de journaliste. Mais le cinéma l'attire. Et, comme il aimait à le répéter, c'est grâce à un autre Arménien, Rouben Mamoulian, dont il avait admiré le film La reine Christine, au cinéma Rialto, qu'il décide d'en faire son métier. A l'occasion du tournage d'un documentaire sur sa ville, 13 Escale au soleil, il rencontre Fernandel qui accepte d'en lire le commentaire. Ce sera le début d'une longue amitié entre les deux hommes qui travailleront ensemble sur La table aux crevés, Le boulanger de Valorgues, Le mouton à cinq pattes - qui lui vaudra l'Oscar du meilleur film étranger - et, bien entendu, La vache et le prisonnier. Ce sera ensuite au tour de Gabin de faire un bout de chemin avec Verneuil, de Mélodie en sous-sol au Clan des Siciliens en passant par Un singe en hiver. Belmondo (100.000 dollars au soleil, Week-end à 14 Zuydcoote, Peur sur la ville), Delon (Le clan des Siciliens) seront aussi ses intimes. `Tous ses films sont nés d'une amitié ou en ont fait naître une´, écrivait d'ailleurs, dans un hommage, François Chalais. Puis vint sa période hollywoodienne, pendant laquelle on le qualifia de plus américain des cinéastes français...A la fin des années 70, son étoile pâlit. I comme Icare ou Mille milliards de dollars déçoivent. Il s'attelle alors à la rédaction d'un livre, Mayrig (maman, en arménien), qu'il portera à l'écran, en deux parties (Mayrig, 588, rue 15 Paradis), et dans lequel il raconte, enfin, sa vie de jeune émigré. En 1996, on décerne à Verneuil un César d'honneur. Mais ses plus belles récompenses sont les deux jeunes enfants que lui donne sa seconde épouse, Véronique. Aujourd'hui, Sophie, Patrick (né d'un premier mariage), Sevan et Kayané ont perdu bien plus qu'un monument du cinéma... 16 En juin 1944, Albert Quentin, ancien fusilier-marin en Chine, tient, avec sa femme Suzanne, rencontrée à La Bourboule, l'hôtel Stella dans le village de Tigreville, sur la côte normande aux environs de Deauville. 17 Il se laisse souvent aller à trop boire, ce qui le porte à la nostalgie de son service militaire en Chine. Lors d'un bombardement en juin 1944, il promet à Suzanne de ne plus boire si l'hôtel échappe à la destruction ; promesse tenue. Quinze ans plus tard, débarque Gabriel Fouquet, publicitaire. Il boit pour effacer l'échec de sa vie sentimentale avec Claire qui vit à Madrid, « voyager » en Espagne et rêver de tauromachie. Il vient voir sa fille Marie pensionnaire à Tigreville, dont 18 Mme Victoria, la directrice pourtant française ne parle qu'en anglais. Les deux hommes, qui n'ont pas « le vin petit ni la cuite mesquine », vont connaître deux jours d'évasion grâce à l'ivresse, l'un en Espagne et l'autre en Chine. Ce sera l'occasion d'un duo a cappella sur la fameuse chanson Nuits de Chine. L'apothéose de cette soûlographie est atteinte avec un feu d'artifice « dantesque » sur la plage. Puis chacun retournera à sa vie d'avant. 19 Anecdotes : Le roman d'Antoine Blondin Un singe en hiver avait reçu le prix Interallié en 1959. C’est la seule fois où Jean Gabin et Jean- Paul Belmondo se rencontrèrent à l’écran, la star du cinéma français et l'acteur vedette de la Nouvelle Vague.
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