LES ATELIERS D’ARTISTES ATELIERS LES DOSSIER N°026-027 Avril 2018 | N° 026027 Dossier LES ATELIERS D’ARTISTES Varia L’AMÉNAGEMENT INTÉRIEUR DE L’IRPA ENTRETIENS DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL LES ATELIERS D’ARTISTE D’ANTOINE WIERTZ DOSSIER ET DE CONSTANTIN MEUNIER « MUSÉES SATELLITES » DES MUSÉES ROYAUX DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE DOMINIQUE MARECHAL CONSERVATEUR DU MUSÉE WIERTZ FRANCISCA VANDEPITTE CONSERVATRICE DU MUSÉE CONSTANTIN MEUNIER Vue intérieure de l’ancien atelier d’Antoine Wiertz, aujourd’hui musée Wiertz (A. de Ville de Goyet, 2017 © BUP/BSE). LES MUSÉES ANTOINE WIERTZ ET CONSTANTIN MEUNIER CONSTITUENT DEUX EXEMPLES PARTICULIERS D’ATELIERS D’ARTISTE BRUXELLOIS : AU DÉPART, LIEUX DE VIE ET DE TRAVAIL RESPECTIFS DES DEUX ARTISTES, AUJOURD’HUI, MUSÉES PUBLICS OÙ EST EXPOSÉE L’ŒUVRE DE LEUR CONCEPTEUR. LES DEUX IMMEUBLES ONT ÉTÉ CLASSÉS DANS LEUR TOTALITÉ. Leur architecture et leur typologie spécifique ont été à la base de cette mesure, mais aussi l’importance historique et artistique de leur commanditaire et leur affectation ultérieure en musée. Les collections muséales appartiennent aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, qui les gèrent comme des « musées satellites ». Cet article se penche sur les qualités patrimoniales de ces musées et esquisse les défis que soulèvent aujourd’hui leur gestion muséale et la manière dont les deux anciens ateliers d’artiste peuvent être revalorisés tant comme musée que comme monument. FAIT PAR J. VERDULDIG. / APRES 15 LEÇONS / DE PEINTURE / Procédé du PATIENTIOTYPE, telle est l’étrange inscription figurant sur une pein- ture d’Antoine Wiertz de 1840 (fig. 1). Patientiotype, avec ce néologisme – à tout le moins ironique – l’ar- tiste annonçait en quelque sorte lui- même les difficultés auxquelles le musée Wiertz serait confronté tout au long de son histoire et surtout l’immense patience avec laquelle des solutions ont été cherchées avec un bonheur variable. De la même manière, ce néologisme s’ap- plique au musée Meunier qui se voit aujourd’hui confronté à des défis semblables. Fig. 1 Antoine Wiertz, Une carotte au Patientiotype (1840), huile sur panneau, 22 x 30 cm. Bruxelles, musée Wiertz (© MRBAB, Bruxelles, inv. 1936). LE SITE DU MUSÉE WIERTZ : DE L’ATELIER 2018 AVRIL - N°026-027 D’ARTISTE MONUMENTAL miniatures. Dans sa mégaloma- cédé des peintures à l’État2. Outre AU MUSÉE ACTUEL nie, il a voulu ériger un « temple » la promotion de l’artiste, le finance- en l’honneur de sa propre gloire1. ment exceptionnel de cet atelier par Antoine Wiertz (Dinant 1806-Ixelles Pour la construction de « son » l’État belge constituait apparem- 1865) est un des principaux repré- atelier monumental, pas moins de ment aussi un projet politique visant sentants du romantisme en trois conventions ont été passées la glorification de la nation nais- Belgique. À la fois anticonformiste avec l’État belge : en 1850, en 1853 sante. Le ministre libéral Charles et controversé, il a réalisé tant des et en 1861. À chaque fois, Wiertz a, Rogier y a joué un rôle prééminent. toiles démesurées que des croquis en échange des fonds nécessaires, Par amour de la patrie, ce dernier BRUXELLES PATRIMOINES 107 Les ateliers D’artiste D’AntOine WiertZ et DE COnstantin Meunier Fig. 2a Edmond Fierlants, Vue sur la façade latérale de la maison et de l’atelier d’artiste, avec la ruine factice d’un temple de Paestum, 1867 (peu après la mort de l’artiste), Bruxelles (extrait de FIERLANTS, E., Œuvre complète d’Antoine Wiertz photographiée par Ed. Fierlants, Ixelles- Bruxelles, 1868 © KBR, Cabinet des estampes, III 7076. B, p. 50). ce cadre, on peut s’interroger... Juste avant sa mort, Wiertz a signé un testament par lequel il léguait les œuvres présentes à l’État belge, à la condition qu’elles soient toujours conservées et exposées sur place3. Même si le bâtiment a été conçu à l’origine comme un atelier avec habitation d’artiste, Antoine Wiertz avait d’emblée à l’esprit une fonc- tion muséale définitive et son ate- lier était, dès le départ, accessible au public. Au lieu d’un atelier trans- formé en musée à titre posthume, Wiertz considérait le bâtiment comme un musée « vivant » avec Fig. 2b une collection composée systéma- Vue similaire sur la maison et l’atelier aujourd’hui (A. de Ville de Goyet, 2012 © BUP/BSE). tiquement et exclusivement de ses propres œuvres. Ces œuvres d’art souhaitait promouvoir un art offi- nouvelle impulsion à la peinture n’étaient donc pas destinées à être ciel au service de l’État et, grâce à monumentale. Quant à savoir si l’ex- vendues, mais uniquement à être des subsides publics, donner une centrique Wiertz rentrait bien dans exposées dans son propre musée4. 108 Fig. 3 Fig. 4 Vue depuis l’habitation d’artiste sur Ensemble du musée Wiertz et son jardin, vus depuis la rue Vautier (A. de Ville de Goyet, l’atelier, état en 1992 (© Fondation CIVA 2012 © BUP/BSE). Stichting Brussels, nég. 3414-032). Après avoir convaincu Charles de l’époque6. Du fait de l’utilisation dans l’habitation de l’artiste, il était Rogier de financer son atelier et de matériaux bon marché et de leur ensuite soudain confronté, via la après avoir obtenu l'autorisation exécution sommaire, ce « décor », à porte intérieure toujours en usage, du parlement, Antoine Wiertz put l’exception d’un menu fragment, n’a à l’impressionnant atelier (fig.3). acquérir le terrain de la rue Vautier pas survécu à l’outrage du temps. Il L’intérieur de l’atelier monumental 62 à Ixelles en 1850. Il conçut lui- fut déjà en partie démantelé en 1872. était purement fonctionnel : un grand même la totalité de l’atelier avec Sans cette ruine factice, et si l’on hall ouvert sous un toit en bâtière, l’habitation et le jardin attenants5. excepte le lierre omniprésent, l’ate- avec des lanterneaux latéraux. L’atelier et l’habitation furent édi- lier, tel qu’il se présente aujourd’hui, fiés en grande partie en 1850-1852, apparaît extrêmement simple, voire En 1866, l'année suivant la mort de mais l’ensemble ne put être achevé sans style (fig. 2a et 2b). L’habitation, Wiertz, la « réaffectation » de son que quelques années plus tard. construite du côté le plus court de atelier en musée a été confirmée L’architecture d’origine présentait l’atelier, faisait partie intégrante par la loi. Tout au long de son his- une série de particularités. C’est du musée. Elle domine légèrement toire posthume, l’ensemble a fait ainsi que « l’artiste-architecte » l’atelier et ses façades sobres sont l’objet de multiples transforma- conçut la longue façade latérale (en interrompues régulièrement de tions, comme la construction d’une fait la façade principale) de l’ate- fenêtres. Le seul lien entre l’habi- nouvelle entrée, l’extension par lier avec un sens manifeste de la tation et l’atelier était une double trois salons en enfilade pour la pré- mise en scène théâtrale. La façade porte dans le salon de gauche du sentation des plus petits formats en briques, en somme banale, fut, rez-de-chaussée (fig. 3). (1868-1870), la construction d’une comme dans un décor de théâtre, conciergerie (1868-1872) et la clô- enjolivée par une ruine évoquant un À l’origine, la « ruine » de l’atelier ture du jardin (1872) (fig. 4 et 5). Le des temples de Paestum : la façade était visible depuis la zone en contre- site tout entier – la maison et l’ate- 2018 AVRIL - N°026-027 fut partiellement enduite et précédée bas, derrière l’ancienne gare du lier de l’artiste, la conciergerie et le de trois grandes pseudo-colonnes Luxembourg, avant que les anciens jardin – fut classé en 1997 « en rai- grecques en pierre naturelle, d’un murs entourant le jardin (élevés en son de sa valeur historique et artis- morceau d’architrave et de quelques 1872) (fig. 4), et plus récemment le tique »7. L’accent fut mis – et l’est blocs et fûts épars. Le but était en Parlement européen, en aient tota- encore – sur la totalité et sur la l’occurrence moins une recons- lement entravé la vue. Du temps de cohérence du monument et du site. truction fidèle qu’une ruine d’ap- Wiertz, le visiteur grimpait la pente, Le classement implique l’interdic- parence authentique, totalement par le jardin, où il se retrouvait en tion de démolir les bâtiments en en phase avec l’esprit romantique face de l’imposante ruine. Une fois totalité ou en partie et de les modi- BRUXELLES PATRIMOINES 109 Les ateliers D’artiste D’AntOine WiertZ et DE COnstantin Meunier Fig. 5 Photo aérienne du site du musée Wiertz avec l’habitation (A), l’atelier (B), la conciergerie (C) et le jardin (D). Au nord, le jardin est adjacent au Parlement européen (Bruxelles UrbIS® © - Distribution CIRB, Bruxelles). fier de telle sorte qu’ils perdent vais état en raison d’un procédé de Le musée Wiertz a, de tous temps, leur intérêt patrimonial. Chaque peinture mate inventé par Wiertz connu des soucis. Le plus grand intervention doit être précédée d’un lui-même, qui est structurelle- défi, à savoir la conservation du permis unique, basé sur un dossier ment problématique. À terme, ces site comme un tout homogène et la soigneusement documenté. peintures seront victimes d’un conservation des œuvres extrême- assombrissement irréversible qui ment fragiles pour les générations Aujourd’hui, le musée abrite envi- leur sera fatal8. Il y a quelques futures, devrait être une priorité ron 220 œuvres d’art, presque années, l’atelier et les salons ont absolue. En deuxième lieu, il convien- toutes de la main de l’artiste.