Adolphe Adam, porte-parole de «l’école française» de l’opéra-comique. Inventaire et étude synthétique de ses critiques musicales (1833-1856) Matthieu Cailliez (Université Grenoble Alpes) [email protected] La plupart des articles biographiques consacrés au compositeur Adolphe Adam (1803-1856) notent que l’auteur des opéras-comiques Le Chalet et Le Postillon de Lonjumeau, et du ballet Giselle, fils de Jean-Louis Adam (1758-1848), professeur de piano au Conservatoire de Paris pendant quarante-six ans, se dédie à la critique musicale à partir de 1848, après avoir perdu sa fortune dans la tentative avortée d’instaurer un nouveau théâtre lyrique à Paris, l’Opéra-National. Cette affirmation mérite d’être relativisée. S’il est vrai qu’Adam collabore activement entre 1848 et 1856 avec deux quotidiens politiques, Le Constitutionnel, puis L’Assemblée Nationale, essentiellement pour des raisons d’ordre économique et suite aux encouragements de l’ancien directeur de l’Opéra de Paris, Louis-Désiré Véron, le compositeur est loin d’être un novice en matière de critique musicale. Adam fait notamment partie de la liste officielle des rédacteurs de la Revue et Gazette musicale de Paris et du Ménestrel dans les années 1830, puis de La France musicale dans les années 1840. Notre inventaire inédit des critiques musicales d’Adam, présenté en ligne1, nous a permis de relever plus de trois cent cinquante articles signés de son nom, publiés dans une quinzaine de journaux ou périodiques parisiens entre 1833 et 1856. Les sujets musicaux abordés par le compositeur sont très variés et sont bien loin de se limiter à la vingtaine d’articles, essentiellement d’ordre biographique, réunis dans les deux recueils posthumes intitulés Souvenirs d’un musicien et Derniers souvenirs d’un musicien, publiés respectivement en 1857 et 1859. 1. CAILLIEZ, Matthieu. ‘Inventaire des critiques musicales d’Adolphe Adam. Classement chronologique par journal ou périodique musical’, pp. 1-66. Publication en ligne: <https:// www.luigiboccherini.org/wp-content/uploads/2020/10/Inventaire-des-critiques-musicales- dAdolphe-Adam.pdf>. Journal of Music Criticism, Volume 3 (2019), pp. 34-108 © Centro Studi Opera Omnia Luigi Boccherini. All rights reserved.. Matthieu Cailliez Dans une première partie, nous rappellerons l’importance historique d’Adam en tant que compositeur, à travers une synthèse de ses œuvres musicales et de leur diffusion. Nous étudierons ensuite les raisons qui poussèrent le compositeur à se consacrer de manière professionnelle à la critique musicale à partir de 1848, ainsi que la réception de cette activité par le biais des articles nécrologiques parus aux mois de mai et juin 1856 dans la presse française, allemande, autrichienne, italienne, espagnole, belge, néerlandaise, suédoise, anglaise et américaine. Puis nous présenterons de manière détaillée notre synthèse des critiques musicales d’Adam. Nous étudierons dans une quatrième partie sa «bienveillance» à l’égard des autres compositeurs et son penchant peu discret à l’autopromotion. Enfin, nous conclurons sur l’importance historique et esthétique des critiques musicales d’Adam, porte-parole de l’«école française» de l’opéra-comique, en le comparant avec Castil-Blaze et Hector Berlioz. SYNTHÈSE DES œUVRES MUSICALES D’ADAM ET DE LEUR DIFFUSION La bibliographie consacrée à Adolphe Adam est relativement pauvre et lacunaire, comme l’indique William E. Studwell en 1987 dans son «Guide pour la recherche»2. Selon le musicologue américain, la seule biographie digne de ce nom est celle d’Arthur Pougin et date de 1877. William E. Studwell résume en quelques phrases la vaste production musicale d’Adam: In total Adam, who was a facile composer and a hard worker, produced 71 operatic works, 15 ballets, 6 cantatas, 11 pieces of religious music (including the very famous 1847 carol Cantique de Noël), at least 65 songs/minor vocal pieces, about 200 light piano works, at least 7 works for harmonium, 9 rearrangements/ reorchestrations of the theatrical works of others, 5 secular choral works, plus a few other works, all in a time span of thirty-two years. Of these, only several operas, several ballets and Cantique de Noël are given much attention in the late twentieth century3. 2. STUDWELL 1987, p. 101: «RESEARCH LACUNAE / There are several areas associated with the life and works of Adam which definitely need further research and publication. First, the only full biography of Adam was published in 1877. Another full biography is much overdue. In addition there has been no full biography in English. Second, there is no literature which comprehensively and in detail treats either Adam’s ballets as a group or his operas as a group. Third, an open-minded comprehensive analysis of his music is needed». 3. Ibidem, p. 6: «Au total, Adam, qui était un compositeur prolixe et disposait d’une grande force de travail, produisit 71 ouvrages lyriques, 15 ballets, 6 cantates, 11 pièces de musique 36 Adolphe Adam, porte-parole de «l’école française» de l’opéra-comique Les ouvrages lyriques, créés le plus souvent au Théâtre de l’Opéra- Comique, et les ballets, créés le plus souvent à l’Opéra de Paris, occupent ainsi l’essentiel du répertoire musical d’Adam. Si la majorité des ouvrages d’Adam furent créés à Paris, quelques œuvres le furent également à l’étranger en présence du compositeur, en particulier à Berlin, Londres et Saint-Pétersbourg. D’après la liste des «Œuvres d’Adolphe Adam» établie par la musicologue France-Yvonne Bril4, le compositeur compte soixante-douze ouvrages lyriques, répartis entre «opéras et opéras-comiques», et créés entre 1824 et 1856 à l’Opéra-Comique (26), au Théâtre des Nouveautés (15), au Gymnase-Dramatique (8), au Théâtre- Lyrique (7), au Théâtre du Vaudeville (7), à l’Opéra de Paris (3), à l’Opéra-National (2), à Covent Garden (2), au Théâtre des Bouffes-Parisiens (1) et à l’Opéra de Berlin (1). À ces nombreux ouvrages lyriques s’ajoutent treize ballets créés entre 1830 et 1856 à l’Opéra de Paris (9), à Londres (2), à Saint-Pétersbourg (1) et au Théâtre des Nouveautés (1). Si le ballet romantique Giselle connaît un succès triomphal dès sa création à l’Opéra de Paris en 1841, est rapidement repris dans toute l’Europe et aux États-Unis, bénéficie jusqu’à aujourd’hui d’une notoriété incontestable, durable et universelle, et continue d’être régulièrement représenté sur de nombreuses scènes nationales et internationales5, les opéras-comiques d’Adam, très populaires religieuse (incluant le très célèbre Cantique de Noël composé en 1847), au moins 65 mélodies, romances ou pièces vocales mineures, environ 200 œuvres faciles pour piano, au moins 7 œuvres pour harmonium, 9 réarrangements ou réorchestrations d’ouvrages lyriques d’autres compositeurs, 5 œuvres chorales de musique profane, ainsi que quelques autres œuvres, tout ceci dans une période de 32 ans. De toute cette production, seuls quelques opéras, quelques ballets et le Cantique de Noël sont encore représentés à la fin duXX e siècle». Notre traduction. 4. BRIL 2003, pp. 12-15. Voir: VÉRON 1857, pp. 144-145; MANFERRARI 1954; D’AMICO 1975; CASINI 1985; WIRTH 1986; FORBES 1992; GOODWIN 1993; GÄNZL 1994; FORBES 2001; SCHNEIDER 1999; SERRANO 1875: «Dotado de una extraordinaria actividad, compuso infinidad de libretos para zarzuelas, operetas y várias marchas militares, fúnebres, etc.». 5. Pour la seule saison 2017-2018, signalons entre autres des productions de Giselle à New York (Metropolitan Opera), La Nouvelle-Orléans (Orpheum Theater), Louisville (Brown Theatre), San Diego (Spreckels Theater), La Havane (Gran Teatro), Singapour (Esplanade Theatre), Londres (Royal Opera House), Naples (Teatro di San Carlo), Vienne (Staatsoper), Berlin (Staatsoper), Moscou (Bolchoï), Saint-Pétersbourg (Théâtre Michel), Kiev (Opéra), Sofia (Opéra), Constanţa (Opéra), Cluj-Napoca (Opera Naţională Română), Maribor (Slovene National Theatre), Helsinki (Finnish National Opera), Tallinn (Estonian National Opera), Riga (Latvian National Opera) et Toulouse (Capitole), outre la tournée du Ballet de l’Opéra National de Kiev à Torrelavega (Teatro Municipal Concha Espina), Chauvigny (Théâtre Charles-Trenet), Sanary-sur-Mer (Théâtre Galli), Menton (Palais de l’Europe), Voiron (Le Grand Angle), Clichy- sous-Bois (Espace 93-Victor Hugo), Saint-Marcel (Centre culturel Guy Gambu), Plougonvelin 37 Matthieu Cailliez en France et en Europe au XIXe siècle, sont tombés peu à peu dans l’oubli. Leur importance historique ne saurait cependant être remise en question. Les deux opéras-comiques les plus célèbres d’Adam, Le Chalet et Le Postillon de Lonjumeau, furent à eux deux représentés plus de 1.850 fois sur la seule scène du théâtre de l’Opéra-Comique en l’espace de soixante ans, selon les statistiques compilées en 1894 par l’historien du théâtre et de la musique Albert Soubies. Véritables piliers du répertoire de cette institution lyrique, ils représentent deux des opéras- comiques les plus populaires à Paris au XIXe siècle, parmi ceux créés sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Créé en 1834, Le Chalet d’Adam est ainsi, après La Dame blanche de Boïeldieu et Le Pré aux clercs d’Hérold, le troisième ouvrage le plus représenté à l’Opéra-Comique avant 1900. TABLEAU N° 1: LES PLUS GRANDS SUCCÈS À L’OPÉRA-COMIQUE AU XIXE SIÈCLE PARMI LES OUVRAGES CRÉÉS SOUS LA RESTAURATION ET LA MONARCHIE DE JUILLET6 Titre de l’opéra-comique Année de création Nombre de représentations (1825-1848) (1825-1893) Boïeldieu La Dame blanche 1825 1562 Hérold Le Pré aux clercs 1832 1521 Adam Le Chalet 1834 1293 Auber
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