Le même et l’autre : Proust et Godard au miroir de l’intermédialité by Sonja Milka Bertucci A dissertation submitted in partial satisfaction of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy in French and the Designated Emphasis in Film Studies in the Graduate Division of the University of California, Berkeley Committee in charge: Professor Michael Lucey, Chair Professor Suzanne Guerlac Professor Ann Nesbet Fall 2012 Le même et l’autre: Proust et Godard au miroir de l’intermédialité © 2012 by Sonja Milka Bertucci Abstract Le même et l’autre : Proust et Godard au miroir de l’intermédialité by Sonja Milka Bertucci Doctor of Philosophy in French With a Designated Emphasis in Film Studies University of California, Berkeley Professor Michael Lucey, Chair This dissertation explores two major works of the twentieth century: Marcel Proust's A la recherche du temps perdu and Jean-Luc Godard's Histoire(s) du cinéma. Both of these works explore the expressiveness of their own medium in relation to other media, thereby opening up diverse channels of sensory experience within their own particular deployment of aesthetic form. In each case, these works draw upon sensory multiplicity in order to develop new ways of conceptualizing the present as well as new ways of generating acts of memory that relate past and present. Most studies of Proust's novel focus on one single medium that becomes a catalyst for the narrator's transformative experience. On the contrary: Proust's text does not make any particular medium the absolute (including the novel's own medium of writing), but develops its own perspective by dramatizing the tensions between multiple regimes of sensuous experience, e.g. between text, music, photography, painting, and optical technologies. Ultimately, the novel shows how any attempt to use one particular medium to capture or master reality fails. Moreover, every act of expression in one medium indexes the partiality of its own opening onto the world, thereby creating a space in which an other medium or an other image of the world becomes possible and desirable. Every particular medium foregrounds the blindspot of other media while simultaneously opening up a zone of attraction toward which other media tend. This movement toward other sensuous channels reveals not only the limits of a particular medium, but constitutes the depth of a medium by holding open an inexhaustible reserve of data that it can never fully capture. The text therefore moves in a space that is characterized by a tension between media that seek to totalize their own points of entry into the world and the inexorable detotalization that ensues when these points of entry are revealed to be incomplete, partial, and revisable. Drawing on the models of the kinetoscope and the kaleidoscope in the early pages of A la recherche du temps perdu, the intermedial configuration of the novel points toward its main task for thought: the relation between the one and the multiple. The novel interrogates the very integrity of ! 1 perception—how humans are able to perceive identity in difference and how individuals are the same and yet different over time—by drawing upon the multiplicity of forms of individuation across different media. Ultimatley, the act of writing recovers the past not by capturing the essence or fullness of time, but by revealing how the same world is modulated over time in differentiated sensuous forms. Intermediality also lies at the core of Jean-Luc Godard's filmic production. Godard interweaves texts, images and sounds in order to explore the power and limits of cinematic language. Godard's filmic productivity prioritizes showing rather than saying and thereby seeks to vanquish the subordination of the image to forms of narrativization specific to textuality. In Histoire(s) du cinéma, Godard constructs an intermedial space that seems at first glance to aim at a redemption of past moments of suffering and injustice (in particular associated with the Holocaust). However, as in Proust's novel, a double gesture emerges in Godard's film: a movement that oscillates between totalization and detotalization. Whereas cinema aims to represent "everything," Godard continually frustrates this tendency by using intermediality to achieve a radically different goal: video, montage, and formal fragmentation produces an act of memory that is simultaneously an act of dispossession. By refusing a complete or full representation of the past, Godard's film keeps viewers in a constant state of tension, longing, attentiveness, and ultimately, creativity. For Godard, cinema does not regain time and cannot redeem reality. Cinematic memory is not restorative. Instead, cinema provokes multiple acts of memory that do not merely reproduce that which is gone, but allow latent traces from the past to re-enter human practices and perceptions through the work of art. Working upon the image bestows on the past a new form of existence rather than restoring that which has irrevocably disappeared. ! ! 2 à Gabriel i TABLE DES MATIERES INTRODUCTION VI PARTIE I. PROUST : L’ECRITURE A LA CROISEE DES ARTS : FIXITE ET LATENCE DU VISIBLE 1 Marcel Proust et le roman de la vocation invisible 1 CHAPITRE 1. LE PARADIGME DE L'UN ET DU MULTIPLE : LES TENSIONS DE L'ECRITURE, LA DRAMATISATION ROMANESQUE DES VOIES DE DEVOILEMENT DU MONDE 7 1. L’image fixe et le cliché : le fantasme d’une image sans ombre 7 2. Le kaléidoscope et le kinétoscope : des paradigmes en tension 13 2.1. Le « kaléidoscope » : l'identité de la différence ou 14 la synthèse problématique du divers sensible 2.2. Le kinétoscope de l’écriture 18 3. La Recherche : deux explicitations romanesques de l’un et du multiple 24 3.1. Les jeunes filles de Balbec : l’individuation d’Albertine 24 3.2. Saint-Loup et l’essence des Guermantes 27 CHAPITRE 2. LA LOGIQUE DE LA CAPTURE : UNE LOGIQUE DE « L’INSTANTANE » 30 1. La logique « métaphorique » et « métonymique » de Swann : la fixation du réel par cooptation artistique et le leurre de la profondeur 30 1.1. Swann et le narrateur : la relation chiasmatique 30 1.2. Swann : la logique de l’érotisation artistique 31 1.3. La révélation de la sonate : un fantasme de dévoilement ? 37 1.4. La métempsychose du monde 39 2. La logique représentative : projection, filtrage, mise en tableau 41 2.1. L’herméneutique du sensible ou l’éloignement de la chose : rappel 41 2.2. Le projection d’un regard totalisant : la réalité des verres colorés 42 2.3. Le filtrage de l’optique 45 2.4. La « mise en tableau » du monde : la stylisation/projection d’une image au dehors 47 3. La logique photographique : la tentation de figer le monde dans un cliché 52 2.1. La séduction du cliché 52 2.2. La déception du cliché : la "photographie faite par Saint-Loup" 54 2.3. La logique extrême de la capture : La Prisonnière 58 ii CHAPITRE 3. LA LOGIQUE DE LA DEPOSSESSION : VERS UNE REFORMULATION DE L’ECRITURE 62 Le même et l’autre : l’ouverture cinesthésique 62 1. Elstir et la peinture : le même et l’autre 63 2. Le paradigme musical et la logique de dépossession l’identité de la différence 69 2.1. La présence du son dans La Prisonnière 69 2.2. Le son frappé d'anathème 70 2.3. La musique et l'intériorité: la vibration interne du visible 72 2.4. Repenser l’intelligibilité du monde comme visibilisation non visuelle : la musique entre spatialité et temporalité 74 3. La littérature et la « déformation cohérente du visible » : vers une nouvelle reformulation de l’écriture 79 3.1. L’écran diapré de la lecture et le rêve de profondeur 79 3.2. L’écriture : l’art de voir et d'entendre 80 3.3. Le style de Bergotte : à la manière d’Elstir et de Vinteuil 82 3.4. L’artiste oculiste et la variation du même et de l’autre 83 3.5. Le style : l'unité dans la diversité 85 4. La logique de la latence photographique : la modulation de l’ombre et de la lumière et la poétique de la mémoire 89 CHAPITRE 4. CONCLUSION : LA MISE EN ABYME DU MEME ET DE L’AUTRE 95 1. La Recherche et les Arts : la volonté de systématisation 95 2. La Recherche ou le « dévoilement » de la vocation : l’émergence d’une voix dans le kaléidoscope de l’intermédialité 102 3. La Recherche ou les variations de l’un et du multiple : la phrase musicale et le miroir (le kinétoscope et le kaléidoscope) 103 Transition: une tension entre totalisation et détotalisation 106 iii PARTIE II. GODARD : L’« ENTRE-IMAGES » A LA CROISEE DE VOIX PLURIELLES, RAYAGES DE L’IMAGE ET MEMOIRE DU VISIBLE 107 CHAPITRE 1. L’IMAGE DISSENSUELLE DE GODARD : A LA CROISEE DES ARTS DU TEMPS ET DES ARTS DE L’ESPACE 107 1. Le nouveau codage de la réalité 107 1.1. Contre l’académisme du langage filmique 107 1.2. Le défi de l’intermédialité et le nouveau codage de la réalité 110 2. L’invention d’une nouvelle grammaire filmique centrée sur le montage 112 2.1. Le montage comme articulation du temps et de l’espace 112 2.2. Le montage comme synthèse disjonctive : « 1+1=3 » 113 2.3. « On doit tout mettre dans un film » : l’intermédialité et la mémoire du passé 114 3. Archéologie de l’objet cinématographique : entre pureté et impureté, l’hybridité constitutive et le fantasme de l’art total 116 3. 1. Les arts du temps et les arts de l’espace 116 3. 2. Le cinéma : hybridité ou spécificité ? 119 3. 3. Le cinéma : un mélange impur ou une impureté propre au cinéma ? 123 3.
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