Lilia Ben Salem, ``Propos Sur La Sociologie En Tunisie ''

Lilia Ben Salem, ``Propos Sur La Sociologie En Tunisie ''

Lilia Ben Salem, “Propos sur la sociologie en Tunisie ” Sylvie Mazzella, Lilia Ben Salem To cite this version: Sylvie Mazzella, Lilia Ben Salem. Lilia Ben Salem, “Propos sur la sociologie en Tunisie ” : Entretien avec Sylvie Mazzella. Genèses. Sciences sociales et histoire, Belin, 2009, Le corps discipliné, pp.125- 142. hal-01217286 HAL Id: hal-01217286 https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01217286 Submitted on 19 Oct 2015 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. FENÊTRE L Lilia Ben Salem, «Propos sur la sociologie en Tunisie» Entretien avec Sylvie Mazzella pp. 125-142 «Il n’y a pas de pays sous-développés. Il n’y ration des débouchés dans la fonction a que des pays sous-analysés» publique. Son histoire appartient-elle à l’histoire Jacques Berque tunisienne de la sociologie française ou, au contraire, à l’histoire française de la sociolo- Lilia Ben Salem est une sociologue gie tunisienne? Débat sans doute byzantin. tunisienne de la première heure, spécialiste La sociologie tunisienne, créée autour de du changement social de la Tunisie l’Indépendance dans le giron des études contemporaine. Ses travaux sur la forma- philosophiques et marquée par des figures tion des cadres supérieurs et sur la famille de la sociologie française, Gurvitch, sont parmi les plus reconnus. Après avoir Berque, Duvignaud, a été l’enjeu du para- obtenu une licence de sociologie, elle res- doxe intellectuel du post-colonialisme : tera en Tunisie plutôt que de continuer ses trouver la voie de l’émancipation en utili- études supérieures en France comme la plu- sant les armes forgées par la tradition intel- part de ses collègues. Elle entre en tant que lectuelle française. En un sens, on retrouve chercheur dans un des premiers centres de la même question dans tous les pays coloni- recherche en sciences sociales tunisiens, le sés par la France, notamment au Maghreb. CERES (Centre d’études et de recherches Mais les conditions particulières de l’indé- économiques et sociales), peu après sa créa- pendance tunisienne, les hommes – et les tion par le secrétariat d’État à l’Éducation femmes – acteurs de cette émancipation, les nationale en 1962. Elle soutient sa thèse en événements singuliers – comme la bataille 1968 sous la direction de Georges Balan- de Bizerte – les singularités tunisiennes de dier, Jean Duvignaud et Jacques Berque l’arabisation, les spécificités du courant étant membres du jury. Elle a vécu l’héri- développementaliste et de la sociologie tage colonial de l’enseignement français, le politique en général, font de cette sociolo- bilinguisme de l’ère bourguibienne, l’arabi- gie tunisienne un cas particulier, distinct de sation, la « massification » de l’Université ses voisins marocain et algérien. La Tunisie, dans les années 1980, la «professionnalisa- par exemple, n’a pas connu le climat de vio- tion» des sociologues à un moment de satu- lence et de peur qui a régné en Algérie dans Genèses 75, juin 2009 125 L FENÊTRE les années 1990 et affecté le travail des Sylvie MAZZELA. – Dans quel contexte « intellectuels », en particulier celui des l’enseignement de sociologie a-t-il été créé en chercheurs et des universitaires des sciences Tunisie? sociales, comme a pu le souligner Ali El- Lilia BEN SALEM.– La licence de sociolo- Kenz (1998). gie a été créée à Tunis en 1959, en même La sociologie tunisienne a été particuliè- temps qu’à la Sorbonne, dans le cadre de rement déterminée par le contexte historique l’Institut des hautes études. Il importe de la décolonisation, qui a mis au premier d’évoquer les circonstances de ce choix. plan l’analyse des conditions du développe- L’université de Tunis ne verra le jour qu’en ment et des obstacles à celui-ci (en matière 19601 mais, dès 1945, avait été créé l’Insti- d’industrialisation, d’éducation, de condition tut des hautes études, qui regroupait des féminine ou de parenté). Mais cette sociolo- enseignements universitaires dans diverses gie a aussi été portée par les acteurs intellec- disciplines. Il ne s’agissait pas, au début, de tuels qui ont infléchi son parcours: les élèves proposer des cursus universitaires complets. de Georges Gurvitch qui lui ont donné son Généralement des enseignements de pre- tropisme politique, les disciples de G. Balan- mière année étaient dispensés comme, en dier ou de J. Duvignaud qui l’ont ancrée lettres, la propédeutique ou le certificat dans l’enquête de terrain, et aujourd’hui Lilia d’études littéraires générales. Les étudiants Ben Salem ou Dorra Mahfoudh qui veulent qui avaient réussi devaient ensuite pour- lui faire prendre le virage de la professionna- suivre leurs études dans une université lisation. L’arabisation qui, depuis les années française. Au fur et à mesure, et surtout 1970, occupe l’espace politique et culturel – après l’indépendance du pays, certaines voire spirituel – de la Tunisie, comme elle lie licences d’enseignement ont vu le jour, les pays du Maghreb à ceux du Proche et du notamment en sciences et en lettres Moyen-Orient, pose moins la question de la (licence d’arabe, d’histoire et géographie) « sociologie arabe » que de la sociologie en avec la création de l’École normale supé- arabe. Si la question de «l’impérialisme de rieure en 1956. C’est dans cet esprit qu’a l’universalité occidentale» pèse sur les débats été mis en place un premier certificat de la de la sociologie tunisienne, c’est pour mieux licence en philosophie, le certificat de reformuler, comme ailleurs, les conditions de morale et sociologie. Cette initiative cor- sortie des grands paradigmes – marxistes ou respondait moins à une volonté de donner fonctionnalistes – et consolider, avec Abdel- aux étudiants la possibilité de faire une kader Zghal, la notion de spécificité cultu- licence de philosophie à Tunis qu’à un relle. La sociologie tunisienne est, au fond, à souci de satisfaire des professeurs agrégés l’image de sa société, tendue entre tropisme qui, depuis plusieurs années, enseignaient francophone et identité arabe, contrôle auto- cette discipline dans le secondaire et à ritaire et liberté interstitielle de parole, égali- l’Institut des hautes études. Deux d’entre tarisme et libéralisme, culture rurale et déve- eux avaient entamé une thèse de doctorat, loppement urbain. Jean Cuisenier (1971) et Carmel Camilleri Il existe bien une sociologie propre- (1971). Georges Granai, qui avait été ment tunisienne qui se caractérise dans l’élève de Gurvitch, y enseignait la sociolo- cette passion politique, indépendantiste gie. La sociologie suscitait un intérêt en naguère, militante hier, experte aujourd’hui, Tunisie dans le contexte de la politique de dont L. Ben Salem témoigne dans cet développement. Il importe de rappeler que entretien. l’Institut des hautes études avait déjà initié, 126 Sylvie Mazzella s Lilia Ben Salem, « Propos sur la sociologie en Tunisie » FENÊTRE L depuis le printemps 1951, un cercle S. MAZZELA. – Quelle a été la première géné- d’études sociologiques, ethnologiques et ration des sociologues tunisiens? géographiques qui s’était donné pour Lilia BEN SALEM.– Nous n’étions pas plus objectif d’entreprendre un certain nombre d’une quinzaine d’étudiants en sociologie. d’études. En octobre 1955, l’Institut avait Seuls quelques-uns d’entre nous ont été organisé un colloque sur les niveaux de vie jusqu’au bout de la licence : Abdelkader en Tunisie auquel avait participé Paul Zghal qui sera plus tard, comme moi, cher- Sebag qui enseignait alors au lycée Carnot. cheur au CERES, Fredj Stambouli et Khlil Nommé, peu après, chargé de recherche à Zamiti qui seront, après la soutenance de L’Institut des hautes études, il entreprendra leur thèse de 3e cycle, recrutés comme assis- avec quelques collègues un certain nombre tants dans le département de sociologie, et de monographies sur les salariés de la Mokhtar Chouikha qui s’orientera ensuite région de Tunis et sur les quartiers péri- vers les sciences politiques et sera plus tard phériques de la capitale2. diplomate. Nous avions également avec nous Claude Tapia qui poursuivra sa car- S. MAZZELA. – C’est donc dans ce contexte rière à l’université de Tours, Monique Laks des années 1950 que la licence de sociologie est qui partira à Bordeaux… Outre Georges créée? Granai, nous avions comme professeurs Lilia BEN SALEM.– Oui, c’est dans ce René Duchac qui enseignait la psychologie contexte et avec l’appui de J. Berque que fut sociale, Paul Sebag qui nous initiait à décidée, en 1959, la création du Centre l’enquête de terrain et Hassouna Ben Amor d’études sociales et de la licence de sociolo- qui assurait l’enseignement des statistiques. gie au sein de l’Institut des hautes études. G. Granai, nommé à Aix-en-Provence, sera G. Granai fut le premier directeur du remplacé dès 1960 par J.Duvignaud. Duvi- Centre d’études sociales et le premier chef gnaud était un personnage assez hors du du département de sociologie. Les étu- commun, sociologue3 mais aussi journaliste diants de la première promotion étaient peu et écrivain. Il était venu pour la première nombreux. C’étaient des étudiants qui fois à Tunis après le bombardement de avaient suivi les enseignements du certificat Sakiet Sidi Youssef4. Il avait découvert de morale et sociologie et décidé de renon- Tunis et Sidi Bou Saïd où il s’installera cer à la philosophie, ainsi que quelques pendant son séjour en Tunisie.

View Full Text

Details

  • File Type
    pdf
  • Upload Time
    -
  • Content Languages
    English
  • Upload User
    Anonymous/Not logged-in
  • File Pages
    19 Page
  • File Size
    -

Download

Channel Download Status
Express Download Enable

Copyright

We respect the copyrights and intellectual property rights of all users. All uploaded documents are either original works of the uploader or authorized works of the rightful owners.

  • Not to be reproduced or distributed without explicit permission.
  • Not used for commercial purposes outside of approved use cases.
  • Not used to infringe on the rights of the original creators.
  • If you believe any content infringes your copyright, please contact us immediately.

Support

For help with questions, suggestions, or problems, please contact us