P. 26-29 Lacôte 15/12/11 9:40 Page 26 LES TRENTE ANS DU TGV PAR FRANÇOIS LACÔTE (66) Le train des magiciens senior vice-président d’Alstom Transport Trente ans après sa première mise en service et quarante ans après les premières études, Deux expérimentations le TGV apparaît comme le fruit de réflexions et décisions parfaitement rationnelles La SNCF souhaitait expérimenter deux types et réfléchies, mais dont le caractère souvent de train à grande vitesse, via deux prototypes. Le premier, le TGV 001, pour l’exploration si novateur lui confère une apparence de la très grande vitesse sur ligne dédiée; d’objet magique. Rame articulée, évolution le second, le TGV 002 (qui fut remplacé par GRAND ANGLE sans révolution, partenariat réussi sont une automotrice transformée), devait être un train pendulaire, à inclinaison de caisse les ingrédients de la potion merveilleuse. dans les courbes. La rame articulée présentait Mais c’est d’abord une aventure humaine. des avantages certains de simplicité du dispositif d’inclinaison, chaque caisse étant supportée en deux points à une extrémité, et en un seul point central à l’autre extrémité, et de réduction REPÈRES du nombre de bogies. Une réflexion approfondie, véritable démarche visionnaire, débouche sur des remises en cause très profondes des «fondamentaux» du système bogie). Cette architecture présente l’avantage ferroviaire préexistant : infrastructure unique- énorme de la réduction du nombre de bogies, ment dédiée aux trains de voyageurs à grande à longueur équivalente de train, par rapport à vitesse ; abandon de la signalisation latérale traditionnelle et développement d’un système une architecture « classique », dans laquelle entièrement nouveau, délivrant les consignes de chaque caisse repose sur deux bogies. La der- circulation directement dans la cabine de nière génération, l’AGV d’Alstom, qui a recon- La réduction conduite ; choix d’une architecture originale, la duit cette architecture, ne comprend que rame «articulée», qui bouleverse complètement du nombre 12 bogies, là où les trains concurrents comme les principes d’exploitation et de maintenance l’ICE de Siemens, pour une même longueur, en de bogies des trains de voyageurs ; train de composition nécessitent 16. est un facteur fixe ; commercialisation avec réservation déterminant obligatoire. pour l’éco- nomie globale du train n Projet d’une équipe d’ingénieurs, le TGV repose sur une vision commerciale très forte : offrir le temps de voyage de l’avion pour le prix du billet de train et l’offrir au plus grand nom- bre bien au-delà des seules zones directement situées sur l’infrastructure nouvelle, grâce à la compatibilité avec le réseau ferroviaire exis- tant. Par quel tour de magie ? La magie de la rame articulée Un des traits essentiels, qui s’est conservé au fil des générations successives, réside dans l’architecture dite « articulée » (deux voitures D.R. adjacentes sont reliées par une articulation Tout projet, si complexe et technique soit-il, sphérique qui repose sur un seul et même est d’abord une aventure humaine. 26 LA JAUNE ET LA ROUGE • JANVIER 2012 P. 26-29 Lacôte 15/12/11 12:00 Page 27 GRAND ANGLE D.R. Un nouveau système de transport utilisant la technique roue-rail. ticulation et le partage du même bogie, sur les voitures adjacentes. Record du monde Le choix d’une architecture originale pour le TGV, considéré à l’époque comme une « bizarre- La démonstration la plus éclatante des vertus rie » d’ingénieurs, voire comme un acte ico- de la rame articulée se trouve dans la campagne noclaste par moult détracteurs, s’est révélé d’essais qui s’est conclue par le record du monde de vitesse à 575 km/h en avril 2007, établi par d’une pertinence exceptionnelle pour la pra- une rame TGV Duplex équipée des composants tique des très grandes vitesses : prescience, les plus critiques pour la grande vitesse intuition géniale, magie, qui sait ? (en particulier les bogies, pantographe et équipements électroniques de traction) Évolution sans révolution : des deux dernières générations de TGV : la recette magique le TGV Duplex et l’AGV d’Alstom. Le TGV a connu quatre générations succes- Lors de cette campagne d’essais, 28 marches à plus de 500 km/h ont été effectuées par tous sives. Après la révolution originelle dans le les temps, vents de travers inclus, sans difficulté concept et l’architecture du train, les ingé- particulière. nieurs se sont efforcés de faire évoluer le train par un dosage aussi intelligent que possible entre l’introduction de nouvelles technolo- Comme un gies, source de progrès, de performances et alpiniste, Au fil des générations, cette architecture tout d’économie, et la reconduction de solutions s’appuyer sur à fait originale s’est conservée car elle a révélé, éprouvées, sources de fiabilité et souvent plusieurs progressivement, des vertus insoupçonnées d’économies d’échelle. Un jeu à la manière prises solides et déterminantes : sur le plan de la sécurité, de l’alpiniste qui progresse en s’assurant en avant d’engager elle préserve l’intégrité de la rame en cas de permanence qu’il faut s’appuyer sur plusieurs la suivante déraillement, comme l’ont montré trois dérail- prises solides avant d’engager la suivante. lements à grande vitesse, sans aucun dom- Pour la première génération, l’objectif essen- mage pour les voyageurs; pour le confort des tiel était de réussir et donc d’assurer sécurité, voyageurs, l’éloignement des bogies par rap- fiabilité et respect des coûts prévisionnels port aux salles est déterminant ; l’intercircu- aussi bien en construction qu’en exploitation : lation entre voitures est plus facile à traiter ; l’enfantement ne se fit pas sans douleur, mais en formule à deux niveaux (Duplex), cette tous les engagements furent tenus, pari gagné. architecture optimise la capacité disponible ; Pour la deuxième génération, l’accent fut mis la robustesse du train en cas de vents très sur le progrès des performances (300 km/h violents se trouve augmentée par la possibi- au lieu de 260 km/h) et du confort du voyageur lité de chaque voiture de prendre appui, par l’ar- (qualité et diversité des espaces voyageurs, ➤ LA JAUNE ET LA ROUGE • JANVIER 2012 27 P. 26-29 Lacôte 15/12/11 12:01 Page 28 LES TRENTE ANS DU TGV GRAND ANGLE D.R. Le TGV du record. ➤ suspension pneumatique, étanchéité aux ondes La quatrième génération, développée à partir de pression en tunnel, etc.). de 2000, a pour objet de créer une plateforme Après la sécurité, la fiabilité, le confort, la troi- nouvelle, dédiée au réseau européen, et donc sième génération, le TGV à deux niveaux, dit capable de « digérer » toutes les particulari- TGV Duplex, apporta la capacité (510 places tés des lignes classiques européennes (ten- au lieu de 370) et l’économie d’exploitation (les sions d’alimentation et signalisation en parti- 40 % de places supplémentaires sont quasi culier), vise une vitesse commerciale de Le partenariat gratuites de ce point de vue). 306 km/h, et devrait apporter une nouvelle étroit et étape de progrès dans le confort et l’écono- mie d’exploitation, en comparaison des trains confiant a à grande vitesse des concurrents (à un niveau). permis des Tous les secteurs industriels résultats très Le partenariat : la potion magique spectaculaires Les avancées technologiques ont couvert tous Au commencement était la SNCF. Seul un les secteurs du domaine industriel : progrès établissement public adossé à l’État pouvait constant des modélisations, accompagnées à la fois promouvoir un projet aussi structu- de l’augmentation de la puissance de calcul rant pour le territoire français et en suppor- des ordinateurs, pour prédire toujours mieux les comportements des composants essentiels ter financièrement le développement, puis la du train; utilisation de matériaux nouveaux (acier réalisation, compte tenu à la fois des aléas à haute limite élastique, alliage léger, magné- (une première mondiale) et de la durée du sium); progrès constant de l’électronique retour sur investissement. Pour la concep- de puissance; mise en œuvre des technologies tion du train lui-même, c’est également la numériques pour toutes les fonctions de régu- SNCF qui en fixa les caractéristiques essen- lation et de surveillance, et en particulier progrès tielles et décida de cette architecture si par- considérables dans la gestion de l’adhérence entre la roue et le rail, en traction comme ticulière. Elle seule pouvait s’auto-infliger un en freinage; progrès considérables dans la tel bouleversement dans ses méthodes d’ex- technologie des moteurs électriques de traction ploitation. Ce fut également le cas pour la (en trente ans, la puissance massique décision par la SNCF de lancer la troisième des moteurs a triplé). génération via un train à deux niveaux, avec salle de restauration à l’étage. 28 LA JAUNE ET LA ROUGE • JANVIER 2012 P. 26-29 Lacôte 15/12/11 9:41 Page 29 GRAND ANGLE D.R. Du TGV à l’AGV, même ADN et quarante ans de progrès de la technologie. Le rôle de l’industriel (Alstom et ses équipe- réflexion, et de quelques leçons tirées de cette mentiers de premier rang) n’en fut pas moins fantastique aventure : sachons être vision- éminent car c’est grâce à ses avancées, voire naires, sachons remettre en cause des pra- à ses innovations technologiques, qu’il fut pos- tiques même fortement ancrées dans l’his- sible d’atteindre les objectifs fixés par la SNCF toire et la culture de l’entreprise lorsque les et d’assurer les performances requises. enjeux sont à la hauteur ; cultivons la curio- C’est très certainement ce partenariat très sité et le questionnement, et ne confondons étroit, et confiant, dépassant très largement pas conviction et certitude ; restons modes- les habituelles relations client-fournisseur, et tes, et en particulier n’oublions pas la sagesse associant des préoccupations différentes mais du navigateur qui se réserve toujours un «pied complémentaires parce qu’intelligemment de pilote ».
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