La diversité réunionnaise et l’éveil des diasporas : éléments pour repenser une société créole au début du XXIe siècle Thierry Nicolas To cite this version: Thierry Nicolas. La diversité réunionnaise et l’éveil des diasporas : éléments pour repenser une société créole au début du XXIe siècle. Alizés : Revue angliciste de La Réunion, Faculté des Lettres et Sciences humaines (Université de La Réunion), 2012, Intégration/exclusion des minorités à la lumière de l’interculturalité, pp.160-171. hal-02340762 HAL Id: hal-02340762 https://hal.univ-reunion.fr/hal-02340762 Submitted on 31 Oct 2019 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. La diversité réunionnaise et l’éveil des diasporas : éléments pour repenser une société créole au début du XXIe siècle, par Thierry Nicolas et article a pour objectif de placer au cœur de la réflexion sur la di- Cversité de la population réunionnaise le concept de diaspora. Avec l’ouverture au monde de cette société du sud-ouest de l’océan Indien grâce à l’amélioration des conditions de desserte aérienne et les progrès des moyens de communication à distance, il semble de plus en plus difficile de faire l’impasse sur l’analyse du fait diasporique. Toutefois, croiser la réalité diasporique et le caractère pluriel de cette société s’avère une tâche compli- quée. La principale difficulté auquel doit faire face le chercheur travaillant sur La Réunion est d’ordre épistémologique et tient pour l’essentiel au sens que l’on attribue au concept de diaspora. En effet, le sens commun et la sphère médiatique insulaires ont largement contribué à faire coïncider la réalité diasporique avec le phénomène de dispersion de Réunionnais en de- hors du cadre de l’île et de l’hexagone. Depuis le début des années 2000, il est ainsi communément admis que l’accroissement du nombre d’expatriés établis en Australie, en Afrique du sud, au Canada ou dans d’autres contrées lointaines témoigne de la constitution d’une diaspora réunion- naise43. Car, tant que les échanges se limitaient à la métropole et à d’autres départements d’outre-mer, il n’était pas question de diaspora mais plutôt de simples migrations44. Or, le problème réside dans le fait que l’émergence sur la scène publique d’une vision qui résume la diaspora à la dispersion de po- pulations originaires d’un espace donné dans plusieurs pays récepteurs, lui ôte de sa validité scientifique comme l’ont montré des auteurs tels que Mé- dam (1993) ou Bruneau (1995) (Ma Mung :1998 145). Cette vision participe d’une banalisation du concept d’autant plus évidente qu’à l’image du géo- graphe J. Gottmann, il est possible d’affirmer qu’« il devient difficile au- jourd’hui de trouver une nation qui n’ait pas sa diaspora, c’est-à-dire qui n’ait pas une partie souvent importante de son peuple, dispersée en dehors des frontières de l’État national » (21-28). De notre point de vue, si la multipolari- sation des migrations participe de la définition de la diaspora, d’autres as- pects tels que l’interpolarité des relations (Ma Mung : 1994), l’ancienneté de 43 A titre d’illustration, le premier village de la diaspora réunionnaise, qui a permis de donner une idée des différents pays où sont implantées des communautés de réunionnais, ne date que d’octobre 2009. 44 Voir les articles de presse écrits sur le phénomène migratoire notamment celui issu de l’action de l’État à travers le Bumidom puis l’ANT. Thierry Nicolas — 161 l’installation ou le projet identitaire (Hovanessian 11-30) ne peuvent être né- gligés et relégués au second plan. Notre approche se veut différente et novatrice en appliquant le concept de diaspora aux communautés installées localement. Il apparaît que dans l’île, des d’individus aux ascendances diverses partagent l’impression d’être des déracinés et ont désormais pour vocation de s’inscrire dans le réseau diasporique de pays ou de régions d’origine de leurs parents ou de leurs an- cêtres. Cette tendance qui s’est exacerbée à l’extrême fin du XXe siècle nous amène à nous interroger sur la façon dont ces d’individus articulent les dimensions créole et française avec ce nouvel élan diasporique. Comment penser l’hybridité liée à la constitution d’une société créole avec la tentation de retrouver ses racines ? Comment concevoir la relation avec la « mère- patrie » et la volonté de réactiver des liens rompus avec un « pays-mère » ? LA NÉBULEUSE ETHNOCULTURELLE RÉUNIONNAISE Si l’île de la Réunion est connue comme une terre de mélanges et de métissages où les cultures et les individus tendent à se fondre dans un moule créole, il apparaît que la société reste encore subdivisée en groupes. Loin des discours magnifiant l’existence d’un ensemble homogène où tous les apports auraient été amalgamés et fusionnés, la réalité se révèle plus composite. Il est possible de distinguer des groupes d’individus qualifiés dans le langage populaire de « Malbars » (indiens), « Chinois », « Cafres » (afro-malgaches), « Zarabes » (indo-musulmans) ou encore de « Yabs » (blancs), bien que les frontières ne soient pas toujours clairement établies étant donné que l’identité de groupe n’est pas un acte endogène, unilatéral mais s’articule autour d’un processus de catégorisation auquel les non- membres participent (Marc : 2011). Selon F. Marc, ces cinq groupes consti- tuent, avec l’endogroupe rassemblant les individus inclassables (les « mé- tis »), le cœur de la société réunionnaise (cf. schéma) (Ibid.). Ils se dis- tinguent de ce que cet auteur qualifie d’exogroupes qui se situent aux ex- trêmes d’une échelle d’altérité. L’exogroupe « zorey » doté d’une altérité po- sitive par les autres groupes se situe au sommet de cette échelle tandis que les exogroupes « malgache » et « mahoro-comorien » pourvus d’une altérité négative sont au contraire au bas de l’échelle. 162 — La diversité réunionnaise... Source : Franck Marc FIGURE 1. SCHÉMA DE LA NÉBULEUSE ETHNOCULTURELLE RÉUNIONNAISE C’est parmi les cinq groupes ethnoculturels, désignés parfois sous le vocable de « nasyon », que se retrouvent ceux disposant d’une capacité à se muer en communautés diasporiques. Plusieurs facteurs permettent d’étayer une telle affirmation qui dans les années 1980 aurait pu sembler déconnectée du quotidien réunionnais. Nous avons retenu six critères qui, désormais, donnent corps à la dimension diasporique de groupes ethnocul- turels établis à la Réunion. LE SENTIMENT D’UNE ORIGINE COMMUNE En premier lieu, l’existence dans ces groupes ethnoculturels d’un senti- ment implicite ou explicite d'une origine supposée commune. C'est indénia- blement le facteur qui donne à la réalité diasporique son unité première et qui est présent dans un certain nombre communautés installées à la réunion. L’un des indicateurs privilégiés de ce sentiment est l’importance de Thierry Nicolas — 163 la vie associative qui est particulièrement forte notamment dans les commu- nautés chinoise et indienne. On recense ainsi près d’une centaine d’asso- ciations indiennes (« malbars ») et environ une trentaine d’associations « chinoises » qui se proposent d’établir une passerelle entre la civilisation originelle et la culture locale (voir tableau 1). Amicale des Réunionnais d’ori- Amicale des anciens des Association pour le développe- gine chinoise (AROC) écoles kwong hwa, hing hwa ment de la culture chinoise et franco-chinoise de Saint- (ADECC) Paul Association des Chinois du Zhe Association des commerçants Association Qu yuan Jiang à la Réunion chinois du Zhe Jiang Association des commerçants, Association réunionnaise de Hong de lion & Dragon dance chefs d’entreprise et cadres dragon boat association chinois de la Réunion Association culturelle kuan Club de go de la Réunion Li si tong – Association cultu- yuisme de l’amicale de Sane relle Thiaw law tong long Association culturelle chinoise Créalice (Chine Réunion En- Lune di tong de la Réunion (ACCR) semble – Arts Loisirs Inter Culturel Echanges) Amicale nan-shun de la Fédération réunionnaise de Association Qi lin Réunion mah-jong Association bénédictine cultu- Réunion des couleurs et des Amicale des Chinois de la relle chinoise (ABCC) saveurs Réunion (ACR) Amicale de l’école franco-chi- Guan-di Réunion Nei jia xiao dao noise de saint-paul (AEFC saint-paul) La route de la solidarité Panthères club Source : Fédération des associations chinoises de La Réunion TABLEAU 1. LES PRINCIPALES ASSOCIATIONS CHINOISES DE LA RÉUNION La palette des activités proposées par ces associations est extrême- ment large. Elles œuvrent par exemple pour l’enseignement de langues telles que le mandarin ou le tamoul, pour le développement des danses tra- ditionnelles ou encore la diffusion des arts notamment graphiques. Ces as- sociations sont également devenues de puissants relais des productions ci- nématographiques des pays d’origine. Elles ont participé à l’élaboration de festivals (festival du cinéma chinois depuis 2010) et à la sensibilisation des Réunionnais au phénomène bollywood et plus récemment au cinéma du sud de l’Inde, le kollywood45. 45 Le kollywood désigne en effet le cinéma du sud de l’Inde produit en langue tamoule qui est pleine expansion au point de devenir le troisième du pays après ceux en hindi (bollywood) et en telugu (tolly- wood). Le terme résulte de la contraction du nom d’un quartier résidentiel de Chennai (Kodambakkam) où sont installés les principaux studios et d’hollywood.
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