4 • Le Devoir, samedi 2 avril 1977 L’ancien et le nouveau. éditorial Les pierres crieront ! par JEAN MARTUCCI les pierres crieront”. Je peux bien leur de­ — “Maître, reprends tes disciples!” Ils mander d’être moins bruyants. Ils peuvent Le Livre blanc sur la langue sont en train de passer pour des marxistes et bien se fatiguer de manifester et d animer des communistes en dénonçant avec si peu des comités des citoyens. On peut bien les Depuis qu’il est question d’une nouvelle loi tion odieuse entre citoyens natifs du Québec de nuances les abus des grosses compagnies traire, le droit de la minorité anglophone à faire taire en leur prêchant la prudence et la une existence propre et à un réseau d’institu­ et citoyens originaires d’ailleurs, comme si et des grandes puissances. Ils jouent un jeu sur la langue, MM. René Lévesque et Camille résignation. A la limite, d’autres que moi dangereux, tu sais. Calme-les un peu. A les Laurin ont émis à maintes reprises le voeu que tions qui en étaient l’expression logique. tous, une fois acquise la citoyenneté pour les peuvent les retirer du circuit par la prison, entendre, les pauvres et les chômeurs ont le futur régime linguistique, loin d’être une Dans le domaine économique, le libéralisme nouveaux venus, ne devaient pas être rigou­ l’asile ou l’excommunication. Mais, du mi­ toujours raison, les vieillards sont tous des source de divisions acrimonieuses, soit l’ex­ de la majorité avait malheureusement donné reusement égaux devant la loi. C’est aussi li­ lieu des champs passés au napalm, des villes oubliés, les Amérindiens et les Inuit au­ miter tout a fait arbitrairement l’apparte­ pression d’un consensus très large et un fac­ lieu à une véritable domination de la minorité raient le droit plus que nous tous de rester pulvérisées par les armes nucléaires et des teur de rapprochement entre Québécois d’ori­ à laquelle il importait de mettre un terme. De nance à la minorité anglophone, au mépris des dans notre propre pays et la femme devrait chantiers de construction où tous les risques gines et de cultures diverses. même, dans le domaine scolaire, un problème réalités les plus évidentes. C’est enfin vouer être partout l’égale de l’homme. Il y a tout de sont bons, on entendra les ruines et le sang Or, s’il faut en croire les indications qui aigu avait surgi depuis le dernier conflit mon­ cette minorité à une extinction progressive, en même des limites! Vraiment, ils exagèrent, crier pour que viennent la paix, l’amour et la justice. Je peux bien leur dire qu il faudrait émanent du Livre blanc rendu public hier par donnant hypocritement l’air de s’intéresser à tes disciples. Qu’ils aillent au Temple pour dial au sujet de l’inscription massive des en­ procéder par étapes et ne changer les choses prier, daccord, mais dans la Vallée pour le ministre du Développement culturel, le fants d’immigrants dans les écoles anglaises. son sort. qu’avec patience et modération, mais les bri­ Il faut rattacher à une même inspiration ja­ crier, là, c’est un peu fort! Ils contredisent le Québec pourrait fort bien s’acheminer, avec le Dans la plupart des autres secteurs, par con­ ques de Harlem, les murs de Soweto, les bon sens en disant que Blancs et Noirs, c’est projet de loi qui s’en vient, vers des affronte­ tre, les institutions québécoises reflétaient fi­ lousement possessive et étroite deux autres cache-taudis du centre-ville et les portes tout pareil alors qu'on le sait bien: un Noir, ments encore plus graves que ceux qui mar­ dèlement la culture et l’esprit de la majorité dispositions du projet gouvernemental ayant qu’on ferme aux immigrants crieront à l’iné­ trait à la langue de l’administration publique c’est un Noir et il n’y a rien à faire. Ils refu­ quèrent l'adoption de la Loi 22. Le Livre blanc sans pour autant porter atteinte aux droits de sent l’évidence en disant que les Italiens, les galité des chances et des conditions. Je peux bien leur dire qu’ils sont un peu naïfs et n’est certes qu’une préface de caractère assez la minorité anglophone. et à l’affichage. _ _ , Grecs et les Haïtiens peuvent enrichir notre général. Avant de juger les intentions du gou­ On avait longtemps parlé d’égalité. C’était En permettant aux membres de la minorité société. C’est bien beau les grands principes. qu’ils devraient se méfier de leurs alliés et vernement, il faudra connaître le texte précis en fait de priorité du français, assortie d’une de s'adresser à l’administration publique en Et puis, attention! Ils sont de grands naïfs en même de ceux qu’ils aident, mais les murs des prisons et les fenêtres des hospices, bap­ du projet de loi lui-même. Cependant, les indi­ anglais et en leur faisant entrevoir qu’ils pour­ parlant de réhabilitation des detenus et en se reconnaissance libérale des droits de la mino­ tisés “maisons d’accueil”, continueront de cations fournies par le Livre blanc permettent ront recevoir une réponse dans leur langue, réjouissant de la suppression de la peine de rité, qu’il s’agissait. C’est ce que tente, fort crier de solitude. Mes disciples, voyez-vous, déjà de se faire une bonne idée de l'objectif du malhaoilement à certains égards, de confir­ les auteurs du Livre blanc commencent par of­ mort, quand tout le monde sait qu’il y a des criminels-nés, des êtres irrécupérables et disent tout haut ce que les choses crient tout gouvernement. Et par la conception de la so­ mer la Loi 22, laquelle fut hélas mal comprise frir un suçon aux anglophones. Mais c’est, dangereux qu’il faut absolument enfermer et bas! , ,, , , ciété québécoise qu’il véhicule et par les solu­ semble-t-il, pour mieux les préparer aux con­ de part et d’autre. même supprimer. Il faut vraiment que tu fas­ Ce jour-là, Jesus, comme un prince déshé­ traintes qui viendront ensuite. S’il n’en tient rité, entra à Jérusalem, monte sur un âne, tions qu’il propose, ce document contredit • ses quelque chose, Maître. Si tu ne fais pas malheureusement les vues de milliers de Qué­ qu’au Livre blanc, toutes les municipalités, pauvre parmi les pauvres. Ses disciples eu­ Or, avec le Livre blanc, on s’éloigne de cette attention, ils se laisseront avoir par des es­ rent l’imprudence de crier trop fort. Les pha­ bécois et aussi une longue tradition historique toutes les commissions scolaires devront en prits compromettants et des révolutionnaires perspective pour entrer dans un champ de vi­ risiens recommandèrent le calme pour éviter qui a été jusqu’à ce jour l’un des plus beaux ti­ effet, désormais, fonctionner uniquement en de mauvaise foi et ils vont t’entraîner dans le pire: "Maître, reprends tes disciples”. sion qui accentue beaucoup plus fortement la français, à l’image de l’État lui-même dont on de drôles d’histoires. Ne nous reproche pas tres de fierte du Québec. Mais il leur répondit: "Je vous le dis, s’ils prédominance de la langue majoritaire, qui nous rappelle qu’elles ne sont que des émana­ un jour de ne pas te l'avoir dit. • [ accentue même au point que les droits de la tions. Il est déjà choquant pour l’oreille de — “Et moi, je vous le dis: s’ils se taisent, se taisent, les pierres crieront”. Rejoignant en cela une conviction large­ minorité anglophone s’en trouvent gravement s’entendre dire que les corps locaux, qu’on ment répandue, les auteurs du Livre blanc rétrécis. croyait être l’expression première de la demo­ énoncent d’abord un postulat qui est l’une des “Si un milieu de vie est en cause, écrivent cratic vécue, ne sont que des émanations de grandes pierres d’assise du nationalisme les auteurs du Livre blanc, on doit reconnaître Dieu-le-Père qui siège à Québec. Il l’est non canadien-français et de sa version domi­ l’importance décisive, pour chaque société hu­ moins d’apprendre que, pour entrer dans le nante, le nationalisme québécois. Pour eux, le maine, d’une langue prédominante. Autant la grand jeu ae scoutisme culturel qu’on nous lettres au DEVOIR problème de la langue française au Québec ne pluralité des moyens d’expression est utile et propose, ces corps devront désormais fonc­ saurait se ramener au seul droit pour chaque féconde sur un même territoire, autant il est tionner uniquement en français, indépendam­ individu de s’exprimer dans cette langue nécessaire que, comme un préalable, un ré­ ment de la langue de leurs contribuables. “quand il s'adresse aux organismes gouver­ seau de signes communs rassemble les hom­ Dans la même veine, il faut citer les passa­ Sur un suicide nementaux, aux administrations scolaires, à sa mes”. ges relatifs à l’affichage. Celui-ci, pour faire femme ou à ses enfants”. Refusant de consi­ Ce langage est séduisant. S’il annonçait uni­ Le suicide! J’ai du respect pour bien sûr. S’il était mort, il ne en paix! Et je continue de dire: plaisir aux auteurs du Livre blanc, ne devrait Vive la vie; elle vaut la peine d’ê­ quement un train de mesures visant a ouvrir les morts et pour la mort; j’en ai pourrait se suicider. C’est surtout dérer la langue comme un simple “instrument plus à l’avenir se faire qu’en français.
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