LE CAPBREU DE MONTFERRER, étude du livre de reconnaissances d’une seigneurie laïque du Haut Vallespir réalisé en 1339. Guillaume DALMAU n 1339, la seigneurie vallespirienne de Montferrer est entre les mains de la branche cadette de la famille vicomtale de Castelnou depuis un peu moins d’un siècle1. Son seigneur se prénomme alors Dalmau, troisième du nom. Cette année, Dalmau III commande au notaire public de Monferrer, Bernardus de Luperia E –le recteur de l’église paroissiale–, la rédaction d’un capbreu ou livre de reconnaissances . Il s’agit d’une liste de déclarations de tous les dépendant du seigneur, où sont énumérés les biens terriens qu’ils tiennent pour le seigneur avec les redevances dues pour l’usage de la terre. L’intérêt du seigneur est clair : la connaissance des terres qu’il acense et par là des rentes qui lui sont dues3. Cette étude s’inscrit dans la lignée de travaux déjà réalisés sur ce même type de sources, en particulier les très célèbres capbreus royaux de la cours perpignanaise de Majorque. Mais au-delà des simples relations matérielles liant le seigneur à son tenancier décrites dans le capbreu, ce document nous offre également de nombreux renseignements (économie, population…) notamment une image très précise de l’exploitation agraire. Ce livre de re- connaissances est donc l’occasion de s’intéresser aux exploitations agraires, qui structurent les campagnes de Montferrer et ce, une décennie avant la crise démographique de 1348. 1 - Dalmau I –grand-père de Dalmau III– a très certainement reçu en guise de chasement ce territoire au lendemain de la mort du vicomte Jaspert IV –frère aîné de Dalmau I– en 168, in POISSON (Gabriel), Les vicomtes de Castelnou (XIe - XIVe siècle), mémoire de maîtrise sous la direction de Laurent Macé, Toulouse-Le Mirail, septembre 005, Tome I, pp. 96-97 et 11-113. - Nous empruntons ce terme à Rodrigue Tréton pour qui la traduction française de capbreu en « terrier » Guillaume DALMAU, étudiant en ne convient pas, le terme de terrier « a été employé selon les régions pour désigner des formes assez variables Master, Le capbreu de Montferrer, reflet d’inventaires seigneuriaux » –TRETON (Rodrigue), « Un prototype ? Remarques à propos d’un capbreu d’une communauté rurale du Haut- des revenus et usages du comte d’Empúries dans le castrum de Laroque-des-Albères fait en 164 », in Vallespir en 1339, mémoire de Master I sous la direction d’Aymat Catafau, CAMIADE (Martine) –dir.–, L’Albera, Terre de passage, de mémoires et d’identités, Actes du colloque de Université de Perpignan, juillet 2006, Banyuls-sur-Mer (3-4 mai 005), Presses Universitaires de Perpignan, Saint-Estève, 006, p. 49-76. 342+90p. L’édition du capbreu de 3 - Pour mieux apprécier le contenu et la forme des déclarations du capbreu de Montferrer, nous avons Montferrer est en cours de préparation sélectionné une, la déclaration 4, qui est retranscrite et publiée en annexe du présent article. en collaboration avec Aymat Catafau. Domitia, n°8, janvier 2007, p..-.. Illustration 1 : Localisation du village de Montferrer dans le département des Pyrénées-Orientales.(cl. O. Passarrius) Illustration 2 : Photos du château de Montferrer (vue aérienne) 2 Le Capbreu de Montferrer... Illustration 3 : Photos du château de Montferrer (Porte d’accès au castrum) BRÈVE PRÉSENTATION DU CAPBREU DE MONTFERRER : Le capbreu de Montferrer est conservé aux archives départementales des Pyrénées-Orien- tales4 parmi les fonds provisoires de la série 1Bp, sous la cote 1Bp8395. Ce livre de reconnaissances fut rédigé sur un support papier au format 43 cm de long sur 9,5 cm de large, plié en deux et cousu en son centre par une ficelle renforcée par deux morceaux de parchemin. Son état de conservation est fort correct malgré quelques taches dans sa partie haute liées à un contact plus ou moins prolongé avec l’eau. Cet état est d’autant plus satisfaisant que des mentions en marge du corps du texte de reconnaissance confirment un emploi tardif du document durant la période moderne. Tel qu’il nous est parvenu le capbreu présente quarante quatre folii, renfermant vingt deux déclarations. À l’origine, il portait dix folii supplémentaires6 (cinq au début et leur pendant à la fin), ce qui explique pourquoi le capbreu débute au folio six. Enfin il semble intéressant de signaler que le capbreu qui nous est parvenu semble n’être qu’un volume d’une entreprise qui a pu compter d’autres volumes disparus7. Centrons à présent ce propos sur les renseignements qu’offre le capbreu dans la connais- sance de la campagne médiévale au XIVe siècle, plus particulièrement sur l’exploitation agraire à Montferrer. La richesse du capbreu permet d’étudier trois réalités de l’exploitation agricole : sa forme, ses éléments constitutifs et les enseignements que nous apportent son nom. 4 - Nous les citerons désormais sous la forme suivante : A.D.P.O. 5 - Dans les prochaines lignes nous ne ferons plus référence à la cote du dit capbreu. Ainsi les folii et déclarations cités dans le présent article sont tous extraits du capbreu de Montferrer (A.D.P.O., 1Bp839), sauf mentions contraire. 6 - Cinq folii étaient présent au début du capbreu, et autant à la fin. 7 - Cette remarque est basée sur le rapport établi entre le nombre d’exploitations agraires déclarées au fil des vingt deux reconnaissances contenues dans le capbreu, soit vingt-six mas et bordes, et le nombre d’exploitations foncières citées (nous entendons par là les exploitations rencontrées dans les confronts de terre), soit plus d’une cinquantaine de mas et bordes, sans que nous connaissions réellement le nom de leur propriétaire originel (le seigneur de Montferrer ?) ou encore leurs exploitants. Le Capbreu de Montferrer... Guillaume DALMau 3 Illustration 3 : Carte paroisse fi nage castal L’EXPLOITATION AGRAIRE, UN ÉLÉMENT AUX MULTIPLES FACETTES : Comme toute la haute vallée du Tech, Montferrer se caractérise par la dispersion de l’ha- bitat en mas et bordes8. Cette dispersion de l’habitat est antérieure à l’érection du château seigneurial. Aussi l’attraction castrale ne modifi a pas l’aménagement de l’espace en unité d’exploitations dispersées. Organisant le territoire au niveau local, le mas ou la borde se rajoutent à la paroisse et au château comme élément structurant la vie quotidienne des hommes de ce territoire. a. L’unité historique du mas ou de la borde : L’étude de la confi guration générale d’un mas ou d’une borde avait pour préalable l’étude de la distinction entre un mas et une borde. Malgré une limite liée à l’absence d’informa- tion sur les surfaces des terres, la mise en parallèle du nombre moyen de terres attachées à un mas ou à une borde fait ressortir un écart de l’ordre de 5%, que l’on juge suffi sant pour conclure à ce qui semble être la disparition au XIVe siècle des diff érences « originelles » entre mas et borde. Si cette opposition semble avoir disparu dans la réalité, la terminologie s’est quant à elle conservée. Qu’en est-il alors de la forme de l’exploitation agraire ? Le scribe en donne une défi nition dans le capbreu lorsqu’il évoque le cens dû. Qu’il s’agisse d’un mas ou d’une borde, le scribe précise les grandes composantes territoriales de l’exploi- tation sous la forme suivante : Pro qua tota supradicta mansata mea del Puyol et pro hospicio et quintano et aliis omnibus peciis terre et vinea […] (d. 4) ; Pro qua tota supradicta borda de Ruyra Superiori et aliis omnibus terris et possessionibus suis et hospicio dicte borde […] (d. 3). Cette segmentation des éléments constitutifs du mas, nous amène à l’idée suivante : qu’il s’agisse d’un mas, d’une borde, il existe une homogénéité dans ses diff érentes composantes. 8 - Il conviendra alors dans notre propos de diff érencier les deux termes mentionnés dans le capbreu, à savoir les termes mansus ou borda latins, en les transposant en mas (en catalan) et borde (en français). 4 Le Capbreu de Montferrer... chéma du mas unité d’exploitation unité mas du chéma S Il est alors possible d’établir un modèle type du mas9, comme unité d’exploitation de la terre, dont les éléments sont relativement éclatés et dispersés. En eff et, l’exploitations n’est pas d’un seul tenant, les terres n’étant pas groupées autour du bâtiment central10. Cette dispersion relative des parcelles dans le fi nage s’exprime dans le capbreu de Montferrer à travers la toponymie. Rares sont les mas pourvus de plus de trois terres sur un même lieu. Mais cette dispersion est relative et se limite à une aire de proximité de l’habitation, assimilable à un vallon. 9 - Dans un soucis de clarté de notre propos, nous prenons le partie d’employer désormais le terme mas, pour désigner de manière uniforme l’exploitation agraire, que le scribe emploie le terme de mas ou de borde. 10 - TO i FIGUERAS (Lluís), « Le mas catalan du XIIe s. : genèse et évolution d’une structure d’encadre- ment et d’asservissement de la paysannerie », in Cahiers de Civilisation Médiévale, XXXVI, n°, Poitiers, 1993, p. 160. Le Capbreu de Montferrer... Guillaume DALMAU 5 b. Le mas comme une unité d’exploitation : Si le mas est considéré comme une unité d’exploitation agricole, ceci signifie-t-il pour autant que toutes les terres cultivées par le tenancier dépendent du mas qu’il tient ? La seule lecture de l’exemple suivant, choisi parmi tant d’autres, nous montre une réalité plus complexe : Item teneo etc ego et mei infra dictos terminos dicti castri pro dicto nobili et suis successoribus jure directi dominii, quandam peciam terre que fuit de possessionibus mansi de Quintano de ecclesia, que est loco vocato Al Puyol (d.
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