LA BANDEÀ CAVANNA CHORON REISER GEBÉ MÉCHAMMENT ROCK ISABELLE Photos 1-2-3-4-5-7-8-12, Roger-Viollet/ 6,Magnum/ 10-11,Giraudon CHARLIE FOURNIER DELFEIL DE TON WOLINSKI CABU PAULE WILLEM Du même auteur aux Éditions Stock Messieurs du Canard Jean Egen LA BANDE À STOCK Tous droits réservés pour tous pays © 1976, Éditions Stock « Oui, oui, je lis Charlie-Hebdo. Ce n'est pas exactement le style que je préfère, mais dans les textes de Cavanna - je dois lui ren- dre cette justice -, il y a, assez souvent, de bonnes, de saines réactions. » HUBERT BEUVE-MÉRY (interrogé par Jacques Chancel). « On peut certes trouver irritantes, insup- portables même, la verve célinienne, la har- gne universelle, la vulgarité outrageusement provocante de Charlie-Hebdo, qui mêle à plaisir la dérision, la scatologie et l'humour noir. On peut se demander si cette volonté de choquer pour se faire remarquer et cette manière de hurler pour se faire entendre sont bien dans la ligne du gauchisme version Mai 68 revue et adaptée pour 1974. « Mais, qu'il soit ou non pré-rétro, Charlie- Hebdo constitue en matière journalistique la création la plus originale, et peut-être la seule qu'on ait enregistrée depuis bien des années ; et cela pour la simple raison que ses anima- teurs ainsi que bon nombre de ses rédacteurs et dessinateurs possèdent incontestablement ce don rare, ce petit rien de plus qui se nomme le talent. » PIERRE VIANSSON-PONTÉ (Le Monde). « Charlie-Hebdo a apporté une nouvelle formule dans le journalisme moderne... Il a intégré, pour en faire une arme dont il se sert avec talent, le mauvais goût. » ANDRÉ RIBAUD (interrogé par Jacques Chancel). « Quand je cherche ce qui, depuis vingt ans, a marqué un renouvellement, traduit une nouvelle sensibilité, répondu au be- soin d'une nouvelle couche de lecteurs, je ne vois qu'une véritable création : c'est Charlie- Hebdo. » FRANÇOISE GIROUD (Si je mens, Éditions Stock). « On lit avec profit Le Canard enchaîné et Charlie-Hebdo dans les allées du pouvoir. » MARC PAILLET (Le Journalisme, Éditions Denoël). « Le seul journal dont j'aie besoin... Del- feil de Ton, c'est époustouflant, il nous apprend à voir, à lire, à comprendre, il nous apprend que tout signifie, et son inspiration est pour moi proprement évangélique. Ma crainte, mon angoisse : que Delfeil de Ton ne s'entende plus avec Cavanna. Ils sont au- jourd'hui ce que J.-J. S.-S. et Mauriac étaient à ma jeunesse. » DANIEL TOSCAIN DU PLANTIER (Donnez-nous notre pain quotidien, Éditions Olivier Orban). « C'est une ordure ! On devrait poursui- vre ceux qui le lisent et brûler ceux qui le font. » La belle-mère de l'auteur. 1 Je ne laisse pas traîner Charlie-Hebdo. Je planque aussi Char lie-Mensuel et Hara-Kiri. D'abord à cause de ma belle-mère. Ensuite à cause de Jean-François. Belle-maman, ça fait vingt ans qu'elle est vissée sur un fauteuil à deux roues et que ce fauteuil circule dans mon appartement. Comme son œil et sa main s'y baladent aussi, je ne voudrais pas que, découvrant la presse bête et méchante, son grand âge soit choqué par des propos scatologiques et des dessins cochons. Jean-François, ça fait treize ans que ses parents l'ont oublié chez moi. Comme il promène son nez dans mes affaires, je ne voudrais pas que sa jeune âme soit troublée par le langage et la philosophie du professeur Choron. Or, le 15 août dernier, malgré mes précautions, Charlie-Hebdo, en la personne du numéro 196, tombait entre les mains de l'octogénaire et du jouvenceau. Je dis entre leurs mains, parce que la mémé le tenait par un bout et le blanc-bec par l'au- tre, chacun tirant de son côté. Cela se passait à la campagne, je sommeillais sous un pommier lorsque Charlie-Hebdo tomba de ma chaise longue. Il va sans dire que je ne m'étais endormi qu'après en avoir épuisé la moelle ; et que, pareil à la vache qui rumine ce qu'elle a brouté, j'avais relu, le matin même, Charlie-Mensuel et Hara-Kiri Donc Charlie-Hebdo atterrit dans l'herbe, belle-maman l'aperçoit, elle arrive avec son bolide, elle le ra- masse, l'emporte, et reçoit en pleine poire un dessin de Wolinski. Elle pousse un cri, le gosse accourt, il la voit qui écume, qui suffoque, qui devient cramoisie, il comprend que Charlie est mauvais pour son cœur, il tente de le lui prendre, elle ne veut pas le lâcher, ses hurlements me réveillent, je saute de ma chaise longue, je rejoins la mêlée, je demande keskya, keskisspasse, belle-maman roule des yeux blancs et murmure dans un souffle : « La Sainte Vierge, la Sainte Vierge!» Je dis : « Eh bien quoi, la Sainte Vierge ? » Elle répond : « Je l'ai vue!» Ses yeux fous m'impressionnent. Je regarde sous le pommier... Des fois qu'il jaillirait une source. J'inspecte le fond des cieux... Des fois que l'appari- tion remettrait ça. Des visions d'avenir tourbillon- nent sous mon crâne, je vois grouiller le clergé, pousser la basilique, foisonner le promoteur, pros- pérer l'hôtellerie, fourmiller le pèlerin, c'est Lour- des en Normandie, Fatima en Vexin... « Mais bon Dieu, belle-maman, où c'est que vous l'avez vue, cette Sainte Vierge ? » Belle-maman blêmit, pose la main sur Charlie et dit : « Là! Je l'ai vue là ! » Puis elle redevient pivoine et crie : « C'est horrible ! C'est monstrueux ! » Je prends sa main. Je la soulève. Je découvre le 1. Clin d'œil à mes frères en Charlie qui savent que ceux qui lisent l'hebdo et ne lisent pas le mensuel et Hara-Kiri sont des cons. dessin qu'elle voudrait occulter. Il représente une Assomption. Mais elle n'est pas de Murillo, elle n'est pas du Titien. Elle est de Wolinski. La Vierge y monte en l'air comme dans les Assomptions clas- siques. Seulement, elle a les jupes relevées, et l'au- réole, au lieu d'être circulaire et de lui entourer la tête, elle est ovale et lui nimbe le zizi. Qu'on raille le Bon Dieu, passe encore, disait Gide, mais la Sainte Vierge... La Sainte Vierge, cet inverti la glorifiait. Disant que la brume d'argent qui flotte au matin sur les prairies encore ensom- meillées, c'était sa robe, que le calme soudain qui s'impose aux flots agités, c'étaient ses pieds purs, que le rayon qui tombe en tremblant des étoiles, c'était son regard, disant des tas de choses plus poétiques encore, et moi, je suis comme Gide et belle-maman, la Sainte Vierge, sa robe, son regard et ses pieds purs, c'est comme ça que je les perçois. J'ai sept siècles de poésie mariale dans la boîte crâ- nienne, si tu soulevais le couvercle, tu verrais des cathédrales, des Annonciations, des Nativités, des Pietà, des Présentations de la Beauce à Notre- Dame de Chartres... Car point de créateur qui n'ait vibré devant Marie. Tous les Vinci, tous les Michel- Ange, tous les Claudel y sont allés du pinceau, du ciseau, du chapeau... Même les poètes pas très catholiques ont eu des pâmoisons. Même ce païen de Brassens qui gratte sa guitare avec la barbe du vieux Jammes pour saluer Marie par la vieille qui trébuche et par l'oiseau blessé. Alors quoi, c'est tout de même pas une vierge comme les autres, la Mère de Dieu, et on ne peut pas laisser ce Wolinski lui retrousser impunément les jupes. Belle-maman, je vais aller casser la gueule à cet impie. Wolinski, mon poing tendu ne l'émeut point. Il m'interroge en souriant sur le vent qui m'amène. « Monsieur, lui dis-je, c'est un fort mauvais vent... » Il m'interrompt. Il veut savoir pourquoi je dis monsieur. Je réponds que je dis monsieur parce que j'ai de l'éducation. Il ricane. Ne serait-ce pas plutôt parce que je suis le con de ses dessins? Je de- mande : quel con ? Il dit : le con sentencieux, celui qui commence tous ses discours par Monsieur... « Monsieur, les Pyramides ont été construites par des multitudes affamées et non par des grévistes cyniques... Monsieur, les jeunes, les femmes, les Arabes, les voyous, les intellectuels de gauche ont plus besoin d'être matés, dressés, colonisés et abat- tus que d'être compris...» Je l'interromps à mon tour : « Monsieur, je ne suis pas le con de vos dessins. Je suis le gendre de ma belle-mère. Je suis venu pour vous défigurer.» Aucune trace d'épouvante dans les prunelles de Wolinski. Il a pour le vengeur de la Sainte Vierge le regard amusé du chat qui va se taper une souris. Si je ne suis pas, dit-il, le con de ses dessins, j'en suis sûrement un autre. Parce que je n'ai rien compris au sens profond de son Assomption. Il me demande si je connais la lettre de Léon Bloy à Georges Khnopff. Non, je ne la connais pas. Sais-je au moins qui était Léon Bloy ? Oui, je le sais : une vache comme on n'en trouve plus que dans Char- lie-Hebdo, un scatologue aussi copieux que le professeur Choron et un grand écrivain catho- lique. Tout juste. Serais-je curieux de savoir ce que le grand écrivain catholique pensait du bijou des nanas ? Je serais curieux. Alors voici : « Toute femme - qu'elle le sache ou qu'elle l'ignore - est persuadée que sa vulve est le paradis. Plantaverat autem Dominus Deus paradisum voluptatis a principio, in quo posuit hominem quem formaverat.
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