20 Biologie évolutive humaine 1 1 Avec la participation de : Sous la direction de : Charlotte FAURIE & Michel RAYMOND P. Adriaens 2 1 A. Alvergne 3 Biologie Évolutive Humaine, Institut des Sciences de l’Évolution (UMR 5554), CNRS — 4 Université de Montpellier II, France J.-B. André * 2 Institut Supérieur de Philosophie, Université de Leuven, Belgique 5 3 N. Baumard * Département d’Anthropologie, University College London, Royaume-Uni 6 4 D. Caillaud Écologie et Évolution (UMR 7625), CNRS — Université Pierre-et-Marie Curie, Paris, 7 France C. Coupe 5 1 Institut d’Anthropologie Cognitive & Évolutive, Université d’Oxford, Royaume-Uni A. Courtiol 6 1 Département de Primatologie, Institut Max Planck d’Anthropologie Évolutive, Leipzig, B. Godelle Allemagne. Section de Biologie Intégrative, Université du Texas, Austin, USA 7 E. Heyer 8 Laboratoire Dynamique du Langage (UMR 5596), CNRS — Université de Lyon, France 8 E. Huchard 1 Génétique des populations humaines, Département Hommes, Natures, Sociétés (UMR 7206), 10 CNRS — Muséum National d’Histoire Naturelle — Université Paris-Diderot, France V. Lummaa 9 11 Anthropologie et écologie humaine, Département Hommes, Natures, Sociétés (UMR 7206), O. Mascaro * CNRS — Muséum National d’Histoire Naturelle — Université Paris-Diderot, France 10 H. Mercier 12 Human Life History Project, Département de Biologie Animale et Végétale, Université de 13 Sheffield, Royaume-Uni A.P. Møller 11 11 Institut Jean Nicod, École Normale Supérieure, Paris, France 12 O. Morin * Programme de Philosophie, Politique et Économie, Université de Pennsylvanie, USA 14 13 C. Moyse-Faurie Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution, Université Paris-Sud XI, Orsay, France 14 P. Pasquet 9 Laboratoire de Langues et Civilisations à Tradition Orale (UMR 7107), CNRS, France 15 8 Institute for Advanced Study in Toulouse, Université Capitole 1, Toulouse, France S. Pavard 16 15 Département de Biologie Moléculaire et Cellulaire Université de Californie à Berkeley, Berkeley, A. Tognetti USA C. Wyart 16 * Ces auteurs, afin de se démarquer scientifiquement du reste du chapitre, précisent quelle a été leur contribution : J.-B. André : Paragraphes 4.3, 4.5 et Encadré 3 ; N. Baumard : Paragraphes 4.3, 4.5 et 4.7 ; O. Mascaro : Paragraphe 4.2 ; O. Morin : Paragraphe 4.7 et Encadré 2. 661 662 Chapitre 20 BIOLOGIE ÉVOLUTIVE HUMAINE 1 DÉFINITION, HISTORIQUE 2 Du gène à l’inDIVIDU L’extension de la biologie évolutive à l’espèce humaine est 2.1 Des adaptations physiologiques relativement récente. En France, les sciences humaines et la biologie sont enseignées dans des universités distinctes, les 2.1.1 La vie en montagne : adaptations à l’altitude institutions régissant ces champs scientifiques sont eux aussi distincts. L’étude intégrée des interactions entre les aspects La majorité des populations humaines vivent à une altitude biologiques et culturels de l’homme n’est donc pas chose comprise entre 0 et 1 000 m. À des altitudes supérieures, par aisée. Il en résulte un malaise, encore apparent aujourd’hui, exemple au-dessus de 3 500 m, la pression partielle d’oxy- entre biologie et sciences humaines. gène est insuffisante pour une saturation normale de l’hé- Pour une raison que l’histoire des sciences éclairera moglobine : le voyageur d’altitude va s’essouffler, la quan- sans doute un jour, les sciences humaines, jusqu’à la fin du tité d’oxygène transportée devenant insuffisante. Diverses e XX siècle, ont soigneusement écarté toute notion d’évolu- réponses physiologiques vont se mettre en place, comme une augmentation de la concentration de globules rouges, avec tion. Les raisons de ce refus de considérer les processus évo- des risques concomitants (par exemple : thrombose, œdème lutifs sont en partie idéologiques : beaucoup ont du mal à ac- pulmonaire). cepter que leurs comportements et leurs choix puissent être Plusieurs régions d’altitude ont été colonisées indépen- influencés par leurs gènes. Ils attribuent à l’homme un sta- damment par l’homme, dont les Andes et le plateau tibétain. tut à part, différent de celui des animaux : il se serait « ex- Dans ces deux cas, une adaptation spécifique s’est mise en trait » de la sélection naturelle grâce à sa culture et à sa mo- place. Dans les Andes, c’est une augmentation de la concen- rale. On trouve les premières traces de ce phénomène dans tration en hémoglobine qui compense la sous-saturation en l’article 1 des statuts de la société de linguistique de Paris oxygène des molécules d’hémoglobine (Beall 2006). Sur le (1876), qui précise qu’il est interdit d’étudier l’origine des plateau tibétain, c’est un flux sanguin plus élevé qui per- langues. La tendance à considérer que l’on pouvait expliquer met de réaliser un apport suffisant d’oxygène dans les cel- les comportements humains en ignorant les processus évo- lules (Erzurum et al. 2007). Dans les deux cas, on n’observe e lutifs a culminé avec le structuralisme durant le XX siècle, pas les effets délétères de ces changements physiologiques : qui a touché pratiquement l’ensemble des sciences humaines, l’Andain n’a pas plus de thrombose, ni le Tibétain d’hyper- depuis l’anthropologie structurale de Levi-Strauss, jusqu’à la tension, que les individus vivant habituellement en basse al- grammaire générative de Chomsky, en passant par la géné- titude. De plus, dans les populations tibétaines, il a été mon- tique épistémologique de Piaget, l’analyse synthétique des tré que des facteurs génétiques permettant d’augmenter la peintures paléolithiques de Leroi-Gourhan, l’approche com- saturation de l’hémoglobine en oxygène sont actuellement parative des religions d’Éliade, etc. On peut inclure à cette sous sélection (Beall et al. 2004, Strohl 2008, Simonson et liste le freudisme, qui est antérieur aux mouvements se di- al. 2010). Il est possible qu’un troisième type d’adaptation à la vie en altitude existe, dans les hautes montagnes éthio- sant structuralistes, mais qui en montre tous les symptômes. piennes (massif du Semien) : en effet, l’hémoglobine des po- Toutes ces sciences ont un point commun : elles cherchent pulations vivant dans ces montagnes ne présente pas de sous- à expliquer les phénomènes observés en se basant sur des saturation. Le mécanisme responsable de cette augmentation structures supposées lier les différents objets étudiés. En de l’affinité pour l’oxygène n’est cependant pas encore identi- aucun cas l’histoire évolutive réelle des objets étudiés n’est fié (Beall 2006, Beall et al. 2002). prise en compte, ce qui aboutit à des théories qui ont certes Ces exemples montrent que dans des conditions similai- une cohérence interne, et parfois un raffinement intellectuel res (ici l’altitude élevée), des adaptations différentes peuvent avancé, mais qui n’ont généralement aucune valeur réelle- être sélectionnées. En effet, la sélection retient, dans une po- ment explicative ni prédictive. Actuellement, la plupart des pulation, les mutants qui sont adaptés au changement d’en- approches structuralistes sont abandonnées et remplacées vironnement — à condition qu’ils existent — sachant que les par des approches évolutionnistes. mutations, elles, se font au hasard. La séparation entre les aspects biologiques et culturels 2.1.2 La tolérance au lactose et autres exemples n’est pas scientifiquement fondée. L’homme est un animal d’adaptation bio-culturelle et les aspects biologiques ne peuvent pas être ignorés. Il est aussi un animal social, avec une culture développée : les as- La lactase, l’enzyme intestinale qui permet de digérer le lac- pects culturels sont évidemment primordiaux. Mais les as- tose dans le lait, est en général inactivée chez les mammi- pects biologiques et culturels sont en constante interaction : fères après le sevrage. Pourtant, dans certaines populations ce n’est qu’en considérant les deux simultanément que l’on humaines, 80 % des adultes ont une lactase active. On parle peut avancer dans la compréhension des comportements de « tolérance au lactose ». Depuis les années 1970, il est humains. connu que la fréquence élevée de la persistance de la lactase La biologie évolutive humaine consiste à utiliser les à l’âge adulte se retrouve dans les populations d’éleveurs qui outils et les concepts de la biologie évolutive pour compren- consomment beaucoup de lait frais. dre les adaptations présentes dans l’espèce humaine, qu’elles Le scénario admis est que, dans ces populations, le soient d’ordre biologique ou culturel. Elle propose ainsi un changement alimentaire induit par la domestication a créé cadre général pour expliquer les comportements humains. un nouvel « environnement », conférant un avantage sélectif 2 DU GÈNE À L’INDIVIDU 663 aux individus qui pouvaient digérer le lait. La nature de pratiques culturelles et la grande vitesse à laquelle ces change- cet avantage est encore débattue, les hypothèses courantes ments peuvent induire des modifications biologiques. étant : une meilleure absorption de calcium, une résistance à La consommation du manioc nous offre aussi un la déshydratation, une meilleure alimentation durant les pé- exemple d’évolution bio-culturelle. Ce tubercule intervient riodes de disette. à la fois directement et indirectement sur la structure gé- La fréquence du phénotype « tolérance au lactose » varie nétique des populations qui le consomment par l’intermé- de 90 % au Nord de l’Europe à 50 % au Sud, elle est faible diaire des glycosides cyanogéniques résiduels qu’il contient dans les populations non pastorales en Asie et en Afrique (Jackson 1991). La consommation des glycosides cyano- (1 % en Chine, 5-20 % chez les agriculteurs de l’Afrique de géniques augmente la viabilité aux porteurs à l’état hétéro- l’Ouest). Elle atteint des fréquences élevées en Afrique chez zygote de l’allèle HbS. Cet allèle code pour l’hémoglobine S, les pasteurs-éleveurs (90 % chez les Tutsi, 50 % chez les présente dans l’anémie falciforme et rapidement létale à l’état Peuls) (Holden et Mace 1997, Swallow 2003). homozygote. La consommation de manioc, en inhibant la Il existe aussi des populations pastorales avec une faible déformation des globules rouges, permet le maintien de l’al- fréquence de « tolérance au lactose », c’est le cas par exemple lèle S dans la population.
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