Les Hommes De La Lvf

Les Hommes De La Lvf

CHAPITRE VIII LES HOMMES DE LA LVF Le 23 juin 1941 la première page du journal de Doriot, Le Cri du peuple, n’est pas seulement consacrée à l’annonce de l’attaque contre l’URSS, mais aussi à la célébration du culte du chef. L’Allemagne prend en main la défense de l’Europe contre Moscou Jacques Doriot avait raison Dès 1936, il avait dénoncé la duplicité de Moscou Dans les jours qui suivent, le journal et, avec lui, la plupart des quotidiens parisiens multiplient les informations tendant à donner l’impression que, contre l’URSS, l’Europe entière s’est dressée. Dès le 24, annonce de la formation d’un corps de volontaires espagnols. Le 27, énumération des premiers alliés du Reich : Finlande, Roumanie, Slovaquie. Le 28, un article explique que, « spontanément, sans attendre que le gouvernement ait organisé l’enrôlement des volontaires », de nombreux Suédois s’engagent et que, de leur côté, les soldats hongrois partent pour le front. La France peut-elle rester absente du combat essentiel ? Le 30 juin, Je suis partout affirme que le MSR d’EugèneDeloncle vient de demander la création « d’une Légion de volontaires français afin de combattre, aux côtés des armées d’Occident, contre l’ennemi commun : le bolchevisme ». Le 8 juillet, enfin, tous les journaux de laCollaboration annoncent bru- yamment un événement qui a été décidé la veille au cours d’une réunion regroupant, à l’Hôtel Majestic, sous la présidence du conseiller Westrick. Déat, Deloncle, Costantini, Boissel, Clémenti et le général français Hassler dont certains avaient imaginé faire le chef militaire de la Légion1. Le titre : Création d’une légion de volontaires pour combattre sur le front russe occupe les huit colonnes du Cri du peuple qui précise que le recrutement se fait « avec l’assentiment de Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l’État 1. Le général Hassler, alsacien par son père, refusera le poste et, pour éviter toute compromission, quittera Paris dès le 8 juillet. L’Œuvre n’en annoncera pas moins sa nomination. 181 Les beaux jours des Collabos français, et l’acquiescement du Führer », et que Francisme, Ligue française, PPF, Rassemblement national populaire ont décidé de participer à la croisade. Mais, dans son éditorial, Doriot affirme qu’il a été à l’origine du mouvement et, dans les jours qui suivent, chacun des grands leaders de la Collaboration s’efforce de faire croire aux Français, mais surtout aux Allemands, dont on attend de l’argent, des moyens et auprès de qui il importe de « bien se placer 1 », qu’il est la cheville ouvrière de l’organisation. Doriot assure-t-il qu’il a pris position le 22, Déat écrit que, le même jour, il a envoyé « une lettre fort explicite au maréchal Pétain, en même temps qu’il saisissait de la question les autorités allemandes ». Comme il est classique, la croisade est donc, d’abord, occasion de querelles de préséances entre les croisés. Croisade… bolchevisme… civilisation européenne. Dès les premiers jours, les mots essentiels sont dits. Ceux qui serviront aux journalistes pour les développements politico- littéraires comme aux orateurs pour les effets d’estrade. Ceux qui appâteront quelques milliers d’hommes et les feront participer à une guerre dont les rescapés auront longtemps la nostalgie, et qui, à travers des livres parfois romancés et presque toujours débarrassés du pitoyable, se présente uniquement comme une immense aventure, dont les héros méconnus, incompris ou désavoués, auraient seulement constitué l’avant-garde du fatal combat anticommuniste. Les banderoles du meeting organisé le 18 juillet au Vel’d’Hiv’ le proclament : Contre le bolchevisme, debout la France ! Le bolchevisme battu fera la France unie Quinze mille personnes environ dont 2 286 pour le service d’ordre 2… C’est du moins le chiffre que citeront les journaux du lendemain pour cette manifestation qui témoigne de l’union provisoire, contre un adversaire commun, d’hommes que tant de choses séparent et dont les troupes, d’ailleurs, sont groupées par masses cohérentes dans la salle. Sur les gradins de droite, les hommes de Bucard, sur ceux de gauche, les partisans de Doriot, au rez- de-chaussée les membres du RNP et des autres mouvements : beaucoup en uniforme ou, plus exactement, vêtus de l’une de ces chemises dont, blanche, bleue, kaki, la couleur indique l’appartenance politique. Les orateurs ne font aucun effort d’imagination. Boissel, Clémenti, Costantini, Déat, Doriot, Deloncle répètent les mêmes phrases, développent 1. Notamment au cours de ce déjeuner du 10 juillet qui a eu lieu chez Maxim’s. Déjeuner consacré aux problèmes d’organisation. Du côté allemand, y participent Achenbach et Westrick, de l’Ambassade, Bömelburg, chef de la Gestapo, et l’un de ses adjoints. 2. Recruté en presque totalité chez Deloncle et Déat. Il ne se trouve, en effet, dans ses rangs qu’une centaine de PPF. Sur les chiffres, un rapport des Renseignements généraux indique seulement « huit mille personnes, dont un quart de femmes ». Le Vélodrome d’Hiver pouvait contenir 13 000 assistants environ (il y a 8 000 places assises). 182 Les hommes de la LVF les mêmes idées comme ils les répéteront et les développeront au fil des meetings qui se succéderont à Paris ou en province. La tribune les unit pour un soir. Union illusoire. La LVF ne sera pas épargnée par la lutte des clans. Lutte qui ne se limite pas à des échanges verbaux. Selon le légionnaire Georges A., membre du RNP, réformé en novembre 1941 et qui regagne Besançon, les doriotistes, majoritaires au premier bataillon, font régner la terreur et des soldats ont été abattus par leurs camarades. Dans la mesure où des armes, des cadres, quelques milliers d’hommes peuvent faire rêver les candidats au pouvoir, la LVF constituera donc un terrain idéal pour des affrontements sérieux entre membres du PPF, du RNP, du MSR ou, plus schématiquement, entre hommes de Doriot, de Déat, de Deloncle, les autres partis et les autres dirigeants n’ayant qu’une assez mince influence. Influence que chacun s’efforce cependant d’exagérer. Maurice-Yvan Sicard raconte qu’en juillet les chiffres les plus extravagants étaient lancés par des hommes qui cherchaient d’abord à impressionner les Allemands 1. L’un promet 20 000 volontaires, l’autre 12 000. La surenchère est telle que Abetz, pris au jeu, télégraphiera à Ribbentrop que les effectifs de la Légion dépasseront 80 000 hommes ! Pour l’histoire, Doriot et le PPF apparaîtront cependant comme les maîtres politiques de la LVF, même si les choses ne se sont pas, sur le terrain, pas- sées aussi simplement. Même s’il y eut toujours de nombreux courants au sein d’unités où la politique, malgré l’irritation des Allemands pour ces incompré- hensibles débats, constituait l’un des plus vifs plaisirs 2. Dans le train qui les conduit vers la Russie, les hommes discuterons donc interminablement des mérites respectifs de Doriot et de Déat. En novembre 1941, le sergent André G. achèvera ainsi l’une des lettres qu’il adresse à l’un de ses amis niçois, M. Antoine E. : « Quand tu recevras la pré- sente, nous ne serons pas bien loin de Moscou, c’est le moment d’en finir, nous y mourrons s’il le faut, mais nos enfants vivront dans la fraternité… Cordiales salutations PPF. Vive Doriot, mort aux Juifs. À bas Moscou. Vive Pétain. Vive la France nouvelle. Vive la collaboration franco-allemande. » Doriot dont les amis annoncent que, « répondant à sa mission suprême (il) sera prêt à s’emparer des leviers de commande 3 », Doriot, que certains Alle- mands considéreront un jour comme « le futur chef de la France4 », a sur tous 1. Fossati, du PPF, prend note de toutes les promesses et déclare : « Le PPF fournira la moitié du contingent, quel qu’en soit le chiffre. » 2. D’après Saint-Paulien, les engagements du PPF furent refusés au début dans la proportion de 80 %. En avril 1942, les Allemands font signer aux légionnaires l’engagement de ne plus se livrer à des activités de propagande partisane. 3. Charles Dieudonné, le 24 octobre 1941. 4. D’après une note de Vichy en date du 14 novembre 1942. 183 Les beaux jours des Collabos ses concurrents un avantage moral indiscutable. Il ne se contente pas de pro- messes, ni de dîners d’adieu (Eugène Deloncle, chef du MSR, son concurrent principal1, en offrira, paraît-il, une bonne dizaine… mais ne quittera jamais la France), il s’engage et rejoint effectivement le front russe, partageant, à la grande admiration du légionnaire Louis B., la vie de ses camarades : « Depuis le 28 octobre, je suis à l’EM du régiment avec le lieutenant Doriot. Pendant cinq jours, il a dormi avec nous, sur la dure et dans des wagons à bestiaux, il n’avait pas plus de couvertures que nous et il mangeait comme nous, d’ailleurs dans l’armée allemande les officiers mangent comme les soldats2. » Le 24 octobre 1941, lors de la grande manifestation organisée salle Wagram, devant huit mille personnes, c’est un absent que l’on honore, mais un absent dont tout rappelle, alors que tant d’autres n’ont pas bougé, qu’il est, lui, parti pour le combat. Sa photo, son « image », comme l’écrivent les brochures de propagande, se détache au-dessus de l’estrade « dans les plis d’un immense drapeau tricolore ». Face à cette image, les auditeurs se dressent pour entonner l’hymne du PPF. Les banderoles tricolores portent de longues citations extraites des discours du Chef : « J’ai rompu avec le bolchevisme et je suis le seul à avoir dit pourquoi », « Cette guerre devient aujourd’hui une guerre contre cette civilisation avilissante qu’est le bolchevisme ».

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