DÉCOUVERTE A l’est, le massif de Kiin- Kerish («beauté fière», en kazakh) est l’une des nombreuses merveilles naturelles du pays. Ses étranges teintes ? Un millefeuille de sédiments argileux déposés il y a des millions d’années. KAZAKHSTAN LES MYSTÈRES D’UN GÉANT Au cœur de l’Eurasie, ce jeune Etat, grand comme cinq fois la France, est bien plus qu’un vaste champ de pétrole. Déserts et pics vertigineux, forêts et lacs cristallins… la palette de ses paysages est inattendue. PAR NICOLAS LEGENDRE (TEXTE) ET ELENA CHERNYSHOVA (PHOTOS) Crédit photo / agence photo / agence photo Crédit 2 GEO DÉCOUVERTE ICI VIVENT EN ÉTÉ LES DERNIERS HÉRITIERS DES CAVALIERS DES STEPPES En été, les contreforts du Trans-Ile Alataou, vaste chaîne montagneuse à cheval sur le Kazakhstan et le Kirghizistan, se tapissent de verts pâturages où transhument les troupeaux des derniers éleveurs semi-nomades. C’est aussi une région où les citadins kazakhs aiment se ressourcer. 4 GEO DÉCOUVERTE DANS LA TAÏGA, UN JOYAU : LE LAC MARKAKOL, LA «PERLE DE L’ALTAÏ» Nikolaï Krasnopeïev (à droite), et Khakhat Aïtkhazin travaillent pour la réserve naturelle du Markakol, un lac situé à 1 400 mètres d’altitude, dans le massif de l’Altaï. Ils partent inspecter ce joyau de 38 kilomètres de long, dont les eaux poissonneuses attirent de nombreux braconniers. 6 GEO DÉCOUVERTE SUR LE PLATEAU, UNE MYRIADE DE POINTS BLANCS : DES YOURTES PAR DIZAINES ’homme pèse plus de cent kilos. déglingue postsoviétique. A tort. Dans ce noyau de Serre la main avec une poigne d’hal- l’Eurasie, les mondes s’entrelacent. La diversité des térophile. Economise ses paroles paysages fait écho à la richesse de la mosaïque comme si trop parler revenait à culturelle, entre héritage nomade, âme slave, spiri- manquer de pudeur et, plus encore, à perdre son tualité musulmane… et consumérisme débridé. Ltemps. Or, du temps, il n’en a pas. En ce 1er juillet, Un édifice en dur détonne au milieu du plateau Birdikye Imakoulov, sa famille et leurs 400 agneaux, d’Assy, décor sans asphalte ni lignes électriques. Ce Ermik Khalzbaï, 20 ans, (à d.) sert le koumis – le lait de jument fermenté – dans la yourte de ses parents. Il étudie à Almaty et ne revient que pour les vacances. quarante-cinq vaches et vingt chevaux, viennent centre de vacances, dont l’adresse se transmet de d’arriver en montagne après une bouche-à-oreille, accueille en été demi-journée de route depuis le vil- des Kazakhs des villes venus humer lage de Cholak, dans le sud-est du le grand air et suivre un régime dras- Kazakh stan. Il leur faut encore amé- tique : durant une à deux semaines, nager les yourtes, monter les enclos les volontaires n’ingurgitent que du et assigner une place à chaque outil saoumal, du lait frais de jument, et ustensile qui leur serviront oubliant embouteillages et pollu- jusqu’à la mi-septembre, quand tion qui font leur quotidien à Astana tomberont les premières neiges et ou Almaty. Alika Oumbiet Alieva, qu’il faudra quitter l’alpage. Birdi- la fille des propriétaires, travaille ici kye, 62 ans, est un éleveur semi- durant l’été. Le reste de l’année, elle nomade : il ne vit qu’une partie de étudie à Moscou. Des lunettes à la l’année dans un habitat mobile. Sa dernière mode entourent ses yeux famille s’installe ici chaque été, sur bridés. A ses pieds, des Nike flam- le plateau d’Assy, l’un des derniers bant neuves. «C’est comme une espaces d’estivage du pays. Un her- détox !, confie-t-elle à propos de bage à 2 000 mètres d’altitude gardé par les mas- Kamaja Munzirova cette cure d’un genre particulier. Ça nettoie le corps.» sifs du Trans-Ile Alataou, entretenu par les armées tient une chambre On ne vient donc plus sur le plateau d’Assy unique- d’hôte à Saty, dans de ruminants et fendu par une rivière dont les rami- le sud du pays. ment pour transhumer comme les anciens. Les fications dessinent des nervures dans l’estive. Issue d’une famille citadins (53 % des Kazakhs) s’y ressourcent, à la Depuis l’orée du plateau, une constellation de points de nomades, elle recherche d’un air virginal et d’un échantillon de a été poussée blancs s’offre au regard : des yourtes, par dizaines. à se sédentariser l’«âme» nomade du pays, plus fragile et fantasmée Le Kazakhstan n’existe en tant qu’Etat que depuis il y a dix ans, après que jamais. Car les bergers comme Birdikye Imakou- 1991. Ancienne république soviétique, creuset d’eth- la création du lov sont l’exception dans un pays où la sédentarité nies au carrefour de l’Europe, de la Russie et de la parc naturel des est devenue la norme. Ils sont les derniers héritiers Lacs Kolsay. Chine, ce pays cinq fois plus vaste que la France du mode de vie des cavaliers des steppes. s’est imposé en quelques années comme la pre- L’ancêtre de la nation kazakhe, le khanat (royaume mière puissance économique d’Asie centrale, grâce dirigé par un khan) formé vers 1460 par les nomades notamment à ses gisements d’uranium, de gaz et de tribus turcophones, parmi lesquels des descen- de pétrole. Méconnu et peu visité, il est souvent dants du souverain mongol Gengis Khan, s’étendait perçu comme un morne agrégat de steppes et de des rives orientales de la mer Caspienne aux Zarina, Yerkezhan et Violetta passent l’été chez leurs grands-parents à Ourounkhaïka (500 hab.), près du lac Markakol, à 450 km d’Euskemen où elles vivent. 8 GEO Abonnez-vous sur geomag.club GEO 9 DÉCOUVERTE CE PAYS AUX 40 000 LACS EST L’UN DES MOINS DENSÉMENT PEUPLÉS Ces majestueux épicéas à la parure d’émeraude se reflètent dans les eaux limpides de ce lac situé à 1 818 mètres d’altitude. Il fait partie du parc naturel des Lacs Kolsay, créé en 2007 près de la frontière avec le Kirghizistan. 10 GEO DÉCOUVERTEGRAND REPORTAGE EN CENT ANS, LES KAZAKHS frontières de l’Empire chinois. Ouvert aux quatre vents, ce colosse géographique vit passer SONT PASSÉS DU NOMADISME hordes et caravanes durant des siècles. On s’y affron- tait. On y cohabitait. Les marchands des routes de AU CAPITALISTE DÉBRIDÉ la soie y transitaient. Les religions – animiste et musulmane principalement – s’y entremêlaient. Jusqu’à ce que l’avancée du front pionnier russe rebatte les cartes. La présence des sujets du tsar, d’abord consentie par certains chefs kazakhs, s’ap- parenta progressivement à une colonisation. L’em- pire russe installa ses paysans, édifia des garnisons, mit en place des impôts et tenta de sédentariser les Kazakhs. Intégré à l’URSS en 1920, le territoire se métamor- phosa. Les villes proliférèrent. Les complexes industriels fleu- rirent dans la steppe. L’école devint obligatoire. La langue russe s’imposa. La collectivisa- tion s’accompagna de famines qui firent entre 1,1 million et deux millions de morts. Après la chute de l’Union soviétique et l’indépendance en 1991, la nation s’est une nou- velle fois transformée ; en cent ans, les Kazakhs sont ainsi passés du nomadisme tribal au communisme, puis au capita- lisme. Les transhumances ne concernent plus qu’une infime partie de la population. Gaz, pétrole, terres rares, titane, charbon, chrome… Les nou- velles vaches à lait de l’Etat kazakh viennent du sous-sol. Le pays compte certaines des plus grosses mines d’uranium de la planète, comme celle de Tortkuduk, dans les steppes du sud. L’exploitation de ces ressources enrichit oligarques et businessmen – beaucoup –, ainsi que la classe moyenne – un peu. Dans les cam- pagnes, l’économie de subsistance prédomine. Et pour gouverner ce nouveau tigre économique d’Asie centrale, les Kazakhs ont choisi d’un homme fort : depuis 1990, Noursoultan Nazarbaev, ex-digni- taire communiste de 77 ans, a été élu et réélu à la présidence de la République avec des scores triom- phaux, lors de scrutins parfois entachés d’irrégula- Les épicéas de Schrenk sont rités, selon les observateurs de l’Organisation pour emblématiques du sud la sécurité et la coopération en Europe. Son visage du Kazakhstan, des monts Tian Shan en particulier. orne d’innombrables affiches de propagande, jusque Ces géants, qui poussent à dans les villages les plus reculés. Il est le chef d’une Majoritairement citadins aujourd’hui (53 % de la population), les Kazakhs plus de 1 300 mètre d’altitude, «démocrature», simulacre de démocratie où les restent très attachés à la terre, comme Zharsulan Munzhirov (en haut), 20 ans, comme ici sur les rives du qui coupe les foins à Saty, au pied du Trans-Ile Alataou, ou Roustam Fokin lac Kaindy, peuvent atteindre représentants de l’opposition et les journalistes (au centre), 16 ans, qui travaille l’été comme berger près du lac Markakol. A 60 mètres de haut. indépendants sont muselés, mais pas systéma- Chernyahevka (en bas), on trompe la canicule dans la fraîcheur d’une rivière. 12 GEO Abonnez-vous sur geomag.club GEO 13 DÉCOUVERTEGRAND REPORTAGE Tioumen Iekaterinbourg Repères l Tchéliabinsk a Omsk Novossibirsk Oufa r u Kyzyljar LE CLIMAT EXTRÊME BRIDE LES O ’ Steppe l e de la Baraba Togliatti d P.N. DE BOURABAY KAZAKHSTAN RUSSIE Kostanaï RUSSIE DESSEINS DES HOMMES ET e Samara n î Roudnyï Steppe de a P.N. DE BUYRATAU Pavlodar h P.N. DE KOKSHETAU la Koulounda LAISSE LA NATURE SOUVERAINE Saratov C Ekibastouz Astana I Oral r ty P.N. DE KATON-KARAGAY c Aktobe h A Karagandy Semeï l t a r ï a Euskemen j d KAZAKHSTAN o l P.N.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages10 Page
-
File Size-