CL 2005 1 46.Pdf

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Il sera très peu question dans cet article de stratégie militaire. Les événements militaires qui se sont dérou­ lés dans le sud de la Moselle à la fin du mois d'août 1914 ont fait l'objet de nombreux récits et témoignages depuis 1919 et des ouvrages récemment parus (1) font le point ; les lecteurs curieux pourront s'y référer pour le détail des faits. Depuis une vingtaine d'années, l'histoire de la première guerre mon­ diale a connu de considérables avancées: sortant d'une histoire stricte­ ment militaire pour entrer dans une histoire « culturelle » de la Grande Guerre (la « Très Grande Guerre » de Jean-Jacques Becker et de ses émules, autour notamment de l'HistoriaI de Péronne). Les souffrances des populations civiles - et aussi celles des soldats en tant qu'êtres hu­ mains et non pas simples combattants, machines à tuer pour défendre leur patrie - sont ainsi passées au premier plan. Par ailleurs, le sort des civils touchés par les combats a partout, et très tôt, suscité l'intérêt des historiens locaux. La Moselle ne fait pas excep­ tion. Qui plus est, territoire allemand (Bezirk Lothringen depuis l'An­ nexion de 1871) jusqu'au 11 novembre 1918, avec des populations mê­ lées, allemande, francophile ... ou attentiste, elle a été un enjeu pour les propagandes des deux camps, durant et après la guerre. Et si, à premiè­ re vue, le département semble avoir moins souffert du premier conflit (1) Voir ELMERICH (Joseph), LA BATAILLE mondial que la Meuse voisine, l'Aisne ou la Somme, il ne faut pas DE SARREBOURG, Sarrebourg : SHAL, 1993 oublier que les plus sanglants et violents combats du début de la guerre et le tout récent DIDIER (Jacques), se sont déroulés autant en Belgique et dans le nord de la France qu'en tCHEC À MORHANGE, Ysec éditions : Lorraine, et pour une bonne part sur le sol mosellan. La bataille dite de coll. « Un Jour », 2003. Lorraine ou de Morhange-Sarrebourg, lourde défaite de l'armée fran­ çaise, a en effet ravagéplusieurs villages du sud du département entre le 18 et le 21 août 1914. Par la suite, la ligne de front qui a perduré quatre ans de la vallée de la Seille à la ligne bleue des Vo sges y a laissé son em­ preinte dans le paysage: cimetières militaires et bois mitraillés en font foi. 47 ( LES FAITS LES MOSELLANS, ENTRE FRANCE ET ALLEMAGNE L'histoire de la Moselle annexée est bien connue depuis les travaux de François Roth, qui a consacré un chapitre complet et très fourni à la situation des esprits à la veille de la déclaration de guerre. Tous les rési­ dants de Moselle de 1914 n'étaient d'ailleurs pas « Mosellans » d'origine. Tous n'avaient pas été Français avant 1870. Les jeunes gens prêts à revêtir l'uniforme allemand pour partir au front, de leur gré ou non, étaient nés vingt ans après l'Annexion, avaient fait leurs classes en allemand, et avaient, pour certains, en­ tamé des études supérieures en Allemagne. Dans les villes et dans les garnisons, le brassage de population était et avait été important, des mariages mixtes avaient été célébrés entre Lorrains et « vieux Allemands ». Dans certaines localités industrielles, l'apport de populations immigrées d'origines diverses n'est pas négli­ geable non plus (Italiens notamment dans la sidérurgie). Les situations sont contrastées, de part et d'autre de la frontière linguistique d'une part, et à l'échelle de chaque canton d'autre. Le parti français a été décapité et réduit au silence dès la déclaration de guerre (déportés d'Ehrenbreitstein, affaire du chanoine Collin, dyna- mitage de la maison d'un officier français à Saint-Julien ...) (2) . Mais, en dépit de ces avertissements, certains secteurs comme le canton de Delme sont restés très francophiles : le curé de Tincry, dans sa chroni- que de guerre, fait état des liens économiques et familiaux très forts unissant, avant guerre, ses paroissiens avec les Français voisins et du grand nombre de jeunes Delmois qui seraient passés dans les rangs français (engagés dans la Légion étrangère). Dès le 2 août d'ailleurs l'ar- chiprêtre de Delme, le maire et conseiller général du canton, les maires de Fossieux, Aulnois ... avaient été arrêtés. À Dieuze au contraire, le curé, P. L'Huillier, note le désappointement des troupes françaises (et néanmoins leur attitude très correcte) devant l'accueil peu enthousiaste qui leur est réservé à leur entrée dans la ville désertée par ses défenseurs allemands (3). font," ,or dem Bentfahgcbiiudc. - foncer! deuu! la maison du Beneral. Concert devant la maison du général à Dieuze, carte postale éditée par Otto Cartharius vers 1910 (A rch. dép. Moselle, 8 Fi 177/26) IL Y A QUATRE-VINGT-DIX ANS LA BATAILLE DE LORRAINE . NO 1 - MARS 200S La casernedu 21' régiment de Uhlans à Sarrebourg, corte postale éditée par G. Morin vers 1902 (A rch. dép. Moselle, 8 Fi 630/93) (2) ROTH (François), LA LORRA/NE ANNEXtE (1870· 1918), thèse de doctorat soutenue devant Si quelques groupements activistes (Souvenir français, Lorraine sporti­ l'Université de Nancy Il, 1976 : chapitre XIV ve ...) souhaitaient encore ardemment le retour à la France, on peut « Quatre ans de dictature militaire (1914·1918). supposer que la population dans son ensemble s'était fort bien accom­ (3) Arch. dép. Moselle, 29 J 2010. modée de son sort et ne rêvait en tout cas pas d'une guerre pour résou­ (4) BOSWELL (Laird), « From Liberation to Purge dre ses problèmes. D'ailleurs, la France dont rêvait le parti français Trials in the "Mythic Provinces": Recasting n'était pas forcément celle de 1914, laïque et républicaine ; celle de Na­ French Identities in Alsace and Lorraine, 1918- poléon III avait disparu depuis bien longtemps. Quant à l'Alsacien­ 1920 ", FR ENCH H/STOR/CAL STua/Es, nO 23.1, Lorrain imaginaire, celui des hommes politiques français et des asso­ 2000, p. 129-162. ciations d'Alsaciens (optants) actives à Paris ou Nancy - « Pensez-y toujours, n'en parlez jamais» ! -, il n'avait sans doute rien de commun avec l'habitant réel du Bezirk Lothringen. Dans l'imaginaire populaire, la version française officielle a fini par l'emporter: tout Mosellan né après guerre jurerait aujourd'hui le fidèle attachement de ses pères à la France ; car à force de l'entendre enseigner par les autorités françaises - et surtout grâce à la très mauvaise expérience d'une deuxième an­ nexion, nazie cette fois, en 1940 -, les Alsaciens-Mosellans ont fini par s'en convaincre ... La réalité était tout autre comme le prouve la com­ plexité de la situation lors du retour de la Moselle à la France en 1919, avec par exemple la délicate mise en place des cartes A, B ou C, un sys­ tème de classification par nationalité, et surtout la lutte pour le main­ tien du « droit local», encore d'actualité (4). LES COMBATS Dès la déclaration de guerre, les états-majors français et allemand déclenchent leur plan d'attaque. Le plan Schlieffen est une large manœuvre d'encerclement fondée sur l'invasion de la Belgique avec contourne­ ment de Paris par le sud pour prendre l'armée française dans une nasse. Les Allemands sont en effetpressés de vaincre en quelques semaines à l'ouest pour pouvoir contenir la poussée russe à l'est. Face à eux, les Français appliquent le plan XVIIdu général Joffre, chef de l'état-major depuis 1911, pétri de culture napo­ léonienne et désireux de réitérer la manœuvre d'Austerlitz. Négligeant le risque d'encerclement de son aile gauche, il attaque au centre, entre les Vo sges et les Ardennes, faisant confiance à ses ailes pour contenir l'ad­ versaire. L'armée française croit en la prédominance de la manœuvre sur le feu. Elle mène une guerre d'in­ fanterie appuyée par le fameux canon de 75 (artillerie de campagne). Les Allemands font confiance,certes, à l'offensive et au mouvement mais ils privilégient le feu de leur artillerie lourde sur la manœuvre. De sur­ croît, ils jettent immédiatement leurs réserves dans la bataille, si bien que, malgré l'ampleur du mouvement tournant opéré à travers la Belgique, ils disposent encore de forces suffisantes pour faire face à l'attaque française en Lorraine. O _ N 1 - MARS 2005 IL Y A QUATRE-VINGT·DIX ANS LA BATAILLE DE LORRAINE 49 ( Gruss aus Miirchingen, vue de la caserne du 17'régim ent d'infanterie. Un bouquet de bleuets retenu par un ruban aux couleurs du Reichsland orne cette carte postale chromo-lithographiée éditée par Otto Steinbicker, début XX' (A rch. dép. Moselle, 8 Fi 483/23) Le 4 août 1914, la deuxième armée française, commandée par le géné­ ral de Castelnau (1851-1944), avance, face à la sixième armée alleman­ de, celle du prince héritier de Bavière, le Kronprinz Rupprecht von Bayern (1869-1955). Mulhouse est occupée du 7 au 9 août, reprise quelques jours plus tard et définitivement abandonnée le 24 août, alors que les Alsaciens de Paris fêtent dans l'allégresse la fin de quarante ans d'occupation allemande de leur mère-patrie. En fait la retraite alleman­ de en Alsace était toute tactique, tout comme l'est le retrait des troupes sur la rive droite de la Sarre à Sarrebourg, ou leur évacuation de Dieuze au profit des hauteurs environnantes, transformant ainsi la ville éva­ cuée en nids à projectiles pour les canons bavarois (18 août). Lorsque les premiers combats se déclenchent, c'est avec violence, oppo­ sant aux soldats allemands en uniforme vert-de-gris (le Feldgrau) des chasseurs alpins vêtus de bleu et les régiments de Provence dans leurs fa meux pantalons rouges.

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