INRA, Prod. Anim., 2005, 18 (1), 49-62 Facteurs de production et qualité sensorielle des fromages1 J.B. COULON1, A. DELACROIX-BUCHET2, B. MARTIN1, A. PIRISI3 1 INRA, Unité de Recherches sur les Herbivores, F-63122 Theix 2 INRA, Unité de Recherches Laitières et Génétique Appliquée, F-78352 Jouy-en-Josas 3 Istituto Zootecnico e Caseario per la Sardegna, I-07040 Olmedo Courriel : [email protected] Les caractéristiques sensorielles des fromages sont une préoccupation importante des filières. Leur liaison avec les facteurs de production du lait sont à l’origine de nombreux débats, en particulier dans le cadre de l’élaboration de cahiers des charges spécifiques. Ces caractéris- tiques sensorielles dépendent-elles de la race des animaux, de leur état sanitaire ou de leur alimentation ? Ce texte fait la synthèse des travaux réalisés sur le sujet depuis une dizaine d’années et propose quelques éléments d’explication des effets mis en évidence. La qualité sensorielle des fromages mises par le développement des métho- les vaches de race Normande, dépend d’un grand nombre de facteurs, des d’analyses des caractéristiques sen- Montbéliarde ou Brune produisent un liés à la fois à la technologie de fabrica- sorielles des fromages et par la maîtrise lait plus riche en protéines et de meilleu- tion et aux caractéristiques chimiques ou le contrôle des paramètres technolo- re aptitude fromagère que celui de et microbiologiques de la matière pre- giques de fabrication fromagère. Elles vaches Holstein conduites dans les mière mise en œuvre. Ces dernières concernent à la fois des travaux réalisés mêmes conditions (Froc et al 1988, dépendent elles-mêmes de nombreux en conditions expérimentales sur les Macheboeuf et al 1993, Malossini et al facteurs d’amont (d’origine génétique, laits de mélange de quelques animaux 1996, Auldist et al 2002, Mistry et al physiologique, alimentaire...). Ces fac- et des approches plus globales, réali- 2002) : le gel obtenu après adjonction de teurs d’amont sont de plus en plus au sées chez des producteurs fermiers ou présure est plus ferme et les rendements centre des préoccupations des consom- des transformateurs industriels. Dans fromagers plus élevés. L’essentiel de cet mateurs qui s’interrogent en particulier tous les cas, les facteurs de variation effet est lié d’une part aux différences de sur l’alimentation offerte aux animaux. liés aux caractéristiques et à la condui- teneurs en caséines des laits d’une race à Ils revêtent une importance toute parti- te des animaux étaient contrôlés et la l’autre et d’autre part aux variations du culière dans le cas des produits mar- technologie fromagère était semblable polymorphisme génétique des lactopro- qués (Appellation d’Origine Contrôlée, entre les traitements : dans la majorité téines et en particulier à la fréquence du Indication Géographique Protégée, des cas, les fromages étaient fabriqués variant B de la caséine κ. En effet, il est labels…) pour lesquels les modifica- dans des unités expérimentales et affi- maintenant bien établi que les variants de tions de la matière première au moment nés dans un même lieu permettant une cette caséine, dont la fréquence diffère de la transformation sont limitées voire maîtrise et un contrôle optimal des dif- fortement d’une race à l’autre, influen- interdites et qui revendiquent un lien férents paramètres de fabrication. cent l’aptitude à la coagulation des laits fort avec les conditions de production (Grosclaude 1988, Macheboeuf et al du lait, dont certaines sont à la base de Après avoir présenté l’effet des facteurs 1993). En fait, lorsque l’on tient compte la notion de terroir (Grappin et Coulon génétiques, physiologiques et alimentai- de la teneur en caséines et des variants 1996). Les relations entre ces condi- res sur les caractéristiques sensorielles génétiques des lactoprotéines, les diffé- tions de production (alimentation et des fromages, nous donnerons quelques rences entre races disparaissent pratique- type d’animal en particulier) et les hypothèses d’explication de ces effets. ment totalement (Macheboeuf et al caractéristiques des fromages sont sou- 1993, Auldist et al 2002). Par contre vent mises en avant par les fromagers, beaucoup moins de travaux ont été entre- sur la base d’observations empiriques. 1 / Effet des caractéris- pris pour étudier les effets de ces facteurs Jusqu’à récemment, il n’existait cepen- tiques génétiques génétiques sur les caractéristiques senso- dant que peu de travaux expérimentaux rielles des fromages. sur le sujet, en raison, entre autres, de la difficulté de séparer correctement les De nombreuses études ont été réalisées 1.1 / Effet de la race des diffé- effets propres de ces facteurs d’amont pour évaluer l’effet des caractéristiques rentes espèces laitières : vache, de ceux qui sont liés à la transformation génétiques des animaux (race, polymor- fromagère proprement dite. Depuis phisme des lactoprotéines) sur l’aptitude chèvre, brebis quelques années, plusieurs études spé- à la transformation fromagère du lait Les quelques travaux entrepris sur cifiques ont été mises en œuvre pour (aptitude à la coagulation, rendements l’effet de la race sur les caractéristiques préciser ces liaisons. Elles ont été per- fromagers) (tableau 1). On sait ainsi que sensorielles des fromages résultent 1 Ce texte est la version française remaniée et mise à jour de la synthèse parue dans la revue Lait en 2002 (Coulon et al 2002). INRA Productions Animales, Février 2005 50 / J.B. COULON, A. DELACROIX-BUCHET, B. MARTIN, A. PIRISI Tableau 1. Effet de la race sur l'aptitude à la coagulation du lait. généralement d’interrogations des filiè- fromages fabriqués avec le lait de Normande. Les Pont-l’Evêque issus du res de fromages d’AOC concernant vache Holstein étaient plus fermes, lait de vaches Holstein ont été plus l’opportunité de restreindre, dans leur moins fondants, plus granuleux que les fondants, moins élastiques et plus col- cahier des charges, la production de lait fromages fabriqués avec le lait des lants en bouche et ont présenté une à certaines races et en particulier à cel- vaches de races Tarentaise ou odeur de levure plus marquée. Les fro- les traditionnellement exploitées dans Monbéliarde. Ils ont aussi présenté un mages issus de lait de vaches la zone de production. Les premiers tra- goût moins prononcé. Dans les 3 essais, Normandes ont été plus denses. Ils ont vaux entrepris en Auvergne n’avaient les fromages issus du lait de vaches développé plus d’intensité et de com- pas permis de mettre en évidence de Holstein ont été plus jaunes que les au- plexité aromatiques au niveau de l’o- très grandes différences sensorielles tres. Dans le deuxième essai, les froma- deur comme du goût. Ils ont été mar- entre des fromages de Saint-Nectaire ges issus du lait de vaches de races qués par un caractère plus fumé et plus fabriqués avec du lait de vaches Pie- Montbéliarde et Tarentaise ont été glo- aromatique (Ducy 1997). Ces résultats Noires ou Montbéliardes (Garel et balement plus appréciés que ceux issus ont été en partie confirmés dans le Coulon 1990), hormis sur la couleur, du lait de vaches de race Holstein. cadre d’une étude récente réalisée en plus jaune avec le lait de vaches Pie- conditions expérimentales (Hurtaud et Noires, mais les descripteurs sensoriels En Normandie, une étude réalisée en al 2004), où des fromages Camembert étaient dans cette étude peu nombreux. site industriel a permis la comparaison et Pont-l’Evêque ont été fabriqués à Plus récemment, les laits de vaches de 18 fabrications de Pont-l’Evêque partir de lait issus de groupes de vaches Tarentaises, Holstein et Montbéliardes avec 3 répétitions sur des lots de laits de race Prim’Holstein et Normande. ont été transformés en fromage de de vaches Normandes ou Prim’Hols- Dans cet essai, les fromages Pont- Saint-Nectaire, en conditions technolo- tein ou de mélange à deux périodes de l’Evêque ont été légèrement moins fer- giques contrôlées et identiques d’une l’année (juin et septembre). Les mes lorsqu’ils étaient issus du lait de fabrication à l’autre, au cours de trois meilleurs rendements fromagers sont vaches Holstein. Des différences plus séries d’essais (tableau 2) dans lesquels obtenus avec les laits de race marquées ont été observées sur le on faisait également varier l’alimenta- tion des vaches. Dans le premier essai, Tableau 2. Effet de la race de vache sur les caractéristiques sensorielles des fromages les fabrications ont eu lieu à partir du (Martin et al 2000, Verdier et al 1995, Verdier-Metz et al 1998). lait entier (Martin et al 2000). Dans les deux autres, le lait était standardisé par écrémage partiel avant fabrication (Verdier et al 1995, Verdier-Metz et al 1998). Dans le premier essai, des diffé- rences très importantes de texture ont été observées : les fromages issus de vaches Holstein ont été moins fermes et plus fondants que ceux issus de vaches Montbéliardes en raison d’un gras/sec plus élevé, lié à un rapport taux buty- reux/taux protéique supérieur chez les Holstein. Ces différences ne se retrouvent pas dans les deux autres essais où le rapport taux butyreux/taux protéique était standardisé avant fabri- cation. Au contraire, dans ce cas, et quelle que soit la nature de la ration, les INRA Productions Animales, Février 2005 Facteurs de production et qualité sensorielle des fromages / 51 Camembert, dont le goût a été globale- 1.2 / Effet des variants géné- distinguent des autres races laitières ment plus apprécié lorsqu’il était fabri- par une fréquence élevée de variants tiques α β κ qué avec du lait de vaches Normandes, rares des caséines s2, et . Ainsi, le mais uniquement lorsqu’elles rece- L’effet bénéfique du variant B des variant C de la caséine β dont la fré- vaient un régime à base d’ensilage caséines κ et β sur les propriétés rhéolo- quence atteint 17 % en race Tarentaise d’herbe.
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