FORÊT, CHASSES ET CHATEAU, DE B O U ILLET Pierre de JANTI FORÊT CHASSES ET CHATEAU RAM BOU ILLET Écrire l'histoire d'une forêt nécessite une quantité de recherches arides et ingrates; si je me suis livré à de semblables travaux, à un âge où l'on se complaît généralement à des distractions moins austères, c'est que j'ai aimé éperdument la forêt de Rambouillet depuis mon extrême jeunesse. Elle était alors plus sauvage que maintenant, avec de mauvaises routes sillonnées de rares autos. Déserts, les bois domaniaux et privés offraient au promeneur une immensité de rêve et d'enchantement; l'hiver, ils s'animaient de splendides chasses à courre qui ressuscitaient un passé prestigieux. Les gens de cinquante bourgs et villages que la sylve berçait, exaltait, consolait et nourrissait depuis des millénaires, s'assemblaient chaque printemps au bord d'un étang majestueux pour acclamer leur vénérable souveraine, la duchesse d'Uzès, reine de la Chasse et de la Forêt. Pendant vingt ans, je me suis promené dans cette forêt, en tous sens et en toutes saisons; j'y ai suivi plus de cinq cents laisser-courre. Quand j'en étais éloigné, les liasses poudreuses des archives me permettaient encore, rétrospectivement, de la parcourir et d'y chasser. C'est le défaut des très jeunes gens que de vouloir fouiller le passé de leur maîtresse; une manie de ce genre m'a poussé à scruter les secrets de la sylve féerique, et, dès 1930, l'historien G. Lenotre, en me remerciant de « tout ce que je lui avais appris sur Rambouillet et sur une forêt que nous aimions tant », assurait que j'étais l'homme qui la connaissait le mieux. C'est pourquoi, au moment où après six années de misères que la forêt a partagées avec les hommes, elle se pare d'une jeunesse renouvelée tandis que la mienne a fui, au moment où, à nouveau, trompes et meutes réveillent les échos des bois, j'ai cru utile d'accepter l'invitation que l'on m'a faite de publier ces notes. Il n'est pas question d'épuiser un sujet qui demanderait au moins autant de volumes que cet ouvrage a de chapitres : il s'agit de rassembler le résultat de vingt ans de recherches. Comme le disait un de mes prédé- cesseurs, le comte de Dion : « Il resterait beaucoup à ajouter et peut-être à corriger, mais c'est le sort des travaux de ce genre qu'on ne publierait jamais, si l'on attendait qu'ils fussent complets et parfaits. » L'Yveline fut toujours le royaume de la chasse, les princes qui s'y adonnaient fréquentaient le château de Rambouillet; il convient donc, après avoir parlé de l'Yveline ancienne, de décrire les fameuses chasses qui ont conservé leur réputation mondiale, et le séjour des veneurs royaux au centre de leur domaine. Assurément, pour bien parler d'une telle région, il eût fallu être géologue, botaniste, poète, peintre, pêcheur et bien d'autres choses encore, car la forêt est un immense réceptacle de beauté et d'intérêt; je ne puis qu'étaler modestement et sans beaucoup d'ordre mon petit bagage d'historien et de veneur, secouer un peu la poussière des paperasses pour y retrouver quelques souvenirs, quelques noms... Et avant qu'à mon tour je ne sois plus qu'une ombre dans la luminosité des sous-bois enchanteurs de l'Yveline, dans l'harmonieux bruissement des branches, dans le parfum des fleurs et des mousses, je salue tous ces disparus, parents, amis, grands seigneurs et pauvres gens, qui ont aimé ma forêt avec moi, avant moi. J'étais encore bien jeune lorsque G. Lenotre (Théodore Gosselin), adopta Rambouillet pour résidence estivale, mais un égal amour de cette belle région devait nous réunir, et aussi un même respect de l'histoire et des vestiges qui en sont les témoins. Quel enseignement que d'approcher un tel homme ! C'était un bourreau de travail, et, tard dans la nuit, il veillait sur ses chères études. J'étais cependant toujours bien accueilli lorsque je l'allais voir. Dans son salon décoré de tableaux anciens et de drapeaux fleurdelysés, l'historien s'accoudait sur un canapé : il parlait et vous fascinait, car c'était un causeur éblouissant. Il racontait chasses, promenades, personnages d'autrefois, et chacun de ses propos devenait une brillante chronique. Il avait des yeux pétillants de malice dans un visage bonhomme et, devant ce regard pénétrant, on songeait qu'il devait, tel un La Tour ou un Houdon, « descendre au fond de ses modèles à leur insu et les remporter tout entiers. » A l'entendre narrer le passé avec le coloris et la précision d'un témoin attendri ou narquois, toujours spirituel et jamais méchant, on se croyait halluciné. Soudain, on s'apercevait qu'on était là depuis des heures, et le ravissement se muait en confusion. G. Lenotre se plaisait à Rambouillet, « un endroit charmant. C'est très banlieusard, mais la forêt est magnifique, le parc royal splendide et, sauf le dimanche, tout cela est parfaitement désert, ce qui m'enchante. Plus on est au profond des bois, moins il y a de gens en vue et plus je suis content. J'adore le silence, la solitude, les arbres, surtout quand le ciel est bas et que l'horizon est désolé et lugubre ». Cependant, en avril et octobre, l'écrivain casanier grimpait dans un landau bien garni de victuailles et suivait assidument les chasses à courre de la duchesse d'Uzès. Il a dit l'intérêt qu'il trouvait à ces journées de grand air : « C'est vraiment quelque chose d'un autre temps, quand on y a goûté une fois, c'est pour la vie. La vision d'une chasse à courre remue et exalte en nous quelque chose de profond; c'est une évasion subite hors du présent, un bond dans l'autrefois de la France traditionnelle et séculaire. Ce qui ressuscite sous nos yeux, ce sont les scènes qu'ont si souvent peintes les Parrocel, les Oudry, les Vanloo; les mots qu'on entend datent de trois ou quatre siècles et le décor de cette forêt qui, si vieille, n'a pourtant point d'âge, est toujours semblable à ce qu'il était du temps des grands veneurs du roi avec ses trouées sur des lointains bleus, ses pénétrantes odeurs de mousses humides et de feuilles mortes. D'autant plus que ces randonnées à la suite d'une bête déroutante vous conduisent à des endroits de la forêt qu'on ne verrait jamais sans cela, dans des chemins qui sont ravinés depuis les dernières chasses de Charles X. » Ce reflet d'histoire s'ajoutant au charme de la nature faisait aimer l'Yveline à G. Lenotre. Il y trouvait le climat idéal pour son tempérament d'artiste : « Cette forêt hantée de tant de souvenirs, ces chasses de la Duchesse, cet antique château de Rambouillet chargé de six cents ans de galante ou de tragique histoire composent une sorte de symphonie dont les motifs semblent être l'écho de la vieille chanson des siècles. » En été, il passait souvent ses journées à peindre ou à pêcher, mais il souhaitait surtout parcourir la région, cherchant le pittoresque et l'inconnu, et je lui servais habituellement de cicerone; en forêt, surtout, nous nous attardions à maintes curiosités enfouies sous le taillis : table du débotter de la Serqueuse, parc de Châtillon, bornes armoriées, mais c'étaient surtout les beautés naturelles qui nous retenaient. « La forêt, la grande forêt, surpasse tout et, à Rambouillet, nous sommes gâtés sur ce point, 35.000 hectares de bois archi-séculaires et dix-huit étangs à notre disposition ! » Il désirait qu'on en traçât la chronique, mais ne s'en dissimulait pas la difficulté. « Comment écrire l'histoire d'une forêt? Les chartes enseignent bien que tel canton était l'apanage de tel seigneur, que tel autre appartenait à tel monastère, mais tout le reste est vague. La Forêt vit pourtant : elle a, comme les cités, ses légendes et ses drames; mais elle en garde le secret et ses annales restent mystérieuses; elle enveloppe de son ombre tout ce qui s'est passé sous ses voûtes et le peu qu'elle en laisse deviner ressemble à des contes de fées. » C'était un plaisir exquis que de se promener avec G. Lenotre, car il se montrait touriste enthousiaste et donnait libre cours à son don d'évocation. Il prenait de nombreux croquis pour faire ensuite, de mémoire, des aquarelles où les moindres tons et lés plus subtils effets de lumière étaient rendus avec une fidélité parfaite. C'est cette surprenante faculté de vision, aussi bien que son flair des lieux historiques, qui me paraissent à la base de son talent. Il repose maintenant au cimetière de Picpus, avec ces « gens de la vieille France » qu'il avait si noblement réhabilités durant sa vie; mais son souvenir flotte encore parmi les halliers de l'Yveline qu'il aimait tant. J'ai tenté, depuis sa disparition, de résoudre les problèmes historiques qui le passionnaient au sujet de Rambouillet. Et, partout, dans mes recherches d'archives comme dans mes déambulations attentives à travers les dédales du vieux château, j'ai senti à mon côté sa présence familière. C'est donc à son inspiration que j'attribue les quelques découvertes que j'ai pu faire et c'est sous son égide que je me permets de présenter aux lecteurs des sujets qui auraient ravi mon vénéré maître. Pierre de JANTI. Pl. I Pl. II Pl. III PREMIÈRE PARTIE Esquisse « L'Histoire de France est équestre, sylvestre, chasseresse.
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