SAMEDI 17 SEPTEMBRE – 20H Ludwig van Beethoven Missa Solemnis London Symphony Orchestra London Symphony Chorus Sir Colin Davis, direction Helena Juntunen, soprano Sarah Connolly, alto Paul Groves, ténor Matthew Rose, basse | Samedi 17 septembre Fin du concert vers 21h40. London Symphony Orchestra Ludwig van Beethoven (1770-1827) Missa Solemnis en ré majeur, op. 123 Kyrie Gloria Credo Sanctus – Benedictus Agnus Dei Composition : 1819-1823. Création : le 18 avril 1824 à Saint-Pétersbourg ; création allemande en avril ou mai 1827 à Wansdorf sous la direction de Johann-Vincenz Richter. Effectif : flûtes, hautbois, clarinettes, bassons par deux – 4 cors, 2 trompettes – timbales – cordes – orgue ad libitum – quatuor vocal et chœur mixte. Durée : environ 1h20. À l’origine, ce monument de musique sacrée a été entrepris à l’intention de l’archiduc Rodolphe, huitième et dernier frère de l’empereur François Ier d’Autriche. Beethoven affectionnait ce jeune élève très doué, compositeur à ses heures et, ce qui ne gâtait rien, mécène efficace. Le maître, qui lui a enseigné le piano avec exigence et avec quelques tempêtes à la clef, lui a dédié de nombreuses œuvres. Voici qu’en 1818, l’archiduc est élevé à la dignité de cardinal et archevêque d’Olmutz ; Beethoven lui propose une messe pour son intronisation, et il lui écrit dans un style gentiment courtisan qui lui ressemble peu : « Le jour où une messe solennelle composée par moi sera exécutée durant les cérémonies de consécration de Votre Altesse Impériale, ce jour comptera pour moi parmi les jours les plus glorieux de ma vie, et Dieu m’assistera afin que mes pauvres talents puissent contribuer à la gloire de ce jour ». Mais ce projet sera loin d’être prêt pour le jour J, le 9 mars 1820. Beethoven a commencé un ouvrage qui dépasse de loin les messes de circonstance ; il est clair qu’il a en tête un grand modèle, la Messe en si de Bach, dont la genèse fut étrangement comparable : un rendez-vous officiel manqué (la Messe en si était prévue pour le couronnement d’un roi de Pologne en 1733 et n’a été achevée qu’en 1749), une élaboration longue et une œuvre ambitieuse, une œuvre-cathédrale au-delà du siècle : le résumé spirituel d’une vie. Beethoven caressait certainement l’idée d’un tel ouvrage avant même que son ami l’archiduc ne soit promu : selon son propre aveu, il se sentait d’humeur mystique dès le printemps 1818. La composition s’est étalée sur près de quatre ans, avec quelques longues interruptions, consacrées, principalement, aux trois dernières grandes sonates pour piano, n° 30, 31 et 32. Après un achèvement de principe en 1822, de nombreuses retouches sont intervenues, en particulier quand il a été question de faire vivre cette messe. Beethoven l’a proposée, en la présentant lui-même comme son chef-d’œuvre le plus accompli, à plusieurs éditeurs, sans succès ; les dimensions de l’ouvrage, mais sans doute aussi son langage et sa difficulté vocale ont dû paraître dissuasifs. Le compositeur a fini par proposer des exemplaires à 2 SAMEDI 17 SEPTEMBRE plusieurs souverains européens, moyennant cinquante ducats ; seuls neuf de ces princes ont été preneurs, dont le tsar de Russie. Une création viennoise partielle a eu lieu en même temps que la création de la Neuvième Symphonie, le 7 mai 1824 sous la direction d’Umlauf ; mais comme il était encore impensable de faire entendre une messe dans le cadre profane d’un concert, le Kyrie, le Gloria et l’Agnus Dei ont été intitulés « Trois Hymnes » pour la circonstance. Beethoven n’assistera jamais à une création intégrale. La publication, enfin, chez Schott, date d’avril 1827 : un mois après la mort du maître. Achevée à peine un an avant la Neuvième Symphonie, sans aucun thème commun, la Missa Solemnis représente une face moins connue et tout aussi importante de la spiritualité chez Beethoven, les fondations profondes sans lesquelles un Hymne à la joie n’aurait jamais été possible. L’histoire a voulu que la Neuvième, beaucoup plus populaire de ton, ait éclipsé cette œuvre-ci, respectée mais moins fréquentée du grand public. C’est indiscutablement une messe très sérieuse, d’une grande unité tonale (ré majeur est un ton nettement prédominant), une œuvre un peu monolithique mais qui comporte aussi ses extraversions. La relative lenteur de sa rédaction provient peut-être des importantes recherches préparatoires que Beethoven s’est imposées. Sur le plan linguistique d’abord : il a noté tous les mots latins et leur exacte traduction allemande, il vérifiait certaines conjugaisons ou déclinaisons dans le dictionnaire, et il se faisait scander le texte par son neveu Karl. Le compositeur, qui en dehors de la musique n’avait reçu qu’une instruction sommaire, a bien pris ses précautions ; il est certain qu’aucune faute de prosodie latine n’est à lui reprocher. L’objectif de Beethoven, très novateur pour l’époque, est de souligner le sens de chaque mot avec soin, à la manière de Haydn, mais en allant encore plus loin que ce dernier. « Je crois avoir traité le texte comme il a rarement été traité auparavant », avait-il déjà déclaré en 1808 à propos de sa Messe en do op. 86. Il s’est résolu à appliquer encore davantage ce principe dans cette Missa Solemnis, son œuvre sacrée suprême, en puisant dans les mots un maximum de force. L’autre facette de sa préparation est évidemment musicale. Voilà Beethoven en train d’examiner une foule d’œuvres sacrées dans la bibliothèque de l’archiduc Rodolphe et d’étudier le plain-chant : au début, il projette même d’écrire tout son ouvrage dans ce style, mais il y renonce. Bientôt il se tourne vers Haendel, qu’il admire tant, et sur la tombe duquel il ne s’inclinera jamais, malgré son vif désir de le faire ; Haendel, dont il recopie certains thèmes dans les marges de son manuscrit. Si le Kyrie est vaguement grégorien, bien des passages du Gloria ou du Credo sonnent avec la puissance constructive d’un Haendel bien inspiré. La Missa Solemnis s’en tient aux cinq pièces de base, appelées « l’ordinaire » de la messe ; mais chaque morceau est pensé en très grand format, avec de nombreux sous-épisodes. C’est une messe très chorale, même si les solistes détiennent d’importantes plages d’intervention : le personnage principal, c’est la communauté. 3 Le Kyrie, qui comprend les seuls mots grecs de la messe – Kyrie eleison, Christe eleison (Seigneur, aie pitié, Christ, aie pitié) –, est découpé, selon la tradition, en trois parties, le Christe étant placé en position intermédiaire. En exergue, Beethoven a noté : « Venu du cœur, puisse-t-il retourner au cœur ! » Mais le morceau est tout sauf sentimental ou passionné : c’est plutôt, dans le silence du cœur humain, un message concentré vers le cœur de Dieu. Après une introduction instrumentale très fondue et plutôt sereine, l’ensemble choral entonne son invocation crépusculaire : c’est très harmonique et humble, comme sous la lueur de sombres vitraux. Au Christe eleison, central, en si mineur, les voix s’animent légèrement, avec la supplication des solistes que la foule chorale semble suivre avec angoisse : aie pitié ! Le Gloria est l’un des plus éruptifs de l’histoire de la messe. Pour dire : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux », là où la plupart des compositeurs se réjouissent et souvent se détendent, Beethoven instaure une trame serrée et presque belliqueuse. C’est à partir de ce moment, également, que les contrastes entre les mots, les différentes phrases, se montrent très soulignés, illustratifs. D’une manière générale, aux chœurs reviennent les sections principales, énergiques, dans une écriture quasi-instrumentale ; au groupe des solistes incombent en revanche des intermèdes tendres et suppliants. Après une très courte introduction, le Gloria est lancé, en imitations chorales, sur un motif qui monte en flèche. Hommage est rendu au Seigneur avec une vivacité plutôt lapidaire ; lorsqu’il est question de ce Seigneur tout-puissant, nous entrevoyons un Dieu assez redoutable, un peu comme celui que concevra Bruckner plus tard : très absolu est ce Christ juge, assis à la droite du Père et à qui rien n’échappe. Comme on pouvait s’y attendre, une fugue se déclenche, symbole de l’ordre cosmique en mouvement : sur un long sujet, elle est très développée dans la manière baroque et s’achève sur un roulement continu de timbale d’un grand effet, dont Brahms s’inspirera probablement pour son Requiem allemand. Enfin la péroraison, soudain dansante, dionysiaque, se met à carillonner à trois temps, dans un style joyeusement furieux qui rejoint la future Neuvième Symphonie. À côté de son Credo, Beethoven a indiqué : « Dieu au-dessus de tout. Dieu ne m’a jamais abandonné. » Le Credo – qui, avec le Gloria, comporte le texte le plus long de la messe – suit, dans le cas présent, les paroles de plus près que jamais. Il commence par affirmer la foi de façon très solide, en si bémol majeur, en clouant un motif de quatre notes qui apparaîtra trois fois dans le mouvement. Toute une première partie décline les articles de croyance sur divers dessins brefs et assurés ; les sopranos doivent tenir avec robustesse leurs aigus. Puis, quand Dieu descend parmi les hommes, « Et incarnatus est », sa divinité revêt une tendresse extrême : cette deuxième partie, chantée par les solistes sur un thème un peu grégorien, est survolée par le gazouillis d’une flûte – symbole du Saint-Esprit ? Avec l’agonie du « Crucifixus », en sol mineur, apparaissent des dissonances cruelles, et une berceuse funèbre, presque indistincte, accompagne la mise au tombeau : « et sepultus est ». Que la résurrection fasse l’objet d’une soudaine sonnerie, et que les trombones annoncent le jugement des vivants et des morts, rien d’étonnant, mais Beethoven va insister, dans une considérable dernière partie, sur le tout dernier vers, « et vitam venturi sæculi » – « et la vie du monde à venir » –, auquel il consacre pas moins de 176 mesures, en 4 SAMEDI 17 SEPTEMBRE une fugue qui serait, paraît-il, la plus longue fugue vocale jamais écrite.
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