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art press 333 anniversaire sur un air de Paris Interview de Christine Macel et Daniel Birnbaum par Damien Sausset Airs de Paris ! Christine Macel, en tant que conservatrice au Centre Pompidou et co-commissaire de ce projet, pouvez-vous en évoquer la genèse ? Christine Macel : En juin 2005, nous nous interrogions pour définir un événement célébrant les trente ans du Centre Pompidou. Seule certitude, nous voulions nous concentrer sur l’art contemporain. Pourquoi avoir associé à votre réflexion Daniel Birnbaum, directeur du Portikus à Francfort ? C.M. : Je le connaissais à travers ses textes, que je lisais toujours avec intérêt. J’avais le sentiment que nous partagions une certaine vision de l’art contemporain, malgré nos différences. Son parcours me semblait également exemplaire d’une certaine forme de curiosité. J’espérais qu’il jetterait un regard inédit sur la scène artistique française grâce à sa position d’observateur de la scène internationale. Daniel Birnbaum, quel a été votre premier sentiment sur ce projet ? Daniel Birnbaum : L’idée d’être un outsider me plaisait. Bien qu’il m’ait été donné d’organiser à l’étranger des expositions d’artistes français comme Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster ou Pierre Huyghe, la scène française me demeurait largement inconnue. Or, le cadre qui m’était proposé était idéal. Je me retrouvais dans une équipe, et surtout j’avais pour guide Christine Macel qui connaissait déjà parfaitement le terrain et possédait les contacts nécessaires. Je ressentais qu’il y avait sans doute en France une pluralité de pratiques à découvrir. Il faut aussi comprendre que ce projet se réalisait sur le long terme. Je n’avais pas non plus à rechercher des financements, comme cela arrive de plus en plus systématiquement. Nous pouvions donc nous concentrer sur l’exposition elle-même, sur son parcours, les séquences d’œuvres. Enfin, je voulais aussi voir comment fonctionne le centre Pompidou, institution parmi les plus prestigieuses au monde, quoi qu’en pensent les Français. Le thème retenu me permettait d’explorer son histoire et de voir comment le lieu catalysa les énergies à cer taines époques. Ce commissariat était donc une manière de lutter contre les lieux communs qui circulent à l’étranger sur l’art français ? D.B. : C’est exactement cela, et vous savez comme moi combien ces lieux communs ont la vie dure, et combien le marché international n’aime pas admettre son manque de clairvoyance. C.M. : J’aimerais éclaircir un point. Il ne s’agissait en aucun cas de faire une Force de l’art bis. Paris est un thème générique, symbole d’une énergie centrifuge qui dépasse largement son origine et permet d’affronter le thème plus vaste de la ville et de la vie urbaine. Nous voulions ouvrir le propos aux artistes étrangers qui ont résidé et travaillé ici, ou construit des projets associés à cette ville. D.B. : Néanmoins, les artistes français sont largement majoritaires. L’exposition donne indéniablement un aperçu assez complet et riche de la scène héxagonale. Pourquoi avoir mis Marcel Duchamp au cœur de cette exposition, en lui empruntant le titre d’une de ses œuvres, mais aussi en la plaçant à l’entrée du parcours ? C.M. : Nous recherchions un titre se référant explicitement à Paris tout en indiquant l’idée de trans-nationalité. L’œuvre de Duchamp intitulée Air de Paris (issue des collections de Beaubourg) s’est imposée car elle avait été offerte par l’artiste à ses amis américains les Arensberg en 1919 comme un symbole de trans-nationalité. Cette œuvre est par définition mobile, transportable, elle diffuse l’idée d’une citoyenneté mondiale, d’un déplacement des frontières... Elle permet également d’évoquer l’ouverture du Centre en 1977 avec la rétrospective Marcel Duchamp qui se tenait juste avant une exposition de On Kawara, artiste également évoqué dans la première salle de l’exposition. D.B. : Airs de Paris est aussi porteuse d’une indéniable poésie contenant en creux plusieurs des thèmes abordés par les artistes d’aujourd’hui. Elle pose clairement la question du contexte de l’art. D’ailleurs, plusieurs artistes ici présents proposent des prises de position par rapport à cette pièce de Duchamp. Quelle est la thématique de cette exposition ? Paris ou la ville contemporaine ; une capitale historique avec en son centre une institution trentenaire ou bien les mutations structurelles des espaces urbains ? C.M. : Le sujet de l’exposition est la ville, la vie urbaine et ses mutations contemporaines. Seules quelques rares œuvres renvoient explicitement à Paris. Néanmoins, en choisissant ce titre, vous indiquez bien vous situer dans une histoire précise, celle d’une capitale en voie de muséification, un ancien centre artistique de première importance qui, aujourd’hui, n’est plus qu’une banlieue chic de l’Europe. C.M. : Bien que certains artistes parlent directement de Paris (Nan Goldin, Jean-Luc Moulène, Valérie Jouve, Sophie Calle ou Alain Bublex par exemple), la plupart évoquent d’autres lieux, d’autres pays, qu’ils soient réels ou fictifs. Nous ne sommes pas dans une optique urbanistique ni architecturale. La ville, ses problèmes, ses mutations, ce sont là autant de sujets traités du point de vue de l’art. D.B. : Des thèmes comme la vie urbaine, l’espace public, la phénoménologie du temps au sein des grandes cités, l’opposition entre local et global sont présents. Mais nombreuses sont les expositions à avoir déjà traité ces thèmes. Quelle serait alors la spécificité de cette exposition ? Pourquoi avoir introduit Paris comme concept unificateur ? D.B. : Effectivement, la question de la spécificité est d’autant plus importante que le parcours aborde des questions génériques typiques de la vie contemporaine dans de nombreuses villes du monde. De ce fait, en quoi ces problèmes génériques, communs aussi bien à Shanghai ou Los Angeles, sont-ils également typiques de Paris ? Même les pièces ne traitant pas explicitement de Paris proviennent d’artistes ayant vécu ici et qui témoignent d’une sensibilité aux enjeux urbanistiques et sociaux fortement influencée par la situation locale. Leur approche de la complexité des enjeux diffère radicalement de celle des artistes californiens par exemple ! C.M. : Notre approche est discursive, opposée à toute volonté d’illustration des concepts développés par les urbanistes, les sociologues ou philosophes. En fait, Airs de Paris comporte trois parties : les mutations de la ville, la question du rapport entre société et communautés, et enfin la question de l’individu face à l’évolution complexe des communautés. Pour être plus précis, traiter ce problème global, structurer ce territoire qui prend une importance majeure comme lieu de créativité, comme lieu qui s’étend infiniment et sans point de fuite, cela nécessitait de diviser l’exposition en dix chapitres. On débute par l’espace bâti (perçu comme lieu de circulation et de branchement), jusqu’aux tentatives de fixation des identités (notamment la définition de l’intime) en passant par les nouvelles cultures populaires, la perception inédite du monde à partir des nouveaux médias et notamment des réseaux… Je pourrais mentionner le thème de la société du risque, celui de l’écologie également présent… Puisque votre réflexion prend appui sur Paris, et pour une bonne part sur des artistes français, avez-vous repéré une sensibilité particulière face à ces problèmes ? C.M. : Personnellement, je suis trop impliquée pour pouvoir en juger. Je peux pourtant affirmer que tous les artistes rencontrés affirment qu’il appartiennent à un contexte global. Mais être artiste aujourd’hui nécessite forcément de s’inscrire dans un univers (et un marché) qui fonctionne sur des échelles globales. C.M. : C’est aussi une envie de vivre dans un espace précis. Pierre Huyghe, après quelques années à New York, vit de nouveau ici. Nan Goldin a également choisi de s’établir à Paris. D’autres ont au contraire choisi de migrer, de partir, comme Saâdane Afif, Anri Sala. Certains, comme Gabriel Orozco qui est mexicain, entretiennent un fort lien avec Paris et vivent à New York. Impossible de généraliser. En revanche, le fait que Paris se patrimonialise, qu’elle se fige dans un souvenir de ce qu’elle fut, détermine un rapport très tendu aux banlieues et aux marges. Cela n’est sans doute pas sans conséquences sur la création. Est-ce un frein ? Je le pense. Rien de comparable ici avec l’énergie qu’ont les artistes californiens pour interroger la polycentralité de Los Angeles. Mais je pense que c’est aussi une source d’inspiration. Une situation très ouverte Vous touchez là un autre phénomène, celui de savoir s’il existe, au sein de la scène française, une réelle mixité sociale. Or, il me semble que le système d’enseignement des écoles d’art fonctionne de plus en plus de manière à rejeter cette mixité, à quelques notables exceptions près ! C.M. : C’est plus du côté de la patrimonialisation qu’il faut en rechercher les causes. Elle me conduit à penser qu’il y a un vrai déficit de jachère dans l’espace urbain pour la création ou pour des pratiques quotidiennes non normalisées. En même temps, le développement de ce que Bruce Bégout nomme la «suburbia» libère aussi une nouvelle énergie directement issue de la périphérie. Beaucoup d’artistes rencontrés vivent dans la banlieue et s’en inspirent. Mais pour eux, ce n’est pas un choix, mais plus une conséquence de l’impossibilité de trouver des espaces dans Paris intramuros. C.M. : Certes, mais ils s’inspirent de la réalité qui les entoure. C’est une des richesses de cette ville, sans aucun doute le résultat d’une réaction à cette sur-muséification. D.B. : Effectivement, on peut s’interroger sur l’articulation entre notre exposition et Paris.

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