MONSKKiNKUK CHARLES GUAY LETTRES SUR ILE D'ANTICOSTI L'HONORABLE MARC-AURÈLE PLAMONDON Juge de la Cour Supérieure, en retraite, a Artabaskaville MONSEIGNEUR CHARLES GUAY Protonotaire Apostolique {ad instar Participantium) MONTRÉAL C. 0. BEAUCHEMIN & FILS, LIBRAIRES-IMPRIMEURS 256 et 258, rue Saint-Paul 1902 ENREGISTRÉ, conformément à l'Acte du Parlement du Canada, en l'année mil neuf cent deux, par C. 0. BEAUCHEMIN & FILS, de Montréal, au Bureau du Ministre de l'Agriculture à Ottawa. MONSrKUK HKXItl MKNIER LETTRES STCXR L'ILE: D'ANTICOSTI LETTRE ira: Saint-Joseph de Lévis, le 8 octobre 1899. Mon cher et honorable Juge, Selon ma promesse, je vous adresse aujourd'hui ma première épître sur mon récent voyage à l'île d'Anticosti. Dès qu'on peut se fier à l'humide élément, Sitôt que de l'Auster l'heureux frémissement Promet à notre course une nier sans naufrage, Le vaisseau reposé s'élance du rivage : On part, on vole au gré d'un vent rapide et doux, Et la viile et le port sont bientôt loin de nous. Le départ s'effectua de Québec, le 18 du mois dernier, par une de nos belles soirées d'automne, à bord du " Sa­ voy joli yacht à vapeur, d'une capacité de 300 tonneaux, courant lestement ses neuf à dix nœuds à l'heure. M. J.- Bte Bélanger en est l'habile capitaine, toujours poli, tou­ jours obligeant envers ses passagers (1) (1) M. Jean-Bte Bélanger, chef du service maritime, est né au Cap-Saint-Ignace, le 1er janvier 1852 ; après avoir étudié au collège de Sainte-Anne de la Poeatière, il se donna à l'étude de la navigation. Ayant obtenu ses diplômes de compétence au long cours, M. Bélanger fut employé au service de la marine et des pêcheries du Canada pendant vingt ans. M. Henri Menier, s'étant adressé au département de la marine et des pêcheries pour obtenir un capitaine de vaisseau, M. J.-Bte Bélanger lui fut désigné, et, depuis 1895, il est chargé du steamer Savoy, qui fait régulièrement, durant la belle saison, du service de l'île d'Anticosti à Québec. 10 LETTRES SUR l/jJ.K I/ANTICOSTI Ce yacht a été acheté en Angleterre par M. Henri Me- nier, pour le service de l'île; aussi tous les quinze jours, fait-il régulièrement son trajet à Québec, pour le transport des ouvriers et des objets nécessaires à l'exploitation de VAnticoste, comme disent les marins. CAIMT. J.-B. BÉLANGEB Nous avions en proue, au moment du départ, une brise légère, et un calme plat nous promettait une belle nuit. Une heure après, le vent devint tout à coup violent, la mer se fit houleuse et la brume épaisse. Notre capitaine jugea prudent de passer la nuit à l'abri de l'île aux Grues. Je lui en fus reconnaissant; ce qui me permit de bien dormir sans roulis ni tangage, deux associés désagréables sur le voyage, et que peu de personnes aiment, bien que le mal de mer, ce terrible mal, me soit inconnu depuis bientôt déjà trente ans. Après 46 heures de trajet, par une mer plus ou moins LETTRES SUR l/lLE D'ANTICOSTI 11 houleuse, nous étions dans la baie Ste-Claire, sur la partie nord-ouest de l'île, à deux milles du phare de la Pointe- Ouest. C'est sur les bords de cette baie que se trouvent les pre­ miers établissements de M. Menier. Elle portait jadis le nom de " Baie-des-Anglais ", en souvenir du capitaine Rainsford, commandant une des frégates de l'amiral Phipps, en 1690, et qui y fit naufrage. SS. SAVOY J'aurai occasion de vous parler de ce désastre, avec plu­ sieurs autres, lorsque je vous ferai le récit des nombreux naufrages dont les récifs de cette île ont été les inexorables et impitoyables .témoins. M. Menier, propriétaire de PAnticosti, a donné à cette baie le nom de Ste-Claire, en mémoire de sa mère. Il était 8 heures sonnées de la soirée, lorsque notre ancre à la dent mordante, en tombant, captiva notre vaisseau. Une pluie froide et battante nous fouettait la figure et la marée était toute fine basse. Comme le débarquement s'o- 12 LETTRES SUR I.'lITI D'ANTICOSTI pérait en chaloupe, je résolus de passer la nuit à bord dans ma bonne cabine. Je n'avais pas cependant compté avec Monsieur le Gouverneur de l'île, qui m'envoya chercher tout de suite, et coûte que coûte, il fallut m'exécuter. Je dois vous dire immédiatement que je n'ai pas eu le moindre regret de m'être rendu à son aimable invitation: une bonne voiture tirée par deux forts chevaux m'attendait sur les galets, à basse marée, et dans un clin d'œil, j'étais l'hôte de M. Comettant. Les expressions me manquent pour vous dire combien Monsieur le Gouverneur et toute sa famille ont été atten­ tifs et bienveillants à mon égard. Jamais je ne pourrai ou­ blier cette hospitalité si gaie, si franche et si cordiale; aussi les quelques jours passés sous ce toit ami ont été pour moi vraiment pleins de charmes. M. le Gouverneur est un homme dans la quarantaine, qui a beaucoup voyagé, très instruit, d'une mémoire prodi­ gieuse, parlant la langue française avec une grande pureté, ayant toujours le mot propre, et d'une conversation des plus intéressantes. M. Arthur Buies, dans un récent article publié dans le Soleil en trace de main de maître un portrait parfait dans les lignes suivantes: " Quand il a un visiteur en mesure, soit par sa condi­ tion, soit par son état, de contribuer en quoi que ce s'oit à faire ressortir dans le Dominion ou à l'étranger la beauté de cette œuvre et de ses prodigieuses conséquences, il dé­ borde envers lui de complaisance et de courtoisie, il se met à son service tout entier, le promène partout où le visiteur pourra trouver quelque notion à prendre ou à corriger, et saura avec une verve qui ne tarit point, avec un entrain de méridional convaincu, l'échauffer et l'éclairer à la flamme qui l'anime, et en même temps lui donner .cette jouissance inexprimable pour tout homme désireux de con­ naître, qui est d'être renseigné sur tous les points, d'ap­ prendre tout ce qu'il désire savoir. LETTRES SUR I/TÏ.E CANTICOSTI 13 " Dans sa maison, M. Comettant est un boute-en-train in­ fatigable. Là il s'épanche, déborde et redevient unique­ ment le camarade, le bon compagnon, l'ami avec lequel on croit avoir passé de longues années de jeunesse. Il parle, parle, mais dit toujours quelque chose. Il peut toucher à tous les points, car il a tout vu et connaît à fond le monde américain qu'il a pratiqué pendant de longues années au service de la Compagnie Transatlantique, dont il était un MONSIEUR LE GOUVERNEUR DE L'ILE D'ANTICOSTI des officiers. Il a invariablement le mot clair, net, frap­ pant. Toujours prêt, toujours chargé, il faut qu'il éclate et il ne pourra* en finir avec son endiablé de verve qu'après que tous les aliments auront été épuisés, sans que lui-même soit près de l'être. Monsieur Menier aurait pu difficilement se passer d'un homme de ce tempérament, aux débuts d'une entreprise qu'il tentait avec tous les risques d'un effrayant inconnu et avec toutes les grimaces du destin folichonnant autour de lui." 14 LETTRES SUR i/lLE D'ANTICOSTI Vous voyez que M. Buies a encore une plume jeune et toujours finement taillée. Ces lignes tracent au parfait le caractère de cet homme pratique, intelligent, consciencieux et toujours à son devoir. Monsieur Lucien-Oscar Comettant, gouverneur de l'île d'Anticosti, est né à New-York le 18 juin 1853, pendant le séjour qu'y fit son père, M. Oscar Comettant, le littérateur si connu, qui a écrit sur les Etats-Unis cinq ouvrages diffé­ rents qui sont dans toutes les bibliothèques. Il a fait ses études au Lycée de Versailles où il était considéré comme un excellent élève. Pendant la guerre franco-allemande de 1870, quoique âgé de 17 ans seulement, il contracta un engagement volontaire et servit, aux côtés de son père, engagé comme lui et âgé de 51 ans, dans l'armée de Paris, au 116e régiment de marche. Il supporta vaillamment les horreurs du siège, et combat­ tait à l'affaire de la gare aux Boeufs et à la fameuse sortie du 19 janvier 1871, à Buzenval. Il s'unit, à l'âge de 25 ans et demi, à la fille d'un gros in­ dustriel de la' ville de Nancy, M. Alfred Mangeot, facteur de pianos. Quand M. Henri Menier s'assura des services de M. Co­ mettant, ce dernier était attaché à la Oie Générale Transa­ tlantique, depuis seize ans déjà, en qualité de commissaire, et avait fait, à bord des paquebots de cette compagnie, trois cent quarante fois la traversée de l'Atlantique-Nord. M. Comettant est titulaire d'un témoignage officiel de satisfaction qui lui a été décerné par le Ministre de la Ma­ rine à la date du 17 février 1890, " pour l'énergie et le dé- " vouement dont il a fait preuve, le 4 janvier 1890, à New- " York, lors de l'incendie du paquebot de la Compagnie Gé- " nérale Transatlantique " La Champagne." M. Comettant est également titulaire d'une médaille de vermeil de la So­ ciété des Sauveteurs de la Seine, d'une médaille de vermeil LETTRES SUR i/lLE D'ANTICOSTI 15 de la Compagnie Générale Transatlantique et d'une mé­ daille d'argent de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés.
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