Elle De Paul Verhoeven Une Histoire De La Violence Zoé Protat

Elle De Paul Verhoeven Une Histoire De La Violence Zoé Protat

Document généré le 2 oct. 2021 02:16 Ciné-Bulles Elle de Paul Verhoeven Une histoire de la violence Zoé Protat Volume 34, numéro 4, automne 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/83504ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Protat, Z. (2016). Elle de Paul Verhoeven : une histoire de la violence. Ciné-Bulles, 34(4), 4–9. Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ En couverture Elle de Paul Verhoeven Une histoire de la violence ZOÉ PROTAT 4 Volume 3433 numéro 43 Paul Verhoeven dirigeant Isabelle Huppert — Photos ci-dessus et de la page couverture : Guy Ferrandis Un chat. Un beau chartreux, le poil lustré, l’œil non- nationale a joliment surnommé « le hollandais vio- chalant. Des cris. De plaisir, de peur, de rage? Des lent ». Des épopées du passé aux odyssées du futur, coups. De la vaisselle renversée, une robe déchi- des horreurs de la guerre aux amours torturées, sa rée. Une femme jetée par terre, surplombée par une filmographie cultive en effet une odeur de soufre. figure sombre et masquée qui, rapidement, rajuste Pour le moins éclectique au premier abord, elle est son pantalon et quitte par la porte du jardin. Elle pourtant traversée de grands élans de cohérence. se relève, prend un bain, commande des sushis et Dans tous les cas, on y re- reçoit son fils à dîner. Sa joue tuméfiée? Soi-disant trouve une mise en scène une chute de vélo. Elle vient de se faire violer et sa d’une précision d’horloger, De la vaisselle renversée, une vie continue. une image ultra léchée, robe déchirée. Une femme beaucoup de brutalité, ain- Elle : voilà un film ueq l’on n’attendait pas, ou peut- si qu’un goût certain pour jetée par terre, surplombée être plus, et qui pourtant semble né sous une bonne l’esbroufe, le clinquant et les par une figure sombre et étoile. Paul Verhoeven n’avait rien tourné depuis choses plus grandes que na- 2012 et Tricked, une expérience interactive plus ture : les effets spéciaux, les masquée qui, rapidement, qu’un film, ce qui laissait malheureusement présa- armes, l’angoisse, la beau- rajuste son pantalon et quitte ger une fin de carrière pour le réalisateur de légen- té des femmes — et surtout de maintenant âgé de 78 ans. Mais l’histoire prouve leur force… Une force tita- par la porte du jardin. Elle se encore que les vieux rebelles ont plus d’un tour nesque permettant aux per- relève, prend un bain, dans leur sac! Assurément le plus célèbre nom du sonnages féminins de tra- cinéma hollandais des années 1970, un cinéma dis- verser guerres et humilia- commande des sushis et sipé, nerveux, plein d’énergie et d’éclat, Verhoeven tions ou, comme dans le cas reçoit son fils à dîner. Sa joue avait quitté sa patrie pour Hollywood. Il y avait tâté de Michèle, des expérien ces de grands budgets et de grands succès avant de se hautement traumatiques. tuméfiée? Soi-disant une faire désavouer par le même système qui l’avait por- Elle a subi un viol, elle ne chute de vélo. Elle vient de se té aux nues. Après un petit passage à vide, voilà l’évoquera qu’à peine, elle qu’il annonçait l’année dernière un nouveau projet n’ira pas voir la police. Elle faire violer et sa vie continue. 100 % français avec l’impériale Isabelle Huppert finira cependant par traquer dans le rôle principal. En compétition officielle au son bourreau, par le confronter et le détruire, et ce, Festival de Cannes, Elle a reçu un accueil dithyram- de la plus insolite des manières… Voilà servis sur un bique. plateau d’argent trois piliers essentiels du cinéma de Verhoeven : le sexe, la violence et la morale. Trois Le film est une adaptation de « Oh… », roman de variables qui agissent tour à tour en tant que fin ou Philippe Djian ayant obtenu succès et retentisse- en tant que moyen, avec des effets bien différents, ment à sa sortie en 2012. Écrit sans découpage au- mais toujours aussi perturbants. cun, façon flux de conscience, il relate le terrible mois de décembre de Michèle, la cinquantaine, à Pour le commun des mortels, surtout de ce côté- la tête d’une boîte de production avec sa meilleure ci de l’Atlantique, Verhoeven est d’abord le respon- amie Anna, flanquée d’un ex-mari à la ramasse et sable de grands succès hollywoodiens qui ne font d’un grand dadais de fils dont la fiancée est enceinte pas dans la dentelle : RoboCop (1987), Total Recall d’un autre. Elle a aussi une immense maison et un (1990) et Basic Instinct (1992). Ce serait pourtant voisin qu’elle juge de plus en plus attirant, Patrick. une terrible erreur de négliger sa période hollan- Et puis Michèle s’est fait violer par un inconnu qui, daise où il réalisa des œuvres variées et profondé- depuis, la harcèle périodiquement à coup de textos ment originales. De l’histoire d’amour sublime de et de mises en scène grotesques. En ce même mois Turkish Délices (1973) au « film d’aventures de de décembre, elle va également enterrer sa mère, Seconde Guerre mondiale » — un genre qu’il a qua- une adepte de chirurgie esthétique extrême et de siment inventé à lui tout seul — de Le Choix du jeunes étalons, et son père, un tueur en série der- destin (1977), en passant par la violence sociale de rière les barreaux depuis 40 ans. Spetters (1980) et l’angoisse perverse du Quatrième Homme (1983), il a donné au cinéma néerlan- Qui connaît l’œuvre de Paul Verhoeven compren- dais ses premiers succès et une véritable identité. dra aisément ce qui, dans ce récit atypique, som- Identité qu’il n’a jamais perdue même lorsque le bre et farfelu, a pu attirer celui que la presse inter- grand saut vers les États-Unis fut amorcé avec la Volume 34 numéro 4 5 En couverture Elle de Paul Verhoeven coproduction internationale tournée en anglais que téralement, une enfant de la violence. Son père, bon fut Flesh + Blood (1985). Vingt ans et bien des dé- catholique sans histoire, est parti un soir tuer de boires plus tard, le retour en Europe du cinéaste et sang-froid des dizaines d’enfants dans leurs lits; il la réussite de Black Book (2006) laissaient présa- est ensuite revenu mettre le feu à la maison. La pe- ger, avec raison, le meilleur. tite Michèle, à moitié nue et couverte de cendres, a été photographiée par les journalistes ce soir-là. Le sexe, la violence, la morale : revenons en arrière Aujourd’hui, la femme mature dirige d’une main de pour tenter de saisir l’origine du mal chez Verhoe- fer son entreprise de jeux vidéo spécialisée dans la ven. Le réalisateur tient à un réalisme sans com- fantasy agressive. Soucieuse que le gamer trouve promis, une spécialité hollandaise issue de la pein- dans ses créations ce qu’il est venu y chercher, elle ture de la Renaissance. Avec leurs créatures fantas- galvanise elle-même ses animateurs : « Il faut qu’il tiques et leurs envolées alchimiques, leurs visions sente le sang couler entre ses doigts, tiède et épais d’un monde corrompu par le mal mêlant allégo- si possible. » Michèle est victime de sa filiation de rie, satire et morale, les œuvres de Jérôme Bosch psychopathe. et de Pieter Brueghel l’Ancien sont des références incontournables. La fantaisie et l’outrance y sont Si Verhoeven s’avoue néophyte dans l’univers des couplées à un souci maladif du détail, caractéris- jeux vidéo, ces derniers se sont bien sûrement ins- tiques récurrentes des mises en scène cliniques de pirés de ses films américains. Aux États-Unis, le Verhoeven. Une autre piste se trouve certainement réalisateur a en effet cassé la baraque du box-offic e du côté de l’histoire. Le réalisateur est né en 1938. avec un autre genre, une autre violence : la science- Après une petite enfance à la campagne, il démé- fiction. Le premier de ses projets, la dystopie pur jus nage à La Haye à un jet de pierre du quartier gé- qu’est RoboCop, est certainement le plus intéres- néral nazi. Il y est témoin de scènes atroces qui le sant. Brutalement assassiné par une bande de crimi- marqueront à jamais. Comment digérer une telle nels, l’officier Alex Murphy est réanimé sous forme initiation à l’horreur humaine? de cyborg : il sera désormais « RoboCop », le policier indestructible, voué à nettoyer les rues de Detroit. La Seconde Guerre mondiale sera le décor de deux Terriblement graphique (le film a dû être remon- films, des récits de courage, de trahison, de courses- té 12 fois avant de pouvoir prétendre à la fameuse poursuites et de deuils. Le premier, Le Choix du cote R, acceptable pour la censure), cette satire est destin, suit sur un rythme incroyablement enle- visionnaire dans sa critique de l’Amérique triom- vé un groupe d’amis, issus de la haute bourgeoi- phante, du capitalisme, de l’embourgeoisement et sie, dont les destinées toutes tracées seront cham- de la toute-puissance des médias.

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