
CONTI l'ennemi de LOUIS XIV DU MÊME AUTEUR CHEZ PLON Carnet de Route (1916). La Vie et les Opinions d'Anatole France (1925). Ce bon Monsieur Danton (1929). CHEZ PAYOT Un Homme si riche (1919). CHEZ BERNARD GRASSET Louvois et son Maître (1933). La Fille du Régent (1935). JACQUES ROUJON CONTI l'ennemi de LOUIS XIV PARIS LIBRAIRIE ARTHÈME FAYARD 18-20, RUE PU SAINT-GOTHARD, 18-20 Il a été tiré de cet ouvrage : VINGT-CINQ EXEMPLAIRES SUR PAPIER VÉLIN PUR FIL DES PAPETERIES LAFUMA, NUMÉROTÉS DE 1 A 25. Copyright by F. Brouty, J. Fayard et C 1941. Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russie. CONTI, L'ENNEMI DE LOUIS XIV 1 LES ASCENDANTS Le XVII siècle abonde en personnages éton- nants parmi lesquels occupe une place hors ligne François-Louis de Bourbon, prince de La Roche-sur-Yon puis de Conti, né en 1664 et mort en 1709. Il a été comparé à Jules César autant pour ses vices que pour ses dons. C'est plutôt l'Alcibiade du siècle de Louis XIV, avec les grâces, les faiblesses, les outrances qui ont illus- tré le neveu de Périclès. Tout charmait en ce Conti, même l'irrégularité de ses traits, ses maladresses et ses distractions. « Sa figure, écrit Saint-Simon, avait été char- mante. Jusqu'aux défauts de son corps et de son esprit avaient des grâces infinies; des épau- les trop hautes, la tête un peu penchée de côté, un rire qui eût tenu du braire dans un autre, enfin une distraction étrange. Galant avec toutes les femmes, amoureux de plusieurs, bien traité de beaucoup, il était encore coquet avec tous les hommes : il prenait à tâche de plaire au cordon- nier, au laquais, au porteur de chaise comme au ministre d'Etat, au grand seigneur, au général d'armée, et si naturellement que le succès était certain. Il fut aussi les constants délices du monde, de la Cour, des armées, la divinité du peuple, l'idole des soldats, le héros des officiers, l'espérance de ce qu'il y avait de plus distingué, l'amour du parlement, l'ami avec discernement des savants, et souvent l'admiration de la Sor- bonne, des jurisconsultes, des astronomes et des mathématiciens les plus profonds. C'était un très bel esprit, lumineux, juste, exact, vaste, étendu, d'une lecture infinie, qui n'oubliait rien, qui pos- sédait les histoires générales et particulières, qui connaissait les généalogies, leurs chimères et leurs réalités, qui savait où il avait appris chaque chose et chaque fait, qui en discernait les sour- ces, et qui retenait et jugeait de même tout ce que la conversation lui avait appris, sans confu- sion, sans mélange, sans méprise, avec une sin- gulière netteté. » Et ces dons rayonnants resteront inemployés parce que ce prince se posera en ennemi de Louis XIV. On verra Conti, vers sa vingtième année, quitter la France avec son frère aîné et, sans l'aveu du roi, courir en Hongrie pour ba- tailler contre les Turcs. A l'apogée de la splen- deur française, quand Louis-le-Grand fait la loi à l'Europe et s'installe à Versailles, ces deux jeunes princes du sang ne songent qu'à fuir les joies de la Cour le plus loin possible. Et quand on intercepte la correspondance qu'ils échan- gent avec leurs amis, on trouve des jugements féroces sur la personne et la politique de Louis XIV. Le roi est piqué au vif, non seulement par les lettres elles-mêmes et les noirceurs qu'elles con- tiennent, mais parce qu'elles émanent de gens « dont les pères étaient comblés de ses grâces et de sa faveur ». Le côté sentimental de l'affaire ne retient pas longtemps Louis XIV, cuirassé contre les désil- lusions et l'ingratitude. Ce qui le frappe, c'est l'état d'esprit que ces lettres révèlent chez des jeunes gens qui n'ont jamais eu qu'à se louer de lui. Il découvre dans son entourage immédiat une cellule révolutionnaire en pleine activité, La Fronde, la Fronde éternelle ! Louis XIV la re- connaît du premier coup d'œil et il frappe les coupables sans sévérité excessive — loin de là — mais avec une précision scientifique. Peu de souverains ont été plus adulés et vé- nérés que Louis XIV; mais peu aussi plus ca- lomniés et incompris. Dans sa Cour, dans sa famille, dans son ménage, se tenaient les propos les plus dénigrants — et les plus injustes — sur ses façons de vivre et de régner. Les hôtes de Versailles, de Marly, de Fontainebleau, invités et spectateurs, critiquaient en Louis XIV à la fois le maître de maison, d'une maison immense, et le grand acteur jouant sur la plus vaste scène de l'univers. A distance, on ne voit autour du Roi-Soleil que des échines souples et des fronts baissés; on n'entend pas les mauvais propos qui n'ont jamais cessé de bruire tout le long du règne, aux heures des victoires et de la prospé- rité comme à celles des revers et des crises, en temps de guerre, en temps de paix. Le délicieux Conti, l'ennemi du roi, tient en virtuose sa partie dans cette opposition perlée. Avant sa vingtième année il est de toutes les intrigues et de toutes les débauches. Dans le courant de sa vie il animera plusieurs complots. La santé de Louis XIV apparaît très chance- lante pendant près de dix ans; on escompte sa mort et l'accession au trône d'un prince malléa- ble. Conti est très avant dans les bonnes grâces du dauphin auprès duquel il a été élevé. Que d'espoirs permis, si Louis XIV meurt ! François-Louis de Bourbon prince de Conti était richement et diversement doué du côté de ses ancêtres : prince du sang de France par son père Armand de Bourbon-Condé et petit neveu de Mazarin par sa mère Anne-Marie Martinozzi. Voici quelle est, du côté paternel, l'ascendance du prince François-Louis qui héritera, comme il sied, les vices et les vertus de ses aïeux. Les Condé, race féroce et brillante, sont guer- riers dans l'âme et passionnés de lettres, d'arts et de sciences. Leurs appétits, leurs réactions, leurs rugissements ressemblent à ceux des fau- ves : toujours prêts à bondir, à mordre, puis à s'aplatir sous le fouet du dompteur, à se traîner sur le ventre, la tête basse, la langue pendante. Le premier prince de Condé, Louis 1 de Bourbon (1530-1569) cinquième fils de Charles de Bourbon et oncle paternel d'Henri IV, s'était jeté dans le calvinisme et la guerre civile avec passion. Son fils, Henri 1 de Bourbon, prince de Condé (1552-1588) fut le compagnon d'Henri IV et faillit périr à la Saint-Barthélemy. Il prit part aux guerres religieuses et mourut à 36 ans, peut-être empoisonné par sa femme. Henri II de Bourbon, troisième prince de Condé (1588- 1646) naquit posthume. Henri IV, son parrain, l'avait fait élever dans la religion catholique; il lui donna pour épouse à vingt ans l'adorable et à peine éclose Charlotte de Montmorency qui, d'un seul regard, venait de capturer le cœur et d'enflammer les sens du Vert Galant. Celui-ci ne songeait à rien de moins qu'à faire sa maî- tresse de la jeune femme. Ce ne fut pas du goût de Henri de Condé qui s'enfuit avec sa princesse jusqu'à Bruxelles. L'assassinat du roi par Ra- vaillac délivra le prince d'un cruel souci et lui permit de revenir en France. Il s'y comporta tout ilde déclaraitsuite en volontiersgrand féodal qu'il insatiable.ne restait plusDès 1616qu'à ôter le petit Louis XIII du trône et à se mettre à sa place. Il le disait même si haut que Marie de Médicis et le maréchal d'Ancre le firent arrê- ter et enfermer à la Bastille, puis à Vincennes. Il y resta trois ans. Sa ravissante femme, qui ne l'aimait pas et qu'il malmenait, voulut néan- moins s'enfermer avec lui et c'est au château de Vincennes que, le 28 août 1619, elle mit au monde une fille Anne-Geneviève, qui devait être la duchesse de Longueville. M. le Prince (c'est ainsi qu'on appelle le prince de Condé) sortit de prison peu après et reprit à la Cour son rang de premier prince du sang. Il eut encore deux enfants : Louis, né le 2 sep- tembre 1621, qui sera le Grand Condé; et en 1629, Armand, nommé prince de Conti, qui sera le père de François-Louis de Bourbon. L'hôtel de Condé, situé à peu près où se trouve aujourd'hui l'Odéon, est un grand centre mon- dain, artistique, littéraire. Mme la Princesse re- çoit avec une politesse exquise et forme sa fille Mlle de Bourbon et son fils ainé le duc d'Enghien aux belles manières. Le jeune prince et sa sœur, dans la demeure familiale et à l'hôtel de Ram- bouillet grandissent au milieu des personnes les plus distinguées de leur temps : elle, douce, ten- dre et blonde, avec des traits fins et réguliers; lui, le regard brûlant, les dents en avant, le nez en bec d'émouchet, les cheveux mal peignés, un peu effrayant même au repos, bien proportionné, mal tenu, princier toujours, courtois, spirituel. Quand il s'anime, sa gaîté prend des allures un peu libres. Ce cadre d'élégance et de littérature est trop étroit pour lui. Mais il se plaît avec Voi- ture et Corneille.
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