NEUF-BRISACH Alphonse Halter Le chef-d'œuvre inachevé de Vauban NEUF-BRISACH Une collection dirigée par Bernard Vogler LA NUÉE BLEUE © Editions La Nuée Bleue / DNA, Strasbourg, 1992 Tous droits de reproduction réservés ISBN 2-7165-0162-9 AVANT-PROPOS PAR BERNARD VOGLER L'histoire de Neuf-Brisach constitue le premier volume d'une collection « His- toire des villes d'Alsace », qui prévoit des publications concernant toutes les villes de cette région qui ont un passé riche. La ville de Neuf-Brisach représente dans l'histoire de l'Alsace un cas unique. Dernière-née des villes d'Alsace, par une volonté extérieure à la région et pour des motifs purement stratégiques et militaires, elle constitue d'abord une ville dirigée contre Breisach, située sur un site privilégié. Celle-ci, adossée au Munsterberg, un petit plateau aux pentes escarpées, et face au Rhin, se trouve au débouché de la vallée de Munster et du Hôllental, à mi-chemin des centres de Strasbourg et de Bâle. Elle est installée au milieu d'un paysage amphibie de prés et de marécages marqués par un fleuve en mouvement. Le site a attiré très tôt des hommes : déjà les Celtes y ont laissé des vestiges, puis les Romains, d'abord à l'ouest du fleuve près de Biesheim, avant d'édifier un site fortifié vers 369, sur le Munsterberg, sur une route romaine. Cet établissement est à l'origine de la ville. En 939, le « castell Brisicau », devenu une île, est bien protégé par des bras du Rhin et situé « in Alsaciae partibus », car le plateau est considéré comme une part de l'Alsace. Au Xe siècle l'agglomération obtient le privilège d'un marché et d'un atelier de frappe monétaire. Du XIe au XIIIe siècle, la ville change plusieurs fois de seigneur, avant de devenir en 1273 ville d'Empire avec son propre droit urbain. En 1279, elle construit un pont sur le Rhin, le second pont en dur construit sur le Rhin. C'est l'entrée dans les possessions habsbourgeoises en 1330 qui stimule l'essor de la ville et la transforme en une forteresse majeure, disposant du seul pont situé entre Bâle et Strasbourg. Selon une description du xive siècle, Breisach est une ville importante possédant un château et un donjon solides et la meilleure forteresse sur le Rhin. Elle devient alors une capitale politique en accueillant à diverses reprises la diète des Vorlande autrichiens ( Sundgau et Brisgau) et artistique : présence de Martin Schon- gauer à la fin de sa vie, achèvement du chœur de l'église paroissiale, qualifiée de Münster, bien que n'étant pas le siège d'un évêque, et retable du Maître H.L., une des grandes œuvres de la sculpture allemande. L'économie devient prospère : commerce, artisanat et agriculture, ce qui permet à la ville de dépasser trois mille habitants et de disposer de finances municipales aisées, favorisées aussi par d'importantes frappes monétaires : de 1403 à 1584 la ville fait partie du Rappenmünzbund, formé des cinq villes principales du Rhin supérieur, Bâle, Breisach, Colmar, Fribourg et Thann. Avec l'extension des États territoriaux et la crainte d'une attaque française - idée largement répandue après le passage en Alsace du roi de France Henri II en 1552 - la fonction militaire est continuellement renforcée, comme l'atteste la présence à Breisach pendant plusieurs années de Lazare de Schwendi, un des meilleurs capitaines de son temps. Son importance dans la politique européenne est attestée par sa présence dans les jeux d'échecs des écoles et des princes vers 1618. C'est pendant la guerre de Trente ans que la ville entre vraiment dans l'histoire européenne. En 1638, elle subit un siège de huit mois, d'avril à décembre, par Bernard de Saxe-Weimar qui fait creuser une tranchée circulaire face à une garnison héroïque décimée par le typhus et une famine extrême qui provoque des actes de cannibalisme. La chute est considérée par les contemporains comme un des faits les plus marquants de l'histoire militaire du temps et a suscité toute une littérature. La résistance acharnée a incité après 1945 certains historiens à la comparer à la bataille de Stalingrad. De 1639 à 1700, la ville passe sous la souveraineté .l'rançaise. Elle constitue aux yeux de Richelieu une des trois clés de la France. A deux reprises, elle reçoit la visite de Louis XIV. Elle devient en 1674 le siège du Conseil Souverain d'Alsace et un des pivots essentiels de la défense des frontières, en étant pendant des décennies un « véritable chantier de construction », employant plus de dix mille personnes. Elle constitue à la fois une barrière contre l'Autriche et une porte d'entrée face à celle-ci. Le passage à la France en 1648 entraîne une modification profonde du rôle du Rhin. Depuis le Haut Moyen Age c'était un fleuve intérieur dans l'espace politique carolingien, puis dans celui du Saint-Empire, un axe de transit et de commerce nord-sud sur lequel les passages est-ouest sont banals comme pour n'importe quel fleuve. D'ailleurs les territoires et les diocèses sont les mêmes sur les deux rives du fleuve qui ne constitue même pas une limite territoriale ou politique. Or, en 1697, le Rhin devient une frontière politique et militaire entre la France et l'Empire. L'Alsace cesse d'être couverte entre Strasbourg et Huningue, avec la perte de Breisach, perçue désormais comme une menace potentielle sérieuse, une porte d'entrée en Alsace. Aussi Louis XIV, conscient du problème, charge-t-il Vauban de trouver sur place une solution susceptible de neutraliser cette menace. Neuf-Brisach est née. La création ex nihilo d'une ville neuve, forteresse considérée comme imprenable, entraîne de profondes mutations. En Alsace, elle éprouve du mal à s'insérer dans le réseau urbain, d'où le rapide blocage de son développement. Si au XVIIIe la forteresse, considérée comme une des plus puissantes de France par les stratèges européens, demeure dissuasive face à tout attaquant éventuel, la ville se limite à une modeste bourgade qui ne dépassera jamais par la suite la dimension et les fonctions d'un chef- lieu de canton. Elle est calibrée pour une fonction militaire précise, mais dont l'ampleur est restée nettement en dessous du plan primitif de Vauban, qui souhaitait quatre mille civils et autant de militaires. Sa situation la condamne à être une ville « bloquée », sans ban communal hors les murs, entièrement tournée vers sa fonction militaire : institutions urbaines spécifiques, population « transplantée », activités liées à la garnison. Le comportement de la ville et de ses habitants se distingue nettement de son environne- ment. C'est une ville expérimentale, française dans un environnement germanophone, catholique près des protestants et militaire au milieu de populations rurales. Si elle est associée à la Grande Histoire, elle y joue un rôle limité, voire décevant. Au début de la Révolution, la présence militaire est la cause d'une importante effervescence politique, de nombreuses arrestations et d'inquiétude. Le personnel municipal local a manqué d'esprit critique et s'est laissé berner par un escroc. Dans cette ville frontière, les opérations militaires consistent surtout en un bombardement de Breisach totalement anéanti. Au xixe siècle, après les deux blocus de 1814 et de 1815, Neuf-Brisach souffre de la faiblesse des effectifs de la garnison, et d'une vie économique atone jusqu'en 1870, année où le siège se traduit par un bombardement terrible qui anéantit en quelques jours la majeure partie des immeubles. Sous l'empire allemand, la ville a connu de profondes transformations architecturales, un renouveau économique qui s'est poursuivi par la création de plusieurs entreprises industrielles après 1918 et un essor démographique qui a nécessité d'importantes constructions. Au xxe siècle, l'absence de ban communal se révèle un grave handicap pour l'essor économique, d'autant que la ville a subi un martyre en 1945. Sa rivale a connu un sort en partie analogue. En 1700, Breisach retourne aux Habsbourg qui la considèrent désormais comme une ville très exposée, située jusqu'en 1870 sous le feu de l'artillerie du fort Mortier, une menace constamment ressentie par la population. Avec l'expansion vers les pays danubiens et le transfert du centre de gravité de la monarchie des Habsbourg vers l'est, Breisach perd progressivement son intérêt pour les Habsbourg, ce qui entraîne son recul progressif dans la hiérarchie urbaine du Brisgau. En 1703 sa capitulation rapide après un siège de quinze jours étonne Vauban et suscite la consternation des généraux autrichiens. Après le second retour aux Habs- bourg en 1715, ceux-ci reprennent les travaux de fortification. Mais en 1741 Marie-Thérèse ordonne de raser la forteresse : c'est la fin de la fonction militaire, afin qu'elle ne puisse plus servir de base militaire aux Français. Désormais Breisach n'est plus qu'une bourgade sans intérêt, occupée en 1744 par les Français, ce qui lui vaut une visite officielle de Louis XV. Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, Breisach est une ville ouverte de quatre mille habitants qui végète et connaît de graves difficultés financières, liées à la stagnation économique, conséquence du conservatisme de la population et du manque de capitaux. Des relations commerciales, mais dont le volume, ne peut être apprécié, existent entre les deux villes, en particulier un important commerce de vins d'Alsace. Alors qu'avant 1638 la ville était un refuge, désormais elle apparaît comme un des lieux les moins sûrs et les plus dangereux. Lors de la Révolution, la ville a connu des souffrances terribles. En 1793 elle a presqu'entièrement été anéantie par un bombarde- ment de quatre jours par l'artillerie de Neuf-Brisach, suivi d'un gigantesque incendie.
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