DÉPARTEMENT D’HISTOIRE Faculté des lettres et sciences humaines Université de Sherbrooke L’Égypte au temps de la révolution nassérienne : socialisme, neutralisme et panarabisme (1952-1956) Par MICKAËL LESSARD-QUINTAL Plan détaillé présenté à Patrick DRAMÉ Dans le cadre du cours HST 267 Histoire de l'Afrique contemporaine Sherbrooke 18 décembre 2012 1 Au XXe siècle, le monde colonial murissait des mutations qui devaient résulter en un mouvement généralisé de décolonisations. Déjà en 1922, l’Égypte accédait à une indépendance contrôlée, gagnée par l’action de Saad Zaghloul, dirigeant du parti nationaliste Wafd. Si l’on retient 1922 comme date d’accession égyptienne à l’indépendance, il est cependant nécessaire d’ajouter que celle-ci ne fut nullement pleine et entière puisque le gouvernement du pays, le roi notamment, restait soumis à l’autorité du haut-commissaire britannique. De plus, l’armée anglaise demeurait présente, conformément aux accords de coopération en matière de sécurité, ne laissant qu’une indépendance d’apparat au pays. Ainsi, malgré quelques pas timides vers l’indépendance, l’Égypte demeurait de facto sous l’emprise britannique. C’est dans ce contexte qu’en 1952, excédé par l’opulence et la corruption gouvernementale, un groupe d’officiers libres, sous la direction du Général Naguib, fomenta un coup d’État qui évinça le roi Farouk du pouvoir. Suivant la proclamation de la république Égyptienne, Naguib, alors à la tête du gouvernement de transition, fut écarté du pouvoir en 1954 par Gamal Abdel Nasser, ce dernier devenait deux ans plus tard, le premier président égyptien élu au suffrage universel. Ses politiques et son rejet de l’impérialisme devaient mener à une distanciation du bloc occidental ainsi qu’une révolution de la société égyptienne, qui culmina en 1956 par la nationalisation du canal de Suez et le retrait des troupes britanniques restantes, marquant désormais une réelle émancipation du joug impérialiste. Cet évènement devait favoriser la reconstruction nationale en Égypte, laquelle se concrétisa largement sous l’impulsion de Nasser, qui tâcha d’étendre sa vision à l’ensemble du pays et sur la scène régionale. Afin de comprendre les orientations de celle-ci, il convient de se questionner à savoir quels ont été les axes idéologiques de la vision nassérienne, de la révolution des officiers libres de 1952, jusqu'à la nationalisation du canal de Suez en 1956, et quelle fut la perception occidentale de l’Égypte révolutionnaire, durant cette période. Cette question est pertinente dans la mesure où elle permet d’établir les fondements idéologiques sous-tendant la philosophie du nouveau régime, ainsi que sa représentation en Occident. Les récents travaux de Marlène Abou Chdid Nasr, portant sur l’analyse des champs sémantiques des discours nassérien, nous en donne un premier aperçu. Elle nous 2 apprend notamment que «D'après les réseaux sémantiques dégagés des contextes, Nasser attribue à la [Umma Arabiyya (nation arabe)] trois objectifs majeurs : al-wahda al- arabiyya (l'unité arabe), al-hurriyya (la liberté), al-ishtirâkiyya (le socialisme).»1 Ces idéaux, visent la libération face au colonialisme et ses auxiliaires, ainsi que de la domination du capital.2 Toutefois, le socialisme affiché, lors de la nationalisation du canal de Suez, ne semble alors pas encore bien défini, celui-ci ayant «été développé entre les années 1960 et 1962, avec quelques modifications plus tardives.»3 On peut ainsi avancer l’idée que la vision du nassérisme, de 1952 à 1956, est axée sur le rejet de l’impérialisme, l’unité arabe et n’exclut pas le socialisme. Quant à la perception occidentale du régime égyptien au cours de la même période, bien que la question semble à ce jour peu traitée, il est possible de présumer que celle-ci repose sur une vision neutraliste et panarabe de l'Égypte, entraînant son éloignement progressif du bloc occidental. L’analyse des axes idéologiques sera réalisée par une analyse thématique du manifeste idéologique de Gamal Abdel Nasser, Egypt's liberation : philosophy of the revolution. Cet essai politique, rédigé avec l’aide du journaliste Mohammed Hassanein Heykal, est paru au Caire en juillet 19534. Celui-ci permet de faire la lumière sur les causes de la révolution et la vision que le raïs entrevoyait pour l’Égypte. Ainsi, selon Nasser, son ouvrage est «an attempt to explore the path of the future»5, et «an effort to formulate objectives and to measure the resources which must be mobilized to achieve them»6. Afin de déterminer la représentation occidentale du régime, l’article reposera également sur l’analyse d’un corpus d’articles du New York Times, lesquels ont été sélectionnés selon des moments forts de l’évolution du régime égyptien entre 1952 et 1956. Le texte portera, dans un premier temps, sur le parcours de Nasser ainsi que sa pensée. Ensuite il sera traité des principaux axes idéologiques présents dans le manifeste idéologique de Nasser, et finalement, la vision occidentale de l’Égypte révolutionnaire sera étudiée, notamment par l'étude d'un corpus journalistique. 1 Marlène Abou-Chdid Nasr. «Analyse des champs sémantiques de la notion de umma arabiyya (nation arabe) dans le discours nassérien (1952-1970)». Mots, mars 1981, no.2, p.23 2 Ibid. p.24 3 Ibid. 4 Michel Marmin, Nasser, Paris, Éditions Chronique, Chroniques de l’histoire, 1998, p.37 5 Gamal Abdul Nasser, Egypt's liberation : The philosophy of the revolution, Washington, Public Affairs Press, p.11 6 Ibid. 3 NASSER, L’HOMME ET SA PENSÉE Gamal Abdel Nasser naquit le 15 janvier 1918 à Beni Morr, dans la province d’Assiout en Haute-Égypte. Fils ainé d’Abdel Nasser Hussein et de Fahima Mohammed Hammad, il passa une partie de sa jeunesse à Alexandrie, jusqu’à l’âge de huit ans, où il intégra l’école cairote d’El-Nahassin. Il vécu alors chez son oncle Hussein Khalil, nationaliste notoire, qui se garda bien de nuancer l’implication du jeune Nasser au sein de mouvements réfractaires à l’occupation étrangère7. Nasser démontra très tôt une importante conscientisation politique, celui-ci étant mêlé à une manifestation en octobre 1931, qui lui valut un coup de matraque sur la tête et une nuit au poste de police8. Après l’obtention de son certificat d’étude secondaire de l’école cairote d'Al Nahda Al Misria, Nasser fut refusé à l’académie militaire et à l’école de police, en raison notamment de ses idées et de ses activités subversives9. Conséquemment, il s’inscrivit à la faculté de droit de l’Université du Caire où il y poursuivit de brève études, jusqu’à ce qu’il fut finalement accepté à l’Académie militaire d’Abassieh en 1937. Suite à sa graduation de l’Académie militaire en 1938, Nasser fut incorporé à la garnison de Mankabad, dans la province d’Assiout, où il se lia d’amitié avec Anouar El- Sadate et Zakaria Mohieddine10. En 1939 cependant, Nasser, alors sous-lieutenant, fut transféré à Alexandrie, ce qui lui permit de fraterniser avec Abdel Hakim Amer, qui s’avéra être l’un de ses plus proches compagnons au cours des années subséquentes11. En décembre 1939, à la demande de Nasser, ce dernier fut affecté au Soudan, l’Égypte y entretenant quelques bases dans le cadre du traité militaire de 193612. Nommé lieutenant en mai 1940, il y demeura jusqu’en 1942 et fut à nouveau transféré, cette fois à El- Alamein puis à Alexandrie13 d’où il put suivre avec attention les développements du conflit sévissant ainsi que l’ingérence anglaise sur les affaires gouvernementales ce qui 7 Jean Lacouture, 4 Hommes et leur peuples; sur-pouvoir et sous-développement, Paris, Éditions du Seuil, 1969, p.89 8 Ibid. 9 Ibid. 10 Ibid. p.91 11 Ibid. p.91 12 Michel Marmin, Op.Cit., p.17 13 Dorothy Thompson, «Notes about the author», dans : NASSER, Gamal Abdul. Egypt's liberation : The philosophy of the revolution. Washington, Public Affairs Press, p.116 4 nourrit un fort sentiment d’indignation de la population égyptienne14. Après un bref transfert à Khartoum en 1942, où il fut fait capitaine, Nasser fut nommé instructeur de l’Académie militaire d’Abassieh et profita de cette occasion pour resserrer les liens avec ses camarades officiers15. Parallèlement, le 29 juin 1944, le jeune capitaine épousa Tahia Mohammed Kazem, qui lui donna deux filles (Huda et Mona) et trois fils (Khaled, Abdul Hamid et Hakim Amer)16. Sur fond de contestation en Égypte, relativement au refus britannique de se retirer malgré la fin de la guerre, Nasser fut admis le 10 mai 1948 à l’école d’état-major17. Toutefois, suite à la proclamation de l’État d’Israël quatre jours plus tard, le capitaine Nasser se porta volontaire dans la campagne contre Israël afin d’appuyer la résistance palestinienne18. Le 7 juillet, il fut promu commandant et assura la fonction de chef d’état- e major du 6 bataillon, basé aux portes du Néguev19. Blessé à Negba, il revint rapidement au front, où il s’illustra par sa ténacité lors de sa résistance héroïque à Falouja; cette enclave sous contrôle égyptien n’ayant pas capitulé malgré la victoire israélienne sur presque tous les fronts20. C’est au cours de cette campagne qu’il acquit une renommée et qu’il fit la rencontre des officiers qui devaient s’illustrer au sein du mouvement des officiers libres21. Ainsi, excédé par la corruption et les décisions arbitraires, conjugués au scandale des armes de 1948 et à l’ingérence britannique dans la vie politique égyptienne, le mouvement des officiers libres, suite à un coup d’État expéditif, força l’abdication du roi Farouk en date du 23 juillet 1952 et mit en place d’un conseil de la révolution, composé de onze officiers sous la direction du général Muhammad Naguib22.
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