Michel Sarrazin Et Le « Quinquina Du Canada » Gilles Barbeau

Michel Sarrazin Et Le « Quinquina Du Canada » Gilles Barbeau

Document généré le 25 sept. 2021 12:00 Histoire Québec Michel Sarrazin et le « quinquina du Canada » Gilles Barbeau L’Histoire des sciences Volume 21, numéro 3, 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/80943ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Éditions Histoire Québec La Fédération Histoire Québec ISSN 1201-4710 (imprimé) 1923-2101 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Barbeau, G. (2016). Michel Sarrazin et le « quinquina du Canada ». Histoire Québec, 21(3), 23–25. Tous droits réservés © Les Éditions Histoire Québec, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Michel Sarrazin et le « quinquina du Canada » par Gilles Barbeau Gilles Barbeau a obtenu son baccalauréat en pharmacie de l’École de pharmacie de l’Université Laval en 1968. En 1971, il obtenait un doctorat en pharmacie de la Faculté de pharmacie de l’Université de Bordeaux (France). Professeur depuis 1971 à l’Université Laval, il devient professeur titulaire en 1986 à l’École de pharmacie de cette même université, où il sera plus tard nommé directeur du certifi cat en gérontologie à la Faculté des sciences sociales (1994-95). Il devient doyen de la Faculté de pharmacie le 22 mai 1997. Ses travaux de recherche ont porté sur les effets indésirables des médicaments chez les personnes âgées. En 2004, l’Université Laval lui confère le titre de professeur émérite. Il a été membre fondateur de l’Association québécoise de gérontologie en 1978 et président de l’Association des doyens en pharmacie du Canada en 1995­96. En 2012, il fonde avec deux collègues la Société québécoise d’histoire de la pharmacie. Auteur ou coauteur de plusieurs ouvrages en pharmacie, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prix Louis­Hébert de l’Ordre des pharmaciens du Québec en 1998, le Prix de la pharmacie francophone décerné par l’Académie de pharmacie (France) en 2003 et le Prix d’excellence en enseignement de l’Université Laval en 2011. Michel Sarrazin (1659-1734) est Le quinquina est un arbre originaire nièce de Louis XIV, le prince de un médecin. C’est le premier véri- d’Amérique du Sud, précisément du Condé, La Rochefoucauld et d’autres. table médecin diplômé de la Pérou et de l’Équateur. Il pousse en Nouvelle-France. Arrivé ici comme altitude et porte des infl orescences Mais voilà, le quinquina est rare. Il est chirurgien de navire en 1685, il roses à rouges, parfois blanches selon diffi cile de s’en procurer, notamment décide de retour ner en France pour l’espèce. S’il fut « découvert » au parce que le commerce est sous con- y faire des études de médecine avant 17e siècle dans la région de Loja, au trôle espagnol. Malgré les nombreux de revenir à Québec en 1697. Il pra- Pérou (à l’époque), par les Jésuites, ce envois de plants et de graines, il ne tiquera son art à l’Hôtel-Dieu de n’est qu’en 1738 que l’Académie des réussit pas à s’acclimater en Europe. Québec et à l’Hôpital Général. Il sera sciences de Paris en publie la première Les prix s’envolent, le commerce au nommé « médecin du roi » en 1699. description, faite par l’explorateur noir est fl orissant. On cherche à le Le docteur Sarrazin est aussi connu Charles Marie de la Condamine, aidé remplacer par des plantes médicina- pour l’ablation d’une tumeur au sein de son collègue botaniste Antoine les faciles à trouver. C’est d’ailleurs de Marie Barbier de l’Assomption en de Jussieu. en cherchant un substitut au quin- 1700, une religieuse de la congréga- quina que l’on découvrira la salicine tion Notre-Dame de Montréal. Selon Le quinquina ou « cinchona », genre dans l’écorce de saule (Salix Alba). Dionne, ce serait la première mastec- nommé par Linné, appartient à la tomie homologuée en Amérique1. famille des rubiacées (café). On en En 1738, date de l’envoi du premier reconnaît aujourd’hui 22 espèces. dessin du quinquina en France, Or, quel est le lien entre le quinquina Certaines, riches en quinine, sont Sarrazin est décédé depuis quatre et Michel Sarrazin? C’est une mention cultivées en Afrique, aux Indes et à ans. Comment avait-il connu cette faite par Gauthier qui a piqué notre Java. Depuis la découverte des pro- plante? Pourquoi s’y était-il intéressé? curiosité. En effet, dans un ouvrage priétés de l’écorce de la plante en Lui, un scientifi que accompli, dont la bien documenté sur Michel Sarrazin2, 1633 jusqu’au milieu du 19e siècle, bibliothèque comportait un nombre l’auteur rapporte, dans une lettre celle-ci a fait l’objet d’un commerce important de livres de science, com- écrite à une date malheureusement lucratif, étant la première plante véri- ment avait-il pu croire que l’on pou- inconnue (peut-être à un correspon- tablement effi cace pour faire baisser vait trouver une plante qui en prin- dant français du Jardin des plantes), la fi èvre. cipe ne poussait qu’en Amérique du que Sarrazin propose de monter une Sud et qu’on n’arrivait pas encore à expédition pour aller dans la région En effet, dès sa découverte au 17e siè- acclimater en Europe? des Grands Lacs à la recherche de cle, l’écorce de quinquina s’impose minerais et de plantes rares, dont le comme un traitement effi cace des Est-ce l’appât du gain, puisque l’on fameux « kinkina ». fi èvres et particulièrement des sait que l’écorce de l’arbre péruvien fi èvres intermittentes (palu disme). est très recherchée en France depuis Cet intérêt pour une plante qu’aucun L’écorce de l’arbre péruvien obtient la guérison de personnages de la cour Européen n’a encore jamais vue est ses lettres de noblesse lorsqu’elle et qu’elle coûte très cher en raison du étonnant, voire surprenant. guérit Charles II d’Angleterre des monopole espagnol? Est-ce la pres- fi èvres, de même que le dauphin sion exercée sur lui par les autorités de France, Marie- Louise d’Orléans, françaises (ses deux correspondants HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 21 NUMÉRO 3 - PAGE 23 Intérêt pour la botanique Dans une lettre du 15 juillet 1705 et rapportée par Arthur Vallée4, il est demandé au gouverneur de la Nou velle France, Vaudreuil, de donner à Sarrazin tous les secours dont il aura besoin pour récolter des plantes. Sarrazin enverra d’ailleurs pendant une dizaine d’années des plantes d’ici au Jardin des plantes à Paris. Il correspondra entre autres avec Louis Pitton de Tournefort, un botaniste français éminent, membre de l’Académie des sciences. Ce dernier donnera à une plante carnivore des tourbières le nom de Sarracena, en hommage au médecin de la colonie. Michel Sarrazin a une collection importante de livres médicaux, 45 livres selon le rapport de l’archi- viste de la Province de Québec 19445, dont plusieurs sur la botanique. Mais il a surtout un ouvrage qu’il conserve précieusement dans sa bibliothèque : La médecine pratique, écrit par Thomas Sydenham (1624-1689), célèbre méde cin anglais. Dans ce livre, Sydenham décrit des façons de guérir les fi èvres intermittentes (malaria). Après avoir signalé l’ineffi cacité des méthodes de l’époque basées sur la Michel Sarrazin recevant une plante (sarracénie) d’un Amérindien, d’après J.C. Jefferys : théorie des humeurs qui demande http://issuu.com/aoallen/docs/picture_gallery_of_canadian_history_v1. des saignées, purgations, sudations, etc., il écrira : « J’ai mis toute ma ressource dans le quinquina »6. de l’Académie des sciences, Réaumur spécimens pour alimenter l’herbier et Piton de Tournefort) pour sans cesse du Jardin des plantes de Paris, et bien Ce remède, importé d’Amérique du obtenir de nouvelles espèces de plan- sûr, trouver des plantes nouvelles qui Sud, est très cher et hormis les gens tes médicinales? Ou bien est-ce par ont un intérêt commercial ou médical aisés, peu de personnes peuvent se le complet dévouement à la cause de ses et les envoyer aux autorités royales procurer. À plusieurs reprises, Michel malades de Québec ou de Montréal françaises pour analyse et collections. Sarrazin fut exposé à différents types qui meurent souvent de fi èvres? Ou, ce Lorsque Sarrazin revient au Canada de fi èvre (jaune, maligne) dont on ne sont des informations qu’il reçevait de en 1697, avec le titre de médecin du connaissait pas toujours l’étiologie. ses propres correspondants au pays. roi, on note dans les arrêts du Conseil Le traité sur les fi èvres de Sydenham Examinons quelques hypothèses. de Québec 1694-1702, cité par l’abbé l’encourage peut-être à rechercher ce Lafl amme3 : « Et comme il y a lieu médicament dont le médecin anglais Le commerce avec la capitale d’apprendre que le Sr. de Sarrazin avait tant dit de bien. On sait que les membres du corps a eu d’autres venues en revenant médical français, lorsqu’ils arrivent au Canada que celles de traiter Le besoin d’aventure en Amérique, ont des recomman- seulement les malades, s’appliquant Sarrazin veut sans cesse découvrir, dations très précises, si ce n’est des beaucoup aux dissections des ani- affi rmant lui-même qu’il n’aime obligations concernant la fl ore locale.

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