Par M. Marcel LUTZ, Membre Associé Libre

Par M. Marcel LUTZ, Membre Associé Libre

BOUCHEFORN ET LA CÉRAMIQUE GALLO-ROMAINE par M. Marcel LUTZ, membre associé libre Avant de faire ma communication à la docte assemblée, je ne voudrais pas manquer de rendre hommage à la mémoire de Timothée Welter, qui entreprit de 1934 à 1936 les fouilles de Chémery et surtout d'Emile Delort, ancien secrétaire de notre compagnie, qui le premier étudia et publia l'important matériel recueilli à l'occasion de ces fouilles, rendant ainsi à l'archéologie romaine un éminent service qui notamment fut à l'origine d'un sensible progrès en céramologie. Emile Delort s'est ainsi acquis la reconnaissance de tous les spécialistes de la céramique sigillée. Ceci dit j'aurai maintenant l'honneur de parler de L'OFFICINE DE CERAMIQUE SIGILLEE DE BOUCHEPORN Contrairement à ce qui avait été constaté dans les ateliers du centre de la Gaule, à Lezoux par exemple, il était admis que la fabrication des vases sigillés dans la Gaule de l'Est ne reposait pas sur une ancienne tradition. On pouvait raisonnablement penser que les ateliers avaient été créés au début du IIe siècle, exception­ nellement à la fin du Ier siècle, désireux qu'ils étaient d'exploiter une nouvelle technique dans les meilleures conditions possibles. En effet, nulle trace d'une activité plus ancienne n'avait encore été relevée quand en 1963 une exception se présenta, Boucheporn, où l'on put constater que des ateliers de céramique avaient produit de la sigillée dès la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. Au cours d'une première période la production était limitée à la céramique commune lissée, mais dès le début de l'époque claudéo-néronienne, ainsi qu'il ressort d'autres observations, la fabrication de la céramique sigillée s'installe. Cette constatation qui peut paraître surprenante, met en évidence l'importance de la découverte de Boucheporn, importance encore accrue par le grand 64 BOUCHEPORN ET LA CÉRAMIQUE GALLO-ROMAINE nombre de potiers qui y furent actifs, fabriquant soit de la sigillée unie, soit de la sigillée ornée. Leur nombre atteint actuellement une soixantaine d'individus dont vingt fabriquaient des vases ornés, chiffre jamais atteint dans les officines de la Gaule de l'Est, si l'on excepte celles de Rheinzabern, ateliers qui, il est vrai, appar­ tiennent à une époque bien plus tardive. Il apparaît d'autre part que si certains potiers de Boucheporn, tels Saturninus et Satto, sont bien connus, d'autres par contre, et c'est le plus grand nombre, ne le sont nullement, aucune trace de leurs produits n'ayant jamais été relevée jusqu'ici. L'objet principal d'une étude sur Boucheporn sera donc de donner une description précise de toute la sigillée qu'on y recueillit, de traiter de la morphologie de tous les vases, et, en ce qui concerne les vases ornés, du style de leur décor. Boucheporn est une petite localité de la Moselle située à mi-chemin entre Saint-Avold et Boulay, à une trentaine de kilomè­ tres au nord-nord-est de Metz. Géologiquement la région de Bou­ cheporn est située sur l'anticlinal principal lorrain, essentiellement argilo-calcaire ; la situation est donc propice aux fabrications réfractaires étant donné que de son côté le bois ne manque pas. Du point de vue archéologique, la région présente un intérêt certain. Traversée d'ouest en est par la voie romaine de Metz à Worms, qui touche Boucheporn après être passée par Narbéfon- taine, les sites archéologiques y sont nombreux, villas, nécropoles, voies secondaires. Le nom de Boucheporn fait son apparition dans la littérature archéologique dès 1756 lorsque Dom Calmet y signala les traces d'une voie romaine ainsi qu'une mosaïque découverte dans un jardin. Par la suite on trouve d'autres renseignements : nom­ breuses découvertes disséminées de monnaies, mise au jour, lors de la transformation de l'église en 1770, de substructions d'un bâtiment romain avec bain et hypocauste ; découverte d'une sta­ tuette de Minerve, en bronze. On signale d'autre part également celle de prismes de fer brut. De plus récentes prospections à Boucheporn, ont révélé à l'entrée ouest du village, entre l'ancienne voie romaine, facilement repérable, et la côte 352, un site gallo-romain probablement d'ha­ bitat, site qui occupe une aire d'environ 2 ha. Un autre site est BOUCHEPORN ET LA CÉRAMIQUE GALLO-ROMAINE 65 signalé au lieu-dit Heidenberg, au nord du village, sur le grand coude de la route de Bisten, côte 332 ; il s'agit probablement d'une nécropole antique mais pas encore datée à ce jour. L'attention devait cependant s'attacher davantage à d'autres inves­ tigations qui finalement permirent de découvrir le site qui nous intéresse. Ce dernier est situé à environ 1 km au nord-est-est de la localité, le long du chemin départemental D26 qui conduit à Porcelette, et se trouve à cheval sur la côte 335, au lieu-dit « Ziegelgarten », nom bien évocateur. L'attention est immédiate­ ment attirée par la présence d'innombrables fragments de tuiles qui jonchent littéralement la surface du terrain, ainsi que de nom­ breux tessons de vases que l'on aperçoit si l'on regarde d'un peu plus près. On note également quelques mouvements de terrain qui manifestement ne relèvent pas d'un phénomène géophysique. C'est là que s'était installée dans l'antiquité, comme on ne tarda pas à s'en apercevoir, une importante industrie céramique, profitant du fait que toutes les conditions indispensables s'y trouvaient réunies : argile, eau, bois et aussi de bonnes communications. C'est à partir de 1958 que des tessons-témoins recueillis sur le site fournirent la preuve de l'existence certaine d'une officine mais ce n'est qu'en 1963 qu'eut lieu la première campagne de fouilles ; avec les quatre autres qui suivirent, elle a déjà fait l'objet de quelques publications partielles, publications d'où il ressort que l'officine de Boucheporn compte parmi les plus importantes de la Gaule de l'Est si l'on considère notamment la surface occupée, le nombre de fours qui atteint le chiffre élevé de vingt-neuf et le grand nombre de potiers qui y ont travaillé. Cependant l'intérêt majeur réside surtout dans l'ancienneté de l'établissement, puis­ qu'on y a fabriqué de la sigillée dès le milieu du Ier siècle ap. J.-C, en imitant des prototypes importés de la Gaule du Sud, prototypes dont quelques échantillons nous sont parvenus. Si les potiers qui fabriquèrent des vases unis sont presque tous originaires de la Gaule du Sud, ceux qui fabriquèrent des vases ornés par contre, à une seule exception près, sont tous originaires de la Gaule du Centre. Nous n'en connaissons que deux par leur nom, tous les autres sont anonymes, nous obligeant ainsi, afin de pouvoir les distinguer, d'inventer des appellations qui sont géné­ ralement basées sur un détail caractéristique de leurs décors, 66 BOUCHEPORN ET LA CÉRAMIQUE GALLO-ROMAINE comme, par exemple, le « Maître au petit cheval » ou le « Maître aux grandes feuilles». D'autre part, l'un des faits les plus marquants fut la décou­ verte à Boucheporn de vases du maître-potier Saturninus (fig. 1), Fig. 1. — Saturninus. Coupe Drag 37 à décors typiquement Saturninus (cf. notamment la rosette à 11 raies). mis en évidence à Chémery ; à Boucheporn ces vases sont les plus fréquents ce qui prouve la position de premier plan que Saturninus y occupa à un certain moment. Autour de lui ne tarda pas à se rassembler une équipe de potiers que nous pouvons suivre tout au long de sa carrière, le principal de ces potiers étant Satto qui cependant ne travailla, semble-t-il, à Boucheporn qu'en tant que subordonné de Saturninus et qui n'accéda au patronat qu'à Ché­ mery, vers 125. Les autres potiers sont le « Maître aux boucliers et aux casques », le «Maître à la rosette-croix» (fig. 2), le « Potier à la rosette », ceux-ci appelés couramment les maîtres arvernes, et aussi le « Maître au petit cheval » ainsi qu'une vingtaine d'autres qui fabriquèrent des vases unis. BOUCHEPORN ET LA CÉRAMIQUE GALLO-ROMAINE 67 Fig. 2. — Maître à la rosette-croix, coupe hémisphérique Drag. 37. La production de ïatelier de Boucheporn L'atelier de Boucheporn fabriqua des vases sigillés unis et des vases sigillés ornés moulés. Les vases unis comprennent une trentaine de formes, ce qui représente un chiffre important si nous le comparons à celui de Chémery, où on n'en compte guère plus d'une douzaine ou à celui de Blickweiler qui ne dépasse pas le nombre de quinze. Dès l'époque claudienne on avait importé de la vaisselle sigillée qui servit, vers la fin de cette période et surtout à celle de Néron, de modèle aux fabrications locales comportant un certain nombre de formes classiques du Ier siècle, notamment, pour ne citer que celle-là, la petite coupe Drag. 24/25, typique de l'époque claudienne. Les formes du IIe siècle suivront en grand nombre, sans que l'on constate un hiatus quelconque. Certaines formes de l'époque trajano-hadrienne seront 'les plus fréquentes, fréquence qui s'amenuisera par la suite nettement quand on s'approchera du milieu du siècle. Quant aux formes touchant à la fin de celui-ci, il faut constater qu'elles sont pratiquement absentes, vu qu'il ne s'agit que d'exemplaires isolés qui ont probablement été importées à Boucheporn. 68 BOUCHEPORN ET LA CÉRAMIQUE GALLO-ROMAINE La sigillée ornée fabriquée à Boucheporn par une vingtaine de potiers, tient une grande place dans la production de l'atelier. Cinq formes sont à noter : le calice, qui est la forme la plus ancienne, déjà fabriquée d'ailleurs par les ateliers d'Arezzo, la coupe carénée, forme par excellence de la Gaule du Sud, la plus usitée pendant les trois quarts du Ier siècle, la forme cylindrique, aussi ancienne que la précédente, mais moins courante, une forme de transition, c'est-à-dire une forme hybride entre la forme carénée et la forme hémisphérique qui suivra, bien connue sous la dénomi­ nation classique de Drag.

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