
Quand les Guignols de l’Info rient jaune ; Les élections françaises du printemps 2002 Patrick Schmoll To cite this version: Patrick Schmoll. Quand les Guignols de l’Info rient jaune ; Les élections françaises du printemps 2002. Revue des Sciences sociales, Presses Universitaires de Strasbourg, 2010, Humour et dérision, pp.86-91. hal-01286804 HAL Id: hal-01286804 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01286804 Submitted on 11 Mar 2016 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Patrick Schmoll Quand les Guignols de l’Info rient jaune PATRICK SCHMOLL Ingénieur de recherches CNRS Laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » (CNRS / UdS) <[email protected]> Quand les Guignols de l’Info rient jaune Les élections françaises du printemps 2002 e succès des émissions satiri- fait donc un concurrent de celui-ci. ques télévisuelles et radiopho- C’est cette limite que nous souhaitons L niques montre que l’humour et explorer, dans ses effets de paradoxe la dérision sont devenus une moda- que les Français ont pu vivre à l’oc- lité d’expression dominante dans le casion des élections présidentielles et champ du débat politique en France. législatives de 2002. Le point d’orgue de cette évolution Après le retrait de Coluche, puis sa aura sans doute été la candidature de disparition en 1986 dans un accident Michel Colucci, alias Coluche, aux de la route, deux émissions satiriques élections présidentielles de 1981. Le télévisées se sont longtemps partagé célèbre clown, qui animait une émis- les faveurs du public, le Bébête-Show sion sur la station de radio Europe 1 sur TF1 et les Guignols de l’Info sur où il commentait l’actualité politique, Canal Plus. Le Bébête-Show est créé fut rapidement crédité de 15 à 17% en 1981 par Stéphane Collaro dans le d’intentions de vote, perturbant pro- cadre de son émission Cocoboy, sur fondément le jeu électoral tradition- le modèle du fameux Muppet’s Show nel, avant que des pressions politiques anglais. Les personnages politiques y l’incitent à renoncer à sa candidature. prennent la place des marionnettes Il y a là le signe d’un rapport ambigu connues de ce programme. François du rire au pouvoir : le rire bouscule Mitterrand est par exemple incarné le confort des croyances, il interroge par la grenouille Kermitterrand. Quo- les savoirs dogmatiques et les mora- tidien à partir de 1988, le Bébête-Show les conventionnelles, et menace donc organise sa scénographie autour d’un l’assise même du pouvoir ; mais ce fai- comptoir de café où les personnages sant, il devient lui-même source d’un se retrouvent devant leur “canon” pouvoir, dont le rieur est parfois bien pour discuter. C’est également en embarrassé. Cette ambiguïté devient 1988 qu’Alain de Greef, directeur des patente dès lors que la dérision est programmes sur Canal Plus, décide relayée et organisée par un média de remplacer Les Nuls par une adap- comme la télévision qui l’assure du tation de la production britannique même public que le politique et en Spitting Image, sous le titre Les Arè- 86 RSS43.indb 86 19/04/10 15:54:04 Patrick Schmoll Quand les Guignols de l’Info rient jaune nes de l’Info. D’abord hebdomadaire, l’autre. Par exemple Bernard Tapie se que le Bébête Show. Le couple émet- l’émission devient quotidienne et signale par un “parler vrai” qui n’est teur-récepteur n’est de ce fait pas le prend le nom de Guignols de l’Info. toutefois que l’élément saillant de son même : dans un cas, un public plus âgé, Alors que le Bébête-Show voit son paraître public, ce qui s’exprime dans plus rural, de CSP moins élevée que la audience diminuer progressivement, l’émission des Guignols de l’Info par la moyenne, dans l’autre un public plus et interrompt finalement ses émissions franchise cynique, le propos vulgaire jeune, plus urbain, de CSP plus élevée après les élections présidentielles de et la propension au tutoiement de sa (Fraisse 1995). 1995, celles-ci consacrent au contraire marionnette. – Le traitement du simulacre et le succès des Guignols, qui avaient déjà Soulignons d’emblée, avec Marlène de la représentation est également pris un avantage déterminant avec le Coulomb-Gully, mais aussi avec Annie différent dans les deux émissions. Le traitement, dans les formes caricatu- Collovald et Erik Neveu (1996), la mise Bébête Show postule un rapport au rales du “show”, de la première Guerre en abyme introduite par ce “spectacle réel et à la représentation conforme à du Golfe en 1991. Depuis une ving- du spectacle”, car ce sur quoi nous une vision classique, les marionnettes taine d’années, les Guignols de l’Info insisterons, c’est que, selon la scéno- sont clairement des caricatures. L’op- occupent ainsi une position de quasi- graphie choisie par l’émission, cette position entre le modèle et la copie monopole sur le terrain de la satire mise en abyme peut être démultipliée est moins nette dans les Guignols, qui politique télévisuelle. par le média télévisuel en un “spectacle sont débarrassés de la référence ani- du spectacle du spectacle”, qui per- malière des marionnettes du Bébête Guignols et Bébête met d’expliquer, d’une part, le succès Show et remplissent généralement d’une émission par rapport à l’autre, dans la fiction le rôle qu’elles ont dans Show : des ressources et d’autre part, la contribution de cette la réalité : le présentateur de l’émission, communes, des émission aux effets de miroirs et de “PPD”, est la marionnette de Patrick dispositifs divergents surprise qui vont affecter le processus Poivre d’Arvor, présentateur emblé- n électoral. matique du journal télévisé du soir sur Marlène Coulomb-Gully pointe les TF1. Leur langage est très proche de la Marlène Coulomb-Gully a consacré différences importantes entre les deux façon dont s’expriment les originaux : plusieurs articles à l’étude comparée émissions : les allusions obscènes et scatologiques de ces deux émissions et y revient dans – Les formes de sollicitation du fréquentes dans le Bébête Show n’affec- un ouvrage plus largement consacré public divergent profondément. Le tent dans les Guignols que les person- aux rapports entre télévision, specta- principe du spectacle repose sur la nages effectivement connus pour leur cle et élections, paru en 2001. Nous dimension fondamentalement grou- vert-parler. La scénographie des deux nous appuierons sur ses analyses pour pale du rire. Mais dans le Bébête Show émissions consacre cette différence. Le montrer qu’elles sont confirmées par on indique au téléspectateur quand réel est figuré dans le Bébête Show par les événements électoraux de 2002, qui rire au moyen de rires pré-enregistrés l’espace du bar, adaptation contem- permettent aussi de les compléter et de censés entraîner l’hilarité du public, poraine du café du commerce, où se les prolonger. sur le modèle des sitcoms télévisés. côtoient les hommes politiques, ce Le Bébête Show et les Guignols de Dans les Guignols le spectacle est qu’ils ne font pas dans la réalité. Alors l’Info relèvent d’une tradition satiri- “live”, la foule effectivement présente que le réel figuré dans les Guignols que ancienne, où elles puisent leurs dans le studio du programme Nulle est celui de l’espace médiatique lui- parentés : part ailleurs assure cette fonction d’en- même : une parodie du journal télévisé – La visée est pareillement mora- traînement. La caution provient d’un du soir, avec ses reportages. liste dans les deux émissions. La satire public réel d’un côté, elle est fictive de Marlène Coulomb-Gully souli- dévoile que le politique est un specta- l’autre. gne les effets médiologiques de cette cle, dans lequel les politiciens jouent – La compétence du récepteur pos- confusion entre les deux paraître, des rôles inauthentiques. Elle vise tulée par les deux émissions n’est pas celui du spectacle et celui du poli- donc à dénoncer l’écart mensonger la même. On a souvent souligné la dif- tique. Progressivement, les Guignols entre l’être des hommes politiques et férence d’orientation idéologique des s’affranchissent de la référence de leurs leur paraître. deux émissions, populiste pour l’une, personnages aux êtres réels qu’ils cari- – Les procédés comiques sont ceux intellectuelle pour l’autre. Explicite caturent. “PPD” n’est plus seulement de la farce, déjà utilisés dans le théâtre et visuel, le comique du Bébête Show la parodie d’un présentateur : il est un de Guignol, auquel l’émission de Canal fonctionne le plus souvent au premier présentateur réel qui anime une émis- Plus emprunte son nom. La satire est degré, sans croisement d’effets mul- sion de Canal Plus. « Nous à Canal donc elle-même un spectacle : elle ne tiples et contradictoires. Au contrai- Plus… » dit-il parfois, oubliant que peut pas montrer directement l’écart re, jouant davantage sur l’implicite, son modèle est censé travailler à TF1. entre l’être et le paraître des person- le langagier, sur des décrochements Les marionnettes du présentateur télé- nages mis en scène, elle doit le faire de sens complexes entre le dit, l’écrit visé et du président de la république en introduisant une divergence entre et le montré, les Guignols postulent Jacques Chirac forment au cours des deux états du paraître, l’un singeant un récepteur plus agile et plus subtil deux mandats de ce dernier, soit douze 87 RSS43.indb 87 19/04/10 15:54:04 Patrick Schmoll Quand les Guignols de l’Info rient jaune ans de 1995 à 2007, un tandem qui – L’une des explications possibles à rire de tout, à ne considérer rien acquiert la stabilité d’un vieux couple.
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