1 Histoire de la guerre d'indépendance algérienne SYLVIE THÉNAULT À Kahina. Introduction (2012) Avec le XXIe siècle, la France et les Français ont découvert – redécouvert ? – leur histoire coloniale, ou, à tout le Moins, son épisode le plus Marquant par sa durée, son intensité et sa portée : la guerre d'Algérie. Et ce, dans un rapport placé sous le signe de la culpabilité ; en téMoigne le transfert, pour désigner cette guerre, des Métaphores nées de la dénonciation du régiMe de Vichy, « heures sombres », « pages noires » de l'histoire de la France conteMporaine. Le retour sur ce passé a débuté, en 2000-2001, avec la publication à la Une du Monde du téMoignage de Louisette Ighilahriz. Cette Militante de l'indépendance algérienne, qui fut torturée Mais sauvée par un Médecin dont elle connaît le nom, voulait retrouver pour lui dire, enfin, sa reconnaissance. Le débat a ensuite été ponctué par les regrets du général Massu, la reconnaissance de l'usage courant de la torture par le général Aussaresses et les déclarations du général Bigeard, évoquant cette pratique comMe « un Mal nécessaire » dans cette guerre1. Ont suivi quantité de livres, dont les retentissants MéMoires de Paul Aussaresses, des documentaires – notaMMent L'Ennemi intime, de Patrick RotMan, diffusé en prime time sur France 3 –, et MêMe des poursuites judiciaires pour « apologie de criMes de guerre » contre le général Aussaresses, à défaut de qualification juridique plus pertinente pour sanctionner des actes, au-delà des mots. La société a fait écho. Les Français ont été touchés par ce déferleMent de questions, d'accusations, de récits et d'iMages, bien au-delà des cercles directeMent concernés. Au-delà des Milieux Militaires et des officiers, dont les quatre cents généraux qui, en janvier 2002, finissent par signer un Manifeste pour justifier l'usage de la torture, placé en introduction d'un Livre blanc de l'armée française en Algérie2 ; au-delà, aussi, des Militants qu'honore leur combat de toujours contre la torture. Parmi eux figurent les douze signataires – dont les regrettés Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet – d'un appel deMandant une reconnaissance officielle de la torture pratiquée pendant la guerre, par une « déclaration publique » des plus hautes autorités de l'État. Lancé dans L'Humanité le 30 octobre 2000, cet appel des Douze a recueilli sept Mille signatures en deux Mois. Les journaux ont été inondés de lettres d'anciens soldats, les éditeurs ont reçu quantité de Manuscrits proposant des journaux tenus à l'époque ou des MéMoires rédigés a posteriori, et les historiens ont vu venir à eux des téMoins sortant de leur réserve, surpris, touchés que ce passé intéresse, et soucieux de trouver une oreille attentive pour – enfin – en parler, faire savoir. 1 Pour une analyse de la poléMique : TraMor QueMeneur, « La MéMoire Mise à la question : le débat sur les tortures dans la guerre d'Algérie, juin 2000-septeMbre 2001 », Regards sur l'actualité, n° 276, décembre 2001, p. 29-40. 2 Éditions ContreteMps, 2002. 2 ParallèleMent, les pouvoirs publics français ont répondu, par différents gestes symboliques, aux revendications qui les appelaient à reconnaître les souffrances des victiMes de la guerre. Parmi d'autres : le 25 septeMbre 2001, est décidée une journée d'homMage aux harkis ; le 17 octobre de la MêMe année, une plaque est posée sur le pont Saint-Michel en MéMoire des Algériens tués en 1961 ; le 5 déceMbre est choisi, en 2003, comMe « journée nationale d'homMage aux “Morts pour la France” pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie » – à défaut d'accord sur une date plus pertinente, celle du cessez-le- feu, le 19 Mars 1962, ayant été rejetée par des anciens combattants au Motif qu'elle n'avait pas vu cesser, loin s'en faut, les violences en terre d'Algérie. « Guerre d'Algérie », oui : le 18 octobre 1999, une loi introduit l'expression dans les textes officiels, alors que, pendant la guerre elle-MêMe, elle valait dénonciation du conflit et à ce titre était proscrite, MêMe si le langage courant l'avait déjà agréée. Le débat ne connut pas de pause. Les tenants de la « nostalgérie », pour reprendre ce terme forgé pour désigner la « nostalgie » de l'Algérie française, ont organisé leur revanche3. En 2005, c'est l'article 4 de la loi du 23 février qui a fait poléMique. Selon cet article, les prograMMes scolaires devaient reconnaître « en particulier le rôle positif de la présence française outreMer, notaMMent en Afrique du nord ». Une « place éMinente » devait aussi être faite aux « combattants de l'armée française issus de ces territoires » – aux harkis, donc. Ces préconisations concernaient aussi la recherche universitaire. L'année 2005 a été celle de la bataille – victorieuse – pour le retrait de ce faMeux article 4, au nom de l'indépendance de l'enseigneMent et de la recherche. Or cet article résultait d'un aMendeMent parleMentaire, proposé par des élus que des associations avaient sensibilisés à l'idée qu'il fallait corriger l'iMage sombre de la France aux colonies, véhiculée par le débat des années 2000-2001. En cette MêMe année 2005, l'éMergence du MouveMent des Indigènes de la République a aussi placé le fait colonial au coeur du débat public français. Il s'agit en effet de proposer une nouvelle analyse des discriMinations conteMporaines, présentées comMe les stigmates du passé colonial dans la société française. Inscrit dans la longue durée et soucieux de s'abstraire de la deMande sociale, le teMps des historiens n'est pas celui du débat public. Les livres explorant l'histoire de la guerre d'Algérie, consacrés pour certains aux questions les plus épineuses – songeons aux livres de Pierre Vidal-Naquet sur la torture –, ne Manquent pas. À la suite de Charles-Robert Ageron, le plus éMinent spécialiste de l'histoire de l'Algérie, nombre d'historiens, fouillant des pans entiers de ce passé, ont travaillé, écrit, publié… sur l'Algérie et sur la guerre. Certes, dans les années 1960-1970 la guerre d'indépendance restait exclue des sujets de thèse ; Mais elle a intégré le chaMp des sujets de recherche légitiMés à l'université à partir des années 1980. Outre les travaux universitaires, l'iMportance des publications sur la guerre d'indépendance a permis à Gilles Manceron et Hassan ReMaoun d'en livrer un bilan reMarquable, en 1993 ; ils y déMontraient bien le passage de cette période « de la MéMoire à l'histoire »4. Le MouveMent s'est poursuivi, depuis, encouragé par l'ouverture des archives de l'armée de Terre. Pendant dix ans, de 1992 à 2002, en effet, le Service historique de l'armée de terre (SHAT)5 a opté 3 Voir RoMain Bertrand, Mémoires d'Empire. La controverse autour du « fait colonial », Broissieux, éd. du Croquant, coll. « Savoir agir », 2006. 4 Gilles Manceron et Hassan ReMaoun, D'une rive à l'autre. La guerre d'Algérie de la mémoire à l'histoire, Paris, Syros, 1993. 5 Aujourd'hui intégré au Service historique de la Défense (SHD), qui regroupe tous les services historiques des ArMées. 3 pour une politique d'ouverture de ses archives, avant de faire Machine arrière face à l'éMoi provoqué dans les Milieux Militaires par les poléMiques sur la torture. Pendant cette période, les documents de l'armée de Terre ont représenté une source privilégiée, que sont venus compléter, depuis, les documents des centres civils, rattachés aux Archives nationales de France, dont les Archives nationales d'outre-Mer (ANOM), à Aix-en-Provence. L'accélération de l'historiographie de cette guerre, ainsi que l'intérêt soudain qu'elle suscitait, justifie qu'en 2005, Raphaëlle Branche en propose une nouvelle analyse6 ; tandis que paraissait, en grand format, la preMière édition de cette Histoire de la guerre d'indépendance algérienne. LogiqueMent, avec l'ouverture des archives de l'armée, la connaissance des aspects pureMent Militaires du conflit a très largeMent progressé, tandis que l'iMplication du pouvoir politique et des autorités civiles restait en retrait7. Le Militaire était en passe de devenir, côté français, le protagoniste Majeur du conflit. En face, à la suite des travaux pionniers de MohaMMed Harbi, le FLN était exploré dans ses tréfonds les plus sombres par Gilbert Meynier, dans sa gigantesque somMe Histoire intérieure du FLN8. Les violences de la guerre civile algérienne ont en effet suscité un retour sur celles du passé, par une interrogation rétrospective : c'est en partie comMe sources lointaines de la violence conteMporaine que les violences de la guerre d'indépendance sont revisitées. Ces dernières parsèMent les analyses de Gilbert Meynier. Celles-ci donnent à voir un caMp algérien Miné par les rivalités, les conflits et les déchireMents, jusqu'à l'iMplosion de 1962 et la prise du pouvoir par la frange Militaire du mouveMent nationaliste, fondatrice du pouvoir actuel. Pourtant, l'histoire de cette guerre ne peut être réduite à l'affronteMent des deux forces principales en action, armée française et FLN, car leur confrontation directe n'explique pas l'issue de la guerre : c'est bien connu – et c'est MêMe une rengaine chez les Militaires qui n'ont pas digéré le règleMent du conflit –, la France a perdu alors que la domination Militaire sur l'enneMi était acquise. La tendance à l'écriture d'une histoire autour de ces deux pôles centraux Masque par ailleurs l'iMportance des tensions et divisions internes aux caMps français et algérien, fondaMentales pour comprendre le dérouleMent et le dénoueMent de ces huit années de conflit. Cette tendance Masque enfin la participation d'homMes venus à la guerre depuis d'autres horizons : ils en complexifient l'histoire en l'éclairant sous divers angles, en la déclinant de différents points de vue.
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