Histoire et politique un parcours de recherche et d’enseignement entre la France et l’Italie Leonardo Casalino To cite this version: Leonardo Casalino. Histoire et politique un parcours de recherche et d’enseignement entre la France et l’Italie. Histoire. Université Grenoble 3, 2013. tel-01977889 HAL Id: tel-01977889 https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01977889 Submitted on 11 Jan 2019 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Université Grenoble 3 Dossier de candidature pour l’obtention du Diplôme d’Habilitation à diriger des Recherches. « HISTOIRE ET POLITIQUE » Tome 1. Mémoire de Synthèse : un parcours de recherche et d’enseignement entre la France et l’Italie. Leonardo Casalino 1 Soutenance le 5 Novembre 2013 Université Grenoble 3 Jury: Mme Anne Matard-Bonucci (Paris 8); Mme Silvia Contarini (Paris 10) ; M.Christian Del Vento ( Paris 3- Tuteur de l’HDR) ; M.Enzo Neppi (Grenoble 3); M.Gian Giacomo Migone (Università degli Studi di Torino); M.Jean-Claude Zancarini (ENS Lyon -Président de Jury). 2 Introduction Ayant effectué ma formation dans une culture peu encline à la réflexion méthodologique, je vois dans ce travail de synthèse l’occasion de dresser un premier bilan de mon parcours scientifique. Je vais en reconstruire les différentes étapes en m’efforçant de réfléchir tant aux éléments de continuité qu’aux ruptures qui l’ont caractérisé. Le fil conducteur le plus évident est sans aucun doute l’influence que le thème du rapport entre politique et culture a eu sur mes choix. Issu d’une famille d’enseignants et d’artistes, les études et l’engagement civique ont toujours été au centre de ma sphère familiale et de mon environnement. Je suis né d’une mère enseignante de collège et d’un père réalisateur de radio et de télévision, ainsi que musicien. Tous deux appartenaient à cette génération née dans les années 1930, qui, grâce à l’éducation scolaire, avait atteint un niveau de vie et une position sociale supérieurs à ceux de leurs parents, encore liés au monde rural. « Trop âgés » pour participer au mouvement contestataire de la jeunesse à la fin des années 1960, ils avaient vécu la période des mouvements collectifs en soutenant les réformes qui avaient modernisé l’Italie au cours des années 1970 (le divorce, la réforme du système de santé, le droit à la formation pour les travailleurs – « le 150 ore » –, le nouveau droit de la famille, le « Statut des travailleurs »), sans pour autant cautionner les extrémismes et la naïveté propres à toute période de grandes espérances. Plus que pour les événements de 1968, ils se sont 3 passionnés pour l’autunno caldo, la lutte pour les droits sociaux et le militantisme dans le syndicat turinois. Droits et égalité, sérieux dans le travail et dans les études comme moyen de progression sociale, refus de la violence : tel étaient les principes qu’ils cherchaient à me transmettre durant les sombres années du terrorisme, qui n’étaient pas encore terminées lorsqu’en 1979 je m’inscrivis au Lycée Classique Massimo D’Azeglio de Turin. Si les Brigades rouges avaient subi leurs premiers revers, ce fut bien à Turin que s’écrivirent quelques-unes des pages les plus atroces de la folie meurtrière de Prima Linea. Dans les cortèges, on respirait encore un air de tension malsaine lorsque ma génération devait connaitre un baptême politique encore plus éprouvant : entre 1979 et la première moitié de 1980 se préparaient en effet les « 35 jours de FIAT ». Naturellement, sur le moment, je ne parvins pas à tout saisir. Mais je défilai avec les étudiants en signe de protestation contre les licenciements. Je participai aux assemblées devant les usines et, sans avoir ni l’intuition ni le courage d’aller leur parler, je vis les « autres », c’est-à-dire les ouvriers qui se trouvaient de l’autre côté des grands boulevards de la périphérie turinoise, autour de Mirafiori, dans l’attente d’un réouverture des portes, signe d’une division que la direction de la FIAT exploita à la perfection. Au lycée d’Azeglio nous écrivîmes et votâmes la motion qui convoquait la manifestation nationale d’étudiants et d’ouvriers que Giorgio Benvenuto, à l’époque secrétaire de l’UIL, conclut par ce cri : « O molla la Fiat o la FIAT molla ». Deux jours plus tard, il y eut la marche dite des « 4 quarante mille », et, la nuit même, un accord fut signé. J’assistai à une assemblée au cours de laquelle Bruno Trentin – dont je parlerai dans les textes que je présente pour mon HDR – expliqua que l’accord contenait certains aspects positifs, mais que d’un point de vue politique il s’agissait d’une défaite du mouvement des syndicats et des travailleurs. Une fois sorti de cette assemblée je me rendis au siège du PDUP Manifesto de Turin avec Luca Rastello – un camarade de lycée aujourd’hui écrivain et journaliste – pour rédiger un tract. Nous voulions l’intituler « à partir d’aujourd’hui nous sommes tous moins libres », mais c’était trop long et nous nous contentâmes de « nous sommes tous moins libres ». Indéniablement, le fait de s’être construits à l’intérieur de cette faille, durant ce passage historique, a considérablement marqué ma génération. Au lycée d’Azeglio, je trouvai en la personne de Giampiero Bordino, un extraordinaire professeur d’histoire et de philosophie qui m’aida beaucoup à ne pas me laisser écraser par l’événement et qui me fit comprendre, par l’exemple, ce que signifie cultiver et pratiquer une grande passion didactique. Tout aussi décisive fut, à l’Université, ma rencontre avec Giuseppe Ricuperati. Mon parcours universitaire a été assez discontinu : au bout de deux années, je décidai de commencer à travailler et n’assistai ainsi qu’à certains cours. Ricuperati, avec beaucoup de patience, parvint à me maintenir à l’Université en me proposant, à la fin de la deuxième année, un sujet passionnant pour mon mémoire de second cycle, que je terminai avant même d’avoir passé tous les examens universitaires. 5 En effet Giuseppe Ricuperati (qui avait succédé dans l’enseignement de « la Storia Moderna » à son maître, Franco Venturi), me suggéra de réfléchir à la possibilité de m’occuper d’un discipline qui lui était chère et à laquelle il consacrait plusieurs séminaires universitaires : l’histoire de l’historiographie. Il s’agissait de s’interroger sur les raisons qui poussent les historiens à choisir un sujet de recherche à une période déterminée de l’histoire. Autrement dit, comment la recherche historiographique peut être influencée par les exigences du présent. Ricuperati me connaissait bien et savait que, pour moi, l’étude de l’histoire avait toujours été liée à une forte passion politique et un engagement constant dans la vie politique et universitaire. L’année 1989 avait été traversée par de grands changements : la chute du Mur de Berlin, la dissolution et la transformation du Parti Communiste Italien, le début de la crise du système politique en Italie. Il fallait réfléchir sur quelles bases politiques et culturelles construire l’avenir. Ricuperati me dit qu’il serait intéressant d’étudier les raisons qui avaient poussé de nombreux antifascistes italiens, en réaction au fascisme, à étudier les événements du XVIIIe siècle en Italie et en Europe. Ils avaient cherché dans la pensée des Réformes et des Lumières de ce siècle les idées et les projets démocratiques qu’il fallait utiliser pour construire un nouvel État démocratique, une fois que l’on serait parvenu à vaincre le régime fasciste. Ma thèse de second cycle eut donc pour titre Piero Gobetti, Luigi Salvatorelli, 6 Franco Venturi: un percorso possibile nella storiografia dell’Illuminismo, et fut consacrée à trois antifascistes, issus de trois générations différentes, qui s’étaient révoltés contre la tentative du fascisme de se présenter comme l’héritier des meilleures pages de l’histoire italienne. Pour Gobetti, Salvatorelli et Venturi, il fallait réévaluer le XVIIIe siècle italien, tout comme la pensée de réformateurs tels que Pietro Giannone, les frères Vasco, Pietro Verri et Cesare Beccaria, en les opposant à la culture nationaliste et raciste du régime mussolinien. En appendice à ma thèse, je publiai trois interviews. La première, avec l’un des « héros » de mon travail : le professeur Venturi, l’un des plus grands historiens européens du siècle dernier, qui avait été jeune militant antifasciste en exil dans les années 1930, puis chef de la Résistance dans le Piémont entre 1943 et 1945. Quant aux deux autres interviews, elles étaient consacrées à deux représentants de premier plan de la culture laïque et illuminista italienne, les professeurs Norberto Bobbio et Alessandro Galante Garrone. Franco Venturi mourut peu de temps après, et ce fut le professeur Galante Garrone qui me convainquit d’étudier l’expérience politique de sa jeunesse en France et au cours de ses années de Résistance. J’acceptai volontiers ce conseil lorsque, entre 1996 et 1999, j’obtins par concours une bourse d’études pour mener à bien un Doctorat de Recherche, toujours à Turin, en Crisi e trasformazione della società contemporanea sous la direction des professeurs Nicola Tranfaglia et 7 Giovanni De Luna : le premier, biographe de Carlo Rosselli (le fondateur du mouvement Giustizia e Libertà où milita, très jeune, Franco Venturi) et le second, le meilleur spécialiste de l’histoire du Partito d’Azione (parti auquel Franco Venturi adhéra en 1943, et dont il fut dirigeant pendant la Résistance et jusqu’à sa dissolution en 1947).
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