Plantes aromatiques et médicinales Sélection de lignées d’Artemisia absinthium L. adaptées à la fabrication d’une absinthe typée Annabelle BERTHET1, Ambra MARCOLLI1, Benoit BACH2, Pierrick REBENAQUE2 et Nicolas DELABAYS1 1 Institut Terre Nature Environnement (inTNE), HEPIA, HES-SO/Genève, 1254 Jussy, Suisse 2 Haute école de viticulture et œnologie, Changins, 1260 Nyon, Suisse Renseignements: Annabelle Berthet, tél. +41 22 546 68 47, e-mail: [email protected], www.hesge.ch/hepia Champ de grande absinthe, Artemisia absinthium, au Mont-de-Travers (NE). Introduction fabrication et la commercialisation de l’absinthe, mais uniquement pour un usage personnel. La tradition La grande absinthe, Artemisia absinthium L., espèce clandestine ainsi que la forte variabilité de la composi- de la famille des Astéracées, est une herbacée vivace tion chimique des plantes produites au Val-de-Travers originaire du bassin méditerranéen (Lamarti et al. poussent de nombreuses distilleries à utiliser des 1996). En Suisse, elle pousse principalement dans les plantes importées. Pourtant, des caractéristiques sen- Alpes et au sud du pays. Espèce médicinale (Anonyme sorielles spécifiques – bien qu’encore peu décrites – 2017), elle est utilisée depuis deux siècles, en associa- sont recherchées chez A. absinthium, principalement tion avec d’autres plantes, pour l’élaboration du spiri- l’amertume et des arômes typiques. La sélection de tueux nommé «absinthe», originaire du Val-de-Travers plantes avec un profil chimique assurant ces qualités (NE). Sa distillation fut interdite entre 1908 et 2005 à organoleptiques, mais présentant parallèlement un cause de la présence de thuyone, une molécule jugée taux de thuyone réduit et stable, est un enjeu impor- à l’époque responsable de crises de folie meurtrières tant en vue de la production d’une absinthe typique, (Luauté et al. 2005). Aujourd’hui, la boisson est à nou- distincte des anisés classiques. veau autorisée, mais sa teneur en thuyone ne doit pas Comme la plupart des plantes produisant des huiles dépasser 35 mg/l. essentielles, les populations d’A. absinthium déve- La culture de la grande absinthe a recommencé loppent des chémotypes variables, notamment en fonc- dans notre pays depuis une quinzaine d’années; cepen- tion de leur origine géographique (Chialva et al. 1983). dant, les souches locales ne sont plus cultivées pour la Une étude récente (Nguyen et al. 2018) confirme qu’il 32 Revue suisse Viticulture, Arboriculture, Horticulture | Vol. 53 (1): 32–40, 2021 Sélection de lignées d’Artemisia absinthium L. adaptées à la fabrication d’une absinthe typée | Plantes aromatiques et médicinales La grande absinthe (Artemisia absinthium) existe effectivement de nombreux chémotypes d’A. ab- est la plante emblématique entrant dans sinthium L. différents, mais que, pour la plupart d’entre la composition de l’absinthe, une boisson eux, il est encore difficile d’expliquer leur relation avec alcoolisée traditionnelle produite leur origine géographique et écologique. En 2013, Bai- Résumé dans le Val-de-Travers (NE). Depuis la levée len (2013) a montré que la plupart des plantes de de l’interdiction de ce spiritueux grande absinthe cultivées dans des conditions contrô- il y a une quinzaine d’années, sa culture lées ont exprimé un profil chimique plus simple, com- a progressivement repris dans notre pays. prenant moins de composés que celui des plantes culti- Aujourd’hui, les producteurs locaux vées en plein champ. recherchent des plantes offrant De fait, les parts génétique et environnementale des caractéristiques sensorielles spécifiques, qui déterminent les spécificités chimiques de l’ab- présentant parallèlement, pour des raisons sinthe, et leurs interactions éventuelles, ne sont pas légales, un taux de thuyone réduit et stable. encore clairement définies à ce jour. Dans le cadre de A cette fin, plusieurs lignées d’A. absinthium la sélection d’un écotype pour la distillation, il est né- ont été cultivées en parallèle et comparées. cessaire de comprendre les facteurs gouvernant son Les lignées étudiées ont présenté profil chimique, ce dernier influençant directement ses d’importantes variations phénologiques, qualités organoleptiques. Parallèlement, il est égale- morphologiques, phytochimiques et ment nécessaire de comprendre encore plus spécifique- organoleptiques. En particulier, des teneurs ment les facteurs influençant la production de thuyone, variables en thuyone ont été observées sa concentration étant l’un des principaux éléments entre les accessions et des liens entre limitant pour la commercialisation de l’absinthe. ces teneurs et les caractéristiques organolep- Pour une espèce comme A. absinthium, un tel pro- tiques des diverses plantes ont été mis gramme de sélection ne peut s’inscrire que dans un en évidence. L’espèce offre une diversité processus plus large de domestication de l’espèce génétique intéressante, à même de justifier (Delabays 1992). Aujourd’hui, des observations pré- un programme d’amélioration en vue cises sont encore nécessaires sur sa biologie, son écolo- de la création de lignées adaptées gie, et plus généralement sur la variabilité qu’offrent à la production d’absinthe. les populations naturelles et les quelques variétés culti- vées. La présente étude porte sur la mise en culture et la comparaison de plusieurs lignées d’A. absinthium; sions d’A. absinthium L., d’origines diverses (tab. 1), ont elle vise à la description et la sélection d’écotypes été cultivées sur deux parcelles expérimentales. adaptés aux conditions pédoclimatiques du Val-de- Dans la première parcelle (parcelle 1) ont été plan- Travers et intéressants pour la distillation. Plus globale- tées cinq accessions provenant de marchands grainiers ment, elle s’inscrit dans une démarche de conservation ou de jardins botaniques: Jelitto, Graine de vie (abrégée d’un patrimoine agricole et culturel. Gdv), Germinance, Agrosemens et Valais. Dans cette étude, dix accessions d’A. absinthium Concernant l’accession Valais, un lot de plantes ont été cultivées dans les mêmes conditions pédoclima- fleuries, récolté en 2013 et fourni par un producteur, tiques et comparées sur les plans phénologique, mor- a été utilisé pour les analyses chimiques. Les plantes de phologique et chimique, ceci dans le but de déterminer la parcelle d’étude n’ayant pas fleuri, nous avons inté- la part de ces variations attribuables à une composante gré ce lot avec l’hypothèse que la thuyone et les com- génétique. posés chimiques en général présentent des concentra- tions très différentes entre les stades végétatif et gé- Des essais nératif. Aussi, il nous a paru préférable d’utiliser un de comparaison d’accessions échantillon plus vieux, mais en fleurs, plutôt qu’un échantillon plus frais, mais prélevé au stade végétatif. Matériel et méthode Dans la deuxième parcelle (parcelle 2), avec un ca- lendrier de culture différent (cf. paragraphe suivant), Parcelle d’étude et matériel végétal ce sont trois autres lots de graines, provenant de la ré- La parcelle se trouve sur la commune de Boveresse (Val- gion du Val-de-Travers, qui ont été comparés: Poutres, de-Travers/NE). Sise à 739 m d’altitude, elle ne présente Sauvage et Boveresse. Ces lignées ont été collectées pas de dénivelé, ni d’ombrage particulier. Neuf acces- dans des jardins, en nature ou encore dans un ancien Revue suisse Viticulture, Arboriculture, Horticulture | Vol. 53 (1): 32–40, 2021 33 Plantes aromatiques et médicinales | Sélection de lignées d’Artemisia absinthium L. adaptées à la fabrication d’une absinthe typée séchoir (tab. 1) et présentent l’intérêt d’être potentiel- d’eau ou de produit phytosanitaire. Seul un désher- lement bien adaptées aux conditions pédoclimatiques bage manuel a été réalisé un mois après la plantation. de cette région. Parcelle 2 Dispositif expérimental et itinéraire de culture La deuxième parcelle (parcelle 2) a été mise en place Parcelle 1 par le producteur en 2018. Elle est située sur le même Les cinq accessions ne provenant pas du Val-de-Travers site, et jouxte directement la parcelle 1 décrite précé- (tab. 1) ont été semées en chambre climatique entre demment. Il s’agit d’un essai en bande sans répétition. le 7 et le 15 novembre 2017, puis les plants ont été pro- Chaque accession est semée sur une surface d’environ gressivement acclimatés (tab. 2) pour être plantés le 4 m2 et désherbée une fois à la main. Il n’y a pas eu 11 mai 2018 sur la parcelle d’essai, à une densité de d’autre intervention sur la culture avant la récolte des plantation de 6,25 plants/m2 (40 x 40 cm). La parcelle 1 échantillons, effectuée en septembre 2018 en vue des est subdivisée en deux parties: la première (parcelle analyses chimiques. Ces accessions ayant été plantées 1a) a été dévolue aux observations phénologiques et au printemps 2018 sans subir de vernalisation, elles morphologiques, la seconde (parcelle 1b) a été dédiée n’ont pas fleuri dans le cadre de ce travail et n’ont donc aux mesures des taux de thuyone et aux analyses sen- pas été intégrées à l’étude de la phénologie et de la sorielles. morphologie. Le matériel végétal analysé pour les ac- La parcelle 1a est un dispositif totalement rando- cessions Boveresse, Poutres et Sauvage est composé misé à cinq répétitions, chaque parcelle élémentaire uniquement de feuilles. étant composée de quatre plantes alignées sur un rang. Il en est de même pour la parcelle 1b, mais chaque par- Accessions supplémentaires celle élémentaire est ici composée de cinq plantes. A la Deux accessions supplémentaires ont été ajoutées aux plantation, un apport de compost de 0,2 m3/are a été analyses chimiques au cours de l’étude (tab. 1). La pre- effectué, ainsi qu’un arrosage abondant. Durant le reste mière est l’accession Grisons, du semencier UFA, qui de la culture, il n’y a eu aucun autre apport de fumure, était initialement prévue dans le plan expérimental mais qui n’a pas germé. La deuxième est l’accession Pontarlier, qui provient d’un lot de semences prélevé Tableau 1 | Liste des dix accessions d’Artemisia absinthium L.
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