Enquête, Histoire et Fiction ; Jean Hatzfeld au prisme de 2016 l’écriture. Thèse de Mme Ida Paola MINBOUI NGUEMA ép. MBONDOBARI sous la direction de Pr Sylvie BRODZIAK. Université de Cergy-Pontoise 15 décembre 2017. INTRODUCTION GENERALE 1 Enquête, Histoire et Fiction ; Jean Hatzfeld au prisme de 2016 l’écriture. 1. Approche 1 Ecrire par « devoir de mémoire » est devenu une pratique courante ces dernières années, et l’œuvre de Jean Hatzfeld appartient à la « Bibliothèque du génocide » qui, depuis 1945, n’a cessé malheureusement d’augmenter. Les représentations littéraires de la guerre sont désormais perçues non pas comme des événements isolés dans leur historicité, mais plutôt comme des phénomènes qui ont, en tout temps, marqué l’histoire de l’humanité et peuvent, de ce fait, faire l’objet d’études et de réflexion. Entre récit historique, témoignage et fiction, les récits sur le génocide du Rwanda de Jean Hatzfeld offrent un exemple largement traité, C’est justement entre histoire et littérature qu’il convient pour nous de lire ces récits de guerres et plus particulièrement les récits sur le génocide du Rwanda de Jean Hatzfeld. Si les thèmes abordés par Hatzfeld ont été amplement traités par des écrivains, dont principalement celui de la guerre en Bosnie et du génocide au Rwanda, il n’en demeure pas moins, que ses reportages sur le Rwanda restent aujourd’hui encore sources de nombreux questionnements notamment à cause de la sur- médiatisation du dernier génocide du XXe siècle. La question de l’écriture littéraire de la guerre chez Hatzfeld est 2 particulièrement innovante et tout aussi touchante , quoique affligeante par la nature des drames qu’elle représente ; il demeure que cette pratique scripturale répond à la problématique actuelle sur les questions de transmission et 1 Catherine Milkovitch-Rioux, Ecrire la guerre, Clermont-Ferrand, Presse Universitaire Blaise Pascal, Maison de la Recherche, 2000. « Le colloque organisé en novembre 1998 par le centre de Recherches en littératures commémoratives d’une fin de millénaire, légitimités par un impératif, le « devoir de mémoire ». Au moment de la disparition des témoins, la militance mémorielle institue un état de veille dont la littérature est une composante primordiale ». 2 A la lecture des textes de Jean Hatzfeld sur le génocide du Rwanda, le lecteur est surpris par le choix « des mots simple » qui traduisent une réalité somme toute peu ordinaire. La lucidité des témoins, vis-à-vis de leurs infortunes, leurs faiblesses, « leur honte » pour les uns et pour les autres, leur intolérance, leur endoctrinement et le passage à l’acte, poussent le lecteur à s’associer et à encourager la quête de l’auteur ; Quelle Histoire pour la mémoire collective ? 2 Enquête, Histoire et Fiction ; Jean Hatzfeld au prisme de 2016 l’écriture. d’inscription de l’histoire dans la mémoire collective. Le magazine littéraire de 3 juillet 1999 , souligne l’importance de ces écrits qui se rapportent aux drames humains. Ainsi « Ecrire la guerre de Homère à Edward Bond » brosse un tour panoramique des publications des récits et essais qui sont consacrés à ces moments précis et terribles de l’histoire du XXe siècle. Ces représentations littéraires de la guerre trouvent un écho favorable dans de multiples travaux universitaires notamment à travers les colloques, publications et des initiatives diverses. L’histoire des peuples et des civilisations a toujours marqué l’humanité. La contrainte de la transmission de ce qui fut pour les générations futures pousse bien souvent et malheureusement à la manipulation de cette Histoire pour éviter de heurter la « sensibilité » des uns et des autres. Mais, le fait est que la vérité dépouillée de tout apparat choque ; on est parfois tenté par le déni afin de conforter notre conscience humaine. Le romancier et reporter français Jean Hatzfeld, comme nous le verrons au fil de ce travail est animé par un besoin presque vital d’aller où personne ne veut aller, de donner la parole aux oubliés et d’inscrire dans l’histoire des pages noires de notre humanité. Non pas pour effrayer mais pour la postérité, pour l’Histoire et pour la mémoire collective. De son origine à notre époque contemporaine, l’histoire des sociétés se décline souvent comme l’histoire des événements violents qui les ont marquées. Ainsi, le e XX siècle se lit à travers la Première et la Seconde guerre mondiale et dans une moindre mesure à travers la colonisation et les guerres d’indépendance. De ce point de vue, l’histoire récente de l’Afrique est l’expression de plusieurs décennies de violence dont le génocide rwandais constitue le point le plus extrême. Pour Colette Breackman « Le génocide du Rwanda représente, non seulement en Afrique centrale, mais pour l’ensemble de l’humanité, l’un des e 4 événements marquants de la fin du XX siècle. » Pour le cas particulier du 3 « Ecrire la guerre de Homère à Edward Bond », Magazine Littéraire, n°378, juillet-août 1999, p. 25-109. 4 Colette Breackman, « Autopsie d’un ethnocide planifié au Rwanda », in Le Monde 3 Enquête, Histoire et Fiction ; Jean Hatzfeld au prisme de 2016 l’écriture. Rwanda, qui est au centre de notre réflexion, la violence physique se présente même comme un des principes fondateurs de son histoire politique, sociale et culturelle ; c’est depuis l’ère coloniale un principe structurant, un fait social catalyseur et central de l’histoire du continent. Ce travail sur le génocide du Rwanda et l’écriture littéraire de la guerre à partir des œuvres de Jean Hatzfeld, nous l’avons à l’origine conçu comme une sorte de questions sur les fondements d’une situation d’échec, une réflexion sur la haine raciale, ethnique ou religieuse. Plus largement, il s’agissait de comprendre pourquoi l’Homme se rendait-t- il responsable d’une telle barbarie. Autant le dire, d’emblée que nous n’avons pas eu de réponses satisfaisantes à ces interrogations 5 si non, que nous venions juste de constater « l’échec du plus jamais ça ! » énoncé après la seconde Guerre Mondiale. Ce « plus jamais ça ! » n’avait de toute évidence pas été entendu, en tout cas pas en Afrique centrale. C’est pour explorer les fondements de cet échec moral et éthique que nous avons privilégié la question de l’histoire et de la représentation, en posant la question du genre et des modalités de la représentation. Cette question a l’avantage de mettre en avant la spécificité de ce drame humain la qualité de l’œuvre de Jean Hatzfeld et non exclusivement la dimension morale et politique du drame. Ce travail de recherche, a pour enjeu principal l’étude des enquêtes menées par l’auteur, leur confrontation avec l’histoire et enfin leur mise en fiction; en réalité il s’agit de lire Jean Hatzfeld au prisme de l’écriture de la guerre. D’une part, nous nous pencherons sur les enjeux d’écriture et de lecture des textes littéraires traitant du génocide du Rwanda et de la littérature de guerre en général. Ces conflits qui s’inscrivent dans un contexte contemporain tout en respectant la dimension historique et anthropologique nous poussent à examiner plus largement les enjeux médiatiques et leurs répercussions dans la société, bien au-delà de la sphère littéraire. D’autre part, nous proposerons plusieurs points de vue critiques diplomatique (Manière de voir, n°76), aout-septembre 2004, p. 52-53, p. 52. 5 Convention de Genève est le point d’appui du droit humanitaire à l’échelle mondiale. Elle vise à améliorer le statut d’humain dans un contexte de conflit et de guerre. Son but étant celui de protéger les victimes de guerres. 4 Enquête, Histoire et Fiction ; Jean Hatzfeld au prisme de 2016 l’écriture. permettant d’appréhender le phénomène dans le cadre spatio-temporel précis de l’écriture de la catastrophe. C’est-à-dire au Rwanda, en Bosnie et en ex- Yougoslavie puis, nous exposerons différentes interprétations de l’écriture de la guerre. Nous mettrons un accent particulier sur l’écriture du génocide rwandais chez Hatzfeld dans une perspective qui devra faire ressortir la particularité de l’enquête et du reportage journalistique. En somme, notre projet vise l’approche littéraire de ces événements tragiques à partir d’une double approche sociohistorique et poétique puisqu’il s’agit pour l’auteur d’écrire le génocide à partir d’une perspective qui se veut plus inaugurale qu’originale; celle de faire parler les victimes et les bourreaux et de procéder en même temps à une mise en fiction des témoignages. Afin de mieux organiser notre recherche, il importe de revenir sur les définitions des notions essentielles. Le génocide est un crime contre l’humanité, il est pour reprendre une 6 expression de Schabas «le plus grand crime contre l’humanité» , qui se particularise par la destruction systématique et méthodique de tout où une partie d’un groupe ethnique et qui s’accompagne d’une rare violence. Ce crime peut-être national, ethnique, racial ou religieux, et peut se décliner en plusieurs moments comme l’explique Lazare Ndayongeje. Le génocide s’entend dans l’un des actes quelconque ci-après: - Meurtre des membres d’un groupe - Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ; - Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; - Des mesures entravant les naissances au sein du groupe ; 7 - Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. Toutefois, il faut remonter dans l’Antiquité pour comprendre que de tout temps tuer, exterminer et anéantir appartient pour les belligérants à la stratégie de 6 Schabas, W. « Génocide », dans Ascencio, E. Decaux et Pellet (dir.), Droit international- pénal, Paris, Pedone, 2000, p.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages316 Page
-
File Size-