
soMM aire • Journal littéraire Michel crépu 9 Debray, Sylvester, Sainte-Beuve, Baudelaire, Leopardi, Pompidou... • grand entretien cléMent rosset 19 Un maître de la désillusion et édith de la héronnière • études, reportages, réFleXions Marc FuMaroli 35 Albi ou la science de croître en demeurant robert Franck et thoMas goMart 59 Entretien Pour une histoire des relations internationales ou vers une histoire globale ? annick steta 66 Adam Smith, le père tranquille de l’analyse économique Marin de viry 73 La viduité altière Jean-pierre naugrette 77 Pourquoi Edward Hopper a-t-il intitulé son chef-d’œuvre « Nighthawks » ? • pourquoi soMMes-nous si crédules ? gérald bronner 85 Pourquoi nos contemporains sont-ils crédules ? rayMond boudon 95 Quand la science officialise le faux yves bréchet 108 Sur les bulles spéculatives dans le choix des sujets scientifiques 2 févriEr 2013 • wagner et le roMantisMe eryck de rubercy 121 Richard Wagner, une œuvre colossale thierry clerMont 131 riccardo le vénitien robert kopp 138 Baudelaire, Wagner, Nietzsche • CRITIQUES • livres Frédéric verger 151 Jacques Barzun, Michel Crépu aurélie Julia 161 Odyssée congolaise • expositions olivier cariguel 167 Quelques instantanés du peintre Jacques-émile Blanche Véronique gerard powell 170 Le musée de la vie romantique à Paris • Musique Mihaï de brancovan 175 Une Carmen ratée • disques Jean-luc Macia 177 De la mise en scène d’opéra, entre controverses et audaces • notes de lecture 181 oliver hilMes par Charles ficat, richard wagner par Charles ficat, ludwig hohl par Gérard Albisson, günther anders par Gérard Albisson, Maurice blanchot et pierre Madaule par Alexandre Mare, roMain rolland par édith de La Héron- nière, dinu pillat par Aurélie Julia, patrick kéchichian par Aurélie Julia, yang Jisheng par frédéric verger, edMundo gÓMez Mango et Jean-bertrand pontalis par Gérard Albisson. 3 Éditorial est un privilège pour la Revue des Deux Mondes que de célébrer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, C’ comme d’un ancien membre de la famille. La grande et capi- tale querelle du romantisme dont la Revue se fit alors l’écho, Baudelaire au premier rang, fait partie des souvenirs prestigieux d’une très longue histoire. D’une certaine manière, nous pouvons dire : « Nous y étions ! » Fort bien. Mais il va de soi qu’un tel privilège ne saurait consister seu- lement dans l’exhibition de quelques rares bijoux, comme une pièce de musée. Si ce bicentenaire a un quelconque intérêt, c’est de révéler à quel point cette affaire du romantisme n’est pas close, qu’elle continue de hanter les esprits et qu’il vaut la peine de continuer à la scruter. La crise romantique a inauguré toutes les autres, qui en découlent : il n’y aurait pas d’histoire des avant-gardes s’il n’y avait pas d’abord une histoire du romantisme à écrire. On lira ici l’article consacré par Frédéric Verger à l’œuvre de Jacques Barzun, grand historien fran- çais du romantisme, mort en octobre dernier à l’âge de 104 ans. Il vivait aux États-Unis, aucun de ses ouvrages n’a été traduit dans son pays natal... Que Wagner, par l’exception de son génie même, ne se confonde pas au sein d’une telle histoire, c’est une évidence dont Nietzsche s’est le premier avisé. Retourner sur les pas de cette histoire comme c’est le cas avec cette nouvelle livraison de la Revue, c’est donc 5 éditorial poursuivre, comme l’explique Eryck de Rubercy, un travail de déchif- frement des hantises de notre temps où Richard Wagner demeure un interlocuteur incontournable. L’histoire, la mémoire, ici, une fois de plus, servent à comprendre notre présent. Un présent qui ne cesse d’osciller entre l’idée fantasmatique qu’on s’en fait et la dureté des faits auxquels on s’oppose. Le gouver- nement de M. Hollande en sait quelque chose. Cela s’appelle le « réel » et le philosophe Clément Rosset en parle ici à Édith de La Héronnière avec la malicieuse subtilité qu’on lui connaît : on ne pouvait imaginer meilleure introduction à la question que pose dans ce même numéro le sociologue Gerald Bronner : « Pourquoi nos contemporains sont-ils crédules ? » Question qui fait écho à cette « connaissance inutile » dont Jean-François Revel s’était fait naguère, et avec quel talent, le Socrate du moment. On retrouvera ici, à l’étude de ce mystère de la bêtise humaine, plusieurs contributions magistrales dont celle du grand sociologue Raymond Boudon, ainsi que celle d’Yves Bréchet. La Revue est heureuse enfin d’accueillir Marc Fumaroli, de l’Académie française, au sein de son comité d’honneur. Elle se réjouit également de publier, sous sa plume, cette splendide évocation de la ville d’Albi, laquelle fait suite à un premier récit de voyage au Japon : manière, pour Marc Fumaroli, d’entreprendre une suite de « lieux », où l’art et l’histoire concourent à rendre toujours vive, en dépit de tout, une expérience possible de la beauté. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Bonne lecture, M.C. 6 journal littéraire • michel crépu Debray, Sylvester, Bacon, Sainte-Beuve, Baudelaire, leopardi, pompidou... journal littéraire Debray, Sylvester, Bacon, Sainte-Beuve, Baudelaire, leopardi, pompidou... n michel crépu n undi Déjeuner avec T. Il dit que le principal sujet de conversation ldans les dîners, en dehors de l’affaire Depardieu, est la fin du livre papier. Dépôt de bilan de Virgin Megastore, petites librairies confidentielles tellement précieuses balayées comme des fétus, baisse vertigineuse de la lecture chez les jeunes, etc. Je ne sais pas quoi répondre, tant ce tableau de fin d’un monde ne souffre pas la discussion. (Épouvanté je suis, après que P. m’a raconté que son fils passait des nuits entières à des batailles sur jeu vidéo : il a au moins 20 ans, il fait médecine. Des nuits entières, c’est affreux. Quand je pense que mes insomnies étaient balzaciennes ou proustiennes...) Impossible d’objecter quoi que ce soit. Donc silence. En mon for intérieur, n’ayant rien contre les « nouvelles pratiques immatérielles » (comme de commander n’importe quel livre, qui arrive tout de suite par la voie des airs. Et quand bien même m’y opposerai-je ? Don Quichotte lui-même rirait de moi : c’est lui, le personnage à inventer maintenant : un Don Quichotte revenu de tout, riant de lui-même, de ses donquichotteries), je me suis déjà préparé à mes futures conditions de clandestinité livresque. Je m’apprête à redevenir l’amateur-collectionneur du XVIIIe que j’étais dans une vie antérieure. Mes librairies favorites vont devenir mes cabinets de curiosités : mes livres ne seront plus des livres, ils seront des objets de collection, cela ne m’empêchera pas de les lire quand même. Leurs pages ne m’en seront que plus 9 journal littéraire Debray, Sylvester, Bacon, Sainte-Beuve, Baudelaire, leopardi, pompidou... précieuses. Par exemple, mes chers vieux livres de poche vont devenir bientôt de petites « rocailles » fort recherchées, hors de prix. Ah, je sens que cela va être délicieux : finir riche antiquaire entre amis raffinés, évoquant le vieux temps autour d’un samovar. J’ai toujours rêvé de faire partie de ce petit groupe de noctambules évoquées par Dostoïevski dans son Journal d’écrivain. Le moment, vers trois heures du matin, où quelqu’un dit : « Messieurs, et si nous parlions de Gogol ? » Et ils en parlent, tandis que le soleil se lève sur la Neva. mardi Hier, tout en lisant l’excellent recueil de Régis Debray Modernes catacombes (1), promenade boulevard Haussmann, à la recherche d’une librairie. J’ai marché depuis le square Louis-XVI jusqu’au musée Jacquemard-André. Pas l’ombre d’une, sauf cette petite, aux étagères tapissées d’ouvrages reliés du Grand Siècle. Un petit homme se tenait là, derrière un immense écran. Je n’ai pas voulu le déranger, il traitait avec un client de Hongkong, comme mes bons amis de la librairie Orientalis, boulevard de Port-Royal, qui en reviennent. À Hongkong se tenait le mois dernier la Foire interna- tionale du livre ancien. Sur la baie, au milieu des tours mirifiques du grand marché mondial, on aura scruté tel exemplaire original des Fables de La Fontaine, comme naguère on maniait avec un linge des statuettes de Sumer. Je dois dire que cette sorte de collision oxymorique entre le plus radical Nouveau et le plus radical Ancien m’enchante. Moi-même, j’ai l’impression de devenir l’un de ces vieux érudits des premiers âges de la Chine. J’ai mes carnets, mes crayons, et je recopie. L’ordinateur ne me sert qu’à ranger. À la fin seulement, quand il n’y a plus moyen de faire autrement. Sinon, il reste muet, replié, je n’ai nul besoin de lui. Alors qu’avec mes chers crayons ! Jamais ma main ne se sera sentie aussi à l’aise avec ma pensée : comme je comprends maintenant ces fameux moines copistes qui ont passé leur vie à recopier la Bible ! Comme un imbécile, j’ai longtemps pensé qu’ils devaient s’ennuyer. Quelle lamentable erreur de vue ! Recopiant inlassablement, ils mangeaient le texte. Oh, je ne sais pas ce qui me retient d’écrire un bon éloge du copiste. Recopier 10 journal littéraire Debray, Sylvester, Bacon, Sainte-Beuve, Baudelaire, leopardi, pompidou... est le travail même : je recopie un verset d’Isaïe ou une pensée de Voltaire comme Cézanne ou Picasso copiaient Velázquez et Goya au Louvre. Assimilation d’une forme par son corps même. Je ne lis pas seulement Voltaire, je le deviens. C’est merveilleux. Après, seulement après, je peux produire mon petit cinéma, ma propre lanterne magique. NB, au sujet de Régis Debray : je crois qu’il a bien fait de raser sa moustache, reliquat ultime des années rouges.
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