Vers de nouveaux horizons dans la littérature féminine d’Afrique sub-saharienne : de Mariama Bâ à nos jours

A dissertation submitted to the

Graduate School

of the University of Cincinnati

in partial fulfillment of the

requirements for the degree of

Doctor of Philosophy

in the Department of Romance Languages and Literatures

of the College of Arts and Science

by

Pascale Abadie

M.Ed. Wright State University

June 2005

Committee Chair: Thérèse Migraine-George, Ph.D.

Abstract

Sub-Saharan women authors have been writing since the 70s, but it was with Mariama Bâ and her novel So long a letter that African women's literature finally became recognized as a genre. Bâ’s novel, published in 1979, has inspired many women to write about the conditions of African women in a patriarchal society. This dissertation traces the evolution of themes, language and style in Subsaharan African women writers from different parts of

Africa, as well as that of contemporary writers in exile. Authors such as Angèle Rawiri, Ken

Bugul, Calixthe Beyala, Fatou Diome, Véronique Tadjo and Werewere Liking have changed the landscape of African Francophone Literature by bringing to their readers’ attention longstanding chauvinism and oppression in African societies. In more recent texts, women writers have developed a new literary aesthetics, recounting their African experience from within and without the African continent.

ii

iii Dédication

À ma sœur Joëlle Giacinti

À mon mari Thierry Abadie et mes enfants Joanne et Thomas

Et enfin à ma collègue et amie Kirsten Halling sans qui je n’aurais jamais commencé ce

doctorat.

iv Remerciements

I would like to thank my husband and my children; I could not have done it without their support and their constant encouragements.

Thanks to my friend and colleague Kirsten Halling who never stopped believing in me.

I would like to express my gratitude to the advisor of my doctoral committee, Dr.

Thérèse Migraine-George for her invaluable guidance, and patience. Many thanks to the other members of my committee, Dr. Patricia Valladeres-Ruiz and Dr. Michael Gott.

v Table des matières

Introduction 7

Chapitre 1 : La "prise d'écriture" des années 80: Mariama Bâ et Angèle Rawiri 24

1-1 Introduction 25

1-2 L’importance du roman de Mariama Bâ Une si longue lettre 29

1-3 L’arrivée du premier roman féminin gabonais: Elonga d’Angèle Rawiri 44

1-4 Conclusion 53

Chapitre 2 : Un nouveau féminisme: Calixthe Beyala, Ken Bugul 57

2-1 La différence entre le féminisme en Afrique et le féminisme en Occident 58

2-2 Coutumes séculaires contre vie occidentalisée dans le roman de Ken Bugul Riwan ou le chemin de sable 70

2-3 La revendication du corps dans le texte de Calixthe Beyala Tu t’appelleras Tanga 77

2-3-1 L’importance du corps 80

2-3-2 La solidarité des femmes 82

2-4 Conclusion 87

Chapitre 3 : Entre Afrique et Occident: Une nouvelle génération d’écrivaines 89

3-1 Un nouveau thème dans la littérature africaine : l’immigration 90

3-2 Le mouvement de la « migritude » 94

3-2-1 L’importance de la Négritude dans la création du mouvement de la « migritude » 97

3-2-1-1 Les différentes revues 97

3-2-1-2 L’arrivée de la Négritude 101

vi 3-2-2 Les mouvements qui ont suivi la Négritude 104

3-2-3 La naissance de la « migritude » 108

3-3 Les auteures de la « migritude », Fatou Diome et Calixthe Beyala 115

3-3-1 Fatou Diome : Le ventre de l’Atlantique 115

3-3-2 Calixthe Beyala : Comment cuisiner son mari à l’africaine 134

3-4 Conclusion 143

Chapitre 4 : L’engagement politique dans les textes de Werewere Liking et Véronique Tadjo 145

4-1 Aperçu historique 147

4-2 L’engagement politique dans le texte de Véronique Tadjo : L’Ombre D’Imana 152

4-3 L’engagement politique dans le texte de Werewere Liking : L’Amour-cent-vie 168

4-4 Conclusion 178

Conclusion 183

Bibliographie 209

vii

Introduction

7 Au total, l’écriture a été investie par les femmes, ce n’est pas un hasard si elles sont d’une si écrasante majorité… Messieurs Allah n’est pas obligé d’être juste en toutes choses ici-bas Eric Essono Tsimi

Je n’ai été exposée qu’assez tard à la littérature africaine, ayant passé toute ma scolarité en je dois reconnaitre que cette littérature n’y est pas très étudiée, tout au moins à mon époque et tout au long de mon deuxième cycle. Je ne me souviens pas avoir étudié de textes de Léopold Sédar Senghor, d’Ousmane Sembène, Camara Laye, Sow Fall ou bien encore Mariama Bâ. Sur la liste des textes à étudier pour le baccalauréat de l’année 2013 le nom seul de Senghor y figure mais quand on demande qui est Léopold Sédar Senghor aux lycéens français ils répondent qu’ils n’en ont pas la moindre idée. Je ne me souviens pas non plus que l’on parlait de littérature africaine dans les clubs de lecture ou les émissions littéraires, le nom de Césaire ou de Senghor se faisait entendre assez rarement et si l’on en parlait c’était principalement pour leur position politique plutôt que pour leur production littéraire. Quant aux femmes pas un mot, ou bien un murmure. Aujourd’hui on ne trouve plus une librairie qui ne possède une section de littérature africaine et la section des auteurs féminins est particulièrement bien représentée. Quel changement depuis les trois dernières décennies.

C’est donc durant mes années d’étude dans une université américaine que j’ai pu

étudier des auteurs tels que Senghor, Diop, Oyono, Bâ etc. Ces textes m’ont immédiatement attirée par leur beauté, leur signification, leur rôle et l’importance qu’ils ont eu dans la littérature africaine. Plus tard j’ai restreint mon champ d’étude aux auteurs féminins parce

8 qu’elles ont, à mon avis, permis une autre approche et une autre vision de la littérature africaine. Ce qui m’a également interpelée dans la littérature féminine africaine c’est le chemin qu’elle a parcouru par les sujets qu’elle a abordés depuis Mariama Bâ jusqu’à Fatou

Diome.

La littérature africaine a été pendant longtemps exclusivement réservée aux hommes parce que ces derniers ont toujours eu le sentiment qu’ils avaient le droit et le pouvoir absolu d’écrire sur les femmes en évoquant leurs conditions et en les reléguant à un rôle secondaire. Dans L’émergence d’une écriture féministe au Sénégal et au Québec, Drame affirme que « Les hommes dominent la scène [de la littérature] sans qu’une femme ait pensé sa propre condition et donné à sa réflexion la forme d’une fiction romanesque ou poétique ».

Un bref aperçu sur la naissance de la littérature africaine est important afin de comprendre pourquoi les femmes ont décidé d’écrire.

Les auteurs africains ont dû attendre longtemps afin de pouvoir écrire et être reconnus en tant qu’écrivains à part entière, ils ont dû se battre avant de pouvoir écrire car longtemps l’Africain n’a pas eu droit à la parole et la littérature était une porte qui lui est longtemps resté fermée. L’auteur africain va donc se débarrasser progressivement de l’étiquette que l’Europe a donnée à l’Afrique ; celle d’un continent paradisiaque ou un enfer où ne vivent que sorciers et animaux féroces. Une nouvelle image de l’Afrique va donc apparaitre, et cette image met en avant que chaque peuple, chaque civilisation et chaque culture possèdent sa propre originalité, sa propre spécialité et enfin ses propres richesses.

C’est donc à partir de cette idée nouvelle de l’Afrique que la littérature africaine va naitre.

C’est en 1921 que le premier roman arrive sur la scène de la littérature africaine, avec

9 l’auteur guyanais René Maran1, qui publie Batouala et reçoit le Prix Goncourt pour son

œuvre. Maran dénonce dans son roman les abus de l’exploitation coloniale et c’est avec ce texte qu’est née la littérature négro-africaine d’expression française. Cette littérature sera principalement anticoloniale et politiquement engagée.

Après ce premier roman s’installe le mouvement de la Négritude2, dont le Martiniquais

Aimé Césaire, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon Gontran Damas furent les fondateurs. Cette littérature, d’après Alioune Diop3, « est la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce fait, du destin des noirs, de leur histoire et de leur culture » (Cité par Gassama). Mais le mouvement de la Négritude a été plus qu’une simple théorie, d’après Senghor elle est « l’ensemble des valeurs culturelles de l’Afrique noire » (Cité par Gassama) et pour Césaire elle est « le rejet de l’assimilation culturelle » (Cité par Gassama). Ce mouvement est une approche beaucoup plus riche et complexe que celle suggérée par Diop. En 1947, Diop fondera la revue Présence Africaine, revue qui diffusera la poésie négro-africaine contemporaine et permettra ainsi à de nouveaux auteurs la publication de leur poésie et de leurs voix. C’est dans les années 1950 et 1960 que l’on voit apparaître les œuvres romanesques d’auteurs tels que Ferdinand

Oyono avec Une vie de boy (1956) et Ousmane Sembène avec Les bouts de bois de Dieu

1 Gustave Geoffroy, un des dix membres fondateurs de l’Académie Goncourt a affirmé que: « By bestowing the Prix Goncourt on a Black, we wish to honor a race which is loyal to France … the jury certainly could not have predicted, however, that the success of Batouala would have the effect of a bombshell: a literary bombshell since René Maran’s first novel was concerned only with blacks in an African setting » (Fabre 340).

2 Mouvement fondé en 1930 par des étudiants noirs des Antilles et de l’Afrique. Les fondateurs ont été inspirés en grande partie par leurs rencontres avec les membres de la « Harlem Renaissance » et espéraient éliminer les barrières entre les étudiants des colonies françaises.

3 Alioune Diop est né le 10 janvier 1910 à Saint-Louis au Sénégal. À partir de 1943 il fut professeur de lettre à Paris et fit parti de la vie politique au Sénégal et en France entre 1946 et 1948. Selon le Père Joseph-Roger De Benoist « Alioune Diop a plus cherché à faire penser et parler des autres qu’à leur imposer son discours avec son personnage… il a su communiquer sa foi à un grand nombre d’hommes de valeur qui ont ainsi démultiplié sa propre action » (Cité par Niam N’goura).

10 (1960). Ces romans ont souvent le même sujet : la libération de l’Afrique noire colonisée.

Même si ce thème est celui que l’on retrouve le plus souvent, certains auteurs comme

Camara Laye, dans L’enfant noir (1953), décident de ne pas mentionner la négativité de la colonisation, tout au moins ouvertement, dans leur roman. Laye sera d’ailleurs fortement critiqué pour son œuvre par ceux qui auraient voulu y voir une certaine prise de position contre le colonisateur. Puis dans les années 1960, en plein milieu des indépendances, on remarque un changement dans la littérature africaine ; elle abandonne partiellement le problème de la colonisation pour se tourner désormais vers les nouveaux dirigeants africains, qui déçoivent et terrorisent par leur gouvernement dictatorial. Un des livres clé de ce mouvement est le roman d’Ahmadou Kourouma Les soleils des indépendances4 (1969).

On pourra remarquer que jusqu'alors peu de femmes africaines avaient osé ou même pensé prendre la plume. Si elles ont commencé, avec au tout début le roman de la

Camerounaise Thérèse Kuoh-Moukoury, Rencontres essentielles5 (1969), c’est surtout au travers et avec le succès d’Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ que la littérature africaine féminine a commencé. Ces auteures féminins ont un jour décidé d’écrire afin de montrer leur colère contre l’arrogance masculine et Mariama Bâ a été la première à parler ouvertement de la vie des femmes en Afrique et particulièrement en Afrique de l’Ouest. À travers son roman Une si longue lettre Mariama Bâ donne aux femmes une voix ainsi que la parole, l’auteure trouve ainsi « dans l’écriture un moyen d’assurer leur survie et le droit d’exister. Sous forme de confessions, elles [les femmes] racontent la recherche par la plume

4 Ahmadou Kourouma est un écrivain ivoirien qui « ne se rattachait en effet à aucune école mais se présentait davantage comme un « opposant politique, pour lequel l’écriture constituait d’abord un “moyen de contestation” … Les Soleils des Indépendances, se voit refuser par le milieu éditorial parisien, il est aujourd’hui considéré comme un classique, étudié à l’école et à l’université dans de nombreux pays francophones » (Ducourneau 3).

5 Ce livre est un des tous premiers romans dus à une Africaine d’expression française. L’histoire est celle de Florence qui épouse Joël mais le couple ne peut pas avoir d’enfants. Le couple s’éloigne peu à peu jusqu’à ce que Joël quitte Florence. .

11 de mots pour dire » (Drame). Ce roman épistolaire évoque le drame de la polygamie en

Afrique et prend sa source dans la vie courante des femmes africaines. C’est dans le cœur d’Une si longue lettre que l’on découvre la femme intellectuelle qui se doit de reconnaître son rôle éducatif, elle devient ainsi le moteur éducatif de la nation. Les héroïnes de

Mariama Bâ sont éduquées et elles ont suivi un système éducatif français. Les idéaux de la femme africaine changent dramatiquement par l’enseignement que ces dernières reçoivent,

Ramatoulaye écrit à ce propos qu’il était important de:

Nous sortir de l’enlisement des traditions, superstitions et mœurs ; nous faire

apprécier de multiples civilisations sans reniement de la notre ; élever notre

vision du monde, cultiver notre personnalité, renforcer nos qualités, mater

nos défauts ; faire fructifier en nous les valeurs de morale universelle ; voilà

la tache que s’était assignée l’admirable directrice … Elle [la voie choisie]

concorde avec les options profondes de l’Afrique nouvelle, pour promouvoir

la femme noire. (Bâ, Une si longue lettre 38)

Cette éducation permet aux femmes d’avoir une indépendance monétaire et intellectuelle, que beaucoup d’autres femmes n’ont pas. Avec cette nouvelle indépendance les héroïnes de

Mariama Bâ peuvent rejeter plus facilement la domination de leur mari, et les auteures peuvent s’investir davantage dans leurs textes. Hélène Cixous affirme que : « Woman must put herself into the text – as into the world and into history – by her own movement »

(875). On retrouve chez Ramatoulaye, personnage principal du roman, cette volonté de s’investir, dans le monde et dans l’histoire. Dans les épreuves par lesquelles elle a dû passer,

12 Ramatoulaye s’aperçoit de « la minceur de la liberté accordée à la femme » (Bâ, Une si longue lettre 1979) en Afrique, et c’est probablement ici le message principal de ce roman.

Ce texte est apparu presque vingt ans après l’indépendance du Sénégal6, une époque ou peu d’intérêt était donné aux conditions de vie de la femme africaine. C’est le thème de la condition de la femme qui aura valu à Mariama Bâ le prix Noma7, et l’attention des femmes africaines. En effet, ces dernières ont vu dans ce roman un message et une opportunité de donner naissance à une littérature féminine, jusqu'alors quasiment inexistante.

La littérature féminine africaine d’aujourd’hui est riche en diversité et en auteures, mais cela n’a pas toujours été le cas. C’est pendant ces quatre dernières décennies que la littérature féminine africaine s’est vraiment développée et a trouvé sa place dans le monde littéraire. Bien qu’elle n’ait pas été posée sur du papier, la littérature féminine serait vieille de plusieurs millénaires, puisqu’elle a commencé avec l’oralité8, et que cette dernière remonte bien avant la littérature écrite. La femme africaine, ayant toujours joué un rôle

« primordial dans la transmission de ce savoir et [ayant] toujours été la principale animatrice des séances de contes » (Kane), serait finalement la source de cette littérature.

Car quand on pense à la littérature africaine, on pense principalement à une « transcription de la pensée en parole ou en écrit » (Kane), et cette transcription ou bien cette oralité tient une place importante dans la littérature africaine. L’oralité est un mode de civilisation par lequel certaines sociétés assurent la conservation d’un patrimoine verbal conçu, et c’est

6 Le 20 Août 1960, le Sénégal se retire de la fédération du Mali et proclame son Indépendance. Léopold Sédar Senghor est élu président le 5 septembre 1960.

7 Le prix Noma a été créé en Afrique en 1979 par Shoichi Noma, président de la maison d’édition japonaise Kodansha. Ce prix récompense les écrivains et les universitaires africains.

8 « L’oralité a été convoquée dès l’origine par la critique comme l’un des critères d’approche privilégiées de la production littéraire africaine. Celle-ci aurait trouvé en cette source patrimoniale l’un des ferments de sa spécificité » (Baumgardt 8).

13 pour certains auteurs un témoignage à l’attachement de leur culture adaptée à la forme moderne du roman. Cette oralité est omniprésente dans les œuvres de l’Ivoirien Ahmadou

Kourouma Les Soleils des indépendances (1969) et du Sénégalais Ousmane Sembène Les

Bouts de bois de Dieu (1960). Dans ces œuvres l’intégration de l’oralité est un acte spontané9 qui révèle la culture de l’auteur dans son authenticité. C’est en fait, en grande partie, cette oralité qui a rendu cette littérature si intéressante et si différente à la fois de la littérature des auteur(e)s de l’hexagone. Mais si l’on se base sur la production écrite et publiée de cette littérature, alors la littérature féminine africaine aurait vu ses premières publications dans les années soixante-dix, bien après celle des hommes. La littérature africaine a permis de mettre sur papier une richesse orale qui aurait pu se perdre si elle n’avait été un jour transcrite, car finalement « … l’écriture a apporté une plus value avec la transcription de la pensée et elle a permis une meilleure préservation de la pensée humaine avec moins de déperdition de l’information » (Kane). Cette littérature des femmes est une partie importante de l’histoire africaine qu’il était nécessaire de mettre par écrit.

On pourrait trouver la réponse à ce qui a poussé les femmes africaines à écrire dans les questions suivantes:

Que cherche t-on à exprimer en mettant ses opinions par écrit et en les

partageant avec d’autres ? Quelle dimension de son humanité l’écrivain met-

il en exergue en partageant des sentiments parfois intimes et d’autres plus

universels à la portée de tous ? Est-ce simplement la volonté de réveiller les

consciences ou y aurait-il derrière cette pseudo exhibition une réelle

9 C’est un acte inné pour l’écrivain qui l’utilise.

14 sensibilité aux êtres et aux choses et une volonté certaine de dénoncer, de

secouer et de prendre les consciences non pas en otage mais à bras le corps.

(Kane)

Cette notion de « réveiller les consciences » ainsi que la « volonté de dénoncer » est omniprésente chez les auteures francophones africaines depuis Mariama Bâ jusqu’à Fatou

Diome. On retrouve ce désir de dénoncer et de réveiller les consciences dans de nombreux romans tels que Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ, Riwan ou le chemin de sable

(1999) de Ken Bugul, Tu t’appelleras Tanga (1988) de Calixthe Beyala, Elonga (1980) d’Angèle Rawiri et Le ventre de l’Atlantique (2000) de Fatou Diome. Ce n’est donc pas pour montrer aux hommes que les femmes écrivains d’Afrique sont, elles aussi, capables d’écrire qu’elles se sont mises à publier mais pour montrer que les femmes africaines sont libres et qu’elles ont enfin pris conscience de leur valeur, qu’elles « écrivent sur elles-mêmes et ne laissent plus les hommes être les seuls à les juger et jauger» (Kane). Écrire, pour la femme africaine, est un acte courageux, car son écriture inquiète les hommes qui voient soudainement « non pas une femme mais un esprit » (Kane). Ce sont de nouveaux portraits de femmes qui apparaissent avec l’arrivée des auteures africaines. On remarquera que ces nouveaux portraits révèlent aussi « des voix de femmes diverses, présentant la femme africaine vue de l’intérieur » (Cazenave 641), chose qui jusqu’à présent n’avait jamais été osée.

L’arrivée des indépendances aurait dû apporter un changement dans la condition de la femme africaine mais pour ces auteurs féminins les indépendances n’ont certes pas été la libération attendue. En effet, les femmes africaines ont continué à être victimes des chaines

15 sociales séculaires, ce qui les a obligées d’une part à dénoncer leur statut de prisonnières victimes de sociétés largement patriarcales, et d’autre part à mettre à jour des pratiques telles que les mutilations sexuelles10 et la polygamie. Ces thèmes sont souvent les points centraux de plusieurs romans et en particulier de celui de Mariama Bâ, Une si longue lettre

(1979), qui se concentre essentiellement sur les problèmes de la polygamie, quand elle

écrit à propos de deux amies qui doivent choisir entre se résigner à accepter ou partir. Le milieu traditionnaliste dans lequel la plupart des femmes africaines ont vécu les ont poussées à dénoncer dans leurs romans la violence et le mépris des hommes envers les femmes. C’est donc la première fois que des lecteurs, en dehors de l’Afrique, sont invités au cœur de la société africaine jusqu'à présent méconnue. L’écriture féminine devient ainsi une arme pacifique qui permet de combattre toute forme d’injustice. Cette arme permet de faire entendre les voix de toutes ces femmes qui jusqu'à présent avaient été étouffées.

Comme le souligne Mildred Mortimer à propos du texte de Mariama Bâ Une si longue lettre:

« As Ramatoulaye faces adult responsibilities in her personal life, assumes the responsibilities of nationhood. Hence, the narrator establishes a direct link between the personal and the historical-political phase » (74). Bientôt les femmes africaines cesseront d’être victimes et finiront par exprimer leurs nouveaux espoirs, espoirs pour leur futur de femmes et, pour certaines comme Ramatoulaye, de femmes seules. Cette notion de solitude n’est plus redoutée par les divorcées ou les laissées pour compte ; l’écriture leur permettant enfin de mener leur propre révolution. La femme africaine d’aujourd’hui est une réalité concrète, elle est enfin responsable de son propre destin, « Elle ne doit plus être

10 « La mutation sexuelle féminine la plus pratiquée est l’excision, c’est-à-dire l’ablation totale ou partielle du clitoris, parfois accompagné de la mutilation des petites lèvres. Certaines populations pratiquent l’infibulation : en sus de l’intervention précédente, les grandes lèvres sont mutilées, puis rapprochées et cousues » (Andréo, Lesclingand 1)

16 l’objet de l’écriture des hommes, mais [elle est] sujet et objet de sa propre écriture. La femme africaine n’a plus besoin de la bénédiction des mâles, il faut qu’elle se dise, il faut qu’elle émette sa parole de femme… » (Gallimore Rangira 90).

Mariama Bâ a ainsi affirmé dans La fonction politique des littératures africaines écrites que :

Dans toutes les cultures, la femme qui revendique ou proteste est dévalorisée.

Si la parole qui s’envole marginalise la femme, comment juge-t-on celle qui

ose fixer pour l’éternité sa pensée ? C’est dire la réticence des femmes à

devenir écrivain. Leur représentation dans la littérature africaine est presque

nulle. Et pourtant, elles ont à dire et à écrire ! (5)

Suivant cette pensée de Bâ sur l’importance de faire entendre leurs voix d’autres auteurs féminins se sont mises, elles aussi, à publier des romans sur leurs histoires de femmes, et ce faisant, elles ont « souvent [été] obligées de faire face au discours hégémonique patriarcal »

(Gallimore Rangira 79). Cela ne les a nullement empêchées de persévérer dans leur

écriture, et c’est cette nouvelle motivation qui les a poussées à s’exprimer davantage. On retrouvera cette volonté de répondre à ce discours hégémonique patriarcal dans les textes de Calixthe Beyala, Ken Bugul et Fatou Diome. Mariama Bâ a, d’une certaine façon, obligé les écrivaines africaines à adresser un discours « qui cherche sa justification dans le code social » (Gallimore Rangira 80). Les auteures des générations suivantes n’ont pas hésité à prendre la plume; on retrouvera parmi elles Calixthe Beyala, Ken Bugul, Werewere Liking,

Véronique Tadjo, et Fatou Diome qui commenceront à écrire et à se lancer dans « une

17 écriture beaucoup moins égoïste, une écriture sociale et sensitive, bref une écriture différente de celle des hommes » (Gallimore Rangira 98). C’est un langage de sensations et d’images que le lecteur trouvera dans les romans des générations suivantes et plus particulièrement chez la romancière Calixthe Beyala qui saura à son tour utiliser

« l’écriture du corps, une écriture de la sensation et des sens » (Gallimore Rangira 92) dans ses romans et plus précisément dans Tu T’appelleras Tanga.

Calixthe Beyala, écrivaine camerounaise qui publiera son premier roman C’est le soleil qui m’a brûlée en 1987, puis Tu t’appelleras Tanga en 1988 et bien d’autres après ceux-là, a reçu plusieurs prix11 pour ses romans bien qu’elle soit l’une des écrivaines africaines les plus critiquées pour le contenu et le rôle qu’elle donne aux femmes. Calixthe Beyala a repris le combat qu’avait commencé Mariama Bâ et continue à se battre pour « l’inclusion de la femme africaine au sein des changements sociaux et politiques de l’Afrique » (Gallimore

Rangira 85). Comme les personnages masculins de Bâ ceux de Beyala sont aussi incapables de « se définir et de définir la femme au delà du corps sexuel » (Gallimore Rangira, 87). On retrouvera dans ces romans le désir que les Africaines ont de disposer de leur vie, de leurs corps et de leurs sentiments, tout comme l’a fait Ramatoulaye dans Une si longue lettre. Un univers différent a donc été créé, un univers où les auteures peuvent enfin décrire leur monde tout en révélant l’enjeu de leur combat, parce qu’après tout écrire pour une femme africaine, c’est « décider de vivre un véritable engagement social, culturel et politique »

(Kane). On pourra donc souligner la récurrence des thèmes suivants dans la littérature féminine africaine :

11 Le Grand Prix Littéraire de l’Afrique noire pour Maman a un amant (1993), le Prix François Mauriac pour Asséze l’Africaine (1994), le Grand prix du roman de l’Académie Française pour Les Honneurs perdus (1996), et le Grand prix de l’Unicef pour La Petite Fille du réverbère (1998)

18

• La maternité et la stérilité

• La vie dans une structure polygame

• L’oppression du colonialisme et des règles occidentales

• La lutte continuelle pour une indépendance économique

• Le maintien d’un équilibre entre la relation maritale et celle avec les

autres femmes

• La recherche d’une solidarité entre femmes

• L’inconstance des maris

• L’importance d’avoir un soutien financier, surtout dans les villes

• La relation ou le conflit entre mères et filles

• La définition et la recherche d’un soi séparé. (Cazenave 643)

C’est sur ces thèmes et la façon dont les auteures les ont utilisés, de 1980 à nos jours, que cette étude concentrera ses recherches en proposant une sélection de romans et d’auteures, marquant leur propre génération, soulignant ainsi l’évolution de la littérature féminine africaine depuis Mariama Bâ à Fatou Diome.

L’objectif principal de cette étude est de situer les différentes étapes du roman féminin africain, afin de montrer que les auteures ont cherché à combler le silence qui leur avait été imposé par les hommes et la société pendant les trois dernières décennies. Ces auteures clameront leur réalité de façon différente mais tout aussi efficace, et c’est à travers des sujets tabous qu’elles exploreront la politique et la sexualité, ce qui jusque là avait été réservé exclusivement aux hommes. Pour cette étude nous nous pencherons aussi sur les

19 auteures qui ont choisi la France comme domicile permanent, devenant ainsi des « afro- parisiennes (Kingué 643), et qui se sont éloignées quelque peu des intérêts et des problèmes de leurs consœurs restées vivre en Afrique. Une étude de la génération des auteures des années 1990 montrera un intérêt différent des écrivaines : celui de la critique sociopolitique plus ouverte et plus radicale insistant sur les défavorisés de la ville. On notera aussi l’importance du rôle des auteures africaines d’aujourd’hui qui se battent pour faire reconnaître la littérature africaine. Cette littérature est passée depuis les années 1970 d’une littérature autobiographique de témoignage à une littérature de développement esthétique, social, culturel et politique, et cette littérature contribue désormais à l’universalité de la culture africaine au sein de la culture mondiale. En lisant des textes plus récents on pourra remarquer « cette hétérogénéité de l’identité féminine, cette mouvance dans les parcours identitaires qui loin de desservir la cause de la condition féminine africaine n’en exprime que l’enrichissante diversité » (Kassi 44).

Les romans et les auteures étudiés seront, dans le premier chapitre, Mariama Bâ avec

Une si longue lettre (1979) et Angèle Rawiri avec Elonga (1980). Dans le deuxième chapitre,

Calixthe Beyala avec Tu t’appelleras Tanga (1988) et Ken Bugul avec Riwan ou le chemin de sable (1999). Dans le troisième chapitre, Calixthe Beyala avec Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000) et Fatou Diome Le ventre de l’Atlantique (2003). Enfin dans le quatrième chapitre Werewere Liking avec L’Amour-cent-vies (1988) et Véronique Tadjo avec L’Ombre d’Imana (2000).

Si nous considérons une génération comme étant la durée moyenne du temps entre la naissance des parents et celles des enfants alors Ken Bugul et Werewere Liking appartiennent à la même génération alors que Fatou Diome appartient à la génération

20 suivante. Il est bon de noter qu’une même génération peut être totalement différente selon le pays d’habitation, la langue et surtout l’espace culturel qui l’entoure, produisant ainsi une vue différente du monde. On pourra aussi considérer un changement générationnel à l’intérieur même des romans comme par exemple Ramatoulaye et ses filles dans Une si longue lettre.

Cette étude est divisée en quatre chapitres. Le premier traite de la « prise d’écriture » des années 1980, avec l’arrivée d’auteures « phares qui assurent désormais à la littérature francophone africaine une visibilité indéniable » (Moudileno 15). Mon choix s’est porté sur

Mariama Bâ et Angèle Rawiri parce que ce sont des auteures de grande renommée. Bâ est considérée comme la pionnière des auteures sénégalaises qui a su défier les traditions de son pays en écrivant sur des sujets difficiles tels que les injustices sociales qui affligent la femme dans la société sénégalaise. Ses deux romans Une si longue lettre et Un chant

écarlate (1986) ont été le sujet de plusieurs études littéraires. Quant à Angèle Rawiri, décédée en 2010, elle est la première auteure gabonaise à avoir inspiré les futures générations d’auteures au Gabon avec son premier roman Elonga (1980).

Le chapitre deux couvrira l’introduction d’un nouveau féminisme dans les romans de

Calixthe Beyala et Ken Bugul, on verra que le féminisme africain a une connotation différente de celui de l’Occident. On retrouve un désir chez ces auteures de réévaluer le statut de la femme contre les institutions patriarcales coloniales et postcoloniales. Ken

Bugul avec Riwan ou le chemin de sable porte un regard sur la polygamie et sur une société qui a du mal à cohabiter avec les coutumes séculaires et un mode de vie plus occidentalisé.

Bugul affirme qu’ « En occident, on fabrique les femmes dans l’idée qu’il faut se marier à tout prix et on les croit émancipées. Il faut sortir de ça, être avant tout des individus libres »

21 (Cité par Mongo-Mboussa 105). Ce roman insiste sur le statut de la femme ainsi que sur sa liberté. Calixthe Beyala revendique la « féminitude », elle se concentre sur le corps et surtout sur le corps féminin, et cette nouvelle littérature insiste sur un certain « érotisme jusque-là extrêmement timide » (Moudileno 59). Dans la société traditionnelle africaine, le corps de la femme est associé à un rôle de procréation, et c’est à travers ce corps que la société se perpétue. Ce corps est régi par des normes sociales qui l’obligent à être façonné, contrôlé et marqué. Les romans de Beyala sont des attaques à la société patriarcale traditionnelle, elle bouscule « les habitudes feutrées de la littérature féminine africaine »

(Kindo 175). Beyala dénonce les pratiques sociales en invitant le lecteur « à suivre les péripéties les plus crues du combat sexuel des femmes africaines pour la réappropriation de leur corps, bravant la pudeur et la réserve de la femme africaine traditionnelle » (Kindo

175). C’est pour cette raison que ses héroïnes sont des femmes et qu’elle développe ses thèmes sous un angle féministe comme on pourra le voir dans son roman Tu t’appelleras

Tanga. L’écriture de Calixthe Beyala est donc une écriture provocante et destructrice, mais surtout une écriture violente.

Le chapitre trois introduira une nouvelle génération d’auteure comme Fatou Diome et réintroduira un texte de Calixthe Beyala. Le choix de ces auteures est basé sur l’importance qu’elles ont eue sur le mouvement de la « migritude12 ». Nous pourrons voir que, par rapport aux décennies précédentes, c’est un discours de l’identité qui ressort maintenant dans les romans de « la nouvelle génération ». Moudileno souligne que « de la perte de l’identité africaine (située au village), [la femme africaine] est devenue le symbole d’une

12 L’émergence d’une littérature faite par des auteurs en situation d’immigration. Dans cette étude nous nous intéresserons aux écrivains provenant de l’Afrique et que « Jacques Chevrier a appelé les écrivains de la migritude en écho aux écrivains de la négritude » (Dongmo Rodrigue Marcel).

22 africanité réaffirmée. Nombre d’auteures ont érigé le quartier périphérique (africain ou français) en site privilégié de la créativité » (53). Les écrits de ces vingt dernières années insistent sur la diversité de l’espace urbain et la « migritude ». Fatou Diome est née à

Niodior, une ile du Sénégal située dans le Sine-, elle fait partie de cette nouvelle génération d’écrivains féminins qui se fraye un chemin dans l’univers littéraire féminin africain d’aujourd’hui. Cette nouvelle génération d’écrivains féminins veut laisser le passé derrière elle. Il est difficile aujourd’hui de trouver une auteure africaine qui vive encore en

Afrique, et la plupart, pour ne pas dire la majorité, ont quitté l’Afrique à un jeune âge. Leur thème préféré est donc la « migritude », puisqu’elles écrivent désormais loin de l’Afrique.

Ces auteures partagent leur expérience d’immigrées et leur souvenir d’Afrique dans leurs textes. Chevrier ajoute que « Les écrivains de la migritude tendent en effet, aujourd’hui, à devenir des nomades évoluant entre plusieurs pays, plusieurs langues et plusieurs cultures, et c’est sans complexes qu’ils s’installent dans l’hybride naguère vilipendé par l’auteur de

L’aventure ambiguë » (« Afrique(s)-sur-seine : autour de la notion de « migritude » »16).

Le chapitre quatre n’étudiera pas particulièrement une décennie, comme les chapitres un, deux et trois mais plutôt un thème qui, à mon avis est important à considérer puisqu’il a marqué la plupart des générations que nous avons étudiées. En effet on retrouve dans la littérature féminine sub-saharienne un engagement politique de la part des auteures. Les deux textes que nous étudierons dans cette partie seront celui de l’auteure camerounaise

Werewere Liking L’Amour-cent-vies (2000) et celui de l’auteure Ivoirienne Véronique Tadjo

L’ombre d’Imana (1988). C’est en retraçant l’histoire de l’Afrique que ces deux auteures montrent le rôle important qu’a joué la femme africaine dans la politique africaine, soulignant ainsi l’importance du rôle qu’elle a encore à y jouer aujourd’hui.

23

Chapitre 1 : La « prise d’écriture » des années 1980: Mariama Bâ et Angèle Rawiri

24 1-1 Introduction

La littérature africaine écrite en français est une littérature jeune. Il aura fallu moins d’un siècle pour constater la rapidité de son évolution. Les historiographes s’accordent à reconnaître entre 1920 et 1980 quatre grandes périodes qui concernent la littérature africaine, et ce n’est que dans la quatrième que la littérature féminine fait son apparition.

La femme africaine n’était, avant ça, dépeinte que dans les écrits des hommes, leurs présences se « limitait à des études de thèmes thématiques sur l’image et la représentation de la femme … à des textes publiés sporadiquement depuis 1950, mais largement ignorés des anthologistes et des critiques » (Moudileno 25).

Dans ce chapitre, je me concentrerai sur l’étude de deux textes : Une si longue Lettre publié en 1979 par l’auteure sénégalaise Mariama Bâ et Elonga publié en 1980 par Angèle

Rawiri, auteure camerounaise. Ces textes publiés à un an d’intervalle sont importants puisqu’ils sont les premiers à avoir vraiment marqué le début de la littérature féminine africaine. C’est souvent en référence au texte de Mariama Bâ que l’on considère l’arrivée des auteurs féminins sur la scène de la littérature africaine. Les thèmes de ces auteures seront principalement basés sur leur expérience personnelle de femme africaine qu’elles exprimeront à la première personne du singulier. On remarquera aussi, principalement dans le texte de Mariama Bâ, une tendance autobiographique.

Ce chapitre présentera une étude des deux textes écrits par ces auteures d’Afrique sub- saharienne et parlera de leurs préoccupations. Ces textes sont importants puisqu’ils ont façonné les textes des générations suivantes, et qu’ils « offrent une espèce de fresque sociale vue de l’intérieur » (Volet, La parole aux africaines 126).

25 Bien que l’écriture féminine ait commencé dans les années 1960-70, ce ne sera que dans les années 1980 que la littérature féminine prendra vraiment son envol. La présence des femmes sur la scène littéraire « constitue une réappropriation par ces dernières du discours sur l’Afrique » (Fandio 171), et le roman féminin africain veut équilibrer cette vision arbitraire que l’on avait de du continent africain.

Même si les textes suivants ont été publiés dans les années 1960-70, ils sont, pour la plupart restés dans l’ombre. La première auteure est Thérèse Kuoh Moukoury auteure camerounaise avec Rencontres essentielles13 (1969), ouvrage malheureusement qui passe presque inaperçu lors de sa sortie. Puis Nafissatou Diallo en 1975, auteure sénégalaise qui publie son autobiographie De Tilène au Plateau. En 1976 Simone Kaya, auteure ivoirienne, publie ses souvenirs d’écolière avec Les Danseuses d’Impé-Eya: jeunes filles à Abidjan et

Aminata Sow Fall, auteure sénégalaise, publie Le Revenant, l’histoire d’un homme que l’on emprisonne parce qu’il a dépensé plus qu’il n’avait. En 1977 Lydie Dooh-Bunya, auteure camerounaise, publie La Brise du jour, roman qui souligne « le difficile apprentissage de la vie en découvrant petit à petit les douleurs associées aux amours non partagées, à la jalousie et surtout à la difficulté d’être une fille dans un monde ou les garçons prennent un malin plaisir à torturer leurs compagne » (Volet, La parole aux africaines 766), et enfin

Mariama Bâ en 1979 avec Une si longue lettre et Aminata Sow Fall avec La Grève des bàttu qui obtint le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Ces textes, exceptés Une si longue lettre et

La Grève des bàttu ont été guère remarqués.

Les textes parus dans les années 1980, marqueront le début des études de la littérature féminine africaine francophones. Ces textes sont ceux de Mariama Bâ avec Un chant

13 Selon l’auteur, ce roman est paru en 1968 mais d’après la Bibliothèque nationale il n’est paru qu’un an plus tard.

26 écarlate14 (1981); Aminata Sow Fall avec L’appel des arènes (1982) qui obtint le prix

International Alioune Diop15 avec Ex-père de la nation (1987); Ken Bugul, auteure sénégalaise avec Le Baobab Fou (1982); Werewere Liking, auteure camerounaise16, avec

Elle sera de jaspe et de corail (1983), elle publiera aussi en 1979 en même temps que Bâ La puissance de Um et Une nouvelle terre; Delphine Zanga, auteure camerounaise avec L’oiseau en cage en 1984; puis Catherine N’Diaye, auteure sénégalaise qui publiera aussi en 1984

Gens de sable; et enfin Amina Sow Mbaye avec Mademoiselle (1984); Véronique Tadjo, auteur ivoirienne publie en 1986 Vol d’oiseau; Et enfin Angèle Rawiri, auteure Gabonaise publie Elonga (1980), G’amèrakano: au carrefour (1983) et Fureurs et cris de femme (1989).

C’est donc le roman de Mariama Bâ qui par l’originalité de son texte et de ses thèmes a introduit la littérature féminine africaine au monde littéraire. La raison pour laquelle le roman de Mariama Bâ Une si longue lettre (1979) a fait couler tellement d’encre est qu’il est le premier texte écrit par une femme sénégalaise qui parle de la vie de ses concitoyennes.

Ce roman « montre qu’au nombre des coutumes qui bafouent les droits de la femme, la polygamie occupe une place de choix » (Volet, La paroles aux africaines 767). Bâ publiera son deuxième et dernier roman Chant écarlate (1981) où elle touchera encore aux problèmes de la polygamie, soulignant à nouveau l’excuse des hommes qui utilisent les traditions pour justifier leurs infidélités. Aminata Sow Fall dans son second roman La grève des Battù (1981) abordera aussi les sujet des coutumes où la femme africaine se doit d’être

14 Mariama Bâ mourra juste avant la parution de son second livre Un Chant écarlate

15 Prix littéraire à la mémoire de l’écrivain. Ce prix a été établi en 1982. 16 Bien qu’elle soit née au Cameroun, Werewere Liking s’est installée en Côte d’Ivoire. Elle est la fondatrice du groupe KI Yi M’Bock, compagnie de théâtre basée à Abidjan.

27 soumise à son mari, c’est à dire « qu’elle ne doit pas contrôler les faits et gestes de son mari, elle ne devrait jamais tenir tête devant lui » (Sow Fall 73).

Dans Une si longue lettre, on trouve dans la voix de Ramatoulaye, et à travers elle celle de l’auteur féminin, une voix qui a été refoulée pendant trente ans et qui finalement a décidé de se faire entendre : « Ma voix connaît trente années de silence, trente années de brimades. Elle éclate, violente, tantôt sarcastique, tantôt méprisante… tu oublies que j’ai un cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l’on passe de main en main » (Bâ, Une si longue lettre 85). Les femmes modernes de la ville rompent enfin un silence imposé depuis tant d’années par les traditions africaines qui font de ces femmes des poupées de chiffon que l’on passe de mari en mari. Bientôt Ramatoulaye cesse d’être une victime et finit par exprimer ses nouveaux espoirs, ses espoirs pour son futur de femme seule. À la fin de ce long parcours, Ramatoulaye a fini par écrire son propre scénario révolutionnaire, et l’écriture lui a permis de mener sa propre révolution. C’est donc une écriture de femme

écrite par des femmes que l’on trouve dans ce texte, et non plus l’image de la femme que montraient les écrivains de la Négritude. Gallimore Rangira affirme que « Bâ a toujours rejeté l’écriture des écrivains de la négritude, comme ceux de Senghor et de Laye, parce qu’ils ont longtemps donné l’image de la femme africaine comme un archétype; elle a, tour

à tour, représenté le continent, la race et les valeurs africaines » (90). Dans son essai La fonction politique des littératures africaines écrites, Bâ affirme que « Les chants nostalgique dédiés à la mère africaine confondue dans les angoisses d’hommes à la Mère Afrique ne nous suffisent plus » (7). Pour cette pionnière de la littérature féminine africaine la femme africaine d’aujourd’hui est une réalité concrète, elle est enfin responsable de son propre destin, « Elle ne doit plus être l’objet de l’écriture des hommes, mais sujet et objet de sa

28 propre écriture. La femme africaine n’a plus besoin de la bénédiction des mâles, il faut qu’elle se dise, il faut qu’elle émette sa parole de femme… » (Gallimore Rangira, 90).

1-2 L’importance du roman de Mariama Bâ Une si longue lettre

Le succès littéraire de ce roman qui consacre la prise de parole des écrivains féminins d’Afrique francophone « lui vaut de figurer parmi les œuvres africaines les plus lues, enseignées et étudiées » (De Larquier 1092). La polygamie, comme thème principal ou secondaire de la littérature féminine africaine, représente le malaise de la nouvelle femme africaine. Même si l’auteur Ousmane Sembène a affirmé, à propos de la polygamie, dans une interview du 3 octobre 1984? trois octobre mille neuf cent quatre-vingt quatre que « la polygamie a existé, elle existe encore et elle existera toujours en Afrique, Vous devez vous y faire, vous les femmes (Cité par Milolo 300), les femmes africaines ne s’y sont pas faites.

Dans l’une de ses interviews Aminata Sow Fall a dit des femmes africaines qu’elles

« n’avaient pas encore trouvé l’idéal de vie dans lequel [elles] pourraient s’épanouir » (Cité par Milolo 300). C’est donc un rôle différent, que celui de femmes soumises qu’elles entendent jouer dans la société africaine d’aujourd’hui. Les auteures féminins montrent dans leurs textes que « la polygamie est plus qu’une question de nombre de femmes »

(Milolo 152), elle est surtout devenue un atout pour la société patriarcale, un atout qui permet de garder la femme en dehors de la vie politique et sociale de l’Afrique, car « c’est bien l’institutionnalisation d’une certaine idée du « pouvoir », rigide et arbitraire, qui est à l’origine du problème » (Volet, La parole aux africaines 155). Le roman de Mariama Bâ Une si longue lettre a changé les mentalités en montrant les situations qui soumettent les

29 femmes en Afrique. Pour les auteures féminins, la polygamie est devenue un système qui a vécu et la romancière Evelyne Mpoudi Ngolle17 affirme que « de moins en moins, [elle] aura sa place dans nos sociétés » (Cité par Milolo 302). Bâ parle de la polygamie comme d’un problème physiologique de l’homme, que la société excuse comme un instinct incontrôlable,

à travers Ramatoulaye. Bâ écrit (mais je crois que c'est Mawdo ici qui parle, pas

Ramatoulaye?) :

On ne résiste pas aux lois impérieuses qui exigent de l’homme nourriture et

vêtements. Ces mêmes lois poussent le ‘mâle’ ailleurs. Je dis bien ‘mâle’ pour

marquer la bestialité des instincts… Tu comprends… Une femme doit

comprendre une fois pour toutes et pardonner: elle ne doit pas souffrir en se

souciant des ‘trahisons’ charnelles. (Une si longue lettre 52)

Ce sont donc des textes de femmes vues par des femmes que Bâ et Rawiri nous proposerons.

Une si longue lettre commence avec l’annonce de la mort de Modou. Après vingt cinq ans de mariage Modou décide d’épouser une seconde femme beaucoup plus jeune que lui, qui se révèle être l’amie de la fille ainée de Modou et de Ramatoulaye, Binetou. La narratrice voit ce second mariage comme une faiblesse de l’homme qui cherche ainsi à retrouver une seconde jeunesse, et non une pratique équitable des règles de l’Islam. L’Imam utilise le nom de Dieu pour excuser l’attitude de Modou lorsqu’il dit à Ramatoulaye que « La fatalité

17 Evelyne Sono Epoh Ngolé est d’origine Mbo. Elle est née en 1953 à Yaoundé. Elle est aujourd’hui proviseur du lycée d’Elig-Essono. Son livre, qu’elle a publié en 1990, Sous la cendre le feu, raconte le parcours d’une jeune femme vers les origines du mal.

30 décide des êtres et des choses: Dieu a destiné une deuxième femme, il [Modou] n’y peut rien » (Bâ, Une si longue lettre 57). Pour Mariama Bâ, le mariage autorisé par l’Islam est une chose mais celui que lui impose Modou en est une autre.

Dans la religion musulmane il est nécessaire de traiter sa deuxième femme aussi bien que la première mais Modou donne la préférence de sa présence et de son argent à sa nouvelle femme, et ceci accentue l’idée que la religion n’est pas la raison première pour laquelle le mari de Ramatoulaye a choisi de prendre une seconde épouse. Modou abandonnera Ramatoulaye et ses douze enfants pour aller vivre entièrement avec sa nouvelle femme, tout comme de nombreux hommes l’ont fait avant lui et dont nous parle

Awa Thiam18 dans son étude La parole aux Négresses (1978). En effet, Modou pourrait être l’un des hommes mentionnés par les nombreuses « jeunes femmes » africaines qu’Awa

Thiam a interviewées, et la situation de Mouna, femme de quarante trois ans et mère de dix enfants, ressemble à celle de Ramatoulaye quand elle décrit l’égoïsme de son mari :

Première épouse, j’ai été témoin de tout ce qui s’est passé dans notre

demeure. Nouvelle venue, l’épouse est dorlotée, cajolée. Elle devient l’objet

de mille et une attentions de la part de son mari. Quelque temps plus tard,

elle se trouve détrônée au profit d’une nouvelle coépouse… Voilà deux ans

que je n’ai pas eu de « rapports » avec mon mari. Mes coépouses et moi

avions presque toutes été délaissées au profit de la nouvelle mariée qui est

de six ans plus jeune que mon fils ainé. (47)

18 Awa Thiam est une féministe Africaine. Elle dénonce dans son texte Paroles aux Négresses les souffrances physiques et les tortures traditionnelles faites aux femmes.

31 C’est la condition des femmes africaines que dénonce Thiam dans son texte, l’auteure affirmant dès la première page du premier chapitre:

Longtemps, les Négresses se sont tues. N’est-il pas temps qu’elles

(re)découvrent leur voix, qu’elles prennent ou reprennent la parole, ne

serait-ce que pour dire qu’elles existent, qu’elles sont des êtres humains – ce

qui n’est pas toujours évident – et, qu’en tant que tels, elles ont droit à la

liberté, au respect, à la dignité ? (17)

Pour Mariama Bâ, Modou est l’exemple parfait de l’homme mûr, marié, qui se cache derrière une pratique religieuse pour justifier son attirance pour les femmes plus jeunes.

C’est donc la vanité de l’homme qui refuse de se voir vieillir qui pousse Modou à prendre une seconde femme. Ramatoulaye affirme que « Modou teignait mensuellement ses cheveux. […] Modou s’essoufflait à emprisonner une jeunesse déclinante qui le fuyait de partout » (Bâ Une si longue lettre 72). Pour Mariama Bâ, la polygamie, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans la société africaine est en grande partie responsable du malaise de la nouvelle femme africaine. L’auteure cherche à en montrer les effets nuisibles et les abus puisque la polygamie n’est autre que « the power of patriarchal socialization to render a woman powerless » (Stratton cité par Volet, La parole aux africaines 155).

C’est poussé par ce désir « de liberté, de respect et de dignité » que Ramatoulaye choisit de rester seule dans une société patriarcale qui ne reconnaît le statut de la femme que dans le mariage. Mariama Bâ montre ainsi « la minceur de la liberté accordée à la femme » (Une si longue lettre 76). L’auteure insiste sur la force des femmes africaines, en effet

32 Ramatoulaye répète à plusieurs reprises « je survivrais » (Bâ, Une si longue lettre 76, 77,79).

Thiam et Bâ soutiennent également que la polygamie n’est pas seulement un désir sexuel de l’homme africain mais qu’il peut être aussi une source de revenu supplémentaire pour celui qui préfère asservir les femmes et les voir travailler pour lui. Dans Une si longue lettre,

Tamsir le frère ainé de Modou, incapable de subvenir aux besoins de ses nombreuses femmes, propose le mariage à Ramatoulaye car il convoite son salaire d’institutrice, et il n’est pas seul puisque c’est « un défilé de vieillards qui cherchaient une source de revenus faciles » (Bâ, Une si longue lettre 102) qui frappe à la porte de Ramatoulaye. La narratrice souligne:

Et tes femmes Tamsir ? Ton revenu ne couvre ni leurs besoins ni ceux de tes

dizaines d’enfants. Pour te suppléer dans tes devoirs financiers, l’une de tes

épouses fait des travaux de teinture, l’autre vend des fruits, la troisième

inlassablement tourne la manivelle de sa machine à coudre. Toi, tu te

prélasses en seigneur vénéré, obéi au doigt et à l’œil. Je ne serai jamais le

complément de ta collection. Ma maison ne sera jamais pour toi l’oasis

convoitée. (Une si longue lettre 85)

Il est néanmoins important de souligner que Mariama Bâ, même si les hommes eux-mêmes n’ont pas toujours compris le message qu’elle essayait de transmettre, ne condamne pas l’homme mais ceux qu’elle a connus. Bâ insiste sur l’idée que l’homme africain peut être responsable du meilleur comme du pire, mais surtout elle insiste sur ce qu’il est devenu par rapport à ce qu’il était dans passé. Pourquoi, d’après Mariama Bâ, certains hommes se sont-

33 ils soudainement sentis obligés d’entretenir des rapports de force avec la femme ? C’est à cette question que Mariama Bâ essaie de répondre tout au long de son texte. Ce n’est pas, non plus, contre toutes les traditions africaines que Mariama Bâ se bat, puisqu’elle se plie aux contraintes traditionnelles lorsqu’elle accepte le second mariage de Modou et qu’elle accepte de suivre les règles du deuil. L’auteure se bat contre les excès de certaines traditions. Ramatoulaye est aussi une femme capable de se rebeller, son mariage en est la preuve puisqu’elle s’est mariée avec Modou contre la volonté de ses parents.

Pour Mariama Bâ, la femme africaine doit lutter de l’intérieur de l’Afrique, c’est pourquoi à l’inverse de son amie Aïssatou qui quitte l’Afrique pour les Etats-Unis,

Ramatoulaye elle décide de rester. Pour Bâ le combat pour la liberté des femmes africaines ne peut pas être mené ailleurs qu’en Afrique. Bien que l’histoire d’Aïssatou soit similaire à celle de Ramatoulaye dans le sens où son mari Mawdo épouse lui aussi une seconde femme, bien plus jeune que lui, Aïssatou à l’inverse de Ramatoulaye décide de divorcer mais aussi de quitter l’Afrique plutôt que d’accepter les règles de la polygamie. En effet, Madow ne pense plus que « Le mariage est une chose personnelle » (Bâ, Une si longue lettre 30) comme il l’avait affirmé à Aïssatou au début de leur mariage quand il avait défié sa mère qui ne voulait pas entendre parler de ce mariage puisque d’après elle, un Toucouleur ne pouvait pas épouser une bijoutière. Depuis la période préislamique, le Sénégal connaît un système de caste, et on trouvait dans le milieu Wolof: les guers et les gnégno. Les guers font partie de la caste supérieure, ce sont les non-artisans de la société Wolof, ils ont une aversion pour les métiers manuels et ne peuvent donc être en aucun cas des artisans, ils sont généralement des agriculteurs et quelquefois des éleveurs. Quant aux gnénos ils constituent la caste inférieure, celle des artisans dont Aïssatou fait partie. Les Toucouleurs,

34 dont Madow fait parti, était un empire très puissant et pour sa mère il est inconcevable que son fils puisse épouser une femme d’une caste inférieure. Le mariage d’Aïssatou et de

Madow est donc considéré dès le départ comme controversé et soulève « les rumeurs coléreuses de la ville » (Bâ, Une si longue lettre 40). Cette hiérarchie, bien qu’officiellement abolie, subsiste de manière officieuse. Dans son livre sur le Sénégal, Devey affirme que :

Les ordres et l’esclavage, propres aux sociétés hiérarchisées ont, certes,

disparu. Mais, pour autant, la référence aux castes persiste et les interdits qui

lui sont liés fonctionnent toujours, même si des brèches ont été ouvertes […]

Aujourd’hui encore, les mariages entre gens de castes et nobles, ou entre

anciens captifs et nobles ne sont guère autorisés, même si la fortune, le savoir

et le pouvoir tentent de faire tomber les barrières sociales. (173)

Aujourd’hui Madow se cache derrière les volontés de sa vieille mère pour épouser la jeune

Nabou, jeune femme digne des titres de noblesse de la famille de Madow, puisque qu’elle fait partie du même lignage que Madow. En effet, Tante Nabou choisit d’éduquer la jeune

Nabou de façon traditionnelle afin que cette dernière puisse préserver ce lignage cher à la tradition. On enseignait à la jeune Nabou « son origine royale et lui enseignait que la qualité première d’une femme est la docilité » (Bâ, Une si longue lettre 61). Bâ touche ici deux sujets sensibles qui sont ceux de la tradition des castes et celui de la solidarité entre femmes. Bâ nous dépeint une société toujours hiérarchisée qui par sa rigueur empêche l’amour réel, elle montre aussi que la solidarité entre femmes n’est pas aussi forte que la hiérarchisation de la société sénégalaise. Le personnage de la mère de Madow est l’image

35 même des femmes qui emprisonnent les autres femmes dans leur condition puisque pour elle la femme doit garder sa place dans la société patriarcale, et l’école ne fait pas partie de cette éducation. En effet la mère de Madow affirme que « l’école transforme [les] filles en diablesses, qui détournent les hommes du droit chemin » (Bâ, Une si longue lettre 30), ce qui explique pourquoi le pourcentage des femmes illettrées est si élevé. En effet « La faible scolarisation des filles et le pourcentage élevé de femmes illettrées mettent en évidence la discrimination dont les femmes sont encore l’objet en matière d’éducation moderne. Ainsi, plus de 75% de femmes sont illettrées contre 56 % d’hommes » (Devey 179). L’état actuel de l’éducation des filles en Afrique subsaharienne reste toujours inférieur à celui des hommes. Dans l’article Parce que je suis une fille paru dans le Rapport Afrique 201219, les pourcentages de la scolarité chez les filles restent effrayants:

En Afrique subsaharienne, il y a eu environ 52 millions d’inscriptions

supplémentaires d’enfants à l’école primaire de 1999 à 2008, et au cours de

la même période, le nombre d’inscriptions des filles à l’école primaire est

passé de 54% à 74%. Malgré ces progrès, 29 millions d’enfants ne sont

toujours pas scolarisés dans la région, 54% d’entre eux sont des filles. La

probabilité d’atteindre l’éducation primaire universelle en Afrique d’ici 2015

semble donc de plus en plus compromise. (20)

19 Rapport Afrique 2012 est une publication organisée par l’agence Plan, une des agences de développement les plus anciennes et les plus importantes du monde. « Fondée en 1937 pour porter secours aux enfants de la guerre civile espagnole, elle fête ses 75 années d’existence en 2012. [Ils travaillent] dans 68 pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe, d’Océanie et d’Amérique Latine.

36 Pour Mariama Bâ l’éducation de la femme africaine est cruciale. L’auteure nous présente dans son texte des femmes comme Ramatoulaye et Aïssatou qui ont eu accès à cette

éducation. Cette éducation leur a permis d’obtenir non seulement une indépendance intellectuelle mais surtout une indépendance matérielle de leur mari puisqu’elles seront capables de subvenir à leurs propres besoins.

La voix de la femme sénégalaise, refoulée depuis trop longtemps, doit se faire entendre et c’est Ramatoulaye qui après Aïssatou décide de faire entendre sa voix: « Ma voix connaît trente années de silence, trente années de brimades. Elle éclate, violente, tantôt sarcastique, tantôt méprisante » (Bâ, Une si longue lettre 85). On retrouvera plus tard cette violence dont parle Ramatoulaye chez les auteurs féminins telle que Calixte Beyala. Ces nouvelles femmes sortiront de leur torpeur et de leur silence où les hommes et les traditions les ont plongées. Quelle différence depuis le roman d’Ousmane Sembène Les Bouts de bois de Dieu

(1960) où l’auteur décrivait encore certaines femmes comme douce et docile : « Assitan

était une épouse parfaite selon les anciennes traditions africaines: docile, soumise, travailleuse, elle ne disait jamais un mot plus haut que l’autre. … Son lot de femme était d’accepter et de se taire, ainsi qu’on lui avait enseigné » (170-71).

Trois sortes de femmes sont dépeintes dans le texte de Mariama Bâ: les traditionnalistes, les marginales et celles qui, comme Ramatoulaye, sont entre les deux.

Pour les traditionnalistes on pourrait nommer les personnages de Farmata, Tante Nabou la mère de Madow ainsi que Dame Belle-mère la mère de Binetou. En effet, Tante Nabou contrôle la vie de son fils selon les règles d’une société de castes, et c’est elle qui convaincra

Madow de prendre pour seconde épouse la jeune Nabou: « En Sénégalaise avertie, elle sait qu’on atteint plus aisément le fils par le biais de la mère » (Fandio 172). Quant à Dame

37 Belle-mère, elle ne rêve que de quitter la pauvreté dans laquelle elle se trouve depuis toujours pour appartenir enfin à cette caste bourgeoise. Elle forcera sa fille à se marier à

Modou, continuant ainsi la tradition du mariage forcé. Pour Farmata, la griotte, elle ne comprend pas qu’une femme sénégalaise puisse envisager de vivre seule sans homme puisque l’homme est nécessaire à l’identité de la femme africaine. Cette femme est incapable de comprendre le choix de Ramatoulaye. Pourquoi les personnages marginaux donc moins conformistes tel qu’Aïssatou restent au second plan de l’histoire ? Est-ce parce que ces personnages reflètent le dilemme dans lequel se trouve les auteures quant à leur nouvelle identité ? Ou bien est-ce parce que ces auteures sont encore conscientes du regard

« of the usually male reader/critic » (Nnameka 151) ? Même si les auteurs féminins entrent sur la scène de la littérature africaine elles sont toujours observées par les hommes qui décident de la bonne morale de leurs romans et qui les critiquent ouvertement. Cyril

Mokwenye, professeur à l’université du Benin, dans son article La polygamie et la révolte de la femme africaine moderne écrit au sujet du comportement d’Aïssatou dans Une si longue lettre que:

À travers les deux femmes nous avons deux personnages symboliques.

Aïssatou symbolise la jeune femme capricieuse et peu patiente qui réagit trop

spontanément, alors que Ramatoulaye est le symbole de la femme qui ayant

investi dans son mariage, est ouverte aux compromis. Elle ne veut pas agir

sans une réflexion profonde. Sa révolte sera une révolte psychologique. (91)

38 Pour Mokwenye Aïssatou est une femme « capricieuse et peu patiente » alors que

Ramatoulaye, qui choisit de ne pas quitter Modou est l’exemple même de la sagesse. Le critique littéraire Femi Ojo-Ade condamnera aussi d’une certaine façon le roman de Bâ, les femmes ne sont pour lui que des « second-class citizen » (72), et après avoir ouvertement condamné le divorce d’Aïssatou, il condamne également la décision de Ramatoulaye de ne pas prendre pour époux Tamsir, le frère aîné de son défunt mari, détruisant ainsi « the aspiring conqueror… by a deft move of the feminist tongue » (79). Pour Ojo-Ade le féminisme c’est « the veneer of the progressive striving to become a man » (84). On retrouve dans ces phrases le choix des hommes pour la femme africaine docile dont parlait

Ousmane Sembène. Les hommes tels que Cyril Mokwenye et Femi Ojo-Ade, ont émis clairement leurs opinions sur les auteures qui décident de donner trop de liberté à leurs personnages féminins. Cette opinion jouera un rôle important dans la décision que prendront les auteurs féminins à ne pas vouloir déclencher la fureur des hommes dans leurs textes mais aussi la peur qu’elles ont ressentie de donner une voix trop forte aux femmes dans leurs romans. Malgré cette critique masculine les auteurs féminins de la seconde génération n’hésiteront pas à réclamer ce changement de la condition de la femme africaine dans leurs romans : « Although non-conformist characters continue to be marginalized in their Works, the inevitability of change is never in doubt » (Nnaemeka 153).

La question du choix et de la marginalisation prend une place importante dans ce roman où l’on trouve des femmes fortes, dans les personnages de Ramatoulaye et Aïssatou, mais qui ont choisi un destin différent après la trahison de leur mari. Ce roman est une longue plainte de femmes, emprisonnées dans les contradictions et les ambigüités de la société sénégalaise.

39 Mariama Bâ souligne aussi le contrôle des mères sur les femmes dans une société où les femmes devraient se soutenir entre elles. Bâ met en évidence les haines féroces qui imprègnent trop souvent les relations entre femmes en Afrique et en font de véritables duels au féminin, ainsi que le note Fandio « Le combat pour l’émancipation de l’Africaine doit affronter les adversaires des plus redoutables au sein même de la gent féminine »

(173).

C’est le temps réglementaire du veuvage qui donnera à Ramatoulaye la possibilité de se recueillir sur sa situation, et c’est à travers ses enfants, choqués de la conduite et du choix de leur père, que Bâ prépare les lecteurs aux changements qui, elle l'espère, s’effectueront chez les jeunes des générations suivantes. En effet, la fille ainée de Ramatoulaye Daba jouit dans son mariage « d’une liberté d’expression et d’action » (Volet, La parole aux africaines

168), pour Daba « Le mariage n’est pas une chaine. C’est une adhésion réciproque à un programme de vie » (Bâ, Une si longue lettre 107). Bâ propose dans son texte que la femme prenne non seulement sa propre existence en main, mais aussi ses propres décisions:

Mais la décision finale m’appartenait… Partir ? Recommencer à zéro,

après avoir vécu vingt-cinq ans avec un homme, après avoir mis au monde

douze enfants ? Avais-je assez de force pour supporter seule le poids de cette

responsabilité à la fois morale et matérielle ?...

J’en connaissais qui avaient perdu tout espoir de renouvellement et que

la solitude avait mises très tôt sous terre... L’éloquence du miroir s’adressait à

mes yeux. Ma minceur avait disparu ainsi que l’aisance et la rapidité de mes

mouvements. Mon ventre saillait sous le pagne qui dissimulait des mollets

40 développés par l’impressionnant kilométrage des marches qu’ils avaient

effectuées, depuis le temps que j’existe. L’allaitement avait ôté à mes seins

leur rondeur et leur fermeté. La jeunesse désertait mon corps, aucune

illusion possible ! (Bâ, Une si longue lettre 60-62)

La fin du roman Une si longue lettre montre en quelque sorte une nouvelle Ramatoulaye, une femme plus forte, qui s’affirme et qui, en même temps retrouve le goût à la vie :

Je t’avertis déjà, je ne renonce pas à refaire ma vie. Malgré tout – déception et

humiliation – l’espérance m’habite. C’est de l’humus sale et nauséabond que

jaillit la plante verte et je sens pointer en moi, des bourgeons neufs. Le mot

bonheur recouvre bien quelque chose, n’est-ce pas ? J’irai à sa recherche.

Tant pis pour moi, si j’ai encore à t’écrire une si longue lettre… (Bâ 89)

Pour Mariama Bâ « women have much to say, but they remain reticent about writing; this reticence, the unsaid, the unwritten, the silences eventually propel many women in the asylum. Within this context, she [Bâ] concludes the liberating force of language remains a central and recurring motif in their [the female writers] writings » (Nnaemeka 151). Une si longue lettre est donc une œuvre majeure qui signe l’entrée de l’auteure dans le genre

épistolaire, un genre permettant à la narratrice d’exprimer en même temps la souffrance et la création dans une lettre qu’elle n’enverra jamais. La lettre sert de thérapie morale pour

Ramatoulaye qui cherche à se soustraire à la tyrannie des hommes et des normes sociales.

En utilisant le roman épistolaire Ramatoulaye « « se libère des tabous qui frustrent » et se

41 constitue en être de langage dans l’espace clos et privé du veuvage » (Dia 3). Cette lettre, presque sous forme de journal, est principalement un retour en arrière sur la vie de

Ramatoulaye. Une si longue lettre pourrait tout simplement être comme son titre l’indique une longue lettre de cent vingt trois pages divisées en vingt sept sections et qui commence comme toute lettre commencerait :

Aïssatou,

J’ai reçu ton mot. En guise de réponse, j’ouvre ce cahier, point d’appui dans

mon désarroi : notre longue pratique m’a enseigné que la confidence noie la

douleur. (Bâ, Une si longue lettre 7)

Mais cette forme de communication journalière permet à la narratrice de révéler ses sentiments les plus intimes et de recevoir en même temps un soutien émotionnel que son ami aurait pu lui donner si cette dernière avait été présente car une lettre peut devenir un substitut à la conversation quand cette dernière n’est pas possible.

Bâ considérait l’écriture féminine comme une arme que les femmes se doivent d’utiliser pour combattre l’injustice, comme elle l'écrit dans son article La fonction politique des littératures africaines:

Le contexte social africain étant caractérisé par l’inégalité criante entre

l’homme et la femme, par l’exploitation et l’oppression séculaires et barbares

du sexe dit faible, la femme-écrivain a une mission particulière. Elle doit, plus

que ses pairs masculins, dresser un tableau de la condition de la femme

42 africaine. Les injustices persistent, les ségrégations continuent malgré la

décennie internationale dédiée à la femme par l’O.N.U., malgré les beaux

discours et les louables intentions. Dans la famille, dans les institutions, dans

la rue, les lieux de travail, les assemblées politiques, les discriminations

foisonnent. Les pesanteurs sociales étouffent dans leur cynique perpétration.

Les mœurs et coutumes ajoutées à l’interprétation égoïste et abusive des

religions font ployer lourdement l’échine. Les maternités incontrôlées vident

les corps.

Comment ne pas prendre conscience de cet état de faits agressif?

Comment ne pas être tenté de soulever ce lourd couvercle social ? C’est à

nous, femmes, de prendre notre destin en mains pour bouleverser l’ordre

établi à notre détriment et ne point le subir. Nous devons user comme les

hommes de cette arme, pacifique certes mais sure, qu’est l’écriture (6,7)

C’est donc un nouvel espoir pour l’avenir de la femme africaine que nous propose Mariama

Bâ avec Une si longue lettre. L’image de la couverture du roman confirme l’idée de Bâ quant

à l’importance de l’écriture féminine dans le changement des conditions de vie des femmes africaines. Larrier affirme que si la couverture montre une femme noire tenant un stylo dans la main, en train d’écrire « It is thus emblematic of the voice long stifled that is finally heard – through writing » (752). Ramatoulaye sort donc vainqueur du combat, à la base inégal, contre la société patriarcale puisque l’héroïne n’est, à la fin du roman, ni éliminée ni récupérée par la société des pères. Bâ souligne que la femme africaine doit trouver un

équilibre de vie afin de pouvoir s’épanouir. Ce n’est pas la tradition que ces femmes

43 cherchent à bafouer « mais bien plutôt le besoin de rappeler à l’ordre des hommes qui n’en respectent plus ni l’esprit ni la lettre » (Volet, La parole aux africaines 158). Finalement la mort de Modou permet à Ramatoulaye de renaitre dans un futur prometteur puisque tout, désormais, paraît possible car « Le destin empoigne qui il veut, quand il veut. Dans le sens de vos désirs. Il vous apporte la plénitude» (Bâ, Une si longue lettre 8). Ramatoulaye referme la porte du passé où l’homme n’a pas su saisir les espoirs des indépendances et créer une nouvelle relation avec la femme. L’espoir de Ramatoulaye est que le futur réinstalle « l’inévitable et nécessaire complémentarité de l’homme et de la femme » (Bâ,

Une si longue lettre 129). Mariama Bâ se tourne vers les générations futures en espérant qu’elles réussiront là ou sa génération a échoué. Son rêve: que l’homme tende enfin la main vers la femme. Mariama Bâ nous a montré dans son texte l’influence des traditions sur les nouveaux idéaux de la femme africaine, et nous voyons une société sénégalaise aujourd’hui qui hésite entre « résistance et changement. Plus perméable à la modernité et aux changements, mais également encore pétrie de traditions et cloisonnée » (Devey 173).

L’auteure nous montre enfin l’impasse à laquelle se trouve confrontée la femme africaine puisqu’elle ne peut se soustraire à l’enracinement de la société africaine dans les traditions.

1-3 L’arrivée du premier roman féminin gabonais: Elonga d’Angèle Rawiri

Angèle Ntyugwetondo Rawiri est née à Port-Gentil au Gabon le 20 avril 1954, vingt-cinq ans après Mariama Bâ. Rawiri et Bâ ont perdu leur mère à un jeune âge et Rawiri a fait la plupart de ses études en France à la différence de Bâ qui n'est allée y étudier qu’à partir de l’école normale supérieure. En 1979, lorsque Mariama Bâ publie Une si longue lettre, Rawiri

44 rentre au Gabon après avoir passé une bonne partie de sa jeunesse en France et deux ans en Angleterre. C’est pendant qu’elle travaille comme traductrice et interprète que Rawiri

écrit son premier roman Elonga en 1980. Ce roman serait passé inaperçu s’il n’avait été réédité en 1986. L’auteure écrira ensuite G’amèrakano: au carrefour (1983) soit quatre année après Une si longue lettre puis Fureurs et cris de femmes (1989). Ces romans offrent, tout comme celui de Mariama Bâ, un tableau social de la société africaine vu de l’intérieure et qui mieux est par des femmes qui sont situées au centre de l’action.

Dans cette partie, je me concentrerai sur le premier texte de Rawiri Elonga puisqu’il insiste sur l’importance que porte la femme africaine à sa réussite professionnelle. En effet ce texte nous montre une jeune femme, Ziza, qui comme beaucoup d’autres femmes africaines s’est mise à vouloir son indépendance financière. Certaines femmes ont ouvert de petits commerces et d’autres se sont lancées dans des carrières telles que le journalisme, le secrétariat ou le droit. Pour Ziza c’est en tant que directrice d’une maison de mode qu’elle obtiendra son indépendance et prouvera que les femmes, malgré les difficultés qu’elles doivent surmonter dans la société africaine, peuvent elles aussi réussir. Je mentionnerai aussi brièvement les deux autres romans d’Angèle Rawiri G’amèrakano: au carrefour et Fureurs et cris de femmes, parce qu’ils montrent que même si les femmes viennent de milieux différents elles recherchent la même chose: prendre en main leur propre destinée.

Dans Elonga Ziza est un des personnages principaux et ce personnage est particulièrement intéressant car il représente le pouvoir des femmes mais aussi le rapport qu’entretiennent ces femmes entre elles. Ziza rencontrera Igowo, son futur mari dans le bar d’un hôtel, la jeune femme viendra s’asseoir à coté de ce jeune professeur qui vient juste

45 d’arriver à Elonga, après un long séjour en Espagne. C’est pendant leur première conversation, qui tourne autour du travail et particulièrement celui d’Igowo, que Rawiri décide ici de donner à son personnage une repartie différente de celle à laquelle le lecteur aurait pu s’attendre d’une femme africaine. En effet la jeune femme donne son point de vue de femme sur le monde du travail et essaie d’avoir une conversation intéressante au lieu de répondre par des banalités afin de plaire au jeune homme. Mais Igowo écoute à peine ce que dit Ziza car il est captivé par la beauté de la jeune femme: « Elle est vraiment très belle, se dit-il. Une beauté si fine est tellement rare ! Elle a une peau lisse comme on n’en voit qu’aux nouveaux nés. Et ces dents éclatantes ! On croirait qu’elle n’a jamais connu d’autres aliments que le lait maternel » (Rawiri, Elonga 38).

Ziza et son amie Elombo sont des femmes d’affaires qui ont monté leur propre entreprise de haute couture africaine, et c’est une affaire qui marche très bien. Pour elles la vie est plus que ce que les hommes envisagent traditionnellement pour les femmes africaines. Le choix de l’emploi de Ziza et de son amie n’est pas lié au hasard, puisque l’habit, donc l’apparence physique est un point important sur lequel Rawiri veut insister. En effet les femmes africaines sont souvent vues par les hommes pour leur apparence extérieure. Elombo insiste sur l’apparence extérieure comme étant une recherche identitaire de la femme africaine puisque « certes, l’apparence extérieure n’est qu’un pas dans la recherche de notre identité, mais c’est un grand pas puisqu’elle manifeste le désir de chacune de nous de s’accepter telle qu’elle est » (Rawiri, Elonga 39). En effet, ce n’est pas parce que les femmes portent le vêtement traditionnel africain qu’elles acceptent leurs conditions dans cette société patriarcale. C’est une véritable prise de conscience que Rawiri montre chez la femme africaine à travers Ziza puisque cette jeune femme, tout comme

46 Ramatoulaye, ne rejette pas toutes les traditions africaines mais cherche à redonner à la femme africaine ce pouvoir que les hommes lui ont enlevé. Volet insiste sur ce que recherche Ziza quand il affirme que « l’essence du pouvoir …[est] bien plutôt dans l’esprit d’entreprise de la jeune femme, dans sa détermination de ne pas subir la tradition mais de la reforger à la mesure de ses ambitions, dans sa résolution à être son propre mentor et dans un discours qui reflète une pensée indépendante et rationnelle » (« Romancière francophones d’Afrique noire » 128). C’est cet esprit de complète indépendance qu’Igowo aura du mal à accepter. Le jeune homme sera très souvent tenté de retourner à un discours patriarcal, dans sa relation avec Ziza, montrant ainsi l’infériorité supposée des activités de la femme par rapport à celles des hommes. Ceci soulignera la pérennité d’un discours sexiste toujours omniprésent chez l’homme africain. Ce discours est encore plus choquant chez Igowo car le jeune homme n’a rien de l’homme africain traditionnel puisqu’il a reçu une éducation libérale, ce qui insiste davantage sur l’idée que beaucoup d’hommes, quelque soit leur éducation, ne peuvent s’empêcher de continuer d’avoir un discours et une attitude patriarcale face aux femmes qui ont montré une certaine volonté d’indépendance.

Comme dans le roman de Mariama Bâ, Rawiri touchera au problème de la polygamie dans son roman Elonga. Afin de dominer Ziza, Igowo défend les valeurs morales traditionnelles de la société africaine en défendant la polygamie qui est, d’après la jeune femme « réaliste et d’une grande sagesse » (Rawiri, Elonga 48). Pour Igowo le rejet de la polygamie des femmes s’explique par leur idée d’émancipation, qui pourrait, de son point de vue, mettre en danger les relations entre les hommes et les femmes. Le jeune homme affirme qu’ « il faudrait peut-être que vous [les femmes] vous méfiiez du terme

« émancipation » que les femmes ont trop souvent à la bouche. Il me semble que vous

47 voulez rejeter en bloc les coutumes, les traditions. Et ça, c’est très important parce que, à force de vous occidentaliser, il risque de s’instaurer une sorte d’incompréhension entre les hommes et vous » (Rawiri, Elonga 48).

Rawiri pose la question du pouvoir des femmes à travers Ziza: cette jeune femme sera- elle assez forte pour convaincre Igowo de changer d’avis quant à la position des femmes dans la société africaine, et Igowo acceptera-t-il « que l’avenir [appartient] aux femmes vivant aux cotés de leur mari ou de leur ami, et non pas à leurs dépends…si Igowo allait

être capable de vaincre les idées reçues pour partager son existence avec une jeune femme qu’il considérait son égale… » (Volet, La parole aux africaines 132). Plusieurs années après le personnage de Ziza, Rawiri confirme avec le personnage d’Emilienne dans Fureurs et cris de femmes (1989) que ni l’homme africain ni la société africaine, ne sont encore prêts à accepter la réussite financière et professionnelle de la femme africaine. Aux yeux des hommes, cette réussite met en danger l'équilibre même de la société africaine. Dans

Fureurs et cris de femmes, Emilienne et Joseph se rencontrent à l’étranger où ils poursuivent tous les deux leurs études. Leur amour est parfait jusqu’à ce qu’ils décident de rentrer au pays, où ils devront faire face à leurs parents respectifs. La mère de Joseph s’oppose immédiatement à ce mariage parce qu’Emilienne est une étrangère, qui parle une autre langue et surtout qui appartient à un autre groupe socioculturel. La mère d’Emilienne s’oppose également à leur union parce qu’elle considère Joseph comme un homme du Nord.

Mais les jeunes gens décident d’ignorer leurs parents et se marient. Emilienne après avoir réussi une carrière professionnelle exemplaire, devra faire face aux infidélités de Joseph, aux harcèlements journaliers de sa belle-mère et à apprendre à vivre avec la mort de sa fille.

Émilienne se retrouve ainsi confrontée « aux commandes d’un appareil d’État indigne,

48 corrompu et oppressif, où, même au sommet de la pyramide, les possibilités sont limitées »

(Volet, La parole aux africaines 133). Bien qu’Emilienne ait finalement réussit à « faire

éclater le moule de la tradition » (Volet, La parole aux africaines 135) en choisissant l’homme qu’elle voulait épouser, leur rapport a changé quand Joseph rejoint les rangs de ceux qui « exigent d’être servis comme des maris » (Rawiri, Fureurs et cris de femmes 63).

Emilienne fatiguée d’être manipulée par son mari, incapable d’accepter sa propre condition, et sa belle-mère qui n’en finit pas de la critiquer, finira par les mettre tous les deux dehors.

Comme le personnage de Joseph les hommes se sentent meurtris dans leur vanité quand les femmes accèdent à un succès professionnel auquel ils n’auraient pas pu accéder et surtout à un salaire qui dépasse, de loin, le leur. Cette meurtrissure force le plus souvent les hommes à agir inconsidérément et cruellement envers les femmes. Le plus souvent ils choisissent une seconde épouse beaucoup plus traditionnelle et beaucoup plus jeune. Ces

épouses se retrouvent coincées dans un mariage où l’une « n’a pour choix que celui d’être une épouse trompée [et l’autre] une maitresse soumise dont les « exigences se limitent à l’argent » » (Volet, La parole aux africaines 136). Ces maitresses, ou ses nouvelles épouses se trouvent obligées de vendre leur jeunesse à des hommes mariés leur permettant ainsi d’accéder à un mode de vie qu’elles n’auraient pas pu obtenir seules. Ces hommes prouvent ainsi à la société leur masculinité, puisqu’ils peuvent asservir économiquement des femmes même si pour y arriver ils sont obligés de faire « des dépenses incroyables au prix parfois de grandes privations » (Rawiri, Fureurs et cris de femmes 47). On retrouve dans Fureurs et cris de femmes le même type d’homme que ceux du roman de Mariama Bâ Une si longue lettre; en effet on peut voir une ressemblance entre Joseph et Modou quand ils décident de prendre une seconde épouse et de l’enfermer dans une prison dorée afin d’affirmer leur

49 masculinité. C’est donc le triste destin des jeunes femmes africaines qui n’ont souvent pas d’autres choix que de devenir les maitresses ou les autres épouses de ces hommes, que nous dépeint Rawiri dans son troisième roman Fureurs et cris de femmes.

Avec son second roman G’amèrakano (1983), Rawiri continue de dépeindre le destin de certaines femmes qui n’ont d’autres choix que de trouver un amant ou un mari pour se sortir de la misère dans laquelle la société africaine les a jetées. Ici, l’auteure montre la limite du pouvoir des femmes dans la société africaine puisque certaines d’entre elles continuent de choisir la fonction de maitresse comme échappatoire à leur condition. En effet Toula, l’héroïne du livre, est une employée de bureau sans avenir, et comme beaucoup de femmes de sa condition elle vit dans un taudis, au dessous du seuil de pauvreté. Par contre son amie Ekata fait partie du monde de la petite bourgeoisie, et Rawiri montre qu’il n’existe aucune solidarité entre les femmes puisque ce monde de la petite bourgeoisie traite de façon désinvolte les habitants des quartiers démunis. On retrouve ce même contraste des couches sociales dans le premier roman de Rawiri Elonga, où la jalousie de la réussite financière d’Igowo poussera son oncle à faire appel à la sorcellerie pour tuer Ziza.

Si Rawiri insiste sur cette séparation sociale c’est pour souligner « combien cette situation suscite l’envie et la jalousie des opprimés face aux riches qui possèdent tout et dirigent la vie sociale » (Rawiri, G’amèrakano 62). Dans le quartier de Toula, les gens « ne vivent pas.

Ils se laissent vivre. Ils crèvent tout doucement. Je [Toula] veux rencontrer des hommes qui apprécient la vie, des hommes qui savent vivre. Pas des gens qui subissent la vie » (Rawiri,

G’amèrakano 19). L’auteure nous présente deux choix de vie pour son héroïne: son premier choix est celui de suivre le chemin de sa grand-mère, femme fidèle aux traditions mais complètement démunie et le second est celui de suivre les pas de sa mère, femme

50 corrompue par la modernité, qui a abandonné Toula à sa grand-mère. Afin d’échapper à son destin, et poussée par sa mère et son amie, Toula décide de devenir l’une de ces femmes qu’elle voit dans les magazines de mode. Elle entreprend donc un régime draconien et se met en tête de trouver un homme qui pourra l’entretenir, lui assurant ainsi la réussite, l’argent et la position sociale dont elle rêve. Rawiri sait que cette sorte de réussite sociale ne fera pas le bonheur de cette jeune femme, car elle sera, éventuellement, remplacée par des femmes plus jeunes et plus avides de réussite. Le futur de ces femmes est souvent éphémère, puisqu’à la mort de leur mari ou amant, ou tout simplement quand ces hommes les abandonnent, elles perdent cette assurance financière. Toula perdra tout, maison, voiture, argent, quand son ami un riche banquier, la quittera et emportera avec lui tout ce qu’il lui avait donné. Dans ce second texte de Rawiri les personnages féminins semblent accepter la polygamie non pas par choix mais parce qu’elles ont peur de l’alternative. Ces jeunes filles savent que leur seule échappatoire est de trouver un amant ou d’épouser un vieil homme riche afin de pouvoir survivre dans une société qui ne leur laisse pas le choix de faire autrement.

Même si les femmes aujourd’hui dans la société africaine peuvent travailler, voter20 et

être des femmes d’affaires, une grande majorité d’entre elles sont encore dépendantes des hommes pour vivre autrement que dans la pauvreté. La fin des romans de Rawiri est tragique pour les femmes qui ont, un instant, espéré sortir de leur condition puisqu’à la fin

Ziza est tuée par les sorciers et Emilienne ainsi que Toula se retrouvent seules et abandonnées. Leur succès professionnel ou financier ne les a pas empêchées de rester les victimes « d’un système qui rassemble en une gerbe maléfique les forces destructives les

20 Le droit de vote pour la femme au Sénégal : 1945 et au Gabon : 1956

51 plus diverses » (Volet, La parole aux africaine 144). Il reste encore aujourd’hui, en Afrique, beaucoup de femmes qui n’ont pas accès à l’école et qui sont mariées contre leur gré ou, pire encore, qui sont abandonnées avec leurs enfants par leur mari/ami comme le personnage d’Onanga dans Elonga. Lemiat après lui avoir fait deux enfants tournera son attention vers les lycéennes. Rawiri, dans ses romans, nous décrit une société qui refuse de donner aux femmes la position qu’elles méritent « si l’on considère le pouvoir comme la capacité d’individus A à modifier de manière permanente le comportement d’un ensemble de personnes B, le pouvoir des Ziza, Emilienne ou Toula sur les Igowo, Joseph ou Eléwagnè semble dérisoire et la « fureur » de Rawiri est compréhensible » (Volet, La parole aux africaines 144). Une fin heureuse est impossible pour les héroïnes de Rawiri qui sont condamnées par une société patriarcale. Pourquoi Rawiri a-t-elle choisi de faire mourir

Ziza à la fin de son roman, alors qu’Igowo avait finalement accepté son indépendance et que sa vie professionnelle était une réussite ? Sa décision rejoindrait-elle celle de Bâ quand cette dernière choisit de faire accepter à son héroïne Ramatoulaye les conséquences des décisions de son mari ? La peur des représailles des critiques et auteurs masculins africains en serait-elle la raison ? Ces auteures auraient-elles préféré donner la marginalité au personnage secondaire de leurs romans, Aïssatou pour Bâ qui choisira de refuser les règles d’une société patriarcale en s’exilant aux Etats-Unis et Elombo pour Rawiri qui continuera dans les pas d’indépendance de Ziza ?

Les femmes chez les auteures des années 1980 revendiquent leur « droit à la parole;

[leur] capacité à être non seulement entendue mais écoutée; et aussi à avouer forfait et à se retirer du jeu lorsque les autres joueurs essaient de [les] enfermer dans un discours ne garantissant que leur seul avantage » (Volet, La parole aux africaines 149). En faisant

52 mourir leurs héroïnes ou en les faisant accepter leur sort, les auteures tiendraient-elles à montrer leur pessimisme quant à une possible réforme de la condition de la femme africaine ? Dans le choix de leurs héroïnes ces auteures ont donc créé des personnages qui choisissent, malgré tout, de contrôler leur vie. Elles sont devenues plus audacieuses mais surtout elles sont les représentantes d’un changement inévitable.

1-4 Conclusion

Nous pouvons conclure que dans les romans de Bâ et de Rawiri, les personnages féminins refusent de tomber dans la « soumission masochiste et la résignation masquée par un constant recours à la tradition » (Fandio 175), pourtant dans ces deux romans l’amour reste incarné par la figure autoritaire et centrale de l’homme. Ces textes marquent le début annonciateur de la nouvelle image de la femme que l’on retrouvera dans

« l’émergente littérature féminine de l’Afrique contemporaine » (Fandio 176). Avec ces

œuvres, Bâ et Rawiri montrent que les femmes ont la possibilité de réagir et qu’avec une certaine ardeur, qui prendrait le dessus sur la docilité dont elles ont fait preuve jusqu’à présent, elles pourraient enfin se libérer de la domination masculine. Le roman africain féminin va sortir de ce confinement des amours malheureuses et des « limites du réalisme conventionnel » (Fandio 176) pour proposer une autre vérité de la femme. Ces auteures veulent lever le voile sur une réalité considérée accablante et abusive, elles « croient en une littérature ancrée dans le vécu des femmes et de ce fait, expriment les conditions de l’ordre social et les rêves de leur société » (Fandio 177). La soumission de la femme africaine disparaitra presque entièrement des textes des auteures africaines des années 1990 pour

53 laisser place à une lucidité et à une incroyable énergie jusqu'alors inconnues chez la femme africaine. Ces pionnières des années 1980 ont influencés les auteures des années 1990 puisqu’elles affirment que : « Si s’exprimer revient à prendre le pouvoir et à se libérer … il devient indubitable pour l’Africaine que prendre la parole est une nécessité impérieuse, un devoir de violence » (Fandio 177).

La fin des romans des années 1980 laisse présager un nouveau commencement pour les auteurs féminins africains. En effet, les personnages féminins de ces romans sont déterminées à utiliser à leur avantage, les leçons qu’elles ont apprises jusque là. L’arrivée d’auteures telles que Calixthe Beyala montre à quel point ce tournant est inévitable car les femmes doivent assumer leur position, elles doivent, à leur façon, se réinventer dans l’histoire. Fandio affirme que « Quelque soit sa condition, le sexe dit faible est un être dont l’énergie et l’opiniâtreté dans l’ambition sont à toute épreuve » (175).

Mariama Bâ et Angèle Rawiri dévoilent dans leur roman la réalité de la condition de la femme africaine, et cette réalité se veut accablante et injuste. Ces auteures ont offert une autre vérité de la femme que celle que leurs homologues masculins nous proposaient dans leurs romans.

Mariama Bâ et Angèle Rawiri ont remplacé la soumission de la femme africaine par

« l’amour, la lucidité et une certaine énergie » (Fandio 177). Les romans suivants qui marqueront autant la littérature africaine que ceux de Bâ et de Rawiri seront ceux de

Calixthe Beyala qui poussera à son comble la crise sociale latente que l’on aura trouvé chez

Bâ et Rawiri. Le dessein dans le roman de Beyala C’est le soleil qui m’a brulée (1987) sera de libérer définitivement le « deuxième sexe »: «revendiquer la lumière, retrouver la femme et abandonner l’homme » (Fandio 176). La rébellion que l’on aura découverte dans les

54 personnages de Bâ et de Rawiri des années 1980 se répercutera bien davantage dans la littérature féminine des années 1990. Pour ces auteures des années 1980 le fait d’avoir pu s’exprimer à travers l’écriture leur a donné une certaine libération et un certain pouvoir. En effet, grâce à cette libération, Mariama Bâ aura pu dans son texte Une si longue lettre, présenter le point de vue d’une africaine « évoluée » sur la polygamie et Angèle Rawiri avec

Elonga aura pu pousser le lecteur dans le drame de la sorcellerie et des classes sociales « où les mentalités et les habitudes évoluent moins rapidement que la société et constituent un frein au développement économique » (Milolo 53). Ces textes sont un pas important vers l’égalité entre l’homme et la femme, entendons ici que la femme ne réclame pas de ressembler à l’homme mais « d’être une « personne », un sujet libre, jouissant de la même autonomie et capable d’initiative » (Milolo 58). En effet, Ramatoulaye affirme:

Eternelles interrogations de nos éternels débats. Nous étions tous d’accord

qu’il fallait bien des craquements pour asseoir la modernité dans les

traditions. Écartelés entre le passé et le présent, nous déplorions les

‘suintements’ qui ne manqueraient pas… Nous dénombrions les pertes

possibles. Mais nous sentions que plus rien ne serait comme avant. Nous

étions pleins de nostalgie, mais résolument progressistes. (Bâ, Une si longue

lettre 43)

Aux lendemains des indépendances on assiste à une explosion de la littérature féminine africaine. Si les années 1980 figurent au palmarès littéraire

55 Ce sera sans doute parce que [des] maisons d’éditions se sont mises à [les]

publier, un public intéressé s’est mis à les lire, des critiques littéraires

chevronnés ont pris la peine de commenter leurs œuvres, des jurys se sont

mis à leur décerner des prix et, surtout, parce qu’un nombre croissant

d’Africaines […] se sont mises à écrire à ce moment-là. (Volet, La parole aux

africaines 13).

En décidant d’écrire, ces auteures montrent les mensonges d’une société qui devrait, d’après elles, arrêter de se tromper elle-même. Les auteures des années 1980 ont défini la mission de l’écrivain féminin, Mariama Bâ et Angèle Rawiri ont présenté des personnages de classes sociales différentes avec des aspirations différentes, ce qui a permis d’insister sur l’impasse dans laquelle se trouve la société africaine.

56

Chapitre 2: Un nouveau féminisme: Calixthe Beyala et Ken Bugul

57 Le but de ce chapitre sera de définir ce que Ken Bugul, auteure sénégalaise et Calixthe

Beyala, auteure camerounaise entendent quand elles parlent de « féminisme » et ce qu’elles ont apporté de nouveau dans la littérature féminine des années 1990 par rapport à celle des années 1980. Pour cela nous étudierons le texte de Ken Bugul Riwan ou le chemin de sable (1999) et celui de Calixthe Beyala Tu t’appelleras Tanga (1988). Nous verrons que ces textes seront quelquefois violents, quelquefois lyriques et qu’en comparaison à ceux des années 1980 ils s’éloigneront de l’autobiographie pour se diriger davantage vers une littérature aux voix multiples « that reflect the multifaceted nature of African female subjectivity » (Hitchcott, « Women Writers in Francophone Africa » 27). Ce chapitre insistera aussi sur la richesse et la diversité de l’écriture féminine que l’on trouve dans les

œuvres de ces auteures.

2-1 La différence entre le féminisme en Afrique et le féminisme en Occident

Le féminisme est né en Europe et aux Etats-Unis dans les années 1970, presque en même temps que paraissait le premier roman de Thérèse Kuoh-Moukoury Rencontres essentielles (1969). La femme africaine se distance de la définition radicale du féminisme telle que l’entend Simone de Beauvoir21 parce que ce féminisme représente l’égalité des sexes ainsi que le rejet de l’homme conduisant ainsi à l’annulation de toutes différences sexuelles. C’est dans Le deuxième sexe (1949) que Simone de Beauvoir introduit l’idée du féminisme. Cet ouvrage est apparu vingt ans avant la naissance du Mouvement de

21 Simone de Beauvoir est née Simone-Lucie-Ernestine-Marie Bertrand de Beauvoir le 9 janvier 1908 à Paris. Simone de Beauvoir était une philosophe, romancière, épistolière, mémorialiste et essayiste française. Elle a partagé la vie du philosophe Jean-Paul Sartre. Elle s’est éteinte le 14 avril 1986.

58 Libération des Femmes (MLF) en France, et c’est la première fois qu’une femme ose revendiquer une égalité absolue entre l’homme et la femme. Ces revendications vont de la liberté sexuelle à l’exploitation ménagère en passant par les droits de la maternité et de l’avortement. Cette phrase qui a marqué Le deuxième sexe résume parfaitement l’idée de la philosophe sur la femme « On ne nait pas femme, on le devient ». Dans ce livre, Simone de

Beauvoir répond à la question « Qu’est-ce qu’une femme ? » Elle touchera des sujets difficiles tels que les maternités involontaires et l’avortement. Pour Simone de Beauvoir la femme n’est pas libre, et elle ne le deviendra pas tant qu’elle ne sera pas l’égale absolue de l’homme. Nous verrons que pour la femme africaine, le féminisme est davantage un retour au racines africaines, une lutte pour corriger les attitudes sexistes mais aussi le besoin d’une transformation sociale de l’Afrique qui permettrait enfin d’inclure les femmes. Pour l’homme africain le féminisme est un danger, une sorte de défi que lui lance la femme africaine, c’est donc avec prudence que le terme « féminisme » doit être employé par les femmes en Afrique, puisqu’il est lié, pour les hommes, à l’idée d’une certaine occidentalisation de la femme africaine.

Patricia Hill Collins définit le féminisme noire de la façon suivante : « c’est un processus de lutte consciente qui donne le droit aux femmes et hommes de réaliser une vision humaniste de la communauté » (Cité par Hitchcott 39), cela impliquant donc une complémentarité des hommes et des femmes. Lydie Dooh-Bunya, romancière et militante camerounaise, explique à son tour que « l’humanité ne saurait progresser harmonieusement sans la collaboration intelligente, voire sans la complicité de bon aloi des deux entités qui la composent, à savoir les femmes et les hommes » (Cité par Kanyana 27).

C’est donc une collaboration entre les hommes et les femmes que l’on attend dans le

59 féminisme noir. Cette forme de féminisme pour les femmes africaines ne serait donc, d’après Mariama Bâ, qu’un prolongement idéologisé de « la complémentarité des hommes et des femmes » (Cité par Hitchcott 39). La plupart des romans écrits par des femmes africaines donnent la parole aux femmes, faisant ainsi la de la littérature féminine africaine une écriture féminine engagée.

Il y a donc une certaine réticence chez les auteures africaines à se faire appeler

« féministes » tel que le terme est défini en Europe. On retrouve cette réticence à utiliser le mot « féminisme » chez les écrivaines africaines, comme par exemple la Nigériane Buchi

Emecheta qui préfère au féminisme occidental ce féminisme plus africain qu’elle définit avec un petit « f » à la différence du féminisme de Simone de Beauvoir qu’elle définit avec un grand « f ». Pour Emecheta parler de la femme africaine et de sa vie ne relève pas de féminisme; elle affirme que « Being a woman, and African born, I see things through an

African woman’s eyes. I chronicle the little happenings in the lives of the African Women I know. I did not know that by doing so I was going to be called a feminist with a Small « f »

(Cité par Makucchi173). À la question : pourquoi refuse-t-elle d’être appelée une féministe ? Emecheta répond que « I will not be called a feminist here, because it is

European. It is as simple as that. I just resent that… I don’t like being defined by them… I do believe in the African type of feminism. They call it womanism…” (Cité par Makuchi 7). En effet Emecheta voit le féminisme occidental comme le décrit Carmen Mojica dans son article Feminism and Womanism: « Feminism is female-centered and revolves around the empowerment of the female in a patriarchal society. It also focuses on equality across the board for men and women ». Mais pour les femmes africaines toutes les luttes ne sont pas les mêmes et « placing all women under feminism is the epitome of racist arrogance and

60 domination, suggesting that white women’s experience is the standard and authority above any other experience » (Hudson-Weems 209). C’est donc pour s’éloigner du féminisme occidental que le « womanism » fera son apparition.

Le mot «womanism» définit mieux le féminisme africain. La différence entre

« womanism » et « feminism » s’explique par la tension qui existe entre la modernité et la tradition, éternel conflit de l’identité culturelle des femmes africaines qui les oblige à renégocier constamment l’équilibre qui existe entre la femme et la communauté.

Alice Walker est la première femme à avoir utilisé le terme de « womanism » pour lier le féminisme avec la situation de la femme noire, affirmant que le « womanism » c’est:

Womanist 1. (Opp. Of “girlish,” i.e., frivolous, irresponsible, not

serious.) A black feminist or feminist of color. From the black folk

expression of mothers to female children, “You acting womanish,” i.e., like

a woman. Usually referring to outrageous, audacious, courageous or

willful behavior. Wanting to know more and in greater depth than is

considered “good” for one. Interested in grown-up doings. Acting grown

up. Being grown up. Interchangeable with another black folk expression:

“You trying to be grown.” Responsible. In charge. Serious.

2. A woman who loves other women, sexually and/or non-sexually.

Appreciates and prefers women’s culture, women’s emotional flexibility

(values tears as natural counterbalance of laughter), and women’s strength.

Sometimes loves individual men, sexually and/or non-sexually. Committed to

survival and wholeness of entire people, male and female. Not a separatist,

61 except periodically, for health. Traditionally universalist, as in: “Mama, why

are we brown, pink and yellow, and our cousins are white, beige, and black?”

Ans.: Well, you know the colored race is just a flower garden, with every

color represented.” Traditionally capable, as in: “Mama, I’m walking to

Canada and I’m taking you and a bunch of other slaves with me.” Reply: “It

wouldn’t be the first time.”

3. Womanist is to feminist as purple to lavender (xi)

Pour Hitchcott également, le « womanism » se bat pour la survie et l’intégrité de tout un peuple, les hommes y compris. Ce mouvement tourne aussi autour de l’ordre naturel de la vie, de la famille et de la relation complémentaire de l’homme et de la femme, en d’autres termes le « womanism » est « une version du féminisme plus intense et plus précise »

(Hitchcott 38).

L’histoire et les facteurs sociopolitiques étant différents en Occident et en Afrique il est impossible pour les femmes africaines d’utiliser le terme « féminisme » puisque ce terme ne revendique pas les mêmes besoins et qu’il est à leurs yeux, principalement, un combat de femmes blanches. Les besoins des femmes africaines et des femmes occidentales étant différents on peut comprendre la nécessité d’un autre terme qui définirait mieux les besoins des femmes africaines et leur donnerait le crédit nécessaire, dont elles ont besoin auprès des hommes, pour se faire entendre. Makuchi Nfah-Abbenyi explique pourquoi le mot « féminisme » en Afrique est impossible à utiliser quand elle dit :

62 It becomes problematic for African women to adopt the word « feminist »

that does not adequately speak their experiences but those of a particular

Western/privileged group of women, a word that, when used in their African

socio-cultural contexts, is often loaded with pejorative connotations. Often,

when an African woman is associated with feminism or directly labeled as a

“feminist”, such labeling incongruously defines her as a Western, meaning

that she is either condemned or not credited for what she is or does because

she is said to be deviant or simply imitating Western women. (Makuchi Nfah-

Abbenyi 11)

On peut ajouter qu’il existe aujourd’hui beaucoup de féministes occidentales qui comprennent parfaitement que les femmes africaines ont besoin de revendiquer un type de féminisme très différent du leur et que les femmes africaines ne sont pas toujours féministes quand elles parlent des hommes. L’écrivaine du Ghana Ama Ata Aidoo explique que:

I am not a feminist because I write about women. Are men writers male

chauvinist pigs just because they write about men? Or is a writer an African

nationalist just by writing about Africans? Or a revolutionary for writing

about poor oppressed humanity? Obviously not… no writer, female or male,

is a feminist just by writing about women. (Aidoo 41)

Bugul affirme aussi dans une de ses interview que :

63

I have never called myself a feminist. Now if you choose to call me a feminist,

that is your business; but I don’t subscribe to the feminist idea that all men

are brutal and repressive and we must reject them. Some of these men are

my brothers and fathers and sons. Am I to reject them too? (Cité par Mikell

21)

C’est donc dans le « womanism », qui insiste sur la reconnaissance des racines africaines et la lutte pour corriger les attitudes sexistes, qu’un nombre d’écrivaines africaines se retrouvent. Il revient à la femme africaine de représenter sa culture et ses traditions à ceux qui ne les connaissent pas et c’est ce que Mariama Bâ a accompli en commençant « the reappraisal of gender within the African novel while simultaneously confronting her own marginal status as a writer » (Meeker, 221). C’est parce que Mariama Bâ a représenté les femmes et leur façon de vivre dans la culture sénégalaise que les hommes l’ont traitée

« d’européocentrisme », et c’est donc pour lutter contre cette étiquette que l’auteure s’est

éloignée du féminisme tel que le terme est interprété en Occident.

Une autre forme de féminisme que l’on trouve en Afrique, est celui de Molora Ogundipe-

Leslie, poète, féministe et activiste du Niger qui se considère « « stiwanist » plutôt que

« féministe » et refuse de considérer l’homme africain comme un adversaire » (Cité par

Keating 15). Le féminisme de Molora Ogundipe-Leslie est centré principalement sur l’Afrique, et le nom que lui a donné Ogundipe-Leslie est celui de « Stiwanism » (Social

Transformation in Africa Including Women). Molora Ogundipe-Leslie insiste qu’il est important de redécouvrir le rôle de la femme dans les institutions sociales et politiques afin

64 d’améliorer ces institutions. Dans son texte Re-Creating Ourselves: African Women and

Critical Transformation (1994), l’auteure écrit sur les difficultés de l’homme africain à reconnaître l’égalité des sexes. Pour les « stiwanist » il est importance de confronter le problème des relations homme-femme dans leur propre culture parce que cette relation exploite, jusqu’à présent, les femmes du Tiers-monde, physiquement, émotionnellement et intellectuellement. Les « stiwanist » pensent, comme le pensait Thomas Sankara président assassiné du Burkina Faso et grand avocat de la femme, qu’il ne pourra y avoir de libération de la société africaine sans la libération des femmes africaines (Thomas Sankara Speaks

Copyright © 1990, 2007 Pathfinder Press). Mais la majorité des hommes africains sont mal

à l’aise quand on aborde le sujet de l’égalité des sexes, et la plupart pensent que la femme africaine est leur subordonnée, particulièrement dans le mariage, ce qui peut donner à penser que l’homme africain se complait dans l’inégalité des sexes. La femme « stiwanist » pense que la libération de la femme africaine ne se fera qu’au travers de cette transformation sociale, insistant sur l’idée que la femme ne devra pas pour autant s’accaparer le rôle de l’homme. La féminité n’est-elle pas après tout une affaire d’homme et de femme ?

Comme Alice Walker avec le « womanism », et Ogundipe-Leslie avec le « Stiwanism »,

Werewere Liking, auteure camerounaise propose le mot « misovire » pour définir le féminisme africain. Ce terme est apparu pour la première fois dans son roman Elle sera de jaspe et de corail (1983). Pour Liking une misovire est « une femme qui n’arrive pas à trouver un homme admirable » (Cité par Magnier 20). Ce qui pousse la femme africaine à devenir « misovire » c’est le fait que l’homme ne soit motivé que par son « bas ventre »;

Liking affirme que : « Elle [la misovire] se sent entourée par des « larves » uniquement

65 préoccupées par leurs panses et leurs bas-ventres et incapables d’une aspiration plus haute que leur tête, incapables de lui inspirer les grands sentiments qui agrandissent, alors elle devient misovire » (Cité par Magnier 21).

Irène d’Almeida ajoute, dans son article Femme, féministe, misovire qu’être une femme

« misovire » c’est « la genèse d’un nouveau langage de femme cherchant à exprimer le non- dit » pour remédier aux « insuffisances du langage patriarcal qui comporte bien

« misanthrope » et « misogyne » mais n’a pas de mot pour décrire quelqu’un qui n’aime pas les hommes au sens plus littéral du terme ». Avec la femme misovire Liking insiste sur le fait que les hommes de la société africaine moderne ne sont pas à la hauteur de ce qu’attendent les femmes. Le souhait de la misovire est de voir une nouvelle race d’hommes apparaître :

Et l’Homme de la prochaine Race se présentera dans un corps sain plus fort

et plus harmonieux avec des Émotions plus riches, plus stables et plus

affinées. Sa Pensée sera plus rigoureuse et plus créatrice, sa Volonté plus

ferme et mieux orientée, sa Conscience plus ouverte… (Liking, Elle sera de

jaspe et de corail 22)

C’est à ce moment qu’une nouvelle union positive pourra enfin apparaître entre la misovire et le misogyne. Cette femme misovire, on la retrouve dans les textes de Calixthe Beyala, car pour elle les hommes sont poussés uniquement par leur instinct sexuel. Dans son roman Tu t’appelleras Tanga, Beyala constate que « Hommes, adolescents, jeunes, vieux, ces hommes sont incapables de monter du cul au cœur. Impuissants de sentiments. Rien que le sexe levé

66 tel une baguette magique » (110). Il est important de remarquer que le concept de la femme misovire n’est pas de rejeter l’homme comme tel mais de rejeter l’idée qu’il a de la femme comme objet sexuel.

Même si l’on trouve différentes formes de féminisme africain on peut trouver une préoccupation similaire entre toutes ces formes de « féminisme »: celle d’améliorer la condition de la femme africaine, en changeant les relations entre les hommes et les femmes et en insistant sur l’importance de la participation de la femme dans la société africaine. Le

« féminisme africain » considère qu’il existe des traditions positives pour les femmes, comme celle du mariage, mais qu’il en existe aussi de négatives comme celles des mutations sexuelles, telle que l’excision, Pour ces femmes ces mutations sexuelles et les abus de la polygamie, doivent être éliminées car elles désavantagent grandement la femme.

On trouve aussi dans les débats sur le féminisme des points sensibles comme ceux du racisme, du néocolonialisme, de l’exclusion socioéconomique, de l’exploitation, de l’intégrisme religieux et de la corruption. Plusieurs mouvements féministes sont nés de ces différents besoins et préoccupations de la femme africaine. Arndt considère qu’il y a trois sortes de féminisme en Afrique : « reformist, transformative and radical » (33).

Dans les textes des « reformist » les attitudes patriarcales, les normes et les conventions d’avant et d’aujourd’hui qui discriminent les femmes sont censurées. Les écrivaines féministes réformistes négocient avec la société patriarcale afin d’acquérir de nouvelles opportunités mais elles acceptent les orientations fondamentales de la société patriarcale parce qu’elles reconnaissent leurs importances dans la société africaine. Elles critiquent les hommes comme individus mais quand il faut prendre parti, elles insistent sur l’importance de l’alliance entre l’homme et la femme. Les écrivaines féministes réformistes soulignent

67 que la société est capable de faire des réformes et leurs textes ont souvent une fin heureuse.

Flora Nwapa avec Efuru (1966) et Idu (1970) est considérée comme une féministe réformiste.

Quant aux textes « transformative » et « radical », ils critiquent ouvertement les structures sociales d’une société patriarcale où les attitudes discriminatoires des hommes envers les femmes sont décrites comme normales et donc critiquées comme telles. Il existe tout de même quelques différences entre les textes « transformative » et « radical ». La littérature « transformative » féministe critique les hommes bien plus sévèrement et pense que ces derniers ont la capacité de changer les choses. La littérature de Bâ, Ama Ata Aidoo,

Buchi Emecheta sera considérée comme « transformative ». Quant aux féministes

« radical », dont Beyala et la misovire font parties, elles considèrent que les hommes discriminent et maltraitent les femmes. Les personnages masculins de ces romans sont

« hopelessly sexist and usually deeply immoral » (Arndt 34). Pour ces hommes il est impossible d’envisager une position différente pour la femme africaine que celle qu’elle tient aujourd’hui. Meurtre et mort sont souvent présents à la fin de ces romans. Il n’existe aucune alliance entre les hommes pour lutter contre l’oppression de la femme. Les textes sont pour la plupart pessimistes parce qu’ils montrent qu’il n’y a aucun espoir dans la relation homme-femme. Les romans de Calixthe Beyala C’est le soleil qui m’a brulée (1987) et Tu t’appelleras Tanga (1988) font partie de ce féminisme « radical ». Il est intéressant de remarquer que chaque génération a plus ou moins son propre mouvement et Arndt affirme que:

68 Authors of all generations contribute to transformative literature. In contrast,

there is a general tendency for the reformist branch to recruit mainly among

the pioneers of African-feminist literature, while radical literature seems to

be primarily the domicile of the youngest authors, who were born after most

African countries gained independence (that is after 1960) and who started

to write in the late ‘80s. (35)

Dans les textes que nous étudierons, il sera important de garder en mémoire ces différentes formes de féminisme, afin de mieux analyser les textes des auteures que nous avons choisis. Ken Bugul et Calixthe Beyala développent en effet de nouveaux thèmes dans leurs romans et nous présentent des textes où coïncident l’importance de la solidarité des femmes et le besoin certain de retrouver une identité perdue. On retrouve aussi dans ces textes, principalement ceux de Beyala, l’importance de la réappropriation du corps de la femme car pour l’auteure il est nécessaire de « reconquérir un corps qui [lui] avait été enlevé » (Cazenave 178). Il y a aussi, chez ces auteures, un désir commun « de réévaluer le statut de la femme et de revendiquer, par la « prise de parole », une position contre les institutions patriarcales coloniales et post-coloniales » (Moudileno 30) qui oppriment la femme africaine. Ce pouvoir de l’homme et/ou de la société sur la femme se traduit par un manque total de contrôle des femmes sur la propriété, leur vie conjugale et sexuelle, le peu de valeur accordée à la vie de la femme et à son travail, et finalement le manque total de participation aux décisions importantes telles que : la guerre, le travail et la vie de la communauté.

69 La femme africaine est, dans la littérature, à la recherche de son identité. On pourra voir que chez Beyala le tragique de ses personnages féminins provient « de la rupture entre la réalité et le désir, la tradition et la modernité, le passé et le présent, la mémoire et l’identité

à forger » (Malonga 170).

Les sous-chapitre suivants se concentreront plus en détail sur les thèmes de la solidarité, de la recherche identitaire et de la réappropriation du corps de la femme, avec les textes de Ken Bugul et Calixthe Beyala.

2-2 Coutumes séculaires contre vie occidentalisée dans le roman de Ken Bugul Riwan ou le chemin de sable

Ken Bugul est une auteure sénégalaise, née en 1948 et qui apparaît sur la scène littéraire avec une série de romans autobiographiques comme Le Baobab fou (1983), son premier roman, et Riwan ou le chemin de sable (1999), ce dernier ayant reçu le Grand Prix littéraire d’Afrique Noire22 en 2000. Pour publier son premier livre, elle doit changer de nom parce que ses propos sont trop controversés pour une femme et surtout pour une femme musulmane. Elle choisit donc, à la place de Mariétou M’Baye, le nom de Ken Bugul qui en Wolof veut dire « personne n’en veut ». Ce choix serait-il dû au fait que Bugul s’est sentie rejetée par ces parents qui avaient décidé de l’envoyer dans une école française, l’éloignant ainsi volontairement, ou bien est-ce le sentiment même de l’auteure qui à un

22 Le Grand prix littéraire d’Afrique noire est attribué chaque année par L’association des écrivains de langue française l’ADELF. Ce prix est ouvert aux écrivains de langue française originaires d’un État de l’Afrique noire. Ce prix est décerné chaque année au Salon du livre à Paris.

70 moment précis de sa vie s’est sentie rejetée par les hommes parce qu’elle revendiquait des droits culturels et spirituels incompatibles avec la société africaine qu’elle avait laissée ?

Ses trois premiers livres Le Baobab fou, Cendres et Braises (1994) et Riwan ou le chemin de sable sont « une trilogie autobiographique visant à construire une identité féminine dans le cadre sociopolitique de plusieurs périodes historiques en Afrique » (Bourget 352).

Riwan ou le chemin de sable raconte l’histoire de deux destinées, celle de la narratrice qui revient d’Europe et celle des autres femmes fidèles aux traditions africaines. Bugul insiste sur l’idée que le féminisme et la polygamie ne seraient peut-être pas totalement incompatibles si la femme pouvait vivre d’après ses repères culturels. Le roman de Bugul raconte un épisode de la vie de l’auteure, et cette autobiographie lui permet d’exprimer les sentiments de beaucoup d’auteurs féminins quand elle affirme: « Écrire aujourd’hui n’est pas seulement écrire sur les révoltes […] c’est aussi écrire sur la beauté, l’amour et la tolérance » (Bugul cité par Magnier 152).

Bugul avoue ne pas avoir vraiment eu d’objectif principal quand elle a écrit ces romans; c’est le soulagement et le besoin qu’elle a eu de s’exprimer qui l’ont poussée à écrire. Ce qui est intéressant dans ses deux derniers romans autobiographiques et surtout dans celui de

Riwan ou le chemin de sable c’est l’importance que Bugul attache au retour aux sources et la recherche identitaire de la femme, même si l’auteure accepte de devenir la vingt-huitième femme du Serigne23 pour y arriver, fait qui a surpris les féministes des deux cotés de l’Atlantique. C’est effectivement à trente ans et de retour au Sénégal, après un assez long séjour en France qui n’a pas très bien tourné, que l’héroïne devient la vingt-huitième femme du Serigne, un guide spirituel et un maitre coranique au Sénégal. Malonga affirme

23 Le titre de Serigne en Wolof est l’équivalent du Cheick arabe. C’est un Guide spirituel et/ou maitre coranique.

71 que « Son séjour européen inscrit sa vie dans une logique de bouleversement, de perte de repères jusqu’au moment ou l’échec se matérialise par un retour précipité en Afrique afin de « renaitre » » (171). En Afrique, Bugul retrouve son identité qu’elle avait perdue en

France. Sa vie dans le harem du Serigne lui permet de retrouver ses origines et sa famille.

Elle peut enfin rétablir son identité et une place parmi les siens. Dans un entretien donné à

Carine Bourget et Irène Assiba d’Almeida, l’auteur affirme que son roman préféré est Riwan ou le chemin de sable pour l’importance que le rôle du Serigne a joué dans sa vie; en effet elle affirme que cet homme lui tient toujours particulièrement à cœur. À la question: « Et s’il fallait tout recommencer…? » Bugul a répondu que « … si le Serigne arrivait tout de suite, je la laisserais là, avec son interview, pour partir avec lui. C’est dire à quel point je tiens à lui. Avec lui, c’était une sublimation, parce qu’il m’a sauvé la vie » (Bourget 362). Dans

Riwan ou le chemin de sable, Bugul ne considère pas le Serigne comme un mari mais plutôt comme une relation intellectuelle et spirituelle. La description que fait l’auteure du Serigne n’est pas celle à laquelle le lecteur est habitué. On découvre un homme tolérant et surtout ouvert au monde. On ne trouve pas dans ce texte une critique de la polygamie et le lecteur est surpris de découvrir que Bugul ne peint pas un tableau sombre de sa vie parmi les nombreuses autres femmes du Serigne.

L’opinion de Bugul sur la polygamie est intéressante à étudier et en même temps assez ambiguë puisqu’elle dit ne pas avoir apprécié être élevée dans un mariage polygame. Elle trouvait que sa mère n’avait pas été assez aimée et qu’aucune des femmes de son père ne s’était occupée d’elle quand sa mère l’avait abandonnée, ce qui pour l’auteure avait limité les cotés positifs du mariage polygame. Bugul avait donc émis le souhait d’épouser un blanc afin de fuir la polygamie, comme on lui avait enseigné à l’école française. Mais après son

72 retour au Sénégal, elle décrit le mariage polygame dans le milieu rural, différent de celui de la ville; elle trouve celui de la campagne beaucoup plus sain pour les femmes, elle le décrit comme « plus organisé, plus équilibré; ces femmes étaient plus épanouies, pensaient plus à elles qu’au type » (Cité par Bourget 355). Là où Mariama Bâ ne trouvait aucun réconfort dans la « polygamie urbaine » de part son aspect hypocrite, Ken Bugul trouve l’équilibre qu’elle recherchait en tant que femme dans la « polygamie rurale ». L’auteure ne condamne pas ici la polygamie tant qu’elle n’enchaine pas la femme. À l’inverse de celle des campagnes, « la polygamie urbaine » pousse les femmes à ne penser qu’à l’homme plutôt qu’à elles-mêmes, les forçant même à une certaine animosité ou jalousie entre elles parce que l’une a plus d’attention qu’une autre. La leçon que Bugul retient en vivant parmi ces vingt-sept femmes est qu’il est important pour les femmes de s’occuper d’elles-mêmes.

Dans la polygamie dont parle Bugul on trouve cette solidarité entre les femmes africaines qui manque dans l’œuvre de Bâ et dans celle de Beyala. L’auteure affirme que « ce sont les femmes qui m’ont dit: « pourquoi se concentrer sur un homme ? Concentre-toi sur toi, occupe-toi de ta beauté, de ton travail, de ce que tu gagnes, habille-toi pour toi-même »

(Cité par Bourget 357). Est-ce parce que c’est ce milieu qui l’a sauvée que Bugul est si indulgente envers la polygamie ? Probablement puisqu’à ce moment précis de sa vie, Bugul n’avait plus aucun autre recours, ayant tout perdu jusqu’à sa propre identité en France. En aurait-il été autrement si Bugul n’avait pas eu besoin de retrouver son identité ?

Certainement puisque d’après elle, elle accepterait difficilement aujourd’hui d’être dans un mariage polygame. Bugul souligne aussi que c’est souvent l’insécurité matérielle et sociale qui pousse les femmes dans le mariage polygame. En cela elle rejoint les propos de Bâ quand celle-ci introduit le personnage de Binetou, jeune femme qui sera la seconde épouse

73 du mari de Ramatoulaye afin de trouver cette sécurité matérielle. Cette sécurité qu’elle soit matérielle ou sociale est importante afin que les femmes puissent subsister puisque sans cette sécurité, elles restent, pour la plupart, dans leur milieu miséreux comme nous l’avons vu avec le personnage de Toula dans le roman de Rawiri G’amèrakano. On verra donc chez les auteures que la polygamie est un sujet ambigu puisque certaines femmes la réclament et que d’autres la condamnent. La polémique sur le statut de la femme dans les sociétés traditionnelles africaines est donc lancée, statut qui devient de plus en plus compliqué puisque la cohabitation entre les coutumes séculaires et un mode de vie de plus en plus occidentalisé est difficile.

Avec Riwan ou le chemin de sable, Bugul a changé l’idée que l’occident s’était faite de la vie des femmes et de la polygamie en Afrique. L’auteure affirme que la femme africaine retrouve son identité dans certaines traditions africaines. Le retour au village de l’auteure lui sert de tremplin pour retrouver une harmonie identitaire qu’elle avait perdue en France puisque « Le cercle n’est plus le symbole de plénitude, mais plutôt de parcours initiatique qui aide à réaliser la valeur de l’enracinement culturel » (Malonga 173). C’est donc une intellectuelle « évoluée » dont la vie est meurtrie par les tumultes d’une longue quête identitaire que l’on retrouve dans le texte de Bugul.

D’après Bugul ce retour au pays natal est nécessaire pour les femmes en quête de leur identité et ce retour aux traditions permet une réhabilitation de la femme dans la société africaine. Bugul affirme que, à l’inverse de ce que pensent beaucoup de femmes africaines, partir n’est pas la solution puisque la femme africaine se perd quand elle est loin de ses racines. En cela Ken Bugul rejoint Mariama Bâ quand l’auteure fait rester Ramatoulaye. Le temps passé en France est un moment que l’héroïne du roman préfèrerait presque effacer,

74 car c’est en l’effaçant et en l’oubliant qu’elle pourra enfin retrouver sa véritable identité.

Mariée à un homme violent et qui abusait d’elle Bugul a dû rentrer au Sénégal où la honte s’est abattue sur elle et sa famille et c’est ce mariage avec le Serigne qui lui a permis de renaitre et de retrouver sa place dans la société africaine. Sa vie en dehors de l’Afrique est un peu comme ce livre qu’elle a acheté à Londres, un souvenir qu’elle préfèrerait ne plus avoir: « Ce livre, acheté à Londres non loin de Regent’s Park, si loin de cette bourgade, si loin de cette région, si loin de ce pays, je regrettais franchement de l’avoir apporté avec moi » (Bugul 22). Il y a donc une incompatibilité entre la vie à l’occidentale et la vie africaine. La femme africaine immigrée est privée de ses points de repères, isolée, loin des siens et déchirée entre la culture de son pays et celle de l’occident, et il n’est pas étonnant de la voir sombrer dans l’abus d’alcool, la drogue et la prostitution. Mais surtout la femme noire exilée va jusqu'à questionner la couleur de sa peau. La narratrice affirme :

Comme je regrettais d’avoir voulu être autre chose, une personne quasi

irréelle, absente de ses origines, d’avoir joué le numéro de la femme

émancipée, soi-disant moderne… voilà pourquoi mon bonheur était si triste,

par la rupture avec mon atmosphère et ces parades d’ailleurs, parades de vie

à mi-chemin entre la farce et la tragédie. (Bugul 113)

Pour Bugul le retour dans son pays natal représente son salut, elle y [retrouve] le bonheur et la sérénité qu’elle avait perdus en France mais surtout elle [retrouve] un équilibre psychologique, [retrouvé] dans les traditions qu’elle avait laissées derrière elle en quittant l’Afrique :

75

J’étais épanouie à plus d’un titre. J’avais sous-estimé la capacité des

sources, des origines à récupérer les siens. J’avais retrouvé mon village,

mes sens. Mon milieu, mon moi-même posé dans un coin et qui

m’attendait depuis. J’étais réintégrée dans la société et remplissais mes

engagements vis-à-vis d’elle avec beaucoup de bonheur. Je ne me sentais

plu isolée. (Bugul 181)

Pour l’auteure il est difficile pour la femme africaine de suivre un mode de vie à l’occidentale puisque ce mode de vie l’éloigne de ses racines. Bugul affirme qu’ « En occident, on fabrique les femmes dans l’idée qu’il faut se marier à tout prix et on les croit

émancipées. Il faut sortir de ça, être avant tout des individus libres » (Bourget 353). Ce roman insiste sur le statut de la femme ainsi que sur sa liberté. On trouve dans ce texte un discours « évolué » que la femme intellectuelle africaine entretient avec l’Afrique. Bugul, comme nous le verrons aussi chez Beyala, habite et façonne ses personnages. Pour Bugul c’est grâce au retour dans son village qu’elle peut enfin retrouver l’harmonie identitaire qu’elle recherchait, même si cela implique de devenir la vingt-huitième femme du Serigne.

Pour Bugul :

L’écriture du Baobab fou, de Cendres et braises et de Riwan ou le chemin de

sable est une écriture « thérapeutique ». Il y a dans ces trois livres une

volonté de revenir sur soi. Ça m’a permis de libérer des choses enfouies en

moi… (Mongo-Mboussa 105)

76

Riwan ou le chemin de sable s’impose et s’octroie une place considérable dans la littérature africaine francophone. C’est un texte majeur, qu’il est important de lire pour mieux comprendre le statut et la liberté de la femme en Afrique, non pas d’un point de vue de femme occidentale mais d’un point de vue de femme africaine. En effet ce texte est « le récit d’une harmonie identitaire, il se situe, rappelons-le, à la croisée de destins, celui de la narratrice et ceux d’autres femmes fideles aux traditions africaines et partisanes d’un féminisme authentiquement africain. » (Malonga 175). Dans Riwan ou le chemin de sable

Ken Bugul invite l’homme africain à réfléchir sur les notions du féminisme et de bonheur au sein d’une relation amoureuse.

2-3 La revendication du corps dans le texte de Calixthe Beyala Tu t’appelleras Tanga

Calixthe Beyala est apparue sur la scène littéraire africaine en 1987 avec C’est le soleil qui m’a brûlée, et un an plus tard elle publie Tu t’appelleras Tanga (1988). Avec ces deux romans, Beyala a bousculé les habitudes du monde feutré de la littérature africaine. Pour notre étude nous nous concentrerons sur son second livre Tu t’appelleras Tanga. Ce texte est une déclaration de guerre à la société patriarcale traditionnelle africaine mais aussi un mode d’emploi sur la façon dont la femme africaine doit rétablir ses droits les plus

élémentaires. L’auteure montre le combat sexuel que les femmes africaines doivent mener afin de se réapproprier leur corps.

Beyala est née en 1961 à Douala au Cameroun, où elle a été élevée par sa grand-mère dans un milieu pauvre. C’est grâce à son instituteur qui reconnaît en elle une intelligence

77 précoce, qu’elle continuera ses études primaires et secondaires. À dix-sept ans Beyala quitte l’Afrique et part pour l’Espagne, puis pour la France où elle s’établit. Elle est connue dans le monde littéraire pour sa lutte contre le racisme et la défense des droits de la femme en Afrique. Sa bibliographie compte une quinzaine d’ouvrages dont des romans et des essais, et l’auteure a obtenu de nombreux prix littéraires pour ses ouvrages. L’œuvre que nous étudierons, Tu t’appelleras Tanga, se passe au fond d’une prison africaine où deux femmes se chuchotent leur histoire. L’une d’elles est Anna-Claude, femme juive qui a cru aux images de carte postale et à l’amour, l’autre est Tanga dont l’histoire est beaucoup plus noire et qui raconte sa vie de petite prostituée dans une société où les traditions impitoyables la condamneront à mourir. Beyala parle dans ce texte des thèmes qui touchent directement la femme africaine comme ceux de l’amour, de l’argent, du conflit des générations, de l’émancipation de la femme, du racisme et de la quête identitaire. C’est pourquoi dans son essai Lettre d’une Africaine à ses sœurs occidentales, Beyala insiste sur son désir de voir apparaître un féminisme universel. L’auteure affirme:

En tant que femme africaine, je vous parle avec mes tripes et mes instincts

[…]. Je laisse les théories et le cartésianisme aux intellectuelles. Je ne juge pas,

je constate que le cartésianisme et les sciences qui en découlent ont permis à

certaines sociétés, non seulement d’évoluer mais aussi de dominer le monde.

(Beyala, Lettre d’une Africaine à ses sœurs Occidentales 9)

78 Cette notion de féminisme universel24 sera l’idée principale de son roman Tu t’appelleras

Tanga puisque la libération de son héroïne Tanga se fera à travers la conversation qu’elle aura tout au long du livre avec sa compagne de cellule juive Anna-Claude. Beyala choisira, afin de se concentrer sur la notion de solidarité universelle des femmes, des personnages féminins dramatiquement opposés. L’histoire se passe dans une cellule de prison où deux femmes, de race et de classes sociales différentes, se racontent leur vie parsemée de drames en essayant de communiquer malgré un monde qui les sépare. L’une, Tanga,

Africaine issue des bidonvilles, raconte la façon dont elle a été dépouillée de son identité d’enfant et de femme par la pression socioculturelle, et l’autre, Anna-Claude, est une

Européenne d’origine juive qui l’écoute. Bientôt « l’acte narratif de Tanga se transforme en une parole thérapeutique pour les deux femmes » (Gallimore Rangira 88) puisque Tanga à travers son histoire remonte le parcours de sa vie, revivant ainsi les moments les plus difficiles. Ce faisant elle s’offre la possibilité non seulement d’analyser ces moments mais aussi de permettre à Anna-Claude de les vivre à travers elle, conduisant cette dernière à s’identifier à Tanga et produisant ainsi une fusion des deux identités féminines. À la mort de Tanga, Anna-Claude assumera son identité, ce qui permettra à Tanga de renaitre dans un nouveau corps mais surtout d’acquérir une nouvelle identité. La relation entre les deux héroïnes montre que les femmes d’une nationalité et d’une classe sociale différente peuvent arriver à partager les mêmes valeurs et les mêmes combats quand il est question de leur propre survie, réfutant ainsi l’idée que les différences des origines et des cultures empêchent la solidarité entre femmes. Pour arriver à cette fusion il est important que la

24 Par féminisme universel je veux parler du mouvement universaliste qui proclame le droit à l’égalité pour les femmes. La différence biologique ne peut expliquer les différences de comportement et la domination. Les différences s’expliquent culturellement.

79 femme blanche se mette dans la peau de la femme noire, qu’elle se dépouille de son enveloppe pour mieux comprendre la vie et les besoins de la femme noire africaine. Tanga conseille à Anna-Claude: « Alors entre en moi. Mon secret s’illuminera. Mais auparavant, il faut que la Blanche en toi meure. Donne-moi la main, désormais, tu seras en moi. Tu auras dix-sept saisons, tu seras noire, tu t’appelleras Tanga » (Beyala, Tu t’appelleras Tanga 18).

Beyala, dans son œuvre, n’accuse pas la femme blanche de l’échec de ce féminisme universel puisque ce mouvement ne peut véritablement exister car, comme nous l’avons vu précédemment, les besoins des femmes blanches et des femmes noires sont différents.

L’auteure accuse l’idéologie bourgeoise qui est associée à ce mouvement. Le choix de la condition des personnages de Beyala n’est pas dû au hasard puisqu’elles ont toutes les deux une histoire lourde à porter, l’une étant noire et l’autre juive. Faut-il donc que les femmes d’origine et de milieu différent aient souffert pour pouvoir se comprendre et lutter ensemble ? Pour Beyala cette souffrance créera une alliance féminine puisque « la femme née de l’union de Tanga et d’Anna-Claude ne se définit ni par les critères biologiques, ni par les paramètres raciaux de couleur et d’origine, ni par les frontières géographiques qui définissait au départ les deux femmes » (Gallimore Rangira 89) mais bien par la souffrance qu’elles ont toutes les deux subies.

2-3-1 L’importance du corps

L’importance du corps et surtout le corps féminin sont des thèmes importants dans le texte de Beyala. Cette nouvelle littérature insiste sur un certain « érotisme jusque-là extrêmement timide » (Moudileno 59). Cette littérature sera appelée différemment

80 « écriture féminine », « écriture au féminin » ou « critique au féminin » mettant l’accent sur la différence entre l’écriture féminine et l’écriture masculine. Beyala dans une interview accordée à Éloïse Brière parle de cette différence d’écriture quand elle dit qu’elle est «… convaincue que la femme a une écriture beaucoup moins égoïste, une écriture sociale et sensitive, bref une écriture différente de celle des hommes » (Entretien avec Calixthe Beyala

198). En effet, le mythe de la mère africaine célébrée dans les poèmes de la Négritude est cassé puisque c’est la mère, dans les textes de Beyala, qui est responsable de la continuité des pratiques néfastes, comme celle de l’excision, faites sur ses filles. L’ordre patriarcal y est aussi dénoncé puisque c’est l’homme qui est responsable de l’aliénation des femmes et qui lui enlève ses droits. Si les textes des années 1970-80 montraient la condition féminine comme un destin inévitable, ce sont la militante Aoua Keïta25 et l’anthropologue féministe

Awa Thiam, qui ont influencé les textes écrits par les femmes africaines en dénonçant les coutumes de la polygamie et de l’excision en Afrique. Les écrivaines africaines comme

Calixthe Beyala avec C’est le soleil qui m’a brûlée et Tu t’appelleras Tanga ainsi qu’Aminita

Maïga Ka avec Le Miroir de la vie (1985) écriront contre l’excision et pour la

« réappropriation du corps ». Ces textes contestent « la loi des pères », le pouvoir du père et/ou de l’époux et aussi la responsabilité de la société africaine dans ces pratiques profondément abusives pour la femme africaine. Les auteures se battent contre les traditions et revendiquent leur droit de choisir.

Beyala montre cette « corporalité textuelle » (Gallimore Rangira 93), dans ses personnages féminins qui n’ont pas peur de faire parler leur corps. Dans la plupart des

25 Aoua Keïta était une femme politique et militante malienne. Elle fut un personnage important de l’indépendantisme, du syndicalisme et du féminisme au Mali. Le coup d’État militaire de 1968 marquera la fin de sa carrière politique. Elle quittera le Mali pour la République du Congo, puis reviendra au Mali en 1979, elle y mourra un an plus tard.

81 romans de Beyala la femme laisse la place à la prostituée parce que, pour l’auteure, il est essentiel que la femme se fasse entendre, menant ainsi le lecteur peut ainsi reconnaître, comme le souligne Odile Cazenave dans Femmes rebelles, « les similarités entre prostituées et autres femmes, et non leurs différences » (92). Dans la société traditionnelle africaine, le corps de la femme est associé à un rôle de procréation, il est donc régi par des normes sociales, et c’est à travers le corps de la femme que la société continue. Ce corps doit donc

être façonné, contrôlé et marqué. Les romans de Beyala sont des attaques à la société patriarcale traditionnelle où elle dénonce les pratiques sociales en invitant le lecteur « à suivre les péripéties les plus crues du combat sexuel des femmes africaines pour la réappropriation de leur corps, bravant la pudeur et la réserve de la femme africaine traditionnelle » (Kindo 175). C’est pour cette raison que ses héroïnes sont des femmes et qu’elle développe ses thèmes sous un angle féministe comme on pourra le voir dans son roman Tu t’appelleras Tanga. L’écriture de Calixthe Beyala est donc une écriture provocante et destructrice, une écriture violente où l’auteure souligne le manque de solidarité des femmes. Ce sont les écrivaines francophones des années 1980-90 qui développeront le sujet du corps de la femme africaine. Même si certains critiques masculins ont souvent accusé Beyala de vouloir commercialiser l’érotisme, elle est l’une des premières auteures à avoir « enraciné le corps [de la femme] dans le texte » (Gallimore

Rangira 94).

2-3-2 la solidarité des femmes

82 Même si l’histoire du roman Tu t’appelleras Tanga se passe dans une ville imaginaire d’Afrique qui s’appelle Inningué, certains auront reconnu sans trop de difficultés la ville de

Douala, ville ou Beyala est née et où elle a grandi. L’auteure ne laisse aucun espoir quant à la condition de la femme dans son roman. En effet, son héroïne Tanga a déjà subi bien trop de tragédies dans sa courte vie, la jeune femme a été sexuellement abusée par son père. La tragédie de la vie de Tanga pourrait s’arrêter ici mais Beyala continue, elle accuse les hommes, la famille mais aussi les femmes dans la descente aux enfers de son personnage principal. En effet le lecteur découvre que les parents de Tanga, et sa mère principalement, sont en partie responsables de la prostitution de la jeune femme. Tanga cherche comment dire à Anna-Claude que dans son monde, même les parents sont « La mère et le père acceptent qu’il [l]’assiège et [la] boursoufle pourvu qu’il y ait le gain ? Comment lui dire l’entaille sanglante de l’enfance mutilée ? (Beyala, Tu t’appelleras Tanga 34). . L’auteure ajoute, à un tableau déjà noir, que les hommes sont pour la plupart des violeurs et des bons

à rien.

Livrée à elle-même, aucune échappatoire n’est possible pour la jeune Tanga, pourtant le rêve de Tanga est simple ; trouver une maison avec un jardin, un chien et des enfants. Ce rêve est répété tout au long du roman : « Comment lui dire la maison, le chien, le jardin, la pie au bout du pré, l’homme, les enfants ? Comment lui expliquer que ses brisures représentent ma survie…? » (Beyala, Tu t’appelleras Tanga 150), mais le lecteur sait que c’est un rêve impossible pour les jeunes filles comme Tanga. Les hommes qu’elle rencontrera tout au long du roman seront incapables de l’aimer et l’utiliseront pour arriver

à leurs fins, souvent dans une violence presque insoutenable. C’est en groupe que les hommes sont jugés dans ce roman et c’est en tant que groupe que Beyala dresse un portrait

83 indéfendable des hommes, soulignant leur inhabilité à changer, allant jusqu'à nous questionner sur leur désir de changer. Il reste donc peu d’espoir pour une quelconque amélioration sociale de la femme africaine dans le texte de Beyala.

Le seul homme qui ne soit pas méprisant dans ce roman est le fils adopté de Tanga,

Mala. Mala est le seul homme qui donne à Tanga la tendresse dont elle rêve. Mais Mala meurt et Tanga se sentira responsable de sa mort puisqu’elle a été incapable de rassembler l’argent réclamé par Monsieur Deutschman, médecin blanc, pour le sauver. Ici l’auteure souligne que le malheur de la femme noire vient aussi de la colonisation. Sans argent et désespérée, Tanga décide de se joindre à un groupe de voleurs de petites envergures, elle sera arrêtée et jetée en prison où, torturée, elle mourra de ses blessures. Rien ni personne n’aura pu sauver Tanga. La pauvreté est responsable de la mort de Mala et de Tanga, et c’est en grande partie la colonisation26 qui est responsable de cette pauvreté. Le personnage du Deutschman représente le colonisateur qui s’est enrichi sur le dos du peuple africain détruisant ainsi leur monde et leur mode de vie. La colonisation est donc, en un sens, coupable de la brutalité de l’homme africain, puisqu’elle l’oblige ainsi à devenir agressif envers la femme afin de pouvoir se raccrocher lui-même à quelque chose et se sentir puissant. Les femmes africaines portent donc le poids des conséquences de la colonisation, ce qui devrait les obliger à s’unir pour lutter ensemble, mais aucune solidarité entre les femmes n’est envisageable dans le roman de Beyala. C’est donc un équilibre délicat des relations entre femmes que Beyala choisit de montrer dans son texte. Ce

26 En 1845 des missionnaires britanniques s’installent au Cameroun. En 1868 un comptoir allemand s’ouvre près de Douala puis le protectorat allemand s’étend. Pendant la première guerre mondiale le Cameroun fut conquis par les forces franco-britanniques. L’ancienne colonie allemande est divisée en deux territoires : un français et l’autre anglais. Après la seconde guerre mondiale l’ONU met le Cameroun français sous tutelle de la France. En 1960 le Cameroun devient indépendant et devient la République Unie du Cameroun. La partie anglaise du « Kamerun » choisira par Referendum de s’intégrer au Nigeria, le 1er juin 1961. Le 1er octobre 1961 le Cameroun du Sud rejoint la république du Cameroun.

84 manque de solidarité entre femmes vient aussi des relations profondément troublées entre mères et filles dont l’homme est le principal responsable, puisque l’on peut « … traces back to the fact that men have destroyed motherhood » (Arndt 41). Les femmes ont été violement abusées par les hommes dans le texte de Beyala, et c’est pour cette raison qu’elles ne sont pas en mesure d’assumer leur rôle de mère. Kadjaba, la grand-mère de

Tanga, a été violée, ce qui l’a marquée et l’a empêchée d’être une mère pour sa fille Taba qui, faute d’avoir connu cet amour maternel, ne peut à son tour être une mère pour Tanga.

Tanga affirme, quant à sa relation avec sa mère : « Je déstructure ma mère ! C’est un acte de naissance. Folie de croire à l’indestructibilité du lien de sang ! Bêtise de penser que l’acte d’exister dans le clan implique une garantie d’appellation contrôlée ! Doutons du poteau auquel nous amarrons notre bateau ! » (Beyala, Tu t’appelleras Tanga 65). Les femmes ne sont donc pas un soutien pour les femmes dans ce texte. En effet le sort de Tanga est décidé par sa mère Taba qui, en faisant exciser sa fille, est celle qui lui enlève ses droits au plaisir sexuel mais aussi son droit d’être une femme à part entière. Beyala insistera que c’est ce manque de solidarité entre les femmes africaines qui les poussent à continuer à s’allier aux hommes et par ce biais à la société patriarcale.

Finalement ce sera Anna-Claude, la compagne de cellule de Tanga, qui reprendra la lutte de Tanga à sa mort. Auditrice attentive de la vie de Tanga, elle est prête à confronter Taba et les femmes en général afin que les souffrances de Tanga n’aient pas été vaines. Mais avant de pouvoir devenir Tanga, Anna-Claude doit se débarrasser de son enveloppe de femme blanche afin de comprendre la condition de la femme noire en comparaison de la sienne. Pour que cette transformation puisse se faire, Anna-Claude écoutera Tanga, sans paternalisme mais surtout sans idées préconçues, pour qu’elle puisse comprendre et

85 partager l’histoire de Tanga d’un point de vue de femme et non pas d’un point de vue de femme blanche. On découvre dans ce texte que la solidarité entre femmes ne vient pas toujours entre les femmes d’un même pays, comme c’est le cas pour Tanga, en effet la jeune femme ne reçoit aucun support des femmes africaines. Beyala souligne que la solidarité entre femmes peut être une solidarité universelle, c’est à dire qu’elle peut, quelquefois, venir d’une femme étrangère au pays même dans lequel on vit.

Dans sa Lettre d’une Africaine à ses sœurs occidentales, Beyala dénonce, ainsi que dans son livre, ce manque de solidarité entre les mères et leurs filles, dans le cas de Tanga mais aussi dans le sien. Beyala affirme que sa propre mère la considérait comme une « pauvre femme » car pour elle, une femme sans homme n’est pas vraiment une femme :

Ma mère disait que j’étais une pauvre femme. Que je la peinais. Que je lui

faisais pitié. Elle affirmait que mon indépendance c’était de la perte de temps,

de l’orgueil, du masochisme. Elle croyait dur comme fer qu’une femme sans

homme est une handicapée, une malade, une névrosée.

Avez-vous constaté que la femme peut être la première meurtrière de la

femme ? (Beyala 85)

À travers son roman Tu t’appelleras Tanga, Beyala cherche à choquer à travers sa violence et sa vigueur, alors que Bâ, Rawiri et Bugul cherchaient davantage à informer. Son roman parle des angoisses et du désespoir de la femme africaine face à une société patriarcale qui refuse de changer. Dans Une si longue lettre, les femmes ont la possibilité de réagir mais dans Tu t’appelleras Tanga, seule la violence est possible puisqu’il n’existe

86 aucune communication entre les hommes et les femmes. La libération de la femme pour

Beyala doit passer par la violence et la femme, en s’assumant pleinement, passe ainsi du stade de victime à celui de femme libre. Beyala montre aussi qu’il n’y a pas que les auteurs masculins qui peuvent, dans leurs textes, avoir un vocabulaire obscène et vulgaire, la femme elle aussi pouvant être directe dans son langage. La guerre des sexes est donc ouverte et Beyala donne une image de l’homme animalisé, hideux et brutal, ce qui n’était pas le cas dans les textes de Bâ, de Rawiri et de Bugul où l’homme n’était pas vraiment l’ennemi de la femme. Le dysfonctionnement des sociétés africaines contemporaines est pour l’auteure responsable des dérives morales de ses héroïnes qui habitent dans des banlieues pauvres, dévastées par la prostitution, le racisme et la misère.

On aura vu dans le texte de Ken Bugul que l’exil n’est pas la solution aux problèmes de la femme africaine. Les auteures que nous étudierons dans le chapitre suivant écriront le contraire.

2-4 Conclusion

Les personnages féminins de Calixthe Beyala pensent autrement l’Afrique, alors que ceux de Ken Bugul militent pour une « émancipation féminine thérapeutique, voire cathartique : avant tout, la femme doit d’abord se sentir en harmonie avec elle-même, et ce quel que soit son régime matrimonial » (Malonga 174). La force des œuvres de Ken Bugul et de Calixthe

Beyala se trouve dans le fait qu’elles parlent, toutes les deux de leur propre expérience. On trouve dans ces deux œuvres autobiographiques deux conceptions du féminisme, et quoique les discours féministes de Ken Bugul et Calixthe Beyala paraissent différents, ils

87 offrent non seulement une diversité de féminisme mais aussi une voie d’émancipation pour la femme africaine. En effet ces deux textes sont ancrés dans l’identité africaine, « une identité généreuse, qui s’ouvre à celle de l’autre, en l’occurrence l’Européen » (Malonga

176). Nous avons vu dans ce chapitre qu’il existe une différence entre le féminisme

Occidentale et Africain. Jane Turritin a montré cette différence comme : « the difference between struggling against relations of rule through which gender and class domination are propagated and struggling against relations of rule through which gender, race, class, colonial and neo-colonial domination are propagated » (82). Ken Bugul invite l’Homme à réfléchir sur les notions d’un féminisme authentiquement africain.

88

Chapitre 3: Entre Afrique et Occident: Une nouvelle génération d’écrivaines

89 3-1 Un nouveau thème dans la littérature féminine africaine : l’immigration

C’est une nouvelle génération d’écrivains féminins africains « qui fait son apparition sur la scène littéraire française dans les années 90, et qui ont en commun d’être d’origine africaine et de résider en France » (Moudileno 20). On retrouvera parmi ces auteures

Beyala, Diome, Miano et Bessora. C’est grâce à ces auteures issues de l’immigration que le roman africain connaît un renouveau puisqu’elles introduisent dans leurs textes, écrits dans les années 2000, l’expérience de l’immigration, l’aliénation, la folie et l’exil, thèmes qui touchent tous ceux qui ont, comme elles, ont quitté l’Afrique. Ces mouvements démographiques ont principalement eu lieu entre la France et ses ex-colonies entre 1970 et

1980. Pour Moudileno, ces mouvements sont « dus à la fois à une continuité d’immigration vers la métropole française et à l’accélération de mouvements d’émigration de l’Afrique provoquée par l’instauration de régîmes totalitaires en Afrique ces vingt dernières années »

(20). Moudileno définit cette littérature comme :

Une récurrence des thèmes (exclusion, aliénation, exil, folie); de positions du

sujet (individuel, désirant, hybride, iconoclaste); et de modes narratifs

(intrique, personnages, voix autoriale). Il n’y aurait pas émergence, mais

réinvention d’un genre fondateur de la littérature négro-africaine, dans un

contexte social radicalement différent. (24)

De ces auteures qui ont redéfini la littérature féminine africaine on pourra reconnaître

Calixthe Beyala et Fatou Diome. Beyala quittera le Cameroun à dix-sept ans pour s’installer en France et Diome quittera l’île de Niodior au Sénégal à vingt-deux ans pour suivre son

90 mari français en France. Beyala et Diome sont respectivement nées en 1961 et 1968, pendant les indépendances puisque le Cameroun et le Sénégal ont obtenu leur indépendance en 1960. N’ayant pas vécu le passage du colonisé à celui des peuples devenus indépendants, les centres d’intérêts de ces écrivaines ont changé par rapport à ceux des générations précédentes. Dans leurs textes, elles se concentrent davantage sur leur nouvelle identité d’exilée donnant ainsi une nouvelle signification au rôle de l’écrivaine africaine. Moudileno dit de ces écrivains féminins d’Afrique nées pendant ou après les indépendances que :

Leur naissance […] coïncide avec celle de la majorité des États africains. S’ils

ont vécu en Afrique, ils n’ont souvent connu qu’un seul régime, celui du parti

unique, avant que le processus de démocratisation ne s’annonce à la fin des

années quatre-vingt-dix… Immanquablement, leurs préoccupations, leur

rapport au continent africain, leur rapport à l’espace et à la langue, leur

conception de l’engagement et du rôle de l’écrivain, leurs discours sur

l’identité témoignent de leurs trajectoires individuelles, historiquement

distinctes de celles des générations précédentes. (21)

On comprendra mieux le discours de Fatou Diome devant un public à la Fnac de Mulhouse quand elle affirme que « Senghor a été colonisé, pas moi. Il a dû lutter contre des injustices que moi je n’ai pas connues, puisque son combat me les a épargnées » (Zadi 172). Pour cette nouvelle génération d’écrivains féminins africains le combat est différent de celui de la génération précédente, et c’est un discours sur l’identité qui ressort maintenant dans ces

91 romans de « la nouvelle génération ». Moudileno souligne que « de la perte de l’identité africaine (située au village), [la femme] est devenue le symbole d’une africanité réaffirmée.

Nombre d’auteures ont érigé le quartier périphérique (africain ou français) en site privilégié de la créativité » (53). Les écrits de ces vingt dernières années insistent sur la diversité de l’espace urbain et développent ce nouveau mouvement qu’on a nommé « la migritude ».

La littérature de l’immigration est aussi mise en valeur chez Fatou Diome, en particulier dans son roman Le ventre de l’Atlantique (2003) où l’auteure se penche sur les difficultés d’intégration qui touchent directement les émigrés quand ils arrivent en France. Diome parlera aussi des mariages forcés, de l’exil mais aussi des devoirs qu’ont encore ceux qui se sont exilés envers leur famille restée au pays, et des non dits auxquels l’exilée doit faire face de peur de se heurter à l’incompréhension des siens. Trente ans après la publication de Une si longue lettre, les femmes africaines, même exilées, sont encore confrontées à la dictature familiale et elles doivent encore et toujours se soumettre à la volonté de leurs parents. C’est ce point particulier que condamne Fatou Diome, car l’Afrique est profondément liée aux structures parentales et familiale traditionnelles.

On retrouve dans Le ventre de l’Atlantique (2003) une critique de la société traditionnelle africaine où l’individu ne peut être envisagé en dehors du groupe. Kane insistait déjà sur l’idée que « L’homme n’existe pas sans la famille, sans la société. Je crois qu’il n’est pas pour les Diallobé27 de monde possible sans la famille, sans la communauté

27 Les Diallobé est le nom que l’on utilisait autrefois pour les Peuls. Les Peuls “représentent l’un des plus grands peuples d’Afrique: ils sont 20 millions, anciens éleveurs nomades islamisés qui parlent la même langue partagent la même culture, avec des accents et des expressions différentes en fonction des régions » (Cessou). Cheick Anta Diop, scientifique sénégalais explique que : « Les Ka ont donné les Kane, les Dia les Diallo, un surnom de guerre qui veut dire « le résistant, l’indomptable ». (Cité par Cessou)

92 identitaire, sans la chaine des générations » (Cheick Hamidou Kane cité par Sakho). Cette vie en communauté est difficile à maintenir pour les exilées qui vivent en France et qui s’aperçoivent que « vivre en communauté, souvent exalté en Afrique, est considérée comme un handicap » (Sakho) dans un pays ou tout est désormais centré sur l’individu. L’écriture pour ces écrivains féminins d’Afrique subsaharienne devient « une sorte de refuge »

(Sakho), et c’est à travers l’écriture que l’exil devient supportable. Diome affirme par la bouche de son héroïne Salie dans Le ventre de l’Atlantique (2003) que:

L’exil est mon suicide géographique. L’ailleurs m’attire car, vierge de mon

histoire, il ne me juge pas sur la base des erreurs du destin, mais en fonction

de ce que j’ai choisi d’être; il est pour moi gage de liberté,

d’autodétermination. Partir, c’est avoir les courages pour aller accoucher de

soi-même, naître de soi étant la plus légitime des naissances. Tant pis pour

les séparations douloureuses et les kilomètres de blues, l’écriture m’offre un

sourire maternel complice, car, libre, j’écris pour dire et faire tout ce que ma

mère n’a pas osé dire et faire. Papiers ? Tous les replis de terre. Date et lieu

de naissance ? Ici et maintenant. Papiers ! Ma mémoire est mon identité.

(226-227)

Diome compare l’exil à un suicide géographique puisque l’exilée se retrouve séparée de son pays, mais c’est cette séparation géographique qui lui permet de renaître, là ou rien ni personne ne la jugera, là ou elle pourra enfin être qui elle veut plutôt que ce que les autres veulent qu’elle soit. Là elle trouvera la liberté de dire et de faire ce que sa mère n’a pas pu

93 ou pas osé dire ou faire. C’est en exil que l’auteure est enfin née puisqu’elle affirme « Date et lieu de naissance ? Ici et maintenant » (227). Mais elle se raccroche tout de même à l’Afrique puisque sa mémoire reste son identité.

Pour ces écrivains féminins d’Afrique qui vivent en France le roman « pose avec acuité, en effet, le problème de la quête quasi obsessionnelle de l’identité auquel sont confrontés les migrants. Arrivés en Europe avec une culture acquise dès la naissance, ils se retrouvent, une fois sur place, face à une autre culture qui joue la carte de l’assimilation » (Sakho). Dans presque tous les ouvrages de Fatou Diome, l’auteure parle de l’émigration, de cette solitude des émigrées malgré leur choix d’exil, puisqu’exilées elles ne sont plus tout à fait africaines mais pas non plus complètement françaises. C’est donc cette quête d’identité que l’on retrouve omniprésentes dans les textes d’aujourd’hui. Cette quête identitaire doit garder en mémoire l’Afrique mais aussi demande de la part de l’exilée de s’adapter, en même temps, à la culture du pays dans lequel elle a choisi de vivre.

3-2 Le mouvement de la « migritude »

Depuis les années 1980-90, les auteurs africains qui ont élu domicile en Occident ont abordé dans leurs textes le thème de l’immigration. Jacques Chevrier28 a appelé ces

écrivains, les écrivains de la migritude « en écho aux écrivains de la négritude » (Cité par

Lavigne). Dans son article La migritude : une errance identitaire et littéraire ?, Sophie

Lavigne affirme que ce mouvement a fait « suite au renouveau Kourouma (Les Soleils des

Indépendances) et à l’écriture féminine, [qui] est caractérisé par le fait migratoire ». La

28 Jacques Chevrier est un universitaire français, il est président de l’Association des écrivains de langue française et professeur émérite à l’Université Paris IV - Sorbonne.

94 plupart des auteurs africains francophones des années 2000 ont choisi de vivre en Europe et « même s’ils restent des écrivains africains, le lieu et les conditions dans lesquels ils vivent affectent directement leurs discours qui se trouve décentré » (Chevrier, Afrique sur

Seine 121), puisque l’errance est devenu leur mode de vie. Même s’il habite en France, l’auteur africain garde encore ses traditions africaines, ce qui l’oblige à se remettre en question quant à sa provenance mais aussi quant à sa terre d’accueil.

Le mouvement de la «migritude » apparaitra dans la littérature féminine africaine francophone dans les années 1990. Les écrivains féminins de la « migritude » sont entre autres Calixthe Beyala, et Fatou Diome, et leurs romans respectifs Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000) et Le ventre de l’Atlantique (2003) « semblent proposer une dimension particulière et nouvelle du rapport que la femme africaine intellectuelle et «

évoluée » entretient avec l’Afrique » (Malonga 169). Les personnages des romans de Beyala oublient l’Afrique quand ils tombent inexorablement dans la vulnérabilité de l’univers de

Belleville, ils sont ainsi « mal préparés à appréhender la complexité de leur milieu d’accueil, ils [ces personnages] ne peuvent pas se présenter comme les apôtres d’un nouveau dialogue interculturel, ni encore moins proposer une nouvelle approche de l’identité africaine » (Kom 51). Quant aux personnages de Fatou Diome, ils connaissent aussi ce problème d’adaptation entre choisir le mode de vie du pays d’accueil ou les traditions de l’Afrique.

C’est cette difficulté de lier la modernité du pays d’accueil avec les anciennes traditions de l’Afrique qui font de ces romans, des romans de la « migritude ». C’est ce passé lourd de traditions et cette nouvelle liberté qui rendent les personnages des romans de la

«migritude » si déracinées. Malonga souligne que chez Beyala c’est « l’intéraction migritude,

95 bonheur amoureux et identité, [qui] ne peut être réalisée que par la conjugaison de l’intériorité et de l’extériorité, par la synthèse des valeurs africaines et occidentales, c’est-à- dire la modernité » (174), qui perd ces personnages. C’est aussi « Cette modernité [qui] devient la mémoire identitaire de l’universalité. La force subversive des personnages féminins de Calixthe Beyala se dresse en pré- texte pour « penser autrement l’Afrique », en revendiquer la réinvention » (Malonga 174). Le bonheur dans « le contexte de la migritude, nécessite de rester fidèle à son identité » (Malonga 175). Ces auteurs qui vivent à l’étranger s’efforcent de toucher des sujets qui leur sont propres, ces sujets étant souvent liés à l’identité perdue de l’immigrée et aussi à l’hybridité, concept développé par Homi K.

Bhabha29 qui insiste davantage sur la différence culturelle plutôt que sur la diversité culturelle. C’est à dire que si la diversité culturelle est de reconnaître qu’il existe différentes cultures au sein même d’une société, la différence culturelle, elle, est présente lors de conflits au sein même de cette société. Pour Homi K. Bhabha, il est important de situer la question de la culture puisqu’elle définit les « lieux de culture », qui pour lui ont « besoin d’affirmer une tradition culturelle opprimée [qui] vient de l’inconfort de la situation sociale » et que « les limites de cette notion de diversité culturelle résident dans sa résistance à l’intertextualité » (Cité par Niang). Odile Cazenave reconnaît que dans la littérature féminine africaine d’aujourd’hui on s’éloigne désormais de l’Afrique pour se concentrer davantage sur soi :

29 Homi K. Bhabha a élaboré une théorie postcoloniale influente en articulant les pensées de Jacques Derrida, de Jacques Lacan, de Michel Foucault et surtout d’Edward Said. Avec Gayatri Chakravorty Spivak et Edouard Said, Bhabha fait partie de la triade des théoriciens et critiques postcoloniaux les plus influents sur la recherche contemporaine.

96 C'est un regard non plus tourné nécessairement vers l'Afrique, mais plutôt

sur soi. Ces écrivains hommes et femmes contribuent à la formation d'une

nouvelle littérature. S'éloignant du roman africain canonique de langue

française, leur écriture prend des tours plus personnels. Souvent peu

préoccupées par l'Afrique elle-même, leurs œuvres découvrent un intérêt

pour tout ce qui est déplacement, migration, et posent à cet égard de

nouvelles questions sur les notions de cultures et d'identités postcoloniales,

telles qu'elles sont perçues et vécues depuis la France. (8)

On appellera ce concept la « migritude » et on le retrouvera principalement dans la littérature féminine africaine. Afin de comprendre davantage ce mouvement il est important de voir l’influence qu’il a reçu de la Négritude en s’attardant sur les mouvements et les revues qui l’y ont amené.

3-2-1 L’importance de la Négritude dans la création du mouvement de la « migritude »

3-2-1-1 Les différentes revues

La revue Légitime Défense (1932) a été dirigée par de jeunes étudiants Martiniquais, qui

étudiaient à cette époque à Paris. Ces jeunes étudiants se sont inspirés entre autres de

Marx, Freud, Rimbaud, Sartre et Breton pour affirmer qu’il était temps d’en finir avec cet

« abominable système de contrainte et de restrictions, d’extermination de l’amour et de limitation du rêve, généralement désigné sous le nom de civilisation occidentale » (Kane

43). Finalement « ils se reconnaissent – malgré leur éducation – différents des Européens

97 auxquels leurs pères souhaitaient s’assimiler. Leur différence raciale et culturelle, ne leur paraissait pas être une tare, mais au contraire une fierté (Diakité 240). Légitime défense

(1932) va intéresser non seulement les étudiants antillais mais aussi les étudiants africains qui y trouveront une « critique du rationalisme, un souci de reconquérir une personnalité originale, le retour à l’authenticité, le refus d’un art asservi aux modèles européens, révolte contre le capitalisme coloniale » (Diakité 241). Cette nouvelle production littéraire sera basée sur les thèmes d’une Afrique humiliée par l’esclavage, le colonialisme, et l’oppression sociale que les colonisés ont subie pendant ces siècles d’esclavage. Ironiquement cela se passera sur le sol même de « l’agresseur et du fossoyeur » (Diakité 242). Les auteurs de

Légitime Défense (1932) « inaugure [nt] officiellement le mouvement néo-nègre »

(Kesteloot 19).

Les précurseurs de la négritude, ou ce que l’on peut appeler le mouvement de « la négro renaissance » sont l’auteur Guyanais René Maran et la Revue du Monde Noir créée en 1931 par Paulette Nardal et le docteur Sajoux. Le mouvement néo-nègre a adopté René Maran parce qu’il avait été le premier auteur noir à obtenir le prix Goncourt en 1921 pour son roman Batouala, roman qui dépeint les abus de la colonisation, le traitement inhumain des

Noirs en Oubangui Chari et le point de vue des Noirs sur l’occupation européenne. Ce roman a donné le départ à «la littérature négro-africaine d’expression française qui était politiquement engagée et contre la colonisation. Même si Maran se cache derrière ses personnages il ne cache pas l’injustice dont les Noirs ont été les victimes dans sa préface :

Cette région [Oubangui-Chari ou République centrafricaine] était très riche

en caoutchouc et très peuplée, Des plantations de toutes sortes couvraient

98 son étendue. Elle regorgeait de poules et de cabris. Sept ans ont suffi pour la

ruiner de fond en comble. Les villages se sont disséminés, les plantations ont

disparu, cabris et poules ont été anéantis. Quant aux indigènes, débilités par

les travaux incessants, excessifs et non rétribués, on les a mis dans

l’impossibilité de consacrer à leurs semailles même le temps nécessaire. Ils

ont vu la maladie s’installer chez eux, la famine les envahir et leur nombre

diminuer. (Maran 16)

Maran fit désormais partie de la Revue du Monde Noir, qui parut de novembre 1931 à avril

1932, avec un total de six numéros. Les objectifs de cette revue étaient détaillés dans l’Editorial du premier numéro en 1931, comme :

[…] Créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction, un lien

intellectuel et moral qui leur permette de mieux se connaître, de s’aimer

fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et

d’illustrer leur Race, tel est le triple but que poursuivra « La Revue du monde

noir ». […] Par ce moyen, la race noire contribuera avec l’élite des autres

races […] au perfectionnement matériel, intellectuel et moral de l’humanité

[…]. (Editorial du premier numéro de « La Revue du Monde Noir », 1931)

C’est dans ce contexte culturel et politique que le mouvement de la Négritude est né en

1934 à Paris avec la parution de L’Étudiant Martiniquais (1932). Bientôt les sujets s’approfondissent et la revue agrandit son public aux étudiants africains et antillais

99 « forgeant une même mystique pour toute la race noire » (Kesteloot 104). Peu de temps après, cette revue deviendra L’Étudiant Noir dont le numéro unique sera publié en 1935. À la tête de ce mouvement on retrouve ceux que l’on nommera les trois pères : les deux premiers sont Antillais : Aimé Césaire qui développera le terme dans son livre Cahier d’un retour au pays natal (1939) et Léon Gontran Damas qui illustrera la Négritude avec les poèmes de Pigments (1937) puis Retour de Guyane (1938), et enfin Léopold Sédar Senghor,

écrivain et homme politique sénégalais. Léon Gontran Damas critiquera violemment le système colonial dans Pigments (1937) en écrivant :

(Pour Aimé Césaire)

J'ai l'impression d'être ridicule

dans leurs souliers

dans leur smoking

dans leur plastron

dans leur faux-col

dans leur monocle

dans leur melon [...]

J'ai l'impression d'être ridicule

parmi eux complice

parmi eux souteneur

parmi eux égorgeur

les mains effroyablement rouges

du sang de leur ci-vi-li-sa-tion

100

Dans cette partie je me concentrerai sur le mouvement de la Négritude afin de montrer l’importance qu’il a joué dans la naissance du mouvement de la « migritude », montrant ainsi que l’on peut toujours parler d’une littérature « africaine » même si beaucoup d’auteurs africains écrivent loin de l’Afrique, le plus souvent exilés ou ayant choisi comme domicile Paris, Montréal ou New York. Finalement je soulignerai les caractéristiques communes que partagent les écrivains de la négritude avec ceux de la « migritude », ainsi que leurs divergences.

3-2-1-2 L’arrivée de la Négritude

La Négritude est née du besoin que l’homme noir a eu de retrouver une identité que le colonisateur lui avait volée depuis le début de l’esclavagisme par les français en 1517.

L’année 1935 marque la naissance de la Négritude mais il est important de reconnaître que ce mouvement n’aurait pu voir le jour sans les évènements suivants, qui l’ont précédé :

1636 : La Martinique est colonisée par Louis XIII, les premiers esclaves africains arrivent.

1665 : Le Code noir de Jean-Baptiste Colbert, les règles concernant le traitement des esclaves

noirs.

1789 : La Révolution Française dont les principaux thèmes « Les droits de l’Homme » ont

touché ceux de l’esclavage.

1804 : Haïti est la première colonie française à obtenir son indépendance.

1848 : Abolition de l’esclavage dans les colonies

101 1919 : Harlem Renaissance ou l’influence des panafricains américains

1927 : La Revue Indigène par Jacques Roumain. Une tentative de redécouvrir une identité dans

les Antilles

1931 : Césaire, Senghor et Damas se rencontrent à Paris

Naissance de La Revue du monde noir, créée par Paulette Nardal et le Docteur

Sajoux. Les écrivains noirs se réunissaient pour parler des problèmes de l’homme

noir.

1932 : Naissance de la revue Légitime Défense. Unique exemplaire d’une revue Marxiste,

révolutionnaire et surréaliste par un groupe d’étudiants martiniquais. Elle sera

supprimée immédiatement.

1934 : Naissance de la revue L’Étudiant noir par Césaire, Senghor et Damas

1935 : Naissance de la Négritude

1937 : Livre de poèmes de Damas Pigments. Considéré quelquefois comme le Manifeste

de la Négritude. Damas souligne la nécessité de guérir les maux de la société

occidentale.

Le terme de la Négritude commença comme concept puis devint ensuite une idéologie avec la parution de la préface de Jean-Paul Sartre30 à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (1948) de Léopold Sédar Senghor. Senghor définit la Négritude en 1959 comme suit: « La négritude est le patrimoine culturel, les valeurs et surtout l’esprit de la civilisation négro-africaine » (Cité par Kesteloot 106). La revue L’Étudiant noir (1934)

30 Écrivain et philosophe français politiquement engagé. Il était aussi dramaturge, romancier, nouvelliste et essayiste. Il est connu pour sa conception de l’existentialisme et son engagement politique à l’extrême gauche.

102 détruit les barrières nationalistes entre les noirs mais aussi unifie le peuple noir d’Afrique, de France et des Antilles. Ce fut la première revue politique et culturelle du mouvement de la Négritude. La Négritude prendra son envol et ces trois poètes seront influencés non seulement par le surréalisme31 et le Marxisme32 dans leur critique de l’Europe, mais aussi par les noirs américains qui participèrent à la « Harlem Renaissance » des années 1919 où la culture, la littérature, l’art et la musique du monde noir était présentés par des auteurs noirs tels que W.E.B Du Bois avec The Souls of Black Folk (1903), Langston Hughes avec The

Collected Poems of Langston Hughes (1958), Alain Lery Locke avec The New Negro (1925) et

Claude McKay avec Banjo, Home to Harlem (1928). Pour Mongo Mboussa, professeur de littérature francophone à la Columbia University de Paris, rédacteur d’ « Africultures » et auteur en 2002 du célèbre livre Désir d’Afrique « la négritude est peut-être le plus grand mouvement culturel de l’Afrique noire moderne» (Cité par Zanganeh). Pour Césaire,

Senghor et Damas la question primordiale était celle de l’identité, et pour la trouver, ils plongèrent dans un voyage de découverte de l’individu. Cette nouvelle quête identitaire devait effacer celle de « « savage Africa » and to carve themselves an identity other than that of « Frenchmen with Black skins » » (Tomich 372). Aimé Césaire a été le premier à citer ce mot de Négritude,; il dominera la littérature martiniquaise en revendiquant l’héritage africain, une identité principalement nègre, ainsi que les valeurs propres des

Africains issus de l’esclavage. Césaire commença donc à publier ses œuvres, confirmant ainsi le mouvement de la Négritude. Dans son œuvre Cahier d’un retour au pays natal

31 Mouvement littéraire, culturel et artistique de la première moitie du XXe siècle. André Breton dans le Manifeste du Surréalisme le définit ainsi : « un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » (22).

32 Courant de pensée politique, sociologique et économique fondé sur les idées de Karl Marx. Ce courant repose sur la lutte des classes, en tant qu’alternative au capitalisme.

103 (1956), Césaire ouvre la voix à un nouvel humanisme, ce dernier réunissant tous les hommes. Maryse Condé divisera le Cahier d’un retour au pays natal par les thèmes suivants:

1- Redécouverte du pays natal et du peuple. Dénonciation de leur misère.

Refus de l’exotisme.

2- Rappel des souffrances, des humiliations, et des lâchetés aussi de ce

peuple qui vient se gonfler et s’élargir du passé de l’ensemble de la race.

Acceptation et identification du poète

3- Prise de conscience née de cette identification et point de départ de la

révolte. (Cité par Dumontet et Houyoux 106)

Beaucoup d’auteurs, comme Frantz Fanon, se joindront à ce mouvement, et même s’il a considéré le mouvement trop réducteur, Fanon dénonce dans Peau noire Masques blancs

(1952) cette aliénation, ce complexe d’infériorité créé par le colonialisme. Fanon décrira l’homme noir antillais comme victime de sa couleur et de son complexe d’infériorité que des décennies d’esclavage ont fini par intérioriser. Pour Fanon « Les Antillais sont, après la grande erreur blanche, en train de vivre le grand mirage noir » (Cité par Willar). Avec le mouvement de la Négritude « Le Noir et ses valeurs entrent dans la littérature » (Diakité

242).

3-2-2 Les mouvements qui ont suivis la Négritude

104 Dans les années 1950 et 60 on verra apparaître un nouveau courant romanesque dans la littérature africaine avec des œuvres tels que Une vie de boy (1956) de Ferdinand Oyo, Le pauvre Christ de Bomba (1956) de Mongo Béti et Les bouts de bois de Dieu (1960) d’Ousmane Sembene, pour n’en citer que quelques-uns. Dans ces œuvres l’ennemi est le colonisateur, et c’est donc un courant anticolonial qui règne dans la littérature francophone africaine. Certains auteurs comme Camara Laye avec L’Enfant noir (1953) et Mongo Béti avec Mission terminée (1957) peignent un tableau idyllique de l’Afrique, et ils seront critiqués par leurs confrères pour leur manque d’implication.

Avec l’euphorie des indépendances (1960-1969) la littérature africaine s’ouvre sur un discours critique engagé; c’est un nouvel espoir qui s’ouvre pour les Africains, qui affirment que « Nous, Nègres colonisés, nous allons enfin construire nos pays selon nos goûts, nos aspirations, nos besoins propres, en tenant compte de notre propre civilisation ! »

(Kesteloot 231). On trouvera pendant les trente prochaines années des romans sociaux comme celui de Cheikh Hamidou Kane avec L’aventure ambiguë (1961), roman ou beaucoup d’Africains se reconnaissent dans le personnage de Samba Diallo. En effet, beaucoup d’Africains se sont retrouvés comme Diallo confrontés à l’isolement et au déchirement de deux cultures et se sont par exemple demandés comment on peut

« conjuguer l’identité peule, toute cette mémoire de sagesse et de rigueur héritée de générations de Diallobé et l’efficacité cartésienne de la civilisation des colons ? » (Elraz). Ce conflit entre la tradition et le modernisme va se faire ressentir dans beaucoup de romans de la littérature francophone africaine et on retrouvera ce style, chez les auteures africaines, jusque dans les années 1980 avec des romans tels que L’Appel des Arènes (1982) d’Aminata

Sow Fall, Elonga (1980) d’Angèle Rawiri et Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ. Avec

105 ces romans on s’éloignera de la Négritude de Césaire, Senghor et Damas puisque pour

Senghor la femme est une source d’inspiration mais « his idealized vision of this society meant that the woman remained rigidly wedged into her traditionally predetermined domestic role as a subservient wife and mother, her very existence reduced to her perceived utility to men » (Cité par Keating 18).

Après l’euphorie arriva le début du désenchantement (1969-1985), terme donné par

Jacques Chevrier, où l’on trouve dans les romans un contexte politique et économique ; le roman africain francophone « s’épanouissait parce qu’il était le genre ou les héros tentent un compromis entre leur idéal et l’histoire concrète ; et la dégradation du héros qui est entrainée par ce processus est aussi un fidèle reflet de la dégradation de la société ou il

évolue » (Kesteloot 255). C’est vers cette période, après cinq décennies d’existence que la

Négritude s’effacera, Wole Soyinka, écrivain nigérian et premier auteur noir lauréat du prix

Nobel33 de la littérature en 1986, affirmant même que « Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il saute sur sa proie et la mange », ce qui signifie qu’il n’est nul besoin de proclamer, dans ce cas, sa Négritude mais de la vivre, le tigre ne cherche pas à savoir qui il est, il le sait. Les écrivains se tourneront vers la description du chaos africain tout en montrant qu’il y aura toujours un peu d’espoir pour l’Afrique et les Africains. On trouvera cette notion dans les romans d’Ousmane Sembene Xala (1973) ou La grève des bàttu

(1979) d’Amininata Sow Fall et plus tard dans ceux de Jean-Marie Adiaffi La carte d’identité

(1980), Werewere Liking avec Elle sera de jaspe et de corail (1983) et Calixthe Beyala avec

Tu t’appelleras Tanga (1988). On s’apercevra rapidement que:

33 Crée en 1901, il récompense un écrivain ayant rendu de grands services à l’humanité et qui selon Alfred Nobel « a fait la preuve d’un puissant idéal ».

106 ces textes s’échelonnent sur une vingtaine d’années, avec des tonalités de

plus en plus violentes au fur et à mesure qu’on s’approche de l’an 2000…

c’est que tous ces récits dévoilent une même réalité, souvent sordide, qui va

de l’effritement de la personne à la décomposition de l’univers qui l’entoure…

le héros est supprimé, ou alors devient falot, dérisoire, personnage errant,

humilié, vulnérable, dans des décors et des situations qui vont du rouge sang

(guerres, meurtres, répressions, tortures) au bourbeux (corruptions, viols,

débauche sexuelle, drogues, prostitutions) quand ce n’est pas au noir

absolu… (Kesteloot 272)

Quand on regarde les noms des auteurs qui figurent aujourd’hui dans la littérature africaine francophone, on remarque que la plupart d’entre eux ont quitté l’Afrique depuis longtemps et ont décidé d’élire domicile en France, comme par exemple, la Camerounaise

Calixthe Beyala, le Guinéen Tierno Monénembo, le Djiboutien Abdourahman A. Waberi, la

Sénégalaise Fatou Diome et le Congolais Henri Lopes, pour n’en citer que quelques-uns.

L’une des raisons principales serait la facilité de publication dans l’Hexagone par rapport au continent africain. Jacques Chevrier affirme qu’ « une douzaine d’auteurs africains seraient publiés chaque année sur le continent, contre plusieurs centaines en France. »

(Cité pas Zanganeh), et on peut donc comprendre la motivation de ces écrivains africains francophones de vivre là où ils auront plus de chance d’être publiés et surtout d’être lus puisque le manque d’éducation qui frappe l’Afrique empêche la plupart des Africains de lire le français. Cette nouvelle littérature n’est pas pour les Africains d’Afrique mais pour un lectorat européen, voire d’Africains immigrés. Zanganeh affirme dans son article De la

107 négritude à la migritude que « Aujourd’hui comme hier, la plupart des écrivains africains francophones … ne craignent pas que leurs écrits soient jugés trop européo-centrés : de toute façon, ils ne sont pas lus dans leur propre pays », leur lectorat est principalement occidental ».

3-2-3 La naissance de la « migritude »

Aujourd’hui la littérature africaine francophone fleurit « … hors du continent puisqu’elle est née en exil, plus précisément à Paris… » (Zanganeh). Après avoir été délaissée dans les années 1960, pour laisser place à l’euphorie des indépendances et au désenchantement, la Négritude refait surface dans la littérature africaine francophone contemporaine avec la naissance du mouvement de la « migritude », puisque ce mouvement est « un néologisme qui combine négritude et émigration » (Zanganeh). Ce mouvement grandit de plus en plus dans la littérature africaine francophone depuis les dix dernières années car il y a de plus en plus d’auteurs africains francophones qui vivent en situation d’immigration. Lavigne souligne dans son article La migritude : une errance identitaire et littéraire que: « ce courant faisant suite au renouveau de Kourouma (Les soleils des Indépendances (1968)) et à l’écriture féminine, [il] est caractérisé par le fait migratoire ». La plupart de ces écrivains ont pris la décision de vivre en Europe ou en

Amérique et le fait qu’ils écrivent ailleurs affecte inévitablement leur discours qui se trouve maintenant quelque peu excentré de l’Afrique. L’Afrique passe maintenant au second plan, après l’errance et l’hybridité des personnages. La notion d’exil est différente dans la

Négritude, puisque dans cette dernière l’exil sera plutôt « un voyage d’apprentissage

108 tributaire de la situation coloniale […] une « nostalgie des profondeurs » consécutive à l’éloignement de leurs racines culturelles et à la mémoire douloureuse de la situation coloniale » (Mambenga-Ylagou 276) alors que la migritude considère l’exilé comme « … des nomades évoluant entre plusieurs pays, plusieurs langues et plusieurs cultures, et c’est sans complexes qu’ils s’installent dans l’hybride » (Chevrier, « Afrique(s)-sur-seine : autour de la notion de « migritude » » 16). Dans le mouvement de la migritude il n’y a plus de retour en Afrique mais une acceptation de l’hybridité, terme donné par Bhabha qui souligne l’émergence de nouvelles formes culturelles et dont nous développerons le concept un peu plus tard dans ce chapitre.

Les écrivaines africaines ont donc développé de nouveaux thèmes dans leurs textes et se sont éloignées de l’Afrique décrite dans les textes précédents pour se concentrer sur le problème identitaire de l’exilée. Chevrier définit la migritude ainsi :

À l’ère de la négritude a succédé le temps de la « migritude », un néologisme

qui indique clairement que l’Afrique dont nous parlent les écrivains

contemporains n’est plus celle qui servait de cadre à la plupart de leurs

devanciers, mais, si l’on peut ainsi dire, d’une Afrique extracontinentale dont

le centre de gravité se situerait quelque part entre Belleville et l’au-delà du

boulevard périphérique. Une situation qui ne va pas, on s’en doute, sans

engager une problématique identitaire qui nous ramène à ce concept

d’hybride, naguère vilipendé par Cheikh Hamidou Kane, aujourd’hui en passe

de réhabilitation puisque, semble-t-il, il s’accorde de plus en plus à

109 l’évolution de notre monde en voie de globalisation. (« Afrique(s)-sur-seine :

autour de la notion de « migritude » 17)

En comparaison aux écrivains de la Négritude, les écrivains de la migritude ne veulent plus

être les « accoucheurs de l’Histoire, ils ne veulent pas qu’on leur reproche ce que l’on a reproché aux écrivains de la Négritude c’est à dire leur traditionalisme et surtout une certaine conciliation avec l’ancien colonisateur, la migritude veut à nouveau pouvoir toucher les jeunes générations » (Chevrier, « Afrique(s)-sur-seine : autour de la notion de

« migritude » 20). Les auteures de la « migritude » écrivent sur ce qui les touche aujourd’hui, en particulier la problématique identitaire dans ce monde « en voie de globalisation ».

Les romans de la migritude parlent « soit du pays d’adoption, où l’on a reconstitué une

Afriqueland, ou encore d’une Afrique géographique en déconstruction, mais on y voit toujours les paradoxes, les incohérences et un écart entre l’ici et l’ailleurs » (Lavigne). Les

œuvres de Fatou Diome avec Le ventre de l’Atlantique (2003) et Calixthe Beyala avec

Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000) montrent cet écart entre l’ici et l’ailleurs. À l’errance vient s’ajouter le métissage; Diop explique ce métissage pour vivre l’ailleurs ainsi :

Nous étions à Paris un certain nombre d’étudiants d’outre-mer qui – au sein

des souffrances d’une Europe s’interrogeant sur son essence et sur

l’authenticité de ses valeurs – nous sommes groupés pour étudier la situation

et les caractères qui nous définissait nous-mêmes. Ni blancs, ni jaunes, ni

noirs incapables de revenir entièrement à nos traditions d’origine ou de nous

110 assimiler à l’Europe, nous avions le sentiment de constituer une race

nouvelle, mentalement métissée mais qui ne s’était pas fait connaître dans

son originalité et n’avait guère pris conscience de celle-ci. (Diop cité par

Chevrier, « L’image du pouvoir dans roman africain contemporain » 54)

Quant à l’errance, il suffit d’après Glissant « de quitter le lieu, la terre natale, pour mieux la cerner et ensuite l’intégrer » (Cité par Lavigne). Les écrivains de la migritude sont

Multiples et singuliers. Singuliers par le chemin qu’ils tracent, seuls en pays

d’adoption, multiples parce qu’ils portent en eux une histoire de famille,

d’ethnie, de clan et parfois même continental. L’histoire de la colonisation et

de la décolonisation est tout à fait incontournable, en ce sens où elle construit

le monde actuel. (Lavigne)

C’est cette pensée qui fait de la « migritude » une descendante directe de la Négritude.

Alexis Nouss affirme que « Les écrivains de la migritude portent sur leurs épaules cette difficulté à être en lien avec leurs racines tout en étant eux-mêmes » (98). On retrouve ce débat dans les personnages principaux des textes de Beyala et Diome.

Les écrivains africains qui ont choisi de vivre en Europe ou en Amérique du nord

écrivent « depuis les années 1980 des œuvres aux forts accents de « migritude » (Malonga

169), et le mouvement même de la « migritude » apparaitra dans la littérature féminine africaine francophone dans les années 1990. On retrouve la « migritude » dans les romans de Calixthe Beyala, tels que Le petit prince de Belleville (1992), Maman a un amant (1993),

111 Asséze l’Africaine (1994) et Amours sauvages (1999) ainsi que dans le roman de Bessora,

Cueillez-moi jolis messieurs (2007) et celui de Fatou Diome Le ventre de l’Atlantique (2003) et Kétala (2006), romans qui « semblent proposer une dimension particulière et nouvelle du rapport que la femme africaine intellectuelle et « évoluée » entretient avec l’Afrique »

(Malonga 169). Les personnages des romans de Beyala oublient l’Afrique quand ils tombent inexorablement dans la vulnérabilité de l’univers de Belleville, ils sont ainsi « mal préparés

à appréhender la complexité de leur milieu d’accueil, ils [ces personnages] ne peuvent pas se présenter comme les apôtres d’un nouveau dialogue interculturel, ni encore moins proposer une nouvelle approche de l’identité africaine » (Kom 51) puisque loin de l’Afrique ils doivent se créer une identité nouvelle qui doit s’accommoder avec leur vie dans l’Hexagone.

Dans Le petit prince de Belleville (1992), Soumana rejoint son mari en France où elle se retrouve sans papiers. Là elle apprendra que les femmes ont des droits et elle ne voudra plus jamais retourner en Afrique car les femmes là-bas n’y ont aucun droit. Soumana refusera de retourner en Afrique, et ce sera cette impossibilité d’établir un lien entre la civilisation africaine, la civilisation européenne et l’amour de son mari qui la conduira à sa mort. Dans Maman a un amant (1993), la suite de Le petit prince de Belleville (1992),

Beyala souligne encore ce malaise de la femme dans un exil qu’elle préfèrera à son pays sans, ici aussi, réussir à trouver un équilibre qui la sauvera. Au Mali, écrit l’héroïne Mam

« la femme est née à genoux aux pieds de l’homme » (Maman a un amant 27). L’héroïne se souvient donc de la condition de la femme en Afrique et revendique cette liberté qui lui a manqué sur le continent africain « Là-bas dans mon pays, j’ai baissé les yeux devant mon père, comme ma mère avant moi, comme avant elle ma grand-mère. Les hommes

112 ordonnaient : prends-donne-fais. Les femmes obéissaient » (Maman a un amant 47). Allier la modernité du pays d’accueil avec les anciennes traditions de l’Afrique est le problème principal des héroïnes des romans de la migritude. C’est ce passé lourd de traditions et cette nouvelle liberté qui rendent les personnages des romans de la « migritude » si déracinés. Ces auteures qui vivent à l’étranger s’efforcent de toucher des sujets qui leur sont propres, et qui sont souvent liés à l’identité perdue de l’immigrée.

Peut-on, donc, dire que les écrivains de la « migritude » partagent des caractéristiques communes avec ceux de la Négritude ? On peut sans aucun doute trouver des similitudes mais aussi des divergences dans les deux mouvements. Les écrivains de la Négritude vont, comme ceux de la migritude, prendre leurs distances face aux mouvements précédents.

Pour la Négritude, les auteurs s’éloigneront de ceux qui, avant eux, considéraient la littérature africaine comme une simple copie de la littérature française. Pour la migritude, les auteurs s’éloigneront des sujets des indépendances et du désenchantement. Il est important pour ces nouveaux auteurs de créer un style différent de celui de leurs prédécesseurs, soulignant ainsi « la volonté de forger un discours littéraire plus proche d’une réalité africaine marquée par le chaos, la confusion et l’incertitude » (Chevrier, « Le roman africain dans tous ses états » 25). Les auteurs de la migritude parlent du problème de l’intégration et de l’identité dans la terre d’accueil qu’ils ont choisie. À l’inverse des auteurs de la Négritude, les auteurs de la migritude veulent être reconnus comme écrivains universels avant d’être reconnus comme écrivains africains francophones.

Ce que la Négritude et la « migritude » partagent c’est une expérience sociale traumatisante; pour la Négritude : la colonisation, pour la « migritude » : la migration des jeunes africains en Europe ou en Amérique du nord, apportant ainsi une éternelle

113 confrontation entre les traditions de l’Afrique et la modernité du pays d’accueil. La

Négritude est un mouvement qui souligne l’importance des grandes traditions africaines alors que la migritude, particulièrement dans les romans féminins, souligne le coté souvent négatif d’une société patriarcale ou les femmes n’ont aucun droit. Du temps de la négritude, les auteurs féminins africains n’avaient pas encore fait leur apparition sur la scène de la littérature, ce n’est seulement qu’après les indépendances qu’elles apparaitront. La migritude est pour les écrivaines une façon de confronter une errance, errance dans leur immigration, errance dans leur futur et errance « d’un continent africain à la dérive »

(Lavigne). On pourra donc définir le mouvement de la « migritude » par cette errance qui est « en somme le lot du 21e siècle avec la fin des grands récits, la montée des intégrismes, les replis identitaires et l’absence de transcendance ; c’est une marche, parfois funeste, vers un ailleurs qui se situe pour l’instant nulle part » (Lavigne).

Les auteurs de la « migritude », bien que s’étant éloignés des sujets de leurs prédécesseurs, qui étaient directement liés à l’Afrique, parlent de leur expérience d’immigration et d’adaptation dans leur pays d’accueil et continuent à transporter le lecteur dans une Afrique qui fait, malgré tout, partie entière de leur vie. Ces auteurs tout comme ceux de la Négritude trouvent une solidarité commune, non pas dans le rejet du racisme colonial mais plutôt dans leur quête d’identité. Ces écrivains du 21e siècle restent malgré tout concernés par les problèmes de l’Afrique. Les auteures qui ont volontairement choisi de vivre en France et qui font face constamment a une situation d’exilée seront donc confrontées « à l’émergence d’un métissage transculturel » (Volet, « Romancières francophones d’Afrique noire » 36). Les écrivaines de la migritude du 21ème siècle, rejetteront le retour au pays.

114

3-3 Les auteures de la « migritude », Fatou Diome et Calixthe Beyala

3-3-1 Fatou Diome : Le ventre de l’Atlantique

Les romans de Fatou Diome sont pour la plupart autobiographiques puisque la vie de

Diome ressemble à celle de ses héroïnes qui ont, comme elle, dû faire face aux problèmes de l’immigration et de l’intégration en France. Fatou Diome est une enfant illégitime, élevée par sa grand-mère et qui préfère, déjà toute petite, la compagnie des hommes à celle des femmes. Les femmes sont, à son goût, toujours trop occupées avec leurs tâches ménagères.

Diome ira à l’école et apprendra le français en cachette de sa grand-mère qui pense que l’école pour la femme africaine n’est pas nécessaire. C’est son instituteur qui finira par convaincre la grand-mère de Diome de la laisser aller à l’école où la jeune fille se passionnera pour la littérature francophone. Elle finira par quitter son ile de Niodior, au sud-ouest du Sénégal pour suivre son mari français et aller étudier en France. Sa belle- famille la rejette à cause de la couleur de sa peau, et elle divorce après seulement deux années de mariage. Refusant de rentrer au Sénégal, Diome décide de s’installer à

Strasbourg ou elle étudie pour devenir doctorante en lettres modernes. Pour subsister et pour payer ses études elle fera des ménages, ce qui lui donnera de quoi écrire sur l’adaptation et le racisme en France. C’est donc un sujet que Diome connaît bien. Elle publiera son premier recueil de nouvelles La Préférence nationale en 2001, puis plusieurs romans tels que Le Ventre de l’Atlantique en 2002, Kétala en 2006, Inassouvies, nos vies en

2008, Celles qui attendent en 2010 et Impossible de grandir en 2013. Les héroïnes de Diome, font face à la vie au Sénégal, puis à l’immigration et enfin à l’intégration, souvent difficile, en

115 France. Dans ses romans on trouve un réquisitoire contre certaines valeurs africaines qui empêchent l’Afrique et les Africains d’avancer.

Le ventre de l’Atlantique, qui s’inscrit dans le mouvement de la « migritude ,» parle de l’errance, de l’exil, de l’émigration et de la quête identitaire. Le ventre de l’Atlantique est l’histoire d’une jeune femme d’origine sénégalaise qui se nomme Salie, et dont la vie ressemble énormément à celle de l’auteure puisque la jeune femme après avoir suivi et

épousé un Français se retrouve seule en France après avoir été rejetée par ses beaux- parents à cause de la couleur de sa peau. Comme l’auteure, le mariage de Salie se termine en divorce et l’héroïne doit faire des ménages pour pouvoir subvenir à ses besoins et payer ses études. L’histoire commence lorsque Salie, dans son appartement parisien, regarde la demi-finale de la Coupe du monde de football qui la transporte vers Niodior, le village de son enfance où est resté son demi-frère Madické. Ils regardent tous les deux le même match,

Salie en France et Madické à Niodior, ils sont tous les deux perdus dans leurs pensées.

Madické, qui comme la plupart des jeunes africains, rêve de partir pour la France et devenir un joueur de football professionnel. Quant à Salie, elle cherche désespérément à l’en dissuader. La jeune femme sait que l’idée de la France Eldorado que se font la plupart des

Africains est fausse, et mythifiée par ceux qui en sont revenus. Salie refuse que son demi- frère vive dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles elle a dû vivre mais

Madické est incapable d’entendre les souffrances par lesquelles doivent passer les exilés tant son désir de partir est grand. Les problèmes de sa sœur en France ne l’affectent pas car il est aveuglé par les contes de ceux qui sont revenus, et pour lui la solitude dont parle Salie est incompréhensible. Les sacrifices que l’héroïne doit faire pour vivre et pour poursuivre ses études sont lourds et c’est un chemin qu’elle ne veut pas que son frère prenne. Salie se

116 demande comment elle peut « lui faire comprendre la solitude de [son] exil, [son] combat pour la survie et l’état d’alerte permanent ou [la] gardaient [ses] études ? » (Diome 51).

Madické ne voit que les cotés positifs de l’exil et il est jaloux de la vie que mène sa sœur

Salie, puisque pour le jeune homme: « vivre dans un pays développé représentait en soi un avantage démesuré que j’ [Salie} avais par rapport à lui » (Diome 51). L’idée qu’il a de cette vie, il ne l’a qu’à travers ceux qui sont revenus de France. L’auteure s’attarde longuement, à travers Madické, sur l’idée que se font les habitants de Niodior du monde occidental et en particulier de la France, là-bas ils pensent trouver les avantages d’une vie moderne dans un pays qu’on appelle « développé » et ou la réussite professionnelle est assurée puisque c’est l’éternel refrain qu’ils entendent de ceux qui en reviennent.

Dans Le ventre de l’Atlantique Fatou Diome touche trois sujets qui tiennent à cœur les auteures africaines d’aujourd’hui vivant et écrivant en dehors de l’Afrique et qui sont : les traditions africaines ancestrales qui doivent changer pour permettre à l’Afrique d’avancer, la recherche identitaire de l’émigrée et enfin les difficultés de l’émigration et de l’adaptation dans le pays d’accueil. Dans ce roman, Fatou Diome montre que les valeurs traditionnelles, et plus particulièrement celles de la solidarité, ne doivent pas disparaître mais qu’elles doivent changer pour s’adapter à ce monde en constante évolution auquel les africains sont confrontés. Dans le monde d’aujourd’hui la solidarité a cédée la place à un certain individualisme.

Pour les auteurs de la Négritude, tel que Césaire qui souhaitaient avant tout le retour aux cultures traditionnelles africaine, la solidarité vient d’ « une unicité primitive et originelle (qui existait au préalable) entre les êtres et les choses » (Zadi 175). La solidarité africaine était importante à leurs yeux puisqu’elle se concentrait sur l’épanouissement de la

117 communauté et non pas sur celle de l’individu, puisque c’est à travers la communauté que l’individu s’épanouit. On pourrait définir trois notions qui caractérisent la solidarité africaine dont parlaient les auteurs de la Négritude:

(1) Le mode de production détermine celui de la distribution, c’est-à-dire

que la société traditionnelle africaine se caractérise par la solidarité du fait

de l’absence de la technologie, et la présence de cette dernière entraine le

capitalisme et son corollaire l’individualisme ;

(2) Dans les sociétés traditionnelles africaines, c’est la communauté qui

confère de la valeur à l’individu selon qu’il aura ou non satisfait à son devoir

d’assistance envers celle-ci et réussi le passage d’un certain nombre de rites ;

(3) Le sens du devoir de l’individu envers la communauté est perçu

comme une valeur fondamentale acquise à l’intérieur de la société et non

comme un fardeau puisqu’il n’est ni coercitif ni sollicité. (Zadi 176)

Dans Le Ventre de l’Atlantique, Diome nous montre que le modernisme et l’individualisme se sont maintenant installés à Niodior, empêchant les habitants de l’ile de perpétuer cette solidarité telle qu’elle avait été définie autrefois. La post-colonisation a changé les valeurs fondamentales et la solidarité d’autrefois a laissé place à l’individualisme d’aujourd’hui.

C’est au nom de cette solidarité d’antan que les habitants de l’ile de Niodior contraignent ceux qui sont en exil de partager avec eux ce qu’ils gagnent durement. Salie confirme qu’il lui « fallait réussir afin d’assumer la fonction assignée à tout enfant de chez nous : servir de sécurité sociale aux siens » (Diome 52). Cette responsabilité s’ajoute au stress de la réussite

118 et apporte un fardeau supplémentaire à la vie de l’exilée qui se doit de réussir afin d’apporter à sa famille l’aide financière que cette dernière attend. Le village de Niodior se trouve entre la tradition et la modernité et entre la solidarité traditionnelle et l’individualisme d’aujourd’hui. Diome nous offre un aspect nouveau de la solidarité dans ce texte, elle nous offre « une solidarité modérée, forgée à partir des avantages de la solidarité traditionnelle et de l’individualisme nouveau » (Zadi 176).

Malgré un certain désir de continuer à vivre avec ses valeurs traditionnelles le village se retrouve confronté au modernisme, ce qui altère inévitablement cette notion de solidarité.

Cette modernité on la retrouvera dans le village, sous la forme du téléphone, qui a pour but de maintenir le contact entre les émigrés et les habitants de Niodior, de la télévision et des pirogues motorisées. C’est grâce à la télévision que l’image de la France comme Eldorado est donnée à travers les publicités, les matchs de football et les informations télévisées.

Diome nous montre ce nouvel individualisme à travers le personnage de Wagane et ses pirogues motorisées qui lui ont permis de s’enrichir au détriment de ses employés qu’il paye un salaire de misère et dont le sort lui est complètement égal: «On peut dire que la mort de certains de ses employés l’avait moins affecté que la perte d’un filet » (Diome 138).

Il devient très vite « le natif de l’ile le plus fortuné » (Diome 136) et le plus détesté aussi.

Wagane a abandonné la solidarité ancestrale pour l’individualisme moderne. Détesté de tous il est aussi celui qui est le plus admiré. Ceci souligne la confusion culturelle dans laquelle se trouvent les villageois de Niodior car même s’ils détestent Wagane pour ce qu’il est devenu, un individualiste qui ne pense qu’à lui, ils veulent tous être comme lui, pouvoir eux aussi jouir de ce monde matérialiste. Pour cela, les villageois se tournent vers ceux qui comme Salie ont dû partir, en leur extrayant tout l’argent qu’ils peuvent au nom de la

119 solidarité. Salie après avoir été exclue pour sa naissance illégitime, devient maintenant de part son statut d’émigrée la personne qui se doit d’aider financièrement les habitants de son village. Si Salie refuse cette aide, le village tout entier la traitera d’individualiste: « Je devais nourrir mes convives autoproclamés sous peine de passer, dès mon arrivée, pour une individualiste occidentale, une dénaturée » (Diome 191). C’est donc la responsabilité des enfants de subvenir aux besoins des vieux. D’après l’instituteur du village, si la tradition voulait, autrefois, que les familles aient beaucoup d’enfants c’était parce que ces derniers aidaient dans les travaux des champs; mais dans la société d’aujourd’hui, continuer d’avoir autant d’enfants mène directement à la ruine financière de la famille. Les enfants sont donc condamnés dès le début à l’échec puisque ce sont eux qui ont la responsabilité de s’occuper financièrement de leurs parents. Pour ceux qui refusent cet échec, alors réussir ailleurs est la solution. C’est ce que décidera de faire le jeune Moussa, qui presque forcé par son père,

émigrera en France afin de subvenir aux besoins de ceux qui « comptaient sur lui pour manger » (Diome 110). Son père lui rappelle son devoir envers les siens quand il lui dit: « Il est donc de ton devoir de t’occuper de la famille. Epargne-nous la honte parmi nos semblables. Tu dois travailler, économiser, revenir au pays » (Diome 119). Moussa ne réussira pas en France et c’est pauvre qu’il rentrera à Niodior. D’abord fêté comme tous ceux qui reviennent puis pressé de partager ce qu’il a gagné en France, c’est la communauté entière qui réclame sa part au nom de la solidarité. Quand sa famille et les gens du village s’aperçoivent que Moussa ne ramène rien, c’est sans vergogne qu’ils excluent Moussa du village. Moussa trouvera dans le suicide une sortie de secours à son échec.

Malheureusement le sort de Moussa est celui de beaucoup d’autres enfants puisque

« Malgré leur jeune âge, beaucoup sont déjà à la tête de familles nombreuses et on attend

120 d’eux ce que leurs parents n’ont pas réussi » (Diome 211). On a donc perdu cet esprit communautaire d’autrefois où l’individu était un tout et était pris en charge par la communauté; c’est maintenant l’individu qui doit prendre en charge la communauté devenue égoïste en ne cherchant dans ses enfants que son propre profit.

Dans ce texte Diome propose « une nouvelle pratique de la solidarité qui utilise ce qu’il y a de positif dans le traditionnel (la solidarité) et dans le moderne (l’individualisme) »

(Zadi 184). Refusant d’être dépouillée financièrement à Niodior, Salie choisit de rentrer plus tôt à Paris, choisissant ainsi une attitude plus individualiste. Ce choix la rapproche ironiquement de l’attitude de Wagane qui ne pouvant quitter l’ile refuse de se démunir pour le bien de la communauté car il sait que la communauté lui prendra jusqu’à son dernier sou, le réduisant au même état de pauvreté qu’elle. L’individualisme prend dans ce texte un coté positif puisqu’il permet à l’individu de s’en sortir. De la solidarité traditionnelle Salie retient l’aide qu’elle sait devoir à son demi-frère Madické, mais elle aidera son frère dans ses propres termes. En effet, elle fera don à Madické de l’argent nécessaire à l’ouverture de sa boutique. Avec le succès de sa boutique à Niodior Madické ne pense plus à partir: « Moi, j’aime mieux vivre chez moi, surtout maintenant que j’ai ma boutique » (Diome 293). On trouve donc dans Le ventre de l’Atlantique une nouvelle sorte de solidarité, beaucoup plus modérée et individualiste par rapport à la solidarité traditionnelle puisqu’elle permet à Salie d’investir son propre argent mais surtout d’aider en mesure de ses moyens. C’est donc une société « en pleine mutation, entre valeurs traditionnelles et modernes » (Zadi 186) que nous présente Fatou Diome. L’auteure insiste sur la nécessité de vivre pour soi mais aussi de faire bénéficier les autres, jusqu’à un certain point, afin qu’à leur tour ils puissent devenir indépendants, tout comme l’a fait Madické

121 avec sa boutique. Il n’est plus possible pour les émigrés d’être la seule source de revenus d’un village entier qui dilapide le revenu de l’exilé, ne réglant en rien le problème de la pauvreté. Diome s’intéresse au futur de l’Afrique et comme écrivaine de l’immigration elle peut proposer des solutions aux maux qui rongent l’Afrique d’aujourd’hui en proposant des solutions modernes.

Ce qui rend ce texte différent de celui des auteures qui ont déjà écrit sur l’immigration, c’est ce nouveau message que nous donne Diome quant aux possibilités qu’offrent l’Afrique aux Africains. Pour voir cela il faudrait pouvoir s’éloigner, comme nous l’avons vu plus haut, de certaines traditions qui étouffent le continent et ses habitants. L’instituteur du village

Ndétare ne cesse de dire que c’est la population, et surtout la jeunesse africaine qui devrait bouger pour que l’Afrique aille de l’avant:

La modernité nous laisse en rade, en dehors de la pilule tout reste à faire. Et

même la pilule, je crois qu’il faudrait la programmer dans un riz

génétiquement modifié afin d’obliger les femmes à s’en servir, si seulement

les féodaux qui leur servent d’époux pouvaient arrêter de mesurer leur

virilité au nombre de leurs enfants. Ça aussi, petits, c’est le sous-

développement et ça se joue dans les mentalités. Essayer de ne pas

reproduire les erreurs de vos pères et vous verrez que, même sans aller à

l’étranger, vous aurez plus de chance qu’eux de vous en sortir ici. D’abord

soyez prêts au départ, allez vers une meilleure existence, mais pas avec des

valises, avec vos neurones ! Faites émigrer de vos têtes certaines habitudes

bien ancrées qui vous chevillent à un mode de vie résolu. La polygamie, la

122 profusion d’enfants, tout cela constitue le terreau fertile du sous-

développement. (Diome 206)

Mais les conseils de l’instituteur restent à l’état de conseils et les Africains, en général, continuent de penser que les problèmes viennent de l’Afrique elle-même et que la solution se trouve en France. Comme nous l’avons vu, la vie aujourd’hui en Afrique a changé mais les anciennes traditions sont restés, les besoins sont différents et les traditions d’autrefois doivent s’adapter à ce changement. Fatou Diome ajoute à la liste des traditions qui doivent changer, celles de l’honneur familial et de la société patriarcale, et elle n’oublie pas d’y ajouter les abus de pouvoir des gouvernants africains qui empêchent l’Afrique de progresser.

C’est l’honneur familiale qui pousse le père de Sankèle à noyer son petit fils dans l’Atlantique puisque c’est un enfant illégitime qui « ne peut pas grandir sous mon toit »

(Diome 152), la tradition répudiant toute illégitimité. C’est aussi la société patriarcale qui pousse la plupart des femmes africaines dans l’analphabétisme, les rendant ainsi dociles et dépendantes. Le fait que Salie soit allée à l’école l’éloigne davantage dans sa relation avec les femmes de Niodior puisqu’elle est la seule à écrire. Les autres femmes du village ne comprennent pas l’utilité d’une telle éducation dans une société où la femme n’a nul besoin d’être lettrée pour vaquer à ses travaux. La communication entre Salie et ces femmes est donc devenue difficile puisqu’un monde les sépare dorénavant: « devant mon silence, elles prétextaient leurs multiples tâches ménagères (…), je supportais, muette, leur présence avec la patience que la tradition exigeait de moi » (Diome 68). Salie reconnaît à un très

123 jeune âge l’importance capitale de l’école et les efforts qu’elle a dû mener auprès de sa grand-mère et de l’instituteur pour y accéder ont dérangé les femmes du village.

La recherche identitaire est elle aussi omniprésente dans le roman de Fatou Diome.

Cette émigration, qu’elle soit volontaire ou involontaire, est souvent vécue comme un conflit culturel et en même temps comme un enrichissement puisque les auteures évoluent entre plusieurs pays et plusieurs cultures, la leur et celle du pays d’accueil. L’émigré apprend à naviguer dans ce nouvel environnement occidental où il est à même de mieux comprendre les rapports qu’il entretient avec son pays d’accueil et aussi avec les autres

émigrés. Moussa parle de ce rapport assez ambigu qu’il ressent en France quand il affirme:

Les Blancs, il ne pouvait plus les sentir, disait-il, à cause de leur sournoise

façon de relativiser le racisme pour mieux le pratiquer ou de rester

indifférents aux difficultés de ceux qui en sont victimes. Les Noirs, il ne les

supportait plus, à cause de leur manie de voir le racisme partout […]

Antiraciste radical, il était devenu lui-même raciste, déclarait-il, raciste anti-

cons, toutes races confondues. (Diome 187)

Vivre dans cet espace occidental et être témoin de cette interaction entre Blancs et Noirs, permet à Moussa de prendre du recul quant aux préjugés racistes venant des deux cotés.

C’est la vision de l’un sur l’autre que juge ici Moussa. L’idée d’une représentation négative de la France n’oblige pas à une vision positive de l’Afrique et vice-versa. C’est en rejetant une idée idéaliste de la France mais aussi les traditions rétrogrades de l’Afrique que l’émigré se forgera une nouvelle identité, où il faudra accepter l’Autre pour pouvoir

124 s’affirmer, et adopter ses valeurs en les ajoutant à son univers. Afin de contrôler l’espace dans lequel il évolue l’immigrée doit acquérir une « diversité identitaire et culturelle »

(Thiam Saliou 24).

Pour Diome, Il faudrait pouvoir allier les avantages de la modernité occidentale avec ses racines pour embrasser une nouvelle identité, et c’est finalement une redéfinition du

« moi » qui doit être effectuée par l’émigré à travers la création d’un espace où l’émigré garderait sa dignité :

Je cherche un pays là où on apprécie l’être additionné, sans dissocier ses

multiples strates. Je cherche mon pays là où s’estompe la fragmentation

identitaire. Je cherche mon pays là où les bras de l’Atlantique fusionnent pour

donner l’encre mauve qui dit l’incandescence et la douceur, la brûlure

d’exister et la joie de vivre. Je cherche mon territoire sur une plage blanche,

un carnet, ça tient dans un sac de voyage. Alors, partout où je pose mes

valises, je suis chez moi. (Diome 295)

C’est une réunion du passé et du présent à laquelle nous invite Fatou Diome; ce rassemblement temporel permet aux valeurs de coexister sans que l’une ne prenne le dessus sur l’autre. Salie explique qu’« Exilée en permanence, je passe mes nuits à souder les rails qui mènent à l’identité. L’écriture est la cire chaude que je coule entre les sillons creusés par les bâtisseurs de cloisons des deux bords » (Diome 295).

Salie est étrangère chez elle, de part sa naissance illégitime, et son exil est en quelque sorte une échappatoire culturel qui l’amène à se débattre entre son pays d’accueil et son

125 pays d’origine. Salie ne se reconnaît plus vraiment ni dans sa culture d’origine ni dans la culture française, elle luttera pour se trouver une identité qui pourra lier la Sénégalaise qui est encore en elle et la Française qu’elle est devenue. Léonora Miano, auteure camerounaise, appellera cela « la conscience diasporique ». Exposée directement au conflit identitaire

Salie ne se retrouvera plus dans les femmes qui sont restées à Niodior. Quand elle y retourne pour les vacances, les femmes la regardent différemment et s’éloignent de sa compagnie car elle est devenue une étrangère à leurs yeux, Salie étant dorénavant perçue comme une marginale. La jeune femme s’aperçoit que la vie des femmes à Niodior ne pourrait plus la satisfaire après l’existence qu’elle mène en France, car même si elle est seule, sa liberté pour elle n’a pas de prix. Diome souligne ici la déconnection que l’exilée

éprouve non seulement envers son pays mais aussi envers ses compatriotes, car inexorablement partir implique changer. Diome à travers les voyages de Salie à Niodior soulignera cet écart qui se forge un peu plus chaque année dans les relations entre ceux qui restent et ceux qui partent et qui ne reviennent plus.

Diome remet aussi en question les rapports de pouvoir entre la France et le Sénégal, le premier ancien pays colonisateur et le second ancien pays colonisé. Diome nous montre une image de Salie ni complètement occidentale ni complètement africaine: « Enracinée partout, exilée tout le temps, je suis chez moi là où l’Afrique et l’Europe perdent leur orgueil et se contentent de s’additionner: sur une page, pleine de l’alliage qu’elles m’ont légué »

(Diome 210). Dans ce texte l’expérience de la France vient se superposer avec ses racines africaines, et c’est à travers l’écriture que Salie trouve ce que Pratt, professeur de langues et de littérature à l’université de New York, appelle « sa zone de contact », c’est à dire la rencontre de deux cultures différentes de forces inégales dans un même espace. Pratt

126 définit cette zone par la « notion de transculturation qui est l’incessant et l’inévitable processus d’appropriation et de négociation qui se met en place entre deux cultures quand elles sont mises en contact » (Pratt 37). Quand Diome parle de l’Afrique elle ne l’idéalise plus, comme le faisait les écrivains de la Négritude, elle montre clairement les défauts de la société traditionnelle africaine mais elle montre aussi le vrai visage de la France qui n’est pas toujours accueillante envers les émigrés africains. Comment Salie peut-elle donc se situer entre ces deux mondes « Chez moi ? Chez l’Autre ? Être hybride, l’Afrique et l’Europe se demandent, perplexes, quel bout de moi leur appartient ? » (Diome 90).

Là ou les auteurs de la Négritude proposaient un bref séjour en France, principalement

à des fins studieuses, mais toujours suivi d’un retour en ville ou au village d’origine, les personnages des auteures de la migritude s’exilent indéfiniment et ne font que de brèves visites dans leur ville ou village d’origine. Diome insiste sur les récits de ceux qui sont partis en France et qui sont revenus définitivement à Niodior, en effet ces derniers laissent

à penser que la réussite n’est possible qu’en France et que ceux qui n’y partent pas ne pourront pas réussir en Afrique. Ceux qui sont revenus de leur séjour en France contribuent donc à cette idée que pour réussir il faut partir puisqu’à leur retour sur l’île, ils sont riches et ont, de surcroit, obtenu une situation importante à Niodior. En effet, « Tous ceux qui occupent des postes importants au pays ont étudié en France » (Diome 60). Il est donc normal que la France pour la plupart des habitants de Niodior comme Madické, soit non seulement un paradis mais aussi un pays où « on ne peine pas, on ne tombe pas malade, on ne se pose pas de questions: on se contente de vivre, on a les moyens de s’offrir tout ce que l’on désire, y compris le luxe du temps et cela rend forcément disponible (Diome 50).

Voilà comment Madické, et tout ceux qui veulent partir, imaginent la vie en France.

127 C’est à travers le personnage de l’« l’homme de Barbès » que Diome insiste sur l’illusion de l’émigration, puisque ce n’est qu’en cachant la vérité sur ses conditions de vie que cet homme décrit la vie qu’il a mené en France. L’homme de Barbès revient à Niodior après des années d’exil et raconte une France mythifiée:

J’ai atterri à Paris la nuit; on aurait dit que le bon Dieu avant donné à ces gens

là des milliards d’étoiles rouges, bleues et jaunes pour s’éclairer; la vie brillait

de partout… j’habitais cette immense ville de Paris… Avant je n’avais jamais

pensé qu’une si belle ville pouvait exister. Mais là, je l’ai vue de mes propres

yeux. La Tour Eiffel et l’Obélisque… Les Champs-Élysées, il faut une journée,

au moins, pour les parcourir, tellement les boutiques de luxe, qui les

jalonnent, regorgent de marchandises extraordinaires… (Diome 96)

Jamais l’homme de Barbès n’a pu s’offrir le luxe de rentrer dans les magasins qu’il décrit mais de retour au pays il embellit sa vie puisqu’il doit rester aux yeux de la jeunesse africaine un modèle et un héros. Les jeunes ne se lasseront pas de lui demander des détails sur ce pays paradisiaque:

- Et la vie ? C’était comment la vie, là-bas ?

- Ah ! La vie là-bas ! répondait-il, une vraie vie de Pacha ! Croyez-moi, ils

sont très riches, là-bas. Chaque couple habite, avec ses enfants, dans un

appartement luxueux, avec électricité et eau courante. Ce n’est pas comme

chez nous, où quatre générations cohabitent sous le même toit … Ils ont une

128 vie très reposante. Leurs femmes ne font plus les tâches ménagères. (Diome

98)

Ce qu’omet de décrire l’homme de Barbès ce sont les taudis dans lesquels il a vécu et les conditions misérables qu’il a connues puisque sans papiers et sans formation il a dû accepter toute sorte de travail où comme la plupart des émigrés, il était exploité par ses employeurs qui ne lui donnaient que les travaux les plus durs. Impossible pour l’exilé de

Barbès d’avouer qu’il n’était rien en France, qu’il n’a jamais vécu comme le Pacha dont il parle, ni connu les appartements qu’il décrit. Comme les autres exilés « l’homme de

Barbès » rehausse son image: « des aides-soignants se font passer pour des médecins, des vacataires d’enseignement pour des professeurs, des techniciennes de surface pour des gérantes d’hôtels, certains vacanciers racontent avec moult détails la vie de personnes dont ils ignorent tout » (Diome 73). L’homme de Barbès peut rester « l’emblème de l’émigration réussie » (Diome 38) puisqu’ « il avait été un nègre à Paris et s’était mis, dès son retour, à entretenir les mirages qui l’auréolaient de prestige » (Diome 38). Pourquoi la France ne serait pas pour ces jeunes aussi la chance qu’ils attendent pour réussir? Tout ce qu’ils aiment vient de France, en effet:

La seule télévision qui leur permet de voir les matchs elle vient de France.

Son propriétaire, devenu un notable au village, a vécu en France. L’instituteur,

très savant, a fait une partie de ses études en France. Tous ceux qui occupent

des postes importants au pays ont étudié en France. Les femmes de nos

129 présidents successifs sont toutes françaises… Les quelques joueurs

sénégalais riches et célèbres jouent en France. (Diome 60)

Il est plus facile pour ces jeunes de croire en ce paradis que d’écouter les histoires d’échecs de ceux qui comme Moussa sont partis et sont revenus meurtris et sans argent.

Quelquefois la réalité efface le rêve et pour Moussa, qui s’était fait recruter par un entraineur de football français, sa vie est devenue le cauchemar dont personne ne lui avait parlé. N’ayant pas été le prodige espéré il s’est vu jeté de l’équipe, arrêté par la police et renvoyé en Afrique. Son expérience avec l’immigration est loin des histoires fabuleuses qu’on lui avait contées et c’est péniblement que Moussa doit faire face à sa famille et au village de retour au pays. À Niodior tous le rejettent et le méprisent parce qu’ils sont incapables de comprendre son échec là où tant d’autres ont réussi. La famille de Moussa ne pourra pas profiter des avantages financiers dont elle avait rêvé, et qui est le principal intérêt quand un membre de la famille s’exile en France puisque « L’île regorge de vieillards […] et de femmes d’émigrés encerclées par une marmaille qui consomme à crédit sur la foi d’un hypothétique mandat » (Diome 41). C’est donc un échec financier auquel

Moussa doit faire face devant sa famille et la seule issue pour ce jeune homme est de se donner la mort.

Moussa, comme beaucoup d’autres jeunes dans l’ile, a préféré ne pas écouter les mises en gardes de l’instituteur Ndétare qui leur a souvent dit de se méfier car « La France, ce n’est pas le paradis. Ne vous laissez pas prendre dans le filet de l’émigration » (Diome 131).

Les mots de l’instituteur n’ont pas fait le poids contre l’eldorado défini par l’homme de

Barbès car après tout n’a t-il pas obtenu une position importante au sein de la communauté

130 quand il est revenu de France ? Rien en France ne s’est déroulé de la façon dont le jeune

Moussa l’avait rêvé et tout ce qu’il aura vu de la France sont les vestiaires du gymnase, jamais il ne verra les boutiques ni les appartements dont parlait l’homme de Barbès. Ce besoin de partir Edward Saïd34 l’explique dans son livre Orientalism35 (1978) où la représentation de l’Orient fondée sur l’idée de supériorité de l’Europe est telle qu’elle installe, dans les esprits des Africains, une notion d’infériorité pour les pays anciennement colonisés. Difficile donc pour ces hommes de s’identifier à une culture dite « inférieure ».

Finalement Diome souligne que la colonisation mentale a remplacé la colonisation, elle affirme dans son livre qu’ « Après la colonisation historiquement reconnue, règne maintenant une sorte de colonisation mentale » (60).

Dans Le ventre de l’Atlantique Madické représente donc la jeunesse africaine qui, poussée par ses rêves de succès, refuse de voir que la solution pour une vie meilleure n’est pas en France puisque là-bas déraciné, elle vivra dans la solitude tout comme Salie qui affirme que:

Je pensais à ma vie solitaire en Europe, où personne ne se soucie de mes

allées et venue (…) : la liberté totale, l’autonomie absolue (…), la solitude. Que

signifie la liberté, sinon le néant quand elle n’est plus relative à autrui ? Le

34 “Eduard Said, who has died aged 67, was one of the leading literary critics of the last quarter of the 20th century. As professor of English and comparative literature at Columbia University, New York, he was widely regarded as the outstanding representative of the post-structuralist left in America … The broadness of Said’s approach to literature and his other great love, classical music, eludes easy categorization. His most influential book, Orientalism (1978), is credited with helping to change the direction of several disciplines by exposing an unholy alliance between the enlightenment and colonialism” (Ruthven).

35 “Orientalism appeared at an opportune time, enabling upwardly mobile academics from non-western countries (many of whom came from families who had benefited from colonialism) to take advantage of the mood of political correctness it helped to engender by associating themselves with “narratives of oppression”, creating successful careers out of transmitting, interpreting and debating representations of non-western “other” (Ruthven).

131 monde s’offre, mais il n’enlace personne et ne se lasse pas enlacer. (Diome

219)

En faisant rester Madické à Niodior Fatou Diome souligne que rester est plus important que partir, pour cette jeunesse en quête d’un rêve qui n’existe pas. Pour ces jeunes, la solution n’est pas dans l’exil car s’ils restent ils seront ceux qui pourront changer l’Afrique. Le bonheur se trouve dans ses racines et pas dans un leurre de fortune ou on omet de

« révéler le dessous des cartes » (Diome 286). Diome dans Le ventre de l’Atlantique insiste sur l’importance de rester fidèles à ses valeurs culturelles, et qu’il est possible de ne pas céder à la suprématie française et que le bonheur et la réussite peuvent aussi se trouver en

Afrique. Réussir n’est pas réservé à ceux qui s’exilent en France, Madické restera à Niodior ou il sera heureux avec son petit commerce, mais pour ceux qui continuent de voir l’exil comme une solution alors il est important de connaître les difficultés de l’émigration.

Diome a suivi, avec ce roman, les pas de Mariama Bâ dans le développement d’une

écriture féminine, et elle s’est de surcroit octroyée une écriture unique. Tout comme Bâ,

Diome propose une position d’observation et non pas de pouvoir pour la femme africaine puisque cette dernière continue à être victime des coutumes ancestrales. Peut-être pourrait-on voir dans le texte de Fatou Diome une suite au roman de Mariama Bâ, une histoire qui aurait pu être celle d’Aïssatou émigrée non pas aux Etats-Unis mais en France.

Pour Aïssatou l’exil a été la solution contre la polygamie, pour Salie c’est une fatalité qui, en même temps, lui a permis d’échapper à son statut d’enfant illégitime qui l’isolait dans un

état d’étrangère dans son propre village. L’exil de la jeune femme n’a jamais été pour des raisons politiques ou économiques. À nouveau ce sont les traditions qui ont poussé Salie à

132 quitter Niodior puisque le père de Salie ne lui a laissé qu’un nom étranger la laissant sans lignée directe et que les étrangers ne sont pas acceptés dans l’île. Salie aurait pu effacer à jamais L’Afrique et embrasser entièrement sa nouvelle terre d’accueil mais «Dans le domaine identitaire, on n’efface jamais tout à fait les expériences vécues au cours des ans, on n’abandonne pas impunément l’apprentissage de la vie fait ici et là. Chacun doit harmoniser les différentes facettes d’un soi multiforme et vivre sa vie, en paix avec sa propre histoire » (Volet). Tout comme Ramatoulaye c’est l’écriture qui permet à Salie de trouver la tranquillité, bien que cela l’éloigne ironiquement des femmes de Niodior puisque

« Chaque cahier rempli, chaque livre lu, chaque dictionnaire consulté est une brique supplémentaire sur le mur qui se dresse entre elles et moi » (Diome 196). C’est aussi le divorce de Salie qui l’éloigne encore un peu plus des femmes de Niodior, tout comme le divorce d’Aïssatou l’avait éloignée des femmes de la ville. Refusant de se soumettre aux traditions rigides, Salie devient de plus en plus étrangère aux femmes de son village. À travers le rejet des femmes de Niodior il y a cette déchirure de l’auteure entre le pays d’accueil et celui de ses racines; l’héroïne s’interroge sur son identité et affirme que

« L’Afrique et l’Europe se demandent perplexes, quel bout de moi leur appartient » (Diome

294). L’écriture pour Salie, comme pour Ramatoulaye, lui permet de se situer dans ce monde. C’est aussi son dernier point d’attache avec Niodior puisque c’est là que sa grand- mère habite et d’ou viennent ses racines, « Elle [sa grand-mère] est le phare planté dans le ventre de l’Atlantique pour redonner, après chaque tempête, une direction à ma navigation solitaire » (Diome 220). Niodior est le centre émotionnel de la narratrice et la France le centre de sa réussite matérielle. L’émigration entre l’Afrique et la France est loin d’être tout à fait claire puisqu’elle varie entre l’enthousiasme de l’ailleurs, menant à la réussite

133 personnelle, à la liberté d’expression lié à un nouveau mode de vie tout en passant par la solitude et les pièges de l’immigration. Salie, personnage hybride36 n’appartenant ni à la

France ni à Niodior, se forge son propre espace à travers l’écriture où « Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité » (Diome 122), un concept intéressant puisque le nom même de l’héroïne Salie signifie « dignité ». On trouvera dans Le ventre de l’Atlantique un roman engagé et ce dialogue avec le lecteur que nous propose Diome, Bâ nous l’avait aussi proposé dans Une si longue lettre.

3-3-2 Calixthe Beyala : Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000)

Les textes de Calixthe Beyala ne sont pas complètement autobiographiques comme ceux de Fatou Diome, mais ses quatre romans C’est le soleil qui m’a brulée (1987), Tu t’appelleras

Tanga (1988), Seul le Diable le savait (1990), et Le petit Prince de Belleville (1992) peuvent

être considérés comme un chemin parcouru pour arriver à l’auteure qu’elle est devenue aujourd’hui. On retrouve dans tous les textes de Beyala l’obsession de l’auteure pour le corps de la femme et la sexualité avec comme toile de fond le statut de l’exilée. Dans C’est le soleil qui m’a brulée37 Beyala insiste sur l’agressivité et l’autorité des hommes envers les femmes, dans Tu t’appelleras Tanga c’est la mort de la femme qui plane tout au long du roman et dans Seul le Diable le savait38 Beyala pour la première fois émet l’idée d’une

36 Dans le sens où deux éléments de nature différente sont rassemblés. 37 L’héroïne s’appelle Ateba, c’est une jeune femme de 19 ans qui vit chez sa tante despotique depuis de nombreuses années. La soumission de la jeune fille cache un tempérament très fort et « Il lui faudra se bruler à tous les soleils, à tous les feux du désir, de la coutume, de traditions sclérosées dans leurs aspects les plus oppressifs, pour enfin se découvrir elle-même.. » (Beyala, C’est le soleil qui m’a brulée Quatrième de couverture)

38 Mégrita vit dans le village de Wuel avec sa mère qui est en ménage avec deux hommes. Autour de ces personnages principaux « viennent s’imbriquer dans celles des premiers : le chef du village et ses nombreuses femmes qu’il est incapable de satisfaire ; Mégang le Prêtresse Goîtrée, puissante et influente grâce à sa magie ; l’Étranger dont la beauté, le

134 éventuelle collaboration entre l’homme et la femme puisqu’ils partagent les mêmes idéaux et choisissent un seul et même chemin, pour un temps tout au moins. Pour ces trois romans

Beyala insiste sur le problème des adolescentes africaines qui doivent mener un combat constant contre la société patriarcale et les abus sexuels. Pour notre étude il est important de remarquer que les trois premiers textes se passent en Afrique et que deux d’entre eux révèlent le départ du personnage principal pour l’Occident, alors que Le petit Prince de

Belleville se passe dès le début dans une banlieue de Paris où la vie de l’exilé est mise à nue.

Pour Le petit Prince de Belleville c’est l’aboutissement de cette adolescence à l’âge adulte que nous dépeint Beyala en gardant comme toile de fond les sujets qui la préoccupent le plus c’est à dire les traditions, le pouvoir qu’exercent les hommes sur les femmes mais surtout le pouvoir qu’ont les femmes africaines dans la possibilité de redessiner une nouvelle condition pour elles-mêmes. Tout comme Fatou Diome, ce n’est pas la corruption, les exigences d’une société patriarcale et la condition primaire de la femme que Beyala regrette en exil, mais ce qui lui manque par dessus tout c’est la culture africaine et les racines de tout un peuple. En comparaison aux auteures telle que Ken Bugul qui dans un récit autobiographique décrit un séjour en Europe, marqué par la douleur de vivre loin de l’Afrique puis le retour réparateur, l’écriture de Beyala est différente puisqu’elle adresse le problème de la société africaine d’aujourd’hui. Tout comme Diome, elle insiste sur le désir de la population africaine de quitter l’Afrique pour des raisons économiques, politiques ou culturelles. Ce n’est plus la France de la réussite que décrit Beyala mais plutôt la difficulté

courage et le pouvoir magique font chavirer toutes les femmes du village, notamment Ngono la dernière épouse du chef et Mégri elle-même avec qui il aura un enfant ; Laetitia, « la créatrice », « la garce », fille d’une beauté sans égale, sensuelle, émancipée (vivant librement sa sexualité) et révoltée à l’extrême, meurtrière de ses deux amants Pascal et Donga et la seule amie de Mégri » (Kindo 176).

135 de retourner en Afrique pour ceux qui s’y sont exilés. L’auteure souligne aussi l’hybridité des exilés influencés par la culture africaine et européenne.

J’ai choisi un autre texte de Beyala pour ce chapitre parce qu’elle est l’une des auteures les plus importantes de la littérature féminine sub-saharienne aujourd’hui et que ces textes ont aidé à amener la littérature féminine là où elle est aujourd’hui. Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000), qui est le dixième roman de Calixthe Beyala, est l’histoire d’Aïssatou, exilée camerounaise, et dont le métier est de nettoyer les toilettes publiques à

Paris. Aïssatou est allée à l’école en France et se considère plutôt comme une « Négresse blanche » fière de sa peau noire et qui veut garder l’allure des femmes parisiennes.

L’héroïne essaie désespérément de séduire son voisin de palier Souleymane Bolobolo à travers des plats africains qu’elle lui cuisine. Malgré les nombreuses recettes que donne le livre, certaines françaises d’autres définitivement africaines, c’est surtout un livre qui traite de la vie parisienne d’une exilée camerounaise, dont la vie est influencée par deux milieux culturels différents et qui s’aperçoit que « l’exil a bouleversé [ses] repères » (Beyala

Comment cuisiner son mari à l’africaine 22). Bien que Beyala ne le mentionne pas, nous pouvons deviner que l’histoire se passe à Belleville, lieu privilégié de l’auteure puisqu’elle y a vécu pendant quelques années. La ressemblance ne s’arrête pas ici avec l’histoire de l’auteure puisqu’Aïssatou est elle aussi une émigrée camerounaise. Bien que l’éditeur du roman nous présente Aïssatou comme une Parisienne « pure Black », Beyala commence son roman avec cette affirmation: « j’ignore quand je suis devenue blanche » (Comment cuisiner son mari à l’africaine 19), affirmation qui reflète le débat intérieur de l’émigrée quant à son identité: doit-elle adopter la culture française, garder sa différence ethnique ou bien accepter le pluralisme identitaire des immigrées ?

136 Aïssatou s’identifie à la femme blanche, en abandonnant les rondeurs de la femme africaine pour la minceur de la parisienne. Cette identification avec la femme blanche se retrouve jusque dans l’hygiène alimentaire puisque, afin de garder cette ligne parisienne,

Aïssatou ne mange, au diner, que trois carottes et une soupe en sachet, ce qui est différent du discours qu’elle tient au bar avec une grosse femme quand elle décrit à cette dernière ce qu’elle mange :

Et je lui cite, exaltée, les mets succulents dont mes entrailles se régalent

depuis ma naissance: le cop au vin, arrosé d’un bon beaujolais nouveau; les

épaules d’agneau aux champignons noirs, le ris de veau à la crème fraîche et

le couscous mouton à la tunisienne. Je continue mon énumération jusqu’à ce

que je voie deux larmes poindre au bord de ses paupières. (Beyala Comment

cuisiner son mari à l’africaine 21-22)

Aïssatou, plutôt que d’avouer le régime draconien qu’elle suit pour garder la ligne, préfère mentir en affirmant que sa minceur est « une question de nature » (Beyala, Comment cuisiner son mari à l’africaine 22). Tous les plats qu’Aïssatou mentionnent sont des plats français, et elle y ajoute même le couscous. Ce plat est entré dans la cuisine française mais le fait qu’il soit mentionné ici comme « à la tunisienne » insiste sur l’éloignement géographique du plat tout en le rapprochant du lieu de préparation. La cuisine magrébine a largement influencée la cuisine française d’aujourd’hui, montrant ainsi l’impact de la culture des émigrés dans la société française. On trouve aujourd’hui dans les supermarchés français une grande variété de nourriture ou d’ingrédients venant du Vietnam ou d’Afrique

137 du Nord, ce qui n’est pas encore complètement le cas de la nourriture provenant de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale mis à part la cuisine sénégalaise que l’on retrouve un peu plus dans certains restaurants parisiens, mais pas encore dans les supermarchés. Si avec la cuisine française Aïssatou a adopté la culture française, puisque selon ses propres termes elle affirme l’apprécier, pourquoi donc s’acharne t-elle à vouloir que son corps ressemble à celui des femmes blanches? Aïssatou affirme:

Moi, je suis une Négresse blanche et la nourriture est un poison mortel pour

la séduction. Je fais chanter mon corps en épluchant mes fesses, en râpant

mes seins, convaincue qu’en martyrisant mon estomac les divinités de la

sensualité s’échapperont de mes pores. (Beyala, Comment cuisiner son mari à

l’africaine 24).

C’est donc un combat intérieur que mène Aïssatou entre son amour de la nourriture et la finesse de son corps, montrant ainsi un autre combat intérieur, celui de l’exilée qui pense devoir choisir entre ses racines ou sa nouvelle terre d’accueil. Il est intéressant de remarquer que l’utilisation des termes culinaires est omniprésente dans le texte, surtout dans les parties qui parlent de sexe, insistant sur l’idée qu’ont les Européens d’utiliser le sexe pour tout vendre. Comme les femmes des publicités françaises, Aïssatou est devenue un produit de consommation mais elle reste tiraillée par ses racines héritées d’Afrique qui lui disent que le rôle de la femme est de satisfaire son mari sexuellement, de garder la maison propre et d’être une excellente cuisinière. Aïssatou se trouve en déséquilibre identitaire permanent dans sa relation avec Bolobolo puisqu’il la met dans cette situation

138 délicate d’être avec un homme africain hors de l’Afrique. Aïssatou est culturellement perdue: « j’ai l’impression que mon discours est en décalage, espace et temps. Je sais que j’ai eu une réaction africaine où chacun mêle des casseroles étrangères » (Beyala, Comment cuisiner son mari à l’africaine 35).

À la question posée par Matateyou dans son interview avec Beyala sur l’Afrique, l’auteure répond :

L’Afrique est un continent déstructuré. N’importe qui fait n’importe quoi là-

dedans. On y est tous fou. Quand j’y vais je deviens un peu folle parce que je

ne comprends plus–je ne comprends pas–je m’interroge moi aussi comme un

gamin et c’est pour cela que j’écris. C’est un continent qui m’interroge et que

j’interroge. Personne ne peut donner la réponse et le but de l’écriture est de

trouver la réponse: c’est une quête permanente. Je suis en quête de l’Afrique

à travers mes livres. J’essaie de comprendre. (612)

L’Afrique est devenue un mystère pour ceux qui l’ont quitté, comme Beyala ils ne la reconnaissent plus. Même si, comme nous l’avons mentionné auparavant, le thème principal des romans d’aujourd’hui n’est plus l’Afrique, le continent reste toujours omniprésent en toile de fond comme une question à laquelle on ne trouve pas la bonne réponse. Mais si les émigrés ne comprennent plus l’Afrique, l’Afrique ne se reconnaît plus non plus, elle se cherche elle aussi entre son passé et son futur, et même Senghor ne pourrait plus aujourd’hui décrire cette Afrique mythique qu’il aimait raconter dans les romans de la Négritude.

139 Pour comprendre pourquoi Aïssatou a tellement de mal à trouver l’âme sœur, elle aura recours à un marabout39. Il est ici intéressant de s’attarder sur le clin d’œil que Diome et

Beyala ont pensé important de faire sur la crédibilité des marabouts. En effet dans

Comment cuisiner son mari à l’africaine, tout comme dans Le ventre de l’Atlantique les auteures font passer les marabouts pour des charlatans dont il faut se méfier. C’est en se rendant chez le marabout qu’Aïssatou fait la rencontre d’un Rastafarien40 qui, vexé parce qu’elle refuse ses avances, l’accuse d’être le fléau de l’aliénation des femmes noires en

France mettant en avant que la seule femme qui n’ait pas perdu sa « blackness » est la femme jamaïcaine puisque, d’après lui, ce sont les seules qui « n’ont pas perdu leur âme »

(Beyala, Comment cuisiner son mari à l’africaine 50). Le seul conseil que recevra Aïssatou dans sa quête ne viendra pas du marabout mais de sa femme qui affirme que c’est la maigreur d’Aïssatou qui l’empêche de trouver un homme: « T’es trop maigre, répète-t-elle.

Qu’est-ce que tu veux qu’un homme mange là-dedans ? Les os, les arêtes ou quoi ? Des os, même un chien appartenant à un Blanc n’en veut pas » (Beyala, Comment cuisiner son mari

à l’africaine 54), insinuant ici comme le souligne Hitchcott que « … like the marabout,

Aïssatou performs an ethnic identity that is self-consciously inauthentic » (217). Aïssatou finira par accepter de suivre les conseils de sa mère et de la femme du marabout en essayant d’atteindre le cœur de Bolobolo à travers son estomac. À nouveau c’est cette quête identitaire qui mène Aïssatou à ce dilemme qu’elle entretient avec les hommes puisqu’elle souhaite, en gardant la ligne, s’identifier à la femme européenne mais se rendra aux subtilités culinaires de la femme africaine pour gagner le cœur de son voisin de palier.

39 Un marabout, en Afrique subsaharienne est un sorcier ou un envouteur qui se propose de résoudre tout type de problèmes.

40 Homme qui fait partie du mouvement rastafari. Mouvement de pensée messianique originaire des Caraïbes.

140 On retrouve aussi dans les recettes du roman un mélange entre celles qui sont françaises et celles qui sont africaines. Les recettes de cuisine que donne Beyala dans son roman sont difficiles à réaliser puisque les ingrédients sont difficiles à trouver en France et que certains peuvent paraître peu appétissants pour les habitants de l’Hexagone. En effet

Beyala parle de tortue, d’antilope, de boa constructeur, de crocodile et de porc-épic soulignant ainsi que c’est là que réside le plus grand problème des exilées puisque selon

Hitchcott,:

Such recipes can also serve to reinforce the dismantling of ‘authenticity’ that

emerges in the text since ‘the consumption of foods viewed as traditional by

‘insiders’ and as at best unappetizing by ‘outsiders’ – such as crocodile and

Porcupine – is a powerful statement of identity and difference, but also a

nostalgic and ‘invented’ one. (Hitchcott 217)

En mettant par écrit les recettes de cuisine, Beyala souligne l’impact que peut avoir le pays d’accueil sur l’exilée puisqu’en Afrique les femmes n’écrivent pas leurs recettes mais comme les histoires elles s’apprennent et se disent de bouche à oreille dans le même concept que l’oralité. Tout comme l’aura fait Diome avec son héroïne Salie c’est à travers la nourriture que ces femmes peuvent vivre leur exil et garder contact avec l’Afrique et ceux qu’elles y ont laissés.

Au sexe, Beyala ajoute donc la nourriture pour montrer comment les femmes exilées arrivent à vivre leur identité surtout quand le rôle de la femme est démystifié. Hitchcott insiste sur l’idée que ce roman « suggests that migrant women select when and how to

141 speak, thus resisting any location within a space defined by language and/or culture »

(219), et ceci explique aussi pourquoi Aïssatou choisit les gestes à la parole pour communiquer avec Bolobolo. Beyala nous montre ici une identité ethnique qui a du mal à se synchroniser avec son environnement, où la France et l’Afrique deviennent un espace en pleine mutation au sein duquel l’exilée doit constamment se replacer. L’identité de l’exilée se forge ainsi à travers la cuisine. À la question de Matateyou « Vous êtes de cette génération d’Africains qui est exilée… » Beyala répond « Non, de cette génération d’Africains condamnée par cette société… » (Matateyou 613). Comme Diome et ces personnages qui se sont exilées sous la pression de la société africaine, c’est aussi la société africaine qui a exilé Beyala. L’auteure et son personnage Aïssatou ne pourrait pas vivre en

Afrique puisqu’elles ont toutes les deux besoin de liberté pour penser et que cette liberté elles ne la trouveraient pas en Afrique. Beyala affirme qu’elle serait « limitée par ces censures hâtives ou sournoises » (Cité par Matateyou 613) alors qu’en France cette censure ne l’atteint pas. L’aide que peuvent apporter Beyala et Diome à l’Afrique ne peut se faire que loin du continent africain car là-bas personne ne les écouterait mais exilées leurs voix prend un nouveau sens, une nouvelle force. Le personnage d’Aïssatou a tout comme l’auteure ce besoin d’indépendance et même si la famille est importante pour l’émigrée, elle ne veut pas avoir à supporter le poids de toute la famille. L’exil lui permet cette distance nécessaire à son épanouissement de femme. Beyala affirme que si elle habitait au

Cameroun « « [elle] n’aurait pas droit à la parole. L’exil [lui] donne la liberté qui [lui] est refusée, l’exil est [sa] survie » (Cité par Matateyou 613).

Dans son texte, Beyala réfléchit à la situation africaine actuelle en mettant l’accent sur les relations entre hommes et femmes et en insistant « sur les dangers des rêves

142 stéréotypiques de succès et de bonheur, imposés par les standards occidentaux »

(Cazenave 324), idée que l’on retrouve aussi dans le texte de Diome Le ventre de l’Atlantique. On pourra voir dans cette critique de la société africaine une écriture certainement engagée sur la destinée des femmes africaines puisque « Son approche de la condition féminine est [tout autant] radicale, en ce qu’elle soulève la question de la responsabilité des femmes dans un certain nombre d’éléments » (Cazenave 325). Pour

Beyala l’important pour la femme est de renaître, et cette renaissance ne pourra se faire qu’avec l’équité des sexes, et à travers la mise à nue des tabous; cette naissance sera « les prémices à la constitution d’une nouvelle Afrique » (Cazenave 325).

3-4 Conclusion

Fatou Diome et Calixthe Beyala ont trouvé un langage commun qui se trouve entre l’Occident et leur espace d’origine. Cherchant leurs valeurs dans ces deux mondes, ces auteures peuvent enfin dépasser le conflit culturel et idéologique. Ces auteures abordent de nouveaux sujets dans l’écriture féminine et posent un regard sur leur pays d’origine en s’efforçant de ne pas trop s’attacher à l’idée anticolonialiste. On retrouvera dans leurs

œuvres la marque des textes des années 60 où des auteurs tel que Cheikh Hamidou Kane parlaient déjà de la confrontation entre l’Afrique et l’Occident; en effet ces romans s’inspiraient de la Négritude qui accusait l’Occident d’être responsable du malheur en

Afrique. Dans la littérature féminine d’aujourd’hui on remarque que l’importance est donnée au vécu des héroïnes confrontées à un exil intérieur. Ces auteures ont choisi de

143 redéfinir une nouvelle identité : celle de l’exilée. Afin qu’elle n’ait pas à choisir entre les deux cultures l’exilée doit se créer sa propre identité car d’après Diome :

Partir, c’est avoir tous les courages pour aller accoucher de soi-même, naître

de soi étant la plus légitime des naissances (…). Partir, c’est porter en soi non

seulement tous ceux qu’on a aimés, mais aussi tous ceux qu’on détestait.

Partir, c’est devenir un tombeau ambulant rempli d’ombres, où les vivants et

les morts ont l’absence en partage. Partir, c’est mourir d’absence. On revient,

certes, mais on revient autre. Au retour, on cherche, mais on ne retrouve

jamais ceux qu’on a quittés. (Diome 262)

C’est une écriture « décentrée » que nous retrouvons chez ces auteures et qui a grandement influencée le mouvement de la migritude. Est-ce finalement le lieu de naissance ou celui de la résidence ou bien est-ce l’influence de la culture du pays d’origine qui façonne l’identité littéraire de ces auteures et de leur héroïne ? Quelle que soit la réponse, les auteures et leurs héroïnes subissent cette quête identitaire qui définit la littérature africaine féminine d’aujourd’hui. On pourrait donc conclure que Diome et Beyala à travers l’espace où elles habitent cherchent à dessiner les contours d’une Afrique nouvelle, une Afrique à construire ou à reconstruire.

144

Chapitre 4: L’engagement politique dans les textes des auteurs féminins : Werewere Liking et Véronique Tadjo

145 Ce chapitre ne traitera pas des œuvres d’auteures pendant une certaine décennie comme je l’ai fait dans les chapitres un, deux et trois mais il m’a semblé essentiel de toucher un point important de la littérature africaine que l’on retrouve plus ou moins tout au long des trois décennies étudiées, et qui est l’engagement politique des auteurs féminins africains. Pour ce faire j’ai choisi d’étudier deux textes écrits à des périodes différentes, le premier est de Véronique Tadjo L’Ombre d’Imana écrit en 2000 et le second est de

Werewere Liking L’Amour-Cent-vies écrit en 1988. Bien que douze ans séparent ces deux textes, ils partagent ce même objectif : s’engager politiquement. C’est en retraçant l’histoire de l’Afrique que ces deux auteures montrent le rôle important qu’a joué la femme africaine dans la politique du continent, africain soulignant ainsi l’importance du rôle qu’elle a encore à y jouer aujourd’hui. On s’apercevra dans l’étude de ces deux textes qu’il est impossible de comprendre l’œuvre en ignorant le contexte dans lequel celle-ci a été produite. Comme le note Kadi, « Les formes de l’évolution d’une nation ainsi que le rapport du sujet à cette nation constituent un contexte historico-culturel indispensable à l’analyse de ce texte » (32). C’est pourquoi les textes de Liking et de Tadjo sont importants à étudier quand on parle d’engagement politique, puisqu’ils montrent l’impact de ce contexte historico-culturel.

Notons que depuis les années 1970, beaucoup d’évènements ont catapulté les femmes africaines à des positions qui, il y a quelques années encore, n’auraient jamais été imaginables comme par exemple celui de l’élection d’Ellen Jonhson Sirleaf41 à la présidence

41 Née Ellen Johnson “(born October29, 1938, Monrovia, Liberia), Liberian politician and economist, who was president of Liberia form 2006. She was the first woman to be elected head of state of an African country. Johnson Sirleaf was one of three recipients … of the 2011 Nobel Prize for Peace for their efforts to further women’s right » (Encyclopedia Britannica).

146 du Libéria ou le fait que Wangari Maathaï42 du Kenya s’est vue décerner le prix Nobel de la paix en 2004 pour son projet sur la reforestation. Les femmes africaines aujourd’hui s’intéressent à des postes qu’elles n’auraient auparavant jamais imaginé pouvoir obtenir.

De plus en plus de femmes désirent participer à la vie politique et de plus en plus d’auteurs féminins sont politiquement engagées dans leurs textes. Comment peut-on définir l’engagement politique chez les auteurs féminins africains ? Jean-Paul Sartre définit l’écrivain engagé de la façon suivante:

L’écrivain « engagé » sait que la parole est action: il sait que dévoiler, c’est

changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer encore. Et

encore, il sait que les mots, comme dit Brice Parain sont des « pistolets

chargés ». S’il parle, il a choisi de tirer, il faut que ce soit comme un homme,

en visant des cibles et non pas comme un enfant au hasard, en fermant les

yeux et pour le seul plaisir d’entendre des détonations. (23)

Les auteures, en effet, dévoileront ce qui a longtemps été caché, en espérant ainsi apporter un changement. Tadjo et Liking, comme on le verra dans leurs textes, n’hésiteront pas à

« tirer ».

4-1 Aperçu historique

42 Dans le journal du «Le Monde » du 30 janvier 2005, Madame Wangari Maathaï a affirmé « Dans notre situation (celle des pays en développement), la question de base est souvent de savoir si on va sauver la biodiversité plutôt que de s’offrir des moyens de subsistance … Les pays développés peuvent nous aider à briser ce cercle vicieux en s’emparant de ces sujet, afin que la survie des gens ne dépende plus de la dégradation de leur habitat ».

147 Les colonisateurs arrivèrent en Afrique avec leurs préjugés, apportant avec eux les idées qu’ils avaient de la condition de la femme dans la société occidentale. La femme africaine colonisée a donc reçu un sort inférieur à celui de la femme européenne l’empêchant de jouer un rôle actif tout aussi bien sur le plan économique que politique. En effet les colonisateurs n’ont pas cherché à comprendre le rôle que la femme africaine avait dans la société africaine, ils ont tout simplement apporté avec eux les idées qu’ils avaient du rôle de la femme en général. Goerg affirme que:

Les colonisateurs cherchèrent rarement à adapter leur politique en fonction

des structures socio-politiques antérieures. Ils restèrent aveugles aux réalités

de pouvoir qui concernaient certaines catégories de femmes en fonction de

leur âge, de leur statut social ou encore de leur poids économique. Les rôles

politiques des femmes furent ainsi dénigrés dans le cadre de la sujétion

coloniale, qu’il s’agisse de leurs institutions spécifiques telles les sociétés

d’initiation ou les associations de marchandes, de leur participation à des

organismes collectifs (conseils de village par exemple) ou du rôle de

personnalités statuaires (reine-mère, épouses de chef). (Goerg 2)

L’arrivée du colonialisme n’a certes pas aidé les femmes africaines à régler les problèmes de la polygamie et des mariages forcés mais surtout elle a renforcé l’impossibilité dans laquelle les femmes se sont trouvées pour prendre en main leur destin.

L’éducation des femmes a donc été limitée à subvenir aux besoins de leurs maris et à

élever leurs enfants dans les traditions africaines. Ces traditions se résumaient à une

148 soumission totale des filles à leurs ainés et aux garçons. Recevoir une éducation et aller à l’école était donc inutile pour ce genre de vie. Les missionnaires, totalement opposés à l’émancipation de la femme africaine, ont renforcé l’idée que l’école n’était pas importante pour les jeunes femmes africaines. Angèle Bassolé Ouédraogo dans son article Et les

Africaines prirent la plume ! Histoire d’une conquête affirme:

Si les structures des sociétés africaines font que les femmes ont tendance à

jouer les seconds rôles, il y a aussi des facteurs externes comme l’école

interdite aux filles dès les débuts de la colonisation par les missionnaires

catholiques peu ouverts à l’émancipation féminine. Les difficultés

rencontrées de nos jours par l’école africaine […] ne permettent pas de

favoriser l’éducation et la scolarité des filles, bien au contraire, et ces

dernières sont toujours très largement délaissées. L’instruction étant un

préalable à toute prétention à l’écriture, on comprend que les femmes

exclues du processus de scolarisation ne puissent pas accéder aussi

facilement à l’écriture.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre un, l’arrivée des indépendances n’a pas été à la hauteur des espérances des femmes africaines et n’a rien fait pour leur émancipation. Il n’est donc pas surprenant de voir que quand les femmes africaines ont commencé à écrire,

« the resulting body of work was highly ‘engagée’ in matters relating to their own predicament as an oppressed group within the emergent society » (Keating 18). À l’inverse de leurs homologues masculins les auteurs féminins africains cherchent « des alternatives

149 possibles et une porte de sortie à un mode d’esprit désespérément statique et pessimiste »

(Cazenave 299). C’est en voulant sortir de ce mode d’esprit « statique et pessimiste » que les auteures se sont engagées. Borgomano insiste aussi sur le fait que « Les romans féminins récents conservent souvent des traces de l’engagement qui a longtemps été de règle dans la littérature africaine, ils s’aventurent en effet, dans tous les domaines, sans

éviter le domaine du pouvoir » (93).

En Afrique, l’écriture féminine est apparue avec le début des indépendances, dans les années 1950, début des années 1960, mais ce n’est que dix ans plus tard que cette littérature sera remarquée avec le roman de Mariama Bâ Une si longue lettre (1979) et c’est

à partir de ce roman épistolaire que les femmes écrivains ont commencé à apparaître, de plus en plus nombreuses sur la scène littéraire. L’écriture, pour les femmes africaines, les a libérées non seulement de l’oppression du colonialisme mais aussi du silence ou la société patriarcale les avait enfermées. Les premiers textes féminins étaient sous forme de romans, comme ceux de leurs homologues masculins, et quelques-uns sous forme d’autobiographie.

Nous avons vu dans le premier chapitre l’importance qu’a eu le texte de Mariama Bâ Une si longue puisque l’auteure a été la première à exprimer la colère et la douleur des femmes africaines du point de vue même des femmes, ce qui n’avait jamais été fait auparavant.

Dans les textes plus récents les auteures utiliseront leur propre voix, ce qui les obligera à

être responsables des sujets qu’elles toucheront et des opinions qu’elles émettront, et il est impossible désormais de se cacher derrière un personnage fictionnel. Ceci permet aux auteures de revendiquer leurs idées sur des sujets sociaux non pas comme simples

écrivaines mais aussi comme citoyennes, leur donnant ainsi un nouveau rôle et un nouvel impact politique. Les auteures qui s’engagent politiquement examinent, sous un autre angle,

150 leur position de femmes dans ce monde moderne qui n’est toujours pas fait pour elles, et qui a supprimé les droits et les rôles qu’elles avaient dans l’Afrique d’autrefois.

La femme dans la littérature africaine a toujours été présente, et beaucoup d’écrivains tels qu’ Ousmane Sembène et Ahmadou Kourouma ont parlé d’elles dans leur roman, mais cela reste un discours d’homme sur la femme, alors que pour les femmes africaines « le discours sur la femme doit être pris en charge par des femmes » (Têko-Agbo 39). En prenant en charge ce discours les femmes africaines peuvent, à travers l’écriture, revendiquer enfin leurs droits. Les auteurs féminins africains savent qu’il est impossible pour elles de s’engager sans affrontements. On retrouve ces affrontements dans le discours même de ces romancières qui se sont donné comme but de faire le procès d’une société

« ou plus exactement de fixer (au sens lié à la photographie) en amont la figure du coupable, c’est-à-dire celui qui maintient la femme dans une condition servile, pour mieux le combattre » (Têko-Agbo 42). On retrouvera dans les textes de Liking et de Tadjo une lutte pour s’engager et se distinguer mais aussi un désir de créer une nouvelle société.

Véronique Tadjo et Werewere Liking ont toutes les deux commencé leur carrière d’écrivains comme poète, la première avec Latérite, qui a gagné le Prix Littéraire de l’ACCT43 en 1983 et la seconde avec On ne plaisante pas avec le venin (1977). Ces deux auteures-poètes ont cependant un point commun, elles écrivent souvent en prose. En 1986

Véronique Tadjo publiera son premier roman A Vol d’oiseau, phrase apposée ce court texte de quatre vingt seize pages est divisé en vignettes, toutes en prose excepté une qui est en verse. D’Almeida définit l’écriture de Tadjo ainsi: « Tadjo uses language that is never far

43 Agence de Coopération Culturelle et Technique. Organisation intergouvernementale chargée d’intensifier la coopération culturelle et technique entre ses membres francophones. L’ACCT fut créée en 1970, elle est devenue aujourd’hui l’Organisation Internationale de la Francophonie.

151 from poetry and [which] exhibits her ability to use very simple words to create superb poetic prose » (154). Liking et Tadjo partagent aussi cet amour d’expérimenter avec la langue, la forme et le genre, ce qui les distinguera des autres auteures de l’Afrique subsaharienne, Hitchcott souligne que:

Liking and Tadjo writings signal new directions for women’s writing in Sub-

Saharan Africa, so that, towards the end of the 1980s, African women’s

literature becomes less dominated by the realist and autobiographical works

of the beginning of the decade. (« Comment cuisiner son mari à l’africaine:

Calixthe Beyala’s Recipes for Migrant Identidy » 25)

Dans ce chapitre, j’étudierai particulièrement l’œuvre de Véronique Tadjo L’Ombre d’Imana (2000) et celle de Werewere Liking L’Amour-cent-vies (1988). Ces œuvres montrent un engagement politique et social évident. Pour ces auteures, c’est à travers la connaissance de l’histoire que l’Afrique sera capable de se désengager de la corruption dans laquelle elle se trouve aujourd’hui et d’arriver ainsi à une certaine liberté. Je commencerai cette étude avec l’œuvre de Véronique Tadjo L’Ombre d’Imana, et je m’attarderai aussi quelque peu sur d’autres œuvres qui montrent elles aussi que l’auteure est une auteure engagée.

4-2 L’engagement politique dans le texte de Véronique Tadjo : L’Ombre d’Imana

152 Véronique Tadjo est née à Paris en 1955 de père ivoirien et de mère française, elle a été

élevée à Abidjan en Côte d’Ivoire. Après avoir fait ses études à Abidjan, Tadjo est allée

étudier à l’université de la Sorbonne à Paris où elle a obtenu son Doctorat. Véronique Tadjo fait partie de ces écrivains féminins qui ont intensément voyagé, elle est allée dans plusieurs pays d’Afrique, en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique Latine. Après avoir vécu au Nigeria, au Kenya et en Angleterre, Tadjo a fini par s’installer en Afrique du Sud.

Véronique Tadjo se différencie des autres auteures par son style d’écriture bien particulier qu’elle appelle « prose poétique », cette prose lui permettant de toucher un plus grand lectorat tout en gardant cette vocation militante qui caractérise ses textes. En effet, les textes de Véronique Tadjo sont diversifiés, elle a écrit de nombreux livres pour enfants qu’elle a elle-même illustrés, elle est l’auteure d’une anthologie de poésie africaine en anglais, Talking Drums (2000), ainsi que de nombreux romans dont Reine Pokou (2005) qui a reçu le Grand prix littéraire d’Afrique noire.

Pour mieux comprendre l’engagement des auteures telle que Véronique Tadjo, il est important de faire un bref résumé des problèmes récents de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire a connu depuis les années 1980 une crise économique importante. Cette crise

économique est la principale responsable du concept d’ « ivoirité44 » puisque c’est au nom de cette « ivoirité » que le gouvernement a limité la vie sociale et surtout politique des

Ivoiriens qui n’étaient pas, d’après eux, d’origine ivoirienne. Cette ivoirité a principalement

été dirigée contre Alassane Ouattara, né d’un père Burkinabé et qui convoitait la présidence.

La Côte d’Ivoire connaitra tout d’abord un coup d’état militaire le 24 décembre 1999 qui renversera Henri Konan Bédié; ce coup d’état sera suivi de près par la rébellion du 19

44 Être Ivoirien, d’après la nouvelle constitution du 23 juillet 2000 c’est être né de père et de mère ivoiriennes

153 septembre 2002 où des soldats rebelles venus du Burkina Faso ont essayé de prendre le contrôle de plusieurs grandes villes de Côte d’Ivoire. La ville d’Abidjan ne tombera pas dans les mains des rebelles et la rébellion n’occupera que la moitie nord du pays. La Côte d’Ivoire se retrouvera donc coupé en deux zones géographiques: le sud et le nord. C’est donc cette crise de la Côte d’Ivoire qui inspirera les auteures telle que Véronique Tadjo à s’engager politiquement. On retrouvera cet engagement politique et social dans plusieurs de ses

œuvres, et à la question sur le rôle des écrivains et des intellectuels dans la crise, Tadjo répond :

Les gens finissent par avoir des œillères. Il ne s’écoutent plus, ne s’entendent

plus, tout le monde parle en même temps. Notre rôle est donc de casser cet

enfermement et d’amener une autre façon de voir afin de pouvoir rétablir la

communication entre les différentes couches sociales… Nous sommes tous

coupables d’avoir laissé faire, de n’avoir pas réagi à temps ou même d’avoir

été complices. Je parle là des citoyens ordinaires parce que pour moi la classe

politique n’a fait qu’envenimer la situation. Je pense que nous souffrons

d’une élite manquant de vision. Il nous faut maintenant reconstruire avec des

gens nouveaux qui ont le sens de l’intérêt général. (Cité par Dahouda 181)

On retrouvera cette notion de « reconstruire avec des gens nouveaux » dans ses textes. Déjà dans son premier roman, Le royaume aveugle (1991), l’auteure parle d’un royaume totalitaire dirigé par le monarque Ato IV, qui ignore la pauvreté de son peuple. Ce tyran tue et punit mais sa fille Akissi et son secrétaire Karim s’unissent contre sa dictature, Ato IV

154 fera enfermer les deux rebelles. Karim, torturé, mourra en prison et Akissi donnera naissance à des jumeaux pendant que le peuple affamé prépare la révolution contre le tyran. Ce texte s’inscrit au cœur de la crise sociopolitique que la Côte d’Ivoire a connue en

1990 et la prise de position de l’auteure dans ce texte est importante puisque Tadjo jette un regard intellectuel sur la situation de son pays. C’est donc une mise en garde que l’auteure donne dans ce texte, et cette mise en garde s’adresse aux hommes politiques de la Côte d’Ivoire qui voudraient gouverner seul sans l’appui du peuple comme l’avait fait le président Houphouët45. Ce dernier a toujours refusé d’instaurer le multipartisme de son plein gré mais s’est vu dans l’obligation de le faire quand la pression populaire est devenue trop forte. Le texte de Tadjo sert de prétexte à un réquisitoire contre un pouvoir monarchique décadent:

Nous savions que Houphouët était sur la pende descendante et qu’il ne

contrôlait plus la situation politique. Par ailleurs, outre la lutte menée par

l’opposition, il était évident que des pressions extérieures avaient pesé sur sa

décision d’accepter le multipartisme. Nous avions donc un homme politique

diminué dans un pays en pleine crise économique, face à un opposant qui

bénéficiait de l’usure du pouvoir et d’un énorme désir de changement qui se

reflétait d’ailleurs un peu partout dans le monde à cette époque. (Tadjo cité

par Kadi 109)

45 “Born in Yamoussoukro, Côte d’Ivoire Oct. 18, 1905. Politician and physician who was president of Côte d’Ivoire from independence in 1960 until his death in 1993.

155 Le texte de Tadjo commence par un tremblement de terre dévastateur, et l’auteure explique dans une interview qu’elle a accordée à Janis A. Mayes pour le journal African

Writing online, qu’elle avait besoin d’une image assez forte pour montrer l’importance de l’impact négatif qu’avait eu la colonisation sur les pays africains:

I used it [the earthquake] as a metaphor of colonization and the traumatizing

effects it had on African societies as a whole. It destroyed the fabric of African

life. Already before that, the Atlantic Slave Trade had turned the world

upside down for Africans. The novel starts with people trying to salvage what

they could after a major earthquake.

C’est donc cette idée de reconstruire l’Afrique sur de nouvelles bases, autres que celles laissées par la colonisation, que Tadjo cherche à faire comprendre au peuple de la Côte d’Ivoire. Elle touche aussi dans son texte aux problèmes de la corruption laissés par la colonisation. Ces nouveaux gouvernements mis en place par les anciens colonisateurs se sont remplis les poches au détriment du peuple.

Le troisième roman de Véronique Tadjo L’ombre D’Imana (2000) montre à nouveau l’engagement politique de l’auteure. En 1998, Tadjo a été invitée, dans le cadre d’une résidence d’écrivains soutenu par la Fondation de France46, avec une dizaine d’écrivains africains à aller au Rwanda afin de témoigner sur le génocide rwandais. Loingsish parle de la difficulté de ce projet puisqu’il devait enregistrer

46 Depuis 1969, elle aide des projets concrets et innovants qui répondent aux besoins des personnes face aux problèmes posés par l’évolution rapide de la Société. Elle agit dans trois domaines : l’aide aux personnes vulnérables, le développement de la connaissance et l’environnement.

156

The memory of an event they had not witnessed directly. The five-year delay

between their journey to this spectacularly beautiful ‘land of a thousand hills’

and the horrific events the authors had to ‘remember’ also meant that they

had to rely on the imagination in order to return to the past and to

communicate the incommunicable. (86)

Le but de ce projet était donc de faire connaître davantage ce génocide non seulement en

France mais en Afrique. C’est donc un pays dévasté et marqué par la guerre et le génocide que Tadjo décrit dans ce texte de cent trente et une pages qu’elle a divisé en six sections distinctes. Le début et la fin des sections Le premier voyage et Le Deuxième voyage parlent des séjours différents de l’auteure au Rwanda. Ceux qui n’étaient pas là est le récit de deux personnes connectées avec le Rwanda mais qui étaient absents lors du génocide. Les sections La Colère des morts, Sa voix et Anastase et Anastasie sont de courtes histoires fictionnelles. Ce mélange de fiction et de récit des faits est utilisé dans ce texte car il donne un « center stage to one of Tadjo’s main concerns: the ways in which ‘truth’ and ‘fiction’, invariably operate in a complex relationship with each other, particularly where writing

Memory is concerned » (Loingsigh 87). L’auteure « témoigne, puis donne la parole à ceux qu’elle a croisés: les prisonniers, les victimes, les femmes, les malades, les enfants perdus, les refugiés, tout un peuple qui aujourd’hui raconte la douleur et la peur » (Tadjo, quatrième de couverture). Ce texte est aussi un message d’espoir puisque l’auteure insiste sur le pardon, pour que les Tutsis et les Hutus puissent continuer à vivre ensemble au

157 Rwanda. Bien qu’elle parle de pardon, Tadjo insiste néanmoins sur l’idée qu’il ne faut pas oublier.

Depuis la crise politique en Côte d’Ivoire en 2002, et son voyage au Rwanda en 1998,

Tadjo s’intéresse de plus en plus à l’histoire car, d’après l’auteure, l’histoire aide souvent à comprendre comment et pourquoi les conflits et les guerres ont commencé. Le but de ce texte était pour Tadjo de rendre hommage à la vie; en effet lors de son voyage au Rwanda, l’auteure a vu que la vie y reprenait, et elle affirme que:

Si j’étais arrivée et que je m’étais retrouvée devant la mort seule et

omniprésente, sans aucun espoir pour l’avenir, je me serais dit qu’il n’y avait

plus rien à faire, plus rien à dire, plus rien à écrire…La littérature amène les

lecteurs là ou les journalistes ou les historiens doivent s’arrêter. (Dahouda

183)

C’est donc avec cet hommage à la vie en tête que l’auteure a écrit L’Ombre d’Imana. Le titre

L’Ombre d’Imana n’a pas été choisi par hasard; en effet il rassemble les Tutsis et les Hutus puisqu’ils partagent le même Dieu Imana ainsi qu’une seule et même langue, ce qui est assez inhabituel pour un pays d’Afrique. Ce texte est dédié à la mémoire des morts et il permet d’attirer le lecteur dans la tragédie du génocide du Rwanda, lancé par le gouvernement même du Rwanda et qui d’avril à juin 1994 a fait près d’un million de victimes:

158 Je partais avec une hypothèse: ce qui s’était passé nous concernait tous. Ce

n’était pas uniquement l’affaire d’un peuple perdu dans le cœur noir de

l’Afrique. Oublier le Rwanda après le bruit et la fureur signifiait devenir

borgne, aphone, handicapée. (Tadjo 11)

Ce texte est un voyage où l’auteure nous emmène afin d’exorciser le mal et l’horreur. Bien que Tadjo n’ait pas été témoin du génocide, ce qu’elle en a vu lui a permis de reconnaître l’atrocité dont peuvent être capables non seulement les hommes mais aussi un pays. Pour

Tadjo il était important de faire connaître davantage les détails de ce génocide afin de pouvoir le pardonner car, pour l’auteure, rien n’est pire que le silence et l’indifférence.

Tadjo affirme que « le silence est pire que tout » et qu’il est important de « Détruire l’indifférence » (36). Pour l’auteure il est primordial d’informer par l’écriture puisque cette

écriture permet non seulement de réveiller la mémoire collective mais d’y inscrire aussi de tels évènements et, « … above all, such crimes must be recorded by the written word in order to remain forever in the collective Memory » (Lee 83). L’écriture est donc essentielle dans le texte de Tadjo, ce qui confirme l’idée que Barthes47 avait à propos de l’écriture quand il affirmait: « l’écriture est une acte de solidarité historique » (14). C’est effectivement cette solidarité que Tadjo cherche à recréer avec ce texte. Pour Tadjo la confrontation entre l’écrivain et la société dans laquelle il vit est essentielle, l’écriture permet non seulement de préserver la véracité des faits mais surtout de casser le silence, de détruire l’indifférence et de comprendre les raisons qui ont amené un peuple à agir de la

47 “(Born Nov. 12, 1915, Cherbourg, France – died March 25, 1980, Paris), French essayist and social and literary critic whose writings on semiotics, the formal study of symbols and signs pioneered by Ferdinand de Saussure, helped establish structuralism and the New Criticism as leading intellectual movements” (Encyclopedia Britannica).

159 sorte. C’est donc à travers l’écriture que l’auteure peut se distancer et atteindre cette liberté de s’exprimer. Lee affirme que « Furthermore, to write, and in this instance to write about History, is to distance herself [Tadjo] from the oral tradition and its communal mindset in order to exercise her freedom to think outside the group » (83).

C’est donc en s’autorisant cette liberté individuelle de penser que Tadjo parle de ce génocide et même si l’idée de ce génocide est insupportable, l’idée de ceux qui l’ont commis l’est davantage. La question de la fin de la première partie du texte Le Premier voyage est enfin posée : quelles peuvent être les origines d’un tel massacre ? Qui peut tuer de sang froid ? Comment peut-on être capable de commettre de telles horreurs ? À ces questions,

Tadjo répond en invoquant les mensonges du gouvernement, sous forme de propagande, qui ont amené au massacre des Tutsis. En racontant ce qu’un journaliste rwandais lui a confié quant à ces mensonges, et à ceux qui ont été assez fous pour les croire, Tadjo s’engage davantage dans la recherche des faits et des raisons qui ont déclenché ce massacre quand elle affirme que:

Dans les premiers jours du génocide, les membres du gouvernement

intérimaire hutu lancèrent une campagne de désinformation […] ils

réussirent ainsi à convaincre une grande partie de l’opinion publique que les

massacres étaient dus à une explosion aussi imprévisible qu’incontrôlable de

violence tribale. Beaucoup d’entre nous se laissèrent prendre au piège. Leurs

manières étaient si courtoises, leur langage si sophistiqué et leurs costumes

si élégants que nous ne pouvions croire qu’ils étaient déterminés à

exterminer les Tutsis. (Tadjo 42)

160

Ce qui ressort de cette partie du texte de Véronique Tadjo, c’est la façon dont les gouvernements sont capables de diriger et d’influencer la population, mais aussi l’importance du contexte historique dans l’identité d’un pays. Pour comprendre les raisons de ce génocide il est important de faire un retour en arrière dans l’histoire du Rwanda pour voir comment est née une telle animosité entre les Hutus et les Tutsis. Tout d’abord les différences ethniques entre les Hutus et les Tutsis ont existés bien avant la colonisation mais ces différences n’ont jamais mené à des confrontations. Ce sont les colonisateurs qui ont insisté sur les différences des deux ethnicités, et particulièrement sur leurs différences physiques. Les premiers colons allemands puis ensuite belges reconnurent chez les Hutus et leurs traits négroïdes une ethnicité inférieure à celles des Tutsis qui en comparaison aux

Hutus de peaux noires, de petites tailles et trapus, étaient beaucoup plus pales de peaux, grands, et ressemblaient plus au profil européen. Les colonisateurs en déduisirent que les

Tutsis devaient être les descendants directs des Égyptiens ou des Éthiopiens. Une alliance entre les Tutsis, même s’ils étaient minoritaires au Rwanda, et les Belges s’est donc formée et les Tutsis se sont vu donner des postes importants dans la société coloniale. Le fossé entre les Tutsis et les Hutus s’est creusé davantage quand en 1934 les Belges ont donné des cartes d’identité à chaque Rwandais suivant leur ethnicité, soulignant davantage la supériorité des Tutsis sur les Hutus. Les Tutsis ont pendant longtemps joui de positions privilégiées dans l’administration et dans la politique. Le contexte historico-culturel est ici de la plus grande importance puisque depuis les colonies, les Hutus ont été traités comme inférieurs, créant ainsi une inégalité sociale entre les Tutsis et les Hutus. De l’inégalité à la haine il n’y a qu’un pas que les Hutus ont franchi en 1994. Depuis la décolonisation Tadjo

161 souligne que le gouvernement Rwandais s’est toujours préoccupé de la question de l’identité ethnique afin de garder cette instabilité et ce malaise entre les Tutsis et les Hutus.

Tadjo accuse le monde d’avoir détourné les yeux du Rwanda, elle affirme qu’ « une force militaire d’intervention de modeste envergure aurait pourtant pu arrêter les extrémistes et mettre rapidement fin à leurs plans. Au lieu de cela, les Nations unies rechignèrent à jouer leur rôle » (43). Bien que ce soient les Français qui les premiers se sont engagés au Rwanda,

Tadjo affirme que malgré les vies qu’ils ont sauvés, ils ont aussi laissé « un grand nombre de meurtriers […] s’échapper en utilisant la ‘zone humanitaire’ comme couloir de protection » (43). Tadjo va encore plus loin puisqu’elle accuse la Belgique et la France d’être en quelque sorte responsables du génocide de 1994. Tadjo écrit:

Ainsi, on peut dire que la France et la Belgique continuèrent jusqu’au bout à

soutenir un régime génocidaire car pour eux, seule la majorité ethnique

Hutue était garante de démocratie au Rwanda. Mais les massacres furent bel

et bien le résultat des manipulations politiques de l’élite qui créa un climat de

haine et de division en poussant la majorité ethnique contre la minorité afin

de garder le pouvoir. (43)

Tadjo termine son accusation par cette phrase essentielle: « Nous portons tous la responsabilité de cet échec humanitaire » (43), soulignant ainsi que nous sommes tous coupables, certains pour n’avoir rien fait et d’autres pour avoir poussé ce génocide.

À la fin de la première partie Le Premier voyage Tadjo choisit de raconter l’histoire d’une légende urbaine. Cette légende raconte l’histoire d’une mère qui malade, violée et

162 dépossédée de tout, retourne chez elle et tombe amoureuse de l’homme qui a tué son fils unique. On pourrait se demander pourquoi Tadjo a choisi cette légende plutôt que de raconter une histoire vraie ? La réponse se trouve peut-être dans le fait que l’auteure aurait refusé d’arriver à des conclusions simples puisque « Certainly this myth hints at the devastating gendered nature of aspects of the violence, but it refuses to lapse into facile condemnation – or glib endorsement – of any particular individual’s reaction to events »

(Loingsigh 93).

Dans cette partie, et tout au long de ce texte, Tadjo préfère se concentrer sur les questions plutôt que sur les réponses, puisque les réponses peuvent, d’après l’auteure varier selon les questions:

Est-ce que cette histoire est vraie ? A-t-elle été inventée pour décourager les

mariages inter-ethniques ? Est-ce pour montrer comment les meurtriers se

mêlent encore à la population ? […] L’amour de cette femme est-il

condamnable ? L’homme s’est-il racheté ? (47)

Pour Véronique Tadjo on ne peut pas toujours se fier aux réponses car les témoignages

« rely paradoxically on memory, which is notoriously unreliable, and they rarely present a new perspective on suffering that has been endured an described by thousands, or even millions » (Loingsigh 93). L’auteure souligne aussi que les questions n’ont pas toujours de réponse.

Influencée par son premier voyage Tadjo raconte l’histoire d’Isaro dans Sa voix. Isaro reçoit un appel téléphonique et la voix de cette personne ressemble étrangement à celle de

163 son défunt mari, Romain, qui s’est donné la mort parce qu’il avait été accusé d’avoir tué une famille entière pendant le génocide. La voix est celle d’un des rescapés du massacre qui aurait été perpétré par Romain. Isaro accepte de rencontrer l’homme et l’on suppose que c’est la générosité de cet homme qui permettra à Isaro de se réconcilier avec le passé. Cette histoire nous rapproche de celle de Jean-Baptiste dans Le premier voyage, car comme pour

Jean-Baptiste, le lecteur ne sait pas si Romain est coupable ou non du crime dont on l’accuse, et ce n’est pas là la priorité de Tadjo. Ce que l’auteure recherche ici c’est de démontrer qu’il est possible pour deux personnes, qui a première vue aurait tout pour se détester, d’arriver à une entente qui leur permettrait de vivre ensemble, trouvant ainsi une certaine réconciliation avec le passé. Romain affirme:

- J’ai perdu ceux que j’aimais le plus pendant le génocide […]. Jamais je ne les

oublierai. Jamais. Ils resteront en moi toute ma vie et je sais que personne ne

pourra les remplacer. Mais après tourtes ces longues années, je sais qu’il ne

faut pas laisser le temps s’immobiliser. Il faut prendre avec soi le souvenir et

le mêler à la vie. Ne pas le séparer de la vie, mais l’intégrer. (Tadjo 67)

La partie Anastase et Anastasie est probablement la plus difficile et la plus pessimiste des histoires puisqu’elle souligne les atrocités de la violence. En effet Anastasie est violée par son frère Anastase et c’est ici la première mort de la jeune femme, une mort donnée par son propre frère. Tadjo souligne « Elle n’existait plus. Comment allait-elle pouvoir se relever ?

Faire face aux autres ? Son esprit se détacha de son corps, flotta dans la chambre et se cogna au plafond. Ce fut sa première mort » (76). Anastasie mourra physiquement cette

164 fois pendant le génocide. En faisant mourir Anastasie deux fois dans l’histoire, Tadjo souligne que la violence ne vient pas seulement de la colonisation mais aussi de l’Afrique même c’est à dire de la violence sur les Africains par les Africains, ce qui aux yeux de l’auteure est plus grave. L’auteure fera donc parler les morts pour pouvoir comprendre.

Dans la seconde partie du texte, Tadjo imagine la colère des morts. Tadjo, dans ce passage s’éloigne à nouveaux des faits pour rentrer dans l’imaginaire où les morts reviennent hanter les vivants. Ils veulent savoir pourquoi ils ont été tués. L’esprit d’un homme dont la tête a été coupée se fâche parce que les vivants sont incapables de lui dire la raison pour laquelle il est mort. On est obligé de faire venir un sage pour l’apaiser et surtout l’empêcher de chercher vengeance parmi les vivants: « Nous supplions les morts de ne pas accroitre la misère dans laquelle le pays se morfond, de ne pas venir tourmenter les vivants même s’ils ne méritent pas leur pardon » (57). Tadjo ne voit pas de futur pour l’Afrique tant que les Africains ne pourront pas se débarrasser de la haine qu’ils portent dans leur cœur.

Aucun témoin n’était supposé survivre ce génocide, donc personne ne devait témoigner de ce massacre. Pour Tadjo il était donc nécessaire d’écrire, de s’engager politiquement, d’étaler les faits tels qu’ils sont, mais surtout sans juger. Se souvenir est ce qui pour l’auteure est important, Tadjo affirmant « Oui, se souvenir. Témoigner. C’est ce qui nous reste pour combattre le passé et restaurer notre humanité (94). L’auteure conclura: « Je ne suis pas guérie du Rwanda. On n’exorcise pas le Rwanda. Le danger est toujours là, tapi dans les mémoires, tapi dans la brousse, aux frontières du pays » (131). Le Rwanda fait parti de nous tous et Véronique Tadjo, dans ce texte, n’apporte aucune solution ni réponse aux causes de ce génocide, elle étale les faits et explique la douleur de toute une nation,

165 mais souligne qu’il est impossible d’oublier car on sait déjà que dans l’oubli « Notre humanité est en danger » (Tadjo 113).

L’Ombre d’Imana est un mélange de fiction et de commémoration. Séparer la vérité du mensonge ou les innocents des coupables n’est pas une tâche facile car « … justice depends on truth, and truth, as L’Ombre d’Imana so powerfully reveals, is invariably tainted by lies and ambiguities » (Loingsigh 102). Dans L’Ombre d’Imana, Tadjo utilise l’écriture comme moyen de sauvegarder la mémoire collective du génocide du Rwanda, en insistant sur la futilité de trouver la vérité toute la vérité, car ce n’est pas la vérité qui est importante.

Le quatrième roman de Véronique Tadjo Reine Pokou (2005), qui a reçu le Grand Prix

Littéraire d’Afrique Noire, nous emmène à nouveau dans un voyage à travers l’histoire africaine. L’auteure questionne le passé pour interpréter le présent, y aurait-il un lien entre la dérive actuelle de l’Afrique et la colonisation ? Ce texte assez court de quatre-vingt onze pages, raconte l’histoire de la reine Baoulé48 qui a dû s’enfuir hors de Kumasi49 avec ses partisans à la suite d’une guerre de succession. Cette histoire parle de la légende de tout un peuple et insiste sur l’Afrique, comme une terre ravagée par des conflits armés quasi permanents. C’est donc l’histoire de la Côte d’Ivoire que nous raconte ici l’auteure puisqu’après avoir connu une longue période de paix, la Côte d’Ivoire se retrouve aujourd’hui dans une situation assez précaire où la guerre peut éclater à tout moment. La

Côte d’Ivoire, comme beaucoup d’autres pays d’Afrique, souffre:

48 Un peuple de la Côte d’Ivoire « vivant dans la grande majorité au centre du pays. Ils sont environ trois millions d’individu et font partie du groupe Akan. Au XVIIe siècle ils sont guidés par les membres du clan royal baoulé avec à leur tête la Reine Abla Pokou. Le nom baoulé ou « ba ou li » veut dire l’enfant est mort. Ce sacrifice a donné droit à la traversée du fleuve Comoé alors qu’ils étaient poursuivit par l’ennemi » (Yao 3).

49 Principales villes du Ghana, et la capitale de la région Ashanti.

166 D’une inadéquation entre les frontières officielles et artificielles parce

qu’elles ont été héritées de la colonisation, et celles dessinées par les

multiples ethnies du pays. Un pays où un Baoulé peut se sentir plus proche

de son voisin ghanéen que de certains de ses compatriotes musulmans

ivoiriens. (Dahouda 180)

Le fait que les Baoulés viennent originairement du Ghana devrait permettre aux Ivoiriens d’apprendre à coexister entre eux et à accepter leurs différences. Pour Tadjo « Ce pan de l’histoire peut aider à relativiser la question de « l’ivoirité » en faveur d’une réconciliation nationale qui transcende les considérations ethniques » (Dahouda 182).

On aura vu dans les textes de Tadjo et plus particulièrement dans celui de L’Ombre d’Imana, un besoin certain de l’auteure de s’engager. S’engager pour l’auteure c’est faire un retour en arrière dans l’histoire, parce que c’est dans l’histoire que l’on trouve les réponses aux problèmes de l’Afrique d’aujourd’hui. Une auteure aussi engagée que Véronique Tadjo est la camerounaise Werewere Liking. En effet avec L’Amour-cent-vies (1988) l’auteure recrée « les mythes fondateurs, les remodèle à sa guise pour tenter de donner une explication au monde » (Dolisane-Ebosse). Pour Mircea Eliade, spécialiste de l’histoire des religions, et Liking le mythe « raconte une histoire sacrée ; il relate un évènement qui a lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements (…) les personnages des mythes sont des êtres surnaturels. Ils sont connus par ce qu’ils ont fait dans les temps prestigieux des « commencements » » (Cité par Dolisane-Ebosse).

167 4-3 L’engagement politique dans le texte de Werewere Liking : L’Amour-cent-vies

Werewere Liking est née en 1950 au Cameroun à Bondé, mais elle vit en Côte d’Ivoire depuis 1978. Liking a été élevée par ses grands-parents paternels dans un environnement traditionnel, et son intérêt littéraire s’est d’abord porté sur la littérature plus traditionnelle avec une concentration sur les rituels de la région Bassa50. Werewere Liking a commencé à publier en 1977 et elle « s’impose comme une figure importante, non seulement de la littérature féminine, mais également d’un nouveau type d’écriture à mi-chemin entre la performance, la poésie et la fiction » (Moudileno 19). Irène D’Almeida affirme que Liking est:

A woman with vision. She has been very critical of contemporary African

society, where she can see no plan for the future, either in individual lives or

within a larger community that lacks political leadership. Therefore, she has

devised a personal plan of cultural revival in which art and ritual play a

pivotal role. (125)

Dans son interview avec Afrik.com l’auteure affirme qu’il est nécessaire pour l’Afrique de se prendre en main:

Je pense qu’il y a effectivement une démission de beaucoup d’Africains, à tous

les niveaux…Ailleurs aussi, les gens n’avaient pas les moyens, mais ils se sont

50 « Les Bassa sont un peuple Bantu autochtone du Cameroun, qui s’étend jusqu’en Afrique de l’Ouest, où il continue plusieurs foyers. Sa dislocation est née non seulement des mouvements migratoires qui sont à l’origine de l’éparpillement de certaines grandes tribus, mais aussi du fait de la colonisation » (Ntep).

168 battus et continuent à se battre pour convaincre d’autres personnes de

s’investir dans leurs projets. Je pense qu’avant de responsabiliser qui que ce

soit d’autre, nous devons d’abord nous responsabiliser. Personne ne viendra

développer ce continent à notre place, ça c’est certain ! (Gbadamassi)

Werewere Liking est principalement connue comme dramatiste et est sans aucun doute la femme la plus connue dans le monde du théâtre féminin africain, son théâtre à Abidjan Ki- yi Mbock51 est de renommé internationale. Liking est aussi peintre et musicienne et auteure de quatorze textes publiés. À la différence de sa compatriote Calixthe Beyala, les textes de Liking restent liés à la culture Bassa et apparaissent ainsi beaucoup plus difficile à comprendre et à lire que les textes de Beyala. La raison de cette difficulté repose dans le fait que Liking n’est pas allée à l’école française au Cameroun mais a reçu une éducation dans la tradition Bassa, ce qui veut dire que les connaissance que l’auteure a de l’Ouest se sont faites à travers ses voyages et ses études et non pas à travers son éducation. Bien que

Liking connaisse très bien la littérature française, l’auteure rejette ce style et adopte son propre style. La difficulté des textes de Liking se trouve dans le style même de l’auteure, un mélange de poésie, de prose, de dialogue et d’incantation :

Advocating the legitimate subverting of rigid genre boundaries, she [Liking]

points to an African Aesthetics characterized by ‘(a) a greater liberty that

51 “In 1985 the Cameroonian artist Werewere Liking founded the Village Ki-Yi M’Bock (signifying “ultimate knowledge” in Liking’s native Bassa language) in the bustling capital of Côte d’Ivoire. Today the Ki-Yi is a co-operative “village” within the heart of Abidjan and home to some fifty-odd resident artists of diverse traditions, ages, and origins: dancers, actors, puppeteers, sculptors, painters, costume designers, sound and light technicians, and musicians, among others” (Mielly)

169 strikes down all genres, and (b) deployment of symbolic elements not just for

their meaning and content (the signified), but also and especially for the

texture and sensuality of the signs themselves. (Adams 153)

On retrouvera ce même style dans Orphée-dafric (1981), Elle sera de jaspe et de corail

(1983) et L’Amour-cent-vies (1988). Avant d’écrire son premier livre, Liking est allée dans plusieurs pays africains pour rechercher les différentes formes d’oralité et les résultats de ses recherches lui ont permis d’ajouter une certaine richesse à ses textes. Le théâtre de

Liking, d’après Richard Bjornson « is the concept of staging ‘modern plays that are intended to fulfill the same healing, community-reinforcing function that rituals performed in traditional society” (448), et c’est ce concept que l’on retrouve dans son texte L’amour-cent- vies où le lecteur finit par se questionner sur sa propre responsabilité dans les problèmes de la société. Plus importante encore est l’idée de Liking que la femme est nécessaire au développement politique et social de l’Afrique; on retrouvera donc dans ses textes l’importance du rôle de la mère, de la solidarité mais surtout l’importance de créer une alliance entre l’homme et la femme, car la femme n’est pas la seule à tout perdre dans la société africaine patriarcale. Pour Liking, les femmes ont le pouvoir de rétablir l’équilibre des sociétés corrompus et appauvris en utilisant une forme plus moderne des traditions et rituels d’autrefois. C’est donc d’un temps lointain dont parle Liking, un temps bien avant la colonisation, un temps ou l’homme et la femme africains étaient unis :

Il était une fois…

Et Dieu créa l’homme

170 Et l’homme était double,

Et l’homme était siamois comme Janus.

Il avait toujours une sœur à l’envers

Elle était pile et lui était face.

Dieu créa ainsi l’homme pour qu’il puisse gagner à tous les jeux, à tous les

coups, à pile ou face. Mais un méchant ange ainé de l’homme qui avait été

créé seul […] lui enseigne la tricherie, et l’homme se mit à jouer sur les coins

pour ne pas tomber sur sa double face. Alors, Dieu se fâcha et sépara

l’homme de son double. […] Mais le pire des supplices, c’est quand il court

ainsi toute une vie et ne découvre qu’à sa mort que son double était juste

derrière lui. (Liking, L’amour-cent-vies 11)

Ce n’est que quand l’homme reconnaîtra à nouveau la femme comme son double qu’il pourra vraiment exister et la société africaine avec lui. Pour Liking il est important de rattacher le passé non seulement avec ses traditions mais surtout avec ses rituels les plus profonds, et c’est ce qu’elle montre dans son texte L’Amour-cent-vies, puisque pour Liking affirme que :

Le rituel d’hier permettait au groupe décidé à ne pas déchoir, de redécouvrir

des rapports profonds et d’assurer sa propre thérapeutique: il revivait ses

angoisses et ses maladies devant ses Dieux et ses Esprits depuis la cause

première jusqu’au retour de l’harmonie. Aussi s’est-on demandé pourquoi de

nos jours où le monde est particulièrement bouleversé, et le monde africain

171 en particulier, le rituel a disparu alors qu’il devenait plus que jamais

nécessaire. (Cité par D’Almeida 124)

Éloïse Brière affirme que le passé « a été volontairement gommé de la mémoire nationale depuis l’indépendance […] stratégie de la colonisation qui niait le passé du colonisé afin de l’enfermer hors du temps » (« Recycler l’histoire de la décolonisation : fiction et lieux de mémoire »147). Il est donc important d’étudier ce passé pour comprendre comment le gouvernement camerounais a voulu faire oublier à la population camerounaise son histoire.

On retrouve dans ce texte des évènements politiques réels comme par exemple ; ceux du coup d’État manqué de 1984, la grève estudiantine de 1980 et la persécution des professeurs universitaires. En effet les universités étaient perçues comme:

… Le lieu de recrutement des différentes formes d’élites qualifiées mais

également le lieu d’opposition clandestines et réprimées contre le régime de

Félix Houphouët-Boigny… À plusieurs reprises des universitaires et des

enseignants du secondaire qui ont pris position et émis des critiques du

régime – que ce soit individuellement ou par le biais de leur syndicat – ont

été arrêtés, condamnés, emprisonnés, exilés, « rééduqués » dans des camps

militaires. (Proteau 363)

Bien que le personnage principal du texte ne soit pas Ruben Um Nyobe, il est la clé du texte L’Amour-cent-vies. Ruben Um Nyobe était le fondateur et le leader du parti nationaliste UPC, l’Union des Populations du Cameroun, créé en 1948. Ce parti a été l’un

172 des premiers à demander l’indépendance du Cameroun. Ruben Um Nyobe s’est rendu plusieurs fois au siège des Nations Unies à New York pour parler de l’importance pour le

Cameroun de gouverner seul, c’est-à-dire sans la domination française. Bien que la France ait reçu des Nations Unies le message de mettre en place de nouvelles réformes politiques au Cameroun, la France a eu peur d’instaurer ces reformes qui d’après elle auraient favorisé l’UPC ce qui lui aurait ainsi enlevé l’emprise qu’elle avait déjà sur les réformes politiques en place. La France a fait courir le bruit que le parti UPC avait pour rôle de promouvoir le communisme au Cameroun, et en 1955 l’administration coloniale française a banni le parti UPC et ses dirigeants. Um Nyobe s’est refugié dans le maquis et le 13 septembre 1958, il a été tué par les forces armées françaises, à quarante-cinq ans. Son corps, après avoir été mutilé, a été exposé publiquement, envoyant ainsi un message de terreur à ceux qui auraient encore voulu défier la France et le gouvernement d’Ahidjo52.

Après la mort de Um Nyobe le parti UPC a été dissolu pour faire place à un gouvernement néocolonial contrôlé par la France et toute trace de l’existence de Um Nyobe a été effacée, ceux qui mentionnaient son nom étaient immédiatement arrêtés et enfermés, reléguant ainsi les évènements des années 1950 à un souvenir « au fond de la mémoire populaire »

(Brière, « Recycler l’histoire de la décolonisation : fiction et lieux de mémoire » 147). Le parti UPC est aujourd’hui encore un mouvement insurrectionnel mais qui est devenu « un symbole de droiture et de résistance face au pouvoir illégitime, qu’il soit colonial ou autre »

52 S’appuyant sur son parti, l’Union camerounaise, et grâce au maintien des troupes françaises, il poursuit la lutte contre la rébellion de l’Union des populations camerounaises (UPC) en pays bassa et barniléké : ainsi c’est dans une atmosphère de guerre civile que sont célébrées les fêtes de l’indépendance du Cameroun, le 1er janvier 1960. Ahidjo est élu, le 5 mai 1960, président de la République, et son premier geste est de proclamer l’amnistie générale et inconditionnelle en faveur de ceux qui acceptent de quitter les rangs des maquisards de l’UPC » (Encyclopedia Unversalis).

173 (Brière « Recycler l’histoire de la décolonisation : fiction et lieux de mémoire » 148). C’est donc de ce symbole dont va parler Liking dans L’amour-cent-vies.

Ruben Um Nyobe deviendra donc Roumben dans le texte de Liking, il ne sera pas le personnage principal du texte mais la toile de fond qui permettra de faire resurgir la mémoire populaire enfouie du Cameroun. Le personnage principal se nomme Lem et ce jeune homme est perturbé parce qu’il n’arrive pas à s’adapter au monde néocolonialiste dans lequel il vit. En effet, le gouvernement force les citoyens à vivre dans une dépendance totale effaçant ainsi toutes traces du héros de la résistance qu’était le chef du parti de l’UPC.

Cette dépendance est maintenue par une énorme « machine-goutte » qui diffuse quotidiennement une dose au peuple qui l’attend impatiemment. Le lecteur pourra reconnaître facilement le gouvernement dans la « machine-goutte » qui maintient de cette façon toute une population dans une sorte de prison/coma où la porte de l’avenir leur est fermée, ainsi le gouvernement maintient la population dans la plus grande ignorance. Ne pouvant connaître son passé ni envisager son futur Lem sombre dans une déprime suicidaire. De plus, les sentiments que Lem ressent pour sa grand-mère ne sont pas normaux puisqu’il est sexuellement attiré par elle; « le suicide lui semble alors être le seul moyen de sortir du double enfer créé par cette attraction insupportable aussi bien que par l’incarcération temporelle du régime postcolonial » (Brière, « Recycler l’histoire de la décolonisation : fiction et lieux de mémoire » 149). On verra plus tard que cette attraction pour sa grand-mère s’explique parce que le corps de cette dernière était un refuge pour

Roumben et donc pour Lem.

C’est après avoir participé à une grève des étudiants de son université, soutenue par son mentor le professeur Ziworé, que Lem retourne dans son village où il retrouvera sa

174 grand-mère Madjo. La raison qui a déclenché cette grève est la lutte contre l’appareil institutionnel appelé « Machine-goutte », « Il s’agit d’une machine cannibale qui, sous le couvert du renouveau, affame et maintient les individus sous perfusion alimentaire »

(Liking, L’amour-cent-vies 36). Les répressions contre cette grève sont énormes et les

étudiants pour la plupart son obligés de quitter la ville: « Hélas, en sourdine, la liste des désolidarisés s’allongeait et menaçait d’atteindre l’unanimité sans que la machine ne se décidât à remettre le compteur en marche ! Il fallait fuir la ville pour le village où il y a du manioc pour tous » (Liking, L’amour-cent-vies 39). C’est donc de retour au village que Lem rencontre sa grand-mère, et plus particulièrement au pied d’un arbre auquel Lem veut se pendre à l’aide de cordons ombilicaux. On pourrait ici reconnaître le Cameroun, dans l’image du cordon ombilical donnant un message aux lecteurs que le Cameroun dans lequel vit Lem est l’outil du suicide de tout un peuple. C’est grâce à Madjo que Lem « commence une initiation qui lui ouvre les voies de la connaissance et de la mémoire » (Ndinda 64). La première découverte de Lem est cruciale puisqu’elle lui apprend que Madjo n’est autre que son double:

Est-ce dans l’exaltation de ces instants insolites qu’il comprit intuitivement

qu’il se trouvait devant son double, son amour-cent-vies qui le suivait depuis

l’aube des temps pour lui permettre d’évoluer et qu’il réussirait encore à lui

montrer la route de son inéluctable destin de guerrier ? (Liking, L’amour-

cent-vies 14)

175 En effet Madjo et Lem remontent loin dans l’histoire et l’on apprend que Madjo, qui s’appelait alors Ngo Dal Djob, a été l’amante de Lem, qui n’est autre que la réincarnation de

Roumben, dans cette vie antérieure. L’envie de Lem pour sa grand-mère s’explique donc dans l’histoire de Roumben. Cette découverte met fin aux désirs suicidaires de Lem puisqu’il comprend enfin la raison de son attirance pour Madjo. En effet cette attirance n’est plus honteuse ou perverse puisque c’est grâce à cette relation que Roumben a souvent pu échappé aux soldats qui le recherchaient puisque c’est dans le corps même de Madjo qu’il pouvait échapper à la police, en se fondant en elle. Liking décrit cette symbiose ainsi:

« Elle s’ouvrit, et il la pénétra. Elle l’absorba. Il l’habita, et elle habilla son esprit de sa chair.

Quand les pênes cédèrent et que les nègres s’engouffrèrent dans la chambrette, Ngo Kal

Djob semblait dormir… Ils cherchèrent Roumben partout » (Liking, L’amour-cent-vies 121).

Cette union se répète jusqu’au jour où il est tué par les soldats « le treize d’un mauvais mois » (Liking, L’amour-cent-vies 131). Afin de pouvoir rester en contact avec Ngo Kal Djob, même dans la mort, Roumben se réincarne dans la peau d’un nouveau né, Lem Liam

Mianga. Grâce aux récits de sa grand-mère et des autres femmes de sa famille Lem entendra l’histoire de la résistance du Cameroun, il pourra enfin comprendre d’où il vient et envisager son futur. Il comprendra enfin les raisons pour lesquelles il a du mal à vivre dans cette société et les pulsions sexuelles qu’il éprouve envers sa grand-mère. Lem découvre qu’il est la réincarnation de Roumben puisqu’il est né au moment même de la mort de ce dernier. C’est donc cette découverte du passé qui libère Lem, en effet c’est « … à travers l’histoire de Lem, [que] le peuple Camerounais ne sera ni pleinement autonome ni en possession de tous ses moyens que lorsqu’il aura intégré son passé anticolonial » (Brière,

« Recycler l’histoire de la décolonisation : fiction et lieux de mémoire. » 150).

176 Lem et Madjo sont dans ce texte le point commun de trois histoires, celle de Soudjata

Keita et de Solon Kédjou, celle de Roumben et de Ngo Kal Djob et celle de Lem et de Madjo.

Liking insiste sur la destinée incroyable de ces deux personnages puisqu’ils ont marqué

« l’histoire du continent à deux reprises: celle de la formation des grands empires, et celle de la colonisation » (Ndinda 68). Le nom même de Lem Liam Mianga est significatif, ce nom veut dire « manière de jeter des ponts » (Liking, L’amour-cent-vies 9), Lem étant en effet celui qui tend un pont entre le passé, le présent et le futur du pays. C’est donc au moment où Lem comprend enfin sa destinée que Madjo disparaît, ayant accompli l’initiation de son petit-fils à son destin de libérateur; en effet « L’initiation entreprise par Madjo sur son petit-fils est donc un travail de restauration de la mémoire, pour que nul n’oublie, et afin que Lem sache qu’il a été choisi par le destin pour continuer les actions des élus qu’ont été

Soudjata, Sogolon Jata, Chaka Zoulou, Ruben Um Nyobè » (Ndinda 69).

Liking dans ce texte souligne que c’est de cette mémoire dont les anciens colonisateurs ont peur, parce que c’est cette mémoire même qui libèrera à nouveau les Africains. C’est donc aux écrivains africains d’aujourd’hui de prendre en charge la réinsertion de l’histoire.

Brière résume le but de Liking dans ce texte quand elle affirme que:

Tant que le discours social français sur la colonisation se sentira menacé par

des versions de l’histoire non conformes à la fable nationale, le vaste lieu de

mémoire que constitue l’empire colonial français restera dans l’ombre en

métropole, alors qu’en Afrique il voit le jour dans les romans. (« Recycler

l’histoire de la décolonisation : fiction et lieux de mémoire. » 151)

177 C’est pourquoi le message de Liking dans son texte L’Amour-cent-vies est non seulement un message d’espoir mais aussi une renaissance:

Ce que je voudrais, ce que j’aimerais, c’est tout simplement nous redonner

espoir et courage, à nous tous, aux jeunes en général et aux Africains en

particulier, à nous tous qui désespérons de la pourriture, de la corruption, de

l’injustice, et attendons du ciel l’apocalypse salvatrice. Je crois que nous les

évoquons pour avoir bonne conscience dans notre renoncement, dans notre

irresponsabilité…

Il y a toujours eu … et il y aura toujours des renaissances…

Mais les renaissances, ça se prépare ! (Liking 157)

L’engagement politique et social de l’auteure est clair dans ce texte; on trouve dans les pages de ce "chant-roman53", une attaque du système postcolonial qui entend garder son peuple dans la plus grande ignorance possible de son histoire afin de le diriger comme il le désire. La particularité de ce texte est que Liking mélange l’histoire et la fiction en insistant sur l’idée que « Le passé de l’Afrique est l’avenir de l’humanité » (Liking 157). En résumé le texte L’Amour-cent-vies « reinvents received tradition while at the same time claiming the historicity of women’s role » (Willey 545).

4-4 Conclusion

53 Une manière très accentuée d’alterner le chant et la narration

178 Les auteures telles que Tadjo et Liking « refusent la fausse alternative selon laquelle l’écrivain devrait choisir entre l’allégeance à des modèles occidentaux ou la solidarité inconditionnelle avec une identité nationale plus ou moins folklorique » (Chevrier,

Littérature d’Afrique noire de langue française 109).

Les écrits de ces auteures suggèrent que si l’Afrique va si mal, cela tient en partie au fait que les femmes ne participent pratiquement pas au pouvoir politique. En conséquence,

« les femmes doivent prendre sur elles-mêmes de mettre un terme au cercle vicieux dans lequel la société s’est enfermée, et ce en rejetant les faux rêves de réussite liés à une apparence sociale calquée sur le modèle occidentale » (Cazenave 325).

Les auteures telles que Werewere Liking et Véronique Tadjo posent des questions, mais elles ne donnent pas vraiment de réponses dans leurs textes. On trouvera parmi ces questions, un intérêt particulier pour l’existence de la femme dans la société africaine,

Cazenave affirme à propos de ces questions, qu’elles sont :

Des questions de survie, d’existence, de co-existence pour la femme, dans un

système qui l’exploite, où elle se trouve démunie, privée de soutien moral et

financier, face à ce qui n’est qu’un reste de cellule familiale. Par ce

changement de focalisation, les écrivains femmes en sont venues à aborder

des questions d’ordre social et politique, leur écriture prenant, de fait, une

nouvelle amplitude, plus proches de leurs consœurs anglophones dans leur

engagement et la promotion d’une image de la femme africaine plus forte.

(332)

179 Pour les auteurs féminins africains que nous avons étudiées dans ce chapitre il est évident que leur engagement dans la politique est essentiel, et c’est à travers leurs textes qu’elles se battent le mieux, mélangeant la poésie et la politique, pour faire passer le message. Liking affirme:

Je me préoccupe de l’Afrique, de ses contradictions, de ses aspirations

conscientes ou inconscientes, de ses échecs, de ses tares… J’ai mission

d’utiliser les outils dont je dispose pour la défense de la collectivité. Je ne sais

pas si un artiste de mon genre pout se passer de la politique. C’est la politique

qui opère tout et pour réorienter nos destinées, l’artiste doit la suivre. (Cité

par D’Almeida 54)

L’importance de ces textes réside dans le fait que les auteures soulignent le rôle essentiel que les femmes ont joué dans l’évolution de la société africaine. Pour le texte de

Liking c’est à travers les trois périodes, celle du passé lointain, du passé plus récent et enfin du présent, que l’auteure affirme le rôle clé de la femme. En effet la femme africaine conteste la suffisance de la société africaine et offre en retour sa sagesse, son sang, et sa détermination afin d’obtenir une vie meilleure. Dans son texte Liking affirme que les noms et les personnages dont elle parle ont vraiment existé mais que l’histoire qu’elle en a faite n’est pas tout à fait historique, ainsi l’auteure s’autorise à réécrire l’histoire de l’Afrique, en se concentrant sur le rôle important que les femmes ont à jouer. Dans son Post Avis, Liking affirme que:

180 Oui ! Les noms de personnes et lieux rappelant des personnes existantes

ou ayant existé sont vrais et ne sauraient être « pure coïncidence »…

Ils sont dans l’histoire et la mythologie africaines…

Il y en a même de célèbre: Roumben, Sounjata, Sogolon, Ngo Kal Djob, Yém

Mback, Bipol…

Il ya en a de moins célèbres: Ziworé, Lem, Gol…

Mais… Pas de précipitation ! Pas de vérité historique ici ! ( L’amour-cent-

vies 156)

En effet à travers l’histoire de Ruben Um Nyobé c’est le rôle de Ngo Kal Djob qui est le plus important pour Liking, puisque c’est à travers la volonté et la force de cette femme que

Ruben partit en guerre. Dans son texte, Liking « claims for women in African society a central role that may look feminist to a western reader, [but the author] shows that it is firmly grounded in West African history » (Willey 559). Les femmes dans les textes de

Liking sont devenues des citoyennes et c’est en tant que telles qu’elles questionnent le lecteur sur la responsabilité des peuples quant aux troubles de l’Afrique « Se pouvait-il que j’aie participé à la vente du pays ? Qu’il y ait réellement une coalition contre nos institutions, organisée par l’Étranger et que nous ayons été des instruments ? » (Liking, L’amour-cent- vies 52).

On trouve, dans les textes que nous avons étudiés dans ce chapitre, une confrontation entre l’auteure et la société, et pour la Camerounaise et la Côte d’Ivoirienne, la femme africaine a une mission révolutionnaire, celle de sauver l’humanité. C’est donc un réquisitoire contre le pouvoir autocratique décadent que nous offrent Véronique Tadjo et

181 Werewere Liking, mais ce réquisitoire contient néanmoins un message d’espoir ; quand l’Afrique aura reconnu l’importance de la participation de la femme africaine dans les décisions politiques et sociales alors l’Afrique avancera. Il est essentiel, d’après ces auteures, que l’homme retrouve l’union qu’il avait avec la femme, et qu’il réinstalle l’équilibre perdu, car après tout la femme africaine n’est pas la seule à tout perdre dans cette crise. Enfin le lecteur devra écarter les fausses pistes et les idées reçues:

Il devra se remettre en question pour se rendre disponible à de nouvelles

approches, faire face à l’Histoire et aux injustices, suivant les chemins tantôt

balisés, tantôt estompés afin de déceler le trace, écartant les impasses, se

déplaçant au gré du mouvement proposé qui mènera bien souvent au-delà du

langage, vers l’inattendu, pour maitriser la mort, la dissolution et frayer à son

tour de nouvelles voies (embranchements) qui poursuivront la texture et les

composants du schéma lancé. (Tissières 147)

182

Conclusion

183 Comme nous l’avons souligné dans les chapitres précédents la littérature féminine d’Afrique Sub-saharienne est une littérature « riche, diversifiée et engagée » (Kane) qui depuis ses débuts vers la fin des années 1970 jusqu'à aujourd’hui n’a cessé de s’imposer sur la scène internationale. La division des trois premiers chapitres en décennies nous a permis de couvrir la littérature féminine subsaharienne de 1980 à 2010, révélant ainsi les inquiétudes des auteures au travers des années. Pour cette étude, mon choix s’est porté sur des auteures qui ont marqué la littérature africaine, non seulement par les thèmes qu’elles ont abordés mais aussi par cette nouvelle forme d’écriture féminine qu’elles ont imposée.

Dans le chapitre quatre l’étude du texte de Véronique Tadjo L’Ombre d’Imana et celui de

Werewere Liking L’Amour-cent-vies nous a permis de voir l’engagement politique des auteurs féminins au travers de ces vingt dernières années.

Le premier chapitre, consacré aux années 80, nous a permis d’étudier Mariama Bâ et

Angèle Rawiri, pionnières de la littérature féminine africaine avec des textes qui, même s’ils n’ont pas été les premiers, ont ouvert la porte de la littérature africaine aux auteures des générations suivantes. Le texte Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ est considéré comme le premier texte qui a vraiment marqué le début de la littérature féminine africaine, c’est donc pour cette raison que je l’ai choisi. Quant à l’auteure Gabonaise Angèle Rawiri, elle a été la première femme de lettres gabonaises, confirmant que l’écriture féminine s’étend au delà du Sénégal. Calixthe Beyala et Ken Bugul nous ont permis de découvrir, dans le chapitre deux, une nouvelle forme de féminisme ainsi que les nouvelles préoccupations des auteurs féminins des années 1990. Cette étude a montré l’impact que les textes de l’auteure camerounaise ont eu dans la littérature francophone puisque pour la première fois une auteure donnait une place privilégiée aux destins des femmes. S'agissant

184 de Ken Bugul, c’est l’existence même de la femme, dans la communauté, qui l’intéresse dans le roman que nous avons étudié. Nous avons vu que pour la Sénégalaise Ken Bugul le retour en Afrique pour la femme africaine est important car en exil cette dernière perd toute notion d’appartenance. Quant à Calixthe Beyala et Fatou Diome, elles montrent parfaitement les préoccupations des femmes africaines des années 2000, puisqu’elles représentent cette génération d’auteures qui vivent et écrivent en exile. Comme nous l’avons vu dans le chapitre trois la particularité de ces auteures est qu’elles se concentrent sur la recherche identitaire de la femme africaine en exile.

C’est à la question de ce qui a poussé les femmes à écrire depuis 1979 que j’ai essayé de répondre dans cette étude. On a vu que les différentes préoccupations de ces auteures ont tenu une place importante dans leur motivation. Dans La femme et la littérature en Afrique:

Un engagement socioculturel et politique Kane affirme que c’est dans la réponse aux questions suivantes que l’on trouve ce qui a motivé ces femmes à écrire :

Que cherche t-on à exprimer en mettant ses opinions par écrit et en les

partageant avec d’autres ? Quelle dimension de son humanité l’écrivain met-

il en exergue en partageant des sentiments parfois intimes et d’autres plus

universelles à la portée de tous ? Est-ce simplement la volonté de réveiller les

consciences ou y aurait-il derrière cette pseudo exhibition une réelle

sensibilité aux êtres et aux choses et une volonté certaine de dénoncer, de

secouer et de prendre les consciences non pas en otage mais à bras le corps.

185 Nous avons vu dans les textes que j’ai choisis que c’est d’abord cette « volonté certaine de dénoncer, de secouer » qui a poussé les auteures africaines à écrire mais aussi le besoin de critiquer la façon dont certaines traditions sont utilisées aujourd’hui. Dans les textes que nous avons étudiés, les auteures ne rejettent pas en bloc toutes les traditions africaines, mais celles qu’elles considèrent comme faisant obstacle à l’émancipation de la femme africaine.

Dans le premier chapitre, je me suis penchée sur des textes qui ont été écrits vers la fin des années 70, début des années 1980. Dans le texte de Mariama Bâ Une si longue lette

(1979) et celui d’Angèle Rawiri Elonga (1980) il était important de reconnaître que ces deux romans ont ouvert la porte à la littérature féminine subsaharienne et ont souligné le coté « témoignage » de cette nouvelle littérature féminine. En effet ces deux textes sont des témoignages de la vie de femmes africaines écrits par des femmes africaines et sont particulièrement intéressants car ils offrent une vision de l’intérieur, c’est-à-dire du point de vue d’une Africaine placée au cœur même de sa vie en Afrique. Ces deux textes soulignent l’absence de droits des femmes dans la société patriarcale africaine, tout autant dans leur vie professionnelle que dans leur vie privée.

Dans Une si longue lettre, ce ne sont pas toutes les traditions africaines que Bâ remet en cause mais celle des abus de la polygamie, et des abus du pouvoir. Ramatoulaye accueillant

Aïssatou de façon traditionnelle, montre que ce n’est pas toutes les traditions que l’auteure remet en cause, ni la communauté africaine que Bâ, à travers Ramatoulaye, veut changer mais la condition des femmes africaines qu’elle dénonce et qu’elle veut améliorer. L’auteure, et par elle la femme africaine, se révolte pour la première fois dans ce texte contre l’homme africain qui ne respecte plus la femme, mais aussi contre l’élite intellectuelle qui excuse

186 cette conduite empêchant ainsi la femme africaine de s’émanciper. Mariama Bâ montre que si certaines femmes, comme le personnage d’Aïssatou, trouvent la solution dans l’exil, pour elles partir n’est pas la solution. Pour l’auteure rester pour changer l’Afrique est et doit rester la mission de la femme africaine. En faisant rester Ramatoulaye, Bâ souligne que le changement doit se faire de l’intérieur, c’est à dire de l’Afrique, et pour ce faire la femme africaine doit intégrer une nouvelle identité qui rassemble des éléments traditionnels et modernes; « rather than break with her society, she attempts to work from within »

(Mortimer 76). Cette nouvelle identité de la femme africaine ainsi que l’idée d’exil seront des thèmes repris et développés dans les textes des auteures des générations suivantes.

Pour Jean-Marie Volet choisir entre la décision de rester de Ramatoulaye et celle de partir d’Aïssatou « revient à décider la mesure dans laquelle le pouvoir de partir ou l’obligation de rester influence l’idée qu’une personne se fait de sa liberté » (La parole aux africaines 161-

162).

Mariama Bâ ne juge pas sévèrement tous les hommes, mais elle se permet de juger ceux qu’elle a côtoyés et qui ont montré cet « esprit réducteur » (Volet, La parole aux africaines

169) qu’elle décrit dans Une si longue lettre. Bâ regarde ce qui se passe autour d’elle, elle regarde son passé et sa condition actuelle et se permet de comparer la condition de la femme africaine d’aujourd’hui avec celle d’hier. Cette comparaison, pour l’auteure, n’est pas

à l’avantage de la femme africaine d’aujourd’hui. Bâ et Rawiri ne seront pas en mesure de rejeter les coutumes qui les rattachent aux exigences d’une société patriarcale car elles « en ont été nourries dès l’enfance, à leurs sources rigides » (Bâ, Une si longue lettre 18). Mais si elles ne les rejettent pas complètement elles commencent à se rebeller. L’auteure voit un espoir pour la condition de la femme africaine dans les générations futures. Angèle Rawiri,

187 qui même à travers son choix de faire mourir son personnage principal Ziza, verra elle aussi cet espoir pour les générations futures.

Ziza, l’héroïne du texte de Rawiri Elonga, insistera sur l’idée que la femme africaine peut obtenir son indépendance économique en Afrique, même si l’auteure pense que les hommes ne sont pas encore prêts à la laisser faire. L’auteure passe un long moment dans la deuxième partie de son récit à décrire la vie professionnelle de son héroïne, en prenant soin de souligner que ce n’est pas le travail traditionnel donné aux femmes par les hommes que Ziza effectue mais bien un travail à part entière qui inspire respect et admiration tout comme le serait un travail effectué par un homme; en effet Ziza affirme: « Ma maison de couture se trouve à un tournant de son histoire… Très prochainement, elle sera considérée comme l’une des premières de notre continent » (Rawiri, Elonga 183). Dans ce texte Rawiri nous montre que Ziza n’est pas seule, il y a d’autres femmes qui ont elles aussi obtenu leur indépendance économique, « toutes les femmes ou presque travaillent et peuvent, par conséquent, subvenir à leurs besoins » (Elonga 48). Rawiri propose un changement de certaines traditions dans son texte puisqu’à la mort de Ziza, c’est son amie Elombo qui reprend la maison de couture et non pas, comme le veut la tradition et comme on l’a vu dans le texte de Mariama Bâ avec la mort de Modou, les hommes et la famille qui dépouillent la femme de tout ses biens pendant le partage de la succession. Ici la femme n’est pas dépossédée et c’est à la personne la mieux qualifiée et à même de continuer l’œuvre de Ziza que revient l’entreprise.

Dans les textes de Bâ et de Rawiri, les femmes jouent un rôle important qui est celui

« de promouvoir de nouvelles valeurs, non encore tout à fait claires, mais dont l’essence première est la liberté individuelle de la femme, sa personnalité et sa dignité » (Rawiri,

188 Elonga 43). Dans ces deux romans rien n’est vraiment gagné dans la lutte pour l’émancipation de la femme africaine. Pour Angèle Rawiri et Mariama Bâ les vaincus d’aujourd’hui seront certainement les vainqueurs de demain et auront « tout loisir de revoir leur stratégie, de parler, penser, agir, en bref de vivre » (Volet, La parole aux africaines 151). Ces auteures se sont concentrées sur les problèmes de la femme africaine moderne, puisque les indépendances n’ont pas apporté la libération espérée.

La déception des indépendances a joué un grand rôle dans la littérature féminine africaine. En effet, après les indépendances les femmes africaines ont continué à être victimes des chaines sociales séculaires, et afin de lutter contre leur situation, elles se sont mises à dénoncer dans leurs textes leur statut de prisonnières, victimes d’une société entièrement patriarcale, ainsi que de mettre à jour des pratiques telle que la polygamie, insistant sur « le malaise de la nouvelle femme africaine » (Volet, La parole aux africaines

154). On aura vu dans le texte de Mariama Bâ les balbutiements d’un débat qui prendra plus d’importance chez les auteures des générations suivantes. Les indépendances n’ont certes pas apporté la liberté ni la participation politique que la femme africaine avait espéré, et la violence a remplacé l’espoir que les femmes avaient mis dans les nouveaux gouvernements. En effet tout comme les chefs d’état qui ont fait preuve de violence sur leur peuple, les maris ont reporté cette violence, qui n’est pas toujours physique, sur les femmes.

C’est à la suite de cette violence et de cette exclusion que les romancières ont choisi de donner à leurs héroïnes une situation de pouvoir qu’elles n’avaient pas dans la vie réelle.

Volet affirme que les premiers romans féminins « exprime [nt] les espérances de la première génération de romancières d’Afrique qui, en dépit de la lueur d’espoir qui brillait

189 dans le lointain, remarque que, un quart de siècle après les Indépendances, la société est lente à s’adapter aux exigences d’un monde nouveau (La parole aux africaines 177).

L’étude de ces deux textes, Une si longue lettre et Elonga, nous a montré un désir des auteures de restructurer le monde en y introduisant de nouvelles valeurs. Le monde dans lequel vivent ces femmes est souvent cruel pour la femme particulièrement quand la mort s’en mêle et qu’avec elle on assiste à un déferlement de puissances négatives comme nous l’avons vu pour les personnages d’Une si longue lettre ainsi que pour ceux d’Elonga. Même si ces personnages sortent blessés de leur expérience avec la vie, ce « qui compte n’est pas tant ce qui est perdu par le système que ce qui est gagné par l’individu qui a la faculté de découvrir la portée de son pouvoir afin d’échapper aux forces destructives potentielles qui l’entourent » (Volet, La parole aux africaines 337).

Bâ et Rawiri ont commencé à écrire pour montrer leur colère contre l’arrogance masculine. Elles ont donné aux femmes une voix ainsi que la parole, et ces auteures ont trouvé « dans l’écriture un moyen d’assurer leur survie et le droit d’exister. Sous forme de confessions, elles [les femmes] racontent la recherche par la plume de mots pour dire »

(Drame). Pour Bâ et Rawiri, la femme africaine doit reconnaître son rôle éducatif, Hélène

Cixous écrit à ce propos: « Woman must put herself into the text – as into the world and into history – by her own movement » (875). Bâ et Rawiri insistent à travers leurs personnages sur « la minceur de la liberté accordée à la femme » (Bâ, Une si longue lettre

43) en Afrique. C’est donc la voix refoulée des femmes africaines que le lecteur découvre pour la première fois dans les textes des années 1980, les femmes rompant enfin un silence imposé par la société traditionnelle africaine, comme le souligne Bâ quand elle écrit que «

Ma voix connaît trente années de silence, trente années de brimades. Elle éclate, violente,

190 tantôt sarcastique, tantôt méprisante… tu oublies que j’ai un cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l’on passe de main en main » (Bâ, Une si longue lettre 85). On aura vu dans les textes étudiés que la forme de l’écriture n’est pas ce qui importe le plus pour ces auteures mais le message qu’elles ont à transmettre. Les textes des années 1980 que nous avons étudiés insistent sur l’état financier et mental de la femme africaine aisée quand cette dernière perd toute sorte de support, qu’il vienne de son mari ou de la société.

Dans une interview donnée à Emmanuel Matateyou et parue dans le French Review en mars 1996, Calixthe Beyala affirme qu’elle a beaucoup d’admiration pour Mariama Bâ et qu’elle regrette ne pas l’avoir connue. Comme Mariama Bâ, Calixthe Beyala pense que l’homme n’est pas le seul coupable de la situation dans laquelle les femmes africaines se trouvent aujourd’hui, et elle affirme qu’elle « ne tue pas le père pour exister » (615). Beyala reconnaît que c’est grâce aux écrivaines comme Mariama Bâ qu’elle peut aujourd’hui vivre de sa plume, et espère qu’à son tour elle tracera « un chemin pour ceux qui viendront après » (Cité par Matateyou 615). Beyala et Bugul ont définitivement tracé un chemin pour les auteures des générations suivantes et nous avons vu dans le chapitre deux de cette

étude les changements qu’elles ont apportés à la littérature féminine des années 1990.

La folie chez la femme ou la femme à la recherche de son identité discutée dans le deuxième chapitre avec le texte de Beyala Tu t’appelleras Tanga et celui de Bugul Riwan ou le chemin de sable, semble indiquer le passage d’une littérature de témoignage à une littérature de révolte. Avec le roman de Calixthe Beyala Tu t’appelleras Tanga, la folie de

Tanga devient un acte de résistance contre la société patriarcale africaine. Là où Bâ et

Rawiri étaient encore restreintes dans leurs écrits, les écrivaines des années 1990 ont pu

écrire plus librement, particulièrement les auteures comme Beyala qui vivent en France.

191 Cette nouvelle liberté a permis à leurs héroïnes de tenir des propos sans contrainte par rapport à ceux de leurs prédécesseurs. On trouve dans ce texte une pression familiale qui pèse sur la femme africaine mais aussi une nouvelle relation entre la mère et la fille. Cette relation est définitivement moins traditionnelle que celle des auteures de la génération précédente. Dans le texte de Beyala la solidarité entre la mère et la fille disparaît pour faire place au rôle destructeur de la mère. Beyala nous montrera une nouvelle relation qui sera principalement basée sur l’exploitation de la fille par la mère. Par contre si la solidarité mère-fille a disparu dans les textes de Beyala, Beyala et Bugul insisteront sur l’importance de la solidarité entre les femmes. Pour l’auteure camerounaise on retrouve cette solidarité entre les personnages d’Anne-Claude et de Tanga et pour l’auteure sénégalaise entre les femmes du Serigne. Il y a dans le texte Tu t’appelleras Tanga une remise en question, par rapport au texte de Bâ, de l’amour maternelle et de la maternité qui, pour Beyala, ne font plus la grandeur de la femme africaine. Ce changement dans les relations mères-filles s’explique aussi par le comportement même des hommes et leur façon d’aborder les relations amoureuses, puisque ces derniers, dans le texte de Beyala en particulier, ont recours à la violence et au viol dans leur relation avec les femmes.

On aura pu voir que les textes des auteures des années 1990 se sont éloignés des problèmes conjugaux de la femme africaine, que l’on trouvait dans les textes de Bâ et de

Rawiri; elles se concentrent davantage sur le bilan que la femme africaine doit faire sur sa vie puisqu’il concerne directement sa survie dans une société qui l’abuse. Dans Tu t’appelleras Tanga et dans Riwan ou le chemin de sable, les deux héroïnes abordent dorénavant des questions d’ordre social quant à leur situation. Pour Beyala, l’utilisation du corps et de la sexualité sert à insister sur l’exploitation de la femme par l’homme et marque

192 « l’importance de la sexualité comme gent actif participant à la construction de la société »

(Cazenave 332). C’est donc une nouvelle femme africaine que l’on voit apparaître dans les textes des années 1990.

C’est grâce à ces personnages féminins marginalisés que les auteures peuvent aborder des sujets tabous ou différents de ceux qui avaient jusqu’à présent été développés dans l’écriture féminine. Calixthe Beyala utilisera « l’écriture du corps, une écriture de la sensation et des sens » (Gallimore Rangira 92) dans son roman Tu T’appelleras Tanga.

Beyala, pour le contenu de ses textes, est devenue l’une des écrivaines africaines les plus critiquées, mais il est évident que l’auteure a continué le combat qu’avait commencé Bâ et se bat pour « l’inclusion de la femme africaine au sein des changements sociaux et politiques de l’Afrique » (Gallimore Rangira 85). Comme les personnages masculins de Bâ ceux de Beyala sont aussi incapables de « se définir et … définir la femme au delà du corps sexuel » (Gallimore Rangira 87). Grâce à la prise de parole des auteures des années 1980, les auteures des années 1990 ont pu aborder des sujets jugés tabous tout en gardant un intérêt pour les thèmes plus traditionnels. La différence des textes des années 1990, par rapport à ceux des années 1980, se trouve dans une forme de féminisme qui pourrait, enfin, libérer les femmes africaines de l’emprise de la société patriarcale. L’Afrique reste encore l’endroit de prédilection de ces textes mais c’est une couche sociale défavorisée que nous dépeignent dorénavant ces auteures. Bien que les discours féministes de Beyala et de Bugul soit souvent différents « et proposent une diversité de féminismes et/ou de voies d’émancipation, ils restent toutefois tous deux ancrés dans l’identité africaine » (Malonga

176). L’émancipation de la femme à travers le féminisme, tel que nous l’avons décrite dans le chapitre deux, semble possible. Comme l’affirme Malonga, Calixthe Beyala et Ken Bugul

193 ont toutes les deux une similarité de destins avec leurs héroïnes car « elles les habitent, les scrutent, les façonnent de l’intérieur par une littéralité de l’introspection, voire de la confession. L’intensité de l’écriture est alors à la hauteur de l’intensité osmotique entre les auteures et leurs personnages féminins » (170).

Les deux romans qui forment le chapitre 3, Comment cuisiner son mari à l’africaine de

Calixthe Beyala et Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome n’ont plus le même environnement que celui que l’on trouvait dans les textes des années 1980. Même si l’on reste en ville, ce n’est plus le milieu bourgeois que l’on retrouve mais le milieu défavorisé de la rue. De plus ces auteures n’écrivent plus en Afrique mais en France. Ces deux textes se servent de la sexualité comme argument politique « pour arriver à un changement de la société en profondeur, ce sont les structures et données de base qu’il faut réviser/repenser,

à commencer par celles qui régissent l’interaction entre hommes et femmes » (Cazenave

333). Pour Beyala et Diome, il est nécessaire d’établir de nouvelles relations entre l’homme et la femme, et ces nouvelles relations mèneront, d’après les auteures, à une introspection libératrice de l’homme africain. Dans les textes de Beyala et de Diome, les auteures décrivent l’homme: « son profil est établi, son mode de penser et de faire, son comportement amoureux sont examinés » (Cazenave 333), mais surtout elles lui donnent une voix, et c’est cette voix qui permettra d’arriver à un dialogue libérateur entre l’homme et la femme. Dans le texte Elonga le personnage d’Igowo ressemble fortement aux descriptions que font Diome et Beyala des hommes africains, il reconnaît que Ziza et ses amies « ont longtemps été déconsidérées et défavorisées à cause des lois établies par les hommes » (Rawiri 53), mais que les hommes ont toujours du mal à accepter l’émancipation de la femme africaine. Malgré l’éducation libérale qu’Igowo a reçue, il ne peut s’empêcher

194 de ressentir un certain malaise quant au succès de Ziza, car il reste malgré tout fortement

« marqué par les préjugés du discours patriarcal » (Volet, La parole aux africaines 129).

Igowo est tiraillé entre l’admiration qu’il a pour Ziza et la jalousie qu’il ressent quant à son succès surtout quand il le compare au sien. Cette jalousie l’amène à prendre la défense des traditions de la société patriarcale africaine et il affirme qu’ « il faudrait peut-être que vous

[les femmes] vous méfiez du terme « émancipation » que les femmes ont trop souvent à la bouche. Il me semble que vous voulez rejeter en bloc les coutumes, les traditions » (Rawiri,

Elonga 130). À cette remarque d’Igowo Ziza répond qu’ « Une jeune femme d’un niveau intellectuel assez élevé, qui s’est épanouie dans de nombreuses rencontres […] devient exigeante. Elle n’accepte plus de lier son existence, même temporairement, à un homme dont la mentalité lui déplait ou qui est, socialement et intellectuellement, très au-dessous d’elle » (Rawiri, Elonga 46). C’est ce personnage indépendant de Ziza que l’on retrouvera dans les textes de Beyala et de Diome. Ken Bugul avait montré elle aussi, quelques années auparavant dans Riwan ou le chemin de sable, que les « problèmes auxquels les jeunes intellectuelles africaines sont confrontés dépassent le cadre d’un pays particulier » (Cité par Volet, La parole aux africaines 130).

La peur de l’exclusion a obligé les auteurs féminins d’Afrique à adresser un discours « qui cherche sa justification dans le code social » (Gallimore Rangira 80). Malgré ces barrières les femmes n’ont pas hésité à prendre la plume, Calixthe Beyala et Fatou Diome se sont lancées dans « une écriture beaucoup moins égoïste, une écriture sociale et sensitive …

» (Gallimore Rangira 98), elles se sont éloignées du « je » pour le remplacer par le « nous ».

Les romans de Beyala sont des attaques à la société patriarcale traditionnelle, elle est probablement l’un des premiers écrivains féminins à bousculer les règles de la littérature

195 féminine africaine. Beyala dénonce les pratiques sociales en invitant le lecteur « à suivre les péripéties les plus crues du combat sexuel des femmes africaines pour la réappropriation de leur corps, bravant la pudeur et la réserve de la femme africaine traditionnelle » (Kindo

175). L’écriture de Calixthe Beyala est donc une écriture provocante et destructrice, une

écriture violente. Beyala est l’une des premières à joindre le problème de l’immigration à celui de la femme africaine. Albert dans L'Immigration dans le roman francophone contemporain (2005) affirme que le problème de l’immigration est apparu dans la littérature africaine à partir de la colonisation. Albert reconnaît trois grandes périodes :

Ainsi, peut-on distinguer dans la représentation littéraire de l'immigration

trois périodes distinctes qui déterminent des configurations narratives

différentes. La première commence pendant la colonisation et s'achève dans

les années soixante. Pendant cette période, l'immigration est essentiellement

représentée, soit par des romans mettant en scène des travailleurs immigrés,

soit par des autobiographies d'intellectuels venus en France pour visiter le

pays ou poursuivre leurs études. La seconde période commence avec les

Indépendances et s'achève autour des années quatre vingt. [... ] En revanche,

à partir des années quatre-vingt jusqu'à nos jours, l'immigration acquiert une

grande visibilité dans les littératures francophones, au point d'en devenir un

des thèmes majeurs. (26-27)

196 Pour notre étude, c’est cette dernière période qui nous a intéressé le plus puisque c’est dans les textes féminins des années 1990 que l’immigration prendra une importance majeure.

Les auteurs féminins des années 1980 racontaient pour la première fois leurs histoires de femmes, histoires qui étaient souvent les leurs, dans la société patriarcale africaine. On trouvait aussi dans quelques textes, comme celui de Werewere Liking L’Amour-cent-vies, un engagement politique évident de l’auteure. Les romans d’aujourd’hui sont toujours des romans de protestation et de contestation qui ne se cantonnent plus seulement aux problèmes familiaux mais qui s’attaquent désormais à des domaines multiples avec en priorité le domaine du pouvoir. Les auteures n’ont pas peur d’aborder des sujets tels que la violence et les souffrances psychologiques et physiques. Beyala n’a pas peur de choquer ni de subir les commentaires de la gente masculine pour les propos qu’elle tient dans ses textes. À la réponse d’Emmanuel Matateyou quant à ces propos, l’auteure affirme:

Je choque certains Africains, j’en suis consciente. Mais ceux-là ne

m’intéressent pas, car ce sont eux qui ont conduit ce continent au bord du

gouffre. Or si je me mets à flatter ces imbéciles d’hier, ces escrocs

d’aujourd’hui, que pourrais-je apporter à l’Afrique à partir de ce moment ?

Ces gens-là, il faut leur montrer qu’ils ne sont pas le centre du monde et,

qu’en confisquant le matériel, il ne confisquent pas le monde. (606)

Le langage utilisé par Beyala n’est plus celui contrôlé de Bâ mais « le français de demain »

(Matateyou 606), l’auteure ajoute que l’écriture qu’elle utilise n’est plus « cette langue de

197 Baudelaire figée et morte quelque part. Ce ne sera pas la copie de l’Occident; ce sera quelque chose de riche; fusse-t-elle grossière, elle veut dire ce qu’elle veut dire »

(Matateyou 606). Ce sentiment de liberté du langage qui se dégage des textes écrits par

Beyala et Diome est nouveau.

Ce qui est nouveau aussi dans cette littérature c’est que ces auteures parlent de leurs deux cultures : l’africaine mais aussi la française. Pour ces auteures, l’exil est un atout qui leur permet de s’exprimer, car si elles étaient restées en Afrique elles n’auraient jamais eu la liberté d’écrire de la sorte. Cette littérature des années 2000 est donc une littérature sans frontières « dans la mesure où elle exhibe son hypotexte – autre qu’africain – et proclame son émancipation des carcans traditionnels, grâce au nouvel espace de création, celui offert par l’Europe » (Diop).

On aura vu que le thème de l’émigration est présent dans la littérature féminine africaine, même s’il est traité différemment par les auteures depuis 1980, mais c’est dans les années 2000 qu’est apparue la question de l’identité culturelle avec des textes comme

Le ventre de l’Atlantique et Comment cuisiner son mari à l’africaine. Dans ces textes, on trouve de la part des auteures une dérision « ou le sarcasme, dans le prosaïsme du langage parlé, prend souvent des allures d’exorcisme » (Diop). L’écriture pour ces auteurs féminins devient « une sorte de refuge » (Sakho). En s’exilant, les écrivaines telles que Diome et

Beyala ont choisi un chemin différent de celui de Bâ et Rawiri et c’est loin de l’Afrique qu’elles ont choisi de s’exprimer.

Il est important de souligner que les auteures telles que Fatou Diome et Calixthe Beyala dénoncent elles aussi qu’il est temps de renoncer « à une apparence sociale calquée sur le modèle occidentale » (Cazenave 325). Le texte de Fatou Diome Le ventre de l’Atlantique

198 montre les rêves mensongers importés de la France et les dangers, pour la femme africaine, de vouloir copier cette apparence occidentale.

D’après les auteures que nous avons étudiées, si l’Afrique va mal c’est à cause de la société africaine qui empêche les femmes de participer au pouvoir politique, et leurs textes montrent la nécessite et l’importance de leur participation. Odile Cazenave conclut dans

Femmes rebelles, naissance d’un nouveau roman africain au féminin (1996) que « Plus que jamais, le roman africain au féminin répond à ce principe de création. Bien plus, il passe à l’avant-garde en ce qu’il ne se limite plus simplement à la vision d’un monde chaotique à accuser ou à fuir mais évoque la possibilité d’un monde meilleur » (326).

Dans les textes des années 2000, même si les auteures ont quitté l’Afrique pour s’installer en France on reste encore dans les quartiers défavorisés des années 1990. Les auteures se concentrent désormais dans leurs textes sur le rapport qu’elles entretiennent avec l’Afrique. La forme de l’écriture a elle aussi changée, elle est devenue plus recherchée et plus sophistiquée. L’homme dans ces ouvrages n’est pas rejeté, car les femmes reconnaissent qu’il a un rôle important à jouer dans l’émancipation de ces dernières. On ne retrouve plus dans ces textes la femme africaine dans son rôle familial traditionnel mais une femme qui peut choisir une autre destinée que celle de femme et de mère, et c’est à travers ces nouvelles héroïnes que, comme l’affirme Odile Cazenave, un roman africain au féminin est né puisque « la sélection de ce type de personnages marque également une

étape, une phase de transition dans la constitution de ce que nous avons appelé la naissance d’un nouveau roman africain au féminin » (Femmes rebelles 330). Dans ce nouveau roman africain au féminin, on découvrira aussi que certaines auteures, telles que

199 Werewere Liking et Véronique Tadjo ont choisi de s’engager politiquement dans leurs textes.

Les auteures engagées que j’ai étudiées dans le chapitre quatre soulignent les problèmes « de relation entre groupes sociaux et leur participation dans la lutte au pouvoir » (Cazenave 335). On aura vu dans le texte de Tadjo L’Ombre d’Imana une prise de position de l’auteure sur l’origine des problèmes politiques du Rwanda. On trouve dans ces deux textes, L’Amour-cent-vies de Werewere Liking et L’Ombre d’Imana la responsabilité du gouvernement dans l’Afrique en dérive d’aujourd’hui. L’écriture féminine ne se contente pas de « faire [une] critique de l’ordre politique en s’appuyant sur la critique des hommes de pouvoir, [et] de créer des mythes d’espoir » (Fonkoua 122). Les auteures vont plus loin, comme le constate Fonkoua, car pour elles il est important de:

Réfléchir à la manière par laquelle les sociétés, moderne ou traditionnelle,

conçoivent l’ordre ; de dégager les réalités de ce que cache cette volonté

d’institutionnaliser un ordre patriarcal sur un ordre matriarcal ; de

s’interroger sur ce qui, au fondement même des sociétés africaines,

détermine les attitudes, les comportements et les discriminations sociales ;

ou plus exactement, de s’interroger sur ce que l’ordre social africain porte et

distribue, sur tous les plans, culturel, politique, idéologique. (122)

C’est donc à travers l’histoire que ces deux textes, écrits à douze ans d’intervalle, analysent la réalité de l’Afrique d’aujourd’hui. Les textes de Véronique Tadjo et de Werewere Liking redonnent aux peuples d’Afrique leur mémoire collective que les pouvoirs politiques leur

200 avaient volés, elles soulignent en même temps les changements économiques, politiques et sociaux qui seraient nécessaire pour former l’Afrique du XXIème siècle. En conclusion, comme l’affirme Odile Cazenave ces auteures entendent

Suggérer que l’homme a échoué dans son exercice du pouvoir et qu’en

revanche, la non-participation, pour sa large majorité, des femmes au

pouvoir politique intervient comme facteur de poids dans les abus de

pouvoir, les vices qui consument l’un et l’autre pays du continent africain. En

d’autres termes, face à l’échec et la décadence sociale et politique des

différents pouvoirs, les femmes se mettent en demeure de réfléchir et

prendre la main de l’homme et le guider, dans ce qui pourrait être une

alternative de vie. (336)

Les auteures que nous avons étudiées dans les chapitres un, deux, trois et quatre ont toutes choisi une façon différente de s’exprimer et d’exprimer leurs inquiétudes mais elles ont toutes en commun ce désir de changer la société africaine, et ce changement doit passer par la participation active des femmes qui donnera un second souffle à une Afrique qui jusqu'à présent ne cesse de s’essouffler. C’est donc d’une renaissance dont parle ces auteures puisque:

Cette renaissance pour laquelle nos romancières proposent à la fois la

compréhension de la conjoncture… et le « primat de l’action », s’est

logiquement illustrée par un renouvellement formel dont les principes

201 (authenticité de la description, usage de l’oralité, violence du message,

souplesse absorbante du texte) correspondent aux éléments de la

proposition. (Volet, La parole aux africaines 244)

C’est donc vers le futur que se tournent ces auteures, et leurs textes offrent au lecteur un espoir de changement. Leur prise d’écriture est « loin d’être innocentes » (D’Almeida 51).

En effet ces auteures visent à détruire les valeurs et les institutions établies. D’Almeida affirme, à propos de cette subversion que :

Subversion enfin dans la structure même des romans. Subversion avant tout

dans l’utilisation du langage où les femmes brisent tout tabou… La voix des

femmes se lève désormais pour signaler les abus sur la personne des femmes

en particulier, mais aussi sur celles des enfants st sur la société en général.

(D’Almeida 51)

On aura aussi vu un changement du point de vue littéraire des auteures qui aujourd’hui s’intéressent davantage à la forme que leurs prédécesseurs comme nous l’avons vu chez

Tadjo et Liking par l’utilisation de la prose dans leurs textes.

En conclusion de cette étude, nous avons pu voir l’importance du rôle des premiers auteures dans la littérature féminine d’aujourd’hui. Mariama Bâ, dans une interview qu’elle avait donnée à Harrell-Bond en 1980, a dit que « Books are a weapon, a peaceful weapon perhaps, but they are a weapon » (214). Bâ avait reconnu l’impact que l’écriture pouvait avoir sur le destin des femmes africaines, ceci expliquant la raison pour laquelle l’auteure

202 voulait voir les écrivains féminins se servir de cette arme dans leurs textes. Le désir de Bâ

était que l’écriture féminine africaine puisse enfin parler ouvertement de la condition de la femme au sein de sa propre culture, et que les femmes africaines puissent prendre enfin leur destin en main. Si Bâ était encore en vie aujourd’hui, elle serait heureuse de voir que les auteures africaines, se sont servi et continuent de se servir de cette arme. En effet on entend aujourd’hui le bruit que font leurs voix et leurs textes ont obtenus le respect du monde littéraire. On aura vu dans cette étude que loin de vouloir imiter la littérature occidentale, les auteures africaines ont inventé un style d’écriture qui leur est propre :

By rewriting conventional literary forms, by questioning a combination of the

multiple oppressive conditions both traditional and specific to their post-

colonial heritage in a constantly changing post-colonial context, a context

that therefore positions their challenges sometimes alongside, but mostly

beyond the limits of Western feminism and within postcolonial theoretical

practice. (Makuchi Nfah-Abbenyi 149)

Les auteures que nous avons étudiées revendiquent le fait que ce n’est pas uniquement la société des pères dans laquelle elles vivent qui les oppriment mais aussi le pouvoir et le contrôle que les hommes ont sur elles dans cette société. Ces auteures insistent également sur le fait que leur contribution au féminisme ne soit ni ignorée ni oubliée. On aura vu aussi la place importante que tient dans leurs textes l’identité de la femme et que cette dernière n’est pas toujours liée au rôle de la mère. Les auteures insistent aussi sur l’importance du rôle que les femmes ont dans le maintient de la tradition orale puisque celle-ci leur donne

203 la possibilité de faire revivre la mémoire collective, permettant ainsi de faire renaitre un passé où la femme était le double de l’homme. Ce rôle de porte-parole est important pour la femme africaine puisque cet acte devient « a subversive act that is empowering not only for the writers, but also for the community (of women) for and about whom they write »

(Makuchi Nfah-Abbenyi 150).

Les auteures que nous avons étudiées nous ont dépeint des portraits de femmes opprimées mais elles ont aussi évoqué des solutions contre cette oppression. Les auteures telles que Mariama Bâ et Angèle Rawiri ont souvent été limitées par la critique masculine et les répercutions que leurs écrits auraient pu déclencher puisqu’elles demeuraient en

Afrique. Nous avons pu voir que leur littérature était plutôt celle d’une littérature de témoignage qui a permis aux auteurs des générations suivantes d’accéder à « une écriture de révolte » prolongeant ainsi « le récit semi-autobiographique dans la construction de soi » (Cazenave 329). Pour Calixthe Beyala, il est important de dévoiler la responsabilité de la société africaine envers l’exploitation de la femme africaine « notamment la course à l’apparence, et la semi-prostitution conçue comme un moyen de support financier normalisé ou il revient à la femme de soutenir la cellule familiale en faisant commerce de son corps » (Cazenave 330). Introduire la notion de folie chez la femme a aussi permis à

Beyala de montrer que la femme africaine est capable de résister contre la société patriarcale, mais surtout de prétendre à un certain pouvoir qu’elle n’avait pas jusqu’à présent. La folie de la femme excuse donc les paroles et les idées révolutionnaires de l’auteure et lui permet ainsi de condamner tout ce qui empêche la femme africaine d’être libre.

204 Avec les textes plus récents, nous sommes loin de l’image de la femme traditionnelle cantonnée à son rôle d’épouse et de mère, que nous décrivaient Bâ et Rawiri. C’est donc grâce à cette première prise de parole des auteures des années 1980 que les auteures qui ont suivi ont pu écrire plus librement. Si certains thèmes sont repris par la nouvelle génération, ils sont approfondis et ne montrent pas toujours la même innocence que l’on trouvait dans les premiers textes. La relation mère-fille est un bon exemple de ce changement. S'il existait une certaine complicité et solidarité entre les mères et leurs filles dans les textes des années 1980, cette complicité mais bien davantage cette solidarité disparaît dans les textes des années suivantes. En effet on retrouve dans le texte de Beyala

Tu t’appelleras Tanga une mère que la société a écrasée et qui abuse de son pouvoir sur sa fille, en la poussant à la prostitution, montrant ainsi de nouvelles formes d’exploitation subies par la femme africaine au sein même de la cellule familiale. Odile Cazenave écrira que « les africaines mettent en question l’amour maternel, la maternité comme consécration de la femme » (331). Certaines auteures, comme Beyala et Diome, condamnent cette forme de solidarité parce qu’elle n’a pas évolué et continue d’enchaîner la femme africaine dans les traditions, et d’autres, comme Bâ et Bugul l’idéalisent comme

étant ce qui lui reste de plus précieux. Quand elle parle de la solidarité, Diome dévoile les causes et les conséquences socioéconomiques de cette valeur traditionnelle qui au cours du temps est devenu corrompue. La solidarité traditionnelle d’autrefois s’expliquait par le fait que la société africaine était principalement agricole et que peu d’Africains avaient accès aux biens et à la propriété privée, une entraide était donc nécessaire. Ce devoir de solidarité s’appliquait à ceux qui en avaient le plus besoin pour survivre, impossible en ce temps de penser à un individualisme quelconque puisque c’était l’épanouissement de la

205 communauté sur l’individu que l’on recherchait ici. Mais la société africaine s’est vue envahir par le capitalisme occidental changeant ainsi d’une société communautaire à une société individualiste. Les auteures telles que Beyala et Diome proposent donc une solidarité modérée pour remplacer cette solidarité que les générations d’aujourd’hui ont pervertie. Elles soutiennent l’idée que l’Afrique doit changer d’une solidarité à cent pour cent à une solidarité modérée, c’est-à-dire une solidarité qui doit être un mélange entre les avantages des valeurs traditionnelles que Diome appelle « l’entraide » et les avantages de la modernité qu’elle appelle « l’individualisme ».

Les textes plus récents de Beyala et de Diome se concentrent désormais sur une couche sociale beaucoup plus modeste que celle que l’on trouvait chez Mariama Bâ. Ce qui est important pour ses auteures c’est de montrer les gens de la rue, les défavorisés et les quartiers dans lesquels ils vivent; « les écrivains femmes en sont venues à aborder des questions d’ordre social et politique, leur écriture prenant, de fait, une nouvelle amplitude

[…] dans leur engagement et la promotion d’une image de la femme africaine plus forte »

(Cazenave 332).

Beyala et Diome parlent pour la première fois, dans leurs textes, du corps ainsi que de la sexualité de la femme africaine. Beyala utilisera le corps et la sexualité comme argument politique puisque

Pour arriver à un changement de la société en profondeur, ce sont les

structures et données de base qu’il faut réviser/repenser, à commencer par

celles qui régissent l’interaction entre hommes et femmes. En d’autres

termes, il faut d’abord établir une nouvelle éthique sexuelle comme prémices

206 à un ordre et un fonctionnement nouveau entre individus, au sein de la

famille, de la communauté et dans un contexte plus large, de la société.

(Cazenave 333)

Les auteurs féminins d’Afrique subsaharienne depuis Mariama Bâ à Fatou Diome jettent un regard sur l’avenir de l’Afrique permettant au lecteur d’imaginer comment pourrait être l’Afrique de demain. Pour arriver à ce changement les auteures des années 2000 ont recours à l’utilisation de la violence et de la sexualité afin de secouer les mentalités aussi bien européennes qu’africaines, leur prise d’écriture est donc loin d’être innocente.

Pour les personnages des textes des années 2000 la France n’est plus un monde à découvrir. Les héroïnes des romans de Calixthe Beyala et Fatou Diome se sont installés depuis longtemps en France et n’envisagent plus de retourner en Afrique. Comme l’affirme

Saliou Thiam dans son article La littérature de l’immigration africaine ou un appel au bien

être :

Les deux mondes - l’Afrique et l’Europe - restent toujours des espaces

symboliques d’enjeux et de combats modernes. Ainsi, au travers des

aventures des personnages, un nouveau rapport se présente : la maîtrise de

l’espace occidental qui s’accompagne de perpétuelles interrogations liées à la

capacité qu’ont les Africains à construire une nouvelle Afrique.

Le style d’écriture est aussi nouveau chez les romancières d’aujourd’hui, elles ne cherchent pas l'art pour l'art mais l'art pour la cause. Ces auteures sont désormais à la

207 recherche « d’une écriture par laquelle elles pourront communiquer leurs idées et se faire comprendre, une langue et un style qui sauront les faire entendre. Elles deviennent les passerelles d'une culture, d'une civilisation en reconstruction » (Thiam, « La littérature de l’immigration africaine ou un appel au bien être »). Nous avons pu voir que la voix des auteurs féminins est non seulement devenue plus forte, en s’engageant et en se rebellant mais qu’elle est aussi devenue beaucoup plus agressive « sous un mode d’auto- représentation toujours plus élaboré » (Cazenave 13). Parmi toutes les auteures que nous avons étudiées c’est indéniablement la camerounaise Calixthe Beyala qui va le plus loin dans l’audace du langage, cette « amazone des lettres africaines » (Chevrier Littérature d’Afrique noire de langue française 64) comme l’appelle Chevrier, part en guerre contre la

« « dictature des couilles » (entendez la « phallocratie ») et parle, avec mépris, des « fesses coutumières » « (Chevrier, Littérature d’Afrique noire de langue française 64). On peut affirmer que les textes de Calixthe Beyala sont un point de rupture avec ceux de ses prédécesseurs. Mariama Bâ en ouvrant ce long débat sur la condition de la femme dans la société africaine contemporaine a commencé une révolte contre une longue tradition et une culture jalousement gardée, que les auteures des générations suivantes se sont empressées de continuer.

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