Pouvoir et religion dans un paysage gallo-romain :les cités d’Apt et d’Aix-en-Provence Ralph Haeussler To cite this version: Ralph Haeussler. Pouvoir et religion dans un paysage gallo-romain :les cités d’Apt et d’Aix-en- Provence. Romanisation et epigraphie, Lattes, 2001.Religion, Language and Identity in Gaul and Iberia, TRAC conference, Amsterdam, 2008., 2008, Lattes, France. pp.155-248. halshs-00342157 HAL Id: halshs-00342157 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00342157 Submitted on 26 Nov 2008 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Ralph HÄUSSLER* Pouvoir et religion dans un paysage gallo-romain : les cités d’Apt et d’Aix-en-Provence 1. Présentation – un paysage de demander quel est le rôle des nombreux lieux de culte, résistance ? surtout en milieu rural : sont-ils simplement un reflet de la religiosité de la population rurale et de la persistance La Gaule Narbonnaise est considérée comme une des croyances préromaines en dehors de la ville ? Si on province très « romanisée », dominée par l’urbanisme, considère l’organisation géographique de la région des villas romaines et une population bien intégrées dans (fermes, villas, agglomérations), un sanctuaire rural les structures sociales, culturelles et économiques de montre-il le besoin d’une « chapelle » 3 propre comme l’Empire romain. En ce qui concerne la religion, on pense centre d’une communauté rurale ? Ou encore, témoigne- surtout aux grands temples de type romain, comme la t-il de l’exploitation de la religion par les élites dans le Maison Carrée à Nîmes. Mais comme nous allons le voir, but de consolider leur pouvoir ? la Gaule Narbonnaise ressemble plutôt à un « paysage de L’épigraphie est une source indispensable pour cette résistance » : à côté d’une centaine de théonymes cel- étude. Quelles informations supplémentaires à celles de tiques, il semble que même les grandes divinités l’archéologie peut-elle nous apporter ? Tout d’abord, romaines, comme Jupiter, Mars, Mercure et Minerve, ont c’est surtout l’épigraphie qui nous donne des indications un caractère plutôt « indigène » 1. pour un caractère « non-romain » de la religion locale Le grand nombre de lieux de culte dans le territoire (par exemple les théonymes et les épithètes en langue cel- rural des deux colonies romaines Iulia Apta (Apt) et tique), alors que la plupart des sculptures et de l’architec- Aquae Sextiae (Aix-en-Provence), qui sont au centre de ture sacrée semble suivre la conception romaine (avec cette étude 2, reflète des structures sociales et territoriales quelques exceptions comme Lioux, v. infra). Les inscrip- particulières à cette région. Pendant le Haut-Empire les tions nous donnent aussi des informations sur les dédi- lieux de culte sont absolument essentiels pour l’organisa- cants et leurs identités. tion sociale d’une cité provinciale et son fonctionnement Les élites locales sont en général au centre des études dans un système de patronage. Le paysage sacré est sur la « romanisation », parce que ce sont elles qui sont directement lié à la structuration du monde rural et c’est susceptibles d’initier de profonds changements sociocul- le but de cette étude d’essayer de mieux faire comprendre turels. Et quand on pense aux élites à l’époque romaine, les rapports entre les lieux de culte et les changements il s’agit des élites urbaines parce que leurs choix culturels dans l’organisation socio-géographique entre la proto- étaient motivés par un art de vivre urbain et par une histoire et l’époque romaine. Dans ce contexte, il faut se carrière politique au sein de la municipalité. Toutefois ces * R. Häussler, Fachbereich 2 - Alte Geschichte und Archäologie, Universität Osnabrück, Schloßstraße 8, D-49069 Osnabrück, R. F. d’Allemagne. [email protected]. Chercheur associé à l’UMR 154, Lattes (1999-2001). Je remercie M. André Kauffman (conservateur du Musée d’Apt), M. P. Leveau (Université de Provence, Aix-en-Provence), M. J. Gascou (CNRS, Aix-en-Provence) pour leur aide et leur assistance. Je remercie surtout Mme Anne Roth-Congès (CNRS, Aix-en-Provence) et Mme Isabelle Fauduet (CNRS, Paris) pour la correction du manuscrit de mon article. Les recherches concernant ce dossier ont été financées par une bourse post-doctorale du Deutscher Akademischer Austauschdienst, Bonn en 2000-2001. J’ai essayé de tenir compte des publications qui sont parues depuis le colloque à Lattes en septembre 2001, surtout celle des tomes 84/2 et 13/4 de la Carte Archéologique de la Gaule (CAG) en 2006 et 2007. Parce que la CAG couvre maintenant toute la région de cette étude, voir en général la CAG pour les bibliographies antérieures. 1 Cf. Häussler 2001-2002 ; 2008 ; pour le terme « landscape of resistence », cf. S. Alcock 1997. 2 Cf. Gascou 1995 et Gascou et alii 1997 pour une définition récente des limites territoriales des deux cités, qui seront respectées dans cet article pour des raisons pratiques. 3 Le terme « chapelle » sert à définir des petits bâtiments rectangulaires de cultes (des édicules), comme à Lioux, pendant que le terme « fanum » sert à définir le type de bâtiment rectangulaire avec péribole. – 155 – In: R. Häussler (dir.), Romanisation et épigraphie. Études interdisciplinaires sur l’acculturation et l’identité dans l’Empire romain (Archéologie et Histoire Romaine, 17), Montagnac 2008, 155-248. Ralph Häussler élites résident dans la campagne et c’est là que se gentium (Apt) étaient des oppida latina. Apt est située sur trouvent leur clientèle et leur base économique 4. Il faut la « voie hérakléenne » qui relie la Gaule et l’Italie par le comprendre que la structure d’une cité romaine était col du Mont-Genèvre et Suse ; cette voie fut réaménagée composée d’une « métropole » centrale (le chef-lieu ou par Gnaeus Domitius Ahenobarbus en 118 av. n. è. (voie caput ciuitatis) à laquelle étaient rattachés de nombreux Domitienne). Apt était une cité pérégrine qui a reçu le habitats/agglomérations/communautés (d’origine proto- droit latin pendant la période triumvirale ou augustéenne. historique), mais sans distinction administrative entre Au début du Haut-Empire, elle a acquis le rang de colo- ville et campagne. Dans ce cadre, on peut se demander nie, col(oniae) Iul(iae) Aptae ; les citoyens romains comment ces élites municipales exerçaient leurs fonc- d’Apt étaient inscrits dans la tribu Voltinia 9. tions civiques, administratives et religieuses dans l’en- Ce n’est pas ici le lieu de spéculer sur les « étiquettes semble de la cité. Ces élites, comment pouvaient-elles ethniques ». En réalité les identités ethniques sont beau- répondre à leur obligation comme protecteurs et patrons coup plus complexes que les informations anachroniques de leurs communautés rurales, et comment se servaient- données par Pline, principalement parce qu’une identité elles de la religion ? ethnique n’est jamais fixe : c’est un concept qui dépend du contexte (la même personne peut avoir plusieurs 1.1 La conquête romaine et la municipalisation identités éthniques dépendantes du contexte, par ex. aixois, salyen, gaulois, etc.) et les labels ethniques Les développements socioculturels s’insèrent dans une changent aussi au cours du temps. De plus ce sont les période dominée par Rome. Déjà depuis la seconde structures sociales qui se modifient : la « tribu » proto- Guerre Punique, Rome est maîtresse de la Méditerranée historique n’était pas nécessairement associée à un occidentale. Notre région d’étude a été particulièrement territoire fixe ; c’était plutôt une association de personnes bouleversée par les campagnes de Fulvius Flaccus (125 reliées par des lignages ; mais jusqu’au Ier s. av. n. è. on av. n. è.) et de C. Sextius Calvinus (124–123 av. n. è.) 5, voit la création d’entités politiques territoriales et finale- mais la conquête n’a pas forcément d’impact sur la cul- ment de municipalités de droit romain. En principe, ture indigène 6. À l’époque républicaine, Aix et Apt ont Entremont et Aix-en-Provence peuvent être attribuées été des « bastions de l’Empire » 7, placées stratégique- aux Salyens à l’époque républicaine, mais c’est un ethnos ment sur les grands axes de transit vers l’Italie et situées qui disparaît au cours du Ier s. av. n. è. Apt a été attribué à proximité des agglomérations fortifiées préexistantes aux Albici par G. Barruol 10, mais aux Volgentii par Pline (Entremont et Péréal), dans le but de surveiller les popu- (nat. hist. 3, 36) 11. Il y a aussi les Dexiuates, qui habi- lations indigènes. taient dans le territoire entre Durance et Lubéron autour Aquae Sextiae, située sur la voie Aurélienne, est géné- du sanctuaire de Dexiva ; s’agit-il d’une tribu d’origine ralement considérée comme une fondation de Sextius salyenne ou d’un pagus de l’époque romaine 12 ? Les Calvinus en 122 av. n. è., après la prise de l’oppidum de Vordenses occupaient probablement la région autour de l’Entremont (v. infra). Le statut original et la dimension Gordes dans le territoire d’Apt. En tout cas, la population de cette fondation, qui a peut-être intégré un sanctuaire locale, indigène, autochtone a parlé une langue celtique, existant (à Bormanos, v. infra), sont discutés : concilia- comme le montrent l’onomastique, les théonymes et les bula ou colonia 8. D’après Pline (nat. hist. 3, 36), Aquae noms des agglomérations, des montagnes et des Sextiae Salluuiorum (Aix-en-Provence) et Iulia Apta Vul- fleuves 13.
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