ISSN : 2456-9690 Vol. I Issue 1 (July-December 2017)

Caraivéti Démarche de sagesse

Peer Reviewed and Referred Biannual International Journal

Department of French Studies Banaras Hindu University Varanasi Printed by: Dr. Gitanjali Singh Department of French Studies Banaras Hindu University, Varanasi Pin-221005

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Vol. I Issue 1 July-December 2017 Numéro Spécial Sur Récit de Voyage Préface

Un récit de voyage ou une relation de voyage est un genre littéraire dans lequel l’auteur rend compte d’un ou des voyages, des peuples rencontrés, des émotions ressenties, des choses vues et entendues. Contrairement auroman, le récit de voyage privilégie le réel sur la fiction. Pour mériter le titre de « récit » et avoir rang de littérature, la narration doit être structurée et aller au-delà de la simple énumération des dates et des lieux (comme un journal intime ou un livre de bord d’un navire). Cette littérature doit rendre compte d’impressions, d’aventures, de l’exploration ou de la conquête de pays lointains. Le récit de voyage peut être aussi cinématographique. Pour l’historien, le récit de voyage est également une source historique qu’il convient de conceptualiser et d’analyser. Les récits de voyage apportent des éléments précieux pour éclairer l’histoire des relations internationales, l’histoire sociale et politique de régions traversées par le voyageur, voire l’histoire des cultures matérielles, de l’alimentation, des religions etc. Depuis les années 1980, les relations de voyage en Afrique produites par des Européens dès le XVe siècle ont fait l’objet d’essais d’analyse historique, et des publications scientifiques comprenant un appareil critique développé ont été produites. Soumis à une analyse historique rigoureuse, ces récits de voyage s’avèrent précieux pour reconstituer des fragments de l’histoire de l’Afrique durant les cinq cent dernières années. Certains auteurs comme Voltaire (Candide) utilisent le récit de voyage pour critiquer et satiriser la société. Un des premiers récits connus de voyage est Le devisement du monde de Marco Polo écrit en 1299 alors qu’il est en prison. Pétrarque peut être crédité de la primauté du « récit de tourisme » avec le récit de son ascension du Mont Ventoux en 1336 effectuée pour le simple plaisir d’avancer vers ce qu’il décrit comme un infini à atteindre. Il reproche à ses compagnons restés au pied de la montagne leur frigida incuriositas (une froide absence de curiosité) et dresse une allégorie de sa montée comparée aux progrès qu’un homme fait dans sa vie. Par la suite, les voyages devenant plus fréquents, plus faciles sinon moins dangereux, le progrès technique facilitant les trajets au long cours et l’élévation du niveau de vie procurant plus de loisirs (quand bien même ce terme reste encore pendant longtemps un anachronisme, ou réservé à une classe ultra-minoritaire, disposant de temps pour voyager ou pour lire et pouvant s’offrir ces livres qui étaient des produits de luxe), leurs récits vont également se multiplier. Avec la Renaissance, deux faits concomitants expliquent l’explosion de la littérature de voyage: l’invention de l’imprimerie et la diffusion du papier font du livre un objet plus abordable; la découverte par les Européens des côtes d’Afrique puis du Nouveau Mondeattise sinon la soif de l’or du moins celle de la connaissance. Au XIXe siècle, l’irrésistible expansion coloniale européenne s’accompagne, d’un phénomène nouveau: désormais, un auteur peut vivre de sa plume. Les « écrivains de voyage » se professionnalisent, écrivains à part entière ou écrivain-journaliste pour les

4 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 journaux d’éducation destinés à la jeunesse avide d’apprendre ou pour les périodiques de voyage (National Geographic est lancé en 1888). Le récit de voyage est l’un des plus anciens genres littéraires: Jean de Léry, Nerval, Gautier, P. Loti, Segalen, Morand, A.Gide, Kessel, Cendrars, Leiris, Michaux, Lévi-Strauss, Butor, Le Clézio, Lacarrière, Réda, Bouvier, il y a toutes une série d’écrivains qui se sont essayés à ce genre littéraire du nomadisme dans lequel l’auteur(e) se rend compte de ce qu’il a vécu lors d’un voyage. Les liens entre le voyage et la littérature sont aussi anciens que l’histoire et la littérature, mais ils sont loin d’être toujours de même nature. Bien que le lien étroit entre le voyage et le récit existe depuis les origines de la littérature, il a rarement été aussi prégnant qu’au cours du XXe siècle. A quoi attribuer cet engouement pour le voyage dans la littérature ? Que cherche-t-on dans ces pérégrinations initiatiques et ces décentrements ritualisés ? Qu’y découvre-t-on sur soi ? Quelles perceptions et représentations de l’autre en émanent ? Avec la montée de la mondialisation et du pluralisme, quels éclairages particuliers les récits de voyage jettent-ils sur les questions d’altérité et d’identité culturelle, sur les rapports que produit la rencontre de la différence et, surtout, sur les formes de conciliations et d’adaptations qui en résultent ? Telles sont les problématiques de ce numéro.

Dr. Gitanjali Singh

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Editorial Board

5 Advisory Board

• Prof. D.K. Singh, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. Anita Singh, Department of English, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. Nisar A. Barua, Department of Economics, Gauhati University, Guwahati-781014, Assam. • Prof. Vinodanand Tiwari, Department of Foreign Languages, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. Sadanand Shahi, Department of Hindi, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. Ashok Singh, Department of Hindi, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. A. K. Singh, Department of History of Arts, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. Tara Singh, Department of Psychology, Faculty of Social Sciences, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Prof. Akhilesh Kumar, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Dr. Indranil Sanyal, Department of French, Assam Central University, Silchar-788011, Assam.

6 Editorial Board

• Prof. Nalini J. Thampi, Department of French, School of Humanities, University, Puducherry-605014. • Prof. Asha Pande, Department of European Languages, Literature and Culture Studies, University of Rajasthan, Jaipur-302004. • Prof. A.K. Lal, Department of English & Modern European Languages, University of Lucknow, Lucknow-226025. • Dr. Sushant Kumar Mishra, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067. • Dr. S.P. Singh, Department of English & Modern European Languages, University of Lucknow, Lucknow-226025. • Dr. Sanjay Kumar, Department of French and Francophone Studies,The English and Foreign Languages University, Hyderabad-500007. • Dr. Mohit Chandna, Department of French and Francophone Studies,The English and Foreign Languages University, Hyderabad-500007. • Dr. Shakti Kapoor, Department of Modern European and Foreign Language, H.P. University, Shimla-171005. • Dr. Jagannath Soren, Department of French Studies, EFL University, Lucknow campus, Lukcnow-226001. • Ms. T.S. Kavitha, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Mr. Ravindra Kumar, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005. • Dr. Sawan Kumar Singh, Department of Foreign Languages, Faculty of International Studies, Aligarh Muslim University, Aligarh-202002. • Dr. Bratish Sarkar, Amity School of Languages, Amity University Lucknow Campus, Lucknow-226028. • Dr. Rounak Mahtab, Department of Foreign Languages, Gauhati University, Guwahati-781014, Assam. • Dr. P. Chakraborty, Department of French, Assam Central University, Silchar-788011, Assam. • Dr. Amalendu Chakraborty, Department of French, Assam Central University, Silchar-788011, Assam.

7 Sommaire

• Dr. Abhay Kumar Lal, Dept.of Eng. & MEL, University of Lucknow, Lucknow-226025, India. • Ms. Aditi Das, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Akhailiu Rimai, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Mr. Alok Pathak, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Alpana Palkhiwale, Dept of French, St. Xavier’s College Autonomous, Mumbai-400001, India. • Dr. Amlendu Chakraborty, Department of French, Assam Central University, Silchar-788011, India. • Dr. Anuradha Deepak, K.L.P. College, Rewari, Maharshi Dayanand University, Rohtak-123401, India. • Dr. Asha B. Radhakrishnan, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Balasubramanian Jenni, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Mr. Bhawani Singh Sankhala, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Dr. Bratish Sarkar, ASL, Amity University, Lucknow- 226010, India. • Dr. Djorić Francuski Biljana, Faculty of Philology, University of Belgrade, Serbia. • Ms. D. Vina Ballgobin, Department of French Studies,University of , Mauritius. • Dr. Gitanjali Singh, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University,Varanasi-221005, India. • Ms. Ishitaa Saxena, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Mr. Jaivardhan Singh Rathore, Amity School of Languages, Amity University Rajasthan, Jaipur-303706. • Ms. Jayita Basak, College, Calcutta University, Chandannagar- 712136, India.

8 • Dr. Kalplata, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Ms. Kanika Agrawal, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University,Varanasi-221005, India. • Ms. Kumudham Blasubramanian, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Mr. Lal Ji Maurya, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005, India. • Ms. Mahapurva Pahuja, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Manali Agarwal, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University, Varanasi-221005, India. • Ms. Manisha Sondhi, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Dr. Marković Ljiljana, Faculty of Philology, University of Belgrade, Serbia. • Dr. Mohar Chaudhuri, Department of French, University of Calcutta, -700073, India. • Dr. Mohit Chandna, Department of French and Francophone Studies, The English and Foreign Languages University, Hyderabad-500007, India. • Ms. Neha Jain, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Nimisha Joshi, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Ms. Nisha Tiwari, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Nithya Selvamourougane, Stella Maris College, Chennai-600086, India. • Ms. Pankhuri Bhatt, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Poulami Paul, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Ms. Priti Tripathi, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Rebecca Vedavathy, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India.

9 • Dr. Sanjay Kumar, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Ms. S.Krithika, Department of French and Francophone Studies, Doon University, Dehradun-248012, India. • Mr. Sandeep Kumar Pandey, Department of French Studies, Faculty of Arts, Banaras Hindu University,Varanasi-221005, India. • Dr. Shakti Kapoor, Department of Modern European and Foreign Language, H.P. University, Shimla-171005, India. • Dr. Shakuntala Boolell, Department of French Studies,University of Mauritius, Mauritius. • Dr. Sriniket Kumar Mishra, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Mr. Sushant kumar Dubey, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Dr. Sushant Kumar Mishra, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Tulika Anand, Centre for French and Francophone Studies, JNU, New Delhi-110067, India. • Ms. Vandana Sharma, The English and Foreign Languages University, Department of French and Francophone Studies, Hyderabad-500007, India. • Dr. Varun Dev Sharma, Department of French and Francophone Studies, Doon University, Dehradun-248012, India.

10 TABLE DES MATIÈRES

1. La poétique de l’Ailleurs dans les récits de voyage des missionnaires. 15 – Shakuntala Boolell 2. Récits de Voyage : Port-Louis, Isle de France, en classe de français 23 – D. V. Ballgobin 3. The Middle Way to Banaras: A Sentimental Journey in Namaste, India 36 – Marković Ljiljana and Djorić Francuski Biljana 4. La relation entre le voyageur et l’écrivain dans les récits de voyage: De Montesquieu à LeClézio 42 – Abhay Kumar Lal 5. Récit de voyage – créer un texte émotife pour le commerce 53 – Sushant Kumar Mishra 6. Nicolas Bouvier : penser le voyage 58 – Sanjay Kumar 7. Produire le non-lieu : l’Inde à la dérive chez Ananda Dévi 63 – Mohit Chandna 8. Le Rêve Comme Voyage de l’Âme Chez Gabrielle Roy. 68 – Shakti Kapoor 9. Le voyage d’un peintre oriental dans l’imaginaire yourcenarien: « Comment Wang-Fô futsauvé » des Nouvelles orientales 73 – Mohar Chaudhuri 10. Jules Verne : les voyages extraordinaires d’un rêveur génial 79 – Gitanjali Singh 11. Les Lettres Persanes : un récit fantastique traitant le “sérail” 84 – Kalplata 12. Récit de voyage à L’Océan Indien : L’interculturel, l’altérité et l’hybridité dans l’écriturevoyageur de l’auteur franco-mauricien J.M.G Le Clézio 89 – Asha B. Radhakrishnan 13. L’importance d’un voyage extérieur pour tourner vers l’intérieur dans les œuvres Désert et Poisson d’or de J.M.G Le Clézio 94 – Tulika Anand 14. Le Rôle de la Fiction dans le Récit de Voyage : Le Cas d’Ecuador par Henri Michaux 101 – Aditi Das 15. Xavier de Maistre: le voyage dans ses deux romans 107 – Amalendu Chakraborty

11 16. Shashi in English Vinglish: The Travel and the Transformation 113 – Anuradha Deepak 17. « L’Inde (sans les Anglais) » d’après Pierre Loti. 122 – Sandeep Kumar Pandey 18. Les Formes Myriades Du Voyage Dans Le Roman Graphique Persepolis De Marjane Satrapi 127 – S.Krithika 19. L’expérience de l’Autre dans l’Usage du Monde de Nicolas Bouvier. 134 – Akhailiu Rimai 20. Le Double Voyage Dans Les Textes Migrants Du Québec 140 – Priti Tripathi 21. L’Inde du Dix-neuvième Siècle Revisitée sous la Plume d’Édouard de Warren 146 – Poulami Paul 22. Le pèlerinage comme un thème dans l’écriture sur tourisme 152 – Sriniket Kumar Mishra 23. Le sentiment de dépaysement dans Journal de voyage d’Alexandra David-Néel 162 – Vandana Sharma 24. Regard français sur les terres sacrées de l’Himalaya 168 – Varun Dev Sharma 25. Récit de voyage d’une exilée dans l’Etrangère de Malika Oufkir 175 – Bhawani Singh Sankhala 26. Le Voyage Documentaire de Michel Leiris en Afrique Noire 179 – Bratish Sarkar

27. Tahiti aux Yeux de : Un Témoignage entre Les Pages de Noa Noa 188 – Ishitaa Saxena 28. Le Marronnage A La Reunion : Un Voyage a l’Interieur de l’Ile. 197 – Balasubramanian Jenni 29. Paris, Notes d’Un Vaudois de C-F. Ramuz : Un Regard Familier et Critique de la Ville de Paris 202 – Kumudham Blasubramanian 30. « Voyager et Jouer ?? » En classe de langue !! 207 – Kanika Agrawal 31. Récit d’un grand périple effectué par André Gide au Congo-Brazzaville 215 – Lal Ji Maurya

12 32. Le voyage et la découverte de soi : une étude de Compartiment pour dames d’Anita Nair 219 – Mahapurva Pahuja 33. Le Jeu des Regards Croisés à travers Un Récit de Voyage: Étude de Cas Calcutta Après Michux de Julien Roumette 227 – Manisha Sondhi 34. Le Voyage en Vers : Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France de Comme Un Texte Sonore 234 – Neha Jain 35. Voyage Corporel : Espace Identitaire dans Burqa de Chair et Putain de Nelly Arcan 245 – Nimisha Joshi 36. La découverte des parias du point de vue de Marc Boulet dans son œuvre « Dans la peaud’un intouchable » 250 – Nisha Tiwari 37. Le voyage dans les mots chez François Emmanuel 256 – Pankhuri Bhatt 38. Dans les Comptoirs de l’Inde Point de Vue de Quelques Ecrivains-Voyageurs Français 261 – Nithya Selvamourougane 39. Vers un recit sous-marin dans « Children of the Sea » d’Edwidge Danticat 265 – Rebecca Vedavathy 40. Le voyage au bout du sexe dans Amours Sauvages de Calixthe Beyala 270 – Sushant Kumar Dubey 41. L’Aventure par Alfred Assolant (1827-1886) : Peu Connu Romancier Populaire Français du XIXe Siècle 276 – Jayita Basak 42. La langue chantée: Une approche musicale d’enseignement/apprentissage du français 281 – Jaivardhan Singh Rathore 43. Le récit d’un voyage est le miroir de la société: Une étude de « Lettres Persanes » comme une source d’activités ludiques en FLE 289 – Manali Agarwal 44. Voyage et Ecriture: Connais-toi toi-même. 295 – Alok Pathak 45. Les images de la littérature ancestrale dans le monde romanesque d’Ananda Dévi 300 – Alpana Palkhiwale

13

Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 La poétique de l’Ailleurs dans les récits de voyage des missionnaires

Shakuntala Boolell

Résumé

Les voyages sont à la source d’une volonté d’explorer des terres inconnues ou de satisfaire la curiosité humaine. Parmi ces voyageurs, se retrouvent des missionnaires. Leur mission apostolique se double de sensations heureuses ou non de dépaysement. C’est alors que la mémoire rentre en jeu pour permettre à tous ces voyageurs de revivre des expériences uniques. Les tableaux qu’ils font défiler sous nos yeux sont non seulement exotiques mais aussi comme l’expression des mythes antiques qui ont survécu au passage du temps. Le voyage est également lié à la quête d’un Ailleurs qui peut susciter des rêves, des appréhensions, voire des désenchantements. C’est dans cette perspective que nous analyserons la toute-puissance de la mémoire et la finalité du voyage de ces missionnaires. Mots-clés : Littérature des voyages, altérité, identité, introspection, mythes. Dans l’histoire littéraire les récits de voyage sont diversement interprétés, d’autant que comme le dit Roland Barthes « Innombrables sont les récits du monde. » (Introduction à l’analyse structurale des récits, Communications no.8 1966.) C’est ainsi que « Voyage au Monténégro » de Pierre Loti,1 écrivain-voyageur qui aimait l’aventure et l’exotisme est défini par Gaston Bachelard « comme sorti d’un conte ».2 D’autres récits ont un réel intérêt documentaire comme « Voyage au Bengale »3 en 1789 par un voyageur français anonyme qui fait défiler des tableaux pittoresques, contrastés et transportant dans un espace mythique. Les missionnaires qui rendent compte de leur voyage dans les îles des Mascareignes, en Inde, en Chine ou en France racontent à la fois sur un mode naturaliste, lyrique, épique. Cinq missionnaires dont les récits ont ces caractéristiques picturales, épiques ou mythiques sont : Abbé de la Caille qui a écrit sur son débarquement à l’Isle de France, Abbé Macquet qui retrace son voyage à l’Ile Bourbon, le bénédictin Dom Paul Chauvin qui raconte son voyage à Rameshwaram dans le sud de l’Inde, Père Roger Dussercle qui nous fait revivre son aventure dans les îles des Chagos et enfin le vieux curé de fiction Francis Chisholm qui évoque une véritable épopée en Chine dans le livre « Les Clés du royaume ». C’est dans une optique comparative permettant d’en scruter les degrés de similitude que sont analysés les récits. Quant au contexte historique dans lequel s’inscrivent ces récits de voyage ils sont conçus à l’époque coloniale des XVIIIe et XIXe siècles et du début du XXe siècle. Ils sont écrits dans la langue française, sauf pour le roman Les clés du royaume d’Archibald Cronin,4 qui est la traduction par G. de Tonnac-Villeneuve de la version originale The keys of the kingdom. La toute-puissance de la mémoire La mémoire est au cœur du projet des relations de voyage. Elle suppose une opération de l’esprit qui ordonne et met en relief des décors et séquences. Les voyageurs donnent l’impression de revivre des épisodes qu’ils retracent. C’est le présent qui est alors utilisé pour nous impliquer plus fortement dans le climat de liberté, de merveilleux. La vraisemblance 15 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 est de mise de par l’emploi du jargon populaire dans certaines situations. Le premier récit qui est frappant n’est autre que celui de l’Abbé de la Caille qui débarque à l’Isle de France le 19 avril 1753. Dans ce journal historique il fournit en bribes des noms, dates et anecdotes. Citons : « Nous allons camper au bras de mer du Tamarin : on nous fit passer sous une arcade de pierres ou les soldats font une espèce de Baptême a ceux qui n’ont pas encore passé par là.. »5 Il brosse assez succinctement le Fort Fréderic-Enrique où s’établissent les Hollandais, les régions montagneuses, l’aspect rugueux du sol. L’Histoire se mêle à la fiction quand il évoque la chasse aux marrons : « Ces Brigands ont dans leurs retraites un certain nombre de femmes, dont les unes les sont venues joindre volontairement par un esprit de débauche. Les autres ont été enlevées. »6 Il n’a pas dû rencontrer ces femmes mais en a recueilli des histoires sur les esclaves marrons. Les pages qui suivent sont des tableaux d’une végétation luxuriante, exotique et du bestiaire avec des noms scientifiques qui se mélangent avec la terminologie locale comme des bois couverts d’arbres qu’il énumère « le palmiste, le latanier, le Vacoas, le Maport, le bois de natte…le bois de lait ainsi appelé d’une liqueur blanche et gluante qui en sort quand on le casse sur pied ».7 Son texte est savoureux par le regard qu’il pose sur la couleur locale. La vision réaliste apparaît avec l’attention minutieuse portée aux détails comme dans la description des oiseaux : « les pailles en cul de deux sortes ; l’une dont le bec, les pattes et les pailles sont rouges, et l’autre dont le bec, les pattes et les pailles sont blanches…quelques Bengalis, qui sont des petits oiseaux qui ont des plumes d’un rouge vif à la tête et aux environs du cou, et les ailes, le ventre et la queue couvertes de plumes d’un beau gris de perle un peu foncé et moucheté. »8 C’est le règne du mode végétal et animal puisque les zones qu’Abbé de la Caille traverse ne sont pas aménagées. Ses notations sont aussivariées que différenciées puisqu’il mentionne les grottes, les forêts impraticables, les ruisseaux, les baies profondes, le banc de roches. Quant à l’autre voyage, c’est celui de l’Abbé Macquet, qui fut en tournée à l’Ile Bourbon dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le récit ayant pour titre Six années à l’Ile Bourbon par l’abbé Macquet, missionnaire apostolique, a paru à Tours en 1892. C’est dans toute sa fraîcheur que se restitue le souvenir d’un accueil incrusté dans la mémoire à Saint-Gilles- les-Hauts. Le voyageur méconnait les détails exacts du lieu si l’on observe les commentaires sur ce récit : « Il faut mettre sur le compte de l’exagération poétique ou de la confusion des souvenirs les neiges et les glaces de Bernica ou les vastes plaines des Trois Bassins. »9 Ici il s’agit d’un épisode de la vie du missionnaire qui s’inscrit dans la durée d’autant plus que l’émotion est à son comble. L’effusion avec laquelle les esclaves de Madame Desbassayns, propriétaire d’un vaste domaine dans la colonie, lui souhaitent la bienvenue reste à jamais mémorable et change l’instant fugitif en une éternité. Il se remémore chaque geste et avoue qu’il ne saurait oublier l’accueil qui lui a été fait après une ascension d’une bonne demi-heure : « C’est notre arrivée ou plutôt l’arrivée du premier missionnaire de ces lieux qu’annoncent les joyeux carillons. Le travail est interrompu ; six cent esclaves accourent de tous les points ; on se répète : (Voilà le père Monnet, voilà le père à nous ! On se prosterne, on s’incline … je versais des larmes de joie. » 10 Un épisode analogue se retrouve dans les récits du missionnaire spiritain Roger Dussercle qui est venu à l’IIe Maurice le 12 octobre 1927 et qui a effectué des tournées pastorales à Agaléga et aux Chagos. Il évoque avec humour et brio l’accueil qu’on lui réserve sur une des îles du groupe de Salomon dans l’océan Indien. Après une pénible et harassante traversée en mer jusqu’à ce qu’il accoste le quai de Boddam à une heure matinale, il est surpris par le silence de mort qui règne. Mais quelle ne fut la surprise quand les voyageurs » titubant de faiblesse » semblent sortis

16 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de leur léthargie et ressentent tout à coup l’envie de voir des visages à terre et de goûter a une douce hospitalité. Tout comme le récit du missionnaire Macquet, celui-ci est animé à la faveur les cris et des gestes : « On frappe, on crie…Nous sommes reconnus ; et c’est aussitôt une joie délirante qui remplit la résidence. L’alerte a été donnée au camp -agréable alerte qui apprend à tout le monde que je suis arrivé…On a hâte de me voir ; »11 Les deux récits exposent les circonstances de la rencontre avec des données spatiotemporelles et aussi les conditions favorables à ce premier contact. Ni tension ni méfiance n’apparaissent. La rencontre présenteun certain nombre de caractéristiques liées aux éléments auxquels les deux missionnaires sont sensibles. On peut noter les lieux –de tous les points, résidence, au camp- l’hospitalité avec les élans du cœur et les mouvements expressifs. Ces évocations pérennisent à l’évidence des réminiscences heureuses qui s’accordent à l’âme incertaine face à l’Ailleurs. Tout territoire inconnu, inexploré inspire presque toujours de la peur, de la défiance mais ici le thème mythique de l’Ailleurs montre que le missionnaire confondu avec un personnage messianique sera aidé à « chasser les doutes qu’il pourrait concevoir quant au résultat de son entreprise. »12 Les sentiments inspirés par la découverte d’un nouveau cadre et des mœurs et rituels sont explicites et se traduisent par une description poétique chez l’abbé Macquet. Il relate comment, au retour de la chapelle, il est transporté dans l’habitation de la dame patriarche métamorphosée en un cadre onirique : « toutes les grandes villes des Indes y étaient représentées : Calcutta avait étendu ses tapis et ses nattes ; Bombay avait envoyé son linge le plus blanc et le plus finement brode; Pékin y brillait par sa porcelaine la plus antique ; les cristaux de Bohème étincelaient comme des diamants … »13 Les superlatifs foisonnent avec le faste de la cérémonie d’accueil. La rencontre ne génère pas seulement de la joie et l’admiration mais concède au voyageur le privilège d’un moment inouï ou il trouve une harmonie entre sa propre sensibilité et un décor imprégné de nouveauté.

Voyage et dépaysement

Dans les récits de voyage l’orientalisme est prépondérant et est illustre par l’art, la sacralité, les légendes et les contrastes qui ne cessent d’étonner plus d’un. Le premier récit qui en est représentatif est celui d’un bénédictin du Prieure Sainte-Marie de Paris de la Congrégation de Solesmes et exerçant à l’Ile Maurice en 1906 qui raconte son aventure pour arriver jusqu’à la pagode de Rameshwaram, dans le sud de l’Inde. Apres un préambule sur sa vieillesse et le passage du temps, il accepte de faire revivre « une aventure-une mésaventure…, dit-il, qui m’est arrivée, il y a quelques années, dans un coin terriblement isolé du monde. »14 Son aventure est localisée par des références précises avec la pointe sud de l’Hindoustan, l’IIe de Ceylan, le Pont d’Adam. Ensuite il enrichit son récit de mythes dont celui de Hanuman et de ses prouesses en déracinant rochers et montagnes pour retrouver Sita. Le dieu-singe a été l’architecte d’une digue « malheureusement rompue » pour laisser place à un autre décor. C’est un récit qui acquiert son intérêt par la juxtaposition des anecdotes, des expériences sur prenantes et des tableaux. Ainsi il s’est retrouve à son insu participant à une « procession païenne ». Toutefois il insiste sur le charme de l’épisode en employant le superlatif : « l’un des épisodes les plus pittoresques de mon voyage en Inde ».15 Il doit lui-même avoir une allure amusante avec sa « soutane blanche et la ceinture écarlate que l’on porte dans les missions du sud de l’Inde ».16 Le souci du Père Chauvin est de donner plus de vraisemblance à ce qu’il a vécu. Il fait tout au long de la narration succéder des tableaux qui ne trahissent ni sa pensée ni ses intentions qui dévoilent ses préoccupations aussi bien d’ordre social que 17 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 philosophique. Cinq tableaux sont révélateurs de l’art du récit grâce à la justesse du coup d’œil, aux notations spatiotemporelles ; un art qui ne se détache pas de l’eurocentrisme. Le premier tableau attire l’attention sur la chronologie des évènements et le dépaysement total. C’est le mois de novembre en 1911. L’inconnu conjugué avec l’heure nocturne qui renforce le mal-être du voyageur déclenche un déferlement d’images insolites et assez décevantes. Il a l’impression de ne plus avoir la maîtrise des évènements puisqu’il dit : « On me cueille en pleine nuit, dans un char à bœufs qui semble me conduire en rase campagne, entre deux lignes de cocotiers entourés de mares d’une puanteur surhumaine. Les résidus de toutes les teintureries de Madura, […] y stagnent, et empoisonnent l’atmosphère ».17 Ses sens- la vue, le toucher et l’odorat- sont néanmoins en éveil puisqu’il voit les cocotiers et est incommodé par les mauvaises odeurs. Il en est d’autant plus étonné que la gare de Madura East, isolée au milieu des champs, soit déjà bondée à cette heure-ci d’indigènes « qui se tassent, errent ou dorment, entièrement enveloppés de blanc, comme des cadavres. »18 C’est alors un questionnement perpétuel sur les visions contrastantes en Inde. Madura présente un aspect rébarbatif à cause des mares, des résidus des teinturiers et des odeurs fétides. Une atmosphère mortifère l’enveloppe puisqu’il y voit les indigènes tout de blanc « comme des cadavres ». Le dépaysement apparaît dans les allusions à un contexte culturel différent comme dans le troisième tableau. La couleur locale et l’apparence d’authenticité sont évidentes par l’emploi des mots empruntés au lexique indien. Citons « gopuram » qu’il explique de manière scientifique comme « un portique d’entrée, un pylône, une tour… qui marque d’ordinaire le point central de l’enceinte des temples, aux quatre points cardinaux, » ou encore « sikha » qui est « un couronnement orné de pinacles oud’épis »19 ou même le « lingam sacré » avec tout autour les divinités, entre autres, Rama et Sita qui sont prosternés et Hanuman avec un air contemplatif. Des images stéréotypées concourent à cette idée de dépaysement. Le voyageur insère dans sa relation des images frappantes de : « jeunes brahmes, beaux comme des dieux de bronze et la cordelette à l’épaule, qui chantonnent des vers sanscrits sous la direction d’un vieux maître, nu comme eux, une inoffensive baguette à la main ».20 C’est un dépaysement dans l’espace et dans le temps avec la comparaison qui renvoie à un autre contexte historique ancien, celui de la civilisation gréco-latine. Ce thème récurrent dans les récits se retrouve dans un livre qui retrace le parcours des missionnaires en Orient. « Les clés du Royaume » d’A.J.Cronina un réel intérêt documentaire grâce au contexte historique et aux éléments géographiques, géologiques et culturels. La quatrième partie débute en 1902 quand un prêtre catholique Francis Chisholm fait un périple analogue à celui du Père Chauvin non pas en char à bœufs mais en jonque sur la rivière Ta Hoang, dans la province de Chek-Kow. Son regard se promène sur les passagers « ouvriers de ferme, vanniers et corroyeurs de Sen Siang, bandits et pêcheurs, soldats et marchands »,21 toute une cohorte qui se rend à la même destination que lui. Il n’en est pas moins sensible aux odeurs des fumées et des animaux en cage. La déception est d’autant plus profond qu’il tombe de la lune en constatant, contrairement au Père Dussercle et à l’Abbé Macquet, que sa congrégation n’est pas venue comme il y pensait « pour lui souhaiter la bienvenue ». Il a même l’impression d’être un marginal. Il y a visiblement une dissonance de tons dans la lettre remise par la Société des missions étrangères qui présente dans un style mélioratif la ville chinoise de Pai Tan « un endroit charmant… au bord d’un fleuve agréable ; c’est une cité florissante22 » et dans ce tableau déplorable qui s’offre à lui

18 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 qu’il décrit avec les plus menus détails: « les restes d’une chapelle de brique crue, sans toiture, avec un mur éventré et les autres croulants. Tout près, un tas de gravats représentait sans doute les débris d’une habitation. Des touffes d’herbes folles y poussaient. Une seule bâtisse tenait encore, parmi les ruines, un peu affalée, mais toujours coiffée de son toit de paille ; c’était une étable. » C’est l’envers du décor de rêve que la Mission en Ecosse lui a présenté dans le sens que le récit de l’abbé Chisholm est une découverte qui rompt l’enchantement, la vision exotique. On remarque une insistance sur les détails visibles à l’œil nu, entre autres, ledésordre, la saleté, le délabrement. A l’évidence, la tonalité est fortement dépréciative. Dans la chute finale, l’emploi du mot « étable » renvoie à un lieu où loge le bétail, ce qui rabaisse le missionnaire à un état animal mais paradoxalement fait naître à l’esprit la crèche dans l’étable de Bethlehem que Chisholm doit illuminer désormais. Toutefois ce ne sera qu’au bout de 30 ans que le vieux prêtre constate que la topographie de la paroisse s’est transformée : « l’école, le dortoir, le réfectoire, les ateliers de dentelières et de la vannerie… »23, une énumération qui n’efface pas pour autant de la mémoire « le site désert de l’ancienne Mission » au bas de la colline de Jade Vert Vif, où il fait un dernier pèlerinage et repense à « sa première messe, célébrée ici sur la cantine de métal verni, sans savonnette, ni enfant de chœur tout seul… ».24 Le contexte entraîne un dépaysement dans le temps avec un retour en arrière qui est nostalgique et qui favorise la méditation sur soi.

Voyage comme l’expression des mythes

Tout voyage n’est jamais de tout repos ; ce qui présuppose que certaines expériences se distinguent de l’expérience ordinaire propre à la vie quotidienne. Mircea Eliade qui retrace l’histoire des grands mythes des peuples primitifs jusqu’au monde moderne écrit dans cette optique: « La religiosité de cette expérience est due au fait qu’on réactualise des événements fabuleux, exaltants, significatifs, on assiste de nouveau aux œuvres créatrices des Etres Surnaturels ; on cesse d’exister dans le monde de tous les jours et on pénètre dans un monde transfiguré, auroral, imprégné de la présence des Etres Surnaturels. 25» L’expérience de Manoel Ribiero, missionnaire de Lisbonne, arrivé à Pékin en 1625 est relatée par le curé Francis Chisholm qui a découvert le journal du Portugais conservé par la petite communauté chrétienne du village de Liu. Le missionnaire de Lisbonne est représenté comme un personnage mi- historique et mi- légendaire auquel il prête des actions remarquables. Son aventure comporte des risques infinis que ne peut encourir que l’homme privilégié. De là le mythe du héros. Le danger guette de toutes parts à travers les « intrigues compliquées de la cour céleste, les flèches de silex 26» et le pillage de la caravane qui quitte Pékin le jour de l’Assomption 1629. Ribiera lutte entre la vie et la mort et se résigne en s’abandonnant à Dieu et en s’officiant « en sanglant holocauste ». Mais sa guérison est miraculeuse. Ribiero va sortir du temps profane pour intégrer au temps sacré puisqu’il acquiert « l’habitude de la contemplation » et de nouvelles valeurs. Dans l’optique de M.Eliade, la nouvelle situation du missionnaire après son épopée et sa volonté créatrice « il décide bientôt de réunir sur place quelques bergers et d’établir un village. Il bâtit une église »27 rappellerait le mythe d’origine confondu avec le mythe cosmogonique de la création. Le mythe du héros surgit aussi dans les péripéties du missionnaire Roger Dussercle dans les îles de l’archipel du Chagos. En juin 1935 il raconte dans une langue poétique la 19 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 lutte inégale entre l’homme et l’océan. Les interrogations et phrases suspensives « mais aujourd’hui ? ...nos ancres tiendront-elles ?... » et les images telles que « les déchirements de la vague sur les écueils…, la danse continuelle de la barque et du flot… les contorsions de la mer ont des affres hideuses »28 insistent sur le danger imminent car l’univers décrit n’est pas à l’échelle humaine. Les procédés stylistiques mettent en valeur le côté dramatique et épique de l’expérience. Il brosse un tableau des éléments de la nature sous une forme emphatique les faisant accéder à dimension mythologique. La mer symbolise l’enfer qui rend les conditions de vie à bord du navire très difficiles. C’est cyclique puisqu’il se rappelle du 16 octobre 1933 où leur bateau « le Diégo s’était trouvé dans ces mêmes circonstances de danger. » L’instant miraculeux tarde malgré les prières et l’espoir en « Marie, la bonne Mère, Reine des océans et patronne de matelots. »29 Comme le missionnaire Ribiero il offre sa vie à Dieu et se montre prêt à oublier sa famille, sa paroisse, ses chrétiens des îles « recevez mon sacrifice pour tous ceux que j’aime et que je quitte… »30 Subitement un homme avec une force herculéenne vient les délivrer. C’est une tentative solitaire, dangereuse qui relève de l’exploit héroïque puisqu’il s’élance « seul dans sa pirogue de 15 pieds de long, à l’assaut de la vague. »31 Il symbolise le sauveur qui s’engage dans un combat acharné contre les récifs, l’obscurité et les requins qui pullulent en cet endroit. Une fois le danger passé, le missionnaire est revigoré pour remplir un rôle sacré qui lui donne une nouvelle aura. Il s’agit ici du mythe du personnage messianique que l’Abbé Macquet lui aussi fait renaître en révélant comment son voyage à Trois-Bassins, l’île Bourbon, l’a conduit dans une nature vierge qui suscite un peu de recueillement et de contemplation. Il doit gravir les routes escarpées pour atteindre la chapelle. Il est exalté et glorifie la mission chrétienne en écrivant : « C’est là que je compristout le bien qu’un zélé missionnaire peut faire au milieu de cette population noire ».32 C’est le sens que donne Francis Chisholm auprès des villageois en quête d’une illumination nouvelle. Il décrit l’auditoire « silencieux dont les yeux reflétaient les flammes » comme sublimé par ses belles histoires sur les cathédrales, les « milliers de fidèles qui se rendent à Saint-Pierre 33» et tous ceux qui, sans distinction d’âge et de rang, adorent le Dieu du Ciel. Il ressent une émotion passagère d’avoir à oublier Pai Tan et soupire : « il polirait avec tant d’amour ce joyau ancien, soudain découvert en ce désert ! ».34 Pour en arriver là, son voyage a été jalonné de tant d’embûches ; en effet, tel un pèlerin muni d’un rouleau de couvertures et de provisions, il a traversé des rivières, a franchi une vallée et enduré un froid rigoureux à chaque pas. Ce n’est que le neuvième jour qu’il a vu la hutte d’un berger et les premiers signes de vie. La communion des âmes ne tarde pas à s’établir. C’est une quiétude ineffable de même nature que ressent le père Chauvin lorsqu’il se retrouve dans l’un des célèbres corridors de Rameswaram. Il entame un pèlerinage dans « l’interminable galerie » et avoue « nous gardons le silence pendant cette lente promenade, absolument subjugués ».35 L’émerveillement ponctué de sursaut de panique fait ressortir les mythes hindous du jeu, des éléments sacrés. La figure de l’aimable brahme qui le retrouve « dans ce kilomètre de galeries mystérieuses, au centre des quelles palpité […] tout un culte invisible, barbare et raffiné… »36 est comparable à celle du sauveur. Il vient les sortir du labyrinthe de pierre qui n’en est pas moins dans l’imaginaire bachelardien « le chemin des initiations ». les corridors, les ombres et les colonnes blanchâtres avec des lithographies invitent à une introspection. Le prêtre se voit à son insu entraîner dans une procession, qui engage l’intimité du sujet. Il entre de plain-pied dans un univers de formes et de couleurs qu’il retranscrit de manière

20 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 très imagée mais aussi ambivalente. L’accueil dans le sanctuaire le place dans un monde de dépaysement qui dépasse son entendement, « mais passant au cou des guirlandes de fleurs si violemment, si païennement capiteuse, que l’odeur grisante et fade m’en poursuivra jusqu’au lendemain, comme une hallucination. Du haut d’une plate-forme latérale, nous recevons les hommages des éléphants, plus nombreux encore que les chameaux, et que la coiffure et le caparaçon, de velours rouge somptueusement brodés d’or, rendent magnifiques de majesté ».37 Toutes les pratiques sacerdotales et les cultes font revivre les mythes qui ont survécu au passage du temps. Dans ce tableau apparaît la divinité animale qu’est l’éléphant et qui a inspiré plusieurs versions du mythe de la tête de Ganesa, le dieu de la sagesse. Le fait de s’en rappeler, d’imaginer la scène prolonge le bonheur de sentir révélé ici par les adjectifs « capiteuse, grisante, fade ». Plus il raconte et plus les images deviennent diffuses avec les splendeurs du palanquin en argent massif et de la déesse en or et décoré « de métaux précieux et de gravures ». Dans « La Terre et les rêveries du repos » Bachelard souligne que l’image doit nous séduire par tous les sens et que « la cause réelle du flux d’images, c’est vraiment la cause imaginée ».38 Ainsi les images ne sont pas réduites à leur simple valeur de signe mais sont dynamiques. Un autre prêtre ; l’Abbé Sassy, créole de l’île Bourbon, rend compte de son voyage en France à sa sœur Eudoxie, dans une lettre du 11 septembre 1862. Le voyage en train de la province à Paris est dénué de charme alors que la grande capitale l’émerveille par son aspect culturel et lui inspire des mythes antiques : celui de Babylone « où toutes les nations se rencontrent, toutes les langues se confondent ».39 Il semble étourdi dans les rues bruyantes. Sa visite aux Invalides fait ressurgir le mythe de Napoléon. Il sent qu’il vogue subitement dans un pays lointain et veut rêver face aux illustres ossements de « toutes les péripéties de la prise de ces monstres de guerre ».40 L’image métaphorique de monstres est une autre référence de la réalité au rêve. Le spectacle des Invalides sert de cadre à un récit avec ses dialectiques de ravissement et d’angoisse : « devant ce bonze étranger, dont la présence au milieu de nous atteste la valeur de nos soldats, et a valu sans doute à plus d’un brave Français un bras, une jambe ou une vie emporte ».41 Comme tout est nouveau l’abbé fouille des souvenirs pour donner un sens à ce qu’il découvre. Il ne fait aucun doute que le motif du voyage à partie liée avec la quête d’un Ailleurs qui peut à la fois enchanter et désenchanter. Toujours est-il que le déplacement géographique ne laisse jamais insensible les voyageurs et missionnaires puisque les récits s’organisent en une série temporelle structurée et suscitent un grand intérêt dépendant des lectures et des perceptions. Ce peut être un cheminement, une métamorphose de soi ou une renaissance des mythes.

Bibliographie.

1. Bachelard G (1924), La terre et les rêveries de repos, Editions José Corti, 7e impression, Paris, 1924, p.82. 2. Chauvin R.P. Dom Paul (1916), Pagode de Rameshwaram, Conférence faite à l’Hôtel de ville de , 28 mai 1916, Imprimerie : The Standard Port-Louis. 3. Critique littéraire sur le récit de l’Abbé Macquet, Le mémorial de la Réunion, p.461.

21 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

4. Cronin A.J(1950), Les clés du royaume, Editions : Au milieu du monde. 5. De Caille Abbé, Journal Historique du voyage fait au Cap de Bonne Espérance, Chapitre : Débarquement à L’Ile de France, Nyon Librairie, Paris. 6. DussercleR.P.Roger (1935), Naufrage de la barque Diego à l’Ile d’Aigle aux Chagos, paru en juin 1935, publié aux Editions du Hecquet, Port-Louis 2006, Ile Maurice. Eliade M. (1953), Aspects du Mythe, Editions Gallimard, Paris. 7. Loti Pierre, de son vrai nom Julien Viaud (1850) était un officier de marine qui a publié de nombreux récits sur les pays qu’il a parcourus dont l’Inde sous l’empire britannique. 8. Macquet Abbé, Le mémorial de la Réunion, Une visite mémorable, p.462. 9. Sassy Abbé (1862), Créole de l’Ile Bourbon, 1862, registres paroissiaux, p.20. 10. Un voyageur anonyme qui a visité Calcutta, Chandernagor en 1789 et a écrit Voyage au Bengale, dont deux extraits sont publiés dans Le goût des villes de l’Inde, Mercure de France, 2005 ; p.80- 82.

22 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Récits de voyage : Port-Louis, Isle de France, en classe de français

D.V. Ballgobin

Résumé

Les réformes en éducation sont de plus en plus nombreuses à travers le monde. Les enseignants sont appelés à innover en classe pour procurer un enseignement de qualité à leurs apprenants. Ils doivent satisfaire la curiosité insatiable des jeunes et favoriser leur développement personnel, leur capacité à raisonner et à développer un esprit critique dans un monde en perpétuelle transformation. Les enseignants doivent souvent chercher des supports scolaires qui conviendraient à l’âge et au niveau scolaire de leurs apprenants. Etant donné que les voyages intéressent les jeunes générations, et que plusieurs récits de voyage de l’époque coloniale sont disponibles gratuitement sur des sites en ligne, je propose d’étudier douze œuvres et de dégager une organisation hiérarchisée des contenus curriculaires à travers une sélection de thèmes et d’objectifs. Mots-clés : Savoirs, Centration sur l’apprenant, Objectifs généraux, Objectifs intermédiaires, Exploitation pédagogique. Depuis quelques années, les autorités éducatives mauriciennes font appel à la responsabilisation des acteurs du système éducatif à tous les niveaux afin de développer chez les jeunes des capacités de transfert des connaissances et les imprégner des valeurs fondamentales, du sens de l’Ethique et de la citoyenneté dans un univers multiculturel. Pour atteindre cet objectif, en 2014, dans le rapport Education Reforms in Action 2008- 2014, le ministère de l’Education et des Ressources humaines mise sur la responsabilité et la participation active de tous les acteurs de l’éducation. L’innovation est encouragée afin de procurer un enseignement de qualité aux apprenants et favoriser leur développement personnel, leur capacité à raisonner et à développer un esprit critique dans un monde en perpétuelle transformation. Par ailleurs, la conférence mondiale sur le développement durable des petits Etats insulaires en 1994 met l’accent sur les grands enjeux de développement du 21e siècle, les défis des grandes villes et l’organisation des habitants pour se transformer sans mettre en péril les ressources naturelles. Dans ce contexte, je me suis intéressé à l’introduction des récits de voyage datant de l’époque coloniale dans les curricula scolaires. Biens culturels du pays d’origine des auteurs, ceux- ci ont aussi la particularité d’appartenir au patrimoine culturel mondial. Ainsi, les lecteurs mauriciens curieux y retrouvent les souvenirs de voyage des auteurs nés en France ou en Grande Bretagne, mais aussi les souvenirs de ceux qui sont nés dans l’ile et l’ont quittée pour voyager à travers le monde. Plusieurs ouvrages sont disponibles en version imprimée dans les bibliothèques de l’ile principale, l’île Maurice. Aujourd’hui, la plupart de ces œuvres appartiennent au domaine public. Il est possible de consulter gratuitement ces manuscrits anciens, isolés ou en collection, et une gamme de supports additionnels tels que des documents iconographiques, des cartes et des plans sur Gallica, la bibliothèque numérisée de la Bibliothèque nationale de France (BnF), et sur l’archive numérisée de

23 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Googléen partenariat avec des bibliothèques américaines.Certains blogues, agrémentés de photographies anciennes, enrichissent ces collections numérisées, par exemple, le diaporama de cent photographies du blog de J. P. Montocchio (http://montocchiojp. canalblog.com/albums/pitot/photos/76019405-pitot_albert_esquisses_historiques.html). Pour cette étude, j’ai consulté les ouvrages de douze auteurs-voyageurs (cf. Tableau 1). Etant donné que l’ensemble de ces supports font partie du patrimoine littéraire mondial, il s’agit de transmettre leurs contenus d’une génération à l’autre, par exemple, à travers leur exploitation pédagogique pendant la formation des enseignants et, ensuite, dans des classes de français pour favoriser le développement des compétences linguistiques, culturelles, interculturelles et humanistes. L’organisation hiérarchisée des contenus curriculaires permettrait aux enseignants d’effectuer une sélection de thèmes et d’objectifs convenant à l’âge des apprenants. Le travail interdisciplinaire entre enseignants favoriserait l’enrichissement de leurs connaissances sur le plan historique. Ainsi, une connaissance affinée des vagues successives de migration de régions différentes du monde, l’évolution démographique de la région portuaire et, par extension, de l’île Maurice, et l’impact sur les relations réciproques entre groupes ethniques, permettrait de mieux en mesurer la complexité de la société mauricienne contemporaine. Tableau 1 : Auteurs et récits de voyage

Auteur/Profession Référence bibliographique Séjour

François Leguat (1638-1735). Voyage et Avantures de Francois Leguat et 1693 - 1694 de ses compagnons en deux îsles désertes des Explorateur et naturaliste. Indes Orientales. (1708) Tome 2.Imp. Louis de Lorme. Amsterdam.

Albert Pitot (1855 – 1918). T’eylandt Mauritius: esquisses historiques 1598 - 1710 (1598-1710). (1905). Coignet Frères et Cie. Historien et chroniqueur. Ile Maurice.

Louis Le Conte. Aventures d’un Français aux Mascareignes 1693 à la fin du siècle de Louis XIV : conférence faite par M. Louis Le Conte à l’Hôtel de ville de Curepipe, sous le patronage de M. le consul de France. (1924). Soc. gén. d’imprimerie et d’édition. Paris.

Bertrand François Mahé de Mémoires historiques de B. F. Mahe de La 1735 - 1740 La Bourdonnais (1699-1753). Bourdonnais, Gouverneur des îles de France et de Bourbon; recueillis et publiés par son Officier naval nommé petit-fils. (1827). Imp. H. Fournier. Paris. gouverneur général des Isles de France et de Bourbon.

Jacques Henri Bernardin de Voyage à l’Isle de France, à l’îsle de 1768 - 1770 Saint-Pierre (1737-1814). Bourbon, au Cap de Bonne-Esperance, etc. avec des observations nouvelles sur la nature Capitaine-ingénieur du Roi à & sur les hommes (1773). Tome 1 & Tome l’Ile de France. 2. Amsterdam.

24 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

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Jacques Gérard Milbert Voyage Pittoresque à l’Ile de France, au Cap 1801 - 1804 (1756- 1840). de Bonne Esperance et à l’ile de Ténériffe. (1812). 2 vol. A. Nepveu. Paris. Peintre naturaliste et voyageur.

Grégoire Avine. Avine G. (1961). Les voyages du chirurgien 1801 - 1805 Avine à l’Ile de France et dans la mer des Officier et chirurgien. Indes au début du XIXe siècle. Publiés par Raymond Decary. Imprimerie G. Durassié et Cie. Paris.

J. B. Tabardin (1783 -) La Vie ou les aventures de J. B. Tabardin 19e siècle dans ses voyages imaginé et commencé le Né à l’ile Maurice. Voyageur. premier janvier 1805. (1993). EdsVizavi. Ile Maurice.

Baron Antoine Marrier Statistique de l’ile Maurice et ses Séjour de d’Unienville (1766-1831). dépendances. (1838). Tome 1. Gustave 29 mois. Barba, Paris.

Souvenirs d’un aveugle. Voyage autour 19e siècle du monde. (1868). Enrichie de notes scientifiques par François Arago. Ed. Jacques Arago (1790-1855). Lebrun. Paris. Dessinateur et explorateur Promenade autour du monde, pendant 19e siècle les années 1817, 1818, 1819 et 1820, sur les corvettes du roi «L’Uranie» et «La Physicienne» commandées par M. Freycinet. (1822). Tome 2. Imprimeur-Libraire. Leblanc. Paris.

Auguste Billiard (1788-1858). Voyage aux Colonies orientales. (1990). 1817 - 1820 Fonctionnaire. Collection Mascarin. Ars Terres Créoles. Ile de la Réunion.

Jules Sébastien César Voyage autour du monde publié sous la 19e siècle Dumont d’Urville (1790- direction du contre-amiral Dumont d’Urville. 1842). (1852). Tome 1. Furne et Cie. Paris.

Officier de marine, Capitaine Voyage de la corvette l’Astrolabe (1830). 1826 - 1829 de vaisseau et explorateur. Histoire du voyage Tome 1. Editeur- Imprimeur J. Tastu. Paris.

25 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

P. J. Toulet (1867-1920). Journal et Voyages. (1955). Le Divan. Paris. 1885 - 1888 Suit ses parents à l’île Maurice.

1. Savoirs issus des récits de voyage

Les apprenants mauriciens acquièrent des connaissances historiques principalement à travers l’étude des matières suivantes en milieu éducatif : Histoire-géographie à l’école primaire et Social Studies au collège. Dans les manuels scolaires de langues, les savoirs sur l’Histoire de la République de Maurice, de la France,de la Grande Bretagne, de la Hollande et du monde sont extrêmement limités. Par conséquent, il s’agit pour les didactologues d’évaluer les besoins des apprenants dans ce contexte et de définir les objectifs pédagogiques à atteindre en classe de français ou d’anglais à travers les récits de voyage, et d’enrichir de la sorte les curricula scolaires. La lecture des ouvrages découvre des points communs : tous les auteurs évoquent Port-Louis, ce qui a constitué le point central pour la définition des objectifs généraux pour cette étude. Tableau 2 : Objectifs généraux et objectifs intermédiaires

Objectif général Objectifs intermédiaires

(A) Expliquer le trajet d’un port Décrire le trajet d’un port de la France jusqu’à l’Equateur français jusqu’à l’océan par voie maritime Indien par voie maritime Décrire le trajet de l’Equateur jusqu’à l’Isle de France par voie maritime

Classifier les dangers auxquels doivent faire face l’équipage et les passagers

Analyser l’importance stratégique de cette région

(B) Expliquer la vie de ceux qui Catégoriser les métiers exercés à bord d’un navire embarquent pour un voyage Décrire l’embauche du personnel par le Capitaine d’un navire

Discuter des difficultés associées aux métiers à bord d’un navire

Décrire la vie des passagers à bord d’un navire

(C) Expliquer les facteurs Enumérer les raisons motivant le voyage de chaque auteur motivant le voyage des passagers Décrire le métier exercé par chaque auteur

Examiner les raisons du passage de chaque auteur à Port- Louis

26 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

(D) Expliquer la Indiquer les spécificités de l’océan indien par rapport à Port- géomorphologie de la Louis région portuaire Relever les spécificités des passages maritimes des alentours

Relever les types de sol de la région portuaire

(E) Expliquer l’importance Démontrer l’importance administrative de Port-Louis de la ville principale de l’ancienne Isle de France Démontrer l’importance commerciale de Port-Louis dans la diachronie Enumérer les activités portuaires

Illustrer le cosmopolitisme de la ville de Port-Louis

Analyser la diversité culturelle de la population citadine (étrangère et locale)

Décrire les moyens de transport pour la région

(F) Analyser la région portuaire Enumérer les différentes appellations de Port-Louis géographiquement chronologiquement

Décrire la région portuaire à une époque donnée

Elaborer le plan du centre-ville de Port-Louis pour une époque donnée

Définir le plan des faubourgs de Port-Louis pour une époque donnée

Expliquer l’expansion et les transformations associées à la ville

Expliquer l’accès aux ressources de base comme l’eau

(G) Analyser l’espace Décrire l’évolution des habitats de la classe sociale élevée résidentiel de Port-Louis Décrire les mœurs, us et coutumes des habitants de la ville

Décrire l’importance des espaces verts à Port-Louis

(H) Analyser l’espace Décrire l’évolution des habitats de la classe ouvrière résidentiel des faubourgs de Port-Louis Décrire les mœurs, us et coutumes des habitants des faubourgs

Décrire l’importance des espaces verts dans les faubourgs

27 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

(I) Analyser les outils culturels Décrire les loisirs de la population pauvre à Port-Louis de Port-Louis Décrire les loisirs de la population aisée à Port-Louis

Distinguer entre les différents types de loisirs à Port-Louis

Analyser les limitations associées à l’éloignement géographique de la ville

Analyser la place de l’instruction scolaire à des périodes spécifiques et son impact sur la vie culturelle des habitants

2. Quelques pistes pour une exploitation pédagogique

Objectif général A : Expliquer le trajet d’un port français jusqu’à l’océan Indien par voie maritime. Le premier thème abordé par les voyageurs concerne l’espace géographique, le système de navigation maritime et les exigences des métiers du personnel à bord des navires. Billiard (pp. 12-23), par exemple, quitte de Saint Malo le 25 septembre 1816. Il décrit les contrées aperçues ou visitées pendant les quarante premiers jours jusqu’à l’Equateur (Saint- Malo, côtes de Bretagne, iles de Jersey et Guernesey, Saint-Brieuc, Starpointe, Lannion, Madère, Ténériffe, Lancerotte, iles du Cap Vert, Cap de Bonne-Espérance, Equateur), les changements de zones géographiques (rocher en forme d’arête, éruptions volcaniques, flancs arides) et de climats (bourrasque, tempête, brumes froides, vapeurs, brise, zone torride, grains chargés de pluie et de vent, grains noirs, grands orages) ; et ensuite l’arrivée le 5 février 1817 à l’Isle de France. Mahé de la Bourdonnais justifie le choix de Port-Louis comme port principal en s’appuyant sur les spécificités géomorphologiques et climatiques (pp. 12-13). Extrait 1 : Mahé de la Bourdonnais « Les deux ports de l’Ile de France sont le port du Sud-Est ou Bourbon, et le port du Nord- Ouest ou Louis. Les vents de sud-est, qui règnent dans la latitude de ces deux îles une partie de l’année, donnent une facilité extrême pour entrer dans le port sud-est ; mais comme ces mêmes vents s’opposent presque constamment à la sortie et la rendent très difficile, on a été obligé d’abandonner ce premier port pour ne songer qu’au second. Ce dernier est situé à peu près au milieu du côté septentrional de l’île. On y pénètre par un canal étroit entre deux bas-fonds qui s’avancent en mer. Lorsqu’un navire arrive vis-à-vis ce canal, on est obligé de le touer ou de la remorquer avec des barques, parce que les vents du sud-est l’empêchent d’entrer sous voiles ; mais, par la même raison, ils rendent la sortie très facile. Du reste, l’embarras des opérations nécessaires pour l’entrée de ce port, joint au peu de largeur du canal, qui ne permet pas d’y faire entrer deux vaisseaux de front, rendent sa situation très forte et peu susceptible d’être attaquée avec succès. » Arago déplore le fait que l’île soit devenue une colonie britannique, d’Urville souligne l’importance stratégique du port (p. 77) : Extrait 2 : d’Urville « L’ile de France, toute dentelée de petits golfes, avec son Port-Louis, et son Grand-Port qui le suppléerait au besoin, était une station sure, un point de relâche propice aux navires. » 28 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Objectif général B : Expliquer la vie de ceux qui embarquent pour un voyage. Tabardin a une passion pour les voyages depuis son adolescence. Il raconte avec franchise ses aventures Il s’attarde sur les punitions à bord telles que recevoir « douze coups de corde enduit de goudron » (p. 43) et la rétention de salaire (p. 45). Il décrit la manière dont il est accepté à bord des navires par les Capitaines à la recherche de main d’œuvre avant chaque départ (pp. 14-15 ; 55). Il décrit les escroqueries dont il est victime sur le port (p. 45). Extrait 3 : Tabardin « [Le Capitaine] me dit que j’étais bien jeune, et me demanda si j’avais déjà navigué ; je lui répondis que non, il me proposa cinq piastres d’avance, m’assurant que les autres volontaires plus capables que moi n’en avaient reçu que quinze et vingt. En sortant de chez le Capitaine, je fus pour me faire passer au bureau après bien des questions on me demanda si j’avais un permis de ma mère ; Nouvel embarras pour moi ! mais tout-à-Coup songeant que ma sœur ou moi faisions ordinairement ses affaires, je me rendis à ma boutique où j’écrivis de ma main un permis du mieux qu’il me fut possible que j’allai de suite présenter à l’homme du bureau qui le reçut sans scrupule, je passe donc au bureau Et m’embarque sur le Champ. […] Chemin faisant, je disais en moi-même premièrement, Je ne suis pas marin, il faut que je passe encore maitre d’hôtel, Et par Conséquent je dois me préparerà recevoir de fameuses Réprimendes. En second lieu, si son maitre d’hôtel est trouvé, je me rappelle la manière de faire du pain chez moi, je me proposerai pour boulanger, s’il doit y en avoir un à bord. Comme je ne demanderai Rien, on me recevra sans doute, et par ce moyen, Je gagnerai mon passage. » Bernardin de Saint-Pierre relève les conditions de travail inhumaines des matelots ainsi que les séances de pêche à bord des navires pour assurer la subsistance à bord (p. 85). Objectif général E : Expliquer l’importance de la ville principale de l’ancienne Isle de France dans la diachronie. Leguat, voyageur au 17e siècle, met en perspective les difficultés de la navigation au moment où il rejoint le port au nord-ouest de l’île sous domination néerlandaise (pp. 11-12). Extrait 4 : Leguat « Sur les cinq heures du soir le vingt-neuvième de Mai, & le 9ème, de notre navigation, nous arrivâmes donc enfin dans une petite baye de l’Isle Maurice. Nous entrâmes dans une assez jolie rivière, la marée montant, & nous descendîmes dans un endroit agréable au pied d’un côteau tout couvert de grands arbres. Nous étions si étourdis du bateau que nous chancelions comme des gens yvres, & que nous nous laissions tomber même, (…) [Le Gouverneur] nous promit de nous envoyer une ancre que nous trouverions en passant au Port du Nord-Ouest afin que nous puissions nous en servir dans le besoin en allant à la Loge : c’est ainsi qu’on nomme en François le logement du Gouverneur de ces Isles, de quelque manière qu’il soit construit. […] nous arrivâmes au port du Nord-Ouest (…) on nous dit qu’il fallait nous résoudre à porter nos hardes jusqu’au Flac, petit hameau où est le Jardin de la Compagnie, à huit lieues de là. Comme c’était un faut-le-faire, nous primes bien-tôt nôtre résolution ; & nous transportames nôtre bagage en sept ou huit Voyages fort fatiguants, en traversant des forêts sans route, ou nous nous égarions quelquefois. » La plupart des auteurs français décrivent Port-Louis comme une ville portuaire cosmopolite et mouvementée. Billiard énumère différents métiers exercés dans la région portuaire (pp. 27-28). 29 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Extrait 5 : Billiard « Vous rappelez-vous cette foule de nègres qui circulaient sous les hangars et dans les cours de la douane, auprès de laquelle on nous avait fait débarquer ? Voyez-vous encore ces gros Cafres dont les larges épaules reluisaient au soleil, les uns dormant sur des balles de marchandises, les autres occupés à les porter aux magasins ? Ces Indiens avec le costume de leur pays, nous demandant poliment le contenu de nos malles sans en exiger l’ouverture ? Ces trois ou quatre Chinois que nous comparions avec nos peintures de paravent ? Ces négresses empressées, qui pour blanchir leur linge, offraient d’un air malin leurs services aux matelots dont nous étions accompagnés ? Et parmi ces figures d’Afrique et de l’Asie, des négociants, leurs commis, et des oisifs en gilet rond et en pantalon blanc, ayant presque tous des parasols ou de grands chapeaux de paille et de feutre gris ? » La diversité ethnoculturelle de Port-Louis frappe les voyageurs. Milbert propose des statistiques sur la population de Port-Louis. Les Blancs et les Gens de Couleur forment la majorité des habitants de la ville portuaire. La population esclave est plus nombreuse dans le district de Pamplemousses, suivi de Port-Louis, avec un plus grand nombre d’esclaves mozambicains. Extrait 6 : Statistiques de Milbert sur la population du district de Port-Louis

Population Total des Nombre d’esclaves Total habitants des Hommes Femmes Enfants libres Créoles Malga- In- Mozam- esclaves ches diens biques Proprié- taires

Blancs 1511 605 1047 3363 1414 1842 1424 3684 8364

Gens de 450 1291 2001 3944 679 679 589 1371 3318 Couleur

Population 3,697 3,469 6,796 13,962 16,784 11,030 6,162 26,670 60,646 totale

Plusieurs auteurs décrivent le système de locomotion dans l’île, notamment le cheval, l’âne et la calèche. Milbert décrit l’usage du palanquin, relevant la bonne entente entre maîtres et esclaves, la soumission de ces derniers et la cohabitation pacifique entre colons et esclaves. (pp. 154-156). Extrait 7 : Milbert « Le palanquin est une sorte de litière longue de cinq à six pieds, garnie d’étoffes dans l’intérieur, et dont les panneaux sont plus ou moins décorés. On y entre par deux portières, qui sont ordinairement garnies de rideaux de soie. Le fonds de la litière est un treillis de canne ou de rotin, sur lequel on met un matelas. Quelques-unes de ces litières, plus recherchées, ont de chaque côté de petites jalousies. […] Il est facile de reconnaitre sur les routes l’approche d’un riche colon, aux chansons par lesquelles les noirs qui le portent charment la fatigue du voyage. Ces nègres marchent deux à deux, de façon que leurs épaules se touchent, et que le reste de leur corps s’éloigne de la perpendiculaire. Dans cette position, ils changent le palanquin d’une épaule sur l’autre, sans que la personne qui est dedans s’aperçoive du mouvement.

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Les négresses de service suivent la marche, en portant les bagages. Celle qui fait fonction de femme de chambre, porte sur la tête une boîte de fer-blanc vernissée, contenant du linge, pour en changer en cas de besoin. Les petits enfants suivent leurs parents ; le palanquin dans lequel on les porte est plus simple. » Objectif général F : Analyser la région portuaire géographiquement. D’Unienville consigne des informations à propos du nom de la ville. Autrefois nommé « Camp » par les Hollandais, l’appellation devient « Port-Louis » sous le régime révolutionnaire, et successivement « Port-du-Nord-Ouest », « Port-de-la-Montagne » et « Port-Nord-Ouest ». Sous Decaën, c’est le « Port Napoléon ». En 1810, les Britanniques la nomment « Port-Louis » de nouveau (p. 48). D’Unienville décrit exhaustivement la ville de Port-Louis. Le faubourg de l’est (ou Camp Malabard) est borné par la Plaine Verte jusqu’à la Rivière Lataniers tandis que le faubourg de l’ouest (Camp des Libres) s’étend du Ruisseau des Créoles à la Montagne de la Découverte. Billiard, lui, évoque la ville noire regroupant les deux camps et la ville blanche, « la partie occupée par les Européens » (p. 34) et il y rajoute le « Camp des Chinois ». Arago donne des précisions similaires (pp.193-194). Extrait 8: Arago « Le Port-Louis est grand et sûr. (…) De la rade, la ville présente un aspect lugubre. Les maisons, qui sont presque toutes en bois, ont une teinte noirâtre qui afflige les regards (…). L’intérieur des maisons ne manque pas d’élégance ; mais il y a bien loin de leur propreté à celle des hôtels du Cap. Tout ici est plus recherché ; là-bas tout est plus brillant : les meubles sont plus sompteux, plus riches à Maurice (…). La ville est divisée en quartiers ou camps. Le Camp Malabar est celui que choisissent en général, pour leur logement, les Indiens et les Chinois arrivant à l’Ile-de-France, et qui doivent y séjourner quelque temps : On n’y voit que de misérables cabanes. Le Camp libre est composé de petites bâtisses qu’occupent les Mulâtresses libres. L’espace contenue entre les camps est ce qu’on appelle ville. » Mahé de la Bourdonnais, l’architecte de Port-Louis, s’attarde sur les difficultés par rapport à la main d’œuvre et aux mentalités de la colonie (p. 22-23). Extrait 9 : Mahé de la Bourdonnais « Je n’entrerai point ici dans le détail de toutes les constructions que j’ai fait faire aux îles, tant en magasins, arsenaux, batteries et fortifications, qu’en logements pour les officiers, bureaux, moulins, quais, ponts, canaux et aqueducs. Le seul canal de l’Ile de France, qui conduit des eaux douces au port et aux hôpitaux, est de trois mille six cents toises de longueur ; au moyen de cet aqueduc, non seulement l’habitant et les malades ont actuellement à leur porte l’eau qu’on était auparavant obligé d’aller chercher à pied d’une lieue, mais encore les équipages des vaisseaux la trouvent au bord de leurs chaloupes […] A mon arrivée, on ne savait ce que c’était que radouber ou de carenner un vaisseau. Les habitants […] étaient incapables d’y faire eux-mêmes la moindre réparation […] Je fus étrangement surpris de voir régner une paresse et une ignorance si profonde dans une île qui, par sa situation, me paraissait propre à devenir une autre Batavia. »

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Après un long et épuisant voyage jusqu’au milieu de l’océan Indien, les voyageurs découvrent ces lieux exotiques pour la première fois. L’arrivée à destination est empreinte d’émotions de même que la découverte du port et de ses environs (pp. 25-26). Extrait 10: Billiard « Quel plaisir de s’avancer à pleines voiles, poussé par le meilleur vent, sur le port où l’on veut débarquer ! On fait le tour de la moitié de l’Ile de France avant d’y aborder. Il me semble que c’est un plaisir de plus. Nous doublâmes le célèbre Coin de Mire jeté à pic dans la mer auprès du Cap Malheureux ; nous laissions à droite l’Ile Plate, l’Ile Ronde, et le Colombier, rochers arides qui sont si bien nommés. Rangeant ensuite de plus près la terre, il nous était aisé de distinguer les habitations dans la plaine riante qui s’étend du pied des montagnes au bord de la mer. On me dit que c’étaient le quartier de la Poudre-d’Or et celui des Pamplemousses. De longues pirogues chargées de noirs se succédaient fréquemment entre nous et le rivage ; elles se plaçaient au premier plan du tableau. Je n’avais encore rien vu de pareil à ces montagnes d’une forme si hardie et si pittoresque qui arrêtaient notre vue dans le lointain ; (…) Comme ils se détachent les uns des autres, on croirait voir une découpure d’un travail fantasque et pourtant délicat. A midi nous étions en face du Port-Louis, dont les montagnes nous avaient jusqu’alors intercepté la vue. Plus de cent navires de toutes les nations, rangés au fond de la rade, nous donnèrent une haute idée de l’importance de la colonie. La ville du Port-Louis, dans l’espace de trois quarts de lieue, s’étend en amphithéâtre sur le bord de cette rade ; une riche verdure d’une autre nuance que celle de nos pays s’entremêle avec d’élégants pavillons ; des cocotiers et des bananiers, dont les longues palmes, du point où nous les voyions, semblaient retomber jusqu’à la mer, bordent le devant de ces jolies maisons que vous voyez sur la droite. (…) Le plan incliné sur lequel est bâtie la ville, est interrompu tout à coup par la saillie des montagnes arides qui s’élèvent à pic de tous les côtés. Ce rempart gigantesque, qui se perd dans les nuages (…) parait écraser les monuments construits à ses pieds. » Plusieurs années plus tard, les Français portent un regard critique sur les lieux. Arago débarque à Port-Louis, devenue colonie britannique. Il déplore l’état de dégradation des lieux et des bâtiments comme la Tour-des-Blagueurs et « le palais du Gouvernement, bâtisse de bois noir, à trois corps de logis, resserrée, étroite, privée d’air et sans élégance », « une véritable cage à poules » (p. 62). Toulet garde une impression cauchemardesque des rues de Port-Louis le jour de la fête française, le 14 juillet à cause des « faces glabres » et des « corps malingres aperçus dans l’encombrement des échoppes ». Certains ressemblent à « des araignées embusquées derrière une barrière concave annonçant la vente d’opium » (pp. 24-25). Objectif général H : Analyser l’espace résidentiel des faubourgs de Port-Louis. Plusieurs auteurs s’étendent longuement sur les pays d’origine des esclaves. Au chapitre VI de son ouvrage, Milbert décrit les habitants des faubourgs de Port-Louis qui conservent les croyances de leur pays d’origine. Il décrit les Yolofs « au tatouage bizarre » pour décorer certaines parties de leurs corps (p. 163). Il souligne leurs croyances dans un monde invisible. Les Madécasses portent, au cou et dans les cheveux, un gri-gri « fabriqué avec de jeunes cornes de cabri, des ongles de coq ou des dents de crocodiles, remplies de graisse, d’huile rance et d’autres ingrédients » et parfois aussi des amulettes sous forme de « petits paquets de bois » (pp. 164-165).

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Lors des festivités, les membres de chaque groupe ethnique se parent de manière traditionnelle. La tenue vestimentaire de chaque groupe y est largement répertoriée (pp. 165-173). Extrait 11 : Milbert « Les hommes libres de , ceux qui dans le pays servent de valet ou d’hommes de confiance aux Européens (…) se nommentmarmites à l’Ile-de-France. Ils vont tout nus, à l’exception d’un pagne qu’ils fabriquent eux-mêmes, ou d’une espèce de culotte qu’ils se font avec une étoffe assez étroite. Une seconde bande de toile complète leur vêtement ; cette pièce est d’ordinaire attachée autour du corps ; elle passe ensuite par-dessus et par-dessous leurs cuisses, et l’un des bouts se rattache à la ceinture : ils n’ont à découvert qu’une de leurs épaules et les jambes. […] Les jours de fêtes, les femmes madécasses divisent leurs cheveux en une infinité de petites tresses mélangées de verroteries ; ces nattes sont relevées et attachées avec une longue épingle de bois d’ébène. Leur vêtement ordinaire est un pagne saimbou, dont elles s’enveloppent depuis le dessous du sein jusqu’à mi-jambes. […] Les hommes libres [Talinga] portent pour vêtement une robe blanche ou une espèce de veste, qui tombe, en se croisant, sur les genoux, et est fermée sur la poitrine avec de petits boutons. Ils ont par-dessous un large pantalon, et pour chaussures des pantoufles charges de broderies. La pointe de ces souliers se relève somme celle de la pantoufle des Chinois. Leur coiffure consiste en un turban de belle mousseline, ou un schall de cachemire roule autour d’une calote de drap rouge ou d’une autre couleur, suivant leur gout ou leur caste. A leurs oreilles pendent de longs anneaux d’or ; ils ont aux poignets des bracelets d’argent ; les femmes portent des bagues d’or ou d’argent à chaque doigt des mains ou des pieds. » Si le voyageur étranger considère la capacité à vivre-ensemble de groupes ethnoculturels malgré leur hétérogénéité, quelques-uns s’attardent longuement sur les différences au sein de la hiérarchie sociale. Baron Grant s’attarde sur une description détaillée de l’exploitation des esclaves noirs (pp. 74-78). Milbert décrit les particularités des Madécasses : ils sont rebelles et font des tentatives de fuite dans de frêles embarcations (pp. 163-164). En revanche, les Indiens sont plus passifs et obéissants (p. 170). Extrait 12 : Milbert « D’abord, ils cherchent à s’emparer d’un canot ; s’ils ne peuvent y parvenir, ils construisent, dans l’intérieur des forêts, une pirogue faite avec un seul arbre, qu’ils ont creusé eux-mêmes en y mettant beaucoup de temps et une patience infinie. (…) Il arrive souvent que, pendant ce périlleux trajet, quelques-uns d’entr’eux périssent avant d’aborder dans leur pays. […] Les Indiens forment trois divisions principales, savoir les Talinga, les Malabares, et les Bengalis. Quelques-uns viennent de Daca, de Chatigan, etc. Ces esclaves sont les plus beaux et les mieux faits. Leur physionomie est régulière, leur couleur est olivâtre ou cuivrée, et ils ont l’air extrêmement doux ; leurs cheveux sont lisses, très longs, et d’un beau noir. On préfère les Indiens comme domestiques, parce qu’ils sont plus propres et plus dociles que les autres races d’esclaves. Plusieurs savent lire, et deviennent de très bons ouvriers. Ils sont fidèles et sobres, et pour la plupart des gentoux ou idolâtres. Ceux qui sont créoles servent dans la troupe de la garnison des deux iles. Plusieurs de ceux qui sont libres se sont enrôlés lorsque l’amiral Boscawen menaça Pondichéry. On forma alors un corps de créoles de race indienne nés à l’Ile-de-France et de Bourbon, lesquels concoururent avec succès à la défense de cette place. »

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Certains auteurs insistent sur l’état de délabrement des habitats dans les faubourgs. Ils soulignent le manque d’hygiène et la misère. Billiard considère que les habitants du Camp Libre, les affranchis noirs ou mulâtres, sont peu laborieux, sobres ou économes. De plus, le « quartier n’est pas le refuge des bonnes mœurs ; une partie de cette population a d’autres ressources que celle du travail, qui pour elle ne serait pas aussi lucratif ». La dégradation des mœurs dans la colonie, plus spécifiquement l’existence de la prostitution, est signalée (p.35). Objectif général I : Analyser les outils culturels de Port-Louis. Les auteurs décrivent la vie culturelle à Port-Louis, notamment les promenades au Jardin de la Compagnie et les bals pour les Créoles, les courses hippiques au Champ de Mars pour les familles de la classe ouvrière, et aussi la consommation de gandia et de l’opium dans des magasins chinois. Tous reconnaissent que le port facilite l’arrivée et la diffusion des informations sur la vie culturelle dans leur pays d’origine, leur ouvrant ainsi les horizons. Tabardin exprime sa satisfaction de pouvoir gagner sa vie temporairement, ce qui lui donne amplement de temps pour goûter aux plaisirs que lui offre Port-Louis, lieu par excellence des mauvaises fréquentations et des « crapules » (pp. 39-41). Extrait 13 : Tabardin « Me voilà donc rendu dans ma patrie, jouissant de Tous les agréments que me permettait mon âge. [Je] me retirai D’abord Chez ma bonne mère à la campagne ; mais La vie champêtre me devint bientôt insipide, et comme j’ai Toujours aimé les plaisirs, je fus demeurerà la ville, qui en était le Centre, et où je pouvais m’y livrer avec plus de facilité. Pour ne pas rester oisif, et pour me procurer en même temps les moyens de satisfaire mes petites fantaisies, Je me mis à travailler de mon état de tailleur, et m’adonnant d’ailleurs à tous les amusemens que m’offrait la société, Je passais mes jours fort agréablement. » Tabardin, lui, déplore l’ignorance qui « encrasse (…) les trois quarts des hommes (p. 44) tandis que d’Urville s’exprime sur les pertes culturelles localement (p. 67). Extrait 14 : d’Urville « Depuis notre dernier voyage à Port-Louis, car c’est la troisième fois que j’y viens, il a fait de grandes pertes dans les personnes de M. Mallac, digne de l’Académie française ; M. Arrighi était connu pour la bonté de son caractère ; M. Pitot était l’ornement de la colonie. Il ne sortait rien que de sage et de sensé de la bouche de cet homme, mort jeune, et qui était aussi poëte. Je crois qu’il ne reste plus de remarquable de cette charmante société de a Table-Ovale, que MM. D’Epinay. »

Conclusion

Les extraits de différents ouvrages sont utilisables pour le développement des quatre compétences linguistiques. A partir de l’exploitation des sensations et des émotions éprouvées par les auteurs, les apprenants seraient invités à simuler des situations vécues par les voyageurs à des époques différentes et à analyser leur vulnérabilité au milieu de l’océan et aussi sur terre (tempête, bourrasque, cyclone). A travers les descriptions des auteurs, les apprenants doivent être capables de développer des savoirs d’abord sur le macro-espace (la région portuaire aux alentours de Port-Louis) et ensuite sur les micro-espaces (Port-Louis et ses faubourgs). Au moyen de lectures sélectives, ils pourraient enrichir leur répertoire lexical

34 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 et syntaxique. Les exercices consisteraient à énumérer les moyens de locomotion par voie maritime et terrestre, à expliquer des termes relatifs aux déplacements vers le port, à décrire les conditions relatives au voyage en mer, à identifier sommairement la géomorphologie de l’île principale et des iles du nord, et à les différencier entre elles. Pour améliorer leurs techniques de rédaction descriptive, les apprenants francophones contemporains pourraient comparer des supports écrits sur un thème précis (les habitats de Port-Louis). Des supports écrits additionnels, sous forme de cartes géographiques anciennes et actuelles permettraient aux apprenants francophones contemporains d’observer, de comparer, de reproduire et de situer la ville de Port-Louis, renforçant leurs connaissances générales sur cette partie du territoire mauricien à travers un apprentissage ludique. Pour les apprenants plus âgés, l’analyse de la hiérarchisation sociale et de ses séquelles les aideraient à mieux cerner les problématiques contemporaines et à mieux comprendre l’importance de la communication interculturelle. Des informations sur la population locale telles que la manière de vivre et de penser des habitants par flux migratoire, et un récapitulatif dans la diachronie aideraient les jeunes à mieux saisir l’évolution de la population au fil du temps et à interpréter la complexité associée à la diversité ethnoculturelle de la population. Certains savoirs aideraient à briser les tabous et à mieux cerner les problématiques contemporaines, découlant sur le développement des capacités à vivre-ensemble, à mener des projets communs, à partager des responsabilités et à forger une identité nationale commune. Des débats et discussions pourraient être initiés à propos de Mahé de la Bourdonnais, de ses capacités professionnelles et aussi de ses qualités de meneur pour compléter les travaux infrastructurels à Port-Louis. Une analyse critique des constructions pourrait être faite dans une zone ciblée (au moyen de Google Earth) afin de mesurer l’impact de la mal gouvernance sur l’environnement naturel et les êtres vivants. Ces supports devraient, au préalable, être intégrés dans les curricula pour la formation des formateurs. Il est important de faire ressortir les limitations de ces ouvrages qui offrent à la fois certaines données factuelles mais reflètent aussi les perceptions des voyageurs à des périodes précises de l’histoire. Les formateurs des enseignants pourraient ainsi proposer des activités centrées sur le développement de leurs capacités d’analyse critique plutôt que sur l’apprentissage par la mémorisation. De plus, les futurs enseignants pourraient améliorer leurs compétences professionnelles en comparant le style des auteurs-voyageurs abec ceux qui ont repris leurs travaux pour les publier sous un format différent, et en pratiquant eux-mêmes des exercices similaires. Des tâches de traduction (français/anglais) amélioreraient leurs compétences en traduction.

35 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 The Middle Way to Banaras: A Sentimental Journey in Namaste, India1

Marković Ljiljana and Djorić Francuski Biljana

Introduction

India and Serbia are countries which are distant not only geographically and historically, but also culturally. Therefore, unfortunately, the reading public in Serbia – a small country in the Balkans, is not well-acquainted enough with the vast and exotic richness of India – one of the largest countries in the world. Moreover, due to socio-political developments in Serbia, not many people have had the opportunity to visit India even briefly, in order to portray the beauty of this magnificent country and its opulent culture to a wider audience at home. Those few who were lucky to find a way to do so usually write short articles in newspapers and journals, which are – along with sporadic festivals of Indian films and, since recently, several series on the small screen – the only occasion for the inhabitants of our country to learn something about India’s diverse and extremely rich cultural and historical heritage. As for the scientific, academic and professional circles in Serbia, the situation is not much different because both papers on Indian culture and literature, on the one hand, and translations of Indian literary works into Serbian, on the other, are rare.

Life and Works of Svetozar Petrović and Radmila Gikić Petrović

The most significant and comprehensive renderings of Indian literature in Serbia include papers and books written by the late Academician Professor Dr. Svetozar Petrović (1931- 2005). Professor Petrović, who graduated from the Faculty of Philosophy in Zagreb, but also studied at the University of Allahabad for two years (1954-1956), was one of the founders of the first Yugoslav Chair of Indology in Zagreb in 1962, Academician of the Academy of Science and Arts of Vojvodina (VANU) and of the Serbian Academy of Science and Arts (SANU), Professor at the Department of Yugoslav Literature at the Faculty of Philosophy in Novi Sad and Professor of Comparative Literature and Theory of Literature at the Faculty of Philology in Belgrade, as well as Visiting Professor at the American University of Chicago. In his main works related to the Indian culture – the books entitled About Indian Literature (O indijskoj književnosti) and Modern Indian prose (Savremena indijska proza), Professor Petrović points to the fact that most of the writings on India available in our country are, unfortunately, not original but only translations or even copies from works by foreign authors (Petrović, 2011, p. 115), and then he rightly concludes that „[T]he Indian cultural circle has remained quite distant for us until this very day.” (Petrović, 2007, p. 12). That is why the works of both Professor Petrović and his wife Radmila Gikić Petrović represent important steps towards bringing closer the Serbian and the Indian cultures.

1. This paper is part of the research project “National, Regional, European and Global Framework of Social Crises, and Contemporary Serbian Literature and Culture”, financed by the Serbian Ministry of Education and Science (Project No. 178018). 36 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Radmila Gikić Petrović (1951-), who has a Ph.D. in literature, has not only edited for publication the works of her late husband Professor Svetozar Petrović – who was the greatest Serbian Indologist – such as, for instance: The Correspondence of Svetozar Petrović with Foreigners (Prepiska Svetozara Petrovića sa strancima), The Literature of the Old Orient (Književnosti starog Orijenta), or The Diary from India (1954-1955): excerpts (Dnevnik iz Indije (1954-1955): odlomci), but has also written many of her own books. Her first one was a collection of short stories published in 1978 – Open Jelena’s Windows (Otvorite Jelenine prozore), and she has since written two more collections of stories: In search of the protagonist (U potrazi za glavnim junakom - 2003) and The Old Story (Stara priča - 2014), and another one mixed with her poetry – Srpkinja’s Chalk Circle (Srpkinjin krug kredom - 2006); while her oeuvre also includes research in the history of Serbian literature: In Fruška Gora in 1854: The Diary of Milica Stojadinović Srpkinja (U Fruškoj gori 1854: dnevnik Milice Stojadinović Srpkinje - 1985), Milica–Vuk–Mina (Milica-Vuk- Mina - 1987), The Correspondence of Milica Stojadinović Srpkinja with Contemporaries (Prepiska Milice Stojadinović Srpkinje sa savremenicima - 1991), Bibliography of Works on Milica Stojadinović Srpkinja (Bibliografija radova o Milici Stojadinović Srpkinji - 2007), The Diary of Anka Obrenović (Dnevnik Anke Obrenović - 2007), and Life and Literary Work of Milica Stojadinović Srpkinja (Život i književno delo Milice Stojadinović Srpkinje - 2010); books of interviews with famous writers: Talks about India (Razgovori o Indiji - 1989), Experiences in Prose Writing (Iskustva proze - 1993), and Developments in Contemporary Prose (Tokovi savremene proze - 2002); and several travelogues: Namaste, India (Zdravo Indijo - 1984/2008), Corea Post Scriptum (Koreja post scriptum - 2014), and Vietnam and Nine Dragons (Vijetnam i devet zmajeva - 2016). Among the many literary prizes she has been awarded so far, the most important one – at least regarding the topic of the Conference at which this article was presented – is the prize “Ljubomir P. Nenadović” which is given annually to the author of the best travel writing in the Serbian language, and which she received in 2015, when her book Corea Post Scriptum was selected unanimously from among some 30 travelogues by Serbian writers. The significance of such a prize is reflected in the fact that, since times immemorial, “travelling has been one of the most interesting and most rewarding literary forms, one of the most important motivational focuses of the story, from Gilgamesh and the Odyssey, all the way to the modern (adventurous and other) novels” (Čudić, 2014, p. 160). The status of women as travel writers, however, has not always been undisputed and, though there are some remnants of “[A]ccounts of female travel from the ancient, medieval and early modern eras” (Thompson, 2011, p. 170), the body of travel writing by women was dramatically increased only after the Age of Enlightenment, i.e. the 18th century, when “a growing number of women travellers became also travel writers” (Thompson, 2011, p. 170, italics in the original). Radmila Gikić Petrović, who is a genuine globe-trotter, travelled through India with her husband Svetozar, which gave her the occasion to enrich and refine her knowledge in a way with inside information, and thus helped her create her own narratives. On the other hand, the unique literary value has been bestowed upon her writings due to the fact that she is also an educated critic and theoretician. In her case, the following observation certainly stands to reason: “if travel books gave travellers licence to write they also gave writers licence to travel” (Sherman, 2002, p. 31), and her travel writing is especially valuable because it is 37 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 not based on voyages destined for “those already fully researched and relatively safe parts of the world” (Čudić, 2014, p. 137); but, on the contrary, it is based on her “experiences gained in the distant, exotic lands” (Čudić, 2014, p. 137).

Banaras in Namaste, India

Among the rare travelogues about India ever written by Serbian authors, Radmila Gikić Petrović’s book Namaste, India (that is: Zdravo Indijo, in Serbian) stands out as a jewel. It was printed for the first time in 1984, and then reissued more than two decades after that, in 2008 – which testifies to its importance and its permanent value. The vital element of this travelogue is the fact that not only does Radmila Gikić Petrović note interesting customs and details, but she also interprets them to the Serbian reader, who is probably not at all familiar with Indian culture and would not otherwise understand them properly. This is entirely in line with Susan Bassnett’s opinion on the purpose that has to be fulfilled by the author of travel writing: “The writer acts as a kind of translator, reading the signs he encounters on his journey and endeavouring to translate them for his target reader. Indeed, it is helpful to think of travel writing as closely linked to translation, for a similar relationship obtains in that there are two distinct poles: the culture of the writer and the culture that is depicted, and only the writer has access to both.” (Bassnett, 1999, p. 3). A similar comparison between travel writing and translation practices is highlighted by Lesa Scholl, who notices that “[T]ranslators and travel writers carry the same burden to enhance cross-cultural understanding, and both translate linguistically and culturally to bring this understanding to their home culture. […] Travel and translation practices and texts render a foreign cultural context accessible to a home culture” (Scholl, 2009, p. 108). The travelogue Namaste, India has 23 chapters, one of which focuses on Banaras – in which the Buddha preached for the first time about Enlightenment and the Middle Way – and it is entitled “On the Ganges in Varanasi” (Gikić Petrović, 2008, pp. 77-86). At the very beginning of the chapter, the author stresses that this city is a holy place, not only for pilgrims but for all Indians, who speak about it “with admiration, respect, striving to reach it at least once in a lifetime” (Gikić Petrović, 2008, p. 77), while its main landmark are the banks of the river which serve both for “bathing and cleansing” (Gikić Petrović, 2008, p. 77). Then she conveys to the reader some details about Banaras supplied by their rickshaw wallah, whom she calls “scooter driver” [skuterista] (Gikić Petrović, 2008, p. 80), to her and her Russian friend, with whom she travelled at that time: that it is one of the oldest Indian cities – a place which was already inhabited some four thousand years ago (Gikić Petrović, 2008, p. 80); that it has been a University centre since the early twentieth century, when Annie Besant founded the Hindu College (Gikić Petrović, 2008, p. 80); that “this is where the Buddha preached his first sermon, in the city that has over a thousand temples” (Gikić Petrović, 2008, p. 81); and that Varanasi was named after the two tributaries of the “sacred river” – the Ganges: Varuna and Asi (Gikić Petrović, 2008, p. 81). After the description of a funeral procession and the cremation at the river , the author talks about the visit to a sari factory, and then depicts the city streets full of joy and merry sounds. The second part of the chapter is much more solemn, since it is devoted to portraying the life of Prince Siddhartha Gautama – the Buddha, and especially the place where he delivered his first sermon – Sarnath. The chapter ends with a lovely story about 38 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 the visit Radmila Gikić Petrović and her friend paid to a Sikh family, along with praises of Indian hospitality. In this way, the author sheds light on the cultural and religious diversity of Benares, by writing about Hindu, Buddhist and Sikh traditions, which merge in this city, and also by explaining the customs of these communities to the target audience. In other chapters of the travelogue, as well, Radmila Gikić Petrović clarifies certain concepts related to Indian society for the Serbian reader who might find them strange for the lack of contact with the source culture. Consequently, the principles of reincarnation, samsara and karma are interpreted at length (Gikić Petrović, 2008, p. 230), but along with explanations of Indian thought the reader can also learn a lot about everyday life in this country. For instance, the author devotes a lot of attention to describing the clothes of Indian women, because not many Serbs know precisely even what a sari looks like, let alone some other traditional items of clothing typical for India. Being fully aware of this cultural gap, Radmila Gikić Petrović explains in detail what a churidar-kurta-dupatta set is, and even mentions that in Serbia the churidar “is called Nehru trousers” [nehruovke] (Gikić Petrović, 2008, p. 215), in line with a procedure which is well-known in translation studies and called “[P]ragmatic explicitation of implicit cultural information” (Klaudi, 2009, p. 106), thus once again confirming the recognizable link between travel writing and translation that was pointed out earlier in this article. The same procedure is applied when the author informs the target readers about the great variety of fruits and vegetables in India, as well as the famous kinds of bread, chapati and nan, which are – as she explains to those who have never had the chance to taste them – “similar to bread, just thicker” (Gikić Petrović, 2008, p. 221). The Indian experience of Radmila Gikić Petrović, however, is neither shallow or superficial, nor just a one-way process. The Serbian readers of Namaste, India are not the only ones to profit from her travelling, since it also enables the author herself to better understand both her own culture and her true identity, which corresponds fully to the observation that “[F]ictional travel narratives emulate “reality,” and nonfictional travel writing entails a considerable amount of construction and performance.” (Siegel, 2004, 6). This is obviously facilitated by the phenomenon of which the reader is a witness on almost every page of the travelogue, and which can be specified as the writer’s “capability to have insight into the higher realms of existence and, in general, into some higher spiritual spheres and dimensions” (Čudić, 2016, p. 160). This journey into spiritual spheres, undertaken by Radmila Gikić Petrović, allowed the Serbian author to implement her own “quest for wholeness and a deep excavation for the self’s scattered shards” (Blanton, 2002, p. 21). That process is best summed up in one of the final chapters of the travelogue, when she calls India “my new home” (Gikić Petrović, 2008, p. 214), and unveils to her readers the manner in which she has found her own way to Enlightenment: “I have gathered India below my eyelids, detaining her within myself” (Gikić Petrović, 2008, p. 239).

Conclusion

We have seen that the literary journey of Radmila Gikić Petrović to India, as described in her travelogue Namaste, India, comprises a mixture of elements, ranging from her reflections on religion, history, and tradition of India, but also including her private considerations and sentiments. Faced with another culture, another civilisation, in which everything – starting

39 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 from small details and all the way up to the view of the world – is completely different when compared to life at home, Radmila Gikić Petrović embraces that new country, its culture, its history, and its people with an open heart, and endeavours to describe their strange, different, life to Serbian readers who know almost nothing about it, and for whom even some common places and mundane things – like marriage and funeral ceremonies, or travelling by bus in India, are new and fascinating. This is extremely important because, as Susan Bassnett argues, that is “how one culture constructs its image of other cultures” (Bassnett, 1999, p. 1), and Radmila Gikić Petrović has greatly contributed to the way how India is constructed in Serbian milieu. Furthermore, although Radmila Gikić Petrović is certainly “a curious traveller from Europe” (Čudić, 2016, p. 144), what is extremely important for her Namaste, India is the fact that she did not come from a coloniser’s country but from a traditionally friendly and close non- aligned country – Serbia, which also used to be subordinated to a coloniser in the course of its history. Thus, although she was a European traveller in “the non-European world”, the well-founded claim that “[D]iscourses on colonialism and imperialism structured the thinking of Europeans” (Adam, 2011, p. 194) does not at all apply to her travelogue Namaste, India. Therefore, Radmila Gikić Petrović was not just a simple Occidental observer of another civilisation, but tried hard to understand a culture she deeply respected and admired, and to interpret its various facets to the target reader, which she did more than successfully.

References

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40 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

10. Scholl, Lesa, “Translating Culture: Harriet Martineau’s Eastern Travels”. In: Kuehn, Julia and Paul Smethurst (eds.), Travel Writing, Form, and Empire, The Poetics and Politics of Mobility. London and New York: Routledge, 2009, pp. 108-120. 11. Siegel, Kristi, “Introduction”. In: Siegel, Kristi (ed.), Gender, Genre, & Identity in Women’s Travel Writing. New York: Peter Lang, 2004, pp. 1-12. 12. Sherman, William H., “Stirrings and Searchings (1500-1720)”. In: Hulme, Peter and Tim Youngs (eds.), The Cambridge Companion to Travel Writing. Cambridge: Cambridge University Press, 2002, pp. 17-36. 13. Thompson, Carl, Travel Writing. London and New York: Routledge, 2011.

41 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 La relation entre le voyageur et l’écrivain dans les récits de voyage: De Montesquieu à Le Clézio

Abhay Kumar Lal

Résumé

Travel literature has been always a great chose of literary creation in the form of personal or narrator account of the world. The contrastive consciousness palpitating in the human mind has demonstrated, thoughtful, objective empirical description of the world and has weaved different layers of sociological, cultural, political and religious entities. This is why it has always been the focal point of the writer, traveller as well as that of reader and tourist. The reading of recit de voyage brings up to confront our own culture and culture of others. It sometime mesmerizes us sometime scares of and most of the time brings up to the state of inquisitiveness. In this light we are going to investigate and demonstrate some points in the box of great writers like Montesquieu and Voltaire from 18th centuary and Michaux and Le Clézio in the contemporary time who discover the Arab world, Europeen world, Asia and Africa respectively.

Key words: Voyageur , écrivain, Autre, Le Clézio, Montesquieu, récits de voyage, Voltaire. Le voyage facsine les imaginations des individus. C’est un moyen de transformation et déconstruction des pensées qu’ aident à reconstruire les individus en quête de nouveaux horizons. C’est toujours plein d’ adventures et de nouveaux découvertes. À partir du 18è siècle, les mots « écrivain » et « auteur » soient considérés comme des synonymes. Le terme « écriture » ne s’emploie que pour désigner le style, tandis que le sens de ce mot est restreint. « moins il ne se dit que par rapport au style », tandis qu’« auteur s’applique à tout genre d’écrire indifféremment; il a plus de rapport au fond de l’ouvrage qu’à la forme; de plus, il peut se joindre par la particule de aux noms des ouvrages ». Un « écrivain », du latin scribane, de scribere « écrire », signifie « une personne qui, par profession, écrit pour autrui. Une personne qui compose des ouvrages littéraires, qui est doué pour le métier d’écrivain et qui a le don du style ». Enfin, au 20è siècle, un écrivain est l’homme qui compose des livres et écrit pour d’autres. Parallèlement à la définition de l’écrivain, l’étude de la généalogie du terme « voyageur », nous permettra de poursuivre la distinction entre l’« écrivain–voyageur » et le « voyageur– écrivain ». Le sens étymologique du mot « voyageur » au 15è siècle vient de veiage qui signifie « chemin à parcourir », ou du latin viaticum, « ce qui sert à faire la route, viatique » ou « voyage ». Au 16e siècle, un « voyageur » est « quelqu’un qui voyage en pays lointain » […], c’est « une personne qui voyage pour voir de nouveaux pays (dans un but de découverte et d’étude) comme un explorateur. » La Renaissance est une période de redécouverte et de pensée nouvelle de la littérature, de la philosophie et des sciences de l’Antiquité. cette période a influencée par un grand nombre de navigateurs européens, comme Magellan, Christophe Colomb et Vasco de Gama parceque les voyages

42 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de ces navigateurs offrent à la pensée imaginative de certains, de nouvelles possibilités dans le domaine de l’écriture et de la création littéraire. Dans ce recherche, nous allons étudier un contemporain de Montesquieu et de Le Clézio. Ces quatre écrivains Montesquieu, Voltaire, Henri Michaux et J.M.G. Le Clézio découvrent les terres de quatre continents dans leurs récits respectives Lettres Persanes,Candide,Un barbare en Asie et L’Africain.Ces terres sont l’Arabe, l’Europe, l’Asie, l’Afrique au cours de quatre siècles commeçant avec Montesquieu au 18e siècle (en 1721) et finissant avec Le Clézio au 21e siècle (en 2004) qui demonte une relation entre le voyageur et l’écrivain au cours du temps et de l’espace et se forme le corps de notre étude. Je vais annoncer le plan de voyage de ces écrivains par lequel nous allons essayer d’établir la relation entre l’écrivain et le voyageur. D’une part, les deux écrivains Montesquieu et Voltaire n’ont jamais voyagé pendant l’écriture de leurs œuvres mais ils ont expliqué très bien la culture de différents pays par leurs principaux caractères de “Lettres persanes” en 1721 et de “Candide” en 1759. Cela signifie que leurs écrits étaient basés sur l’imagination. D’autre part, Michaux et Le Clézio ont voyagé au cours de leurs écrits ou nous pouvons dire que d’abord ils ont voyagé puis ils ont écrit leurs œuvres “Un barbare en Asie” en 1933 et “L’afrique” en 2004. L’écriture de ces deux écrivains est basée sur leurs expériences personnelles. L’expérience de Michaux et de Le Clézio présente sous la forme d’une quête à travers laquelle les voyageurs s’oeuvrent à la difference tout en respectant les differences culturelles. “Lettres persanes”, œuvre épistolaire de Montesquieu publiée en 1721, racontent le voyage à Paris de deux Persans, Usbek et Rica. Ils traversent plusieurs pays : la Perse, la Turquie et l’Italie ; et transmettrent au lecteur un récit de voyage riche et dépaysant sous la forme de 161 lettres envoyées à 25 correspondants. Ils ont commence à voyager d’ Ispahan, (une ville d’Iran) capitale de la province d’Ispahan. Ispahan a été capitale de l’empire perse sous la dynastie des Safavides entre le XVIè siècle et le XVIIIè siècle. Puis ils ont traversé par d’autres villes de la Perse comme cachan (une commune française située dans le département du Val-de-Marne en région Île-de-France) etc. De Perse ils se sont déplacés vers les villes de Turquie (l’empire ottoman). Enfin, ils ont arrivé à Paris en passant les différentes villes de ces deux pays. En 1759, Voltaire publie “Candide”, est un oeuvre romanesque le plus célèbre et le plus achevée. Dans ce roman, le personage principal Candide a visité plusieurs pays pendant son voyage. Ce sont des étapes de son voyage dans “Candide” : • Du château de THUNDER – TEN – TRONCKH vers les bulgares. • De chez les bulgares en Hollande. Quand arrivé en Hollande il est accueilli par l’anabaptiste Jacques, qui l’emmène à Lisbonne pour son commerce. • D’Hollande à Lisbonne . A Lisbonne, Candide est condamné à mort. • De Lisbonne vers Buenos Aires en passant par Cadix. • De Buenos Aires au Paraguay. A Buenos-Ayres, Candide doit fuir parce qu’il a tué Don Issacar pendent son voyage. • Du Paraguay à chez les Oreillons * Des Oreillons à l’ELDORADO. • De l’ELDORADO à . 43 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

• De Surinam à Venise en passant par la France et l’Angleterre. • De Venise à Constantinople en passant par les Rivages de la Propontide. Henri Michaux, après son voyage en Amérique du sud de 1928, se rend en Asie en 1931. Un Barbare en Asie est sous forme de carnet de route, le résultat, la trace de ce voyage qui le mènera aux Indes, en Chine, en Malaisie, au Japon et en Indonésie Un Barbare en Asie est divisé en six parties qui correspondent aux pays ce que l’écrivain à visités durant son long voyage en Asie. Toutes ces parties ont le titre d’Un Barbare en Inde ..., le nom qui suit varié selon le pays qu’il a visité. Dans ce livre, les étapes du voyage couvre une large étendue de l’Asie - Inde, l’Himalaya, le sud de l’Inde, Ceylan, Malaya (de Malaisie à Bali), la Chine et le Japon. L’Africain est un récit de Le Clézio paru en 2004. Le Clézio publie des romans qui font une large part à l’onirisme et au mythe (Désert et Le Chercheur d’or), ainsi que des livres à dominante plus personnelle, autobiographique ou familiale (L’Africain). L’Africain est un récit autobiographique, le plus intime qu’il a jamais écrit. Jean-Marie Gustave Le Clézio a donc attendu d’avoir 64 ans pour retrouver son père lointain, le regarder en face, le coucher sur le papier, et se souvenir du voyage initiatique qui a fait de lui, un écrivain. Ce voyage est à la fois l’occasion de la rencontre avec le père et aussi la rencontre de l’Afrique pour Le Clézio. Cette expérience de l’Afrique va le construire ; il revient sans cesse à sa mémoire d’enfant, à la “source de ses sentiments et de ses déterminations”.il aborde des questions telles que celle du colonialisme, auquel le père a toujours été opposé : “Vingt-deux ans d’Afrique lui avaient inspiré une haine profonde du colonialisme sous toutes ses formes.” (p.95). Lorsque le père débarque au Nigéria, le pays est occupé par l’armée britannique et la région est touchée par la pauvreté, la corruption, les maladies. A la fin de la vie du père, tout s’écroule en Afrique. L’expérience du voyage qu’elle soit réelle ou fictive, comme un moyen de tirer des conclusions philosophiques, politiques et sociales sur la société de l’époque. L’oeuvre de Montesquieu “Letters persans” (1721) et l’oeuvre de Voltaire “Candide” (1759) illustrent cette nouvelle tendance qui vise dans un premier temps à mettre en valeur un intérêt pour la rêverie, l’imagination dans la description, ainsi que la découverte de nouveaux territoires plus « exotiques » et sauvages. Dans l’oeuvre de Montesquieu “letters persans” (1721), les premières letters (I-V) veulent d’abord donner la couleur locale nécessaire : datation, itinéraire, mais aussi notations orientales et érotiques sur la vie au harem. Ils nous aident de laisser transparaître cette misogynie d’Usbek. L’impression donnée par ce mélange de registres et de préoccupations est bien celle à quoi Montesquieu nous a préparés dans ses “quelques réflexions préliminaires”, nous prévenant d’un roman par lettres « où les sujets qu’on traite ne sont dépendants d’aucun dessein ou d’aucun plan déjà formé », où « l’auteur s’est donné l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman. » Les letters (XXIV-XLVI) décrivent les curiosités parisiennes. Ce machisme d’Usbek éclate encore ici : où nous voyons liberté, il voit licence, et pudeur où nous voyons esclavage. Cet éloge de l’innocence et ce souci farouche de préserver la femme de toute impureté ne valorisent que le « nous » impérieux de la gent masculine. Mais Usbek confie aussi des doutes, des suspensions de jugement qui humanisent le personnage, même si ses

44 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 contradictions lui échappent. Ainsi la lettre XXXV obéit à un autre but que celui avoué : Usbek croit trouver chez les Chrétiens des « semences de ses dogmes » et se félicite qu’un jour la lumière mahométane les illuminera. Mais, « voyant partout le Mahométisme » sans jamais le trouver, il fourbit des armes contre sa prétendue universalité et contribue à mettre toutes les religions à plat, dans la même facticité. Tout au long de cette section, Usbek semble ainsi en route vers une sagesse moyenne, difficilement conquise sur ses doutes. Nous lui préférons souvent Rica, dont les lettres marquent une curiosité plus vive pour les mœurs et la « vivacité d’un esprit qui saisit tout avec promptitude », comme le note Usbek. Ses lettres, émaillées de périphrases et d’italiques, donnent un bon exemple du « regard persan » qui, faussement naïf, déplace le point de vue et fait éclater la satire sociale et religieuse dans la lettre XXIX. L’œil de Rica est d’ailleurs plus redoutable de se limiter pour l’instant aux manières et aux mines qu’il dénonce dans la comédie sociale : la célèbre lettre XXX donne une juste idée de ces coteries mondaines et superficielles où Rica perçoit autant la badauderie et l’engouement que cet ethnocentrisme naïf qui avoue son impuissance à sortir de lui-même (« Comment peut-on être Persan ? »). Dans l’analyse des mécanismes de l’autorité royale, Rica laisse souvent transparaître Montesquieu, qui fait écho, par exemple, au Discours de la servitude volontaire de La Boétie, où celui-ci s’étonnait que tant de sujets obéissent sans se révolter : « Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne son voisin; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. [...] D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. » (lettre XXIV). Néanmoins, Rica semble ici de plus en plus gagné, sinon par l’Occident (« J’ai pris le goût de ce pays-ci »), à tout le moins par le doute, notamment à l’égard de l’infériorité naturelle des femmes tant proclamée par l’Islam. Candide est chassé du paradis et l’aventure commence. Candide n’aura de cesse de retrouver Cunégonde, objet d’une quête qui le révélera peu à peu à lui-même. Ce paradis se révèle cependant artificiel : l’exclusion du héros ouvre la boîte de Pandore. L’idéologie qui animait cet univers ne résiste pas longtemps . Voltaire a inscrit d’emblée le conte dans une référence commune qu’il va s’appliquer à déconstruire à travers un voyage où le héros se trouve successivement confronté à tous les malheurs du monde. Candide assiste à la guerre entre les Bulgares et les Arabes et se sauve bien vite de cette boucherie. Il se retrouve en Hollande, tente de mendier pour manger, et rencontre, après quelques échanges malheureux sur la religion, l’anabaptiste Jacques qui le nourrit. La traversée vers le Portugal ne fut pas de tout repos car une tempête éclata. Le jour de leur arrivée à Lisbonne, après la destruction de l’embarcation, une terrible secousse balaie la ville de Lisbonne (I-VI). Candide partage son voyage avec un homme (Martin) qui n’a plus rien dans la vie. Au cours de ce voyage, Candide en profite lors d’une bataille pour récouvrer une partie de son butin et se dit que les mauvaises actions se paient toujours. Candide et Martin discutent beaucoup de la condition humaine tandis qu’ils font route vers Venise. Sur la route, Candide s’arrête à Bordeaux pour découvrir Paris. Il y fait la rencontre de nombreuses personnes malintentionnées ainsi que les cercles littéraires. Candide finit par se faire arrêter mais parvient tout de même à se sauver. Candide et Martin vont vers l’Angleterre, pays dans lequel ils ne restent pas, effrayés par la violence d’une exécution non justifiée. (XX-XXIII). Tout le monde vit ensemble mais les difficultés de la cohabitation et de l’argent arrivèrent 45 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 bien vite. Ils en concluent que leur bonheur reviendra avec le travail, exprimée dans la formule : « Il faut cultiver notre jardin. » (XXX) À partir du 19è siècle, un voyageur est alors « celui, celle qui a fait, ou fait de grands voyages ». L’expansion du colonialisme en France, de même que la multiplication des voyages d’exploration et des expéditions coloniales favorisent le mouvement d’exotisme, avec des écrivains voyageurs comme Pierre Loti, qui se révèlent vers la fin du 19e siècle. Pierre Loti voyage dans de nombreux pays, encore peu connus à cette époque : Tahiti, la Turquie, le Sénégal, le Japon et le Maroc. Ces voyages l’aident à développer un intérêt pour la littérature exotique, et le qualifie avant tout de vrai voyageur. À partir du 20e siècle, la signification du voyageur se transforme peu à peu, notamment avec l’apparition du touriste à la fin du 19e siècle, qui voyage non plus principalement pour des raisons pratiques d’exploration, de commerce ou d’exploitation territoriale, mais pour son propre plaisir. Le Trésor de la Langue Française définit le voyageur comme « celui, celle qui se déplace sur un parcours généralement préétabli en empruntant un moyen de transport particulier » ou bien « celui, celle qui fait un ou des voyages dans un but d’étude, de découverte, de détente ou de loisir. C’est un savant, un explorateur qui passe une partie de sa vie à visiter, étudier de nouvelles contrées et qui consigne par écrit le fruit de ses observations pour le transmettre à ses contemporains et aux générations futures ». La définition du voyageur moderne fait donc à la fois référence au touriste, dont le principal intérêt n’est pas la découverte de lieux inconnus, mais plutôt le désir de faire le tour de ce qui a déjà été fait, et renvoie à ce que nous appelons le voyageur « authentique », qui cherche à redéfinir son rôle d’intermédiaire entre deux mondes, et aspire à établir les bases d’une nouvelle relation entre la réalité du monde contemporain et celle imaginée. Le terme de « voyageur », ou plus précisément celui de « voyageur–écrivain », tel que nous l’employons dans cette étude comparative, correspond à l’action de se rendre physiquement dans un lieu étranger, souvent éloigné, de s’y déplacer, puis d’en revenir. Cette notion exprime l’idée que le voyageur parcourt souvent un itinéraire ou un cheminement, à la fois physique et psychologique, qui va être au centre du rapport écrit de cette aventure, et qui présuppose de la part de l’auteur de relater avec exactitude les faits et lieux visités. Le voyageur, tel qu’il est décrit dans ce contexte, est donc une personne qui voyage par intérêt personnel afin d’aller à l’encontre de l’Autre ou d’un territoire inconnu, et qui choisit de partager l’évolution de cette aventure avec un lecteur.Un « écrivain–voyageur », est le terme commun que nous employons dans cette étude pour faire référence à la catégorie générale des individus qui voyagent, puis écrivent le compte-rendu de leurs aventures, sans être considérés ni comme de véritables écrivains, ni comme de véritables voyageurs. Nous utilisons ce terme de manière à mettre en évidence la spécificité de nos quatre écrivains, en situant chacun d’entre eux dans une catégorie moins générale que celle-ci, qui a la particularité de souligner l’aspect littéraire de leur texte. Au 19è siècle, la littérature connaît encore une période difficile, surtout du point de vue de la reconnaissance accordée aux écrivains et aux Lettres. Le mot littérature « du latin litteratura, de litteratus : proprement l’alphabet, la connaissance des caractères de l’alphabet et de la grammaire », fait référence à « la connaissance des belles-lettres et à l’ensemble des productions littéraires d’une nation, d’un pays, d’une époque ». La littérature du 20e connaît de profonds changements notamment en réaction aux guerres mondiales, à la 46 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 décolonisation et à la concurrence du cinéma, de la télévision et plus tard de l’informatique, qui transformeront radicalement le rapport de l’individu au livre, ainsi que le rôle des Lettres. Du point de vue du genre littéraire, nous remarquons que la littérature du 20è propose une structure plus souple qu’au siècle précédent, avec l’adoption du vers libre en poésie, et un modèle de roman de plus en plus aux frontières entre la fiction et l’autobiographie. L’évolution de la littérature, et ultérieurement celle de l’écriture de voyage, correspond à un nouveau rapport de l’homme et du voyageur au monde qui l’entoure. Le terme « récit de voyage » est généralement employé pour faire référence à un texte dans lequel un auteur raconte ce qu’il a vu dans un lieu étranger, visant principalement à raconter par écrit des évènements réels vécus par le voyageur. Le « rapport de voyage » tel que nous le définissons ici est un témoignage qui présente des faits vécus par un voyageur, et qui contient généralement des éléments du monde réel révélés au lecteur à travers la description. Cette catégorie se situe entre deux axes qui sont celui de la littérature, puisqu’il est nécessaire de maintenir un certain style pour séduire et attirer l’attention du lecteur, et celui du témoignage objectif, dans la mesure où l’auteur est supposé dire la vérité. Le « rapport de voyage » doit donc être perçu comme le reflet d’une experience personnelle retraçant de manière plus ou moins chronologique les impressions d’un voyageur. Enfin, l’auteur de ce rapport se base principalement sur le modèle descriptif pour présenter les lieux, les personnes et les caractéristiques des pays ou des lieux qu’il visite. Nous verrons dans quelle mesure le « rapport de voyage » tel qu’il en est question dans cette étude est l’oeuvre du « voyageur–écrivain » pour qui l’expérience du voyage reste l’intérêt principal au centre du projet initial, et dont la finalité du travail d’exploration et d’écriture semble être la découverte elle-même. L’auteur du rapport cherche à travers ses écrits à mettre en valeur l’importance d’une expérience vécue lors du voyage, qu’il s’agisse de découvertes géographiques, personnelles ou sociologiques lors des nombreux contacts avec l’Autre et l’Ailleurs, et non pas celle de l’écriture. Le terme « récit de voyage » aurait pu s’appliquer à ce contexte, néanmoins, étant donné que nous cherchons à redonner une plus grande neutralité à nos concepts, celui de « rapport de voyage» semble moins suggérer les divers sens qui ont été accordés au récit de voyage lors des siècles précédents. Nous emploierons l’expression « littérature de voyage » en référence aux textes des « écrivains–voyageurs » tel que Montesquieu, Voltaire, Henri Michaux et J.M.G. Le Clézio. La « littérature de voyage », à l’inverse du « rapport de voyage », inclut les oeuvres littéraires écrites par des écrivains, dont l’objectif principal est l’exercice esthétique d’écriture, qui se servent de leur experience individuelle tout au long du voyage pour écrire et créer de la littérature. Selon ces nouveaux critères de définition, nous avançons ainsi l’idée qu’il existe les grandes classifications dans le domaine littéraire du voyage. Dans un premier temps, les « écrivains–voyageurs » qui rédigent des texts principalement littéraires considérés comme de la « littérature de voyage », nous analyserons en détail cette catégorie avec l’exemple de Montesquieu et de Voltaire. Enfin, la deuxième catégorie des « voyageurs–écrivains » qui écrivent des « rapports de voyage », et à lesquels Henri Michaux et J.M.G. Le Clézio appartiennent. Michaux y décrit ses impressions concernant les différents pays qu’il traverse, les habitants de ces différents pays, et leurs cultures propres. “J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie” affirme Henri Michaux ce

47 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 poète né à Namur dans Passages (1950). Pour Henri Michaux, l’être humain est un vaste territoire à explorer regorgeant de minuscules ou spectaculaires événements. Un Barbare en Inde : Ce voyage se déroule en trois phases émotionnelles : la surprise, l’émotion et l’agacement. Il explique pourquoi il a choisi d’écrire un livre: “ Certains s’étonnent qu’ayant vécu en un pays d’Europe plus de trente ans, il ne me soit jamais arrivé d’en parler. J’arrive aux Indes, j’ouvre les yeux et j’écris un livre. “ Le début de son voyage repose sur des observations générales et brutes qui relèvent plus de notes scientifiques semblables à celles d’un éthnologue qui noterait au gré de son voyage ce qu’il voit. C’est pourquoi, on peut imaginer que s’il commence toujours ses phrases par “ L’hindou… “ pour décrire ce peuple, c’est pour mieux se moquer des scientifiques et des grands voyageurs qui faisaient une typologie des peuples en décrivant une à une leurs caractéristiques. Au tout début de son voyage une phase de critique et d’exaspération s’installe déjà discrètement car il ne comprend pas encore cette autre façon de vivre : “ Jamais, jamais l’Indien ne se doutera à quel point il exaspère l’Européen. Henri Michaux dit de son voyage : “ J’en avais la surprise, l’émotion, l’agacement. “ Ces trois phases se retrouvent au fil du récit comme s’il se contenait et que finalement son esprit critique le rattrapait. Au début, la surprise, car cette nouvelle façon de vivre est totalement différente et même à l’opposé de la culture dans laquelle il est ancré. Ensuite vient l’émotion, car il commence à s’habituer à cette nouvelle façon de vivre qu’il apprécie beaucoup et comprend mieux certains rites qui le fascinent. Himalyan Railway: Il prend place à bord de ce train qui monte vers l’Himalaya. On le sent heureux et soulagé de quitter l’Inde dont il était las. Il semble alors émerveillé par tout : l’astuce des installations les plus modestes, le sourire des femmes, les enfants... Alors qu’on le pensait imperméable à toute émotion, il nous surprend une fois de plus en étant ému par le peuple népalais. L’humanité d’Henri Michaux ressort à nouveau pour effacer ces bouffes de d’agacement qui l’animaient. Il prend comme seul élément de comparaison le peuple hindou car c’est le seul moyen qu’il a d’établir une comparaison. L’Inde Méridionale : Il se rend ensuite en Inde du Sud et dresse un portrait de ses habitants assez négatif : petits, vifs, colériques à la peau trop foncée. Son mal le rattrape et il recommence à dresser une typologie de ce peuple qui commence par son traditionnel “ l’Hindou “. Un barbare à Ceylan : Il est impressionné par la fixité des choses car même les films ne semblent pas bouger, selon ses observations. Ce peuple est simplement rapide pour prononcer les mots à rallonge qui composent sa langue. Histoire naturelle : Il fait la liste des différentes espèces d’oiseaux imaginaires qu’il aurait pu observer durant ses voyages en Asie. Cela ressemble à des fausses notes scientifiques et se rapproche de ses sciences inexactes. Un barbare en Chine : Il est très admiratif de ce peuple dès le début et semble très touché par sa musique, ce qui est rare pour un Européen. La situation s’inverse pour lui, il subit la haine de l’Occidental : “ Mais d’avoir vu cette haine constamment braquée sur moi, j’en ai été affecté. “ La situation se renverse. Mais globalement et de manière surprenante, on le sent plus heureux et plus en harmonie avec le peuple chinois malgré un humour toujours grinçant.

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Un barbare au Japon : Dans ce chapitre il est très dur avec ce Japon militarisé et mentalement étriqué. Il se sent enfermé et est déçu par ce voyage ; c’est pourquoi il ne se prive pas de tout critiquer : rues, maisons, géographie du pays, mentalité, langue... Dans Un Barbare en Asie, Henri Michaux ne décrit pas l’Inde d’une manière classique car les descriptions de monuments ou de rues sont totalement absentes. L’auteur ici, privilégie la rencontre spirituelle entre L’hindou, le Népalais, le Japonais, le Malais et Henri Michaux l’intellectuel occidental. Pour Le Clézio, c’est l’Afrique qui a révélé en lui cette rigueur. Cette autorité et cette discipline qui vont jusqu’à la violence sont son “héritage africain”. En France, le père gardera toujours les habitudes qu’il avait en Afrique, il reste définitivement africain. Il utilise ses instruments de chirurgien pour faire la cuisine, porte des tuniques à la façon des Haoussas du Cameroun : “C’est ainsi que je le vois à la fin de sa vie. Non plus l’aventurier ni le militaire inflexible. Mais un vieil homme dépaysé, exilé de sa vie et de sa passion, un survivant.” (p.57). Ce voyage est à la fois l’occasion de la rencontre avec le père et aussi la rencontre de l’Afrique pour Le Clézio. Tout y est différent, l’enfant découvre la liberté des corps, la violence de la nature et des sensations. Cette expérience de l’Afrique va le construire ; il revient sans cesse à sa mémoire d’enfant, à la “source de ses sentiments et de ses déterminations”. L’Africain est avant tout un hommage que Le Clézio rend à son père, ce médecin totalement dévoué aux autres, menant une vie aventureuse dans des régions difficiles. Mais il aborde aussi des questions telles que celle du colonialisme, auquel le père a toujours été opposé : “Vingt-deux ans d’Afrique lui avaient inspiré une haine profonde du colonialisme sous toutes ses formes.” (p.95). Lorsque le père débarque au Nigéria, le pays est occupé par l’armée britannique et la région est touchée par la pauvreté, la corruption, les maladies. La société européenne de la côte est opulente, corrompue, il rêve à l’indépendance du pays et de sa région. Quand elle arrive enfin, dans les années 1960, il ne peut qu’assister à l’oubli dans lequel les pays européens laissent leurs anciennes colonies. Le Clézio fait alors référence à des attitudes telles que l’aide à la mise en place de tyrans en leur fournissant armes et argent, à l’abandon du continent africain aux maladies et à la famine ou encore au recours à l’émigration nécessaire de main d’œuvre que l’on va confiner dans des ghettos de banlieue. L’Afrique que son père connaissait et aimait, qui se résumait par le charme des villages, la lenteur et l’insouciance de la vie, va se transformer avec la modernité. Celle-ci se traduit par la violence et la vénalité. A la fin de la vie du père, tout s’écroule en Afrique . L’Africain est donc le récit de ce voyage en Afrique, un voyage vers un père qui va rater le rendez-vous avec ses enfants. C’est aussi le récit de la vie de cet homme qui a parcouru pendant des années des régions difficiles, parfois à l’aide de cartes qu’il fabriquait lui- même, pour accomplir son métier de médecin, qui est la passion de sa vie. C’est un récit pudique, un ouvrage intime où l’adulte a le recul nécessaire pour découvrir son père et essayer de le comprendre. Le voyage au Nigéria en 1948 lui a révélé l’Afrique, qui gardera une place importante dans sa vie, à défaut de lui donner un père : “Quelque chose m’a été donné, quelque chose m’a été repris. Ce qui est définitivement absent de mon enfance : avoir eu un père, avoir grandi auprès de lui dans la douceur du foyer familial. Je sais que cela m’a manqué, sans regret, sans illusion extraordinaire. “ (p.103). Cette étude s’intéresse principalement à ces deux derniers types d’écritures, étant la « littérature de voyage » et le

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« rapport de voyage », avec dans un premier temps l’exemple de Montesquieu et Voltaire qui privilégient l’écriture au voyage, et s’oriente vers le domaine de la littérature. Face à Henri Michaux et J.M.G. Le Clézio qui rédigent des « rapports de voyage », souvent moins esthétiques et littéraires du point de vue de la forme, mais plus sociologiques, descriptifs et personnels au niveau du contenu. La « littérature » est un concept moderne, puisque l’autonomisation de l’homme littéraire ne se fait qu’à partir du 17e siècle et que le sens du mot « littérature », tel que nous le connaissons aujourd’hui, ne se précise qu’à la fin du 18e siècle. La littérature fait référence aux activités de production et d’étude de ces oeuvres, surtout à partir du 19è siècle. Ce concept se caractérise principalement par sa fonction esthétique, et donc par la mise en forme d’un texte, plutôt que de son contenu, l’écrivain privilégie surtout la manière dont il s’exprime plutôt que la vraisemblance ou la nature des faits et de l’information qui est transmise au lecteur. Nous avons crée cette distinction, qui oppose donc l’auteur–voyageur, le « voyageur–écrivain » et l’« écrivain–voyageur », afin de faire découvrir des individus uniques, le rapport à l’écriture, ou le profond désir d’offrir au lecteur une meilleure représentation du monde. il est légitime d’affirmer que les changements d’attitude parmi de nombreux auteurs–voyageurs au fil des siècles ont influencé le genre littéraire (et le compte-rendu du voyage) lui-même ; et ultérieurement, que ces comptesrendus, ou plus précisément ces écritures de voyage, ont à leur tour influencé l’expérience du voyage, et les diverses manières de se déplacer à différentes époques. L’oeuvre de Montesquieu “Letters persans” (1721) et l’oeuvre de Voltaire “Candide” (1759) illustrent cette nouvelle tendance qui vise dans un premier temps à mettre en valeur un intérêt pour la rêverie, l’imagination dans la description, ainsi que la découverte de nouveaux territoires plus « exotiques » et sauvages. Le compte-rendu de Michaux (1931) et Clézio (2004) ressemblent à un carnet de route traditionnel, plus ou moins exotique, dans lequel le narrateur présente une description objective et variée des divers lieux qu’il découvre lors de son voyage. Henri Michaux s’intéresse à certaines caractéristiques de l’Inde, de la Chine et du Japon lors de son voyage – comme leur art, leur manière d’aimer, de prier, ou de vivre l’expérience de la mort. Il prouve qu’il possède une grande connaissance de ses cultures et qu’il tente de s’imprégner de la spécificité de l’Autre. Le Clézio qui compare le voyage aller à un moment « passé à bord d’un bateau, entre deux mondes. » Trop beau pour exister réellement, imprégnant trop profondément les êtres pour prétendre qu’il n’y a aucune magie sur cette terre, ainsi il voit le continent africain. A la recherche d’une nouvelle voie dans le domaine de l’écriture de voyage, nous avons crée la distinction, qui oppose le « voyageur–écrivain » et l’« écrivain–voyageur » mais le parcours de leurs creations est toujours destiné envers le voyage. le récit de voyage est ouvert sur le monde extérieur et soumis à ses règles; le réel a priorité sur la fiction. Le récit de voyage s’élabore en deux temps: il y a d’abord le voyage, où l’auteur du récit à venir entre en contact avec des réalités nouvelles, les découvre et les explore. Au second place, le récit où l’auteur raconte les événements qui ont eu lieu durant son périple, fait un compte rendu de ses explorations, rapporte ses découvertes, cherche à faire voir ce qu’il a vu.

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Bibloigraphie

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52 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Récit de voyage – créer un texte émotif pour le commerce

Sushant Kumar Mishra

Résumé

Récit de voyage est un genre littéraire mais qui inclue les textes souvent considérés du domaine non-littéraire. On peut citer des exemples des textes de Mégasthène ou Al Berouni et plusieurs d’autres : Ces récits de voyages présentent un témoignage des expériences des auteurs pendant leurs voyages dans les sociétés différentes. Peut-on considérer un texte avec un but commercial dans ce genre ? Dans cette communication, on essaie de répondre cette question et on essaie d’analyser un texte de ce type au niveau langagier pour comprendre comment un texte avec un but si banal qu’attirer les voyageurs pourrait être orné avec les figures de style et la présentation des idées d’une façon littéraire. Mots-clés : Mythes, Himalaya, bouddhisme, Karakorum, jardin secret. Un simple recherche sur l’internet nous donne une définition de récit de voyage, « Unrécit de voyage ou relation de voyage est un genre littéraire dans lequel l’auteur rend compte d’un ou des voyages, des peuples rencontrés, des émotions ressenties, des choses vues et entendues. Contrairement au roman, le récit de voyage privilégie le réel à la fiction ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9cit_de_voyage). Selon cette définition, un récit de voyage nous parle des émotions et des expériences d’un voyageur au cours d’un voyage entrepris par lui/elle pour n’importe quel but. Mais c’est sur, selon cette définition, que le récit de voyage est un genre littéraire. Ici, nous pouvons poser la question – dans quel sens le récit de voyage est un genre littéraire. Comment est-ce qu’on peut appeler une simple description du fait rencontré pendant le voyage un texte littéraire ? Il nous parait que c’est une sorte de simplification de la notion de littérature car un récit de voyage peut nous simplement raconter des faits très importants pour comprendre l’histoire et les aspects sociologiques ou économiques d’une société. Ainsi les récits de plusieurs voyageurs comme Mégasthène ou Faxian ou Xuanzang deviennent un texte littéraire. Mais bref, on a commencé à accepter le récit de voyage comme un genre littéraire – et ainsi nous comprenons que c’est un genre littéraire qui traite des textes strictement littéraire dans le sens traditionnel et aussi des textes qui nous fournissent des renseignements historiques, sociologiques, politiques ou économiques sur une société. De toute façon, toute sorte de littérature est un document sociologique et historique – on l’accepte aujourd’hui sans doute. Si nous cherchons le sens de cette expression un peu plus en profondeur, l’Encyclopédie Larousse en ligne nous renseigne qu’il y a une grande variété du texte qu’on peut inclure dans le domaine littéraire ou pas littéraire du récit de voyage. Cet Encyclopédie écrit, « Chroniques de la découverte du monde, reflêt de l’imaginaire des civilisations et de leurs mentalités, les récits de voyage, à la fois œuvres littéraires et documents anthropologiques, ne peuvent donner lieu à un discours unitaire. Établir un recensement est déjà une tâche immense : devant la grande diversité formelle des œuvres, on peut admettre dans le corpus des écrits de géographes ou d’historiens (Hérodote, Xénophon) et aussi, malgré

53 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 leur technicité, des carnets de route, journaux de bord, guides de voyage (Pausanias, iie s. apr. J.-C.), les itinéraires de pèlerinage, et des correspondances, celle des ordres religieux particulièrement, telles les Relations des missionnaires jésuites. N’oublions pas d’autre part que la mémoire culturelle associe sans les confondre récits imaginés et relations authentiques. C’est que, dans les mythes et dans les contes, le voyage figure le destin de l’homme, de l’Odyssée au Voyage de saint Brendan. » (http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/ voyage/177858). Selon cette définition, nous comprenons que les récits de voyage est un document littéraire et à la fois un document anthropologiques. On inclut même un guide voyage dans ce genre de littérature. Peut-être le récit de voyage devient un genre littéraire, avec toutes ses variétés internes du type de texte, est littéraire dans le sens que ce genre de texte nous fournit un regard étranger sur nous. Bien-sûr qu’un regard de l’autre sur nous fait nous penser à propos de nous d’une manière littéraire. Ainsi, le récit de voyage, comme un guide voyage ou une brochure d’une agence de voyage nous évoque des sentiments littéraires en fournissons un regard de l’autre sur nous. C’est un genre de témoignage de l’autre sur nous. Même si quelqu’un de la même civilisation écrit sur les voyages dans le même espace culturel, cela devient également souvent un regard intéressant car – (i) cela reste toujours un regard de l’autre car l’écrivain voyage hors son espace géographique dans la même culture (ii) l’écrivain connait cet espace culture/civilisation et décide de le découvrir encore en profondeur. C’est une sorte de découverte de soi – la découverte de soi reste toujours un but important d’un voyage. On découvre un pays étranger et dans le processus, soi-même aussi. Donc un témoignage sous forme de récit de voyage écrit par un auteur qui connait bien et qui est un natif d’une culture fait nous découvrir plus les aspects pluriels de cette culture. Ainsi, un texte touristique, crée par n’importe qui (soit par le natif ou par un étranger) nous fourni des regards et des points de vues intéressant sur un espace culturel. Il sera intéressant de voir comment un récit apparemment considéré banal sur une civilisation comme un témoignage de l’autre entre dans le domaine de littérature. Pour notre but d’atteindre cette compréhension, nous essayons d’analyser un texte d’une brochure d’une agence de voyage basée en France. Cette agence de voyage s’appelle Terre d’Aventure et on a pris le texte de la brochure de 2001 de cette agence de voyage. Le texte s’intitule « Himalaya » dans la section Asie de la brochure et traite les propositions des itinéraires aux voyageurs qui veulent découvrir l’Himalaya. Il faut noter que c’est le premier texte sous la section Asie de la brochure. Nous allons analyser ce texte pour comprendre comment le texte évoque les émotions des voyageurs et comment le texte représente les sociétés et les endroits proposés pour les visites. Voila le texte d’introduction : « L’Asie, le plus grand des continents, s’il est aujourd’hui celui du futur, reste celui de la tradition, objet de toutes les quêtes et lieu de tous les mythes. En son cœur, réside, son jardin secret : le Toit du Monde, éternel Shangri La des chercheurs d’infini... Des Kun Lun au Karakorum, du Ladakh au Népal, l’Himalaya étire ses sommets vertigineux et ses vallées fertiles, où vivent des peuples aux traditioins fascinantes. Au centre de ce mandala, le Tibet, Lhassa, le Potala : du haut des monstères, les trompes des moînes grondent toujours, propageant le rayonnement du bouddhisme dans les régions du sud : Zanskar, Dolpo, Khumbu, Bhoutan... Les cavaliers des hautes terres exerceront longtemps encore une fascination extrême sur beaucoup d’entre nous. » (tiré de la brochure de Terres d’Aventure intitulé LE VOYAGE A PIED DECOUVERTE & EXPLORATION, page 175).

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Essayons de comprendre ce que l’écrivain inconnu de ce paragraphe essaie d’atteindre à travers plusieurs usages apparemment littéraire ou plutôt de figures de style. Dans la première phrase, nous constatons que l’écrivain introduit l’Asie comme ‘le plus grand des continents’. Cette introduction, sous forme d’une expression insérée dans une phrase, parait plus d’un renseignement simple. Sous un texte lié à l’Himalaya, on parle de l’Asie comme ‘le plus grand des continents’ dans la première phrase au début du texte. Pourquoi introduit- on l’Asie ? La réponse simple pourrait être – ‘l’Himalaya se trouve dans l’Asie’. Mais tout de suite après le mot ‘l’Asie’, on qualifie ‘l’Asie’ comme ‘le plus grand des continents’. Une telle sous-phrase qualificative met emphase sur l’aspect exotique de l’Himalaya. Himalaya est connu pour son grandeur – l’introduction de l’Asie comme le plus grand des continents agrandi ce sentiment de grandeur de l’Himalaya, le titre du texte. Le texte continue avec plus des faits oxymores. On introduit l’Asie comme un continent d’aujourd’hui et aussi comme un continent de future. En même temps, on parle de la tradition. Donc l’Asie reste un espace géographique-culturel d’hier, d’aujourd’hui et de l’avenir. Une telle introduction essaye d’augmenter les tentations d’y visiter et de le connaitre un peu plus. L’écrivain continue parler de l’Asie comme un lieu de ‘toutes les quêtes’. Ici, on dira que ‘toutes les quêtes’ est une expression souvent liée aux explorations ou aux expérimentations scientifiques. Le mot ‘quêtes’ évoque les sentiments d’un explorateur du monde, c’est un effort de comprendre le monde ou les événements qui se passent autour nous. ‘La quête’ s’oppose l’esprit des fois et des croyances reçu par les contes, les histoires et les textes religieux. Et dans la même phrase, après avoir parlé des ‘quêtes’, on introduit l’Asie comme le ‘lieu de tous les mythes’. La notion de ‘mythes’ s’oppose à la notion de ‘quêtes’. Dans le texte, on a utilisé les mots ‘les quêtes’ et ‘les mythes’ au pluriel. Et ainsi, ces deux notions évoquent encore les sentiments de grandeur et de multiplicités qu’on pourrait rencontrer en Asie. Avec ces usages des concepts oxymores dans la phrase débutante, le texte nous tente de découvrir l’Asie à travers la multi-culturalité et la pluri-culturalité possible de rencontrer pendant un voyage dans l’Himalaya. Ici je fais une distinction entre la ‘multi-culturalité’ et la ‘pluri-culturalité’. Par le mot ‘multiculturalisme’, je comprends, « Coexistence au sein d’une même société de groupes différenciés selon leur origine ethnique, l’affiliation religieuse, la langue... plus simplement on peut dire que le terme désigne la pluralité des cultures dans un même pays. Les Etats-Unis sont un exemple de brassage ethnique très marqué ». (http://www.glossaire-international. com/pages/tous-les-termes/multiculturalisme.html#HWHQopKtC5UQoA3D.99). Par contre, le mot ‘pluriculturalisme désigne un état de la « coexistence de plusieurs cultures ». (http:// dictionnaire.reverso.net/francais-definition/pluriculturalisme). On comprend bien que ces deux termes, souvent utilisés comme des synonymes, font référence à deux lectures de ‘multiplicité’ ou de ‘pluralité’ constaté parmi les gens habitants un espace géographique comme un ou plusieurs groupes. Etant conscient qu’il existe de grands débats sur ce sujet (https://koubi.fr/spip.php?article836), il sera mieux de présenter les arguments ici d’une forme très simplifiante pour éviter de digresser du notre sujet principal d’analyse d’un discours apparenté au récit de voyage. Par le mot ‘multiculturalisme’, on comprend ici les couches culturelles dans la même société – horizontale ou verticale, hiérarchisée ou existant aux mêmes rangs de la structure interne du pouvoir et des vocations économiques ou commerciales dans une société. Par le mot ‘pluriculturalisme’, on comprend ici la coexistence de plusieurs cultures côte-à-côte. On peut constater ce phénomène dans le

55 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 même groupe social ou plusieurs groupes sociaux qui existent côte-à-côte dans un espace géographique définie pour une étude. Dans le texte, on évoque les deux notions également – on parle de multiculturalisme car on parle de la grandeur du continent Asie, de la tradition (qui incluent plusieurs couches dans le même groupe social et aussi plusieurs groupes qui coexistent dans l’Himalaya éloigné de l’un et l’autre par le terrain difficile à voyager), des quêtes et des mythes qui présentent la ‘multiculturalité’ et la ‘pluriculturalité’ à travers l’espace et le temps qu’on peut découvrir pendant le voyage. En parlant de tous ses aspects dans une seule phrase débutante, le texte introduit un espace géographique d’une manière qui plaira et qui attirera des voyageurs avec les goûts et les buts variés. Les oxymores, et les faits apparemment contraires juxtaposés dans une seule phrase appellent l’attention des voyageurs potentiels d’une manière qu’on constate dans les textes littéraires. Dans ce sens, cette phrase, tirée d’un texte avec un but commercial, parait utiliser les ornements littéraires pour provoquer les émotions et les sentiments des lecteurs de ce texte en appelant leur sensibilité langagière de type littéraire. Le texte continue, dans la deuxième phrase, en parlant du ‘cœur’ et du ‘jardin secret’. Encore des mots qui font référence aux émotions (le mot ‘cœur’) et aux aspects traditionnels et culturels. Dans le discours de tous les jours, l’expression ‘le jardin secret’ est un lieu de l’espace intime, interne, personnel, pas ouvert au public, aux amis, aux autres. Le jardin secret est un ‘lieu’ dans le ‘cœur’ ou réside les ‘secrets’ et ‘désirs’ personnels et intimes. En même temps, le mot ‘jardin’ bien sûr nous fait penser à la notion biblique du jardin dans le paradis, le ‘jardin d’Eden’ où un couple, Adam et Ève, flânaient et où ils ont atteint ‘le fruit sacré’ pour atteindre leur ‘désir secret’. C’est dans ce sens là que ‘le sacré’ et ‘le secret’ se confronte dans le jardin d’Eden. Dans le texte le ‘cœur’ devient l’image de ce jardin et on trouve une confrontation de sacré et des désirs secrets. Aux voyageurs potentiels d’une civilisation dominée par un esprit biblique, c’est une expression qui évoque des sentiments ‘religieux’ et en même temps ‘antireligieux’ car le texte essaye d’attirer vers le jardin secret, vers le cœur de l’Asie toujours en évoquant les émotions personnelles et les sentiments d’amour chez les lecteurs. En plus, le ‘jardin secret’ se concrétise dans le texte par ‘le Toit du Monde’ et ‘éternel Shangri La des chercheurs d’infini’. Une telle expression comme ‘le Toit du Monde’ parait concrétiser le ‘cœur’ et Shangri La peut symboliser ‘le jardin secret’ – si on suit la chronologie spatial d’usage de ces expressions dans la phrase. ‘Le jardin secret’ garde les secrets qu’on peut désirer infiniment, qu’on peut souhaiter vivre éternellement, et qu’on pourrait chercher dans la vie quotidienne. Donc, on peut voyager au ‘cœur’ et dans l’espace physique et psychologique du ‘jardin secret’ comme des chercheurs d’infini. Il nous parait, par les usages des mots dans ce texte, qu’en visitant les endroits proposés dans la brochure, on peut pénétrer l’infini. Le texte continue concrétiser encore cette infinité qui répond à nos désirs et nos émotions en citant les noms des endroits proposés comme la visite ‘des Kun Lun au Karakorum, du Ladakh au Népal’ en regardant ‘les sommets vertigineux et les vallées fertiles’. Encore on constate une juxtaposition des endroits éloignés et différents en termes d’espace géographique et psychologique. Au niveau géographique, on parle des Kun Lun au Karakorum, Ladakh et Népal. On parle aussi des sommets et des vallées – contraire de l’un l’autre au niveau géographique. Mais les adjectifs utilisés pour des sommets et des vallées sont de même champs sémantique – ‘vertigineux’ et ‘fertile’. On a présenté la 56 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 contradiction avec les deux qualifications différentes et associées. Ici on pourrait parler des sommets enneigés – c’est normal dans l’Himalaya. Mais on a évité cette expression car cela n’attirera psychologiquement aux voyageurs potentiels qui pourraient connaitre les sommets enneigés des Alpes. Le texte fait nous voyager au niveau psychologique à un endroit qui pourrait nous faire sentir ‘différent’ de celui de que nous connaissons. Dans ce sens, le texte utilisent très adroitement la notion du regard des ‘autres’ pour appeler l’attention des voyageurs potentiels. Et ce sentiment augmente plus quand on voit la suite da la même phrase – ‘où vivent des peuples aux traditions fascinantes’. On est souvent fasciné par ce qui est différent, ce qui est éloigné, ce qui nous représente l’autre. Ici, l’autre devient un ami à rencontrer, un étranger à affronter et approcher amicalement. Et ainsi, l’autre devient une image de nous qui nous parait ‘fascinant’ en nous faisant vivre nos images de notre jardin secret. Le texte continue ainsi présenter l’Himalaya de plus en plus concrètement d’une telle manière qui aide atteindre le but commercial d’attirer les voyageurs potentiels, le but commercial de vendre les programmes touristiques. En analysant la moitié du texte choisi, on peut voir qu’un texte dans une brochure d’une agence de voyage peut utiliser les figures de style, et les tournures langagières pour orner le texte qu’on constate dans les textes littéraires. Ici, dans la page présentée dans l’annexe, on peut encore analyser les images et d’autres usages de langue très imagés mais on se satisfait car notre analyse nous parait suffisante pour notre but humble de comprendre un texte commercial touristique comme un récit de voyage. Il sera bien sûr très intéressant d’aller en plus de détails si on entreprend une analyse des qualités littéraires de ce type de texte qui a un but principalement commercial.

Bibligraphie et sitographie

1. Auteur anonyme, 2001, LE VOYAGE A PIED DECOUVERTE & EXPLORATION, la brochure publiée par l’Agence de Voyage ‘Terres D’aventure’, Paris. 2. Dantier, Bernard, 2007, « L’analyse des discours et des textes entre sémiologie et linguistique » dans le livre Michel Arrivé (ed.), A la recherche de Ferdinand de Saussure,2007, PUF, Paris. Des extraits disponible à http://classiques.uqac.ca/collection_methodologie/arrive_michel/ analyse_discours_et_textes/Metho_Arrive_Semiologie_saussure.pdf (consulté le 30 novembre, 2016, New Delhi). 3. https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9cit_de_voyage (consulté le 28 novembre, 2016, New Delhi). 4. http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/voyage/177858 (consulté le 25 novembre, 2016, New Delhi). 5. http://www.glossaire-international.com/pages/tous-les- termes/multiculturalisme. html#HWHQopKtC5UQoA3D.99 (consulté le 23 novembre, 2016, New Delhi). 6. http://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/pluriculturalisme (consulté le 30 novembre, 2016, New Delhi).

57 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Nicolas Bouvier : penser le voyage

Sanjay Kumar

Résumé

L’œuvre de Nicolas Bouvier, un écrivain francophone d’origine suisse, est placée sous le signe du voyage où la description des lieux et des personnes rencontrées se mêle, de façon inextricable, aux émotions ressenties. D’ailleurs, en transcrivant ses expériences, il n’oublie pas de ponctuer discrètement les récits de ses réflexions sur la conception du voyage. Peut-on assembler en unité lisible ses fragments divers dispersés parmi la multitude des titres ? Quelle relation Nicolas Bouvier entretient-il avec le voyage ? Cet article a pour objet de reconstituer une théorie du voyage à travers ses Œuvres (2004), édition publiée sous la direction d’Eliane Bouvier. Un lecteur vorace et cultivé, Nicolas Bouvier se nourrit de fantasmes littéraires pour aller vers l’autre et l’ailleurs. Et puis, c’est le voyage qui, à son tour, lui donne envie irrésistible d’écrire. Son parcours donc commence par la lecture et se termine par l’écriture. Il est sain de dire que chez Bouvier, la rencontre avec l’autre mène à la découverte de soi. C’est cette dialectique de l’identité et de l’altérité, du moi et de l’autre qui est au cœur de ces préoccupations théoriques. Mots-clés : Nicolas Bouvier, voyage, littérature romande. L’un des grands représentants de la Suisse nomade dans les écrits romands est Nicolas Bouvier (1929-1998). Son ouvrage culte L’usage du monde considéré comme la Bible dans le domaine des récits de voyage s’est vendu 200.000 exemplaires depuis 1992. Nous savons que chaque récit viatique se situe au carrefour de trois invariants discursifs : narratif, descriptif et commentatif. C’est la troisième dimension discursive qui nous intéresse dans cet article. Peut-on développer une philosophie cohérente du voyage à partir de ses écrits répandus partout dans son œuvre ? Quelle relation Nicolas Bouvier entretient-il avec le voyage ? Cette recherche a pour objet de reconstituer une philosophie du voyage à travers ses Œuvres, un volume de 1400 pages rassemblant des textes rares et inédits. Sa passion pour la lecture est bien connue et c’est sa lecture qui attise sa curiosité pour voyager. C’est le voyage qui lui donne envie irrésistible d’écrire. Son parcours commence par la lecture et se termine par l’écriture. La rencontre avec l’autre mène à la découverte de soi. C’est cette dialectique de l’identité et de l’altérité, du moi et de l’autre qui est au cœur de mes préoccupations. Cette étude pourrait notamment s’organiser autour des axes suivants : je me focalise dans un premier temps sur le mobile du voyage chez Bouvier, ensuite, je discute de l’usure de soi dont il parle souvent et finalement j’aborde son amour pour la lenteur.

Usage du monde

Ce qui commence par un vague désire de l’errance devient une force dominante chez Nicolas Bouvier. Ce n’est pas le voyageur qui décide de voyager après avoir raisonné et fait une bonne planification. C’est le voyage qui choisit le voyageur et le pousse en dehors de son état sédentaire. Comme Nicolas Bouvier dit :

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La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous passe. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon... On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait (L’Usage 82). En luttant contre le stéréotype que les Suisses n’aiment pas voyager, il fait l’éloge de la Suisse nomade. De temps en temps, il discute des grands voyageurs suisses comme Blaise Cendrars, Ella Maillart, Charles-Albert Cingria. Il tombe en désaccord avec Boris Vian qui se moquent des Suisses en disant que « Les Suisses vont à la gare mais ils ne partent pas » (Bouvier, Réflexions 1056). Bouvier indique le mot en patois romand « bougeotte » qui signifie la « manie de bouger ou de ne pas rester en place ». En citant plusieurs exemples du vagabondage suisse, il va jusqu’au point de déclarer qu’en Suisse « s’expatrier relève de manie » (Réflexions 1057. Ce qui est encore remarquable dans cette louange c’est le mot « manie ». Il y a une dérive viatique indépendante de la volonté du voyageur qui se manifeste même dans la vie de l’auteur. Nicolas Bouvier était inscrit à l’Université de Genève à la Faculté des lettres et des droits. Après s’être présenté à l’examen de licence, il n’a pas attendu le résultat mais il est parti en Inde. Il a appris son résultat quand il était à Mumbai. La question qui se pose c’est : D’où vient cette dérive viatique dans le cas de Nicolas Bouvier ? Interrogeons sur les motivations qui se cachent derrière cette pulsion, cette envie de voyager. Fils du bibliothécaire Auguste Bouvier, ce grand voyageur genevois lit clandestinement les livres de Jules Vernes et rêve des pays lointains. Il se nourrit de sa lecture pour développer le goût du vagabondage. Le livre est un élément déclencheur de son aventure autour du monde: La lecture, pas plus que le voyage, n’est une activité gratuite ou innocente. Certains livres vous rendent un entrain de vivre ou décrire qu’on craignait d’avoir perdu ; d’autres vous agressent, vous dévoient, vous font mettre quelques chemises dans un sac et disparaître, disons avec une bonne année (Bouvier, Un requiem 886). À travers ces lignes, il rend hommage au pouvoir de la lecture. La lecture produit une curiosité insatiable pour découvrir le monde. Elle bouleverse notre regard sur la vie. Elle mobilise notre imagination au point de nous inciter à entrer dans un monde d’aventure. Le voyage est une vérification des lieux dont nous avons lu. Selon sa propre confession, « fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations » (L’Usage 84). Le voyage est un autre moyen de s’engager à la quête de nouveauté, voire un mode de vie. Ce n’est pas une évasion du voisinage mais un contact avec l’étonnante diversité de la nature humaine. Il se rend compte que le voyage lui fournit le savoir dont les livres ne sont pas capables. Le développement du savoir est intimement lié à la mobilité du sujet. C’est pourquoi, il cherche « un équilibre entre le monde physique et le monde intellectuel » (Bouvier, Routes 1280). Voilà ce qu’il dit concernant sa quête de connaissance: Je suis donc allé chercher comme Gorki « mes universités sur les routes » et ce que j’ai pu percevoir de l’immense et merveilleux passé asiatique m’est venu sans manuels ni leçons, mais par la plante des pieds (Réflexions 1059). Nicolas Bouvier s’inspire des errances de Maxime Gorki qui décrit sa période de formation et sa philosophie du vagabondage dans son œuvre, Mes universités. Bouvier reconnaît le voyage comme un vecteur d’enrichissement personnel par les moyens extrascolaires. Le

59 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 voyage d’après lui est un complément nécessaire pour combler la lacune dans le matériel pédagogique. Il dit que ses professeurs avaient « une conception très européocentrique de l’Histoire » (Routes 1282). Alors, il est parti vers l’est afin de se départir de son occidentalité, de mieux se décentrer d’une perception ethnocentrique de sa culture. Une fois parti, il ne regrette pas de son état nomade parce qu’il accepte que cela lui offre non seulement un trésor du savoir mais un mobile de son écriture. Comme la lecture le mène au voyage, le voyage à son tour le pousse vers l’écriture. Il avoue qu’il n’aurait rien écrit « sans cet apprentissage de l’état nomade » (Réflexions 1053). Mais une fois que la belle parenthèse s’est refermée, il revient au complément livresque pour garnir son récit viatique. Il aime consulter les livres d’Histoire pour approfondir sa connaissance sur les pays qu’il visite. C’est le voyage qui lui offre une occasion de découvrir un ailleurs et une altérité. Les effets bénéfiques du voyage s’accompagnent de souffrance. Chez Bouvier, ce paradoxe impose une réflexion approfondie : C’est le voyage, le « vivre ailleurs », la précarité d’une vie longtemps itinérante qui m’ont conduit à murmurer des histoires, tout comme une bouilloire posée sur la braise se met à chantonner (Réflexions 1053). On comprend cette phrase bien quand on la lit avec sa déclaration : « la vertu d’un voyage, c’est de purger la vie avant de la garnir » (L’Usage 95). Rencontre avec l’autre s’accomplit dans les circonstances difficiles. L’usage du monde passe par l’usure de soi.

Usure de soi

Quand Nicolas Bouvier est parti en 1953 sans aucun programme précis, il avait deux ans devant lui mais de l’argent seulement pour quatre mois. Pendant son voyage, il faisait des conférences sur Stendhal, Molière et Pascal tandis que son ami peintre, Thierry Vernet, organisait l’exposition de ses tableaux. De plus, Bouvier écrivait les articles pour des journaux et aussi vendait ses photographies qu’il avait prises en route. Ce sont les ressources pour financer son voyage. Voyager, pour Bouvier, c’est sortir du confort du milieu protégé, rejeter la vie sédentaire. Le déplacement physique s’accompagne des déplacements intellectuel et affectif qui nous mettent en situation de vulnérabilité. Il souligne le côté pénible et périlleux de l’état nomade : On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on nous tend avec un éclat de savon dans les bordels (Le poisson 748). Quand on habite un endroit longtemps, on développe un attachement à la terre, aux gens qui ont contribué dans la formation du soi. Partir d’un lieu c’est rejeter ces liens, rejeter une partie de soi. La rencontre d’autres sociétés entraîne quelques frictions. Il dira ailleurs : « On s’aperçoit que si les voyages forment la jeunesse, ils la font bien passer aussi. Bref, on s’aigrit » (L’Usage 382). Lors de son voyage, il rencontre plusieurs difficultés voire les risques du métier : l’inconfort, la lassitude, le désarroi, la déception, la maladie (la typhoïde, la malaria), la solitude, la peur, les obstacles administratifs etc. Il faut y ajouter le syndrome de Stendhal qu’il définit ainsi : « Quand des gens sensibles au voyage éprouvent un choc culturel très fort sur un état d’extrême fatigue, ils ont un moment d’aberration mentale »

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(Routes 1277). Présenté dans Rome, Naples et Florence, c’est exactement l’état de Stendhal quand il est sorti de la basilique Santa Croce de Florence. La passion de Bouvier pour le voyage est tellement forte qu’il est prêt à accepter ces souffrances. Il dit : « Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire un peu, autant rester chez soi » (Les chemins 1027). Une destruction partielle ouvre la voie à une régénération. Nicolas Bouvier n’est donc pas à la recherche du plaisir dans une zone sécurisée comme les touristes. Il refuse « tous les luxes sauf le plus précieux, la lenteur » (L’Usage 115). Alors, pourquoi cet éloge de la lenteur ?

Éloge de la lenteur

Nicolas Bouvier se déplace dans une vieille Fiat Topolino qui, en ralentissant la cadence de son voyage, lui permet de modifier son itinéraire au gré de ses envies. Cette lenteur fait partie de son projet de prendre le temps de la découverte, de se retrouver au cœur de la vie et la culture du lieu. En récusant le culte de la vitesse, il va à l’encontre du tourisme de masse : « L’agrément dans ses lents voyages en plaine terre c’est l’exotisme une fois dissipé qu’on devient sensible aux détails, et par les détails aux provinces » (L’Usage 249). On ne voit pas cette sensibilité de se familiariser avec les coutumes locales chez les touristes qui voyage de manière rapide et consumériste. Chez Bouvier, il y a une distinction entre touriste et voyageur. « La philosophie du slow oppose le mieux au plus rapide, la qualité à la quantité », comme dit Carl Honoré dans une interview avec Laurence Lemoine. Selon Hyppolyte Taine (Zeldin 303), il y a six types des touristes : le premier voyage pour le plaisir de se déplacer, occupé par le nombre de kilomètres couverts. Le deuxième suit aveuglement un guide. Le troisième ne voyage qu’en groupe pour économiser. Le quatrième ne voyage que pour manger. Le cinquième est à la recherche des objets ou plantes rares. Le sixième regarde la montagne de son hôtel et lit son journal tranquillement. C’est la même idée que propage Theodore Zeldin, l’historien britannique : Tourists may be content to look at places and things, but travel is also, more interestingly, the discovery of people: it is travel; it requires effort and its reward is a transformation of both the visitor and the host. Les touristes peuvent se contenter de regarder les lieux et les choses, mais le voyage est aussi d’une manière plus intéressante, la découverte de l’autre : c’est le voyage qui exige un effort et mène à la transformation du voyageur et de l’hôte (303-304). (ma traduction) Selon Theodore Zeldin, la première caractéristique des voyageurs qui sont plus que des touristes c’est qu’ils n’ont pas trouvé ce qui a été prévu : « Le voyage est devenu un art quand les surprises se sont transformées en bénéfices » (304). Nicolas Bouvier n’est pas loin de cette perspective. Souvent, pendant son voyage, il trouve des aspects de la réalité qu’il n’avait pas trouvés dans sa lecture. L’éloge de la lenteur se reflète aussi à travers son écriture. Selon sa propre confession, il écrit « très lentement » (Routes 1291) et prend un an pour écrire un livre de 150 pages. De plus, il n’hésite pas inclure des réflexions philosophiques pour ponctuer ses discours descriptif et narratif. Ses récits de voyage ne sont pas simplement un rapport de sa découverte géographique mais une vraie aventure intellectuelle. En fait, l’éloge de la lenteur chez Bouvier annonce une nouvelle vision du monde. Dans un entretien avec Jean-François Dortier, le sociologue Edgar Morin dit :

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Une première tâche consiste à se libérer de la tyrannie du temps. Nos rythmes de vies actuelles sont fondés sur des courses permanentes... De même qu’il existe un mouvement de slow food, il faudrait développer le slow time, le slow travel, le slow work ou la slow city. Il importe plus de vivre sa vie que de courir après. Alors, en développant la notion du slow travel, Bouvier fait une tentative d’échapper à la tyrannie du temps. Chez lui, le voyage ne relève pas d’une décision mûrement réfléchie mais c’est guidé par une dérive. La lecture et l’errance vont de paire chez lui. C’est un voyageur qui écrit plutôt qu’un écrivain qui voyage. Grâce à ses dates et ses horaires flexibles, il trouve dans le voyage, comme Gorky, ses universités sur les routes. Pour être efficace, cette formation doit être lente. Bourlinguer, c’est une tentative de supprimer son soi. C’est pourquoi il est prêt à prendre toutes sortes de risques en chemin. Comme son poète favori, Hafiz dit au début de son œuvre célèbre,Deewan-e-Hafiz : Shab-e-tarik o bimé mauj wo gardabi chunime hayal Kujo danande haléma subuk sohrané sahil ha (les vers translittérés en caractère latin) Ceux qui restent au bord de la mer ne sont pas au courant de l’état Des gens qui sont dans l’obscurité luttant contre les vagues dans la mer. (ma traduction) Nicolas Bouvier aimait tant ce poète persan qu’il avait fait inscrire un de ses quatrains en persan sur la portière de gauche de sa voiture. Cette image du voyageur luttant contre les vagues dans la mer décrit parfaitement l’image d’un voyageur idéal envisagé par Nicolas Bouvier.

Références

1. Bouvier, Nicolas. Un requiem venu du froid in Œuvres. Paris : Gallimard, 2004. Imprimé. … L’Usage du monde … … Le chemins du Halla-San … … Le poisson-scorpion … … Réflexions sur l’espace et l’écriture …. … Routes et déroutes … 2. Hafiz, Deewan-e-Hafiz, Web. 24 mai. 2017. 3. https://archive.org/stream/Divan-e-Hafiz/12718693-DivaneHafiz-#page/n11/mode/1up 4. Lemoine, Laurence. « Carl Honoré: Revoir ses priorités pour ralentir ». Psychologies (2007). Web. 24 mai. 2017. 5. http://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Comportement/Articles-et-Dossiers/ Comment-ralentir/Carl-Honore-Revoir-ses-priorites-pour-ralentir 6. Morin, Edgar. « Changer la vie, entretien avec Edgar Morin », Sciences Humaines (27 avril 2013). Web. 24 mai. 2017.

7. https://www.scienceshumaines.com/changer-la-vie-entretien-avec-edgar-morin_fr_30607.html 8. Zeldin, Theodore. An Intimate History of Humanity. London: Minerva, 1995. Imprimé.

62 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Produire le non-lieu : l’Inde à la dérive chez Ananda Dévi

Mohit Chandna Dès le début de sa carrière d’écrivaine, pour Ananda Devi, l’Inde et ses origines indiennes ont joué un rôle très important. La mer dans l’œuvre de Devi, une présence constante pour l’ile Maurice, devient un rappel perpétuel de l’Inde. Dans l’Arbre Fouet,1 par exemple, pour évoquer des ancêtres on dit que la mer, cet Océan Indien était un océan « qui nous reliait à l’Inde » (150). Pour ses ouvrages antérieurs comme Le voile de Draupadi2 et L’Arbre Fouet c’était une Inde farfelue, une Inde mythique et mythologique, présentée à traves les yeux des immigrants dont les légendes et tabous servaient pour faire ressortir les complexités de la société mauricienne. Or, pour ses écrits récents comme le recueil de nouvelles L’Ambassadeur triste3 et le roman Indian Tango4, non seulement le titre (Indian Tango) montre la centralité de ce pays mais l’intrigue aussi commence à se déplacer vers l’Inde. A partir de maintenant, ce sont les hiérarchies sociales d’une Inde résurgente que ses personnages contrarient. Où les présentations antérieures évoquaient une Inde non-définissable, tel le lieu présenté chez Edouard Glissant5, dans les ouvrages récents de Devi il devient de plus en plus important pour ses personnages de lutter contre les tentatives de vider l’Inde de sa signification pour lui imposer un non-lieu dystopique, un lieu qui résulte de la collusion entre le capitalisme et l’Etat-nation moderne. Cette communication se donne pour l’objectif d’analyser comment le texte de Devi articule ces deux référents spatiaux et comment ses personnages voyageurs engagent avec les différentes manifestations de ce non-lieu.

Inde incontournable

Dès le départ il faut signaler qu’Ananda Devi s’est toujours mise contre les Etats-nations et leur fixité géographique comme des conditions préalables d’une identité humaine. Dans son recueil de poèmes Quand la nuit consent à me parler6 dans un poème intitulé « Poétique des îles », Devi critique cette compréhension identitaire et se prononce sur un ton furibond : rien à faire rien à foutre des images désarrimées de nos terres ... images gravitationnelles qui nous lestent de trop de nous-mêmes et nous condamnent à rôder le nez au sol (49) Cette mise en cause des “images gravitationnelles,” est une reconnaissance de la nature réductrice des identités géographiques qui nous « lestent de trop de nous-mêmes » (49). Devi est parmi les écrivains qui ont enregistré l’impossibilité des espaces non-multiples. Le 1. Devi, Ananda.L’arbre Fouet: Roman. Paris, France: L’Harmattan, 1997. Print. 2. Devi, Ananda.Le Voile De Draupadi. Paris: Harmattan, 1993. Print. 3. Devi, Ananda.L’Ambassadeur Triste: Nouvelles.Paris: Gallimard, 2015. Print. 4. Devi, Ananda.Indian Tango: Roman. Paris: Gallimard, 2007. Print. 5. Lire : Glissant, Edouard.Poetique De La Relation. Paris: Gallimard, 1990. Print. ; Glissant, Edouard. Traite Du Tout-Monde. Paris: Gallimard, 1997. Print. 6. Devi, Ananda.Quand la nuit consent à me parler. Paris: Bruno Doucey, 2011. Print. 63 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 surcroit de rejection et de colère qui va de « rien à faire » et augmente à « rien à foutre » est directement proportionnel à l’urgence de l’interrogation identitaire dans l’œuvre entière de Devi. Les Etats-nations ou des nationalismes réductifs basés sur la croyance d’une identité singulière produit de la modernité, ne pourraient jamais satisfaire le désir d’un espace dynamique qui reconnaisse l’influence d’une pluralité identitaire. Mais pourquoi l’Inde ? Comment explique-t-on cette fascination avec l’Inde pour une auteure qui a souvent critiqué les écrivains pour être tombés dans le piège du nationalisme qu’elle appelle « restrictive » ?7 A-t-elle aussi fini par produire le même paradigme d’ancrer une identité, comme avaient fait plusieurs écrivains tel Léopold Sédar Senghor, dumouvement de la Négritude qui avaient réclamé en Afrique le lieu de leurs origines ? Tout au contraire. Pour répondre avec succès aux défis présentés par ces géographies d’origines, Devi ne peut pas se permettre d’ignorer l’Inde. L’Inde est pour Devi, ce que le lieu en général est pour Glissant. L’Inde est incontournable. La citation souvent citée de Glissant, “le lieu est incontournable” (Tout-Monde 29) trouve sa particularité dû à sa performativité : le texte même réalise à travers ses structures ce dont il parle. Cette phrase, comme le lieu dont elle parle, existe dans une double impasse qu’on ne peut pas définir mais qu’on doit pourtant traiter. On sait que le lieu existe, et on sait que l’Inde existe, mais ils restent dans un mode d’évolution constante et qui demandent un engagement perpétuel. Ils sont ni évitables ni définissables. C’est seulement en engageant avec l’Inde que le texte de Devi arrive à déstabiliser les deux idées que l’Inde représente : un Etat-nation, et les origines géographies de sa population diasporique. Cette déstabilisation productive provoquée paradoxalement par l’évocation de cette entité politique, l’Inde, se manifeste dans son ouvrage le plus récent, le recueil de nouvelles L’Ambassadeur triste. Où la plus grande partie du recueil, publié en 2015, raconte les expériences touristiques des étrangers en Inde, la nouvelle éponyme (« L’Ambassadeur triste ») présente un ambassadeur posté à Delhi “depuis dix ans déjà” (10) qui a le mal du pays. Le titre du recueil ainsi que du conte “L’Ambassadeur triste,” établit dès le départ un paradigme des Etats-nations, des rapports mutuels et des relations politiques bilatérales, et évoque tout de suite l’appareil étatique des communautés imaginaires qui, comme Benedict Anderson a montré, reste à la fondation des Etats-nations. Et pourtant à part Delhi, la ville de son affectation actuelle, aucun autre indice géographique pertinent à cet ambassadeur n’est jamais révélé. Le texte nous dit bien qu’il est originaire d’un « pays nordique » (12) mais étant donné le manque absolu d’autres marqueurs de l’appareil étatique- tels les passeports, les cartes, les drapeaux et la monnaie - nous ne pouvons jamais préciser son pays d’origine. Un recueil qui commence par un ambassadeur dont l’emplacement actuel est connu mais dont la provenance reste inconnue, se termine par la nouvelle “Blue glace”, l’histoire d’un autre homme, lui aussi anonyme. Mais cette fois-ci on ne sait ni ses origines ni son emplacement actuel. Entre la localisation précise de ses ouvrages antérieurs où c’est en île Maurice qu’on évoquait l’Inde, et la non-traçabilité de cet homme dans « Bleu Glace » se trouve l’itinéraire de l’engagement dévidien avec le rôle que joue le lieu dans la formation de l’identité humaine.

7. “We’re hemmed in more and more by our national identities, which become restrictive” (11-12). Devi, Ananda. “An Interview with Ananda Devi,” Hawkins, Peter. Wasafiri, 26:2 (2011), 8-13. 64 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

« Bleu glace » se déroule dans une usine de traitement de la viande de phoque où on nous décrit en grand détail comment la viande est traitée, mais à aucun moment donné on ne trouve aucun détail identifiant cet homme, ni d’ailleurs les autres travailleurs dans l’usine. D’autres détails à part l’existence de cet atelier de production ne peuvent plus exister, tel est l’effet paralysant d’un monde basée sur la valeur capitaliste que Devi veut communiquer.

Inde irréelle

Représentation économique et mécanique comme la seule réalité, manque de détail personnel, insistance sur la production destinée aux besoins des consommateurs, il s’agit ici du signe capitaliste tel qu’il est présenté par Baudrillard. A l’opposé du non-lieu productif de Glissant, pour Jean Baudrillard8, le manque de définition du lieu résulte du fonctionnement d’une société de consommation, qui vide le monde entier de toute sa signification. Disneyland est là pour cacher que c’est le pays « réel », toute l’Amérique « réelle » qui est Disneyland (un peu comme les prisons sont là pour cacher que c’est le social tout entier, dans son omniprésence banale, qui est carcéral). Disneyland est posé comme imaginaire afin de faire croire que le reste est réel, alors que tout Los Angeles et l’Amérique qui l’entoure ne sont déjà plus réels, mais de l’ordre de l’hyperréel et de la simulation. Il ne s’agit plus d’une représentation fausse de la réalité (idéologie), il s’agit de cacher que le réel n’est plus le réel, et donc de sauver le principe de réalité. (25-26) L’interjection textuelle glissantienne présente un signifiant qui est délibérément laissé à la dérive. Or, chez Baudrillard le signifiant présenté sous forme d’une Amérique capitaliste, fait lui aussi partie d’un espace nouveau de signification, mais ce sont les signes qui ne suivent que les contraintes changeantes imposées par la demande créée à l’aide des stratégies de marketing et de consomption. Dans notre ère la valeur n’a rien à voir avec les signifiants du monde réel. Dans la citation ci-dessus Disneyland est présenté comme le vrai monde car c’est le seul endroit où les gens peuvent aller vivre la vie de leur rêve. La société américaine qui entoure Disneyland, n’est qu’un artifice créé où tout est resignifié selon la consomption. L’Amérique, Baudrillard dit, « est de l’ordre de l’hyperréel et de la simulation [.... ] il s’agit de cacher que le réel n’est plus le réel. » Revenons donc au recueil L’Ambassadeur triste où sans jamais occuper le devant de la scène, la présence de ce réseau d’un système financier global est palpable à travers les effets qu’il produit sur la vie des gens. Une nouvelle qui ne révèle rien sur les origines de cet ambassadeur, précise néanmoins que sa présence est dû à un système financier qui est « des plus abscons » et qui est basé sur les liens mutuels entre ces deux pays : Il ne savait plus qui avait cru que le salut économique du pays était lié aux accords commerciaux avec les géants de l’est. Cela aurait eu un sens s’ils avaient eu quelque chose à exporter, mais toute leur économie était bâtie sur un système bancaire des plus abscons et [...] il avait été envoyé là-bas en fanfare et à grand renfort de promesses électorales de relance économique. Mais, une fois rendu, il s’était heurté à une fin de non-recevoir masquée par des manifestations volubiles d’amitié (12). Un représentant d’un « système bancaire des plus abscons » quand il se déplace pour le « salut économique » et « relance économique » on devrait l’interpréter comme un exemple de l’espace baudrillardien complexe, qui s’étend et couvre la surface du monde. 8. Baudrillard, Jean. Simulacres Et Simulation. Paris: Galilee, 1981. Print. 65 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Le lien entre ces deux voyageurs, l’homme et l’ambassadeur, dans les deux nouvelles de ce recueil n’est jamais explicitement évoqué. Pourtant on dit dans la première nouvelle que l’ambassadeur avait encouragé un jeune homme d’aller trouver un emploi en Alaska. Parallèlement Bleu Glace raconte comment cet homme sans nom avait démarché plusieurs ambassadeurs « dont l’un, à l’allure triste l’avait aiguillé sur cet emploi » (177). Diamétralement opposées au niveau financier, émotionnel, social et géographique il est important de signaler qu’en dépit leur relation antipodale, cet homme sans formation et cet ambassadeur, un outil hégémonique, existent tous les deux subordonnés à un pouvoir absolu qui les rend en des abstractions. Et c’est à travers une négociation qui simultanément révèle et défait les effets de cette économie globale que le texte de Devi présente les articulations alternatives des nations géographiques qui sont définies par un réseau d’économies globales dans lequel ces deux voyageurs existent comme des colonnes invisibles du système : non seulement dans la chaleur infernale de Delhi mais aussi dans le froid glacial de cette usine dans un pays froid lointain.

Inde : non-lieu

Dans cette usine aucun contact n’est permis entre les hommes et les femmes. Il y a pourtant un jour d’exception - le jour de noël, où les hommes étrangers peuvent s’acheter le droit de coucher avec une femme locale. Comment cette unique nuit de sexe présente la possibilité de contrarier ce système hégémonique qui subjugue le corps humain devient clair dans le rapport qui est crée entre la phoque et les travailleurs. Parmi les deux descriptions qui suivent, la première présente la rencontre de cet homme anonyme avec une phoque, et la deuxième présente la femme du point de vue de l’homme pendant leur acte sexuel. La première description : ...dans une position trop humaine. La tête est beaucoup trop petite pour ce corps massif. Les yeux sont fermés, [...] les nageoires sont réunies, presque dans une position de communiant. [...] sa couleur bleu-noir, la glissade de la masse lorsqu’elle heurte le sol. [...] L’homme se place au-dessus du cadavre, une jambe de chaque côté, trouve une prise avec ses doigts et déchire la peau, écartant largement les lèvres de la fente… (184-185). Cette description qui présente un travailler dans l’usine déchirant violement le corps de cette phoque non seulement fournit le rapport de pouvoir qui existe entre cet animal et l’homme mais prépare le terrain pour comprendre la dynamique qui existe entre l’homme et la femme. L’homme est ivre et il regarde la femme qui est assise à califourchon sur lui : Dans le noir, il voit ses yeux fixés sur lui, parfaitement immobiles. Sa tête est un peu petite, par rapport à la masse du corps qui se fond à l’obscurité. Elle a les mains jointes - une pose de communiante. Elle se lève à demi et se glisse sur lui. [...] Sa bouche glisse sur lui. Elle va et vient, le longe et le dévore. Elle s’assied à califourchon sur lui en lui tournant le dos. Sa chevelure, très longue, lui recouvre entièrement le dos. C’est comme un pelage bleu-noir qui cache le teint pâle de la peau au-dessous. Cela lui rappelle quelque chose, mais il ne sait pas quoi. Il est engourdi par le sommeil et l’alcool. Il ferme les yeux, commence à se livrer à elle, mais ensuite, ses narines frémissent (191-192).

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C’était la phoque morte, les yeux fermés dans « une position trop humaine », qui était personnifiée dans la citation précédente. Ici c’est la femme, ses yeux fixés sur l’homme qui assume les traits physique d’une phoque : « tête est un peu petite » ; « yeux fixés » ; « mains jointes » ; « pose de communiante » ; « pelage bleu-noir ». C’est une réplication littérale du vocabulaire utilisé pour décrire la phoque dans la citation précédente où on dit pour la phoque : « tête est beaucoup trop petite » ; « yeux sont fermés »; « nageoires sont réunies » ; « position de communiant »; « sa couleur bleu-noir ». De plus sa manière de manier le corps de cet homme (elle « se glisse sur lui », « elle va et vient », elle longe, pour en fin de compte le dévorer) rappellent le travailleur traitant le cadavre de l’animal. S’agit-il ici d’un renversement du genre, où c›est une femme qui traite l›homme d›une phoque morte. Ou, devrait-on dire que c’est un renversement du processus de production où c’est l’animal qui a pris charge ? Cette question n’a pas d’importance. Ce qu’il faut pourtant signaler c’est que les deux corps, d’origines géographiques différentes, imbriqués l’un dans l’autre manifestent la dégrée jusqu’à laquelle ils sont impliqués dans le produit que leur labeur produit. L’homme et la femme sont en même temps humain et animal;travailleur et matière de base. Avec un seul coup ce moment d’acte d’amour hétérosexuel défait le système entier basé sur un signe déterminé par la consomption. Ce n’est pas sans raison que ce moment de sexualité humaine fait partie d’un système économique plus vaste que la totalité de ses components, basé sur valeur d’échange, ce qui crée aussi des conditions pour outrepasser ce système. Ce système est écrasé quand il y a un écroulement total des signes qui composent ces réseaux de communication. C’est dans le mélange de confusion, et d’incompréhension, où l’homme est engourdit par l’alcool et le sommeil qu’on découvre un moment qui existe hors du paradigme moderniste. Comme on dit, ce que l’homme voit au-dessus de lui, “Cela lui rappelle quelque chose, mais il ne sait pas quoi” (192). Au même moment où la femme “s’étale vers lui […] le lape, le noie, l’engloutit” (192) et l’homme ne peut que voir la scène le dépasse, le signe linguistique lui devient inadéquat et il ne peut se servir que du vocabulaire du quotidien. Cela ne nous devrait pas surprendre que la phrase définitive de ce recueil se serve d’un vocabulaire associé avec les phoques et le processus de production pour dire qu’il “fait l’amour à l’odeur des phoques.” (192). L’ambassadeur, le signe ultime des Etats-nations fait preuve de son pouvoir en envoyant cet homme aux antipodes géographiques, et pour cette femme c’est en possédant l’homme qu’elle le renonce, lui ainsi que la spatialité rationalisée composée des usines et des Etats-nations qui facilitent la présence de cet homme parmi ces phoques. Ainsi, l’atelier de production devient-il l’endroit où se manifeste la rébellion. Un processus qui avait commencé à Delhi se termine dans ce pays qui ne porte aucun nom où cet homme ne peut que sentir l’odeur des phoques, ainsi assurant que l’Inde ne pourrait jamais être réduite à la grammaire des Etats-nations.

67 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Rêve Comme Voyage de l’Âme Chez Gabrielle Roy

Shakti Kapoor

Résumé

Gabrielle Roy est une des écrivaines la plus connue du . Son premier roman, Bonheur d’Occasion publié en 1945 lui vaut le Prix du Gouverneur Général du Canada, le Prix Femina de France et une médaille de l’Académie canadienne française. Chez Gabrielle Roy le rêve joue un rôle principal. « Le rêve, c’est la réalité; rêver c’est créer », disait la romancière. Dans les œuvres de cette écrivaine québécoise la douleur et la tristesse est portée à l’extrême. Les grandes souffrances de la vie familiale et des angoisses insondables du ménage et la détresse morale de la vie mènent ces protagonistes à échapper aux rêves. Ce sont des personnages qui sont torturés incessamment par un Destin qui ne cesse de les punir. Leur souffrance provient de leur vulnérabilité, leur impuissance et leur dépendance dans un monde rigide, impitoyable et cruel. Étant si préoccupés par mille soucis et problèmes certains choisissent de vivre constamment dans un monde de rêve où l’on vient oublier le présent pour se réfugier dans un avenir qui les transporte loin de ses misères. Dans cette communication nous essayerons de montrer à travers deux romans Le Bonheur d’Occasion (1945) et La Petite Poule d’Eau (1950) la fuite de la réalité à un monde loin du présent. Mots-clés : Réalité, Rêve, Douleur, tristesse, Souffrances, angoisses, la fuite, échapper, se réfugier. Si le voyage signifie le déplacement physique, la mobilité spatiale, la transition, le mouvement de l’état physique le rêve signifie le mouvement de l’esprit, de l’âme, le déplacement illimité sans borne. C’est le trajet sans restriction, sur place au caprice du rêveur. C’est pour cette raison qu’on trouve la plupart des personnages de Gabrielle Roy dans un état perpétuel de la fantaisie, de la rêverie qui les transporte loin de leur existence misérable et étouffant. Gabrielle Roy est une célèbre écrivaine d’expression française. Son premier roman, Bonheur d’Occasion publié en 1945 lui vaut le Prix du Gouverneur Général du Canada, le Prix Femina de France et une médaille de l’Académie canadienne française. La présente communication discute le voyage de l’âme à travers les rêves de trois personnages dans deux ouvrages de Gabrielle Roy Le Bonheur d’Occasion (1945) et La Petite Poule d’Eau (1950). Chez Gabrielle Roy la douleur et la tristesse sont portées à l’extrême. Les grandes souffrances de la vie familiales, les angoisses insondables du ménage et la détresse morale de la vie mènent ces personnages à s’échapper aux rêves.

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Ce sont des personnages qui sont torturés incessamment par un destin qui ne cesse de les punir. Leur souffrance provient de leur vulnérabilité, leur impuissance et leur dépendance dans un monde rigide, impitoyable et cruel. Préoccupés par mille soucis et problèmes certains choisissent de vivre constamment dans un monde de rêve ou l’on vient oublier le présent pour se réfugier dans un avenir qui transporte l’être loin de ses misères. L’action du roman Le Bonheur d’Occasion se déroule à Saint-Henri un quartier pauvre de Montréal, et présente des personnages urbains, aux prises avec les difficultés de la vie moderne dans une grande ville qui s’industrialise. C’est l’histoire de la famille Lacasse, une famille pauvre, ouvrière, dont le père Azarius, chômeur ne peut subvenir aux besoins de sa femme et onze enfants. Cette famille habite Saint-Henri, le misérabilisme du quartier, son indigence, vont de pair avec le profond désespoir qui accablent ses habitants. L’histoire se focalise sur deux personnages Rose-Anna et Florentine, la fille ainée de Rose-Anna. Cette mère personnifie la mère canadienne-française des années 1950. Enceinte tous les ans, mère-nourricière, préoccupée par la lutte pour la vie de ses onze enfants, elle incarne le modèle de femmes-martyres de cette nouvelle génération qui a migré de la campagne à la ville. Son monde est centré sur le foyer. Son premier devoir est de pourvoir aux besoins matériels des jeunes vies qui dépendent d’elle. Elle accomplit des prodiges d’économie pour les nourrir, les habiller, les éduquer et pour leur procurer un confort relatif chez eux. Sa hantise de ne pouvoir subvenir aux besoins de tous est si fort qu’elle ne cesse de faire des calculs pour tirer le meilleur parti de son argent autant que deux. La vie de Rose-Anna est marquée par deux événements, qui s’associent au printemps : la grossesse et la recherche d’un logement. Leurs multiples déménagements conduisent les membres de la famille Lacasse dans des appartements de plus en plus petits. Malgré la multitude de maisons, ils sont toujours obligés de choisir un appartement inconfortable, insalubre. Pour échapper cette réalité morbide Rose-Anna rêve constamment d’avoir une maison avec un jardin dans lequel elle pourrait planter des fleurs comme si elle était à la campagne. Elle se sent heureuse à l’idée de voir pousser les légumes sous ses fenêtres. Mais ce sont toujours « les cheminés d’usines ou des masures » qui frappent ses yeux, lorsqu’elle regarde par la fenêtre. Selon T. Hughes « Le rêve constitue le seul moyen d’évasion permis à Rose-Anna ; ses rêveries ponctuent les moments de grande tension dans sa vie. Sur le point de prier un soir, se recueillant devant une Mère des Douleurs, « elle voyait des billets, tout un rouleau de billets qui se détachaient les uns des autres, s’envolaient, roulaient, tombaient dans la nuit, le vent soufflant très fort sur eux » (1). A un autre moment quand elle est de nouveau à la recherche d’un logement : « elle imaginait un oncle riche qu’elle n’aurait jamais connu et qui, en mourant, lui cèderait une grande fortune ; elle se voyait aussi trouvant un porte-monnaie bien rempli qu’elle remettait à son propriétaire évidemment, mais pour lequel elle toucherait une belle recompense. L’obsession devenait si vive qu’elle se mettait à fouiller le sol d’un œil enfiévré. Puis elle avait honte de ces fantaisies. De quelque rêve qu’elle sortit, Rose-Anna revenait tout droit à ses calculs » (2).

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Rose-Anna écrasé par le travail constant, confiné à une ville néfaste et cruelle, à ses limites matérielles quitte le présent pour entrer dans une autre existence moins hostile. C’est le seul moyen de voyager sans souffrir. Dans cette famille souffrante le rêve joue un rôle primordial. « Le rêve, c’est la réalité ; rêver c’est créer », disait la romancière lors d’un entretien du 14 février 1970. (3) Quant à Florentine, la première née de Rose-Anna ses amours sont la trame préliminaire du roman. Elle évolue dans un monde de rêve constant faisant des fantasmes d’un avenir plus sécurisé que la vie de sa mère. Tous les personnages en effet, portent en eux la vision d’un monde meilleur, qu’ils regrettent et attendent à la fois. A dix-huit ans Florentine est serveuse au Quinze-Cents, et ce travail l’irrite et l’humilie, elle est un être qui souffre physiquement et psychologiquement de la pauvreté. Elle éprouve un grand désir de s’affranchir de la pauvreté, du quartier de Saint-Henri, de la maison des Lacasse, laide et trop remplie d’enfants. Florentine n’a pas envie de devenir comme sa mère car elle signifie le symbole de l’échec et le malheur. Florentine perçoit sa mère « comme un long voyage gris, terne, que jamais, elle, Florentine n’accomplirait. » (4) et c’est ce sentiment qui la pousse à s’évader dans une existence parallèle, dans le rêve. Au milieu de la foule, elle est seule dans son univers personnel, entièrement donnée à ses rêves du lointain. Vers les lointains, son imagination fait voile, c’est le seul moyen de voyager loin de ses misères. Bientôt Florentine se rend compte que le seul moyen d’échapper à cette vie funeste est de faire un mariage d’argent. Dans son esprit, l’argent apporte un certain statut social ainsi que le pouvoir. Cela révèle une âme intelligente et manipulatrice. Rêveuse comme sa mère, elle ne peut accomplir ses rêves. Son ambition de se marier avec le beau, riche, intelligent mais prétentieux Jean Lévesque est brisée. Pour Florentine la réalité à laquelle elle appartient est intolérable, et c’est pourquoi elle lui substitue une existence seconde, une existence rêvée. Selon Marc Gagné, le personnage de Gabrielle Roy rêve pour s’évader d’un milieu de travail étouffant, des problèmes d’une « vie concrète qui rivent chacun à sa chaîne immédiat ». (5) Le rêve permet superposer à la vie des images d’espoir, de bonheur, de succès. Il permet l’espoir du recommencement. Afin de réaliser les rêves la fille rejette la mère, symbole de la misère ; mais comme la mère elle passera la vie dans l’humiliation, le délaissement et l’amertume. Le troisième personnage qu’on étudie ici est Luzina, mère traditionnelle, douce et brave du roman La Petite Poule d’Eau. Gabrielle Roy a la tendance de pousser à l’extrême la peinture de la souffrance mais tel n’est pas le cas dans cette œuvre : les tragédies quotidiennes ne sont pas extrêmes, les calamités ne sont pas fatales, ni les décisions cruciales au bien-être de la famille. Le contraste entre Le Bonheur de l’Occasion et La Petite Poule d’Eau est frappant. L’endroit où se déroule ce roman est l’un des plus lointains, et isolés de l’univers imaginaire de l’auteur. Luzina, Hippolyte Tousignant et leurs dix enfants vivent ici au nord du Manitoba tout à fait seuls, avec pour unique compagnie le troupeau de moutons dont ils ont la charge. Dans ces vastes espaces presque inhabités, la vie est primitive, liée au rythme brutal des saisons. Les hommes connaissent au contact de la nature un bonheur

70 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 simple fait d’acceptation et d’amour. En lisant ce roman le lecteur se rend compte que c’est l’indépendance dans l’isolement de la famille hors des règles de la société qui crée pour eux l’atmosphère de paix, de solidité et de bonheur. L’indépendance dans l’isolement crée une atmosphère de bonheur, de pais et d’unité. Leur connaissance limitée de la vie réelle et de grandes villes augmente la naïveté et l’innocence qui les libère de réaliser leurs rêves pleinement. Le rêve principal de Luzina est le besoin d’inculquer un soif à ces enfants pour voyager, explorer et découvrir un monde différent. C’est aussi de faire passer la richesse intellectuelle et spirituelle à ses enfants. Elle ne veut pas que ses enfants souffrent de l’ignorance, le manque d’instruction et des opportunités comme elle. L’éducation de ces enfants démunis est d’importance capitale et c’est dans cette entreprise qu’elle réalise le vrai bonheur moral malgré les peines de la séparation. « Le seul recours de Luzina pour lutter contre la matière qui envahit son corps et sa vie, c’est ce chemin de l’éducation qu’elle a ouvert jusqu’à sa petite île désolée. » (6) A la suite de leur éducation les jeunes préfèrent chercher d’autres horizons qui offrent des perspectives d’avenir et de bonnes situations. Ainsi, Luzina achève ses désirs en incitant à ses enfants le désir de partir et de faire la vie ailleurs. Luzina a tout donné à ses enfants, son temps, toute sa tendresse, en plus du goût d’étudier et de s’échapper de l’île. Après leur départ, elle continue à vivre dans la joie de voir ses enfants réalisent ses beaux rêves. Cette œuvre est la réalisation totale des buts et des espérances. Tandis que la situation du roman soit plus isolée avec les moyens moins disponibles, Luzina se présente comme un personnage plus content et satisfait que Rose-Anna. Ce n’est pas que Luzina soit moins ambitieuse et moins travailleuse que Rose-Anna, en fait Luzina travaille dans les conditions plus rigoureuses et hostiles, ce qui fait la différence est son attitude optimiste et confiante de sa situation. D’un ton pessimiste, Le Bonheur d’Occasion met la lumière sur l’évanouissement des rêves et des ambitions tandis que La Petite Poule d’Eau est la réalisation totale des buts et des espérances. La Petite Poule d’Eau se termine sur une note de contentement et de réalisation des rêves tout à l’opposé de Bonheur d’Occasion qui laisse le lecteur un peu troublé et agité.

Notes

1. HUGHES, Terrance. Gabrielle Roy et Margaret Laurence : deux chemins, une recherche. Editions du Blé, 1983. P.66. 2. ROY, Gabrielle. Bonheur d’Occasion. Montréal, Boréal Compact, 1993, p.99. 3. GAGNÉ, Marc. Visages de Gabrielle Roy, l’œuvre et l’Écrivain, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1973, p. 140. 4. ROY, Gabrielle. Bonheur d’Occasion. Montréal, Boréal Compact, 1993, p.75. 5. GAGNÉ, Marc. Visages de Gabrielle Roy, l’œuvre et l’Écrivain, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1973, p. 135.

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6. ANDRON, Marie-Pierre. L’imaginaire du Corps Amoureux, Lectures de Gabrielle Roy, L’Harmattan, 2002, p.39.

Bibliographie

1. McPherson, Hugo. The Tin Flute. Toronto, McClelland & Stewart, 1958. 2. SAINT-PIERRE, Annette. Sous Le Signe Du Rêve, Les Éditions du Blé, Saint Boniface (Manitoba), 1975. 3. ROY, Gabrielle. La Petite Poule d’Eau. Montréal, Boréal Compact, 1993.

72 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le voyage d’un peintre oriental dans l’imaginaire yourcenarien: « Comment Wang-Fô fut sauvé » des Nouvelles orientales

Mohar Chaudhuri

Résumé

Figure de premier plan de la littérature française et francophone du 20e siècle, Marguerite Yourcenar (1903-1987) a eu, dès son adolescence, une fascination puis une véritable passion pour l’Inde et pour l’Orient- son histoire, ses mythologies, son art, ses grandes figures spirituelles, sa musique et tant d’autres aspects de la vie orientale qu’elle ne cessera de chérir. En 1928, alors qu’elle débute véritablement sa carrière d’écrivain, elle compose une nouvelle, Kali décapitée, qui revisite, de manière libre et audacieuse, le mythe de la grande déesse noire. Si l’on considère de plus près, les sources de Marguerite Yourcenar concernant l’hindouisme, on se rend compte qu’elles sont nombreuses et variées. Elle a lu et soigneusement annoté les Upanishads dans une édition en anglais en quatre volumes publiés dans les années 1950. Elle s’est également nourri de plusieurs lectures de la Bhagavad-Gita. Dans son entrevue, Les Yeux ouverts, elle voue l’influence desUpanishads et du Dhammapada sur sa vie et sur son œuvre. Dans cet article je vais suivre le trajet du voyage de Wang-Fô, peintre philosophe chinois d’un village d’autrefois jusqu’au palais de l’Empereur qui l’exhorte de lui avoir triché par des tableaux trop beaux et idéalistes. Selon cette lecture ce voyage marque une transition d’un monde rural, vivant et réaliste, d’où Wang-Fô emmène son disciple Ling vers un avenir compliqué, urbain qui aboutit à la mort. Mots-clés : Spiritualité, orientalisme, voyage. Marguerite Yourcenar (1903-1987) dont le nom original fût Crayencour, était poète, romancière, dramaturge, traductrice et écrivaine. Dès son adolescence, elle a eu une fascination puis une véritable passion pour l’Inde, son histoire, ses mythologies, son art, ses grandes figures spirituelles et tant d’autres aspects de la vie indienne qu’elle ne cessera de chérir. L’auteur de Mémoires d’Hadrien (1951) et de L’Œuvre au noir (1968), la voyageuse accomplie qui ne foula le sol indien qu’à la fin de sa vie, en 1983. La première femme élue à l’Académie française en 1980, écrivait dans des notes de voyage encore inédites : « L’Inde aura été […], l’une des grandes expériences de ma vie ou plus exactement de la vie. » (Savigneau, 1990 : 4) Dès avant l’âge de dix-huit ans, elle entre en contact avec les textes sacrés de l’Inde lus en anglais et en français, elle découvre Bouddha dont elle lit plusieurs biographies1 (Yourcenar, 1999 : 225-226) et dont l’enseignement la marquera à jamais. Cette fascination précoce pour les richesses culturelles et spirituelles de l’Inde prend un virage littéraire lorsqu’elle découvre à la fin de l’adolescence, l’œuvre de Rabindranath Tagore, dont elle parlera à la fin des années 1970 comme « d’un grand écrivain que j’admirais » (Yourcenar, 1980 : 57). Fascinée par sa poésie elle fait parvenir au grand poète et penseur bengali son premier livre de poèmes, Le Jardin des chimères (1921). 1. Voir « Livres lus de la 15e à la 18e année ». 73 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

En 1928, alors qu’elle débute véritablement sa carrière d’écrivain, elle compose une nouvelle, Kali décapitée (Yourcenar, 1938), qui revisite, de manière libre et audacieuse, le mythe de la grande déesse noire. Dans les années 1950, elle s’intéresse à Krishna et à la question de l’érotisme dans la spiritualité hindoue dans son essai Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gita Govinda, libre commentaire du célèbre épisode de l’union du Dieu musicien avec les multiples vachères au grand désespoir de la belle Radha, tel que raconté dans la pastorale de Jayadeva. La nouvelle ‘Comment Wang-Fô fut sauvé’, se trouve dans le receuil Les Nouvelles orientales, publié en 1938 et raconte le voyage du peintre chinois Wang Fo, qui ‘aimait l’image des choses et non les choses elles-mêmes’ (Yourcenar. 1963 : 11). Ling, un jeune homme riche le rencontre dans une taverne et devient son serviteur dévoué, au point que celui-ci perd toute sa fortune, sa maison, sa femme, aveuglé par son dévouement envers Wang-Fô. Il lui achète des couleurs très chères, et néglige toutes autres responsabilités. Devenu mendiant comme Wang-Fô, ces deux vagabondent dans les rues de la royaume de Han, lorsque les soldats du roi les emmènent. Ling, souciant de protéger son maitre à tout prix, est tué par l’ordre du roi. Finalement l’empereur révèle à Wang-Fô, la raison de sa punition... c’est que comme enfant il a grandi en regardant les tableaux de Wang-Fô qui esquissaient un monde trop beau, trop parfait et idéal. Par conséquent, il n’a jamais pu accepter sa vie réelle. ‘Tu m’as menti, Wang-Fô, vieil imposteur: le monde n’est qu’un amas de tâches confuses, jetés sur le vide par un peintre insensé, sans cesse effaces par nos larmes.’ (Yourcenar, 1963 : 21) Le roi est jaloux du peintre, au point qu’il seul pourrait apercevoir dans cet amas confus, ‘Le seul empire sur lequel il vaille la peine de régner est celui où tu [Wang-Fô] pénètres...’ (1963: 21). Il décide de brûler les yeux de Wang mais avant d’accomplir cet acte il lui commande d’achever son dernier tableau. Le vieux peintre commence son travail en re-touchant les ondes au crépuscule, mais il ne se rend pas conscient que cette eau qu’il peint envahit la cour de l’emperuer, noie les courtisans et l’empereur lui même. Seul, peut-on entendre le bruit des rameaux qui créent une cadence dans le long silence. Ling, son disciple vient de l’emmener dans le monde au-delà du réel. Ce bateau franchit toutes binarités: les barrières du temps et de l’espace vécu, du bien et du mal, du langage et du silence, des souvenirs et de l’actualité. Ma lecture de cette nouvelle aborderait la notion de détachement dans le Dhammapada qui marque les étapes du voyage du peintre Wang Fô. Selon Yourcenar l’hindouisme et le bouddhisme lui a révélé un processus de calmer la pensée et ainsi d’apprendre à s’intérioriser qu’elle terme ‘siddhi’ (Yourcenar, 1980: 107). A propos de la source du conte, Yourcenar révèle, dans son intervue à Mathieu Galey, ‘Quant au Wang-Fô et au Prince Ghenghi, ils prouvent de ma grande passion pour les littératures chinoises et japonaises. Wang-Cho sort d’un conte taoiste, je ne l’ai pas inventé.’ (Yourcenar 1980: 108) Dans la vision de Marguerite Yourcenar, ainsi qu’elle confesse dans son intervue, elle suit une ‘méthode de délire’, ‘ce sont des méthodes contemplatives que j’ai parfois employées pour écrire Mémoires d’Hadrien. Je les ai acquises par moi-même, en partie, mais aussi en les étudiant chez les philosophes orientaux....’ « par ce délire elle comprend un état de silence où comme écrivain elle se laisse investir par un personnage. Mais elle consiste aussi à faire un total silence des idées, à éliminer 74 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

tout l’acquis, à faire table rase de tout...on élimine complètement...pour arriver à un certain niveau de sérénité dans la quelle les choses se reflètent comme dans une mer calme. » (Yourcenar, 1980: 145) Elle explique que les sages hindous appellent cet état, l’attention, « une attention qui élimine les trois quarts, les neuf-dixièmes de ce que l’on croit penser... ». Yourcenar a fait Hadrien son personnage principal de Mémoires d’Hadrien, philosophe gréco-romain intellectualiser ces méthodes. Par contre, de Wang-Fô on s’approche d’une personne qui vit dans cet état, un personnage en recherche de la beauté, de la perfection des nuances des couleurs et qui, par sa recherche impassionnée de l’art nous parait trop détaché de l’humanité, presque inhumain dans sa vision de peintre. Je voudrais re-lire le conte de Wang-Fô comme une exposition de cette ‘méthode de délire’ un processus d’élimination de toute distraction, et Ling comme un exemple du disciple parfait, au même titre qu’Arjuna fut disciple de Sri Krishna. Si Wang-Fô est le peintre par excellence, c’est Ling qui est son moyen de manifester ce voeu, son ami, son serviteur sans lequel il reste incomplet. Ling accompagne Wang-Fô pendant son long voyage en tout sacrifiant : ses richesses, sa femme, sa maison ancestrale, son village jusqu’au prison et jusqu’à la mort. Ce voyage dans lequel se lancent les deux personnes sont également un processus d’intériorisation. Tout d’abord Ling apprend de se retirer de ses biens personnels, puis il sacrifie sa femme qu’il aimait beaucoup. Il comprend que l’amitié de Wang Fô lui donne une révélation d’un regard nouveau, « Wang-Fo venait de lui faire cadeau d’une âme et d’une perception neuve », finalement il devient voleur pour chercher de nourriture pour son maitre. Et enfin, c’est Ling qui protège le vieux peintre en sacrifiant sa vie, lorsque les soldats impériaux l’attaquent. La vie de Ling est un exemple de l’effacement de soi, de l’offrande complète de son ego. Selon Le Dhammapada, pareil au vent qui peut déraciner un arbre, Mara (ou le Satan) peut attaquer celui qui ne vit que pour poursuivre les plaisirs, qui ne contrôle pas ses sens, qui ne sait pas modérer son appétit, qui est indolent et gaspille son énergie. (La Mère, 1960 : 8). Le peintre Wang-Fô apprend à Ling le délire de l’art et dans ce processus Ling devient un mendiant qui doit se dénuder de ses désirs des biens matériaux, des plaisirs corporels, et le seul but de ces deux voyageurs est de suivre la voie de l’art. Suivant cette étape de la rejection des biens matériaux et de l’individualité, ce voyage emmène les deux personnages vers un monde plus compliqué. Celui de l’empereur Han, qui voudrait que Wang-Fô achève son dernier tableau avec toute sa sagesse et son expérience vécue, avant de le tuer. Tandis que l’empereur le juge avec les lois de vérité ou de mensonges, comme dirait il : « Tu m’as menti, Wang-Fô, tu m’as fait croire à un monde trop parfait. » (Yourcenar, 1963 : 21), le peintre et son disciple vivent dans un état de conscience « pûr ». Selon Le Dhammapada, le pûr c’est l’absence de l’ignorance (La Mère, 1960 : 11-12), c’est-à-dire l’ignorance des lois spirituelles, de prendre les apparences extérieures des choses pour vrai, et d’ignorer les vérités intérieures. En fait, Wang-Fô est toujours en recherche des teints cachés, « de paysages timides dissimulés derrières des bouquets de roseaux… » (Yourcenar, 1963 : 15) jusqu’à la fin de l’histoire, où cette image cachée dans le tableau devient la réalité et l’eau envahit la cour du roi.

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La condamnation du roi de distinguer le réel de l’imaginaire, réfléchit l’opinion des critiques vis à vis l’œuvre d’Yourcenar. Mais selon l’écrivaine, l’artiste, est avant tout un créateur, qui peint sans aucune mission, et pareil à tout artiste on ne pourrait pas le juger par nos morales du bien et du mal. Wang-Fô ne regrette pas la mort du disciple Ling sauf aux moments où il ne trouve pas ses pinceaux ou que ses nouveaux serviteurs ne peuvent pas mélanger ses couleurs avec autant de précision. On se demande si Wang-Fô ne soit pas trop détaché ou presque cruel dans son comportement vis à vis de son ami. Lorsque le soldat découpe le cerveau de Ling, « celui ci fit un bond en avant pour éviter que son sang ne vint tacher la robe du maitre. » (25). Par contraste à ce dévouement, la réaction de Wang-Fô est presque cruel qui au lieu de se plaindre de l’injustice, « admira la belle tache écarlate que le sang de son disciple faisait sur le pavement de pierre verte. » (22) C’est une personne qui incarne l’esprit pur de créateur qui est sans aucun autre souci et de sympathie humaniste, Wang-Fo, dans l’imaginaire yourcenarien est l’artiste qui « aimait les images des choses et non les choses elles mêmes » (11). Dans l’imaginaire yourcenarien l’art n’est pas une réflexion de la réalité. Cette notion de l’image posée au contraste à la réalité remonte à la notion du réel/imaginaire chez Jacques Lacan. Le réel se distingue de la réalité, dirait Lacan, que nous vivons à travers le langage. Le réel existe indépendante de notre idée de la réalité. Lacan distingue entre le sens que le langage impose sur le réel et le réel en soi. Il emploie la métaphore du langage comme en réseau qui couvre la totalité de l’existence. Le langage pose ainsi une façade sur le réel qu’il essaie de couvrir mais existe toujours dans une plane différente, toujours éloignée de la chose elle même (Lacan, 1988 : 262). Il y a des points communs, où les nœuds du réseau entrecroisent avec le Réel, mais il y en aussi des espaces vides, des gouffres, que ce langage ne pourrait exprimer. Wang Fô peut capter les espaces vides du langage par son art, ses couleurs remplissent les pages blanches du langage. Ling et son maître se communiquent en silence. C’est à travers sa vision que Ling aperçoit « que les murs de sa maison n’étaient pas rouges, comme il l’avait cru, mais qu’ils avaient la couleur d’une orange prête à pourrir...Alors, comprenant que Wang Fô venait de lui faire cadeau d’une âme et d’une perception neuves... » (13). Ling devient son disciple et serviteur L’histoire de Wang-Fô met au clair cette hésitation entre le réel et la réalité. L’histoire se termine par un coup inattendu qui anéantit les différences binaires. Ainsi que Wang-Fô peint les rides d’eau dans la mer, qui rendent plus profond le sentiment de la sérénité. Le frêle canot du tableau grossit sous les pinceaux de Ling, devient le moyen de sa fuite de la cruauté humaine. L’art anéantit le réel. La mort gagne sur la vie. Avec une dernière touche de couleur, l’écrivain nous fait poser une double question : où est-ce que se termine le mythe et où est-ce que commence l’imaginaire yourcenarien. Le voyage de Wang-Fô nous fait interroger si l’existence en chair et en os, pourrait être anéantit vis à vis la création imaginaire. Il y a des éléments orientalistes dans ce récit, par exemple, dans le passage suivant de ce conte les éléments orientalistes comme la richesse exubérante de la famille, le pratique orientale de choisir une épouse pour les jeunes, la délicatesse de la femme orientale- tout se lit simplement comme une légende orientale.

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« Ling avait grandi dans une maison d’où la richesse éliminait les hasards. ...son père lui avait choisit une épouse et la pris très belle... L’épouse de Ling était frêle comme un roseau, enfantine comme du lait, douce comme la salive, sale comme les larmes... » (1963 : 12) C’est vrai que ce récit met au jour la notion romantique des pays orientaux où les gens croient à la magie. Les fermiers viennent à Wang-Fô le supplier de leur peindre des images de soldats, de leur donner la vie, car ils croyaient que Wang Fo avait ce pouvoir magique. Il y en a d’autres qui l’honorent comme un sage, et d’autres qui le craignent comme sorcier. Pourtant cet article n’a pas pour objectif d’explorer cet aspect du livre, et cela pourrait devenir le sujet d’une autre analyse. Marguerite Yourcenar a lu et a soigneusement annoté les Upanishads dans une édition en anglais en quatre volumes publiés dans les années 1950. Elle s’est également nourri de plusieurs lectures de la Baghavad-Gita, toujours en anglais, qu’elle possédait dans une très populaire édition américaine de 1958, lecture qui a sans doute été précédé de l’étude d’un essai sur la Baghavad-Gita d’Arthur W. Ryder, publié à Chicago en 1929. Matthieu Galey, lors d’un entretien avec Marguerite Yourcenar, remarque : « Dans sa morale personnelle, Marguerite Yourcenar applique le principe du Bouddha, pour qui l’on doit ‘travailler jusqu’au bout car tout est périssable’. Une leçon de conduite à double face qui mène à l’espérance autant qu’au désespoir, s’il est vrai que nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans le fleuve continu da la vie. Au moins donne-t-elle le juste sentiment du “peu qu’on est”, et de la vanité des choses. » (Galey, 1980 : 8) Pacharee Sudasna a fait une étude due rapport et l’affinité entre la pensée de Marguerite Yourcenar et la sagesse bouddhiste. A travers les œuvres romanesques, elle a étudié l’influence du bouddhisme sur la vision du monde et sur la création littéraire de l’auteur en même temps. En prenant pour axe principal la problématique de l’existence, son étude suit les étapes de la quête yourcenarienne qui, conformément à la voie du bouddhisme, procède du constat de la souffrance et de la contingence du monde, et débouche sur des tentatives d’atteindre l’universel, l’absolu, ou le vide. (Sudasna, 2000). Dans l’imaginaire de Marguerite Yourcenar, la légende de Wang-Fô est non seulement une allégorie de la vie spirituelle d’un artiste oriental, c’est également l’exposition d’une méthode de dénuder la vie et l’âme des bagages matériels et spirituels au point que pareil aux pratiquants des saints hindous et bouddhistes, le peintre et l’écrivain essayent de devenir un tabula rasa d’où surgirait la création artistique.

Bibliographie

1. Lacan, Jacques. (1988). Freud’s Papers on Technique 1953-54 (Seminar 1), traduit par John Forrester. Cambridge: Cambridge University Press. 2. La Mère. (1960). Commentaires sur le Dhammapada. Pondicherry : Sri Aurobindo Ashram Press. 3. Savigneau, Josyanne. (1990). Marguerite Yourcenar L’invention d’une vie. Paris: Gallimard. 4. Yourcenar, Marguerite. (1921). Le Jardin des chimères. Paris: Gallimard. 77 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

5. Yourcenar, Marguerite. (1963). Nouvelles orientales. Paris: Gallimard. 6. Yourcenar, Marguerite. (1980). Les Yeux ouverts, entretiens avec Matthieu Galey. Paris : Le Centurion. 7. Yourcenar, Marguerite. (1983). ‘Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gita Govinda’ dans Le Temps, ce grand sculpteur. Paris: Gallimard. 8. Yourcenar, Marguerite. (1999). Sources II. Paris: Gallimard.

Sitographie

1. http://www.theses.fr/2000PA040136. Thèse doctorale (2000) de Pacharee Sudasna à l’Université Paris 4. Consulté à Kolkata le 2 décembre 2016. 2. https://books.google.co.in/books?id. Marguerite Yourcenar : Inventing a Life by Josyane Savigneau, translated by Joan E. Howard. Consulté à Kolkata le 2 décembre 2016.

78 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Jules Verne : Les Voyages Extraordinaires d’un Rêveur Génial

Gitanjali Singh

Résumé

Le récit du voyage grâce à sa nature qui est transculturelle, transnationale et translinguistique devient un genre littéraire qui permet de traverser les frontières culturelles, linguistiques et géographiques. Ces frontières sont parfois liées avec du temps et de l’espace. Jules Verne, auteur de l’œuvre gigantesque intitulée « Les Voyages Extraordinaires », a traversé toutes ses frontières dans ce recueil. « Mon but a été de dépeindre la terre, et pas seulement la terre, mais l’univers, car j’ai quelquefois, transporté mais lecteurs loin de la terre dans mes romans » Jules Verne, 1894. Romancier qui a à son crédit une soixantaine de romans à l’époque où l’on propage la devise « l’Art pour l’art », Jules Verne, un auteur qui a connu beaucoup de succès parmi le public mais douté dans le monde littéraire. Encore aujourd’hui, Jules Verne continue d’inspirer des générations d’écrivains et de réalisateurs. Dans ses propres mots, Jules Verne a dit : « Le grand regret de ma vie est que je n’ai jamais compté dans la littérature française » Jules verne, 1872. Jules Verne occupe une place exceptionnelle parmi les auteurs de roman d’aventure et de récits fantastiques, son œuvre majeure intitulée « Les voyages extraordinaires », suggère explicitement qu’il met l’accent sur le voyage et cela fait partie intégrale de son écriture. Son écriture étire les frontières de l’imagination et offre aux lecteurs un univers fabuleux et fantastique. Dans cette communication nous allons voir comment Jules Verne avec « Les voyages extraordinaires » fait voyager les lecteurs et les transporte au centre de la terre, sur lune ou vingt milles lieues sous les mers. Nous allons également discuter de la place de Jules Verne comme auteur de récit de voyage. Mots-clés : Un voyage imaginaire, la machine imaginaire, la géographie, l’univers fabuleux, la science et le réalisme. Les romans de Jules Verne sont de nature (dualiste). C’est-à-dire qu’ils visent deux fonctions. La première fonction, c’est d’instruire le lecteur à propos de la connaissance géographique, géologique, physique et astronomique (découvertes) grâce à la science moderne et la deuxième est le plaisir de lire/la lecture. Comme l’éditeur de Jules Verne a dit : « résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques et astronomique amassés par la science moderne » Pierre Jules Hertel

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Pierre Jules Hertel : « L’instruction qui amuse, l’amusement qui instruit » Ainsi le recueil « Les voyage Extraordinaires » est riche en connaissances et en découvertes. Les romans de Jules Verne explorent profondément le thème de la découverte à travers le voyage. Les voyages deviennent une partie indispensable de l’écriture de Jules Verne parce que sans le voyage c’est presque impossible d’accomplir le but dans ses histoires. Jules Verne a une réputation d’aventurier qui pousse les frontières de l’imagination dans ses récits par rapport à la géographie et à l’espace. Ainsi, trouvons-nous également un monde imaginaire que les lecteurs ont le plaisir de découvrir (les lieux extraordinaires) et tout cela évoque le gout du voyage chez les lecteurs. Par exemple dans le roman, Voyage au centre de la terre, les lecteurs ont le plaisir de trouver un monde imaginaire au centre de la terre qui parait plutôt une invention de l’imagination et dans Vingt mille lieues sous les mers, nous trouvons également un monde qui est le mélange de réalité et de fantaisie. Ce sont quelques exemples pertinents qui élaborent le thème de la découverte chez Jules Verne. L’autre thème qui touche presque tous les romans de Jules Verne est celui de la science. En effet, la science aide à réaliser les voyages. Sans intervention de la science, la plupart des voyages ne serait que resté à l’état de rêve. Pour citer quelques exemples, nous pouvons parler des romans comme, « De la terre à la lune (1865), Le tour du monde en 80 jours (1873) ou Vingt mille lieues sous les mers (1869) ». Dans ces romans nous observons que les personnages dépendent de l’aide de la science même pour commencer le voyage. C’est pour cette raison que l’auteur utilise largement « la machine à remonter les rêves » dans ses histoires. Donc, les histoires de Jules Verne sont colorées par l’aventure, l’imagination, la découverte, la fantaisie et la science. Tous ces ingrédients composent un voyage extraordinaire et inoubliable. La science rend les voyages possible dans toutes les histoires. Simultanément la précision avec laquelle l’auteur élabore même les petits détails scientifiques avec les données scientifiques concrètes rendent les histoires plus réelles et ne les laissent pas comme une invention de la rêverie et de l’illusion. Jules Verne nous offre ainsi des romans qui mélangent la science-fiction et le réalisme. En somme, la science est un choix délibéré dans les romans de Jules Verne. Comme nous avons déjà établi le dualisme qui existe dans les romans de Jules Verne de s’instruire et de s’amuser ses lecteurs, ainsi, la meilleure façon d’achever cet objectif est d’introduire le sujet de la science autour de laquelle tout le voyage et toute l’aventure se déroulent. Pour soutenir ce point de vue, nous pouvons constater que les personnages de Verne sont toujours des scientifiques ou des gens qui possèdent une connaissance encyclopédique. Ils sont souvent des enseignants et des étudiants de science, aventurier qui décident de voyager pour enrichir leur connaissance ou pour le plaisir de découvrir. En effet, en lisant les romans de Jules Verne en tant que lecteur nous avons l’impression d’être dans un cours où nous avons le plaisir de découvrir l’univers fabuleux crée par l’auteur. Nous pouvons trouver des exemples signifiants chez Capitaine Némo dans « Vingt milles lieues sous la mer » ou de Professeur Lidenbrock dans « Voyage au centre de la terre ». Les personnages sont bien informés sur tous les aspects concernant le voyage- la géographie, la biodiversité, la flore et la faune, les écosystèmes de leurs destinations et tous les lieux qu’ils se rencontrent lors de leur voyage. Cela permet aux lecteurs d’effectuer un voyage qui est à la fois amusant et éducatif. En feuilletant les pages des romans de Verne le lecteur fait ainsi un voyage aux nombreuses facettes.

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La raison d’être de ses voyages est exploration et préservation, c’est-à-dire, le besoin d’identifier, d’enregistrer et de préserver la connaissance. Cependant, ce qui est important de remarquer est que tout cela se réalise grâce aux voyages. C’est les voyages qui sont le début ou le point qui déclenche tout. Alors, le voyage et la science se servent. Ils sont dépendants, et le but ultime de tout les quêtes chez Verne soit en dévoilant les mystères au fond des océans dans « Vingt mille lieues sous les mers » soit en découvrant un passage qui mènent jusqu’au centre de la terre dans « Voyage au centre de la terre » est d’apprendre. Ainsi, la combinaison de la science et du voyage égale une poursuite d’aventure et de découverte (connaissance). En outre Jules Verne est connu pour explorer les limites et aller au-delà de la limite de réalité. Il a bien identifié la fascination que les humains ont eu au 19ème siècle et encore de nos jours pour les terres et les espaces inconnus. C’est une caractéristique qui unie et lie l’humanité. Ce qui est intéressant de noter est que les voyages forment une partie intégrale de l’histoire humaine, que ce soit les grands voyages entrepris par les premiers ancêtres de l’Afrique pour peupler le reste de la terre, ou les grands voyages en navire par Vasco de Gama et par Colomb pour découvrir l’Inde et l’Amérique ou encore les grands voyages de nos jours dans l’espace pour trouver la vie sur les autres planètes. Cette curiosité de connaître l’inconnu est toujours véhicule par des petits pas qui constituent un voyage. Cette curiosité est bien explorée par Jules Verne dans son recueil « Les voyages Extraordinaires ». C’est exactement cette curiosité chez les lecteurs que Jules Verne évoque et utilise également pour les instruire Jules Verne a offert à ses lecteurs de grandes découvertes empreintes de rêverie et d’imaginaire. Cependant, Verne présente ce monde fabuleux d’une façon qui apparait plus authentique et réelle. Pour dépeindre l’univers Verne a besoin de descriptions qui sont bien recherchées, raffinées et illustrées. Pour achever ce but Verne nous offre des cartes et des images (des illustrations) riches en détails. Ces documents graphiques rendent l’œuvre de Verne plus authentique et raffiné. C’est un outil important qui emmène les lecteurs dans l’univers de Verne ou un univers parallèle qui est pleine de possibilités. Nous pouvons compter plus de quatre mille cartes et illustrations dans ses ouvrages. Ces cartes et ces images graphiques sont riches en connaissance de la Nature, de la géographie, de la flore, de la faune et de l’espace ou en bref l’univers, un univers qui fonctionne de la même façon que l’univers réel mais qui renforce le caractère fantastique. L’œuvre de Jules Verne associe le caractère fantastique avec une touche de réalité dans ses récits. A partir de l’analyse de quelques-uns de ses plus célèbres romans, nous allons voir cet univers incomparable de Jules Verne. 1. Voyage au centre de la terre (1864) : Dans ce roman, l’auteur nous propose un voyage qui est plutôt imaginaire. Ce roman est un bon exemple de mélange entre réalisme et imaginaire. Les personnages se retrouvent à 120 kms sous terre et où ils découvrent un univers totalement différent de la surface de la terre. D’une part ce voyage est imaginaire parce que c’est impossible de pénétrer au centre de la terre et d’autre part il semble réel parce que l’auteur a décrit des paysages et des écosystèmes qui correspondent à ceux de la terre mais dans le passé. Cela veut dire que les écosystèmes sont plus similaires à ceux des époques préhistoriques.

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2. De la terre à la lune (1865) : Au 19ème siècle quand Verne a rédigé ce roman, il parait plus comme une invention d’imagination qu’un voyage possible. Ce roman est plein de possibilités et d’anticipation. En effet, c’est une vision pour l’avenir car ce voyage est une réalité de nos jours. Les romans de Verne se dépendent largement de la science et des progrès scientifiques et techniques. Jules Verne peut donc être qualifié de visionnaire puisqu’il prédit en quelque sorte ce que seront les avancées scientifiques de notre temps. 3. Le tour du monde en 80 jours (1873) : Ce roman est certainement l’un des romans de Verne les plus connu et les plus lu. Ce roman est très ambitieux dans le sens où il joue sur les aspirations du 19ème siècle qui étaient le voyage, la découverte, la géographie et l’histoire. Le roman liste les pays voyagés, les lieux traversés, ainsi voir le monde dans sa globalité. L’objectif principal de cette aventure est de décrire la géographie et l’histoire des principaux pays et continent traversés. C’est en cohérence avec le motif du 19ème sicle. 4. Vingt mille lieues sous les mers (1869) : Dans cet ouvrage magnifique Verne offre à ses lecteurs un tour du monde sous marins. Ainsi l’auteur crée une fois encore un monde plein de possibilités et d’aventure. Une machine de l’avenir a été préconçue par Verne dans ce roman. Le roman raconte une histoire qui élabore un voyage qui n’est pas seulement imaginaire mais simultanément la touche d’imagination est visible en forme des monstres et des créatures sous marin que les personnages rencontrent pendant le voyage. Dans ce roman, Verne retire l’inspiration pour ses monstres de la mythologie grecque. Ce sont quelques exemples du génie de Verne, un auteur ardent qui a une vraie passion pour la science et l’apprentissage. Son but d’instruire ses lecteurs est accompli à l’aide des grands voyages qui ont à la fois la touche de réalité et d’imagination. « Les Voyages Extraordinaires » n’est pas seulement un grand recueil en taille mais c’est aussi riche en détaille et en illustration. Les personnages envisagés par Jules Verne sont légendaires. Captaine Nemo, Professeur Linderbrock, Capitaine Hatteras, Phineas Fogg ne sont pas juste les noms dans les romans de Verne mais ils représentent la tendresse d’enfance de beaucoup de ses fidèles lecteurs qui ont grandi en lisant ces romans. C’est une sorte de nostalgie colorée avec les bons souvenirs qui enveloppent ses lecteurs quand ils entendent le nom « Les Voyages Extraordinaires ». Beaucoup de lecteurs de Verne sont grandi avec les personnages qu’il a crées. Pour certains c’est impossible d’ouvrir un atlas sans penser à Jules Verne. Jules Verne, le rêveur incompris qui n’a jamais été compté dans la littérature française pendant sa vie, a influencé les plus grands de la littérature française tel que Rimbaud, Butor, Proust et bien d’autres. Les affinités de l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier pour Jules Verne sont connues. Dans un entretient Nicolas Bouvier donne le crédit à Jules Verne pour l’avoir initié à la géographie. Ses héros préférés sont Mathias Sandorf et Phileas Fogg. Comme Bouvier d’autres écrivains tels que Barthes, Le Clézio et Umberto Eco citent également Jules Verne dans ses lecteurs avec un sens de nostalgie, les bons souvenirs d’enfance. Les romans de Verne représentent alors la part de rêverie et d’imagination de l’enfance de ses grands lecteurs. Son influence est ressentie dans le cinéma même aujourd’hui où ses histoires continuent d’être intrigue principal de beaucoup de films d’Hollywood et de

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Disney, par exemple, « Around the world in 80 days », « Journey to the center of the earth » et « The Mysterious Island ». C’est une grande influence qui se propage à travers les siècles. Alors, nous pouvons dire que « Les Voyages Extraordinaires » a parcouru un long chemin pour influencer les artistes et les écrivains.

Bibliographie

1. Cinq semaines en ballon. Dans : Les Romans de l’air. [Comprend] Cinq semaines en ballon. De la Terre à la Lune. Autour de la Lune. Robur le conquérant. Hector Servadac / préface de Claude Aziza. Paris, Omnibus, 2001. 1130 p. (Jules Verne et les quatre éléments), p.7-248. 2. Salles H et V – Littératures d’expression française – [84/34 VERN 2 q]. 3. [1864] Voyages et aventures du capitaine Hatteras : Les Anglais au Pôle Nord . Paris, Hetzel, 1881. 336 p. 4. Poste d’accès aux ressources électroniques – Gallica – [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/ bpt6k80466n]. 5. Voyages et aventures du capitaine Hatteras. Dans : Les romans de l’eau. [Comprend] Vingt mille lieues sous les mers. Voyages et aventures du capitaine Hatteras. Le Chancellor. Le Sphinx des glaces / préface de Claude Aziza. Paris, Omnibus, 2005. 1344 p. (Jules Verne et les quatre éléments) (Omnibus), p.379-808. 6. Salles H et V – Littératures d’expression française – [84/34 VERN 2 q]. 7. [1864] Voyage au centre de la terre / préface de Jean-Pierre Goldenstein ; illustrations de Riou - Paris, Presses pocket, 1991. 486 p. ; 16 p. de pl. (Presses pocket, Lire et voir les classiques, 6056). 8. Salles H et V – Littératures d’expression française – [84/34 VERN 4 voya]. 9. Voyage au centre de la terre. Dans Les romans du feu [Réunit] Voyage au centre de la Terre ; Le château des Carpathes ; Les Indes noires ; Maître du monde / éd. présentée et commentée par Claude Aziza. Paris : Omnibus, 2002. VI-932 p. (Jules Verne et les quatre éléments) (Omnibus), p.7-283.

10. Salles H et V - Littératures d’expression française – [84/34 VERN 2 r]. 11. [1865] De la Terre à la Lune. Dans : Les Romans de l’air. [Comprend] Cinq semaines en ballon. De la Terre à la Lune. Autour de la Lune. Robur le conquérant. Hector Servadac / préface de Claude Aziza. Paris, Omnibus, 2001. 1130 p. (Jules Verne et les quatre éléments), p.249- 402. 12. Salles H et V – Littératures d’expression française – [84/34 VERN 2 q].

83 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Les Lettres Persanes : un récit fantastique traitant le “sérail”

Kalplata

Résumé

Le siècle des Lumières affectionne le voyage pédagogique, c’est une source de connaissance. Dans l’œuvre épistolaire de Montesquieu, Les Lettres Persanes (1721), deux seigneurs persans, Usbek et Ricaentreprennent un voyage pour connaitre une autre partie du monde afin d’assouvir leur soif de découverte. Ils traversent plusieurs pays : la Perse, la Turquie et l’Italie et arrivent finalement à Paris. En forme de lettres, ils partagent leurs expériences avec leurs amis persans. Ainsi, l’Europe est vue à travers le regard de l’étranger, celui de l’Orient. Les Lettres Persanes est un récit de voyage riche sous forme de 161 lettres envoyées à 25 correspondants. Dans cette étude, nous nous sommes intéressés à la description du fonctionnement du sérail dans le roman, dont l’existence est énigmatique, représentant un symbole d’exotisme et formant une partie intégrante d’une culture qui, à première vue, semble si éloignée de celle de l’Occident. Dès le début, l’auteur évoque la présence du sérail, Usbek ayant un sérail de cinq femmes. À partir de là, un tiers de l’œuvre parle directement ou indirectement d’harem. C’est un lieu d’action, de passion, de pouvoir et de réflexion faite sur la politique. Il représente à la fois la liberté et la contrainte, et donne naissance aux nombreuses questions traitant la vertu et aussi les rapports des sexes. Les eunuques sont les gardiens du harem. Mention est faite des eunuques noirs et blancs. Montesquieu les sort d’un simple rôle de spectateur et les transforme enentités pensantes,en lutte constante avec leurs propres envies. Représentant un tableau diffèrent de la rivalité existant chez les femmes, les eunuques, eux, tissent des liens d’amitié et forment une famille de substitution. L’imagination les aide à fuir leur condition misérable. Mots-clés : Sérail, orient, occident, eunuque, imagination. La mention du Sérail débute dès la seconde lettre. En adressant sa lettre au principal eunuque noir de son sérail à Ispaham, Usbek exprime sa gratitude envers le principal eunuque noir qui garde, jour et nuit, en l’absence d’Usbek, les plus belles femmes de Perse, possession très précieuse pour lui. Il est considéré comme un pilier de la fidélité qui est également responsable des arrestations de femmes qui souhaitent s’écarter de leur devoir. Ils sont fiers d’accomplir leur unique rôle qui est de commander, mais également d’obéir aux femmes en exécutant leurs revendications légitimes et en accomplissant, fièrement, la tâche la plus médiocre pour eux. Ils sont esclaves de ces femmes, mais en même temps ils commandent au nom de leurs maîtres. Dans cette seconde lettre, nous voyons le rôle important que jouent les eunuques qui se voient confier la responsabilité de distraire et d’amuser la femme, en la protégeant de la vue des autres hommes, en leur rappelant de maintenir la propreté et en leur faisant

84 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 prendre conscience de leur dépendance totale. Nous obtenons les preuves de sincérité des Eunuques dans la deuxième et la troisième lettre lorsque Zachi et Zephis mentionnent la dévotion avec laquelle ils sont servis par certains d’entre eux comme Zelide. D’autre part, Fateme, une des épouses d’Usbek, décrit l’eunuque comme horrible et laid par rapport à la beauté d’Usbek. C’est dans la lettre 9, où l’eunuque en chef écrit à un autre eunuque et se racontent leurs vies misérables. Ici, le chef eunuque regrette d’être enfermé dans un même lieu semblable à une prison, toujours entourée des mêmes objets, constamment en charge de tâches conséquentes, pris d’angoisses depuis 50 ans et qui n’a pas eu un seul jour de paix et de sérénité. Il perçoit la tâche de s’occuper des femmes comme un plan cruel voilé par mille menaces. A l’intérieur du sérail, il est constamment torturé par les douleurs de l’amour suscité par mille beautés naturelles et l’incapacité de les satisfaire. Aussi, il a dû enterrer sa jalousie ardente pour l’homme chanceux qui a eu l’occasion de profiter des beautés. Chaque jour, quand cet eunuque déshabillait une femme et le conduisait vers le lit du maître, son cœur était rempli de désespoir. C’est ainsi qu’il passa toute sa jeunesse sans personne autour de lui pour partager sa misérable situation. Il se força à nier ses sentiments intérieurs et lança un regard sévère en direction de la femme qu’il a tenté de regarder si tendrement. Souvent, il devint la cible de son tourment et de son dédain. Maintenant que cet eunuque est vieux, il a appris à regarder la femme avec indifférence. Il est rempli de la joie secrète de les commander. Le sérail est devenu une sorte d’Empire pour lui, où il ressent l’immense honneur de voir qu’il y est indispensable. Il prend plaisir à prendre le rôle d’un obstacle inébranlable qui arrête leurs projets au nom du devoir, de la vertu, de la honte et de la pudeur et le prétexte que sa seule motivation est leur propre intérêt et son profond dévouement envers eux. La femme, à son tour, prépare des vengeances terribles contre lui et il se verra constamment effectué la plupart des tâches humiliantes sans aucune considération pendant des années. Souvent, il est attaché derrière la porte et gardé enchaîné là jour et nuit. Même dans ces conditions humiliantes, il n’a d’autre choix que d’obéir puisque l’hésitation à obéir attirerait la punition. Et même après des années de dévouement et d’humiliation, rien ne garantit les faveurs des maîtres comme une fois qu’il est dans les bras de la femme et dès que ses charmes l’éveillent, il perd le contrôle de lui-même et du bon jugement. Il est intéressant de connaître la distinction qui est faite entre les eunuques et les eunuques noirs. Dans la lettre 19, Usbek réprimande sa femme Zachi lorsqu’elle a été vue seule avec un eunuque blanc dans sa chambre et s’exposant au regard de cet eunuque. Il lui rappelle que c’est un crime contre les lois du sérail et l’erreur qu’elle a commise en trouvantune ressemblance entre un homme et un eunuque et enfin elle ne sera engloutie que dans les regrets et le désespoir de l’impuissance de l’eunuque. Ces mots viennent d’un homme qui est loin de sa femme, qui essaie de rappeler à sa femme qu’elle l’a non seulement offensé, mais aussi qu’elle a violé les coutumes sacrées du pays où elle vit. C’est à cause des contraintes qu’il lui a imposées qu’elle est vivante et elle devrait lui en être reconnaissante. Il poursuit en disant que la raison pour laquelle elle hait l’eunuque de tête et est tourmenté par sa laideur, c’est qu’il la surveille attentivement et lui donne des conseils avisés. Dans la lettre suivante Usbek a tenu pour responsable l’eunuque chef de permettre que ces choses se produisent, qu’il est juste un instrument qui n’existe que pour obéir, et de vivre et de mourir sous sa loi et au cas où il s’écarte de son devoir, sa vie sera d’être à la merci comme la vie d’un insecte sous ses pieds.

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Le sérail est une retraite douce, comme l’a décrit Usbek dans la 24ème lettre, où habite l’innocence, qui protège les femmes de la mauvaise intention de tous les humains et garde leur modestie, leur vertu et leur pureté, là où il n’y a pas de « danger ». Roxane, la nouvelle et jeune épouse d’Usbek, peut l’aimer sans crainte de perdre jamais cet amour dans le sérail. Ce dernier, ainsi, contribue à accomplir le seul rôle de la femme, c’est-à-dire d’aimer et de plaire aux hommes. Malheureusement, selon Usbek, la coutume d’avoir un eunuque pour servir les femmes est inconnue en Europe et par conséquent ils exposent leur modestie et vertu devant des hommes avec leurs visages découverts. En outre, l’éducation affaiblit la moindre trace de vertu conférée par la nature. Le sérail, est considéré comme responsable de la beauté des femmes persanes. Tout en tenant les femmes persanes à être plus belles que les femmes françaises, il loue le sérail, dans la lettre 32, qui aide les femmes persanes à maintenir une vie ordonnée sans jouer aux heures tardives, aussi les femmes au sérail ne doivent jamais boire du vin et ne doivent pas être exposées à l’air. À l’intérieur du sérail, c’est une vie régulière sans excitation par opposition aux femmes européennes qui ont l’exposition au monde extérieur. Ainsi, cet espace, comme l’affirme Rica, est organisé en vue de la santé plutôt que du plaisir. Dans la lettre 36, dans un débat sur la liberté accordée aux femmes, Rica parle en faveur de contraindre la liberté des femmes orientales dans le sérail. Selon Rica, il est méprisable pour les hommes de ne pas dominer les femmes. En réponse aux questions posées par les Européens sur l’inconfort de garder un grand nombre de femmes enfermées dans le sérail, le Rica, au nom des Orientaux, dit que dix femmes obéissantes sont moins gênantes que celles qui n’obéissent pas en se référant aux Européens. Il termine la lettre en disant que le prophète, bien qu’ayant donné les droits aux deux sexes, affirme que les femmes doivent honorer leurs maris et vice-versa, les maris sont supérieurs à leurs femmes d’un degré. Nous obtenons un aperçu plus profond de la vie intérieure des eunuques dans les lettres 39, 40 et 41. Dans la lettre 39, l’eunuque noir de tête annonce la mort d’Ismael, un des eunuques noirs servant dans le sérail de Fatme. C’est dans cette lettre que nous apprenons que parfois les hommes sont obligés de devenir eunuques et qu’ils ne sont pas toujours eunuque de naissance. Puisque les eunuques sont devenus extrêmement rares, l’eunuque noir de tête a du transformer un esclave en un eunuque par la force. Bien que cet esclave estime que seule la vengeance aurait pu motiver l’eunuque chef à le faire, ce dernier jure qu’il a été incité à le faire uniquement pour le bien de son maître, c’est-à-dire Usbek. L’esclave réussit à échapper au couteau mortel et écrit à Usbek pour sa miséricorde. Dans cette lettre, le fait que certains parents soumettent leur enfant à devenir eunuque au moment de leur naissance est révélé. Pharan, l’esclave, dit qu’il est déjà dans une position très misérable en accomplissant des tâches insurmontables fixées par le gardien cruel des jardins. Se transformer en eunuque serait mille fois plus cruel que la mort. Cela le ferait mourir de misère. Usbek dans la lettre suivante le libère de l’obligation de devenir un eunuque. Dans la lettre 45, Zachi, l’une des épouses d’Usbek, lui raconte qu’elle a fait des choses avec Zephis et comment elle a célébré sa réunion, nous obtenons la preuve que le sérail a été divisé au cas où il y avait un différend entre deux épouses. Une histoire d’amour entre un eunuque blanc nommé Cosrou et une esclave nommée Zelide se déploie dans la lettre 51 lorsque Zelis demande la permission d’Usbek pour leur mariage 86 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 dans un sérail. Pour Zelis, il n’est pas concevable qu’une femme veuille entrer dans une mascarade d’un mariage d’idées et de phantasmes, où un homme de ce genre ne la protégera et ne pourra jamais posséder la femme. Puis Zelis discute de la possibilité d’existence d’un autre type de plaisir sensuel existant dans les eunuques, inconnu des autres. Dans la lettre 60, où Zelis écrit à Usbek à propos de la fille de ce dernier. Elle a atteint l’âge de sept ans et il est temps pour elle d’entrer dans les appartements intérieurs du sérail et de la confier aux eunuques et commencer sa sainte éducation dans le sacré Mur où règne la modestie. Zelis est convaincue du rôle subordonné que la nature donne à la femme et de la nécessité que ce rôle doit être pratiqué au lieu de simplement le ressentir. Elles ne sont que les instruments vivants de la félicité des hommes, le feu de la passion à l’intérieur de la femme a pour seul rôle de pacifier la passion de l’homme et de permettre aux hommes de rester sensibles. Le sérail est responsable de former les femmes dans ces directions. Même dans la prison confinée du sérail, Zelis a réussi à goûter mille plaisirs, elle se sent plus libre qu’Usbek dans le monde extérieur. Loin d’être dépendante d’Usbek, elle sent que c’est Usbek qui est plus dépendant à cause de ses soupçons intérieurs, de sa jalousie et de son malheur. Et elle demande donc plus de confinement pour qu’elle soit plus heureuse. Le chef eunuque noir annonce son impuissance dans la lettre 62, face à l’état de chaos et de confusion résultant des disputes entre les femmes d’Usbek, chacune se croyant supérieure au reste et aux divisions entre les eunuques. Les femmes se comportent de cette manière, parce qu’Usbek avait été doux envers elles et n’avait pas permis au chef eunuque noir de punir ses femmes. Si le chef eunuque devait être sévère, il y aurait un silence complet dans le sérail, et il y aurait une discipline complète parmi les femmes. Il exercerait son pouvoir absolu sur les femmes pour les contrôler au nom de leur maître, et il serait considéré avec le plus grand respect. Selon lui, c’est le rôle de l’eunuque en chef de soumettre ses femmes spirituelles afin de permettre aux hommes de capturer leurs cœurs. Il demande à Usbek, une main libre et plus d’autorité pour qu’il obéisse plus dans le sérail par les femmes d’Usbek. Dans la lettre suivante Usbek menace ses épouses de vivre en paix l’une avec l’autre, sinon il utilisera son autorité pour les contrôler. En même temps, il ne donne pas l’autorité absolue à l’eunuque en chef, comme l’exigeait la lettre précédente. Dans la lettre 77, un esclave circassien est examiné de près pour être digne d’Usbek et acheté par le chef eunuque noir. Il est fier d’acheter cette beauté à Usbek qui, de retour de Paris, se fera un plaisir de voir dans son sérail la beauté la plus exquise de tous les palais de l’Orient. Dans la lettre 93, une femme plus dorée du royaume de Visapor est achetée par le chef eunuque pour le frère d’Usbek. Il dit qu’il est expert dans la sélection des femmes objectivement. Bien qu’il commande l’autorité, il n’est rien sans la présence du maître. Il supplie son maître de retourner au sérail et de le soulager du fardeau du sérail. Dans la lettre 139, l’eunuque noir demande plus d’autorité pour contrôler les femmes dans son sérail, car elles ont maintenant franchi toutes les limites de la pudeur. Par exemple, Zelis, en allant à la mosquée, a laissé tomber son voile, Zachi a été retrouvée dans son lit avec un de ses esclaves, des lettres ont été écrites à des inconnus et la veille même un jeune a été vu dans le jardin du sérail. En réponse à cette lettre Usbek donne au chef eunuque un pouvoir illimité sur tout le sérail y compris les esclaves et de commander comme s’il était lui-même avec la terreur des peines et des châtiments, même si les femmes pleurent amèrement. Usbek,

87 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 maintenant, veut connaître tous les secrets et veut que l’eunuque restaure sa vertu perdue. Mais dans la lettre suivante, cet eunuque de tête est annoncé mort et Narsit, l’esclave s’occupe du sérail à la place de l’eunuque de tête. Usbek lui demande d’ouvrir la lettre immédiatement et de suivre les ordres dans le sérail. (L’anxiété d’Usbek se manifeste ici vis-à-vis de son contrôle sur ses femmes et la peur de le perdre). Dans la lettre 143, Solim écrit à Usbek en disant que la lettre de ce dernier, portant des ordres a été tenue. Pas une seule femme, sauf Roxane se conduit avec une prudence quelconque. Les épouses jouissent d’un nouveau genre de liberté audacieuse, il y a une certaine sorte de joie à leurs yeux et l’ardeur zélée pour servir leur maître a disparu. Maintenant, Usbek donne à Solim le pouvoir ultime de gouverner leurs femmes, de purifier le sérail et d’apporter le bonheur à Usbek. Solim, devient ainsi l’eunuque principal du sérail et les épouses sont priées de suivre strictement ses instructions. Dans la lettre 147, Usbek est arrivé dans une position déplorable accompagné de jalousie, de peur, de dégoût et de regrets en l’absence de nouvelles du sérail. La liberté du monde extérieur est devenue un exil pour lui dont il veut se débarrasser. Il craint d’entrer dans le sérail et craint le chaos là-bas. Rien ne sera plus pareil, et son soupçon, sa jalousie et sa peur le tourmenteront pour toujours. Pendant ce temps, le sérail est devenu un lieu de torture pour les femmes, tel que décrit par Roxane dans la Lettre 148. La vie est devenue si intolérable et cruelle qu’elle veut mettre fin à sa vie. Dans une lettre finale, Roxane avoue avoir été infidèle à Usbek et avoue avoir eu une liaison avec un homme. Elle déclare qu’elle a réussi à faire de l’horrible sérail une demeure de délices et de plaisirs, qu’elle s’est empoisonnée parce que la personne qu’elle aimait a été assassinée par l’eunuque et qu’elle n’a plus de raison de vivre. Enfin, elle déclare que jamais son seul but était d’adorer les caprices d’Usbek et que, même dans la servitude, elle était toujours libre, elle confirmait toujours la nature du droit et que son esprit était toujours indépendant. Pendant ce temps, Usbek pensait qu’il la trompait, mais c’était lui qui était trompé par elle. Finalement, Les lettres persanes ont donné l’occasion pour explorer plusieurs aspects du 18ème siècle, notamment dans un pays connu par le ‘sérail’, à savoir la Perse.

Bibliographie

1. Calas, Frédéric, Le Roman épistolaire, Paris, Nathan Université, coll. «128 », 1996 2. Geffriaud Rosso, Jeannette, Montesquieu et la féminité, Pise, LibreriaGoliardicaEditrice, 1977. 3. Goldzink, Jean, Montesquieu et les passions, Paris, PUF, 2001. 4. Courtois, Jean-Patrice, « Comment Roxane devient philosophe. Romanesque de l’illisible et sexuation des concepts dans les Lettrespersanes », La Lecture littéraire, n° 3 (L’Illisible), 1999, p. 27-48.

Sites consacrés aux études sur Montesquieu

1. http://www.societe-montesquieu.org 2. http://montesquieu.ens-lyon.fr 88 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Récit de voyage à L’Océan Indien : L’interculturel, l’altérité et l’hybridité dans l’écriture voyageur de l’auteur franco-mauricien J.M.G Le Clézio

Asha B. Radhakrishnan Résumé

Comme nous le savons tous dans le passé les récits de voyage procuraient des informations au public qui ne pouvait pas visiter des lieux loin de leur pays natal. Les écrivains comme Voltaire, André Malraux, Bernardin de Saint Pierre et dans le contemporain JMG Le Clézio ont tous entrepris par le biais de leur écriture un voyage vers des horizons lointains. En rangeant l’Océan Indien au centre de son écriture à travers son œuvre épique Paul et Virginie, Bernardin de Saint Pierre dessine l’exotisme de l’île Maurice ainsi que le besoin de connaître et de valoriser l’autre ou l’altérité symbolisé par Paul qui est de teint noir et Virginie qui est de teint blanc. Dans cet article, on a comme objectif de nous référer de prés sur trois œuvres de l’auteur franco-mauricien JMG Le Clézio où nous sommes de l’opinion qu’il nous laisse percevoir le voyage de ses personnages vers la quête d’un trésor introuvable mais finalement ce qu’ils réussissent de découvrir est leur soi au lieu d’un trésor dans un lieu nouveau et hostile qui est l’Océan Indien. Selon nous, par le biais de ses trois romans Le chercheur d’Or, Voyage à , La Quarantaine que nous analyserons, JMG Le Clézio dénonce l’exploitation des plus faibles économiquement et culturellement. À travers les trois romans de notre analyse qui débute par le voyage, JMG Le Clézio affirme que ses personnages ont besoin de découvrir leurs origines et leur passé afin de mieux construire le discours de présent et du futur. Mots-clés : Écriture nomade, écriture voyageur, l’interculturel, l’altérité, quête des origines, l’hybridité, le métissage culturel. JMG Le Clézio de par ses œuvres et récits divers est considéré comme un des auteurs prolifiques de la littéraire francophone contemporaine. Arrive le genre nouveau roman au vingtième siècle par l’écriture des auteurs comme Nathalie Sarraute, Claude Simon, Alain Robbe-Grillet. Par contre, JMG Le Clézio se décrit comme n’appartenant à aucun mouvement littéraire. Nous pensons qu’il insiste sur ce fait puisqu’il ne préfère pas être catégorisé en un certain genre puisque cela limiterait sa pérégrination littéraire. Notons que ses romans sont plutôt genre autobiographique. Il a produit près de 40 ouvrages. La problématique que nous soulèverons est la suivante: Le Clézio centre ses personnages dans Le Chercheur d’Or, Voyage à Rodrigues et La Quarantaine dans des voyages où ils doivent découvrir un trésor. Ce trésor est introuvable mais en l’occurrence ce qu’ils possèdent à la fin est leur soi, leur altérité ou leur identité ainsi qu’un métissage culturel dans un monde hostile mais qui devient leur pays natal. Ce qui est le cas de toutes les personnes dispersées dans les régions anciennement colonisées comme Maurice, la Réunion, les , les Antilles et même le Fidji.

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Dans un premier temps nous porterons un regard rapide et pertinent sur l’écriture de l’auteur Le Clézio qui nous mène à travers ses écrits dans un voyage nomade et voyageur où sans même sortir de notre espace nous pouvons aisément voyager et connaître ce que vivre en pays lointain et différent signifie.

Le chercheur d’Or : Une quête des origines et l’hybridité ou le métissage par le biais du voyage

Dans le chercheur d’Or, l’écrivain se lance dans un voyage frénétique vers Rodrigues, île sœur de Maurice où il a comme objectif spécifique de découvrir un trésor pour le bien-être familial. Nous définissons ce roman comme une écriture teintée d’un voyage frénétique puisque le protagoniste principal Alexis L’Étang découvre ce jour-là qu’il aspire sans aucune doute de partir par le bateau Zeta qui a le capitaine Bradmer à bord qui apparaît soudain comme par magie devant Alexis. Citons du texte l’extrait suivant qui résume la décision d’Alexis d’entreprendre ce voyage vers Rodrigues à la chasse de ce trésor : « [ ] je partirai sur le Zeta, ce serait mon navire Argo, celui qui me conduirait à travers la mer jusqu’au lieu dont j’avais rêvé, à Rodrigues, pour ma quête d’un trésor sans fin. » (Le Clézio, Le chercheur d’or, p. 119) Lorsqu’arrive Alexis à Port Mathurin à Rodrigues en 1911, il entreprend un voyage à travers l’île en passant par un paysage hostile et solitaire où figurent les rochers, « les collines noires, les hautes montagnes », où « tout est silencieux, comme une île déserte » (p.192). Même s’il est en face de tant de solitude, Alexis est très sûr qu’il est sur la bonne piste. Il est si convaincu qu’il a découvert le tréscœur qu’il veut l’annoncer à Laure, sa sœur et sa mère restées à Maurice. Il s’arme d’ un pic et d’une pelle à la Robinson. En errant dans la nature tropicale Alexis entreprend selon notre constat une communion personnelle avec la nature qui peut être aussi une découverte du soi. Il se lie dans un lien amoureux avec Ouma, une jeune fille d’origine indienne. Ici, nous soulignons que c’est aussi la reconnaissance de l’autre, un mouvement dans l’ère postcoloniale comme l’altérité. Les écrivains Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin définissent l’altérité comme l’antonyme de l’identité ainsi que la reconnaissance du besoin de l’autre pour mieux s’identifier comme suit : « [ .] l’état d’être autre ou différent, d’être culturellement diversifié ainsi qu’étant autrement. » (Ashcroft, Griffiths,Tiffin, Post Colonial Studies The Key Concepts, p.11) Ainsi en reconnaissant les différences chez l’autre comme le fait Le Clézio à travers Alexis et Ouma, l’interculturel intervient et si la relation continuerait dans le futur cela résulterait en une culture hybride. Nous nous appuyons sur les pensées philosophiques d’Homi Bhabha qui dans son œuvre Location of Culture définit l’hybridité comme : (nous traduisons) « L’hybridité est un mouvement historique qui devient contestateur tout en camouflant une condition où le mécanisme fonctionne comme signe et symbole ainsi qu’un espace jusqu’au temps où le pouvoir se met en place. » (Bhabha, The Location of Culture, p.277)

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Voyage à Rodrigues : Une identité multiple par la quête de soi et un passé fragmenté à travers le voyage

Nous percevons l’élément de l’interculturel même dans son autre journal intime Voyage à Rodrigues paru en 1986 suite au roman Le chercheur d’Or. Un journal très court qui partage la même tendance autobiographique avec Le Chercheur d’Or. Nous commençons en relevant le même désir fou de découvrir un trésor laissé par un pirate appelé le Privateer de la part du personnage Alexis Le Clézio qui est l’auteur lui-même. Après plusieurs années d’errance et d’exil en terre natale, il n’arrive pas à trouver le trésor et parvient à découvrir son soi et en même temps son identité. Nous pensons que l’écrivain Le Clézio à travers le voyage à la découverte d’un trésor augure l’espoir que même si les personnages de ses romans entreprennent de longs voyages dans un univers hostile et solitaire, ils passent par des phases initiatiques de rencontre avec soi-même et l’autre qui appartient à une culture disparate. Comme c’est le cas de plusieurs écrivains francophones l’auteur, Le Clézio se sent déchiré entre quelle culture choisir. Dans la culture franco-mauricienne Le Clézio doit trouver un équilibre entre deux langues qui sont le français et l’anglais dans son cas. Nous citons du journal Voyage à Rodrigues afin de mieux passer son tiraillement identitaire et ce manque d’un port d’attache : « [ ] celui dont je ressens ici la présence est un homme sans âge, sans racine, sans famille, un étranger au monde, comme l’était sans doute le corsaire dont il cherche la trace. » (Le Clézio, Voyage à Rodrigues, p.99) En somme, ce que le Clézio nous propose est un personnage non contraint par les règles sociales, non déshumanisé par la technologie vivant en union avec la nature pittoresque de Rodrigues comme ci : « [ .] la beauté de ce paysage simple et pur : lignes des collines pelées, lignes de la mer, blocs de lave émergeant de la terre sèche, chemin de ruisseau sans eau, je pense aux traces compliquées de mon grand-père, ces plans, ces réseaux de lignes, pareil à des toiles d’araignées. » (Le Clézio, Voyage à Rodrigues, p.47) Durant le déroulement du journal nous remarquons que le temps est immobile lorsqu’en allant à la chasse au trésor l’écrivain Le Clézio reflète l’enracinement que les Rodriguais entreprennent dans une société rodriguaise parfois hostile.Faisant allusion à la nature tropicale sauvage et peu peuplé de Rodrigues Le Clézio déplore le monde occidental qui fait face à la première guerre mondiale comme : « [ ] le monde s’apprêtait à une nouvelle guerre encore plus inhumaine » (Le Clézio, Voyage à Rodrigues, p.141) À la fin de ce journal, l’écriture le clézienne termine en annonçant la fin de toute aventure associée à la découverte au trésor comme une quête de soi et que le personnage rejette le matériel pour le moi : « Notre siècle n’est plus un siècle à trésors. C’est un siècle de consumation et de fuite. » (Le Clézio, Voyage à Rodrigues, p.144)

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La Quarantaine : la rencontre interculturelle et la dénonciation de l’exploitation coloniale par la route du voyage

Dans son roman La Quarantaine, Le Clézio range ses personnages principaux comme Suzanne, Jacques, Léon dans un voyage de quarantaine forcé sur l’île Plate, près de Maurice. En fait l’histoire du roman est une revisite du passé colonial mauricien et les souvenirs de Léon, le narrateur qui est le petit-fils de son grand-père nommé, Léon, le disparu à une époque ou la famille Archambau originaire de Bretagne occupe une place privilégiée dans le milieu colonial mauricien. La quarantaine est le symbole d’un enfermement ou d’un cloisonnement que les habitants des îles ressentent lors qu’ils sont relégués suite aux épidémies comme la variole, les fièvres des tropiques comme la malaria ainsi que le choléra à l’île Plate. Le roman débute avec ce désir de fuir le paysage froid parisien : « [ .] un désir, un élan de l’imagination, un rebond du cœur, pour mieux m’envoler. » (Le Clézio, La quarantaine, p. 33) Lors du départ à Maurice par bateau, Jacques et Léon Archambau rencontrent Rimbaud qui refuse de se faire amputer la jambe. Cette rencontre et l’aboiement des chiens sur les traces de Rimbaud ajoutent à l’élément de fatalité de la mort quand justement tous les passagers sont obligés de subir une quarantaine sur l’île Plate où ils subissent « un séjour dont personne ne pouvait prévoir la fin. » (p.66). L’écrivain Le Clézio annonce déjà cette séparation de domicile et le non contact entre les passagers de France comme Jacques, Léon et Suzanne et « le village » et « des parias » (p.67). Pour les personnages habitués à une vie aisée, être des naufragés « prisonniers » (p.82) qui doivent s’adapter à la nature hostile de l’île Plate s’avère un défi extrême. Au début même du roman Le Clézio cite l’épigraphe du Baghavat Purana : « Au crépuscule de cet âge quand les rois seront des voleurs, Kalki, le Seigneur de l’Univers, renaîtra de la gloire de Vishnou ». Nous pensons que cela ajoute à l’élément mytique de L’Inde et un emprunt de l’interculturel de la culture de l’autre. Il existe la même tendance de solitude et de silence comme dans Le Chercheur d’Or et dans le Voyage à Rodrigues. Nous remarquons ce sentiment de « patience » et de renonciation chez les immigrants indiens ou « les » (p.82) qui travaillent dans la construction : « J’envie ces hommes, leur détermination tranquille et leur patience ». (Le Clézio, La quarantaine, p.81) Apparaît en même temps une jeune fille indienne que le narrateur Léon nomme Suryavati qui a « des yeux jaune d’ambre, de topaze, transparents » (p.91). En rangeant Suryavati appartenant à la culture indienne dans un échange verbal avec Léon, Le Clézio affirme que la femme sorte de sa situation marginale. Nous dirons aussi qu’il dirige son écriture vers une écriture pour la femme qui a été longtemps soumise, énigmatique, mystérieuse et n’a aucune voix. Dans une dimension particulière, Le Clézio rejoint ce que d’autres écrivains ont souligné autour du débat du discours postcolonial notamment la marginalité de la femme. D’une façon identique la théoricienne Gayatri Spivak dénote la marginalisation de la femme indienne qui n’a aucun droit sur son corps suite à la mort de son mari : 92 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

« Si la femme ne s’immole pas dans le même feu suite à la mort de son mari, elle n’est jamais libéré de son corps féminin. » (Spivak, Can the subaltern speak?, p.58) Dans les trois œuvres de l’écrivain Le Clézio exige que les femmes opprimées revendiquent une valorisation au sein de la société où elles vivent. Pour conclure nous remarquons qu’à travers les voyages que ses personnages entreprennent Le Clézio à travers une écriture engagée souligne comme un leitmotiv les thèmes qui assiègent le monde dynamique contemporain comme l’hybridité, l’interculturel, le nomadisme, l’errance, le déracinement ainsi que les blessures qui s’ensuivent après la colonisation. D’autres écrivains francophones comme Marie-Thérèse Humbert, Ananda Devi, Nathacha Appanah, Carl de Souza, Amin Maalouf, ont abordés les mêmes dilemmes existentiels de l’homme vivant au sein du monde contemporain dans leurs écrits. Ainsi, Le Clézio qui se décrit comme appartenant à plusieurs cultures se trouve à l’aise au sein d’une culture différente même si sa terre d’origine demeure Maurice. Nous avons noté que dans l’écriture le clézienne l’auteur exige que ses personnages fictifs découvrent leurs origines. Nous notons aussi qu’il mène ses lecteurs dans un voyage de découverte et ce qu’il nous propose dans le contexte des îles colonisées dans le passé est cette symbiose culturelle par le biais d’un métissage culturel à travers son écriture.

Bibliographie

1. Ashcroft Bill, Griffiths Gareth and Tiffin Helen, Post Colonial Studies The Key Concepts, Routledge, London, 2000. 2. Bhabha, Homi K.,The Location of Culture, Routledge, London, 1994.Le Clézio, J.M.G., Le chercheur d’or, Éditions Gallimard, Paris, 1985. 3. Le Clézio, J.M.G., Voyage à Rodrigues, Éditions Gallimard, Paris, 1986. 4. Le Clézio, J.M.G., La quarantaine, Éditions Gallimard, Paris, 1995. 5. LA MOTHE Jacques, « L’autre extrémité du temps » : une lecture de La quarantaine de J.-M.G. Le Clézio, in L’océan Indien dans les littératures francophones sous La Direction de ISSUR Kumari R. et HOOKOOMSING Vinesh, Éditions Karthala, Paris/Presses de l’Université de Maurice, Réduit, 2001. 6. Spivak, Gayatri Chakorvorthy, Reflections On The History Of An Idea, Can The Subaltern Speak?, édité par Rosalind C. Morris, Columbia University Press, New York, 2010.

93 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 L’importance d’un voyage extérieur pour tourner vers l’intérieur dans les œuvres Désert et Poisson d’or de J.M.G Le Clézio

Tulika Anand

Résumé

Le réalisation de soi s’effectue chez Le Clézio quand les personnages entreprennent un voyage, soit volontairement, soit forcément. Lorsque le personnage est forcé de quitter son lieu d’origine, il se trouve en face d’une nouvelle culture où il essaie de s’intégrer, ce qui a pour effet de créer un état de marginalité imposée chez lui. Cette marginalité a souvent un impacte négatif. Cependant, dans certain cas c’est la même marginalité qui pousse les personnages à partir vers une quête de soi qui les mènent finalement vers une ascèse spirituelle. Dans cet article, nous avons pour but d’étudier comment les deux forces opposées contribuent au processus initiatique chez les Le Clézio. Mots-clés : Quête de soi, voyage, identité, nomadisme, immigrant, marginalité, parcours initiatique. « La sédentarité n’est qu’une brève parenthèse dans l’histoire humaine » (ATTALI, Jacques. L’hommenomade, Paris, Fayard, 2003) écrivait Jacques Attali dans son œuvre sur le nomadisme. Il ajoutait « Durant l’essentiel de son aventure, l’homme a été façonné par le nomadisme et il est en train de redevenir voyageur ». Cet homme voyageur, écrit des récits basés sur ses voyages qui prennent le nom de récit de voyage. C’est un genre littéraire qui se qualifie par la fluctuation des formes qu’il peut adopter. « Dans un contexte qui ne favorise beaucoup l’expression du moi, la pratique « plus libre » du récit de voyage constitue un stratagème. Sous prétexte de restituer l’identité des pays visités et d’instruire le lecteur, elle permet aux voyageurs de centrer dans une certaine mesure l’écriture sur eux, sur leur personnalité, leurs émotions, leurs impressions, bref, de se poser comme sujets de façon continue » (LE RÉCIT DE VOYAGE AU XIXSIÈCLE. UNEPRATIQUEDEL’INTIME, Pierre Rajotte) Parmi les auteurs voyageurs qui ont fait l’histoire au XXème siècle sont Pierre Loti, Victor Segalen, Blaise Cendrars, Michel Leiris, Henri Michaux, Nicolas Bouvier, Jean Marie Gustave Le Clézio et beaucoup d’autres. Pendant plus de vingt ans Le Clézio voyage infatigablement et ouvre le monde à ses lecteurs. Il est aujourd’hui connu comme le plus grand écrivain-voyageur de sa génération. Déterritorialisation est une des vérités les plus manifestes du monde modern ainsi que l’immigration. Ce sont deux sujets préférés de Le Clézio. Il écrit toujours en faveur des minorités ethniques, des immigrées, des réfugiés, des sans-papiers, les laissés-pour-compte de la société. Il est connu comme un auteur humaniste qui s’occupe de l’altérité : « Je n’ai jamais cherché que cela en écrivant, dit-il dans un entretien : communiquer avec les autres » (LE CLÉZIO NUMÉRO1, Catherine Argant et Carole Vantroys). Son écriture vise à l’instauration d’un dialogue entre les puissants du monde Occidental et des minoritaires qui viennent souvent de l’Afrique (Désert, Poisson d’or, Gens des nuages). 94 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Chez Le Clézio, le voyage sert à une réalisation de soi qui s’effectue dans deux manières opposées. Il y a de l’immigration positive et négative. Alors que l’immigration négative est « une marginalité imposée qui contraint l’immigré à quitter son pays d’origine et à tenter d’intégrer dans une nouvelle culture » (J.M.G LE CLÉZIO ET LA MÉTAPHORE EXOTIQUE, Bruno Thibault), la marginalité positive est « activement recherchée, qui correspond à une ascèse spirituelle, à une initiation symbolique, à une quête du sacré » (J.M.G LE CLÉZIO ET LA MÉTAPHORE EXOTIQUE, Bruno Thibault). Il est possible de dire que ces deux forces agissant sur l’immigré d’une manière opposée contribuent au processus initiatique chez Le Clézio. Pour beaucoup d’auteurs, la rencontre avec soi renvoie à la quête des origines, pour certains autres cette rencontre est faite à travers d’autres cheminements dont le but final est le dépassement de sa marginalité pour aller à son centre. Au cours de l’accomplissement de ce voyage destiné à la découverte de soi, les personnages vivent des crises identitaires, aussi des situations de l’aliénation et la confrontation avec le monde (ALTERITÉ ET MARGINALITÉ DANS LES ŒUVRES DE J.M.G LE CLÉZIO ET AMIN MAALOUF, Yosr Bellamine Ben Aïssa.) Ces situations les mènent finalement vers un soi qui après avoir subi des transformations devient un autre individu. Cette métamorphose ne s’effectue que par une sorte de parcours initiatique, à l’instar de certains rites ancestraux. Selon Mircea Eliade : « par initiation, on comprend généralement un ensemble de rites et d’enregistrements oraux, au moyen desquels on obtient une modification radicale du statut religieux et social du sujet à initier. Philosophiquement parlant, l’initiation équivaut à une mutation ontologique du régime existentiel. À la fin de ses épreuves, le néophyte jouit d’une toute autre existence qu’avant l’initiation : il est devenu autre ». (LA NOSTALGIE DES ORIGINES, MÉTHODOLOGIE ET HISTOIRE DES RELIGIONS, Mircea Eliade) Dans cette communication, nous nous proposons d’étudier Désert de Jean Marie Gustave Le Clézio. Nous essayerons de voir comment les forces opposées de l’immigration positive et négative contribuent au processus initiatique chez Lalla, la protagoniste de Désert. Nous allons l’étudier de la manière suivante. Dans un premier temps, nous allons parler du voyage comme une recherche de soi. Dans un deuxième temps, nous allons étudier le nomadisme chez Le Clézio qui contribue à la condition marginale de Lalla. Dans un dernier temps, nous allons voir comment la vraie identité de Lalla se dévoile quand face à l’aliénation moderne, elle trouve sa raison d’être dans le monde de ses ancêtres. Elle découvre que la vie dans le désert est en soi une initiation et une ascèse spirituelle pour elle. Désert publié pour la première fois par Gallimard en 1980, marquait un tournement dans la carrière de J.M.G Le Clézio qui était jusqu’à lors un écrivain du style nouveau roman. À l’intérieur de ce roman se trouvent deux histoires enchâssées, une qui raconte l’histoire de Nour et dans la deuxième histoire, il s’agit de parcours de Lalla. Alors que Nour fait partie de groupe des nomades du désert de Sahara qui vagabondent à la recherche d’un coin paisible pour s’y installer après avoir être systématiquement chassées et massacrés par les soldats chrétiens, Lalla est une nomade qui vit une enfance heureuse au Maroc dans un bidonville. Elle est obligée de prendre fuite un jour pour échapper à un mariage forcé. Ce voyage qu’elle entreprend devient un voyage définitoire de sa vie. En effet, c’est le voyage initiatique de Lalla.

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Recherche De Soi

Parmi les plusieurs objectifs derrière le voyage est l’intention de se découvrir, ce qui s’appelle aussi le voyage initiatique. Victor Ségalen, un écrivain- voyageur du XX ème siècle a remarqué qu’une rencontre avec un pays étranger nous informe sur soi-même. « Il fallait sans doute ce long parcours, cette confrontation avec le lointain extrême, pour accomplir un pas décisif vers soi-même, pour s’appréhender soi-même » (LES ÉCRIVAINS VOYAGEURS AU XXÈME SIÈCLE, Gérard Cogez). Lalla doit faire un voyage en France pour se rendre compte de sa place au monde. Elle doit ressentir la claustrophobie, et la solitude du monde occidental pour apprécier l’infinité du désert qui symbolise la liberté. Voyager va dire se déplacer. La nature de déplacement peut varier. Nous pouvons voyager par le désir, la nécessité ou la contrainte. À chaque instant le trajet accompli dévoile de nouvelles valeurs accomplies. Le voyage laisse place aussi à une certaine représentation de soi. Le voyage favorise une prise de conscience : « le moi ne se pense plus comme essence autonome, mais comme unité psycho-biologique promise à la mort, orientée de façon irréversible dans un espace/temps, soumise à une évolution dans la durée » (UN VOYAGE VERS SOI, Jean-claude Berchet.) Le voyage change le voyageur d’une telle manière qu’elle ne reste pas la même à la fin de son parcours. Après avoir fait le voyage en France, Lalla décide de retourner à son pays natal. Ce voyage l’influence profondément à tel point qu’un avant et un après est visible d’une manière frappante chez elle. Au début elle est une jeune fille heureuse qui aime les bonheurs simples que la vie l’offre. Elle aime vivre en pleine nature : « Lalla écoute le bruit du vent, elle écoute les voix grêles des enfants bergers et aussi les bêlements lointains des toupeaux. Ce sont les bruits qu’elle aime le mieux au monde, avec les cris des mouettes et le fracas des vagues. Ce sont des bruits comme s’il ne pouvait jamais rien arriver de mal sur terre ». (DÉSERT, J.M.G LeClézio, P.138) D’une jeune fille insouciante, Lalla se transforme dans une femme mure suite à son vécu à Marseille. Elle ne se fait pas capturer par des tentations illusoires- l’argent, le confort où la gloire. Elle batte pour retrouver sa dignité. La jeune Lalla qui était une jeune fille naïve au commencement se transforme dans une femme émancipée.

Nomadisme et Marginalité

Avant d’assumer le statut d’une immigrée, Lalla est une nomade. Ses deux statuts s’agissent de deux formes différentes de déplacements. Il convient ici de distinguer le nomade du migrant. Le mot nomade nous fait penser des personnes qui sont normalement des pasteurs sans habitation permanente, qui vont de paturage en paturage avec leurs troupeaux de moutons au pas lent des caravanes. Ils sont des peuples errants, vagabonds qui n’ont pas de domicile fixe. Selon le dictionnaire de Littré, le mot nomade est défini comme : « Par extension, une population nomade, certaine classe de gens qui n’ont pas de résidence et qui se déplace suivant les besoins » (DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE, Emile Littré). On voit ainsi que le nomade n’a pas de destination fixe. Quant au migrant, en tendant vers un but précis, va d’un point à un autre. Son itinéraire est subordonné au lieu où il arrive.

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Le nomade ainsi que le migrant vit toujours à la lisière de la société. Leur insertion dans la société pose incessamment des problèmes. Lalla vit une vie hors d’histoire et de l’ordre communautaire dans le désert qui lui a donnée un statut marginal. Selon l’anthropologue Thomas Barfield, les nomades pastoraux ont toujours représenté « L’Autre » qui est à la fois attirante et répulsif. Historiquement, ils étaient considérés comme des sauvages. Ils étaient une menace à la société sédentaire car ils s’opposaient aux règles de la société et représentaient donc une force anti-civilisatrice (WRITING BETWEEN BORDERS : NOMADISM AND ITS IMPLICATIONS FOR CONTEMPORARY, FRENCH AND FRANCOPHONE, Katherine Harrington). Michel Maffesoli énonce : « Le nomadisme est totalement antithétique à la forme de l’État moderne » (DU NOMADISME : VAGABONDES INITIATIQUES, Michel Maffesoli) Ces derniers temps, le concept du nomadisme est devenu synonyme des philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari. Pour eux ce concept devient l’occasion de discuter la condition de l’individu postmoderne. Lalla semble être un arpenteur de territoires. Cependant elle ne se déplace pas d’un territoire à l’autre. Elle est mobile dans un espace qui reste toujours la même, le même bout du désert qu’elle connaît comme le fond de sa poche. « Lalla connaît tous les chemins, tous les creux des dunes. Elle pourrait aller partout les yeux fermées, et elle saurait tout de suite où elle est, rien qu’en touchant la terre avec ses pieds nus […] Lalla connaît tous les chemins, ceux qui vont à la perte de vue le long des dunes grises, entre les broussailles, ceux qui font une courbe et retournent an arrière, ceux qui ne vont jamais nulle part » (DÉSERT, J.M.G Le Clézio, P.76). La « nomadologie » (MILLE PLATEAUX, Gilles Deleuze et Félix Guattari) de Gilles et de Guattari présente le contraire d’une histoire. À l’aide de leur métaphore de « rhizome », ils expliquent le déplacement nomadique comme un état qui est perpétuellement intermédiaire ayant ni origine ni destination. Ils résistent à une notion fixe de l’identité. Lalla passe de l’état d’une jeune fille ancrée dans le bonheur de désert à une adolescente qui doit fuir son territoire immédiat pour échapper à un mariage forcé, elle devient une simple inconnue dans la vaste ville de Marseille pour enfin y devenir une mannequine. Elle assume un nouveau nom – celui d’Hawa, ainsi qu’une nouvelle identité. « D’abord, ce n’est pas elle. C’est Hawa, c’est le nom qu’elle s’est donné » (DÉSERT). Elle ne s’identifie plus avec ce nouveau nom et cette identité, d’où la question « Mais, qui est Hawa ? Peut- être qu’elle n’est que le prétexte d’un, qu’il [le photographe ] poursuit dans son laboratoire […] » (DÉSERT). Ainsi, nous voyons comment Lalla n’a jamais une identité fixe. Elle vit toujours un statut marginal, d’abord comme une nomade et plus tard comme une immigrante dans la ville de Marseille.

Dévoilement de Vrai Identité

L’immigration est une vérité frappante du monde post-moderne. La France est une terre d’immigration depuis la seconde moitié du 19ème siècle. La tendance continue même aujourd’hui. Autant que la France suit la politique d’intégration, nous ne pouvons pas ignorer les conditions déplorables de la plupart de ces gens qui s’y installe. Lalla vit avec sa tante et ses cousins dans une cabane à Agadir. Leur habitat n’est pas tout à fait confortable, mais les inconvénients d’une vie misérable et sans aucun confort ne pèsent pas sur elle jusqu’au moment où un homme âgé vient la demander en mariage. Par peur « aux yeux

97 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 fixes et durs comme des gens qui commandent », si différent d’elle car « la peau de son visage est blanche et sèche » (DÉSERT), elle décide de fuir en France. Elle arrive comme une immigrante à Marseille et découvre que le monde civilisé incite encore plus de misère que le désert de Sahara. Lalla fait face à la réalité car la condition de vie en Europe est complètement antithétique à ses rêves. Le quartier qu’elle habite représente rien que la misère et les maisons prennent au piège ceux qui vivent dedans : « Les rues étroites aux vieux murs décrépis, les appartements sombres, les chambres humides et froides où l’air gris pèse sur la poitrine, les ateliers étouffants où les filles travaillent devant leurs machines à faire des pantalons et des robes, les salles d’hôpital, les chantiers, les routes où explose le fracas des marteaux pneumatiques, tout les tient, les enserre, les fait prisonniers, et ils ne pourront pas se libérer ». (DÉSERT, P.289) À la suite de sa rencontre avec le photographe qui la transforme dans une mannequine, elle devient célèbre à Marseille. Son visage y est partout. Tout le monde la connaît. Elle reçoit des lettres qui arrivent de tous les cotés du monde. Elle a une vie enviable en France. Cependant elle continue à vivre une vie angoissante plein de la solitude. Elle ne se sent jamais chez soi. C’est comme s’il y a « l’autre être qui vit en LallaHawa qui regarde et qui juge le monde, par ses yeux, comme si à cet instant tout cela, cette ville géante, ce fleuve, ces places, ces avenues, tout disparaissait et laissait voir l’étendue du désert, le sable, le ciel, le vent » (DÉSERT, P.351). Le désir de fuir son lieu immédiat est très fort chez elle. Elle continue à vivre une existence précaire jusqu’au moment dans la boîte quand elle a une expérience mystifiante de la présence d’Es Ser, son maître spirituel. La danse la transporte dans le rêve du désert, dans une certaine exstase : « Le sol de plastique devient brûlant, léger, couleur de sable, et l’air tourne autour de son corps `a la vitesse du vent. Le vertige de la danse fait apparaître la lumière, maintenant, non pas la lumière dure et froide des spots, mais la belle lumière du soleil, quand la terre, les rochers et même le ciel ,sont blancs » (DÉSERT, P.355). Cela devient le moment décisif quand elle se rend compte de l’origine de son aliénation et de son angoisse. Elle décide de fuir cette société moderne et se réunir avec sa terre natale. Elle quitte Marseille, l’Occident, sa richesse et son urbanisme, pour « la Cité des planches et du papier goudronné, le plateau de pierres et les collines où vit Hartani » (DÉSERT). Elle rentre au monde de ses ancêtres qu’elle a choisi pour rendre naissance à son bébé. Elle s’était sentie guidée par Es-ser pour avoir un bébé avec Hartani, un esclave et elle ressent la présence de son maître même quand elle est en train d’accoucher. Cette action de donner naissance à un bébé d’esclave avance une moralité qui dépasse la barrière raciale et celles des coutumes. Elle transgresse les règles de l’Islam pour finalement embrasser une religion qui est supérieure à tout d’autres – celui d’humanisme. Son bébé est né sur la terre de ses ancêtres qui est guidée par les maîtres sufis comme Ma el Aïnine, El Azraq et Es Ser et les deux vont suivre le même chemin spirituel que proposaient ces maîtres. C’est quand elle se mêle avec la pensée primitive de son esprit que sa vraie identité se révèle devant le monde. Son retour suivi par la naissance de son bébé symbolise aussi la survie de sa race, des « hommes bleus » dont elle est lointaine descendante. Son retour est une compensation pour l’échec historique de son tribu contre les soldats Français qui étaient venus chassés des « hommes bleus » de sa terre, le désert Saharien.

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Pour conclure, il est possible de dire que le voyage apporte un tel changement chez une personne qu’il ne reste pas le même qu’il était avant de l’entreprendre. Gerard Cogez dans son livre en parlant des voyages entrepris par des voyageurs du XX siècle dit que tous les voyageurs savaient qu’ils allaient rentrer « mais ils voulaient au moins que ce fût un individu d’une trempe différent qui rentrât. Car il est manifeste que beaucoup entre eux n’étaient pas en bon terme avec eux-mêmes au moment de prendre la route » (LES ÉCRIVAINS VOYAGEURS DU XXÈME SIÈCLE, Gérard Cogez). Lalla part du Maroc pour fuir ses conditions de vie qui détruisent sa paix intérieure. Elle prend la fuite deux fois- la première fois, elle la fait pour échapper à un mariage forcé. La deuxième fois, elle fuit la vie illusoire qu’offre la ville occidentale. Même si elle y a trouvé la reconnaissance ainsi que la richesse, mais celles- là ne l’attire pas du tout. Elle se sente une étranger à Marseille. Elle tente toujours à prendre la route qui va la méner vers la liberté. Elle retourne finalement à ce lieu désertique du sud qui est le lieu historique de ses ancêtres. Elle retrouve ses racines en retournant accoucher sur sa terre natale, à l’endroit même où sa mère l’avait mise au monde. Désert raconte le parcours de Lalla qui en réussissant à vaincre tous les obstacles attachés à sa condition achève un accomplissement de soi.

Bibliographie

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100 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Rôle de la Fiction dans le Récit de Voyage : Le Cas d’Ecuador par Henri Michaux

Aditi Das

Résumé

Le voyage n’a seulement pas intrigué les explorateurs qui visaient à trouver de nouvelles terres à conquérir, mais aussi des écrivains, des hommes de lettres qui ont tenté de concrétiser leurs expériences à travers l’écriture. C’est ainsi que nous avons aujourd’hui des textes nombreux autour du thème de voyage. D’une part, le récit de voyage doit être un récit factuel d’un voyage réel. D’autre part, le terme littérature permet une grande place à la subjectivité. Cette dichotomie joue un grand rôle dans plusieurs récits de voyage du XXe siècle. Des auteurs aiment bien croiser cette fine ligne entre le factuel et le fictif. C’est justement le rôle de la fiction dans le récit de voyage qui attire notre intérêt. Dans cet article, nous proposons étudier Ecuador (1929) par Henri Michaux et analyser à quelle fin l’auteur emploie la fiction pour rédiger son voyage réel. Mots-clés : Littérature de voyage, récit de voyage, fiction, Henri Michaux, Ecuador, inquiétude, échappement. Ecuador (1929) nous présente un voyage effectué par Michaux à travers les Andes, l’Équateur et le Brésil. En 1927, Michaux entreprend ce voyage en bateau appelé Boskoop ; il arrive dans la région montagneuse d’Équateur et passe quelques mois parmi les habitants locaux. Ensuite, il reprend son voyage à travers les forêts du Brésil pour finalement arriver à l’embouchure de l’Amazone. Tout ensemble, Michaux passe presqu’une année loin de son pays à la recherche de quelque chose indéfinissable qu’il ne parvient pas à trouver en occident. Sous la forme d’un journal intime, Ecuador est un exemple du récit de voyage moderne du XXe siècle. Comme dans le voyage réel, la trajectoire du voyage dans le livre se divise principalement en trois parties : le voyage en mer pour afin arriver en Équateur, le séjour à Quito et le chemin de retour à travers l’Amazone. La forme employée par Michaux pour rédiger le journal est aussi important que le voyage lui-même. Nous observons que souvent les anecdotes racontés sont marqués par les dates, les endroits et quelquefois par l’heure exacte ; ajoutant ainsi l’authenticité au récit. Par exemple : « 15 novembre, 2 heures du matin, Vargas Torres » (Michaux 1929 : 139). Quant au texte, il consiste également de la prose et de la poésie. Les récits de voyage publiés jusqu’à Ecuador se limitaient à la prose pour décrire les différentes parties du voyage. Mais, Michaux révolutionne ce format en introduisant la présence de la poésie dans le récit de voyage. Ainsi, l’œuvre en question résulte dans un récit plein d’observations pointues et sensuelles et voire hallucinogènes (Magowan 2001). Plusieurs critiques perçoivent l’emploi de la poésie comme un pas risqué. James Finn écrit dans le journal New Republic : « Coming upon Ecuador today one cannot, except by an act of imagination, appreciate the revolutionary things it was when it was first published, nor the risk that Michaux took in those days. » (Finn 2001) Grâce à la forme de l’Ecuador, l’auteur avait la liberté de jouer avec la poésie et la prose. Ce mélange nous force à réfléchir sur la définition du récit de voyage ou même sur les critères de la littérature de voyage. 101 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Les récits de voyage ont existé depuis des siècles. L’histoire des écritures sur le voyage remonte à l’antiquité où les voyages étaient généralement beaucoup plus centrés autour de la religion. Les voyageurs étaient souvent des pèlerins à la recherche de la terre sacrée. Avec la Renaissance arrive les grandes découvertes. Et les voyages trouvent un nouvel objectif. Il s’agit de décrire les nouvelles terres visitées par les explorateurs, de parler des nouvelles cultures et des coutumes étranges, des autres, et aussi de se comparer avec les ‘autres’. Les chroniqueurs de cette époque écrivaient des récits factuels qui nous aidaient à connaître le monde que nous occupons. Au fil des siècles, les voyages n’étaient plus limités aux explorateurs ; les écrivains, les hommes de lettres entreprenaient aussi des voyages. Et ils tentaient de concrétiser leur expérience à travers l’écriture. Ainsi, avec la croissance des nombres d’écrivains qui allaient au voyage, nous remarquons un changement dans la manière de rédiger un voyage. Auparavant ce qui n’était qu’un simple reportage des faits commence à devenir une narration littéraire d’une expérience très personnelle de l’auteur- voyageur. Par conséquent, l’art de narration joue un rôle important. Les récits qui étaient strictement factuels s’entremêle avec l’imaginaire. Comme dit Victor Hugo à sa fille : « J’écris avec les mots que la chose me jette » (Hugo 1839). Ainsi, les choses vues ont le pouvoir de s’exprimer à travers l’auteur. Le voyage alors ne s’effectue pas seulement au niveau de l’individu mais son entourage devient également important. Ce changement clé dans les récits de voyage apporte au XXe siècle des œuvres de Blaise Cendrars et Henri Michaux dans l’horizon littéraire. En écrivant La prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France (1913) qui décrit un voyage totalement fictif, Cendrars prépare la voie pour Michaux d’expérimenter avec la forme traditionnelle du récit de voyage. Contraire à Cendrars, la fiction chez Michaux manifesteà travers l’art de la narration et pas en tant que fabrication d’un voyage tout entier. Henri Michaux, souvent plus connu comme poète et artiste, était aussi un voyageur fervent. Ses premiers ouvrages, Ecuador et Un barbare en Asie explorent ses voyages. Dans toutes ses œuvres nous remarquons la présence du mouvement. D’une part dans ses œuvres nous découvrons un mouvement extérieur et physique tel le déplacement spatial représenté dans ses ouvrages décrivant les voyages, d’autre part, nous observons aussi un mouvement intérieur qui se manifeste plus tard dans sa poésie et dans ses peintures. Étant un artiste toujours à la quête de saisir le monde, Michaux ne se limite pas seulement à une seule forme d’art pour se faire comprendre. La peinture et les mots lui sont également indispensables. Ainsi chez Michaux l’objectif n’est pas seulement de se faire comprendre mais aussi de se comprendre. Nous remarquons alors dans ses œuvres une double tentative d’appréhender le monde et d’explorer l’intériorité du soi. Cette recherche de l’intériorité mène Michaux à expérimenter avec les drogues telle la mescaline et le cannabis. Les hallucinations crées de ces drogues sont mis en mots dans ses œuvres Misérables miracles (1956) et Connaissance par les gouffres (1961). Ainsi, nous pouvons observer que Michaux entreprend des stratégies peu communes pour pratiquer son art. Revenant à l’Ecuador, nous remarquons que même s’il s’agit d’un voyage réel, le récit est aspergé par la présence de la fiction. Et d’après les autres œuvres et le style d’écriture de Michaux, nous constatons que cette présence du fictif tissé avec le voyage réel n’est pas un accident. Michaux utilise la fiction pour atteindre un but spécifique. Est-il possible de découvrir ce but ? Nous proposons que la fiction chez Michaux, dans le cas d’Ecuador, sert comme un moyen de saisir le monde qui lui semble incompréhensible.

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Pour mieux comprendre l’enjeu de la fiction dansEcuador, tout d’abord, nous allons relever des instances qui nous montrent comment l’auteur a des difficultés à comprendre le monde. Ensuite, nous allons examiner comment la fiction se manifeste dans ce récit de voyageécrit sous la forme d’un journal intime. Et finalement, nous allons tenter d’établir comment ce procédé de varier le récit réel avec la fiction aide l’écrivain à réconcilier l’écart qu’il sent entre la réalité et son existence.

Incompréhension du Monde Extérieur

Michaux commence le voyage en Equateur dans un esprit agité. Mais le voyage n’offre pas de réconfort à l’esprit inquiet chez l’auteur. Les sous-titres d’Ecuador témoignent cette inquiétude. Premièrement, il y a la partie dès son arrivée à Quito. Cette partie s’intitule « La crise de la dimension » (Michaux 1929 : 35). Comme expliqué par Robin Magowan la crise est un manque « the deficiency- our failure to make any sort of real contact with our surrounding elements » (Magowan 1968 : 6) et c’est Michaux qui est conscient de ce manque. Michaux écrit : « Il n’y a plus de moyen de vivre, nous éclatons, nous faisons de la guerre, nous faisons tout mal » (Michaux 1929 : 35). Cette dysfonction arrive avec le soif de gagner de nouvelles dimensions. Mais, ceci devient de plus en plus difficile car l’homme « a fait à satiété le tour de la terre » (Michaux 1929 : 35) et aujourd’hui il ne reste plus de nouvelles horizons à découvrir. Ce manque imprègne l’auteur aussi ; comme nous pouvons observer dans le poème central de ce récit « Je suis né troué » (Michaux 1929 : 94). Le trou dans la poitrine de l’écrivain le rend malheureux et il cherche un moyen de se sauver de ce malheur. « Malédictions sur toute la terre, […] la civilisation, […] tous les êtres […] à cause de ce vide » (Mihcaux 1929 : 94). De forts sentiments de dégout sont explicites dans le journal intime. Michaux ne veut pas être sous les fers de ces sentiments puissants, il cherche alors un moyen de s’en débarrasser. Il tourne alors vers la poésie car les mots l’aident à s’échapper. Dans « Nausée ou c’est la mort qui vient ? » (Michaux 1929 : 97), le poème qui décrit la douleur son existence, l’écrivain fait appel aux « seigneurs de la Mort » (Michaux 1929 : 97) pour avoir de la « […] pitié de cet homme affolé […] » (Michaux 1929 : 98) pour le prendre « au vol » (Michaux 1929 : 98) et « de l’aider » (Michaux 1929 : 98). Nous observons alors chez l’auteur-voyageur une sorte d’aliénation du monde extérieur.

Fictionnalisation dans Ecuador

Dans ce récit, à part la présence de l’inquiétude, nous remarquons aussi le jeu entre la réalité et la fiction. La fiction dans ce cas ne doit pas être confondue avec l’imaginaire. La fiction dans Ecuador relève de petites variations de la réalité et la manière dont elles sont racontées. Tout d’abord nous allons discuter la présence de la poésie dans cet ouvrage. Un récit de voyage est généralement toujours en prose, mais Michaux, inspiré par Cendrars, n’hésite pas à introduire la poésie dans son œuvre de voyage. Le texte entier s’entremêle avec les vers. Le va et vient de la poésie et de la prose crée une oscillation intéressante, tout comme le mouvement du bateau dans lequel l’auteur prend la mer. Les sujets des poèmes varient, il y en a plusieurs qui sont des hommages aux endroits visités tels Quito, les vallées des Andes, une ville indienne, des montagnes visibles (Michaux 1929 : 34) ; d’autres qui parlent de l’état psychologique de l’auteur comme « Je suis né troué, Nausée » (Michaux 1929 : 98) ; et encore quelques-uns qui décrivent des choses vues. Ces derniers n’ont pas de titres, comme s’ils n’ont pas besoin d’identité. Ensuite, il y a tout un épisode 103 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 quand l’auteur consomme de l’éther avec l’un de ses compagnons. L’éther comme l’opium crée des hallucinations chez Michaux et il raconte ce qu’il ressent sous l’effet de l’aphrodisiaque. Il voit des chevaux qui pratiquent la magie (Michaux 1929 : 102), des arbres qui ne s’occupent pas de la terre (Michaux 1929 : 113). Parfois les scènes qu’il voit et décrit semblent incompréhensibles au lecteur, ainsi ajoutant du mystère au paysage visité. L’opacité du texte sert aussi comme un procédé pour finalement atteindre son objectif de saisir le monde. Ce qui reste un courant sous-jacent dans toutes les œuvres de Michaux. L’utilisation des drogues aide l’auteur à établir un rapport unique et paradoxal entre le réel et le fictif. Car d’un côté nous comprenons les mots ; toutefois de l’autre côté le sens nous échappe. Selon Octavio Paz cette incommunicabilité entre auteur et lecteur rend l’écriture de Michaux singulier. Il écrit : « All his efforts have been directed at reaching that zone, by definition indescribable and incommunicable, in which meanings disappear. A centre at once completely empty and completely full, a total vacuum and a total plenitude. Michaux’s oeuvre – his poems, his real and imaginary travels, his painting – is an expedition winding its way toward some of our infinities – the most secret, the most fearful, and at time the most derisive ones. » (Paz 2002) Si d’une part, il y a les drogues qui troublent le sens, d’autre part il y a les trucs de la nature tels « bogus magic of the fogs » (Magowan 1968 : 6). Michaux parle dans l’Ecuador du jeu du brouillard et comment ceci laisse derrière un tableau bizarre avec des parties des arbres, des montagnes et des animaux (Michaux 1929 : 56). Et même quelquefois il y a le mirage de toute une ville (Michaux 1929 : 34) qui est en fait irréel. Nous remarquons alors, que même si le voyage en Équateur est réel, des parties de la narration sont fictives.

Évasion Et Le « Soi »

Nous arrivons alors à la problématique centrale de notre recherche qui explore à quelle fin l’auteur utilise la fiction dans ce récit réel de voyage. Nous pouvons observer que chaque fois l’auteur rencontre un moment difficile pendant son voyage, il recourt à la fiction. Comme l’écrivain ne peut pas vraiment établir un contact direct avec le dehors, il a besoin d’un autre moyen pour s’orienter. Et pour Michaux, ce moyen est la fiction. Étant un poète tout d’abord, la poésie lui vient tout naturellement, ainsi, quand il tombe sur un moment difficile, la poésie sert comme la mesure d’en sortir. « La fonction de l’imagination, chez Michaux, est complexe. Elle est d’abord un moyen d’évasion, un équivalent plus efficace du voyage ; elle est aussi un instrument de défense contre la réalité » (Cité par Poncelet 2002 : 67). Le critique Robin Magowan mentionne que chez Michaux, la topographie de l’Équateur est la topographie paradise et les poèmes en vers libre « register the sense of displacement, of bewilderment and terror […] which makes paradise real » (Magowan 1968 : 9) avec le but « to ascend, to turn oneself into sky » (Magowan 1968 : 9). Devenir le ciel, qui est en fin de finalement se libérer des attachements sur terre. C’est pourquoi, nous pouvons observer que tout les objets de l’Ecuador tels les arbres, les chevaux, les montagnes naturellement, se projettent verticalement. Ils visent le ciel, ce qui représente l’ascension de l’auteur lui-même en un sky-self (Magowan 1968 : 9). Le « sky self » est en fait une manière digne de décrire le « soi » chez Michaux ; car le « soi » établi par l’auteur dans l’ensemble de ses œuvres est dans une évolution perpétuelle. Tout comme le ciel qui s’éloigne juste au moment où il semble être à notre portée, « in all of his poetry and 104 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 his painting, Michaux explores the movements of the world within, seeking a heightened awareness of the continually-evolving self while experimenting with the possibilities of artistic expression » (Edson 1983 : 46). Ce qui explique aussi l’expérimentation de la forme dans Ecuador. En outre, la fiction qui se manifeste par la poésie, les animaux volants, les arbres sans racines, les villes irréelles servent comme un moyen d’évasion du monde accablant qui coince l’auteur. Parmi la réalité concrète, ces moments en Ecuador lèvent le lecteur et le voyageur de la banalité vers l’extraordinaire. En conclusion, nous avons observé qu’un esprit perturbé force l’auteur de se mettre en route pour un long voyage en bateau. Ce voyage est un résultat de l’incapacité que sent l’auteur à cause d’un manque constant avec la réalité du monde extérieur et notamment du monde occidental. Pour mettre en mots les divers sentiments, anecdotes, expériences qu’il témoigne, Michaux recourt à expérimenter avec la réalité. Ce dernier se manifeste à travers la poésie, les hallucinations issues des drogues et par la fictionnalisation des faits. Ainsi introduisant une nouvelle manière de rédiger un récit de voyage. Mais ce procédé sert aussi comme un moyen de faire face à la réalité qui semble toujours s’évader de l’auteur. À la fin cette rencontre entre le fictif et le réel dansEcuador apporte une réconciliation entre l’écart qu’il sent avec la réalité et son existence, lui permettant saisir un bref aperçu du « soi » en constante évolution.

Bibliographie

Source Primaire : 1. MICHAUX, Henri. Ecuador, Paris, 1968 (1929). Sources Secondaires : 1. DAUNAIS, Isabelle. « La fiction fragilisée : récit de voyage et recueil chez Henri Michaux et Italo Calvino », Études littéraires, 302 (1998), pp. 55-67. 2. EDSON, Laurie. « Henri Michaux : Artist and Writer of Movement », Modern Language Review, Vo. 78, Issue 1, January (1983), pp. 46-60. 3. HAMBURSIN, Olivier. « Littérature de voyage et excentricité : Henri Michaux en Équateur », Dalhousie French Studies, Vol 74/75, (Spring-Summer 2006), pp. 185-198 [http://www.jstor. org/stable/40837724]. 4. HUARD, Maxime. Henri Michaux et le récit de voyage : la place du sujet dans l’écriture de l’ailleurs, Université de Montréal, Août 2009 (Thèse). 5. MAGOWAN, Robin. « From ‘Ecuador’ », Chicago Review, Vol. 20, N° 1, 1969, pp. 5-25 [http:// www.jstor.org/stable/25294144]. 6. MATSUMURA, Takeshi. « Sur quelques mots des premiers écrits d’Henri Michaux », Philologica Jassyensia, an XII, N° 1 (23), 2016, p. 69–75 [http://www.diacronia.ro/ro/indexing/ details/A24466/pdf]. 7. METZGER, Vincent. « Poèmes et prose : quelques réécritures », Littérature, No. 115, Henri Michaux (SEPTEMBRE 1999), pp. 42-47 [http://www.jstor.org/stable/41704731].

105 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

8. MONTANER, Marta Segarra. Au pays d’Henri Michaux : la dialectique de l’espace et du temps dans son œuvre écrite, Université de Barcelone, Juin, 1990 (Thèse). 9. PAZ, Octavio. Journeys into the Abyss. (page consultée le 03 mai 2017), adresse URL: https:// www.theguardian.com/books/2002/aug/10/featuresreviews.guardianreview18. 10. PONCELET, Dominique. « ‘Au pays de la Magie’ d’Henri Michaux : la poésie comme ‘traduction du monde’ », Dalhousie French Studies, Vol. 59, Summer (2002), pp. 67-75 [http:// www.jstor.org/stable/40837393].

106 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Xavier de Maistre: le voyage dans ses deux romans

Amalendu Chakraborty

Résumé

Dans les deux roman dans Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre et Expédetion nocturne autour de machambre; on trouve le « voyage »: un voyage, qui n’est « un voyage banal ». Il traverse à travers de « sa chambre » et autour de «sa chambre ». Ces livres nous dit les choses suivantes: 1. Premièrement quand il y a la mentalité, c’est un voyage. On n’a pas besoin d’aller loin pour voyager. 2. Le monde autour de nous est bizarre. Pour voir le bizarre on voyage. Si l’on met les yeaux ouverts, on le voit autour de lui et le voyage est fait. 3. Le voyage ne doit toujours pas être « en dehors » et « à l’extérieur ». On peut voyager aussi « en dedans » et « à l’intérieur ». On ne peut pas dire son voyage comme « un voyage imaginaire ». Il faisait ce(s) voyage(s) à l’intérieur: de lui-même et des autres. On peut nommer son voyage « un voyage imaginaire » comme cela est bien imaginé au moins d’une partie. Cette combinaison de la réalité, imagination et le va et vient à l’intérieur et à l’extérieur nous amène ou on voyage vraiment dans une nouvelle et unique dimension. On trouve un voyage qui est bien intériorisé.

Les mots clés: mentalié, en dehors, en dedans, intérieur, extérieur, voyage, intériorisé

Xavier de Maistre a écrit Voyage autour de ma chambre en 1794. La wikipédia française dit « C’est en 1794 qu’il écrit le Voyage autour de ma chambre, au cours des quarante- deux jours d’arrêts qui lui sont infligés dans sa chambre de la citadelle de Turin pour s’être livré à un duel contre un officier piémontais du nom de Patono de Meïran, dont il est sorti vainqueur. » Après ce duel, il était emprisonnier dans sa chambre pour six semaines. Ce livre est donc la description autobiographique d’un homme qui devait rester confiné dans une chambre et observer seulement les meubles de cette salle. La wikipédia anglaise décrit ce roman comme « une parodie situé à la façon d’un narratif de voyage ». Mais, là aussi, on reconnaît que c’est une narration autobiographique. Le deuxième roman Expédition nocturne autour de ma chambre (1825), est une suite/ conséquence du premier roman. Mais nous devons examiner si c’est vraiment « une parobie des récits de voyages » ou non.

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Nous pouvons commencer avec le premier roman. Ce roman consiste des chapîtres (42 en nombre, le numéro qui correspond au numéro des jours de son emprisonnement) qui sont très court. Une, page, une demie-page, deux page... comme cela. Le chapître le plus court et le ème, qui a seulement deux mots. Ces chapitres courts nos indiquent qu’ il n’y avait pas beacoup de choses à dire comme il ne ouvrait pas sortir et devait rester confine. Le premier chapître nous dit de la durée de « son voyage » - c’est quarante deux jours, c’est- à-dire, six semaines; la durée de son emprisonement dans la chambre. Dans cette chambre il était confiné est doit observer seulement les meubles. Ce premier chapître commence (les premiers deux paragraphes) : « Qu’il est glorieux d’ouvrir une nouvelle carrière et de paraître tout à coup dans le monde « savant, un livre de découvertes à la main, comme une comète inattendue étincelle dans « l’espace! « Non, je ne tiendrai plus mon livre in petto ; le voilà, messieurs, lisez. J’ai entrepris et « exécuté un voyage de quarante deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes « que j’ai faites et le plaisir continuel que j’ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de « le rendre public ; la certitude d’être utile m’y a décidé. Mon coeur éprouve une satisfaction « inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auxquels j’offre une ressource « assurée contre l’ennui, et un adoucissement aux maux qu’ils endurent. Le plaisir qu’on trouve à « voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de « la fortune ». « Est-il en effet d’être assez malheureux, assez abandonné, pour n’avoir pas de réduit où il « puisse se retirer et se cacher à tout le monde ? Voilà tous les apprêts du voyage ». De ces deux paragraphes, on observe quelques traits : 1. Le livre commence avec une phrase exclamatoire, qui fait le premier paragraphe. 2. L’expression « in petto » nous dit quelques choses. Cette expression adverbiale italienne (dans son coeur) nous dit avec les phrases suivantes dans le deuxième paragraphe que l’auteur essaye d’établir et de présenter ce récit comme un vrai voyage. 3. Le récit commence avec un « je narrateur » qui décrit un emprisonnement et il le nie au même temps. Gilbert Durand dans son article Le voyage et la chambre dans l’œvre de Xavier de Maistre, (Romantisme, 1972, no4, pp.76-89) montre que le thème d’emprisonnement est en redondonce dans les œuvres de Maistre avec la mention de modestie comme Anatole France a dit pour Maistre: « L’épithète de « modeste » dont Anatole France gratifie l’âme « délicate » et « bienveillante » de « Xavier de Maistre peut s’appliquer sans difficulté à toute l’oeuvre du gentilhomme « savoisien…..Toutefois, la modestie des dimensions de l’oeuvre ne fait que rendre plus acessible « son unité thématique et ses articulations structurales significatives. ...le lecteur par « limité_quasi-obsessionnelle de ses thèmes majeurs .qui se reflète d’abord dans les titres mêmes « des ouvrages: le charmant écrit de 1790, Le Voyage autour de ma chambre,

108 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 ordonne par ses « deux substantives antithétiques toute l’oeuvre de Xavier de Maistre et se trouve suivi de près par « cette sorte de redondance accentuée qu’est L’Expédition nocturne autour de ma chambre (1798-1800). Les trois autres oeuvrettes de l’exilé à Saint- Pétersbourg : Le Lépreux de la cité Skoste « « (1810), Les Prisonniers du Caucase et La Jeune Sibérienne, font jouer dès la suggestion de « leur titre même, « Le thème de la claustration du lépreux, des prisonniers ou de l’exilée en Sibérie et de la « pérégrination rêvée par le reclus, accomplie par l’évasion périlleuse des prisonniers ou par « l’odyssée filiale de Prascovie Lopouloff traversant toute l’immensité … ; l’on pourrait ajouterà « cette double image obsédante de la pérégrination et de la claustrophilie, bien des vers du « maladroit poème Le Papillon et les projets jamais réalisés, soit d’écrire alors que l’auteur se « trouve à la forteresse de Pignerol (1786) un roman « sur le masque de fer », soit, à Turin, « d’écrire une nouvelle sur « l’histoire intéressante de la prisonnière de Pignerol ». (pp.76-77) » On peut donc voir que ce thème d’ être emprisonnier et confiné et commun à tous les textes de Maistre. Drand a aussi parler du thème de la « chambre ». Il dit que (p. 78) : « ces deux séries thématiques sont inséparables, tout comme si un problem sous-jacent était « posé, un problème d’herméneutique qui consiste à placer de différentes manières – donc à valoriser de différentes façons – le thème du voyage et celui de la chambre. Bien des combinaisons imaginaires peuvent en effet résulter de la situation symbolique respective de la « chambre » (et de ses dérivés) et du voyage (et de ses dérivés) ; soit que l’on considère la chambre comme point de départ ; soit au contraire comme terme de l’arrivée ; soit que l’on considère le voyage comme une fuite, un exil, ou au contraire un retour, un exode. Soit encore, et c’est dans cette série que se placer l’originalité de l’oeuvre de Xavier, que l’on fasse du «voyage» une circumambulation « autour » de la chambre, que l’on place le voyage dans la chambre — « autour », ou mieux encore, « à la verticale » ; soit que, comme chez les rêveurs des barques, des nacelles, des carrosses, l’on place la « chambre » dans le voyage... L’oeuvre de Xavier peut se classer en totalité dans deux de ces combinaisons structurales : d’abord celle où le voyage est un exode et où la « chambre » se place comme un point de départ et d’arrivée, ensuite celle où le voyage s’effectue dans, autour ou à la verticale de la chambre. » Durand montre ce «voyage vertical» dans pp. 80-81comme: « …de même que l’image de l’âme ne peut se passer des sensations de la bête qui la colorent, de « même toute claustration, tout ermitage, tout jardin fermé suscite l’évasion intérieure, le voyage « vertical où le héros de L’Expédition nocturne chevauchera sur le rebord périlleux de sa fenêtre. « Inversement, tout voyage, tout exil reconduit comme à son double à la concentration intérieure. « Mais ces réflexions qui nous font passer des images à leur philosophie et de cette dernière aux « résonnances biographiques nous conduisent tout naturellement à une sorte d’examen « psychocritique des deux grandes images obsédantes de notre auteur. « La psychocritique de Xavier de Maistre est fadle et ne fait que confirmer par une sorte de « « signature » psychosociale, les structures thématiques que n’a pas peine à dégager une « explication de texte même rapide. »

109 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Nous pouvons jeter un coup d’œuil sur quelques chapitres de Voyage autour de ma chambre. Le premier chapitre commence avec une phrase exclamatoire qui est aussi le premier pragraphe. Le quatrième paragraphe de ce chapitre va comme : « Je suis sûr que tout homme sensé adoptera mon système, de quelque caractère qu’il puisse « être, et quel que soit son tempérament ; qu’il soit avare ou prodigue, riche ou pauvre, jeune ou « « vieux, né sous la zone torride ou près du pôle, il peut voyager comme moi ; enfin, dans « l’immense famille des homes qui fourmillent sur la surface de la terre, il n’en est pas un seul, – « non, pas un seul (j’entends de ceux qui habitent des chambres) qui puisse, après avoir lu ce « livre, refuser son approbation à la nouvelle manière de voyager que j’introduis dans le monde. » Cela nous montre l’endroit est fixe. En ce qui concerne « le système », on peut voir le chapitre XVI de L’Éxpédition nocturne autour de ma chambre:

CHAPITRE XVI

Système du Monde. « Je crois donc que l’espace étant infini, la création l’est aussi, et que Dieu a créé dans son éternité « une infinité, dans l’immensité de l’espace, de monde « Quand nous jetons un coup d’œuil sur la structure de ces deux livres, nous allons dire « qu’ils sont « romans », et ils ne sont pas les « nouvelles ». Le récit(s) raconté(s) est (sont) « complète(s). On peut bien argumenter que les chapitres sont très courts et quelquesfois ils « comme (à part de l’exemple ceté au-dessu) dans le voyage autour de ma chambre: »

CHAPITRE XII

………...... le terrre …………...... et le

CHAPITRE XIII

« Les efforts sont vains ; il faut remettre la partie et sojourner ici malgré moi : c’est une « étape militaire ». Il faut mentionner que jusqu’au XIIIème chapitre dans Le voyage autour de ma chambre, on voit seulement le narrateur. Au chapitre VI il arguemente : « Il me serait impossible d’expliquer comment et pourquoi je me brûlai les doigts aux « premiers pas que je fis en commençant mon voyage, sans expliquer, dans le plus grand détail, « au lecteur, mon système de l’âme et de la bête. – Cette découverte métaphysique

110 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 influe « tellement sur mes idées et sur mes actions, qu’il serait très difficile de comprendre ce livre, si je « n’en donnais la clef au commencement. « Je me suis aperçu, par diverses observations, que l’homme est composé d’une âme et d’une « bête. – Ces deux êtres sont absolument distincts, mais tellement emboîtés l’un dans l’autre, « ou l’un sur l’autre, qu’il faut que l’âme ait une certaine supériorité sur la bête pour être en état « d’en faire la distinction. » Ce thème de « l’âme » (intelligence, hmanité) et « la bête » continue dans le chapitre suivant aussi. Pour la première fois, dans le chapitre VIII (vers la fin) il mentionne un incident ou accident bien personnelle : ses doigts étaient brûlés. Dans le chapitre XIV, une autre personne est introduite—M Jannetti, son serviteur, qui ne « parle pas beaucoup et fait les provisions pour lui ». Dans le chapitre XVI, il introduit une autre personne—Rosine. Elle est sa chienne. Il la regarde comme une personne et compagnone qui n’est jamis fâchée contre lui malgré ses mauvais comportements. Dans le chapitre suivant (ch XVII), il parle de Rosine en details: « Depuis six ans que « nous vivons ensemble, il n’y a pas eu le moindre refroidissement entre nous, ou, s’il est élevé « entre elle et moi quelques petites altercations, j’avoue de bonne foi que le plus grand tort a « toujours été de mon côté, et que Rosine a toujours fait les premiers pas vers la réconciliation. » Dans le ch. XVIII, il raconte l’histoire de son mauvais comportement avec Jannetti et comment il repent. « Il sortit ; je pris le linge et je nettoyai délicieusement mon soulier gauche, « sur lequel je laissai tomber une larme de repentir. » Durand exlique dans son article (pp 82-83) : « La Savoie a été envahie en 93 par « Kellermann, et le capitaine Maistre a dû se replier avec les troupes pour défendre le Val d’Aoste « avant l’écrasement militaire définitif de 96 par Bonaparte. Aussi la chambre de 1798, « rue de la « Providence », n’est-elle plus celle de 1790. La redondance du scénario et du titre même du « «Voyage » ou de L’Expédition nocturne autour de ma chambre devrait certes alerter le « « mythologue qu’il s’agit là d’un approfondissement sérieux. L’auteur ne nous dit-il pas, dès le « chapitre ш de L’Expédition, que la « première chambre » (celle du Voyage) a été détruite par « l’incendie et par les bombes ? Aussi, la nouvelle « chambre », un réduit, une « souspente » avec « une lucarne que l’on ne peut atteindre qu’en grimpant quelques marches, sorte de grenier où « l’auteur revient furtivement « la nuit » en une « expédition nocturne » est-elle par rapport à la « première une chambre superlative. La redondance a provoqué une intensification du thème de la « chambre. Mais cette intensification entraîne à son tour une amplification sublimante du voyage : « sans avoir la majesté morale du « ciel étoile au-dessus de ma tête » cher à Kant, c’est bien « d’un ciel étoile qu’il s’agit ici, permettant le « vol élevé des pensées » pour le « spectateur éphémère d’un spectacle éternel » (ch. XII, Éxpéd) ». « La chmbre et la nuit ne sont que l’abri », comme dit Henry Planche (Voyage avec Xavier de « Maistre, Paillet édit., 1964, Bourgoin): « ces oeuvres ne constituent qu’un petit volume qui n’a « demandé que peu d’heures dans un long destin ». Ce destin est de rester dans une solitude, loin « des maux du monde, avec la compagnie de ce qui ne le dérangeraient 111 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 jamais. Le voyage dans « l’âme, à l’intérieur. Le dernier paragraphe de l’Éxpédition nocturne autour de ma chambre, « nous avons : « Il est beau, sans doute, d’être ainsi dans une relation familière avec la nuit, le ciel « et les météores, et de savoir tirer parti de leur influence. Ah ! les relations qu’on est forcé d’avoir « avec les hommes sont bien plus dangereuses ! Combien de fois n’ai-je pas été la dupe de ma « confiance en ces messieurs ! J’en disais même ici quelque chose dans une note que j’ai « supprimée parce qu’elle s’est trouvée plus longue que le texte entier, ce qui m’aurait altéré les «justes proportions de mon Voyage, dont le petit volume est le plus grand mérite. » Pour cela, nous pouvons bien remarquer que « l’abri de nuit » se ressemble avec le theme du Bhagavadgita « y­aa nishaa sarvabhutanaam tasyaang jagarti sangyami ». Nous pouvons remarquer aussi une ressemblence ave le célèbre Ratrisukta du Rigveda. Nous pouvons donc bien voir que « le voyage » dans ces deux romans (ou bien nouvelles, selons l’opinion de quelques critiques), est le « voyage » au vrai sens ; quelquechose bien intériorisée. Il ne seulement regarde pas, mais observe le monde de et dans « cet abri ». Il trouve un voyage dans son propre intétrieur et cherche les « vrais amis ». Il montre que chacun est « solitaire ». Il montre aussi que personne ne peut vous empêcher d’un « voyage dans l’intérieur ». On peut imprissoner le « corps », mais«l’âme» est toujours « libre ».

Les References

1. Durand, Gilbert, 1972, Le voyage et la chambre dans l’œuvre de Xavier de Maistre, in Romantisme no 4, « voyager doit être un trail sérieux ».pp 76-89. 2. Planche, Henry, 1964, Voyage avec Xavier de Maistre, Paillet edit.Bourgoin (France). 3. Maistre, Xavier, 1959, Voyage autour de ma chambre, in collection « cent chefs-œuvre », B. Laffont edit. 4. ______, 1959, Éxpédition nocturne autour de ma chambre, in collection « cent chefs-œuvre », B. Laffont edit.

Les sites consultées

1. https://www.wikipédia.en., consulté le 12 janvier 2017. 2. https://www.wikipédia.fr.., consulté le 12 janvier 2017.

112 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Shashi in English Vinglish : The Travel and the Transformation

Anuradha Deepak

Abstract

Travel transforms us by changing the perspectives of our ‘gaze’ on others as well as on ourselves. Language and language usages in various lands, in both familiar and unfamiliar settings open us to such new aspects of our own personality that leads often to our own transformation. Such a transformation can be captured in visual literature, namely cinema in the context, in an exemplary way as it may represent the ‘linguistically inexpressible’ through other means of expressions of emotions and feelings. It may thus be interesting to look into how travel and transformation, through language and its usages, gets exhibited through languages and identity perspectives in cinema. The present paper is an attempt to understand the character of Shashi (played by Sridevi in the Hindi film English Vinglish (2012, directed by Gauri Shinde) where ‘travel’ plays an important role in her life. Travel entails a movement away from a familiar place and location to an unfamiliar and new one. In Shashi’s case, this travel becomes interesting as the unfamiliar and the unknown place provides her a platform to be familiar to her own self. Travel hence becomes a means of her awakening self-respect.This paper attempts to understand the formation of such an ‘empowered self’ through the female character of Shashi in the film entitledEnglish Vinglish. Key Words: Travel, transformation, empowerment, identity. The systematic study of travel literature emerged as a legitimate field of scholarly enquiry in the mid-1990s. There are various types of travel writings. There could be ‘travel guides’, there could be ‘historico-geographical’ description and many more. Out of these various possibilities, there is one ‘personal discovery’ type of account. The traveller visits a specific place or makes some sort of journey and in the process makes profound observations about oneself. This type of travel account, though exists since long, is relatively new as a genre in literature where the focus is not on the information about the place travelled, but rather on how the travel finally turns out to be a discovery of the person’s own deeper self. Keeping into consideration this type of travel account, we choose, in the present article, to move from the written word to the ‘visual text’, namely cinema, as the focus is on the character of Shashi (played by Sridevi) in the Hindi film English Vinglish (2012, directed by Gauri Shinde) where ‘travel’ plays an important role in her life. In her case, this travel becomes interesting as the unfamiliar and the unknown place provides her a platform to be familiar to her own self. This paper attempts to understand the formation of an ‘empowered self’ via travel, through the female character of Shashi. The film begins with Shashi, the protagonist and the opening scene establishes that she is the glue that binds the family together. As a part of her morning rituals, she caters to the needs of everyone in the family, serving them tea, coffee, breakfast etc. but doesn’t find the time to enjoy her own coffee with a newspaper. Her entire existence is undermined simply 113 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 because she doesn’t know English. The Hindi newspaper “Navbharat Times” in her hands is not just a newspaper, but rather an important signifier that sets the subject of the film in motion. It is the Hindi as her language of communication that becomes an important factor for her identity crisis. Her teenage daughter and her husband treat her with “affectionate disdain” (Chopra, 2012) as they mock at her weak and incorrect English. In the opening scene itself, she talks about her daughter’s dance classes and calls the dance style “chhaz” in place of “jazz” and there is no limit to the laughter of the daughter and the father, simply making fun of Shashi for pronouncing the word incorrectly, without realizing at all that they are hurting her in the process. And this is only the beginning of not only the film but the series of humiliations Shashi faces at the hands of her very own first family. Shashi’s family is outwardly a happy family and she tries to maintain the happiness, taking care of each and everyone but it is she herself who is often scarred by the small humiliations and casual slights. Shashi is fond of making laddoos and she tries to turn this passion of hers into a full fledged business, which she has started on a small scale. She takes orders for making laddoos and delivers them to the doorsteps of the people who order. But her husband Satish (played byAdil Hussain) neither appreciates nor motivates her talent. He likes the laddoo, however, and fondly demands it while eating at home, calling it “Shashi special laddoo”. But doesn’t want Shashi to promote her business and rather asks her to shut down all she does in that direction :“Shashi tum ye laddoo waddoo ka chakkar band kar do na”. Shashi replies softly that she can’t do that as laddoo making is her only passion : “Mera ek hi shouk hai. Use bhi band kar dun?” She gets appreciation everywhere for her delicious laddoos and that praise is important for her self-esteem which is punctured at times at her own home. Satish never even tries to understand and share her happiness for the appreciation she gets from others. She, as a simple hearted woman wants to share her joy with Satish but his matter-of-fact attitude makes her feel sad. She is made to realize time and again that her English is very bad and it affects her so much psychologically that she feels insecure all the time because of her lack of proficiency in English. Shashi’s daughter Sapna (played byNavika Kotia) not only disrespects her as a mother for not being able to speak English but also uses it as a tool to escape from home for having fun with friends. In one such situation, when asked by Shashi where she had gone and why, she lies to Shashi that she had gone to study with her friend. On being suggested by Shashi to study at home, she retorts back sarcastically : “Tum padaogi mujhe, English literature ?” And Shashi remains stunned but silent at the disrespect, importantly because it is her own daughter who makes fun of her, forgetting the fact that she is speaking to her mother. In yet another situation, Sapna is shown to be furious because her father won’t be able to accompany her for parent-teacher meeting. Satish expresses his inability to attend the PTA at school and asks Shashi to go instead. Not only Shashi is hesitant to go but Sapna also doesn’t want her to go. When Shashi gets ready to go on the insistence of Satish, Sapna again behaves rudely with her and says: “Koi zarurat nahi hai. Mai keh dungi tum beemar ho aur dad out of town hain…..Don’t Be dramatic Mom, PTA ka matlab bhi jaanati ho!” Shashi is left with nothing to say at this humiliation by her own daughter except “PTA ka matlab nahi jaanati hun lekin parent ka matlab zaroor jaanati hun.”

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Finally Shashi accompanies Sapna to school and meets her class teacher Father Wilson. Shashi tells Father about her inability to speak English and he agrees to talk to her in Hindi despite his own Hindi being weak. Shashi and the teacher are shown to be quite comfortable with each other and this is one situation which makes Shashi feel good. She remains hesitant to move out of the house, specially for the English speaking gatherings but this visit to school instills confidence in her as she finds herself acceptable there in her real self. Sapna however, retains her prejudice about her mother and questions her behaviour after they come out of the school. Shashi tries to convince her that Father Wilson was quite comfortable with her and infact praises him for accepting her reality (of not knowing English) with grace but Sapna refuses to accept anything and neglects Shashi’s whole existence when she says “ Papa ko hi aana chahiye thaa”. This mockery of the simple and the soft woman in Shashi hurts her to the core, making her cry but Sapna is least bothered. Sapna enters home in a furious mood and the grandmother asks if she has failed. Sapna doesn’t reply but Shashi’s reply is significant in the context as she says : Fail“ to mai ho gayi. Aaj maine use sharminda kiya hai.” Shashi gets very upset for her not being good at English. Instead of taking it as a fault on the part of others’ behaviour with her, she starts looking for her own faults, for not being able to make others happy and asks her husband as why did he marry her and not any modern girl. She regrets her efforts at home: “ Kitni bhi koshish karun, kisi ko khush nahi kar paati.” Trying to live for others, not only she forgets her own self but loses all her positivity also. How often people who love us are not only taken for granted but hurt too in the process. “A callous word and a careless comment might go a long way.” (Dick, 2012). This is what happens with Shashi and the ‘careless’ comments become a part of her journey of life unless her predicament changes with a travel. Unlike the travel writings where the focus is on the exploration of the (geographical) places, English Vinglish as per the focus of the present paper, is a film that talks more about the travel on the psychological plane.The marriage of the daughter of Shashi’s sister Manu (played by Sujatha Kumar) is fixed and Shashi and the family have to travel to New York for that purpose. Shashi is supposed to go earlier than the rest of the family to help her sister for wedding preparations. The meek and the hesitant Shashi gets very nervous at the prospect of going alone. She is full of so many inhibitions and apprehensions regarding her travel where she would be going to New York alone. Sapna cannot go with her as she has to participate in some important event of her school. Shashi wants to take her son Sagar (played by Shivansh Kotia) along but her request is declined by Satish, not because Sagar will miss the school but significantly because Satish cannot trust Shashi, the mother of Sagar, to take care of him in a foreign land, with her too little English: “Are vo Amreeka hai. It’s a foreign land.Tum angrezi bhi theek se nahi jaanati.” Shashi’s lack of English serves as a punishment to her. She is not trusted even by her own family. Satish, however, convinces Shashi for going alone and makes her memorize a few sentences in English that she might need to use at ticket counter or other encounters with people. The hesitant, the inhibitive Shashi sets out on her journey alone without even realizing that it is going to be an important journey of her life. The aeroplane becomes symbolic of the wings that this travel gives : the wings to soar high in her own eyes importantly. The overall attitude of the family for her inability to communicate in English

115 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 and moreover, the lack of encouragement from them deprives Shashi of all the confidence that she would have possessed otherwise. And the travel becomes an important step in her life to lead her to empowerment. Her entry into the plane, her feeling thirsty, and the role of ‘pressing the bell button’ asking for the things of need, all act metaphorically to take her out of the mental blocks that have hitherto affected her confidence. A fellow passeneger sitting next seat to her (played by Amitabh Bachchan) becomes an agent of her first step towards empowerment. He only tells her that she can press the button whenever she needs anything and she will be provided the same by the plane services. She asks for a glass of water but that is not sufficient to quench her thirst. She is really very thirsty so far as her self respect is concerned as she has felt it being attacked by her own husband and daughter quite mercilessly. So just one glass of water is not enough to gratify her. She needs more and acquires more in the days to come. Not only the advice given by the fellow passenger becomes metaphorical with some specifically selected words to transform the inhibitive and hesitant Shashi but the “bell” also becomes a signifier to remind her of what she is and what she needs to be : “Agle 18 ghante ye button aapki seva me haazir hai. Befikr, bindaas, beshak, poori Besharmi ke saath aap baar baar ye button daba sakti hain.” Even while departing from the airport, this fellow asks her not to be afraid of English people and enjoy her travel to US as he says : “Ye tumhaara US me pehla kadam hai. Pehli baar ek hi baar aata hai. Pehla anubhav bahut special hota hai. So enjoy-beshak, befikr,bindaas. All the best.” Her first travel to New York really becomes special for her as we are able to understand completely by the end of the film. Shashi reaches New York and is elated to see the city in its glory. At her sister’s house, the family talks in English and Shashi again feels uncomfortable, embarrassed as well as irritated. Displaced from her first family, she feels identity crisis more and her travel to NewYork and the English speaking environment seems to add to her woes, so far as the language is concerned. Next day her niece Radha (played by Priya Anand) asks her to come along with her and enjoy her visit to New York while Radha would be in her class and she can join her afterwards. She accompanies Radha and moves alone on the streets of New York while Radha attends her class. Shashi feels hungry and gets into a cafe to have something to eat. And the scene is a terrible one to show Shashi’s handicap regarding English as she is not able to order anything for herself. She doesn’t understand English, so she is unable to choose from the variety of options when asked by the lady at the counter. She gets too much nervous by the time she is able to order something, and knocks someone down in haste, spilling all that the person has in his hands. She feels so much embarrassed that she runs out of the cafe, without having even her own food. She sits on a bench outside and cries bitterly at her own pathetic condition which no one is ready to understand. Radha joins her then and they move ahead together. But this scene possesses a lot of significance. Shashi sees a bus from New York Language Center offering a 4 week crash course in English. Although Radha makes fun of the challenge offfered by the course but Shashi finds the challenge quite attractive. Radha moves ahead holding her hands while Shashi looks back at the bus, trying to memorise the phone number given there. And the bus in the scene becomes yet another means of the travel which proves out to be very significant for Shashi. Shashi’s 116 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 looking back at the bus is very significant in the context as this is something that makes her capable of looking forward in life. Shashi gets back home, calls the language center and gets their address. She steps out alone to reach the center in an altogether new city. Hesitatingly but determined, she is able to reach the center and heaves a sigh of relief on reaching the very building. This travel from her sister’s house to the language center is significant in its own manner, as it marks the onset of the journey which Shashi undertakes to move ahead in life. She gets herself enrolled for the course, enters the classroom and joins the class where there are other students from different countries and languages, all assembled to master English in a 4 week course. This travel to a multi-lingual and multi-cultural classroom becomes important for her to recognize her ownself. In the introductory session, she has to tell about herself, her likings, passions and professions, and she tells about her passion for making laddoos. The very first word she learns in the class about her ownself is the word “entrepreneur”, which makes her feel proud of herself as well as her talent and passion. This is just the beginning of her empowerment and the word becomes a signifier for her, providing her the very identity which she herself was unaware of. This is how a person’s identity gets changed in different geographical and cultural settings.In her own house, her own family neither acknowledges nor respects her talent and this recognition of being an “entrepreneur” provides her a fresh breath. The background song is suggestive of her newly acquired identity with her learning and growing towards confidence: “…Badla nazaara yun yun yun Saara ka saara new new new Main happy-vappy kyun kyun kyun Main busy-vusy hoon hoon hoon Dheme dheeme, slowly slowly I’m learning-vearning seekhun-veekhun nayi zubaan I’m learning-vearning seekhun-veekhun nayi zubaan” The travel therefore changes the whole scenario for her and the geographically displaced Shashi is able to place herself in the changed settings via her attempts to learn a new language which helps her in asserting her identity. She is happy with herself and one day the whole class plans to watch an English movie. The full concentration with which Shashi watches the movie depicts her passion for learning English and she comes out of the theatre in a happy mood. Her daughter Sapna calls her to ask about one of her books which she is unable to find on her own, and her furiousness over the issue turns all the joy of Shashi into despair. Sapna actually acts like a harsh reminder to make Shashi question her own worth not only as a parent but as a person also. And the scene is significant to notice the transformation in Shashi, as she is seen to question her daughter’s rudeness and misbehaviour for the first time. Shashi’s furiousness is shown to dominate her despair as she says: “ Kya haq banata hai bachchon ka apne maa baap se is tarah baat karne ka? Izzat ka matlab to jaanate hi nahi. Kya kachre ki peti hun mai, jo man me aaya phenk diya?”

117 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

This is the same Shashi who always used to blame her own self for actually the fault of others. Continuously discouraged by the family, she was never able to realize her own worth. But her travel, her classes, her classmates, her learning experiences in a new city are all gradually able to instill not only the confidence in her but boost her self esteem as well. She goes with Laurent (played by Mehdi Nebbou), one of her French classmates to a cafe and places her order in fluent English without actually realizing so. It’s Laurent who makes her realise that she did it and her joy is shown to have no bounds. The background song is again reflective of her growth and journey towards empowerment, where she wants to proceed without stopping and is free of all the fears and inhibitions to the extent that she is ready to take all the risks : “Kaisa asar chadha hai sar Ke chalte chale hum bekhabar Rukne ko na kaho Chalte hi jane do.. Qatraa hain dar Qatraa fikar Kahin raahon mein hum kho naa jaaye Raahon ko mod do Rukne ko na kaho” Here it becomes important to know that the language course is actually the first risk Shashi has undertaken. She doesn’t tell anyone neither in her own family nor in her sister’s about it. She attends the classes secretively and in the process learns how to manipulate the situations also in her favour. Her niece Radha however, comes to know about it but on Shashi’s request she not only keeps it a secret but becomes yet another agent towards Shashi’s empowerment. She helps Shashi in all her needs. Shashi’s family arrives earlier than planned to offer a surprise to her but that comes as rather a shock to her ongoing journey. The same Shashi who used to feel uncomfortable and insecure in the absence of her family is shown to be unhappy in their presence. They are going to be actually a hurdle not only in her language course but also her changed or rather newly recognized identity which her travel to a new cultural setting has given her. She has learnt to live for her ownself, manipulating situations for her own benefit, free of all guilts. But her journey is not so simple and easy as it has some more hurdles. Shashi’s newly acquired identity is important for her which she wishes to protect and therefore she takes the help of Radha for attending her class. She actually makes an excuse to avoid going with Satish and kids and instead goes to attend her class. Despite being able to attend her class, she is trapped in a situation which takes her back temporarily to the same submissive Shashi that she was and she again starts questioning her motherhood. Her son Sagar falls down and his knee and elbow is hurt. Satish gets furious realizing the absence of Shashi from the situation when she was needed or rather taken for granted for being there as a mother. The meek wife Shashi is not able to bear the wrath of the husband Satish and decides to leave the language course midway. Despite trying hard to follow her own wish, Shashi is not able to assert herself more and her family’s visit to New York seems to put a full stop to her ongoing growth, reminding her of what she “should be” instead of what 118 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 she “wishes to be”. Radha, however, comes to her rescue, encouraging her to complete her venture. The dialogue between Radha and Shashi is important to understand the conflicts of Shashi and the motivation of Radha to make her feel strong: “Shashi : Bahut angrezi seekh li maine. Kya ho gaya hai mujhe? Angrezi mere bachchon se zyada important ho gayi? Bas ye Englsih vinglish bahut ho gaya. Dekho na, mai fir se apne bare me sochne lagi...... mai yahaan angrezi seekhane thodi aayi thee. Radha : Don’t do that. Don’t give up now. Bas 3-4 classes baaki hain…..Mausi please just finish what you started. Jo start kiya hai vo finish karna chahiye na. Shashi : Finish karna chahati hun jo maine pehle shuru kiya thaa…….apne bachchon ki maa banana.” Shashi doesn’t want to do anything at the cost of her children and in the process she curbs her own self and leaves all that is her due as a person. But Radha somehow is able to convince her to complete the language course and she helps Shashi by managing to let her listen to the classroom lectures on phone, while the class goes on. But there is yet another hurdle left to bar the path of Shashi. The date for the final test for the course clashes with that of the marriage date of her niece. Shashi surrenders to the situation but Radha again becomes the agent of her strength and helps her to manage to go for the test. At the last moment, unfortunately, the plate full of all the laddoos (which Shashi had made specially for the occasion) is toppled over by a mischievous action of her own son Sagar. Shashi is shocked at this sudden twist of her situation. Her sister Manu tries to console and convince her by saying that she would order sweets again from some sweet house and Radha also insists that she should not do that but but Shashi takes it as a challenge to make those laddoos all again as “laddoo making” has been her all time passion and she doesn’t want to “fail” in that : “Mere favourite subject me fail hoke doosre subject me paas hone ka kya faayda!” She takes the risk of leaving the class and undertakes the venture to prove that she can fail in English but not in “laddoos” as this also has been something from the very beginning for what her husband has always made fun of her. In Manu’s house in New York, Satish giggles and in his own callous manner praises Shashi for her laddoo making in such a way that Shashi feels bad rather than being appreciated : “And my wife...she was born to make laddoos.” Without realizing that Shashi can understand English and can feel bad and humiliated also, he clarifies his comments in Hindi : Are“ mai tareef kar raha hun baba, tum laddoo banana ke liye paida hui ho.” Radha and Shashi look at one another understanding the tone of Satish’s voice which is less of appreciation and more of sarcasm. Radha convinces Shashi later that she is not born for making laddoos : “Mausi aap sirf laddoo banana ke lye paida nahi hui ho.” Radha’s words often come as a balm to soothe Shashi’s sore heart. In the situation, it becomes important for Shashi to pass one more exam that the situation gives her. It is significant to understand Shashi’s priorities here. Laddoo“ making” has been the first thing she always wanted to do as per her own choice. She is always discouraged and demotivated for that but she doesn’t leave it. English however, comes to her as an imposed language that she needs to learn. The irony is that it is considered to be an important language, less for the sake of communication and more for the sake of social status. She suffers a lot of humiliation for her lack of proficiency in this language in her own family, her own land. From that point of view, travel plays an important role in her life, as it provides her an opportunity to not only learn a language which she needs importantly for her own mental empowerment but the language classroom becomes an important space of 119 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 travel also for her, being an assembly of people from different cultural, geographical and lingual backgrounds. It is this travel which helps her to realize her worth and real self and as a result she is able to assert her original identity of being a good laddoo maker. Shashi is not able to go for the final examination but all her classmates and her teacher come to attend the wedding on Radha’s request. Satish is taken aback when Shashi introduces him to a diverse group of people calling them her “special friends”. For getting the certificate, the only condition is that everyone has to give a five minute speech in English. This is done in the classroom for the rest of the students but Shashi gets an oppurtunity to speak in the wedding function itself. After the wedding rituals, the family members sit together to bless the newly weds expressing their feelings in their own ways. The scene is very interesting as all speak in English and Satish explains the things to Shashi in Hindi, without being aware of the fact that Shashi can understand English now. Finally it is the turn of Shashi as Radha implores her to speak. All welcome Shashi and she is about to get up to speak when Satish stands up in embarrassment saying: “ My wife’s English is not very good. So...” Shashi stops him before he is able to speak further and seeks his permission to speak, asking “May I ?” and gets up to speak. She gives a marvellous speech in English which is remarkable not only for its medium but for its content also. She extolls the virtues of marriage and family as a safe space of love and respect where the weaknesses are not mocked at. The way she tells the new couple about the inevitable ups and downs in one’s personal life and the binding and important role of the family in a person’s growth proves how sensible she is as a human being, and intelligent also as her words make her husband and the daughter realize their negative attitude towards her. They regret treating her with disrespect. Her teacher David declares that she has passed the course with distinction and issues her the certificate. Shashi thanks him. She thanks Laurent specially for making her feel better about herself : “Jab apne aapko pasand nahi karte hain na to apne se judi hui har cheez achchhi nahi lagti. Nai cheezen aakarshit karti hain. Jab apne aapko pyaar karne lagte hain, to vahi puraani zindagi nai lagne lagti hai, achchhi lagne lagti hai. Thank you mujhe apne aap se pyaar karna sikhane ke liye. Thank you for making me feel good about myself. Thank you so much.” Laurent has been one of the important agents to make Shashi realize and recognize her own virtues, talents and potentialities and significantly he also is a part of the various travels Shashi undertakes on different planes. Travel is basically a ‘movement’ and for Shashi, it becomes an important one. The film begins as a narrative of captivity and confinement for the entangled self of Shashi in her encounter with English. But gradually, it becomes a story of the pleasure of recovery to the sense of herself. Shashi, the victim of psychological and emotional violence travels from shame and humiliation to confidence, from fear to delight. Her enrolement into a four week crash course in English is important to understand her travel at the psychological plane. For a woman who centered her life around the family only and never bothered to move beyond those confines, it is something very significant that she builds a network of friends from different cultures and languages. She grows with learning how to move ahead in life through the sharing of experiences. Travel could be visiting, capturing, making enquiries, crossing cultural boundaries and much more. For Shashi, this travel to New York becomes a travel where she seeks pleasure

120 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 not in the exploration and exploitation of the ‘unseen’ geographical aspect of New York, but rather her own ‘unseen self’. Just like Nicolas Bouvier, a 20th century Swiss traveller writes in his book “The Way of the World” : “One thinks that one is going to make a journey, yet soon it is the journey that makes or unmakes you.” (https://en.wikipedia.org/wiki/ Nicolas_Bouvier), the same way Shashi’s journey to New York turns out to be a voyage of self–discovery for her. She travels not only in place but also in space, identifying and recognizing her own self. English Vinglish thus becomes a travel of a terrified, fearful, hesitant homely lady to a bold and brave woman, conquering her own self and treading her path confidently.

References

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121 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 « L’Inde (sans les Anglais) » d’après Pierre Loti

Sandeep Kumar Pandey

Résumé

Après une halte d’une semaine dans l’île verte et mouillée de Ceylan, où le paquebot de France m’avait conduit, j’ai traversé la nuit dernière, sur un mauvais navire de la côte, ce golfe de Manaar où la mer bouillonne sans cesse ; puis, tout le jour, j’ai roulé très vite jusqu’à ce village où un délégué de Son Altesse le Maharajah du Travancore est venu m’installer dans une maisonnette blanche, à l’ombre épaisse des feuilles. Après l’énervante humidité de Ceylan, on revit délicieusement ici, dans un air sec et salubre ; on respire comme durant les belles nuits de nos étés de France et partout les grillons chantent comme dans nos campagnes au mois de juin. Cependant l’on croise sur ces chemins d’étranges passants, des passants de bronze, qui vont sans bruit, les pieds nus, une mousseline blanche drapée sur l’épaule. Et de temps à autre, le son d’un tam-tam dans le lointain, ou le prélude gémissant d’une musette, viennent préciser quelle est cette région de la terre, disent l’Inde, disent Brahma, rappellent l’énorme distance. Les mots-clés : Mannar, Brahma, Inde, France. Voici le soir, le temps de paix et de fraîcheur qui soudainement commence après la brusque tombée du soleil. Je me repose depuis quelques instants à Palancota, un village ignoré où je dois passer la nuit. Et c’est ici que, pour la première fois, je me sens vraiment loin, – à ce déclin du jour, sous ces arbres, au milieu de ce silence. Demain donc, je partirai, en charrette indienne traînée par des zébus, pour me rendre dans ce pays de Travancore par où doit commencer mon voyage, pays qu’on appelle aussi « Terre de Charité » et qui est, paraîtil, une région de tranquillité heureuse, restée sans communication avec les affolés de ce siècle ; une région isolée et épargnée, sous des voûtes de palmes. Au trot facile, par une route plane, nous nous en allons à travers le mystère des arbres, sous leurs dentelles noires ; des racines descendent de leurs rameaux étendus pour se rejoindre, des flots de racines comme de longues chevelures. Au-dessus des feuilles, dans les moindres trouées claires, scintillent au ciel des myriades de mondes, tandis qu’en dessous, jusque sur les herbes, voltigent les innombrables petites mouches de feu qui, dans les pays chauds, simulent chaque soir des jeux d’étincelles ; et tous ces scintillements, toutes ces lueurs se confondent, au point que nous ne savons plus, dans notre course rapide, quelles sont les lucioles, ni quelles sont les étoiles. le départ, sous un soleil encore terrible. Dans ma charrette garnie de tapis et de nattes, trop basse de plafond pour que je songe à m’y asseoir, je m’étends comme un blessé qu’on emporte, et mes zébus aussitôt prennent ce trot sautillant, qui, pendant deux nuits, sans trêve, secouera mon sommeil. Mes attelages, bêtes et gens, changeront d’heure en heure, car il y a des relais disposés tout le long de cette route, seule voie de communication par le Sud entre. L’Inde orientale où je suis et le Travancore où je m’en vais. Cette heureuse « Terre de charité » n’a pas jusqu’à présent de chemin de fer pour lui amener des parasites et drainer vers l’étranger ses richesses ; du côté du Nord, elle communique aussi avec le petit État de Cochin, au moyen de barques, suivant une série de canaux et de lagunes ; mais elle est par 122 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 ailleurs préservée de tous contacts grâce à de bienfaisantes défenses naturelles : à l’ouest, une mer sans ports, des plages inabordables où les brisants déferlent, et à l’est, la chaîne des Ghâts, sorte d’épine dorsale de l’Inde, qui fait bonne garde avec ses cimes rocheuses, ses forêts, ses tigres. Ils vont au trot et au galop mes bons zébus. Et, sitôt le village disparu, commence une longue, monotone, interminable course, sur un sol d’un rouge de sanguine, entre deux bordures de grands arbres qui imitent nos noyers et nos frênes. Les noyers sont de jeunes banians qui, avec les années, deviendront gigantesques ; des chevelures de racines, çà et là, commencent à leur pousser, descendent de leurs branches vers la terre, pour créer d’autres souches, s’étendre, envahir. Entre ces deux rangées d’arbres, nous traversons de vastes solitudes, où sont clairsemés des palmiers. Pour respirer et pour voir, j’ai de toutes petites lucarnes de côté, et, à l’arrière, cette minuscule porte ronde par laquelle, tête baissée, je me suis coulé dans mon sarcophage roulant. Tout près, comme rivée à moi, suit la charrette des domestiques et des bagages ; les deux longues figures éd bonnaires des zébus qui la traînent sont mes très proches voisines ; toujours étendu, naturellement, je les vois presque à toucher mes pieds, les inoffensives bêtes trotteuses, que l’on conduit par une simple ficelle passée au travers du nez, et dont les cornes sont recourbées en arrière, couchées sur l’échine, comme dans la crainte de faire involontairement du mal à quelqu’un. Par un prodige d’équilibre, le cocher qui les mène, tout nu et tout en bronze, se tient accroupi à même le timon étroit, les pieds réunis sous le derrière et les mains posées sur les genoux ; il les fouette d’un fin roseau ou bien les excite avec un bruit de bouche comme en font les singes en fureur. Et les solitudes défilent toujours, deviennent presque angoissantes à mesure que l’on s’y enfonce plus avant. De loin en loin, quelques maigres champs de riz, ou de coton ; autrement le désert, surtout le désert, éclairé au morne soleil du soir. A l’horizon, la chaîne des Ghâts se dessine. Et c’est comme la muraille du Travancore, que nous franchirons cette nuit, par un défilé unique. Après les pluies et les verdures de Ceylan, on s’étonne de plaines si desséchées, où l’herbe même ne pousse plus. Rien que ces étranges palmiers à tige grisâtre qui sont plantés çà et là solitaires, et qui à peine semblent appartenir au règne végétal : droits et lisses comme des poteaux géants, enflés à la base et tout de suite amincis en fuseau, ils portent au bout de leur hampe démesurée un tout petit bouquet d’éventails rigides, trop haut dans le ciel de feu. Et la raideur de ces silhouettes d’arbres se répète indéfiniment des deux ôc tés du chemin, jusqu’au triste horizon des plaines. Personne jamais sur cette route, si soigneusement tracée pourtant entre ses deux bordures de banians verts ; on dirait qu’elle ne mène nulle part. Et peu à peu l’alanguissant chaleur, les petites secousses rythmées, la persistance des mêmes cahots et du même bruit amènent un assoupissement vague où la pensée commence de sombrer. Vers cinq heures, croisé quatre passants bizarres, qui prennent l’importance d’un événement à mes yeux presque endormis et déjà habitués à ne rencontrer rien dans l’allée monotone ; quatre personnages de haute taille qui marchent à grandes enjambées rapides, le torse nu, un pagne blanc et rouge autour des reins, un large turban rouge sur la tête. Où vont-ils si vite et dans de si éclatants costumes, ces inconnus, au milieu de ces solitudes ? L’extrême matin, à Trivandrum, est une heure d’indicible tristesse. On entend d’abord, tout au commencement, une grande clameur humaine qui s’élève avant jour, qui monte lamentable et farouche dans la première pâleur de l’aube ; d’où je suis, cela paraît un peu lointain, cela vient de là bas, de l’enceinte sacrée de Brahma ; c’est un cri d’ensemble poussé 123 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 par des milliers d’hommes, et on dirait le gémissement de l’humanité même, de l’humanité retrouvant au réveil ses peines, avec l’écrasante idée de la mort. Les oiseaux ensuite se mettent à saluer le retour du soleil, mais leur aubade n’a point la légèreté charmante de celles qui se chantent chez nous, dans nos vergers, au printemps ; ici le gazouillement des tout petits est couvert par la grosse voix moqueuse des perroquets, surtout par la voix funèbre des corbeaux. D’abord un ou deux croassements isolés, comme en signal, et puis cent, et puis mille, un concert affreux, pour glorifier la mort et la pourriture... Les corbeaux, partout les corbeaux, l’Inde en est infestée ; et jusqu’ici, au Travancore, sur cette terre de paix et d’enchantement, leurs cris, dès que le jour vient poindre, emplissent la voûte des palmes, pour glacer la joie de tout ce qui vit et s’éveille sous la feuillée splendide. Ils disent : nous sommes là, nous, qui guettons la décomposition de toute chair, et notre pâture est certaine, et nous mangerons tout... Ensuite ils se dispersent et ils se taisent. Et de nouveau s’élève la clameur lointaine des hommes ; elle est puissante et profonde ; on sent qu’ils sont légions, ces brahmes, assemblés dans le grand sanctuaire, à crier vers leur Dieu. Et puis, c’est un bruit confus de tambourins, de cymbales et de conques sacrées, arrivant de différents points de cette forêt de palmes. Qu’est Trivandrum : la première adoration du jour dans les petits temples secondaires épars sous bois. Le soleil enfin apparaît, et on en reçoit tout de suite les rayons dans ces demeures entièrement ouvertes où des colonnades, des stores légers vous séparaient seuls des choses de la nuit. Voici la lumière, la lumière admirable, l’heure exquise où s’évanouissent toutes ces tristesses de l’aube. Et je descends dans le jardin, qui forme au milieu de la forêt de palmes une sorte de clairière, avec des pelouses, des arbres couverts de fleurs roses ; on y trouve un grand luxe de fougères, de plantes d’humidité chaude, et toutes les variétés de ces invraisemblables feuillages de l’Inde, qui sont teintés, comme des fleurs, de rouge sombre, de violet ou de carmin pâle, avec des zébrures blanches comme sur le dos des reptiles, ou des yeux comme sur les ailes des papillons. Vers Quatre heures du soir, quand le soleil torride commence à tomber, ils arrivent discrètement, les musiciens, par petits groupes dans des charrettes à zébus. (C’est le Maharajah qui m’envoie pour quelques heures l’orchestre de son palais.) Cinq heures. Ils sont au complet, vingt-cinq environ, assis sur le tapis, dans la salle déjà en pénombre de soir, où le « panka » agite l’air d’un mouvement berceur et alangui. Ils vont préluder, car toutes les figures de êb tes, aux manches des guitares, se sont dressées. Quels sons terribles vont sans doute produire des instruments de cette taille, et quel tapage, ces tam-tams ! J’attends, et me prépare à beaucoup de bruit. Derrière eux l’ouverture d’une porte cintrée découvre un vestibule blanc, où un rayon du soleil au déclin, un rayon tout en or, pénètre sur un groupe de soldats du Maharajah, – figurants, comparses, en turbans rouges dans la lumière rouge, – tandis qu’eux, les musiciens, demeurent plongés dans l’imprécision de l’ombre. Quand le chant d’une des guitares s’élève de ce silence bruissant, c’est toujours un chant qui gémit en portant le son d’une note à l’autre, un chant passionné qui monte à pleine voix et s’exaspère dans la douleur ; les tamtams alors, sans couvrir cette plainte vibrante, font un tumulte mystérieux, et tout cela exprime l’exaltation de la souffrance humaine d’une façon plus intensive encore que nos suprêmes musiques d’Occident... Les voix humaines m’étaient réservées pour la fin. L’un après l’autre, les tout jeunes garçons délicats, aux belles draperies et aux yeux trop grands, exécutent des vocalises d’une rapidité 124 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 folle ; leurs voix enfantines sont déjà brisées et comme mourantes ; un homme en turban d’or, qui les guide après leur avoir joué un prélude à donner le frisson, les regarde tout le temps dans les yeux, tête baissée, avec une fixité de serpent qui fascine un oiseau ; on sent qu’il les électrise, qu’il peut s’il le veut forcer jusqu’à tout rompre le mécanisme de leur gosier frêle. Dans cette ville murée, où je pénètre aujourd’hui beaucoup plus avant que la première fois, il n’y a pas seulement des habitations de princes, au fond de jardins, parmi des palmiers ; il y a aussi des rues bordées d’humbles maisonnettes en terre, mais habitées uniquement par des Indiens de haute caste. Et l’extrême matin est précisément l’heure charmante où les ménagères aux longs yeux font la toilette du sol, chacune devant sa demeure. Sur la terre rouge, bien battue et bien balayée, elles tracent avec de la poudre blanche de prodigieux dessins éphémères, que le moindre vent emportera, ou les pieds des passants, ou les pattes des chèvres, des chiens et des corbeaux. Elles font cela très vite, très vite, en s’aidant, pour se repérer, d’invisibles marques qu’elles ont placées d’avance ; gracieusement penchées, elles se hâtent de promener par terre l’espèce de petit sablier où leur poudre est contenue, et d’où s’échappe une traînée blanche, comme un ruban sans fin. Rosaces compliquées, figures ég ométriques naissent à miracle sous leurs doigts, et souvent, quand c’est achevé, elles plantent çà et là une fleur d’hibiscus, à chaque principal entre-croisement de leurs réseaux de lignes, ou bien un œillet d’Inde, un souci jaune d’or. Et la petite rue, ainsi parée d’un bout à l’autre, semble pour une heure recouverte d’un tapis capricieux. Tout ce quartier a du reste un caractère d’antique élégance, de paix honnête et de naïve dignité. Devant le portail du jardin de la Maharanie, toujours les mêmes corrects soldats à turban rouge, qui rendent les honneurs, qui présentent les armes, au son de leurs tambours et de leurs fifres. Et sur le perron descend le prince-époux, dont l’accueil est d’une courtoisie parfaitement distinguée ; comme le Maharajah, il a eu le bon goût de rester Indien, avec sa robe de velours vert, son turban de soie blanche, l’éclat de ses diamants, – ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs d’être un lettré et un érudit.

Bibliographie

1. Loti, P. (1998). L’inde (sans les anglais). Inde : Édition Kailash Pondicherry. 2. Biès, J. (1974). Littérature Française et Pensée Hindoue Des Origines A 1950 : Libraire C. Klincksieck. 3. Lesley Blanch, Pierre Loti, Seghers, 1986 (Traduit de l’anglais par Jean Lambert).Olivier Bleys, L’Épître à Loti, Coll. Autres Ciels VI, L’Escampette, 2003. 4. Nicolas Serban, Pierre Loti. Sa vie, son œuvre [archive], Paris, Les Presses françaises, 1924 (préface de Louis Barthou). 5. Gagnon, F et Young, D. (1978). Paul-emile Borduas : Écrit1942-1958. Halifax : The Press of Nova scotia College of Art and design. 6. Gaudreault, J. (2007). Le recueil écartelé: Étude de Refus global. Québec : Éditions Nota Bene.

125 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Sitographie : 1. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6207440r.r= 2. http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-charmes-de-l-inde-du-sud_1005819.html 3. http://leslecturesdares.over-blog.com/article-l-inde-sans-les-anglais-precede-de-mahe-des- indes-de-pierre-loti-85783338.html 4. http://www.bibliomonde.com/livre/voyages-inde-8101.html 5. http://notesditinerance.canalblog.com/archives/2013/06/11/27443478.html

126 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Les Formes Myriades Du Voyage Dans Le Roman Graphique Persepolis De Marjane Satrapi

S. Krithika

Résumé

Le voyage est une partie intégrale du roman autographique Persepolis de Marjane Satrapi. Dans Persepolis, comme Marji grandit, la signification du « voyage » devient également compliquée pour elle. À l’âge de huit ans, pour Marji, le voyage indiquait un mauvais signe lié à la mort. Quand quelqu’un meurt, on fait croire aux enfants que cette personne « est partie en voyage » pour cacher la réalité amère. Quelques années plus tard, la condition sociopolitique de son pays détériore forçant la famille de Marji de partir en vacances comme un moyen d’évasion. La guerre se déclenche entre l’Iran et l’Irak et Marji s’exile en Autriche pour poursuivre ses études. Ce « voyage » fait découvrir à Marji l’essence de l’Autre et du Soi. Lorsque ce sentiment d’évasion devient lourd à porter, elle rentre dans son pays natal. Cependant, en Iran, Marji est dans une situation alambiquée où elle doit choisir entre la liberté qu’elle se réjouissait en Europe et la chaleur de sa famille en Iran. Le voyage se révèle comme un sujet complexe à appréhender dans la littérature. Persepolis présente le voyage dans les formes myriades que chaque fois ce sujet se complexifie pour susciter des subtilités liées à la vie de Marji, la protagoniste. Persepolis est une autographie de Marjane Satrapi, qui raconte la vie de Marji, la protagoniste, en quatre tomes. Elle commence son histoire en Iran à l’âge de huit ans où la Révolution Islamique s’étend dans le pays et termine avec Marji à l’aéroport, prête à partir en France. Persepolis pointe aux aspects divers du voyage dont, normalement, les lecteurs ne réfléchissent pas. En entrant directement dans le vif du sujet, notre communication examinera, premièrement, comment pour petite Marji le voyage signifie un mauvais présage. Deuxièmement, nous verrons comment sa famille voit le voyage comme un moyen d’évasion d’une réalité amère. Troisièmement, nous aborderons le thème d’exil qui est une partie importante du livre. Finalement, nous essayerons de comprendre une forme moins discutée du voyage : la migration dans cette œuvre. À partir de cette étude, nous allons tenter d’apprendre comment le voyage forme et transforme Marji.

Le voyage comme un mauvais présage

127 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Persepolis, Tome 3, « le héros »

La mort est un sujet très difficile à discuter avec les enfants, surtout, quand les proches meurent très souvent à cause de la surveillance sévère des fondamentalistes et comment passer outre ce fait inévitable : en mentant. Les adultes disent souvent aux enfants que les morts sont partis en voyage. Marji comprend que la nouvelle est très sensible et que les parents la cachent aux enfants pour ne pas les déprimer. Marji essaie de « révéler » cette vérité à une de ses amies et son amie ne la croit pas et part en pleurant. La narratrice note cette réaction avec un peu de désapprobation, « la vérité est parfois dure à accepter ». Plus tard, cette vérité hantera encore Marji quand ses parents diront que son oncle Anouche, qui était très proche de Marji, est parti en voyage. Marji connaît bien cette ruse qui a déjà utilisée maintes fois et lorsqu’elle entend le mot voyage, elle panique. Elle est convaincue que quand quelqu’un voyage, cette personne est en danger. C’est pourquoi elle s’affole pour « le voyage » d’Anouche.

Persepolis, Tome 1, « les moutons »

Pour Marji, le voyage a toujours été synonyme de mauvaise nouvelle comme nous venons de le voir la mort ou la disparition de la famille et des amis qui fondent ses frayeurs au voyage. Mais dans le deuxième tome, elle voyagera avec sa famille pour découvrir une autre signification du voyage : un moyen d’évasion.

Le voyage comme un moyen d’évasion

Persepolis, Tome 3, « le voyage »

Le voyage et l’évasion sont interdépendants. Quand nous voyageons, nous nous déplaçons. Quand nous nous déplaçons, nous laissons les choses perturbantes derrière nous. Ce

128 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 déplacement nous libère, d’une manière éphémère, des contraintes, de la monotonie et de la stagnation. Cette liberté est plus chère quand nous vivons dans une société où elle n’existe plus. Au début du deuxième tome, Marji et sa famille voyagent en Italie et en Espagne. Cette décision de voyager est provoquée par une attaque à l’Ambassade des États-Unis. La narratrice se rappelle, « la situation s’aggravait de jour en jour. En septembre 1980, mes parents organisèrent subitement un voyage avec moi. Comme ils se sentaient que bientôt ce ne serait plus possible. La suite leur donna une raison... Nous partîmes donc pour trois semaines en Espagne et en Italie. »1. Ce voyage du plaisir surgit de la peur. La peur de ne jamais plus pouvoir voyager, de ne plus pouvoir sortir du pays et de ne pas pouvoir choisir. La narratrice juxtapose succinctement cette angoisse existentielle et le plaisir libérateur du voyage dans l’image. En outre, le dessin nous présente ce voyage comme une « merveille ». Les mots portent la peur cependant l’image crée un sentiment du plaisir chez les lecteurs. En concentrant plus sur le dessin, il produit un effet d’ « exotisme à l’inverse » comme si la famille iranienne, qui est déjà assise sur le tapis volant- un objet d’merveille à l’Est, est émerveillée par l’Occident. Les images clichées des pays comme la flamenco et les monuments célèbres alimentent le portrait exotique de l’Ouest. Le dessin domine toute la page et la partie écrite est totalement subjuguée. Cela indique que le sentiment est valorisé plus que le sens. Le plaisir de voyage est tellement émouvant qu’ils ont oublié tout le désespoir qu’ils attendent en Iran. Ce dessin nécessite l’attention au regard exotique de l’Est vers l’Occident. Typhaine Leservot dans son article décrit ce phénomène comme l’« Occidentalisme »2. S’inspiré d’orientalisme d’Edward Saïd, actuellement, l’occidentalisme émerge comme un courant dans les études postcoloniales. L’Iran, surtout, se trouve dans une position particulière, grâce à sa relation historique complexe avec l’Occident. Historiquement, les pays occidentaux comme l’Angleterre et les États-Unis existent dans l’imagination iranienne pour leurs ambitions coloniales. Leservot écrit « the history of Iran’s construction of the West reveals how Occidentalism in Iran is far from being an Orientalism in reverse: Iranian Occidentalism (...) was never a monolithic essentialization of the West. »3 Pour l’Iran, l’Occident ne s’impliquait pas un sens unique au long des années ainsi que pour Marji. Leservot explique plus tard dans son article comment la relation de Marji avec l’Occident évolue et transforme avec l’âge. À huit ans, l’Occident l’enchante. À treize ans, l’Occident la choque. À seize ans, l’Occident, la dégoute. À vingt-cinq ans, l’Occident l’accepte finalement.De plus, Leservot note, Far from playing its traditional postcolonial role as the everlasting dominant paradigm from which postcolonial nations have difficulties escaping, the West, in Satrapi’s memoir, is reconstructed by Iranians not to respond to the West but to deal with their own (domestic) political issues.4 Persepolis est symbolique aussi pour le cas d’Occidentalisme et comment Satrapi l’utilise. Cette œuvre ne reflète pas seulement sur l’Occident d’une position subalterne mais aussi exploite l’Ouest pour scruter la politique d’Iran. Autrement dit, l’Occident sert à se comprendre et comprendre son propre pays.

1. SATRAPI Marjane, Persepolis, Tome 2, Paris, L’Association, 2002, chapitre « le voyage » 2. LESERVOT Typhaine, “Occidentalism: Rewriting the West in Marjane Satrapi’s Persepolis”, Nebraska, University of Nebraska Press, 2011, p.3 3. Ibid., p.7. 4. Ibid., p.3. 129 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

En revenant aux images d’Occident chez Satrapi dans Persepolis, le dessin que nous venons de discuter est une image perçue par un enfant. L’enfant Marji perçoit l’Occident comme un lieu de délice. Pendant leur voyage la narratrice évoque les représentations stéréotypées de l’Occident parce que l’Iran devient de plus en plus régressif. L’Occident, à ce moment-là, se produit comme un espace où ils sont libres en sorte que l’Occident se trouve « exotisé ». Les dictionnaires définissent l’exotique à quelque chose qui provient du pays lointain. Le manque d’une ambiance libre attire Marji vers l’Occident. Une liberté qu’elle n’aura plus en Iran. De plus, le voyage pourrait être le premier de Marji à l’étranger. Elle aurait simplement pu être frappée par la nouveauté de son environnement. Toutefois, l’Occident ne captivera pas Marji pour assez longtemps. Lorsque Marji se retrouvera en Autriche cette fois la nouveauté se métamorphosera en étrangeté. La famille de Marji décide de l’envoyer à l’étranger pour terminer ses études scolaires après la situation politique d’Iran se détériore.

Voyage comme un moyen d’exil

La troisième forme du voyage que Marji connaît dans Persepolis est un déplacement imposé par les circonstances. Le régime fondamentaliste et la guerre Iran-Irak la force de sortir de son pays pour aller en Autriche et la mère de Marji dit à elle, « vu la situation, tu te porteras mieux ailleurs qu’ici. »5. Elle passera quatre ans dans ce pays et ce temps sera un moment décisif dans sa vie. Ce séjour turbulent est considéré tellement accablant qu’elle consacre un tome entier pour parler de ses expériences. Edward Saïd, dans son essai Reflections on Exile, détermine le sens d’exil comme « it is the unhealable rift forced between a human being and a native place, between the self and its true home : its essential sadness can never be surmounted »6. La fissure dont Saïd parle est bien visible chez Marji. Aux différents moments du troisième tome, elle évoque la nostalgie, le mal du pays, la dépression et la crise d’identité, tous surgissant de son exil à l’étranger. Cet exil est déclenché par la situation sociopolitique du pays. Cela nous amène à Edward Saïd encore une fois qui dépeint la dialectique entre un citoyen et sa patrie. Il écrit, Nationalism is an assertion of belonging in and to a place, a people, a heritage. It affirms the home created by a community of language, culture, and customs; and, by so doing, it fends off exile, fights to prevent its ravages. Indeed, the interplay between nationalism and exile is like Hegel’s dialectic of servant and master, opposites informing and constituting each other.7 Nous pouvons déduire des mots de Saïd, d’une certaine façon, que la patrie nous approprie et nous approprions la patrie. Cette relation est dialectique comme l’un constitue l’autre et cela était le cas avec Marji. Quand elle s’exile, Marji ne tient pas compte ce qui se passe avec elle. Elle n’arrive pas à comprendre pourquoi elle a besoin de s’éloigner de son pays. Pour exactement cette raison, nous sommes fournis avec une narratrice plus âgée alors

5. SATRAPI Marjane, Perspolis, Tome 3, Paris, L’Association, 2002, chapitre « la dot » 6. SAID Edward, “Reflections on Exile”,Reflections on Exile and other essays, London, Granta Books, 2001, p.137 7. Ibid., p.139

130 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 plus sage qui tente de fouiller le passé avec un certain recul. La narratrice comprend non seulement cette phase troublante de sa vie à travers le récit mais aussi sa vie à travers cette phase troublante. Elle nous explique que le gouvernement iranien devenait de plus en plus conservatif et met les citoyens en détresse qui a déclenché la rupture avec sa partie pour Marji. Le conservatisme d’Iran a forcé Marji à considérer une vie en Europe et s’aligner avec des européens. Saïd indique l’importance d’intégration pour les exilés avec une culture plus en ordre et plus « établie ». C’est pourquoi Marji s’accroche à un pays restauré comme Autriche. Cette tentative est issue d’une crise identitaire qui est née d’une perte profonde de sa patrie et de ses racines. Cette condition de dichotomie est projetée dans un moment dans le livre. Marji exige un soutien moral en Autriche à un tel point qu’elle ne s’effarouche pas à se faire passer comme une française. Pour s’intégrer dans une culture étrangère, elle imite ses amis européens pour qu’ils l’acceptent. En outre, à cette époque, l’Iran était très mal vu qui empêchait Marji à révéler son identité à tout le monde. Elle vit une sorte de double vie. La narratrice dit « plus je faisais des efforts d’intégration et plus j’avais l’impression de m’éloigner de ma culture, de trahir mes parents et mes origines, de me laisser prendre dans un jeu qui n’était pas le mien (…) Il était plus facile de mentir que de l’assumer. »8

Persepolis, Tome 3, chapitre « le légume »

Pour fraterniser avec la protagoniste et ses expériences, il faut préciser que Marji était adolescente pendant son séjour en Autriche. Elle débrouille seule sa puberté dans une terre inaccoutumée. Par conséquent, elle était trois fois psychologiquement vulnérable. C’est tout à fait compréhensible qu’elle va en extrémité pour trouver une compagne. Le sentiment de la culpabilité l’envahit. Elle se sent mal qu’elle a échappé la guerre et pourrait vivre en paix. Cependant, elle pense qu’elle ne mérite pas la chance que les autres n’ont pas. De plus, elle s’occidentalise contre sa propre volonté. Ce désaccord entre la raison et le cœur la rend schizophrénique. Cela affectera Marji tellement qu’elle quittera sa pension. Elle sera sans abri pour presque deux mois et survit dans les rues d’Autriche. La narratrice est embarrassée de ce période de sa vie qu’elle décide de rentrer chez elle à l’âge de dix- huit ans.

8. SATRAPI Marjane, Persepolis, Tome 3, Paris, L’Association, 2003, chapitre « le légume »

131 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Le voyage et la migration

Après avoir vécu en Autriche pour quatre ans, la protagoniste rentre chez elle. Elle ne pouvait plus supporter sa solitude. En Iran elle fait face aux ravages de la guerre qu’elle échappait. Au lieu de diminuer, le sens de la culpabilité augmente chez Marji. Elle se déprime plus. Elle passe quelques ans en Iran. Elle tente de reconstruire sa vie : elle étudie, elle se marie, elle travaille et elle commence à s’intégrer dans la société. Ces tentatives de reconstruction ne durent pas longtemps parce qu’elle se rend compte que la liberté compte la plus pour elle. Après une longue lutte personnelle, Marji se convainc de partir pour toujours de son pays et de ne jamais revenir. Elle décide d’étudier en France. Elle comprend que cette lutte ne réussira pas. Par conséquent, pour réussir sa vie, elle décide d’émigrer.

Persepolis, Tome 4, chapitre « la fin » Ici, la théorie culturale de Homi Bhabha, un philosophe américain, nous aidera à expliquer la situation de Marji. Bhabha, dans The Location of Culture, analyse le thème du sentiment d’entre deux cultures ou d’« inbetweenness » (entre les deux) et dit que les expatriés vivent dans un espace liminal.9 Ils se sentent toujours d’être entre les deux cultures, et en même temps, se sentent éloignés des deux sociétés. Ils existent dans un espace intervenante entre les deux cultures. Marji se trouve aussi dans une condition pareille. Pour elle, l’aéroport sert comme un espace liminal. Dans Persepolis l’aéroport se comporte comme le lieu liminal. L’aéroport symbolise un espace où elle n’appartient pas. L’aéroport glorifie sa marginalisation. Bhabha précise que le mouvement temporal et spatial qu’un aéroport fournit, empêche la polarisation des identités. Ce passage ouvre les possibilités d’une hybridité culturelle qui adopte et accepte les différences sans les hiérarchiser. Marji comprend cette disposition et finalement elle saisit qu’elle n’a pas besoin de s’intégrer. Elle pourrait exister dans les marges et elle choisit de rester dans les marges. Notre protagoniste de Persepolis se trouve à un carrefour dans plusieurs moments de sa vie et chaque fois, un déplacement la remonte à une position plus ou moins stable. Autrement dit, l’instabilité que le voyage pourvoit, est, d’une certaine façon, stabilisant pour Marji. Cet état précaire se manifeste dans les voyages politiques de Marji : l’exil et la migration. D’un part, l’exil que nous avons déjà discuté est un déplacement forcé pris par la politique d’un pays. D’autre part, la migration est un choix exercé par le citoyen sans une intervention directe du pays. Après avoir lu Persepolis, nous constatons que l’exil permet de croire au retour à son pays. L’exil porte toujours un espoir de retour. Marji croyait tout au long de 9. BHABHA Homi, « Introduction », The Location of Culture, London, Routledge, 1994, p.2 132 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 son séjour en Autriche qu’elle peut rentrer chez elle à n’importe quel moment donné. Au contraire, la migration est un voyage qui est issue d’une déception. Marji estime que la migration est sa décision conclusive. Du point de vue sociologique, l’exil se caractérise comme un voyage plus héroïque. Le retour chez eux est possible et plausible. Le retour vous rend digne même si vos expériences sont abjectes, comme dans le cas de Marji. Par conséquent, quand Marji émigre, elle n’a pas un retour. La narratrice quitte son pays, sa famille et ses amis. Elle déclare à la fin du quatrième tome que la liberté a toujours un prix. Pour sa liberté Marji exerce son choix. L’exil et la migration apportent ce changement dans la protagoniste qu’elle peut raisonnablement décider pour elle-même. Aussi, nous voyons une transformation au niveau psychologique et émotionnel chez Marji. Finalement, après ses vécus, Marji est en mesure d’accepter son identité, grâce aux expériences des voyages. Elle assume son instabilité et sa marginalité et les absorber comme une partie intégrale de son identité. Elle se transforme d’une fille à la recherche de son identité à une femme à la recherche de sa liberté et cette transformation est manœuvrée par le voyage qui est rendu Persepolis possible pour la narratrice.

Bibliographie

Sources primaires : 1. SATRAPI Marjane, Persepolis, Tome 1, Paris, L’Association, 2000. 2. SATRAPI Marjane, Persepolis, Tome 2, Paris, L’Association, 2001. 3. SATRAPI Marjane, Persepolis, Tome 3, Paris, L’Association, 2002. 4. SATRAPI Marjane, Persepolis, Tome 4, Paris, L’Association, 2003. Sources secondaires : 1. BROCK Jennifer, « Chapter Twelve: “One should never forget”: the tangling of memory and history in Persepolis », Graphic History: Essays on Graphic Novels and/as History, Cambridge, Cambridge Scholar Publishing, 2012. 2. BHABHA Homi, The Location of Culture, London, Routledge, 1994, p.2. 3. DAVIS G. Rocio, A GRAPHIC SELF: Comics as autobiography in Marjane Satrapi’s Persepolis, London, Routledge, 2005. 4. HEER Jeet et WORCHESTER Kent (editeurs), A Comics Study Reader, Mississippi, University Press of Mississippi, 2009. 5. LESERVOT Typhaine, “Occidentalism: Rewriting the West in Marjane Satrapi’s Persepolis”, Nebraska, University of Nebraska Press, 2011. 6. MALEK Amy, Memoir as Iranian Exile Cultural Production: A Case Study of Marjane Satrapi’s “Persepolis” Series, Iranian Studies, Vol.39, No.3 (Sep., 2006), Taylor & Francis Ltd, 2006. 7. O’MALLEY Andrew et NAGHIBI Nima, Estranging the Familiar: “East” and “West” in Satrapi’s Persepolis, Association of Canadian College and University Teachers of English, 2005. 8. SAID Edward, “Reflections on Exile”, Reflections on Exile and other essays, London, Granta Books, 2001. 9. WHITLOCK Gillian, Autographics: Seeing “I” of the Comics, Maryland, John University Press, 2006.

133 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 L’expérience de l’Autre dans l’Usage du Monde de Nicolas Bouvier

Akhailiu Rimai

Résumé

Le goût pour l’Orient existait depuis le Moyen Âge qui a vu son apogée pendant la Renaissance avec les explorations européennes. Les Croisades ont également suscité l’intérêt envers le monde oriental dans le monde occidental. Cependant, l’orientalisme en tant que mouvement littéraire et artistique a commencé au XIXe siècle en Occident. Dans une étude orientale, l’Orient devient l’objet qui ensuite rendre l’Occident le sujet. L’exploration commerciale et coloniale a facilité les Occidentaux à étancher la soif orientale. Ainsi, dans les études orientales, nous trouvons l’Occident dans le centre ; les théories sur l’Orient sont développées dans le monde occidental. Cependant, malgré les généralisations et les observations stéréotypées, il y a aussi un nouveau regard sur l’Orient de la part des Européens à la suite de leurs voyages. Cette constatation nous mène à une question : Qui est l’Autre ? Dans les études postcoloniales, il s’agit de la compréhension profonde de la figure de l’Autre afin de définir le Moi. Dans cet article, nous nous intéressons à l’expérience de l’Autre dans une étude orientale à travers le récit de voyage de Nicolas Bouvier - L’Usage du Monde. Nous traiterons la rencontre et l’expérience de l’Autre chez Bouvier vis-à-vis les théories proposées par Edward Saïd. Mots-clés : orientalisme, étude postcoloniale, orient, occident, récit de voyage, portrait de l’Autre, moi. (...) Out of this comes a restricted number of typical encapsulations: the journey, the history, the fable, the stereotype, the polemical confrontation. These are the lenses through which the Orient is experienced, and they shape the language, perception, and form of encounter between East and West.” – Edward Said, Orientalism. Le goût pour l’Orient existait depuis le Moyen Âge qui a vu son apogée pendant la Renaissance avec les explorations européennes. Les Croisades ont également suscité l’intérêt envers le monde oriental dans le monde occidental. Cependant, l’orientalisme en tant que mouvement littéraire et artistique a commencé au XIXe siècle en Occident. Nous allons étudier l’expérience de l’Autre dans une étude orientale à travers le récit de Nicolas Bouvier dans son récit de voyage, L’Usage du Monde. En premier lieu, nous allons voir le portrait de l’Autre selon des diverses écoles d’études. Puis, nous allons jeter un coup d’œil sur L’Usage du monde et également sur la vie de Nicolas Bouvier. Ensuite, nous traiterons la rencontre et l’expérience de l’Autre chez Bouvier vis-à-vis les théories proposées par Edward Saïd. Qui est l’Autre ? Selon les sociologues, l’Autre ou l’Autrui signifie une personne qui n’est pas le Moi et il désigne un autre que Moi. Mais selon les études postcoloniales, l’Autre est un subalterne qui est inférieur et qui n’a pas de peau blanche. Depuis l’Antiquité jusqu’à la

134 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 période actuelle dite la société postmoderne, l’Autre et le Moi vont en parallèle pour qu’ils puissent nourrir l’un et l’autre. De même manière, dans les études postcoloniales, il s’agit de la compréhension profonde de la figure de l’Autre afin de définir le Moi. Dans une étude postcoloniale, nous rencontrons les voix des auteurs des pays différents. La plupart du temps, ce sont des peuples d’origine des pays qui ont été colonisés auparavant par des pays occidentaux. Pour citer quelques noms importants, Edward Saïd, V.S. Naipaul, Frantz Fanon, Gayatri Chakravorty Spivak, Nissim Ezekiel et Leela Gandhi sont les auteurs et les penseurs connus dans ce domaine d’étude. Si nous examinons leurs vies et leurs études, nous nous rendons compte que la plupart de ces auteurs ont effectué leurs études et ils sont installés dans des pays occidentaux comme les Etats-Unis et les pays Européens. Ainsi, nous comprenons que la plupart de la théorisation dans les études postcoloniales est un résultat d’un système d’éducation oriental. En ce qui concerne les généralisations, les stéréotypes et les jugements qui apparaissent dans les œuvres postcoloniales, d’un côté, nous devons les comprendre en tant que tentative de démontrer l’état actuel de ce qui s’est passé à cette époque là ; de l’autre côté, ceci est un témoignage de la soumission et de l’assujettissement pendant et après les périodes coloniales des Orientaux. Dans ce genre d’étude, l’Orient devient l’objet qui ensuite rendre l’Occident le sujet. Avec son harem fantasmé et le rêve d’ailleurs, l’Orient est un objet de fantasme et d’exotisme chez les Occidentaux depuis la période médiévale. L’exploration commerciale et coloniale a facilité les Occidentaux à étancher la soif orientale. Cet objet, qui est inférieur, qui est un étranger et qui n’a pas de peau blanche devient un sujet d’étude chez les Orientalistes. Selon Spivak, même les études orientales sont des tentatives à conserver l’Occident en tant que Sujet. Ainsi, dans les études orientales, nous allons trouver, ironiquement, l’Occident dans le centre ; les théories sur l’Orient sont développées dans le monde occidental ; l’Orient reste l’objet d’étude même dans le mouvement d’Orientalisme. Compte tenu de ce fait, l’Occident a toujours possédé un regard d’infériorité envers l’Orient. Donc, dans les récits de voyage en ce qui concerne le monde oriental, nous allons trouver que pour un œil occidental, l’Orient s’occupe toujours une place inférieure ; l’Orient et ses peuples sont des objets de simplicité et ceux de bizarrerie. Cependant, malgré les généralisations et les observations stéréotypées, il y a aussi un nouveau regard sur l’Orient de la part des Européens à la suite de leurs voyages. Cette constatation nous mène à une question qui en même temps, constitue notre problématique – Est-ce que l’Autre est un inférieur qui ne peut pas parler pour lui-même ; qui a besoin d’être représenté ? Nous tenterons de répondre à cette question en étudiant L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier. Nicolas Bouvier est un personnage qui a effectué des plusieurs voyages autour du monde dont il raconte l’histoire de ses rencontres avec l’étrangeté dans ses livres. L’Usage du Monde paru en 1963, est considéré comme un chef d’œuvre dans le domaine de la littérature de voyage ; en fait c’est une œuvre qui a redéfini la littérature de voyage au XXe siècle. Bouvier est né le 6 mars, 1929 à Grand Lancy, Suisse. Bouvier, en tant que fils d’un bibliothécaire, a grandi dans un milieu littéraire. Ses lectures et ses étés dans le château des Coisins qui a été loué par son grand-père a contribué envers son amour pour le voyage, le paysage et l’étrangeté. En fait, il a fait son premier voyage en solitaire à l’âge de dix-sept ans en Bourgogne. Bouvier était écrivain, photographe, iconographe et voyageur. L’Usage du Monde (1963), Chronique Japonaise (1975) et Le poisson-scorpion (1982) sont ses

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œuvres principales bien connues dans la littérature de voyage. Il est mort le 17 février 1998 à cause du cancer à Genève, Suisse. Dans son récit de voyage, L’Usage du Monde, Bouvier nous raconte son trajet qu’il a effectué avec son ami Thierry Vernet de la Yougoslavie à l’Afghanistan dans une Fiat Topolino entre juin 1953 et décembre 1954. Ils ont pris la route de Belgrade et ils ont continué jusqu’à l’Afghanistan. Ce récit de voyage est un compte rendu d’un jeune homme de 24 ans qui cherchait à découvrir la partie du monde qui était inconnu pour lui. Pour gagner leur vie pendant leur voyage, Verdet vendait ses peintures et Bouvier, il écrivait des articles pour les journaux, faisait des projets d’interprétations, faisait des conférences et donnait des cours de français. Au fil de leur voyage, ils découvraient l’Orient à nouveau à travers leur art, leur musique, leur goût culinaire, leurs mœurs et leur coutume. A l’aide des diverses formes de l’art comme l’écriture, la photographie, la peinture et la musique, les deux amis ont eu un voyage qui était enrichissant non seulement pour eux-mêmes mais qui est une contribution majeure pour les Occidentaux et aussi pour les Orientaux en ce qui concerne les études de l’Orient. C’était un voyage d’exploration chargé des rêveries et des fantasmes. De la part de l’auteur, c’était une observation minutieuse sur la vie et les cultures des peuples des régions différentes. La lecture de ce récit de voyage nous révèle que petit-à-petit, les deux voyageurs ont perdu leurs premières impressions qu’ils ont eu de l’Orient avant leur voyage. Il dit : « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » (Bouvier 1963 : 12) En observant les phrases ci-dessus, nous constatons que pour les deux amis, le voyage qu’ils ont effectué leur donnait la possibilité non seulement à découvrir les pays étrangers mais plus important, ils ont eu l’occasion de briser des généralisations et des impressions stéréotypés de l’Orient. Donc, dans la partie qui suit, nous allons étudier en détail la rencontre de l’Autre comme raconté par Bouvier dans l’Usage de Monde. Egalement, nous allons traiter quelques thèmes qui sont attribués typiquement aux images de l’Orient que nous trouvons dans ce récit de voyage. Dans son œuvre Orientalisme, Saïd affirme que l’idée de l’Occident est celle qui démarque les Européens en tant que « nous » de « les Autres » qui sont non-Européens. Pour les raisons politiques et culturelles, l’Autre, c’est-à-dire, l’Orient est et était toujours un objet d’intérêt pour l’Occident. L’étude des peuples, de la culture et aussi l’intérêt que porte l’Occident sur l’Orient mènent vers la création de l’Orient. L’Orient est « orientalisé » comme une suite de sa relation avec l’Occident. En juxtaposant l’Orient contre l’Occident, il existe une relation du pouvoir, de la dominance et de l’hégémonie. « The Orient was Orientalized not only because it was discovered to be ‘Oriental’ in all those ways considered commonplace by an average nineteenth-century European, but also because it could be – that is, submitted to being – made Oriental. » (Saïd 1978 : 5&6) Dans un tel cadre d’étude, nous constatons un groupe qui parle pour l’autre groupe ; l’Orient est représenté par la l’Occident. Prenant le cas de Kuchuk Hanem de Flaubert, elle est une femme qui ne parle pas pour elle-même ; elle ne parle jamais de sa présence, ni de son histoire. C’est Flaubert, un blanc et Européen, qui parle pour cette femme orientale qui ne peut pas parler pour elle-même ; il parle de cette femme qui est « typiquement 136 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 orientale ». Une relation de tel genre entre un homme européen et une femme orientale devient une métaphore de la relation qui existe entre l’Occident et l’Orient. « It fairly stands for the pattern of relative strength between East and West, and the discourse about the Orient that is enabled. » (Saïd 1978 : 6) Pour un Occidental, d’un côté, un Oriental est une personne « irrational, depraved (fallen), childlike, « différent » ; de l’autre côté, lui, il est « rational, virtous, mature, « normal ». Les adjectives que nous utilisons ici sont des contraires. Pour un homme avec une peau blanche, quand il rencontre un homme qui n’a pas de peau blanche, il devient immédiatement un être qui est différent ; qui n’est pas ‘normal’ comme lui et qui n’a pas de capacité de penser comme lui parce qu’eux, ils pensent dans les manières différentes. Et puisqu’il est « supérieur », c’est lui qui a raison, c’est lui qui est normal ; l’autre devient un Autre qui est incapable de se représenter. Suite aux études ci-dessus, nous observons que dans une étude orientale, l’Orient est mis à l’écart et c’est l’Occident qui se trouve au centre. Comme évoqué déjà, pour un homme blanc, un homme qui n’a pas de peau blanche est l’Autre, l’étranger et qui est différent. Cependant, dans la même manière, aux yeux de l’homme qui n’est pas blanc, un homme blanc est l’Autre, l’étranger et qui est différent. Ainsi, il existe des plusieurs œuvres de littérature de voyage qui contribuent envers l’Orientalisme et ils sont considérées comme une tentative qui a pour but la compréhension et l’interprétation du monde oriental. Dans notre corpus d’étude L’Usage du monde, pendant leur trajet dans les pays orientaux, les deux hommes blancs rencontrent toutes formes de bizarreries. Bien sûr, nous pouvons voir les généralisations et les stéréotypes de l’Orient dans cette œuvre. Dans la partie qui suit, nous allons essayer de décortiquer ce rencontre de l’Orient chez Bouvier. L’Orient, jusqu’aujourd’hui, il est connu pour son odeur, son bruit et sa chaleur. Dès la première partie de ce récit de voyage, nous remarquons que l’auteur évoque déjà ces éléments. Il dit : « Une odeur de térébenthine et de poussière prenait à la gorge. La chaleur était étouffante. Un renflement puissant s’échappait des portes entrouvertes et résonnait sur le palier. » (Bouvier 1963 : 16) L’Europe, comme elle a un climat doux et froid et qui a moins de gens, l’Orient est la manifestation de la foule, la cohue et la chaleur. Ainsi, pour les Européens, les premières impressions quand ils viennent aux pays orientaux sont l’odeur, le bruit et la chaleur. En fait, même en Inde, nous avons entendu des anecdotes où les étrangers demandent « Where is the smell ? » ou bien « Où est la foule ? » ; ils sont, la plupart de temps, les premières questions qu’ils posent quand ils arrivent en Inde. En parlant de l’Inde, pour les étrangers, l’Inde avec ses villes cosmopolites, ses gratte-ciels, les femmes et hommes bien habillés, et les gens riches ne sont pas des « vrais » images de l’Inde. Aux yeux des Européens et les autres pays avancés, ils voient l’Inde, ou bien ils veulent voir l’Inde où il y a des gens partout, où il fait vraiment chaud dont les peuples n’ont pas les moyens d’installer le climatiseur dans leurs maisons. Certes, c’est une interprétation dans un point de vue limité mais nous ne pouvons pas nier que les impressions qui sont formées dans le XXe siècle n’ont pas vues beaucoup de changements même dans le XXIe siècle, une période qu’on dit la période postmoderne.

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L’Orient, en même temps, est connu pour la générosité. Les deux amis, à Belgrade, rencontrent des gens qui sont pour eux, les « Autres ». Dans ce rencontre, l’auteur observe que les gens du pays ne sont pas vraiment raffinés en termes de leur connaissance sur la littérature même s’ils possèdent quelques idées sur le sujet. Il dit : « Présentations, courbettes, phrases de bienvenue dans un français désuet et charmant, conversations avec ces vieux bourgeois férus de littérature, qui tuaient leur temps à relire Balzac ou Zola, et pour qui J’accuse était encore le dernier scandale du Paris littéraire. » (Bouvier 1963 : 22) Pour eux, Belgrade est un « mystère ». Cependant, dans leur rencontre avec les peuples d’un pays étranger, les deux amis deviennent les étrangers à leurs yeux. Ils ont également des impressions sur les deux jeunes Autres. Il nous témoigne : « Au point du jour, nous nous sommes retrouvés à la sortie de la ville avec quantité d’inconnus qui nous connaissaient – c’est ça « être étranger. » (Bouvier 1963 : 60) Les deux voyageurs sont des « objets » d’intérêt chez les locaux parce qu’ils n’ont pas la même couleur de la peau comme eux, ils parlent une langue différente et en somme, parce qu’ils sont des étrangers. Ils sont, pour eux, une curiosité. Ils rencontrent des incidents bizarres et drôles, par exemple, l’auteur dit : « Un autre matin que j’étais accroupi dans le jardin municipal en train de photographier la mosquée (. . .) quelque chose de chaud, de rugueux, sentant l’étable, se pousse contre ma tête. J’ai pensé à un âne – il y en beaucoup ici (. . .) et j’ai tranquillement pris ma photo. Mais c’était un vieux paysan venu sur la pointe des pieds coller sa joue contre la mienne pour faire rire quelques copains de soixante-dix-quatre-vingt ans. » (Bouvier 1963 : 69) Donc, nous observons qu’entre les deux amis français qui viennent de l’Occident et les locaux du monde de l’Orient, quand ils se rencontrent, la curiosité et l’impression qu’ils ont envers l’un et l’autre sont plus ou moins la même, c’est-à-dire, les deux sont les étrangers aux yeux de chacun. Dans telle situation, qui est l’Autre ? Dans ce récit de voyage de Nicolas Bouvier, nous trouvons que l’image de l’homme de l’Orient comme construite dans les études orientales est détruite – à la fin du livre, nous nous rendons compte que les images stéréotypées des Orientaux n’existent plus. Pendant le trajet qu’il a effectué, l’auteur réalise que les Occidentaux sont également bizarres ainsi que les Orientaux ou vice-versa. En même temps, tous les Orientaux ne sont pas les mêmes. Chaque pays a des communautés différentes avec les mœurs uniques et différentes. De la même manière, tous les Occidents ne sont pas homogènes. Il constate que : « Quant aux Américains, (. . .). Ils vivaient en marge à leur ordinaire, apprenait le pays dans les livres, circulaient peu et buvaient leur eau bouillie, crainte de virus et de maladies (...) ». (Bouvier 1963 : 316) Selon lui, les Américains sont également des étrangers, des Autres qui ne sont pas comme lui, qui ne sont pas comme les Français. Ainsi, nous observons que soit les Occidents, soit les Orientaux, il n’y a pas de caractères communs et homogènes par lesquelles ils peuvent être définis. Chaque pays a des traits distinctifs – soit un pays oriental, soit un pays occidental. Le statut d’infériorité attribué aux Orientaux dans les études orientales est une suite d’une interprétation généralisée. En même temps, cela peut être un point de vue erroné pour les raisons qu’il n’y a pas d’uniformité dans l’objectif chez les auteurs.

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L’Usage du monde de Nicholas Bouvier est une œuvre qui met en lumière les façades différentes dans le portrait de l’Autre. Dans le cadre de l’étude postcoloniale, comme déjà mentionné, un Autre est une personne qui est différente du Moi, du Nous. Les caractères et les traits d’un Autre deviennent une base pour une définition du portrait d’un homme oriental. Certes, il y a une différence entre un Oriental et un Occidental. L’un est un Autre chez chacun mais dans cette œuvre, un Oriental cesse d’être un subalterne. L’élément de l’infériorité, de la soumission et celui de l’assujettissement n’existent plus. La lecture de cette œuvre est également une tentative de regarder la prise en position de l’auteur en ce qui concerne son regard envers les pays orientaux. Son voyage dans les pays orientaux était une aventure révélatrice qui le bénéficie avec la compréhension et la rencontre personnelle avec le monde oriental. Dans cet article, nous avons étudié le récit de voyage de Nicolas Bouvier qui nous a donné un aspect différent à étudier l’Orientalisme et ses constituants. Dans une étude postcoloniale où les peuples qui ont été colonisés, qui ont été représentés se trouvent au centre, nous trouvons qu’ils n’ont plus besoin d’être représentés et qu’ils peuvent, maintenant, parler pour eux-mêmes. De la même manière, les Orientaux ne doivent plus être subjugués aux interprétations et aux représentations construites selon les études qui datent du XXe siècle. Pour conclure, suivant un tel récit de voyage, nous pourrions dire que la littérature de voyage a l’objet non seulement de nous raconter les histoires d’un voyage ; mais, elle a l’objectif de nous éduquer et de briser les stéréotypes et les généralisations, qui ensuite, contribue à enrichir la compréhension de ce que nous appelons l’Autre pour les avantages littéraires, culturelles et politiques.

Bibliographie

Source primaire : 1. BOUVIER, Nicolas, L’Usage du Monde, Lausanne, Payot, 1963. Source secondaire :

1. BOURDIEU, Pierre, Le Sens Pratique, Paris, Les Editions de Minuit, 1980.

2. SAID, Edward, Orientalism, UK, Routledge & Kegan Paul Ltd, 1978. Sitographie: 1. https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2007-1-page-155.htm 2. https://www.thenation.com/article/islam-through-western-eyes/ 3. https://scholarblogs.emory.edu/postcolonialstudies/ 4. https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-133.htm 5. http://abahlali.org/files/Can_the_subaltern_speak.pdf 6. https://www.etudes-litteraires.com/forum/topic46655-bouvier-lusage-du-monde-dans-lempire- des-steppes-de-grousset.html 7. http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2008/06/lusage-du-monde-nicolas-bouvier.html

139 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Double Voyage Dans Les Textes Migrants Du Québec

Priti Tripathi

Résumé

Le voyage n’est que le déplacement géographique, c’est aussi l’acte de tracer de nouvelles pistes, d’apprendre à franchir notre limite de vision extérieur et intérieur. Dans la littérature prolifique que constituent les relations de voyage, nous portons particulièrement notre intérêt sur la littérature migrante du Canada et du Québec. Cette communication vise à examiner donc, comment la littérature migrante fait un double voyage : le voyage réel dans une contrée lointaine et le voyage d’intérieur pour découvrir l’autre et le soi. Il s’agit d’analyse des récits multiforme et hybride dans un contexte socioculturel circonscrit, projetée par le/la narrateur/narratrice en fonction de ses appartenances culturelles et sociales. Nous examinerons comment ses récits deviennent les représentations de soi et l’autre. Ils s’avèrent un lieu d’observation, de l’expression des perceptions de l’autre et donc de soi et un moyen de se découvrir. Mots-clés : Littérature migrante, double voyage, l’autre, hybridité, culture. L’homme de tout temps a toujours été mû par le désir de découvrir d’autres contrées, d’autres hommes et de témoigner de ce qu’il a vu. Cependant, la façon de voyager se métamorphose aujourd’hui. Le monde est en voie de transformation rapide dont la pluralité de la culture constitue une partie très importante. Cette pluralité est aussi, entre autres, l’issu de grands déplacements de population pour des raisons différentes. Notons que les raisons de migration sont différentes, mais que soit l’exile, la quête de refuge à cause de la guerre, l’expatriation ou l’émigration, les effets de ce déplacement se manifeste dans tous les aspects de la société. Donc, dans le XXème siècle de la modernisation et de la mondialisation, la migration est un phénomène important qui joue un rôle dans l’évolution culturelle du monde y compris la littérature. Le Québec est un des premiers pays des migrants qui a contribué à façonner l’identité et la culture de ce pays. La migration a bouleversé les modes de pensée et les notions des plusieurs concepts comme la nation et l’identité. Il y a eu un surgissement de la migration au Québec dans les années 80 qui est apparu notamment en littérature. Un nouveau courant littéraire est né qui a été appelé au début immigrante et puis migrante, métissé, plurielle et maintenant « écritures migrantes ». Il s’agit des textes fictifs écrits par des émigrants qui relatent l’expérience de leur émigration et celle de leur vie dans le pays d’accueil. Je cite quelques exemples des écritures migrantes : La Quebecoite de Régine Robin, Le Pavillon des Miroirs de Sergio Kokis, Le Bonheur a la Queue Glissante d’Abla Farhoud, Le Livre d’Emma de Marie Célie Agnant, La Mémoire Ensanglantée de Stanley Péan, La Rose des sables de Nadia Ghalem, Les Fruits Arraches de Naim Kattan, Lettres Chinoises de Ying Chen, Kimchi d’Ook Chung et bien d’autres. L’appellation de l’écriture migrante était toujours remise en question mais il va sans dire qu’aujourd’hui, elles font une partie intégrale de la littérature québécoise. Selon Moisan et Hildebrand (p.17, 2001), les écritures migrantes sont transculturel qui se définit comme « le transculturel, […], est la traversée de cultures en présence, les deux à la fois, une altérité culturelle vécue dans et à travers 140 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 l’autre ». Comme explique Pierre Nepveu (1989), ce sont des écritures par lesquelles les auteurs venus d’ailleurs racontent leur propre expérience, leur culture d’origine et révèlent leur perception du monde qui les a accueillis à travers ces multiples croisements qu’engendre leur expérience de l’exil. Nous nous penchons sur l’élément de voyage qui est indissociable de la migration. Comment ce mot ‘voyage’ suscite non seulement un changement mais un déplacement, une migration, un mouvement d’un endroit à l’autre ? Comment le voyage réel se transforme en voyage d’intérieur nourri par les expériences du présent et du passé et par les rêves et les souvenirs ainsi que les regrets et les espérances ? Cependant, l’expérience du déplacement lors de la migration s’enveloppe les sentiments d’aliénation, d’exil et de dépaysement au niveau de la langue et de la culture. Un/une immigrant(e) se voit comme étranger(e) et cette crise d’identité et la mélancolie mènent à la création d’un personnage. Cet amalgame des sentiments et les conséquences de la migration donnent naissances aux récits qui donnent la voix aux personnes qui se perçoivent comme autres dans le pays d’accueil. Comme les récits de voyage, ces récits offrent aussi des entrées diversifiées sur les regards et les jugements portés sur l’autre, sur les croyances religieuses, les convictions politiques, les courants philosophiques, les idéologies et sur les conditions de la production sociale de ce rapport a l’altérité à travers les sociétés dans le temps et l’espace donnés. Les récits migrants réfèrent aux déplacements géographiques et aux déplacements émotionnels et culturels. Ils transmettent des émotions, des angoisses, une façon d’appréhender la réalité, la crise d’identité, la déterritorialisation ainsi que l’assimilation, la marginalisation et le pluralisme culturel(le). Donc, il y a un double voyage dans les textes migrants. Cet article examine le voyage réel lors de la migration du pays natal vers un autre pays plus grand et puis le retour et le voyage d’intérieur ou le/la ‘voyageur/-euse’ se déplace dans la tète et l’âme qui mène à la renaissance de soi et de sa relation au monde et aux autres.

Voyage réel dans les récits migrants

Il est évident que la nature d’un texte migrant dépend des raisons de l’émigration d’un(e) auteur(e). Cela dépend aussi de l’âge de l’auteur, son passé et les conditions de vie dans le pays d’accueil. La topographie et le portrait marquent des textes migrants comme les récits de voyage. L’élément de voyage est fortement présent dans ces textes ainsi que la narration autobiographique qui oscille entre le présent et le passé. C’est un genre polymorphe et hybride. Les personnages sont caractérisés par plurilinguisme, la volonté d’adaptation et la curiosité. Nous examinerons d’abord le voyage réel dans les textes migrants, qui structurent les récits et obligent la/les protagoniste(s) à construire l’identité des personnages ainsi que dessiner une vision du monde. Le discours du voyageur reconstruit le monde dont il/elle parle et il/elle le voit à travers le prisme de sa culture et de ses connaissances qui peuvent différer au cours du temps. Nous prenons l’exemple du roman de l’auteure migrante du Québec de l’origine Libanaise, Abla Farhoud, Le Bonheur a la queue glissante (LBQG)1. Dans ce roman, Dounia est une

1. FARHOUD, Abla, Le Bonheur a la Queue Glissante, Montréal : TYPO, 2010. Désormais, les références à ce roman seront indiqué par le sigle LBQG, suivies du place entre parenthèses dans le texte. 141 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 vieille femme qui raconte son histoire de l’immigration de sa famille libanaise au Canada, leur voyage du Liban a Montréal ensuite la tentative de retour vers les racines au Liban et puis finalement leur installation à Montréal à cause de la guerre au Liban. Ce roman parle de plusieurs problèmes comme l’exil de son pays, la langue, l’identité d’un immigrant, la double appartenance, la solitude, les idéologies, la condition sociale et la famille et surtout la femme, qui peuvent porter à réflexion. Tout d’abord, quand la famille de Dounia décide à partir de leur village pour la première fois pour Montréal, le protagoniste raconte son expérience et également de cinq enfants, qui étaient tous petits à cette époque. Cette description est très différente de leur voyage du retour au Liban. Le mari de Dounia était déjà à Montréal et il a convaincu sa femme de venir là bas avec les enfants toute seule. Dounia a subi aux insistances de son mari et au destin malgré les craints pour l’avenir qu’elle n’exprime jamais en mots. Son fils ainé, ignorant des conséquences de la migration, a récité un poème devant les villageois avant de partir qui leur a fait pleurer : [Ô ma lune…La séparation durera quelques jours, pensait-on. Pourtant que de mois et de nuits innombrables] (LBQG, p.51) Au contraire, la mère et le protagoniste Dounia, qui n’a pas vu du monde mais à une réflexion très profonde, pense plus proche à la réalité : [Partir pour toujours, partiren sachant qu’on ne reviendra pas…quel étrange sentiment...] (LBQG, p.52) Les mots se cachent les peurs et les incertitudes de l’avenir. La famille habite dans un petit village au Liban. Ils ont voyagé à travers les grandes villes du Liban comme Beyrouth avant de prendre le bateau pour Montréal pour la première fois. L’auteure décrit tout les petits éléments liés a ce voyage en détail, des modes de transport du dôs d’âne, de l’autocar, du bateau jusqu’au train à Montréal parce qu’elle montre la curiosité et la transition non seulement physique mais aussi mentale. Le voyage était une nouvelle expérience et cela à remonte à la surface le mouvement transversale du cœur d’une femme et sa transformation identitaire. Ce voyage étant excitant et difficile en même temps représente une vision du monde à travers la voix d’une femme. Elle était étonnée des grandes villes et elle a aperçu les différences entre les gens et les coutumes. Elle pensait que les grandes villes ne sont pas faites pour les enfants. Pour Dounia qui n’est jamais sortie de son petit village, tout étaient une découverte soit les villes, soit la façon de vivre, soit la rencontre avec le ‘monde’. Cependant elle se rend compte aussi la vérité et elle exprime sa peur dans un seul proverbe « Je savais ce qui m’attendait…ce que l’œil n’a pas vu, l’intelligence peut l’imaginer » (LBQG, p.55) ce qui résume la lutte dans son cœur. Mais malgré tout, les enfants, tous innocents et ignorant de la réalité s’amusent bien lors de ce voyage et c’est la seule chose qui soulage Dounia. La migration l’a appris plusieures choses et que « La vie, celle qui nous est donnée à vivre, est trop courte... et le monde est trop grande. » (LBQG, p.57) Le retour au Liban n’était pas le même. Dounia qui est venue au Canada en bateau avec cinq enfants, une quinzaine d’année après, elle est repartie en bateau avec quatre enfants grandis (un a resté avec le père au Canada). Ce n’était pas du tout le même voyage. Ses enfants étaient grands, savaient lire, écrire, parler deux ou trois langues, et ils avaient de l’argent. Comment pourraient-ils les même après quinze année dans un pays développé et après avoir grandis dans une culture et une société entièrement différente de leur pays des parents? La durée de ce voyage donne beaucoup de temps à Dounia à creuser sa vie passée et faire le pont entre le présent et le passé. En arrivant a Beyrouth au mois de juillet, ils

142 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 se sentent étouffés parce qu’ils n’avaient jamais vu tant de monde, entendu tant de bruit dans un espace si petit et si sale. Ses enfants voulaient repartir. Dounia se sent qu’elle a perdu une partie de soi même. Même qu’elle avait l’avantage de la langue et la vie sociale plus vif au Liban qu’elle n’a jamais eu à Montréal à cause des barrières de langue et la manque d’éducation, elle se sentait déjà différente voire étrangère au Liban. Elle est chez elle mais inconfortable, elle peut parler la langue mais elle se trouve marginalisée et elle ne trouve pas la paix dans les conversations entre les gens qui manquent parfois la clarté et la simplicité. Sauf le paysage, rien ne leur plait. Pour quoi ? Elle se demande si quinze ans de guerre suffisent à changer les mentalités ?, seule l’apparence comptait. Dans les récits migrants, le double dépaysement est très marqué. Ce mouvement de déterritorialisation se double d’un autre lorsque le personnage en exil revient au pays natal. L’auteure démontre la phase de confusion, d’errance liée à l’inconnu qu’elle (ré) explore par le biais de l’écriture. Par exemple, dans le roman, la phrase suivante porte une grande vérité qui est l’expérience pour presque tous les gens qui retournent chez eux en quête de la sérénité, du bonheur si éphémère et subjective et enfin se sentent encore plus dépaysé dans leur propre pays parce que beaucoup de temps a passé. C’est le jeu du destin et de l’identité. « Au Liban, on nous appelait, « les Américains » ; au Canada, les premières année, on nous appelait « les syriens » ; au village de mon mari, on m’appelait par le nom de mon village.. » (LBQG, p.105). La famille a eu mal à s’adapter à leur ‘nouvelle vie’, à leur ‘nouveau pays’. Il est encore plus difficile pour la deuxième génération de se retrouver. Chaque voyage sort une nouvelle personne de chez nous qui nous enrichi et transforme un peu la vision du monde. Donc, les récits migrants comme les récits de voyage ne sont pas seulement une narration d’expérience mais un ébranlement de l’espace géopolitique et identitaire, du prisme de la culture et les préjugés du pays d’origine et du pays d’adoption.

Voyage Intérieur dans les récits migrants

Il existe dans le concept de l’écriture migrante la dimension (auto)biographique et l’élément de voyage qui est lié à l’exil parce qu’aucun des personnages des auteur(e)s ne voyage pas pour des raisons touristiques. En même temps toute écriture migrante n‘est pas l’écriture d’exil. La nostalgie, l’attachement au pays natal et la déterritorialisation jouent un rôle considérable dans l’intrigue et le style des certain(e)s auteur(e)s, mais il y en a qui refusent cette nostalgie et s’identifient en fonction de la culture d’adoption comme Ying Chen qui s’aperçoit comme voyageuse. Elle explique « A présent je ne ressens aucun regret d’avoir quitté Shanghai. Ma vie d’autrefois devient un rêve évanescent. » Explique Ying Chen (2004, p.32). Cependant, le voyage intérieur réfère au mouvement d’esprit. Le voyage est pour l’auteur(e) l’occasion d’une découverte de soi-même. L’auteur(e) s’engage symboliquement avec la vérité de l’âme et les réalités qui gouvernent la vie. Donc, l’écriture de voyage intérieur dans la littérature migrante, comment décrire un cheminement intérieur ? Abla Farhoud constate dans un séminaire sur le thème D’Autres Rêves : Les écritures migrantes au Québec(2001), « Pour moi, chaque livre que j’écris est ma patrie pendant que je l’écris ; chaque mot est un pays que je découvre et s’il devient une phrase, s’il s’ajuste au sentiment que je veux nommer, à cette douleur innommable, il devient mon pays, le pays qui me sauve momentanément de la mort, de la non existence, de cette douleur 143 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 innommable. »... « Ecrire est une migration symbolique... Je parlerai toujours de cette solitude infinie qui est de se retrouver en terre étrangère à l’âge de six ans ». Donc, l’écriture constitue la seule véritable patrie pour les auteurs migrants. Le souvenir d’un pays d’origine éloigné provoque souvent une méditation profonde sur l’altérité (la leur autant que celle de la culture d’accueil). Le voyage ouvre à toutes formes possibles de cheminement intérieur. L’expérience de déplacement est l’aliénation de la langue ainsi que physique et c’est plutôt le déplacement métaphorique dans la tête du voyageur. C’est une forme de l’exil et ce déracinement est reflété dans la littérature. L’exil induit souvent une mélancolie et une déchirure qui ne peuvent pas être surmontées. Comme dit Lucie Lequin (2001, p.121), « L’exil oblige chacun a re-penser, en surface et en profondeur son identité, son ethnicité et sa culture d’origine parce qu’il y a dérangement des certitudes et rencontre avec une nouvelle culture et de nouvelles valeurs. » Par exemple, dans le roman d’Abla Farhoud, le mal de vivre du personnage principal et les difficultés sur le plan de la langue et de la culture du nouveau pays est très marque mais le texte plonge aussi dans la profondeur de l’âme. Le protagoniste, Dounia a tout le temps de prendre conscience de soi, de s’enrichir et de se transformer. « Je creuse et je creuse ce qui me reste dans le creux de ma mémoire, espérant trouver un jour la paix dans cette tête pleine de trous et de crevasses. » (LBQG, p.108) Il s’agit de long dialogue entre deux langues, deux mentalités, deux cultures et la découverte de soi avec l’Autre. Elle s’interroge et se raisonne sur son passe et sa contribution dans la vie en tant que mère et femme. Les perceptions et les jugements de valeurs s’évoluent au cours du temps et à travers l’espace parcouru. Au Québec, Dounia n’a aucune vie sociale a cause d’obstacle de la langue et de la culture. Donc, elle fait beaucoup d’introspection et elle essaie de comprendre sa vie passée si imparfaite et chercher la sérénité et bonheur dans les petites choses comme la cuisine qu’elle prépare avec ses mains pour ses enfants et petits-enfants. Malgré toutes les imperfections dans sa vie, elle en ressort une philosophie enrichissante pour elle-même et pour les lecteurs. « Je veux mourir la ou mes enfants sont heureux. » Ces mots de Dounia dévoilent la grandeur du cœur et l’intelligence de cette femme qui a décide de s’installer au Québec contre le dépaysement, la solitude, le froid et l’obstacle de la langue ainsi que les défis des incertitudes de la migration. Au contraire, dans un autre roman, le protagoniste veut retourner à son propre pays pour mourir. Enfin, c’est le choix personnel de construire l’identité de soi-même, accepter ou refuser tel ou tel appartenance. Ces romans sont les voix de plusieurs femmes comme elle qui mènent à la découverte de soi et l’autre (l’étranger dans la terre d’origine et l’étranger dans le pays d’accueil). En plus, quand la famille retourne au Liban a l’insistance du père, personne n‘arrive à s’adapter à la coutume de leur propre pays. « […] J’étais étonnée de me sentir si étrangère. » (LBQG, p.104), s’interroge Dounia. La question d’identité est un enjeu dans ces écritures. Selon Janet M. Paterson (2008, p.94), « Le personnage est ainsi véritablement dans un non lieu: il ne peut plus « vivre » dans les lieux de son passé puisqu’il en est coupé. Mais, il n’arrive pas non plus à s’ancrer dans son nouvel espace. L’autre aspect remarquable de ces œuvres est la polyphonie et la multiculturalité. Le roman comprend plusieurs proverbes que Dounia dit en arabe (parce qu’elle est in alphabétisée et ni connais français ni anglais) pour résumer ou répondre aux questions sur la vie. Simple néanmoins très profonde, les proverbes portent la sagesse de la vie. L’utilisation des multiples langues et la présence des multiples cultures et codes entremêlées avec des évènements sur les terres différentes 144 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 rendent le texte hybride, multiculturel et polyphonique. La féminité du protagoniste permet d’ouvrir les portes de réflexion sur les essences de vie et des aspects féministes également. Pour conclure, dans plusieurs œuvres migrantes, le voyage est une partie intrinsèque comme les sentiments de l’exil, la nostalgie, le dépaysement/le déracinement, la crise d’identité et l’aliénation de la culture et la langue (celui du pays d’origine ou du pays d’adoption). Voyager, c’est aller vers l’autre, accepter, acculturer. Ces œuvres remettent en question les paramètres de la sérénité, du bonheur si éphémère et du succès si relatif dans la vie. Les déplacements physiques mènent au déplacement mental pour une vision idéologique et pour la réflexion esthétiques à la question de l’identité et l’altérité dans l’ère de mondialisation. Le voyage est un moyen de découvrir sa véritable identité. « La sédentarité est la condition oblige d’une réflexion sur le mouvement et le déplacement », dit Simon Harel (2000, p.143). Les textes migrants hybrides dévoilent une philosophie enrichissante a travers des personnages et permettent le double voyage, le voyage réel et le voyage d’intérieur non seulement de l’Autre mais du soi et du nous.

Bibliographie

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145 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 L’Inde du Dix-Neuvième Siècle Revisitée sous la Plume d’Édouard de Warren

Poulami Paul

Résumé

Cet article se focalise sur le récit de voyage écrits par Édouard de Warren un voyageur français qui est venu en Inde pendant dix-neuvième siècle. Avant de parler de son récit de voyage, il faut définir le voyage. Tout d’abord il ne faut pas oublier que de voyager est de parcourir. Tous les types de voyage sont de différents types de parcours. Quand un voyageur sort de son propre endroit il rencontre la différence : il voit les autres endroits, il voit de différents gens et de cultures, différents modes de vie etc. Il est donc possible de dire tous les types de voyage sont un parcours vers l’altérité. L’altérité est un terme qui est définit par une rencontre entre le soi et l’autre. Voyage est donc, fondamentalement une interaction entre l’altérité et l’identité, différence et similarité. Quand on écrit cette expérience, notre objectif sera de fournir les informations et de représenter le nouveau paysage aux lecteurs. Ainsi, tous les récits de voyage sont les produits d’une rencontre du soi et de l’autre à travers un parcours fait par des voyageurs. On n’écrit pas seulement les descriptions détaillées des pays où on voyage. On ne donne pas les informations directes de la géographie ou de l’ethnographie. L’âge moderne produit le récit de voyage qui est débordé de la comparaison de soi et de l’autre.

Une quête du soi

À cet égard, quand on relie le phénomène de raconter de l’histoire on ne peut pas éviter la subjectivité du voyageur qui devient un élément central dans tous les récits de voyage. Souvent lors de sa narration le voyageur essaie de rattacher le monde intérieur et le monde extérieur en mélangeant les descriptions objectives: les gens, les endroits, la géographie, l’ethnographie etc. avec une description subjective de ses sentiments, ses pensées, ses propres valeurs etc.

Parcours vers l’altérité

Ce phénomène, comme on a déjà dit, l’objectivité, permet à le voyageur de garder une certaine distance du pays où il voyage et de la culture qu’il rencontre. Cette distance permet le voyageur de confirmer sa propre identité à ses lecteurs. L’altérité, aujourd’hui est un terme beaucoup utilisé dans les récits de voyage. Dans les textes modernes, l’altérité représente deux sens différents : dans un sens plus général cela signifie le processus à travers lequel les membres d’une culture comprennent les différences entre eux-même et les membres d’une autre culture. Mais dans un sens plus fort, l’altérité est un processus qui engage une culture à décrire non seulement les différences d’une autre culture mais aussi son infériorité ou sa supériorité de la culture donnée.

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Dans ce récit Édouard de Warren a aussi fait un parcours de l’extérieur à l’intérieur et vis- à-vis. Dans ce parcours cela semble assez difficile pour lui de garder sa propre identité. Quand il a voyagé il a participé aux rites, aux coutumes et aux fêtes inconnus afinde saisir les images exactes pour ses lecteurs. Mais ces images sont souvent mélangées avec leurs émotions. Elles sont interprétées d’une manière subjective par les auteurs de ces récits. Ainsi, ce mémoire soulève-t-elle les questions suivantes: 1. Est-ce que c’est possible de garder une position objective pour l’auteur lorsqu’il décrit un pays étranger ? 2. Comment l’identité de l’auteur se manifeste dans un récit de voyage ? 3. Est-ce que c’est possible pour l’auteur de maintenir une identité fixe dans un récit de voyage ? Édouard de Warren est né à Madras mais il a reçu ses éducations en France. Après avoir fini ses études en France il est venu en Inde comme un officier de l’armée britannique. Lors de son voyage en Inde, il a écrit L’Inde anglaise: avant et après l’insurrection de 1857- un livre de deux tomes qui contient une description de son voyage en Inde en détail. Une lecture de ce livre nous mène à diviser ses descriptions du pays en trois parties: les villes indiennes, les peuples indigènes, l’armée et l’administration anglaise. Ainsi on va diviser cette thèse est entre trois chapitre : les villes indiennes, les peuples indigènes, l’armée et l’administration anglaise.

Partie I : Les villes indiennes

Dans cette partie nous discutions les descriptions que l’auteur a données a propos des villes indiennes cela va dire, ici on va discuter les maisons : leur intérieur et extérieur, les jardins, les rues, les espaces religieux c’est à dire les temples, les mosquées et les églises d’après Édouard de Warren. Dans chaque ville, il a décrit son séjour d’une manière saisissante. Ici, il a décrit les transports indigènes comme les bateaux indiens, les palanquins et il a aussi mentionné sa promenade à éléphant. Dans chaque cas, il a eu les sensations uniques. Comme il a décrit ses expériences des bateaux et du palanquin sont suivants […] ce sont des grands bateaux sans ponts, simples coquilles de cuire et d’écorce, dans la formation desquelles il n’entre ni clous ni chevilles. Les morceaux sont grossièrement cousus avec du nâro, espèce de chanvre tire des filaments qui entourent la noix de cocotier... (9). De ces descriptions de bateau indien et du palanquin on comprend l’embarras de l’auteur comme un étranger. Ses descriptions reflètent sa méconnaissance du transport indigène de l’Inde. Pour décrire le bateau indien, d’abord, il a choisit l’adjectif ‘grand’ mais à la fois il a choisi le mot ‘coquille’ pour le représenter. Il a aussi mentionné l’absence de ‘pont’ dans un bateau indien. Cette contradiction et ce remarque nous guide à trouver une sensation de l’altérité et de l’éloignement chez l’auteur. Il a aussi dit que le voyageur doit ‘tenter’ ce bateau ‘au péril de sa vie’. Alors encore une sensation de peur qui est très évidente de l’usage du mot ‘péril’.

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En décrivant ses expériences dans les villes indiennes, il ne se limite pas seulement à l’action de la présentation du point de vue d’un simple voyageur. Comme on sait qu’il est né en Inde, il ne résiste pas son envie de trouver ses souvenirs très adorable d’enfance. Par conséquent, son récit de voyage dans les villes indiennes n’est pas complètement dépourvu de sa nostalgie : J’appris d’eux à ma grande surprise, qu’ils étaient mes tuteurs [...] Rassuré par cette planche de salut, je commençai à regarder autour de moi avec moins d’inquiétude et plus d’intelligence. Mes yeux s’arrêtèrent surpris et enchantés sur tous ces objets si nouveaux, si étonnants, si différent de la vieille Europe. [...] j’y étais parvenu à travers tous les obstacles, je la tenais enfin, et cette première victoire faisant battre mon cœur de joie et d’espérance. (11) Cette partie commence par la surprise de l’auteur. Il est surpris de trouver les connections de son enfance. Évidemment ce n’est pas une surprise qu’un voyageur a à l’étranger. C’est un sentiment très fort de se sentir chez soi au milieu d’inconnu. Comme Bachelard a dit dans son livre La poétique de l’espace, tous les lieux habités portent l’essence de la notion d’une maison. Une maison est faite de souvenirs et des expériences. Par conséquent, les différentes parties de la maison créent les différentes sensations en soulevant une expérience intime et unitaire de vivre. [...] grâce à la maison, un grand nombre de nos souvenirs sont logés et si la maison se complique un peu, si elle a cave et grenier des coins et des couloirs, nos souvenirs ont des refuges de mieux en mieux caractérisés. (27) Dès qu’il est venu de savoir sa relation ancienne avec la famille, il a commencé à observer toutes les choses d’une manière différente. Il a dit ses yeux ‘s’arrêtèrent surpris et enchantés’. Il a décrit cette découverte soudaine comme une ‘victoire’ qui fait son cœur battre de ‘joie et d’espérance’. On voit que la réflexion de différentes sensations est assez claire. En commençant par la sensation de la surprise et de l’enchantement cela fait l’auteur de se sentir la victoire et à la fin la joie de l’espérance. C’est peut-être l’espérance de trouver un coin familier de son âme en étranger. Dans ce contexte on se rappel le concept de topo-analyse : une étude de la psychologique systématique des sites de noter vie intime proposé par Gaston Bachelard : Dans ce théâtre du passé qu’est notre mémoire, le décor maintient les personnages dans leur rôle dominant. On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu’on ne connaît qu’une suite de fixation dans des espaces de la stabilité de l’être, d’un être qui ne veut pas s’écouler, qui dans le passé même quand il s’en va à la recherche du temps perdu, veut «suspendre» le vol du temps. (27) La compréhension de la maison ou l’espace est la compréhension de l’âme. L’âme ce que Bachelard dit « l’être » dans la citation ci-dessus ne veut pas bouger de sa stabilité dans le passé. En fait cela veut vivre dans le « temps perdu ».

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Partie II : Le peuple indigène

Le voyage dans les villes d’un certain pays est raconté avec la description de la vie du peuple indigène. Au-delà de la situation géographique, les descriptions des rues, des bâtiments, et la décoration de la ville, un voyageur observe la vie des gens : leur vie quotidienne, leur culture, leur habitude etc. Alors, dans le deuxième chapitre on discute le peuple indigène. Tout d’abord il est arrivé à la plage de Madras. Alors, sa toute première rencontre était avec des bateliers indiens qui travaillaient là-bas. Ici, on va voire qu’est-ce qu’il a dit à propos des bateliers indiens : C’était deux hercules de bronze nus comme la main, à l’exception d’un langouti, petit chiffon passé entre les jambes. Je fus un peu surpris de cette première apparition et de ce léger costume ; [...] (8). Cette première apparition des bateliers indiens et leur coutume de travail l’a étonné. Les bateliers passent plupart du temps dans l’eau c’est pourquoi ils ne portent pas les habillements longues ce qui couvrent le corps en entier c’est la raison qu’on a inventé le ‘langouti’ qui est peut-être inconnu où bizarre dans la société européenne. Cette surprise apparaissant de sa toute première observation le détache du pays en évoquant un sentiment d’altérité. On trouve la résonnance du même sentiment quand il a donné la description de chanson des bateliers qu’ils chantent en ramant. [...] nos bateliers entonnèrent un détestable chant, mélange de malabar et d’hindoustan, sur des airs bizarres et monotones. Les vers sont rimées ; le pilote chante le premier vers, et tous le redisent en chœur ; puis il chante le seconde, et tous le redisent pareillement. Ici, il a décrit la chanson très détaillée. Les ordres des vers, comment ils sont chantés, et il a aussi remarqué sur l’air indien : ‘mélange de malabar et hindoustan’. Mais ce qui est plus observable ici, c’est son choix des mots pour représenter cette culture indigène de l’Inde. Tout d’abord au lieu d’utiliser le verbe chanter il a utilisé « entonner » c’est-à-dire de chanter une mélopée ou une chanson très monotone. Après il a utilisé le mot ‘détestable’ pour qualifier la chanson des bateliers et à la fin, il a renforcé sa monotonie et son agacement en disant « des airs bizarre et monotone ». C’est évident que sa méconnaissance de cette culture indigène est la cause du détachement comme on a déjà mentionné, qui lui rend une sorte d’aliénation. Ainsi, quand a-t-il continué avec toutes ses surprises, son étonnement et son agacement dans un pays étranger, soudain on voit un changement dans ses observations tout à fait contraire de ceux qu’il fait avant à propos de la culture indienne. Dans ce contexte on va voire ses descriptions de Dowlatabad une région historique de l’Inde. On verra comment une sensation tout à fait contraire de l’auteur résonne : La tranquillité, le silence de mort qui règnent ici, la solitude des plaines environnantes, la beauté romantique du paysage, cette montagne elle-même percée à jour de toutes parts, tout tend à communiquer l’esprit du voyageur des sensations tout à fait neuves, bien différente de ce qu’il a pu éprouver à la vu de plus magnifique édifices placée au milieu de l’activité humaine. Tout en ces lieux disposent à la contemplation, et chaque objet qui vous entoure reporte l’âme vers une époque éloignée et vers des populations puissantes, parvenues au plus haut degré de civilisation quand les indigènes de notre Europe vivaient encore à l’état de nature dans les forêts et les déserts. (155) 149 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Ici, l’auteur a donné la description de la forteresse de Dowlatabad, une création très importante dans l’histoire de l’Inde. Dans cette description, tout d’abord ce qui attire notre attention c’est la façon qu’il a adopté de la représenter. On peut voir les mots qu’il a choisis sont très romantiques par exemple : « la tranquillité », « le silence », « la solitude », « la beauté romantique » du paysage etc. que cela ne semble pas qu’il est dans un pays lointain. Il a aussi admis que son âme était transportée à une civilisation d’une époque éloignée qui était plus haute que l’Europe. De cette façon l’auteur fait un parcours émotif et psychologique dedans. Plus précisément on peut voir une évolution émotive et psychologique chez lui. Ici, on va parler ce que Carl Thompson a dit dans son livre Travel Writing à propos de cet aspect de voyageur. Selon lui, l’objectif d’un récit de voyage n’est pas seulement de présenter les informations sur le monde plus large qui existe dehors mais aussi de dramatiser la rencontre complexe et subtile qui a lieu entre le soi et les autres c’est-à-dire le voyageur et le monde lors de son voyage.

Partie III : L’armée et l’administration anglaise

Il ne faut pas oublier qu’Édouard de Warren était un officier dans l’armée anglaise et sa première raison de venir en Inde était les fins professionnelles. Après être arrivé en Inde, il a commencé à explorer le pays comme un voyageur. Mais étant un officier de l’armée il n’a pas oublié de faire les observations sur la condition de l’armée anglaise en Inde. Son observation a deux aspects : d’un côté il l’a comparée avec l’armée indigène et d’un autre côté il a évoqué une image curieuse en comparant l’armée anglaise avec celle de française. D’abord on commence à analyser par cette deuxième comparaison et on va voir comment cette comparaison trouve sa pertinence dans ce récit de voyage. Si nous comparons maintenant le soldat d’infanterie anglaise sous les armes avec celui de tout autre pays, nous serons obligé de reconnaître son immense supériorité physique. C’est le mieux nourri, le mieux soigné, le mieux armé, le mieux exercé. Comparé au soldat français, sa taille moyenne est beaucoup supérieure, ses membres sont plus gros et plus forts [...] (210). Dans cette citation l’auteur a présenté la supériorité de l’armée anglaise. Il a revendiqué que l’armée anglaise est supérieure que tous les autres pays. Il a aussi marqué que l’armée anglaise est supérieure que l’armée française de nombreuses façons. Mais pourquoi a-t-il marqué cette infériorité de l’armée française dans un récit de voyage sur l’Inde ? Alors pour répondre à cette question, tout d’abord, on doit se rappeler qu’à cette époque-là l’Angleterre a apparu comme la plus puissante parmi les pays colonisateurs de l’Europe. La France ayant établi sa colonie en Inde beaucoup plus avant qu’Angleterre n’a pas pu prouver sa puissance comme pendant XVIIIe siècle les Anglais ont occupé presque l’Inde entière. À cet égard, on peut discuter ce que Ian Magedera dit dans son article « Representation of India : Globalised research across national disciplinary boundaries ». Selon lui, du XVIIIe siècle au XIXe siècle la France a été réduite dans un pouvoir secondaire en Inde. La condition de France a été considérée en Inde comme un colonisateur subalterne. Dans ce scénario on voit les écrivains français présentent les vues partiellement contradictoire dans leurs écritures.

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Conclusion

Comme on continue d’analyser le récit de voyage d’Édouard de Warren en Inde dans cet article, à chaque étape, nous rencontrons une tension entre le soi de l’auteur et les autres. Cette tension aussi soulève une question de l’identité de l’auteur ou le voyageur qui est en processus de construire et reconstruire lors de son récit. Ici, on se rappelle ce que Stuart Hall a dit à propos de l’identité culturelle. Il a donné les concepts de (i) le sujet sociologique et (ii) le sujet postmoderne. Le sujet sociologique est un sujet qui reflète la complexité du monde moderne et la conscience. Le noyau intérieur de ce sujet n’est pas autonome mais se forme par rapport aux autres significatifs. L’identité selon ce concept sociologique se forme à travers les interactions entre le soi et la société. Le sujet a un noyau ou l’essence interne qui est le moi réel mais cela se forme et se modifie à travers le dialogue constant avec le monde culturel extérieur. L’identité, ainsi, aide à combler un écart entre l’extérieur et l’intérieur : entre le monde personnel et le monde public. Quand on fait partie de ces identités culturelles, à la fois on s’assimile leur valeur, leur sens, en les considérant une partie de nous. Cela nous aide à équilibrer nos sentiments subjectifs avec les lieux objectifs que nous occupons dans le monde social et culturel. Alors cela produit le sujet postmoderne qui se conceptualise de ne pas avoir une identité fixe, essentielle ou permanente. L’identité devient une fête mobile qui est formée et transformée constamment par rapport aux processus à travers lesquels nous somme représentés dans le système culturel autour de nous. Dans le récit d’Édouard de Warren on voit que cette participation de l’auteur varie de la même façon selon les différentes situations. Ce n’est pas toujours la participation subjective ou objective, mais on observe un changement immédiat chez l’auteur dans les différents cas. Parfois il est très conscient de son origine, de son identité française qu’il n’oublie pas de garder une certaine distance du pays qu’il voyage. Dans certain cas c’est tout-à-fait contraire comme on le voit de montrer un attachement absolue vers cette terre étrangère. Ainsi, on trouve le voyageur se modifie son identité et il oscille entre une subjectivité extrême et une objectivité extrême. Sa personnalité change dans les différentes parties de récit. Il est donc, difficile de trouver la vraie identité de voyageur dans ce récit de voyage. Son identité est reconstruite selon le besoin de la situation de laquelle il participe. Ainsi, l’auteur de ce récit ne possède pas une identité fixe. C’est plutôt une identité postmoderne et complexe avec laquelle la production de l’image d’une terre étrangère est aussi mélangée. En fait, on peut dire que cette image du pays étranger et l’identité du voyageur dépendent l’un sur l’autre.

151 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le pèlerinage comme un thème dans l’écriture sur tourisme

Sriniket Kumar Mishra

Résumé

Le pèlerinage est une activité très antique qui inspire les gens de sortir pour le voyage. Le pèlerinage contribue au développement de récit de voyage et de tourisme. On va découvrir le thème de pèlerinage dans l’écriture sur tourisme. On va aussi voir la relation entre la religion et le voyage. On discute aussi quelques routes médiévales de pèlerinage en France. Dans cet article, on va découvrir quelques récits disponibles sur les lieux de pèlerinage en France. On va voir comment le pèlerinage aide dans le développement du tourisme. Mots-clés : Pèlerinage, voyage, tourisme, récits de voyage. Dans le dictionnaire Larousse (En savoir plus sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/ francais/p%C3%A8lerinage/59075#8IUs1qr7duDrjkpC.99 consulté à New Delhi à 2:15 le 01 décembre 2016), on peut trouver la définition de pèlerinage comme suivants : (i) Voyage d’un ou plusieurs fidèles d’une religion vers un lieu consacré. (ii) Lieu où se rend un pèlerin par piété. (iii) Voyage entrepris dans l’intention de se recueillir sur les lieux où a vécu quelqu’un de célèbre ou dans les lieux où on a vécu soi-même autrefois. On peut définir voyage comme un déplacement d’une personne qui se rend dans un lieu assez éloigné. Le pèlerinage est donc un voyage, individuel ou collectif, fait à un lieu saint pour des motifs religieux et dans un esprit de dévotion. On peut dire aussi que le pèlerinage est un tour consacré à la religion. C’est une façon de voyager et une excursion des gens religieux dans laquelle les pèlerins couvrent souvent la distance ou quelques parties de route à pied. Cette pratique est une expérience rituelle essentielle. Le pèlerinage est souvent liée aux sentiments religieux. On trouve la conception de pèlerinage dans toute les religions et on peut observer cette rituelle souvent chez les toutes les religions. Dans toutes époques, il y avait des hauts lieux de dévotion où leurs fidèles se rendent en pèlerinage et le pèlerinage est une activité très ancienne qui inspire les gens de sortir pour le voyage. Les Grecs allaient particulièrement à Delphes pour visiter le sanctuaire d’Apollon et l’oracle de la Pythie. Ils se promenaient vers Épidaure où l’on vénérait le dieu guérisseur Asclépios. Ils visitaient aussi Dodone où Zeus rendait ses oracles. Les Égyptiens vénéraient Amon, Rê et Osiris; ils voyageaient donc vers Thèbes, Héliopolis et Abydos. Les hindous vont prier à Bénarès, à Rameshwaram et à Hardwar et ils visitent aussi d’autres hauts lieux de dévotion. Les musulmans font le pèlerinage de La Mecque (hadj) au moins une fois dans leur vie et ils ont d’ailleurs beaucoup d’autres lieux sacrés comme Jérusalem, et pour les chiites, Karbala. Les principaux endroits saints du christianisme sont Jérusalem, Rome. Et à partir du Moyen Âge, on considère Saint-Jacques-de Compostelle comme une place très importante pour le

152 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 pèlerinage. Les pèlerinages ont devenu très populaire avec un regain chez les catholiques à l’époque moderne. Les lieux liés au culte marial comme Lourdes, Chartres, La Salette, Fátima sont surtout devenus les destinations de pèlerinage. Les gitans1 visitent pour le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Le pèlerinage est donc très populaire même dans le Temps moderne. On trouve plusieurs descriptions des pèlerinages dans les arts et la littérature. Il y a plusieurs écritures sur pèlerinage comme Les étoiles de Compostelle (Henri Vincenot : 1982), Le Pèlerin de Compostelle (Paulo Coelho : 1987), Désir d’Espagne : mes détours vers Santiago (Cees Nooteboom : 1993), Thérapie (David Lodge : 1995), Iacobus (Matilde Asensi : 2000), L’Apothicaire (Henri Lœvenbruck : 2011), Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi (Jean-Christophe Rufin : 2013). On peut voir les films créés sur le thème du pèlerinage comme La Voie lactée de Luis Buñuel (1969), Saint-Jacques… La Mecque de Coline Serreau (2005), Les Doigts croches de Ken Scott (2009). D’ailleurs, plusieurs témoignages anciens, articles et guides généreux et régionaux des pèlerinages se peuvent trouver. Il existe nombreuses façons de voyager et le voyage religieux ou spirituel ont toujours la cote. Le pèlerinage est maintenant très associé au tourisme. Le tourisme indique à la fois une migration, le fait de voyager, pour le plaisir ou l’aventure hors de l’espace du quotidien, des lieux de vie habituels, et d’y résider de façon temporaire. Il est aussi un secteur économique qui comprend l’ensemble des activités liées à la satisfaction et aux déplacements des gens. On peut catégoriser le tourisme dans quatre types comme donné ci-dessous : (i) Tourisme de loisir (ii) Tourisme d’affaire (iii) Tourisme médical (iv) Tourisme religieux Le pèlerinage fait partie de tourisme religieux et il est très connu et apprécié ces jours-ci du plus grand nombre. Ainsi les récits sur le pèlerinage pourrait être considérer comme le récit de voyage dans le contexte de voyage religieux. Dans ce contexte, on trouve plusieurs récits de ‘voyage avec les but religieux’ dans les sociétés européennes. On trouve pas mal d’écriture sur l’internet et sous forme des livres imprimés qui sont inspirés des pèlerinage religieux. Par exemple, on peut citer Harry Potter. Les caractères de Harry Potter sont souvent en train de voyager dans les endroits (soit réel soit imaginaire) qui attirera une mentalité catholique ou largement chrétien européen sous formes d’un endroit qui ressemble les lieux fameux connus pour le pèlerinage. On est souvent engagé aux même type de voyage - cherché par les pèlerins pour atteindre la paix et la salue. Ce genre de Grace est lié aux plusieurs endroits - c’est normal qu’on trouve beaucoup de matériel qui décrit les lieux de pèlerinage. Pour comprendre la voie de mentalité changeante de l’âge médiéval jusqu’à aujourd’hui, il sera intéressant de regarder ce qu’on trouve généralement sur la description des routes de pèlerinage et sur la description de lieux de pèlerinage en France. Il faut tenir compte ici que la plupart de ce genre de route qui précède la conception 1. Gitan ou tzigane désigne un bohémien originaire d’Espagne. C’est-à-dire un membre d’une population nomade, faisant partie de l’ensemble nommé Roms.(http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/ definition/gitan/ à New Delhi à 2:15 le 12 décembre 2016). 153 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 actuelle de la France comme un état-nation avec les frontières modernes. C’est normal que les routes des pèlerins passent au-delà de les frontières contemporains de France. On trouve plusieurs routes de pèlerins dans l’Europe et plusieurs voyageurs prennent les routes chaque année pour vivre cette expérience. Les pèlerinages sont faits pas seulement pour les croyants mais les grands voyageurs, les habitués des randonnées à pied et à vélo, les historiens, les réalisateurs du film, les artistes et les écrivains ou les novices qui souhaitent se retrouver choisissent les routes des pèlerins pour voyager. Les routes des pèlerinages sont devenues une des façons à voyager. Le pèlerinage est aussi un thème dans le tourisme et on peut voir nombreuses écritures sur ce thème dans les offices du tourisme. On trouve aussi des nombreux circuits pèlerinages planifiés par les offices du tourisme comme circuit pèlerinage France-Italie, circuit pèlerinage marial et circuit Europe-Israël. On peut choisir un circuit pèlerinage pour notre voyage qui couvre un paquet complet et donne une chance de découvrir plusieurs lieux sacrés. Il existe plusieurs églises, cathédrales et sanctuaires en France. Il y a aussi des autres endroits spirituels et célèbres en Espagne, en Italie, en Angleterre, en Grecs et en Israël. Les pèlerins visitent plusieurs endroits sacrés dans une seule excursion. On a créé les chemins dans une façon que chaque circuit ou chemin pèlerinage couvre plusieurs lieux de dévotion. On peut voir plusieurs chemins de pèlerinages mais les chemins suivants sont très connus en Europe pour les gens catholiques : (i) Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle (ii) Chemins de Rome (iii) Chemins de Jérusalem (iv) Chemins de Saint-Michel (v) Chemins de saint Cuthbert (vi) Chemins de Tro Breiz (vii) Chemin de Saint-Guilhem Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, de Rome et de Jérusalem sont les plus importants pour les pèlerins. Saint-Jacques le Compostelle est une des destinations plus célèbres des pèlerins. Les pèlerins y visitent pour atteindre le tombeau attribué à l’apôtre saint Jacques le Majeur situé dans la crypté de cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle en Salice, Espagne. Il y a plusieurs itinéraires et on peut consulter les description cartographiques pour ces itinéraires de Saint-Jacques-de-Compostelle.

154 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

(http://viatolosana.free.fr/images/imagespat/06-toulouse/chemins_du_sud.gif consulté à New Delhi à 12:15 le 03 décembre 2016.)

http://nsm01.casimages.com/img/2009/04/25//090425092118133813543946.jpg consulté à New Delhi à 11:15 le 11 décembre 2016. On peut noter qu’il y a principalement quatre itinéraires pour Saint-Jacques-de-Compostelle. Ces itinéraires sont très anciens et historiques. On y trouve plusieurs d’autres lieux sacrés. Quatre routes sont via Turonensis, via Lemovicensis, via Podiensis et via Tolosane. Paris, Orléans, Blois, Tours, Poitiers, Saintes et Bordeaux sont les villes importantes qui se situent sur la route via Turonensis. On trouve plusieurs églises, cathédrales et autres lieux sacrés dans ces villes. On visite les monuments et endroits religieux qui se sont situés sur la route. Vézelay, Nevers, Saint-Léonard-de-Noblat, Limoges, Périgueux, Bazas et Saint-Sever sont les lieux d’où la route via Lemovicensis passe. Le-Puy-en-Velay, Saint-Chély-d’Aubrac, Estaing, Conques, Figeac, Gréalou, La Moissac, La Romieu et Aire-sur-l’Adour sont les endroits sur la route via Podiensis. Arles, Saint-Gilles-du-Gard, Montpellier, Saint- Guilhem-le-Désert, Toulouse, Auch, Oloron-Sainte-Marie et Col du Somport se trouvent sur la route via Tolosane. Le chemin d’Arles est la seule à franchir les Pyrénées par le col du Somport ou « Summus portus » dans les quatre grands chemins français. Toulouse ou la 155 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

« Ville rose » est aussi située sur la route via Tolosane. II y a tant de choses à admirer dans Toulouse que l’on peut s’y arrêter une journée entière. Les pèlerins visitent la basilique Saint-Sernin qui est la plus grande église romane conservée en Europe. Les voyageurs aussi vont voir les tombeaux et les lieux de dévotion ou de l’importance historique qui sont situés sur ces routes. Ils se reposent aussi dans les villes sur les routes. Il y a des hôtels et des restaurants sur les routes pour l’hébergements et la nourriture. Les pèlerins voyagent soit en bus/minibus soit à pied. Rome est une des destinations plus réputées pas seulement pour les gens religieux de christianisme mais aussi pour les toutes sortes de touristes. On dit souvent « Tous les chemins mènent à Rome » et c’est pour cela qu’il y a plusieurs routes qui mènent à Rome. Il y a six itinéraires pour pèlerinage de Rome. Ils sont via Francigena, via Domitia, via Aurelia, via Tolosana, via Aragones et camino Francès. La Via Francigena est aussi appelée la « Voie des Français ». La route via Francigena, de Cantorbéry jusqu’à Rome, est très ancienne et elle était une route très fréquentée au Moyen Âge. C’est un réseau de routes et chemins empruntés par les pèlerins venant de « France » mais la France actuelle n’est pas la même France. Le sud de l’Allemagne est longtemps considéré comme « le pays des Francs » pour se rendre à Rome. C’est l’itinéraire de Sigéric, un évêque de Canterbury, qui s’est rendu à Rome en 990 pour recevoir du pape le pallium, insigne de sa charge épiscopale. La liste de ses étapes quotidiennes est disponible, et c’est un des documents les plus anciens qui atteste un trajet de pèlerinage vers Rome par la Via Francigena. Les soixante-dix-neuf étapes de Sigéric sont utilisées comme des bases à l’itinéraire moderne. Le parcours est près de 1.700 kilomètres long depuis Canterbury. Après le franchissement de la Manche, la Via Francigena passe par Arras, Reims, Châlons-en- Champagne, Bar-sur-Aube, Langres, Besançon et Pontarlier en France, par Lausanne, Saint- Maurice, avant de gravir le col du Grand Saint-Bernard en Suisse, par Aoste, Ivrea, Vercelli, Pavie, Fidence, Lucques, Poggibonsi, Sienne, Bolsène, Viterbe, pour rejoindre Rome par la Via Triumphalis (sur le Monte Mario) en Italie (http://www.randonneurs-pelerins.com/ joomla1.7/index.php?option=com_content&view=article&id=86&Itemid=508 consulté à New Delhi à 20:15 le 21 janvier 2017). À cause de son Histoire, le voyage sur cette route serait une expérience historique. En 1994, le Conseil de l’Europe déclare la Via Francigena un « itinéraire culturel européen ». (http://viafrancigena.fr consulté à New Delhi à 19:15 le 21 janvier 2017). On peut voir la route via Francigena dans la carte suivante.

156 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

(http://www.widermag.com/media/viafrancigena_mappa.jpg consulté à New Delhi à 2:17 le 01 décembre 2016.) La Via Domitia est la plus ancienne route de France qui a été aménagée pour la conquête du Sud de la Gaule par le général Domitius Ahenobarbus, vers 120 av. J.C. (http://www. luberon-apt.fr/index.php/fr/sejourner/idee-sejour/sur-les-traces-des-romains--la-via- domitia/item/sur-les-traces-des-romains-la-via-domitia consulté à New Delhi à 19:15 le 21 janvier 2017.) Elle joignait les Alpes aux Pyrénées, l’Italie à l’Espagne, du Montgenèvre au Perthus et du Pô au Rhône sur plus de 500 km en traversant la province romaine de Narbonnaise, par Sisteron, Apt, Arles et le Languedoc. Cette route est très fréquentée par les militaires, les marchands et les pèlerins de l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge. On vient à découvrir les fondements de la civilisation à travers les paysages et les vestiges des aménagements routiers comme chaussées, bornes, gués, ponts en suivant cette route. Le pèlerinage de Jérusalem est très sacré et a une place importante dans le christianisme comme de Rome. On a vu plusieurs guerres pour Jérusalem entre les pouvoirs européens et les pouvoirs musulmans. Les Turcs Seldjoukides prennent la contrôle de la ville à partir de 1078. Les Seldjoukides ont refusé le passage des pèlerins chrétiens pendant les deux décennies suivantes contrairement à leurs prédécesseurs, et c’est pour cela que la première croisade est lancée en 1095. Les Fatimides reprennent la ville en 1098 lorsque la Croisade était déjà en route. Le 15 juillet 1099, la première croisade arrive aux portes de Jérusalem et le siège aboutit à la prise de Jérusalem et à un nouveau massacre de la population (Joshua, 2013 : 111). La ville est ensuite devenue la capitale du Royaume latin de Jérusalem. Les musulmans et les juifs sont interdits d’institution à Jérusalem pendant la présence des Croisés (Barnavi, 1992 : 108). Apres, on voit plusieurs guerres pour prendre la contrôle de Jérusalem pour sa valeur religieuse. Il y le Mur des Lamentations, lieu saint et des temples du Judaïsme, l’église du saint sépulcre et le dôme du rocher. Jérusalem est donc un des plus sacrés lieux pour les trois religions (le judaïsme, le christianisme et l’islam) et les pèlerins

157 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 des trois religions rendent une visite de Jérusalem. Ils y visitent de tout entier du monde soit en bus, en avion ou à pied. Les pèlerins aussi choisissent de voyager quelques parties de leur trajet en bus, en train ou en avion et ils couvrent la distance à parcourir à pied. Il prend environs sept mois si l’on voyage à pied de Paris à Jérusalem. On trouve plusieurs témoignages des pèlerins qui y vont à pied.

(http://www.villemagne.net/images/perso/car00_fr.gif consulté à New Delhi à 12:15 le 02 décembre 2016.) Ces pèlerinages nous donnent une chance de revivre non seulement la vie et la passion du Seigneur en Terre Sainte en mettant nos pas dans les traces de Jésus, mais aussi de continuer dans les paroles des Evangiles à travers les sanctuaires les plus important d’Europe.

(http://www.villemagne.net/site_fr/paris-jerusalem-a-pied.php consulté à New Delhi à 16: 15 le 15 janvier 2017.) Les chemins sont très anciens et de temps médiéval. On découvre l’Histoire, le réel et le mythe avec un esprit religieux. On peut aussi découvrir de nombreuses démonstrations de ferveur, de pénitence, d’hospitalité, d’art et de culture, qui nous parle de manière éloquente des racines spirituelles du vieux continent. Les gens religieux les considèrent comme les chemins du paradis. La fois religieuse donne le courage aux pèlerins pour bien compléter leur trajet même à pied. Pour les gens d’aventure, il y a des défis et des difficultés qui les inspirent de partir sur les chemins de pèlerinages. Pour des historien, des gens littéraires,

158 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 philosophes et artistiques, c’est une expérience différente de leur vie quotidienne qui leur donne des sujets ou thèmes d’écriture et de création. Avec le développement du tourisme, le pèlerinage est devenu très populaire dans le monde entier. Le voyage est la meilleure façon de découvrir et connaître le monde. On peut apprendre tant de choses en faisant du voyage. Ces jours-ci le pèlerinage donne un thème pour découvrir le monde et on l’utilise souvent dans le plan de tourisme. On trouve plusieurs récits et témoins de voyage des pèlerins. Les roman et les films sont aussi traitent ce thème dans leur création. Il y a aussi des petites annonces, des écritures et des brochures de l’office du tourisme où l’on voit leurs programmes touristiques pour les pèlerins. Dans le tourisme, le pèlerinage est devenu un thème pour préparer leurs littérature pour les touristes. On voit aussi le pèlerinage comme un thème dans les écritures différentes sur le voyage. Le pèlerinage ainsi devient un thème important pour le récit de voyage et aussi pour les livres historiques ou littéraire qui traitent le thème de voyage, plutôt pèlerinage dans le contexte, pour comprendre plusieurs aspects culturels d’un peuple.

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161 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le sentiment de dépaysement dans Journal de voyage d’Alexandra David-Néel

Vandana Sharma Le sentiment de dépaysement peut se trouver chez presque tout le monde. Ce sentiment prend sa place quand on est loin de sa famille, de son pays, de ses coutumes, de son environnement. Cette recherche a but de voir la manière dont Alexandra David-Néelse débrouille dans chaque situation. On voit une évolution dans sa pensée et sa confiance en soi même en se battant avec toutes ses crises personnelles et professionnelles. Cet article essaye de voir ces sentiments par le biais de son œuvre Journal de voyage (Lettres à son mari) (11aout 1904-26 décembre 1917). Ces lettres envoyées par Alexandra David-Néel à son mari évoquent la transition d’une culture à l’autre comme elle note ses observations minutieuses de ses voyages et ses rencontres avec les gens et leurs cultures dans son œuvre.On y découvre non seulement ses expéditions en Inde et en Chine, mais aussi ses étonnements, ses réactions face aux coutumes locales, son adhésion à la sagesse et au mode de vie orientaux. Cette correspondance présente aussi la compréhension d’une époque, de la guerre, d’une région du monde, d’une religion etc. C’est dans cette perspective que s’inscrit la présente étude qui examine des sentiments du dépaysement en trois parties: le rapport à l’autre, le rapport à l’espace et le rapport à soi. Mots-clés : Dépaysement, Alexandra David-Néel, récit de voyage. Étant loin de sa famille, son pays, ses coutumes, son environnement, on est dépaysé. Le sentiment de dépaysement peut se trouver chez presque tout le monde. Cette étude a pour vocation de méditer sur les troubles qui désorientent Alexandra David-Néel lors de ses voyages. On va essayer de voir ces sentiments par le biais de son œuvre Journal de voyage (Lettres à son mari) (11aout 1904-26 décembre 1917). Ces lettres envoyées par Alexandra David-Néel à son mari captivent notre attention comme cette correspondance n’était pas destinée à l’édition. Ce n’était que pour son mari où Alexandra David-Néel décrit ses aventures et sa vie privée ensemble où elle note ses observations minutieuses de ses voyages et ses rencontres avec les gens et leurs cultures. Regroupées ultérieurement dans un volume, on y découvre non seulement ses expéditions en Inde et en Chine, mais aussi ses rencontres, ses étonnements, ses réactions face aux coutumes locales, son adhésion à la sagesse et au mode de vie orientaux. Ces courriers se reflètent aussi la compréhension d’une époque, de la guerre, d’une région du monde, d’une religion etc. Alexandra David-Néel est une écrivaine, un philosophe, une journaliste et une exploratrice qui est la première Occidentale à pénétrer la ville sainte de Lhassa (déguisée en mendiante) en 1924 après cinq tentatives et un périple de plus de 3, 000 kilomètres à travers l’Himalaya. On va essayer de voir des sentiments du dépaysement en trois parties: le rapport à l’autre, le rapport à l’espace et le rapport à soi.

Le rapport à l’autre

Descartes identifie six émotions: l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie etla tristesse. On peut voir presque toutes ces émotions, dans les lettres d’Alexandra. Elle est 162 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 la fille unique. Sa mère veut qu’elle reçoive une éducation catholique, son père lafait secrètement baptiser dans la foi protestante. Alexandra ne voulait pas suivre l’exemple de ses parents. Elle pensait que ses parents étaient les deux êtres qui n’avaient rien en commun, ni de l’esprit ni du cœur. Elle était si dérangée par les idées de ses parents, qu’à l’âge de 15 ans, elle est partie en Angleterre. Le manque d’argent l’oblige à rentrer. C’était le commencement de ses voyages : « Je n’ai pas une âme bourgeoise moi, j’ai tant souffert du bourgeoisisme de mes parents.” » (38). Elle était triste à cause du décès de son père mais elle ne parle pas trop à propos de sa mère. Ce sentiment de tristesse est reflété dans son récit. À Tunis, Alexandra a rencontré Phillipe Néel en 1900. Puis, ils se sont mariés en 1904. Ainsi Phillipe devient son époux et son meilleur ami qui témoigne de ses voyages par la correspondance. Tout au long de la vie de son mari (1904 à 1941, année du décès de Philippe Néel), elle lui a écrit. Dans cette corespondance, Alexandra nous présente sa vie, ses pensées de femme, ses decouvertes de soi-même, son amour du Bouddhisme qui nous aide à comprendre mieux son succès en tant qu’exploratrice, phillosophe etc. Le désir de quitter toujours l’ici pour l’ailleurs, c’est devenu son habitude. Comme dit Herbert Spencer « La vie est l’ajustement continu de relations internes à des relations externes ». De même, la vie conjugale d’Alexandra n’était pas si extraordinaire. Trois ans après son départ de France, en 1914, les relations entre Alexandra et son mari deviennent de plus en plus froides. Mais elle a continué à décrire à son mari ses aventures et ses rencontres. Elle lui écrit avec extrême attention de ses voyages afin de ne perdre aucun détail, y compris aussi la nostalgie, la mélancolie et la tristesse. Le sentiment de solitude est bien évident dans ces lettres. Ecris-moi longuement et ne te désole pas,mon ami. Malgré mon mauvais état d’esprit j’ai pleine confiance dans l’avenir qui nous est reservé. Ne te tiens pas loin de moi, Mouchy, laisse venir ton esprit et tes pensées au petit Moumi perdu dans les brumes de Paris, dans les brumes de son âme trop sensitive (19). Il est important de savoir que même s’ils étaient très loin de l’un et l’autre, ils étaient unis par la pensée. La preuve est la correspondance entre eux. Elle lui écrivait plus fréquemment. Alexandra appelait son mari « Mouchy / Alouche ou bien aimé ». Elle écrit: « Mouchy, ne sois pas triste, ne regarde pas l’avenir avec défiance, travaille avec joie à notre nouveau home qui sera un asile de repos et de paix pour tous deux (18). » D’un côté elle est si ouverte à la culture d’accueil qu’elle est fascinée par l’orient. En fait elle veut que son mari soit là avec elle en Orient. Alexandra David-Néel vit une vie d’une orientaliste déjà : « Ah! Mon excellent Alouche, quelle bonne chose que nous vivions en Orient aussi, dans une maison propice à la méditation ... Que ferais-je dans une rue parisienne (99) ? » D’un autre côté, on constate qu’elle a envie de retourner chez elle au moins de voir son mari. Ce sentiment de solitude dans un pays étranger la dérange. Ce vide continue à l’horrifier jusqu’ à ce qu’elle trouve d’autres solutions. Elle demande à son mari s’il attend qu’elle rentre. ...Mouchy, qu’il n’est pas besoin d’avoir une compagne efface, sentimentale et sans volonté pour être heureux. A côté de cette veulerie que la foule vulgaire prend pour l’expression du bonheur, il ya le bonheur actif agissant plus fort et plus vrai. Mouchy, je suis très seule ici, très seule de corps et d’âme,... veux-tu venir ? T’y sens –tu attiré (20)?

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Un autre aspect important dans la vie de voyageur, c’est les ressources, c’est-à-dire l’argent. Ses rapports avec l’argent sont également étonnants, puisqu’elle a toujours des problèmes d’en trouver, d’en recevoir ou d’en gagner. Comme elle était dans son chemin d’un yogi, il y a des gens qui aident Alexandra David-Néel y compris son mari et le maharajah du Sikkim et des autres. L’argent est la cause de disputes entre Philippe et Alexandra. Mais M. Néel a essayé toujours de l’aider et satisfaire ses demandes. Cette voyageuse seule, loin de sa famille a eu un très long séjour au Tibet, où elle a rencontré de nombreux sages, des sorciers, des magiciens, tous aussi étranges que mystérieux. Elle y a rencontré également le Lama Yongden qui devient son fils adoptif. Au début il était avec Alexandra en tant que serviteur et traducteur. Ils ont marché et ont voyagé ensemble dans tout l’Orient, et l’Extrême Orient, durant plus de trente ans. Cette relation entre les deux a encouragé beaucoup Alexandra David-Néel dans ses voyages. C’est grâce à lui que la grande exploratrice réussit son voyage en traversant le Tibet jusqu’à Lhassa. Au fur et à mesure, il devient la personne la plus importante pour Alexandra David-Néel. Ses idées concernant la religion et la spritualitéétaient si claires et fortes que les indiens la comparent à Saraswati « j’ai été comparée à Saraswati la déesse du Savoir et les bénedictions ont plu sur ma tête » (88). En écrivant à son mari Alexandra David-Néel utilise quelques mots du sanskrit aussi et en plus des citations de la Bhagwat gita font partie de ses lettres : « quelque chose de plus fort que l’homme, qui le même par des sentiers qui semble incoherents.Bienheureux pourtant sont ceux qui y marchent : ‘ce qui est nuit pour les êtres est un jour ou marchent les clairvoyants qui se sont surmontés eux-même’ dit la Bhagwad Gita. (112) »

Le rapport à l’espace

Dans la vie de voyageur, le climat joue un rôle très important. Cela peut décider jusqu’à quand il peut rester dans un pays étranger. Alexandra a voyagé dans plusieurs pays : l’Inde, le Népal, la Chine, le Japon etc. Chaque pays a un climat différent y compris la froideur des Himalaya mais elle s’adapte à la situation. Alexandra exprime à son mari « je regrette un peu la fatigue de ce voyage par le mauvais temps (61). » Elle essaie de comprendre tous : les habitudes et les coutumes des gens qu’elle trouve pendant ses voyages. Bien sûr, elle a des chocs culturels mais elle s’adapte à la situation en gardant un esprit ouvert. « On ne mange pas ensemble chez les orthodoxes hindous et, ici, le mari et la femme ont deux cuisiniers différents, ils mangent des aliments différents et jamais ensemble (82). » Grâce à ses voyages, elle développe une compréhension approfondie des autres cultures. Comme Carlo Goldini, le dramaturge italien, met ces paroles dans la bouche de ses personnages : Bonfil : Oui,l’on peut se former à l’aide des voyages, on compare les mœurs, les hommes, les usages. Artur : On perd les préjugés dont on est investi, Lorsque de son pays on n’est jamais sorti (Acte 2, scène XI). La transition d’une culture à l’autre est plus progressive chez notre voyageuse. Par la politesse, elle mange tout ce qu’elle est servi mais en Inde surtout le repas est trop épicé. Alors, elle évite de manger sous un prétexte ou autre.

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Je ne tiendrai pas une semaine à ce régime de piments. J’ai poliment dit que je devais me rapprocher du quartier européen (...... ) Où j’avais à faire et j’ai arrêté un logement, aujourd’hui, dans ‘une family house’ qui parait convenable (82). Elle a voyagé pendant plus de quarante ans dans plusieurs côtés du monde, y compris une grande partie de l’Europe et l’Afrique du Nord, mais son intérêt principal a été l’Orient, avec ses peuples et leurs coutumes, pratiques et religions. Même si les habitudes la gênent, elle continue à voyager. Par exemple, elle veut que son environnement soit propre. Elle n’aime pas la saleté. Elle écrit à son mari en parlant de ses domestiques : « Mes domestiques sont si mal propres que je dois constamment les surveiller. Que d’ennuis ! Et combien la plus simple des vies est compliquée pour nous occidentaux (324) ! » Étant plutôt attirée par l’Orient, elle s’est toujours plainte du fait qu’elle ne se sentait pas comme française. Mais ce type de dépaysement renversé se manifeste bien étrange dans une confession faite à son mari par notre voyageuse elle-même : Qu’est ce que je fiche ici à me traîner dans des villes parmi des êtres qui ér trécissent la vie en croyant l’améliorer ? [...] Je me sens dépaysée et malheureuse, je sais que j’ai perdu ce que je ne retrouverai jamais. Je regarde les différents pays et je me demande : où aller (427) ? Bien qu’elle soit dépaysée, qu’elle soit troublée par le climat, l’espace etc mais son amour pour l’Orient et la spritualité restenttrès haut pendant ses voyages. D’après Alexandra, la spiritualité est associée à des expériences hors de l’ordinaire: expériences liées à la mort, à la réincarnation, à des expériences limites liées aux détresses humaines . Ce qui est souligné par son attitude et son choix de voyager.

Le rapport à soi

Comme le dit Descartes « Lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays (128) » Alexandra s’enrichit de tous ces signaux qu’elle perçoit à travers chaque excursion, chaque rencontre qu’elle multiplie à un rythme qui lui convient. Au cours de ces aventures spirituelles, elle se laisse emporter par l’existence réelle mais immatérielle du savoir Bouddhiste. On remarque la tendance de l’écrivain de transmettre son expérience d’une manière détaillée à son mari. On voit une évolution dans ses pensées et confiance en soi même en se battant avec toutes ses crises personnelles et professionnelles. Ses destinations évoluent de temps en temps par rapport aux circonstances, aux rencontres, aux moyens de transport disponibles, et bien evident la situation politique.Dans la plupart de ses lettres, elle ne manque pas d’occasion de parler des conférences et des projets d’enseignements. On remarque aussi que son interêt pour la photographie reste indéniable. Alexandra David-Néel envoyait des images qu’elle prenait penadant ses explorations à Phillipe comme souvenir. En ce qui concerne ces photos, cela donne courage à notre voyageuse de temps en temps d’aller plus loin dans sa quête de soi. Ses voyages, ses expéditions sont très organisées et lorsqu’un imprévu survient, elle s’attache aussitôt à le gérer au mieux. De plus, en voyageant on peut apprendre beaucoup sur soi-même et de ses capacités à gérer des situations auxquelles on n’avait jamais été confronté auparavant. Alexandra a pris de nombreux risques pour atteindre ses objectifs, dont la découverte du 165 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 bouddhisme et des principes jusqu’alors inconnus aux occidentaux. Elle s’organisait en toutes circonstances. En fait, elle se contente de ce qu’elle trouve dans son chemin: Mais, tu sais, avec la vie de quasi-explorateur que je mène j’ai appris à me contenter de peu, et à arranger avec ce peu une manière de confort. Ma cabane à un toit mais manque de plafond (323). Pour notre voyageuse, rien n’était impossible. Pour trouver le chemin de soi-même, cette femme exceptionnelle n’a accordé aucune importance ni à la maigre nourriture ni au froid, ni au jêune forcé. Chateaubriand dit qu’« Un voyageur est une espèce d’historien; son devoir est de raconter fidèlement ce qu’il a vu ou ce qu’il a entendu dire; il ne doit rien inventer, mais aussi il ne doit rien omettre » (20). De la même manière Alexandra David- Néel écrit tout ce qu’elle voyait ou sentait. On peut comprendre la situation de la guerre, la peur. Le lecteur peut vivre tous les moments qu’elle décrit minutieusement. Il s’agit même de son angoisse de la vie occidentale. L’idée du retour à la vie occidentale m’angoisse. Quitter en même temps que ma robe de yougi, l’invisible vêtement fait de paix qui enveloppe! Etre de nouveau une « dame » une vieille dame cette fois---assumant la corvée de choisir des chapeaux abritant suffisamment un visage chaque jour plus ridée et créant, si possible, une ombre d’illusion (297). En voyageant on a une tendance de vivre le moment où on est, on oublie soi même et on devient un autre comme dit Confucius que « Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même ». Sachons bien que notre exploratrice est poussé par la curiosité et le désir de voir des choses nouvelles mais sans oublier son passé. Alexandra David-Néel dit : Je suis mes parents, mes ancêtres, mes maitres, les livres que j’ai lus, les aliments que j’ai mangés, l’air que j’ai respiré, les gens que j’ai hantés, les milieux où j’ai vécu. C’est tout cela réuni, toutes ces particules de vie venues d’éléments si multiples et divers, qui font mon “moi”, je n’en ai pas d’autres (296). Pour conclure, on peut dire que le thème du dépaysement est omniprésent et multiforme dans Journal de voyage d’Alexandra David-Néel. Au sens littéral, le dépaysement résulte d’un changement de lieu. Souvent, ce dépaysement moral est accompagné d’un sentiment d’exclusion, de dépaysement social, du fait qu’on est autre, qu’on est étranger. Ainsi, le dépaysement recouvre toute une diversité de sens : le déplacement, l’aliénation, la non- appartenance, le déracinement et la désorientation. Un point commun est le rapport entre l’individu et son lieu. Le déplacement peut mettre le voyageur dans un milieu étrange où le décor, le climat et les habitudes causent un sentiment d’étrangeté.

Références

1. Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem [1812], préface à la première édition. Paris : Julliard, 1964. Imprimé.

2. David-Néel, Alexandra. Journal de voyage, Lettres à son mari (11 août 1904-26 décembre 1917). Paris : Plon, 1975. Imprimé.

166 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

3. Descates, Discours de la méthode, Texte établi par Victor Cousin, Levrault, tome I. Web. 25 mai. 2017. https://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_la_m%C3%A9thode_(%C3%A9d._Cousin)/ Premi%C3%A8re_partie 4. Goldoni, Carlo. Paméla ou la vertu récompensée: comédie en cinq actes en vers, Acte 2, scène XI. Web. 24 mai. 2017. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k483356/f129.image. r=Pam%C3%A9la+ou+La+vertu+r%C3%A9compens%C3%A9e.langEN 5. Spencer, Herbert. The Principles of Psychology. London: Longman, 1855. Web. 23 mai. 2017. http://oll.libertyfund.org/titles/spencer-the-principles-of-psychology-1855.

167 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Regard français sur les terres sacrées de l’Himalaya

Varun Dev Sharma

Résumé

Le présent article porte sur le regard français sur les sites saints de l’Himalaya dépeints dans les divers récits de voyage. Afin de mettre en lumière le regard français, nous avons analysé quatre récits de voyage écrits par des voyageurs/auteurs français, publiés au cours de cinq décennies.1 Ces récits de voyage véhiculent l’image du monde indien/oriental dans le monde français/occidental. Selon ces auteurs, puisque l’Himalaya est considéré comme la demeure des divinités hindoues et bouddhiques, cette chaîne montagneuse se dote de plusieurs lieux de pèlerinage. Plusieurs fois par an, des milliers de pèlerins se rendent dans ces sites saints. Cette analyse permet d’observer jusqu’à quel point converge ou diverge la perception française vis-à-vis de la réalité de l’Himalaya dans les documents publiés aux différentes époques. L’objet de cet article se limite à trois régions indiennes de l’Himalaya, à savoir le Jammu-et-Cachemire, l’Himachal Pradesh et l’Uttarakhand. Ces trois régions du Nord de l’Inde sont des régions importantes du point de vue géographique, historique, ethnique et religieux. L’Himalaya « séjour des neiges », entité géographique, ne s’impose pas comme telle au premier abord en raison de sa grande diversité. Mots-clés : Image, récit de voyage, Himalaya, pèlerinage, stéréotypes. Le grand Himalaya est loin d’être une région homogène. Les hauteurs de l’Himalaya sont considérées comme la demeure des dieux et le lien spirituel entre l’homme et la nature. D’une part, selon les épopées hindoues, l’Himalaya est la demeure de dieu Shiva et de son épouse Parvati, déesse de l’énergie. Ces montagnes sont, d’après la mythologie indienne, les cheveux bouclés de Shiva donnant naissance au Gange, le fleuve le plus sacré de l’Inde. D’autre part, selon les traditions bouddhistes cette chaine montagneuse est le refuge éternel des esprits des différents Rimpochés et gourous. Toutes ces croyances mènent les Hindous et les Bouddhistes à vénérer l’Himalaya comme la divinité nourricière et protectrice. Il a été ainsi une source d’inspiration pour la mythologie. Il nous arrive à penser que l’Himalaya indien est perçu comme le berceau de la spiritualité et de la sagesse d’après la représentation des voyageurs-auteurs français dans leurs œuvres. Les questions que nous allons soulever dans cet article sont les suivantes : En général, quelles sont les routes de pèlerinage citées dans les documents français ? Quelles activités spirituelles y sont-elles pratiquées ? Comment est-ce que les voyageurs

1. (i) DE TURCKHEIM Arnaud et Olga, Remontant la vallée du Gange, Actes Sud, Paris, 1952. (ii) DE TURCKHEIM Arnaud et Olga, Un chemin à l’orée du ciel : l’Himalaya indien, Actes Sud, Paris, 1955. (iii) GUERARD Xavier, Résidence indienne : pèlerinage aux sources du Gange en moto, Editions Magellan & Cie, Paris, 2003. (iv) GUEZENNEC Mireille-Joséphine, Gange : aux sources du fleuve éternel, Editions Cheminements, Paris, 2005.

168 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 français en parlent dans leurs récits de voyage ? Quelles sont les divinités dont parlent les écrivains-voyageurs ? Comment sont-elles décrites ? Pour répondre à ces questions, notre article se divise en trois parties portant sur la représentation des lieux de pèlerinage hindous et bouddhiques, les pratiques spirituelles et les divinités religieuses. En premier lieu, nous allons dégager l’image spirituelle de l’Himalaya indien à travers ses lieux de pèlerinage hindous et bouddhiques. Les lieux saints trouvent leur place dans l’itinéraire de tous les auteurs des récits de voyage mais leur description et la représentation de ces endroits varient de l’un à l’autre. Il existe plusieurs lieux de pèlerinage qui figurent dans nos documents analysés mais pour cette communication, nous nous en concentrons sur 3, Haridwar, Gaumukh et le Ladakh. A travers les exemples étudiés, nous déduisons que les images de la saleté et de la misère de certains lieux de pèlerinage hindous frappent les voyageurs occidentaux. Ceci est bien évident lorsqu’ils décrivent Haridwar, un lieu de pèlerinage important aux pieds de l’Himalaya où se tient tous les douze ans la célèbre Kumbh Mela. Olga et Arnaud de Turckheim constatent : Hardwar, une ville aussi sale que sacrée où les cochons nagent aussi bien que les pèlerins dans le Gange !2 Ainsi, d’après les de Turckheim, Haridwar est une ville de pèlerinage sacrée mais sale où les cochons nagent aussi bien que les pèlerins dans le fleuve sacré. La saleté est due aux milliers de pèlerins qui y viennent de toute l’Inde pendant toute l’année pour pratiquer plusieurs rituels religieux. Par ailleurs, Haridwar est représenté comme une ville très peuplée comme le remarque Xavier Guérard: Bien que Hardwar signifie « la porte des dieux », c’est une ville aussi bruyante que les autres. A Hardwar l’on peut voir des mendiants, de saints hommes, des fakirs, des sâdhus demandent de l’aumône, donnent des conseils, offrent leurs services, se proposent comme guides.3 Haridwar est ainsi représentée comme une ville sacrée, mais bruyante et surpeuplée, ville remplie de sages, de mendiants et de temples. De ce fait, nous constatons une série d’images contrastées pour décrire Haridwar. Toutes ces images sont dépeintes par l’Occident pour se distinguer, voire se valoriser par rapport à l’Orient. Ici nous pouvons citer Christine Maillard : L’Occident s’est construit en se valorisant et en définissant, par la négative, ce qu’il n’était pas, projetant sur un Orient fantasmé mais miséreux sa distinction de l’Autre.4 Par contre, l’image exotique, mystique, mystérieuse, voire hyperbolique de l’Himalaya indien est évoquée lorsque les auteurs français décrivent des endroits, tels que Gaumukh et ou le Ladakh. Citons un exemple de Joséphine-Mireille Guezennec où elle décrit le paysage de Gaumukh, la source du Gange.

2. DE TURCKHEIM Arnaud et Olga, Remontant la vallée du Gange, Actes Sud, Paris, 1952. p.28. 3. GUERARD Xavier, Résidence indienne, Editions Magellan& Cie, Paris, 2003, p.59. 4. MAILLARD Christine, L’Inde vue d’Europe, Editions Albin Michel, Strasbourg, 2008, p.29.

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Des nuages opaques et lourds de neige donnent un grand coup de gomme sur l’éphémère apparition. La vision des sommets de Sivling et Neelkant rejoint les rêves qui s’accompliront aux beaux jours.5 Nous observons souvent des images hyperboliques. A titre d’exemples, l’auteure esquisse cette description : « La beauté fascinante, inexplicable et lénifiante, des nuages opaques et lourds de neige donnent un grand coup de gomme sur l’éphémère apparition et les rêves qui s’accompliront aux beaux jours. » En outre, Le Ladakh est un endroit souvent représenté dans les récits de voyage. Voyons ce qu’Olga et Arnaud de Turckheim en disent : Le Ladakh évoque une sorte de mysticisme qui le fait à la fois un pays tout mystérieux. A l’écart du monde, cet environnement rude et difficile ne pouvait donner lieu qu’à une intense vie spirituelle et religieuse.6 Le Ladakh est par conséquent un endroit mystique et mystérieux loin du monde pour mener une intense vie spirituelle et religieuse. Le Ladakh est une région influencée par la religion bouddhiste et elle est considérée comme l’une des régions les plus mystérieuses de l’Himalaya. Nous remarquons que la plupart des récits de voyage abordent plus les régions habitées par les bouddhistes, par exemple, le Ladakh, Dharamshala, Lahaul et Spiti, etc. L’intérêt vis-à-vis de la région du Ladakh et de la spiritualité bouddhiste se produit en raison de sa proximité géographique, religieuse et culturelle avec le Tibet. Les habitants du Ladakh et de Dharamshala sont originaires du Tibet. Ils se sont installés dans ces deux parties de l’Inde lors de l’annexion du territoire tibétain par les Chinois. D’ailleurs, les Occidentaux porte un intérêt particulier pour s’initier à la culture bouddhiste du Ladakh - étroitement liée à la culture tibétaine - qui est souvent perçue chez eux comme une culture pleine de mysticisme et de magie. Il est important de noter également que la description de sites de pèlerinage musulmans et sikhs en est absente. En second lieu, nous avons étudié la représentation des pratiques spirituelles dépeintes par les auteurs français. Ces activités spirituelles qui figurent dans les récits de voyage sont le Yoga, la méditation et certaines cérémonies religieuses. D’après les récits de voyage, le Yoga occupe une place importante et populaire dans la spiritualité hindoue mais certains auteurs en parlent sans avoir une connaissance efficace et profonde du sujet. Jean Denis et Xavier Guérard mettent plus d’accent sur l’aspect du bien-être sexuel que sur celui de la santé. Nous avons rencontré quelques stéréotypes liés au Yoga. La plupart des voyageurs occidentaux et même, dans une certaine mesure, ces récits de voyage parlent à la fois de la spiritualité hindoue et de la sexualité. Nous avons même remarqué quelques exemples choquants. A titre d’exemples, nous voulons citer Xavier Guérard :

5. GUEZENNEC Mireille-Joséphine, Gange : aux sources du fleuve éternel, Editions Cheminements, Paris, 2005, p. 127. 6. DE TURCKHEIM Arnaud et Olga, Un chemin à l’orée du ciel : l’Himalaya indien, (b) Actes-Sud, Paris, 1955, p.84. 170 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Les gestes du Yoga sont à la fois des formes d’amour charnel et des hommages au plaisir divin dont la satisfaction paisible assure l’équilibre humain et la santé spirituelle. Le plaisir sexuel et la puissance spirituelle sont ici indissociables.7 D’après certains Occidentaux peu informés, le Yoga est une voie dont le but est à la fois spirituel et sexuel. Selon Jean Denis : Une gymnastique du sexe au service du bien-être corporel et spirituel, tel est le tantrisme et la science du yoga dans son aspect réaliste.8 Nous apercevons donc que l’Himalaya indien est perçu comme un espace paradoxal, à la fois spirituel et voluptueux. Comme le signale Edward Saïd : For many the Orient has been a dominion of hordes and despots or spiritual mystics, exotic sensuality and voluptuous experiences.9 En plus, nous avons remarqué une généralisation erronée concernant les prières et les cérémonies des hindous, lorsque Xavier Guérard écrit que tous les hindous prient nus dans le noir. Les Hindous prient nus, le plus nu possible [...] pour invoquer les pouvoirs spirituels. Ils prient tout seul dans l’obscurité sous le monde immobile.10 Examinons un autre exemple lié aux cérémonies religieuses. Jean Denis déclare dans son œuvre que : Les Hindous adorent les idoles et poussent l’imposture jusqu’à vouloir qu’elles parlent ! Ils croient à la réincarnation des âmes ! Or, ils ignorent le Dieu unique [...] Les Hindous, je trouve, sont assez rigides dans leur esprit.11 Cette citation nous montre une certaine image stéréotypée des hindous qui sont représentés comme des êtres bizarres et rigides, différents des Occidentaux. La plupart des images sont donc créées par les écrivains dans le but de renforcer le rationalisme occidental au détriment des comportements indiens souvent considérés illogiques. En troisième lieu, nous avons relevé lors de l’analyse de la représentation des divinités hindoues et bouddhistes une approche moqueuse, ironique et satirique des écrivains de ces récits. Cela se manifeste dans les exemples suivants : C’est vraiment marrant de voir que les hindous sont si dévoués au lingam qui n’est que le phallus de Shiva, le protecteur de la masculinité !12

7. GUERARD Xavier, op.cit., p.101. 8. DENIS Jean, op.cit., p.62. 9. SAID Edward, op.cit., p.24. Pour beaucoup, l’Orient a été tantôt un lieu de domination des hordes et des despotes, tantôt une terre de spiritualité et de mysticisme, de sensualité exotique et d’expériences voluptueuses. (Notre traduction) 10. GUERARD Xavier, op.cit., p.33. 11. DENIS Jean, op.cit., p.71. 12. GUERARD Xavier, op.cit. p. 91.

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Il y a aussi l’eternel Ganesh, ventripotent et rigolard, la trompe tordue comme une vieille pipe tyrolienne.13 Ainsi, cette approche de la représentation fait référence à la tendance des Français à chercher les éléments qui leur semblent bizarres et drôles afin de juger l’autrui et son espace comme inferieur et barbare. Citons un exemple où Mireille-Joséphine Guezennec décrit un des dieux tibétains : La représentation (de Mahakala) est terrible, avec des dents féroces, une longue langue pendante rouge et une couronne de crânes et des guirlandes d’os autour du cou. Je me demande s’il est vraiment protecteur de ses dévots ayant une telle forme démoniaque, effroyable et funèbre !14 Ensuite, l’ouvrage de Jean Denis parle des singes qui sont considérés comme animaux sacrés par les hindous puisqu’ils les voient comme incarnation de Hanuman. Jean Denis raconte une de ses expériences sur les singes qu’il a rencontrés aux lieux de pèlerinage et stations climatiques : En sortant d’un hameau, près de Manikaran, notre voiture a roulé sur le serpent. C’est terrible ! Tu viens de tuer un serpent ! m’a-t-il dit mon ami indien. Surtout c’est lundi, le jour de Shiva…ce n’est pas un bon signe ! C’est un grand malheur ! Ah non, c’est mardi aujourd’hui ! Ai-je dit. A l’air du grand soulagement, il m’a répondu : Ô mon dieu, c’est bien. C’est le jour d’Hanouman, le dieu singe. Alors, tu dois prendre gaffe des singes...15 Jean Denis souligne donc qu’il faut être bienveillant envers les serpents et les singes puisque ce sont des animaux sacrés associés à Shiva et à Hanuman. Il existe également d’autres types de stéréotypes dans les récits de voyage notamment quand les auteurs décrivent des villes sacrées, nous pouvons citer comme exemple les histoires récurrentes de vaches, d’ascètes nus nageant dans le Gange en mettant du bhubhuti 16sur leur corps et les stéréotypes des temples gigantesques, etc. Cette perpétuation des images bizarres et terrifiantes est un aspect important dans presque tous les récits de voyage français. Issue d’un processus multidimensionnel qui dure depuis des millénaires, la perception stéréotypée bien enracinée orientalise davantage l’Himalaya indien. Ceci est de plus confirmé par E. Techoueyres : L’Occident est toujours prêt à relever de nouveaux exemples des images grotesques et barbares. « L’Orient devient ainsi un tableau vivant de bizarrerie. ».17 En guise de conclusion, nous retiendrons que le regard français vis-à-vis du paysage spirituel de l’Himalaya reste stéréotypé et superficiel côtoyé d’une approche eurocentrique archétypale d’un monde exotique et mystérieux. 13. Ibid., p.32. 14. GUEZENNEC Mireille-Joséphine, op.cit., p.134. 15. DENIS Jean, op.cit., pp.80-81. 16. Cendre sacrée utilisée par les disciples de Shiva. 17. TECHOUEYRES E., « Spiritualité indienne et science occidentale », cité dans Sciences Humaines, n° 143, pp.32-43, avril 2004. 172 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Par contre, l’image exotique, mystique, mystérieuse, voire hyperbolique de l’Himalaya indien est évoquée lorsque les auteurs français décrivent les endroits, comme Gaumukh et Ladakh. Selon Edward Saïd : The orient is viewed as both a repository of mysticism and a site of exoticism, excess, and mystery by the West.18 Ainsi, l’Orient éternel, immobile, mystérieux, exotique et érotique est représenté en contraste avec l’univers de la société industrielle européenne émergente. Citons Christine Maillard à cet égard : Le trait essentiel de la culture européenne est précisément ce qui l’a rendue hégémonique en Europe et hors d’Europe : l’idée d’une identité européenne supérieure à tous les peuples et à toutes les cultures qui ne sont pas européens.19 La plupart des images sont ainsi inventées par les écrivains afin d’évoquer les éléments exotiques pour renforcer l’identité occidentale souvent considérée supérieure et rationnelle. Par conséquent, cette approche de la représentation fait référence à la tendance des Occidentaux de chercher les éléments qui leur apparaissent bizarres et grotesques afin de juger l’Autre et son milieu comme inferieur et moins civilisé. Enfin, nous déduisons que l’Himalaya indien est représenté dans les récits devoyage comme une « vraie demeure des dieux bizarres » et un berceau de deux grandes spiritualités indiennes, à savoir l’hindouisme et le bouddhisme où il n’existe ni islam, ni sikhisme, ni jainisme.

Bibliographie

Sources primaires : 1. DE TURCKHEIM Arnaud et Olga, Remontant la vallée du Gange, Actes Sud, Paris, 1952. 2. DE TURCKHEIM Arnaud et Olga, Un chemin à l’orée du ciel: l’Himalaya indien, Actes Sud, Paris, 1955. 3. GUERARD Xavier, Résidence indienne : pèlerinage aux sources du Gange en moto, Editions Magellan & Cie, Paris, 2003. 4. GUEZENNEC Mireille-Joséphine, Gange : aux sources du fleuve éternel, Editions Cheminements, Paris, 2005. Sources secondaires : 1. GUENON René, Orient et Occident, Editions Payot, Paris, 1924 (réédité Véga, Paris, 1979). 2. INDEN Ronald, Imagining India, Indiana University Press, Bloomington-Indianapolis, 1990. 3. JODELET D. Représentations sociales : phénomènes, concepts et théorie, Psychologie sociale, Paris, 1984.

18. SAID Edward, op. cit., p.16. L’Orient est considéré à la fois comme un référentiel de mysticisme et un site de l’exotisme, de l’excès, et du mystère de l’Occident. 19. Christine Maillard, op.cit., p.21.

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4. KAUR J. & SINGH T. V., Himalayan Pilgrimages, Adventure sports and the New Tourism, Himalayan Books, New Delhi, 1985. 5. LEYENS J., YZERBYT & SCHADRON, Stéréotypes et cognition sociale, Mardaga, Bruxelles, 1996. 6. MAILLARD Christine, L’Inde vue d’Europe, Editions Albin Michel, Strasbourg, 2008. 7. MOSCOVICI Serge, Social Representations, Blackwell Publishers, Oxford, 2000. 8. NEGI Laxman, Cultural, Religious and Adventure Tourism in Panch Kedar, Samaya Sakshaya, Dehra Dun, 2007. 9. PORCHER Claude-Marie, POUCHEPADASS Jacques et al. L’Inde et l’imaginaire, Editions de l’école des hautes études en sciences sociales, Paris, 1988. 10. SAID Edward, Orientalism (Western conceptions of the Orient), Vintage Books Editions, Toronto, 1979, (réédité 2001). 11. TECHOUEYRES E., Spiritualité indienne et science occidentale, Editions Ophrys, Paris, 1948. 12. VALLET Odon, Les spiritualités indiennes, Gallimard, Paris, 1999. Articles consultés: 1. GUEZENNAC Mireille-Joséphine, “Kumâon : Invitation au voyage” dans Nouvelles de l’Inde, no. 346, August, 2004. 2. MALAMOUD Charles, “Cuire le monde. Rite et pensée dans l’Inde ancienne” dans Sciences Humaines, vol. 67, no. 143, pp. 32-43. 3. TOFFIN G., “De la nature au surnaturel : les paysages et divinités en Himalaya” dans Etudes rurales, no. 107-108, pp. 9-26.

174 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Récit de voyage d’une exilée dans l’Etrangère de Malika Oufkir

Bhawani Singh Sankhala

Résumé

Le voyage signifie le déplacement dans l’espace à travers du temps. On va aborder ce thème dans le roman ‘L’étrangère’ de Malika Oufkir, l’écrivaine marocaine. “L’étrangère » nous trace la vie post- prison de la famille Oufkir dans laquelle elle s’exprime ses expériences de la vie prisonnière et de sa vie en liberté. On a bien remarque la vie prisonnière l’a rendue forte et plein d’espoir. Cet article a pour objectif d’étudier quel rapport le déplacement horizontal entretient-il avec le déplacement vertical ? La recherche préliminaire indique que c’est notre vision personnelle qui manifeste dans la représentation de la réalité.Pour mieux cerner notre hypothèse,nous allons analyser bien ses expériences à travers son déplacement horizontal qui signifie l’espace géographique et le déplacement vertical qui traite le voyage à travers du temps. Mots-clés : Voyage, L’étrangère, Malika Oufkir, déplacement verticale et horizontale, déterritorialisation. L’Etrangère de Malika Oufkir est un exemple de la littérature carcérale. C’est un ouvrage autobiographique qui la permet de pousser son imagination de faire un voyage imaginaire. Le vécu dans la prison devient le catalyseur qui rend le pouvoir de voler à l’oiseau de l’imagination. La vision du monde se change à cause de la prison. Ce sont les individus qui voient le monde différemment. Cela nous indique que l’on peut capturer le corps et quand le corps est capturé, c’est l’esprit qui vole plus fortement. Elle est en exil pour plusieurs années, prisonnière dans le désert du Sahara. Ce qu’elle apprend pendant son demeure dans la prison. cela la restreint sa pensée et quand elle voyage en France et aux Etas unis, le déplacement change sa vision du monde maintenant c’est l’oiseau qui vole hors de son etat et c’est une forme postive de l’exile qui change notre point de vue vers le monde entière. Puis La notion d’exil suggère un déplacement spatial, même si l’on peut imaginer différentes formes d’exil. Le mot < exil > est issu du latin exsolum (ex- « hors de » et solum « seul ») et désigne, en un mot, un arrachement au sol d’origine. L’exil ici, en tant que rupture du lien avec un lieu, un passé, une culture, une langue, signifie crise de l’identité, perturbation dans la filiation et dans la transmission des héritages. L’exil est donc, selon Gilles Deleuze et Félix Guattari, une expérience « déterritorialisant », qu’elle soit de nature affective, linguistique, socioculturelle ou religieuse, et quelle que soit l’échelle a la quelle se joue cet exil , qu’on soit interdit de séjour dans une ville , enfermée dans un lieu clos ou expulse d’un pays tout entier. Dans ce roman autobiographique, Malika Oufkir se concentreau déplacement verticale et horizontale qui la permet de connaitre les choses d’une façon différente parce qu’elle avait vécu vingt ans de sa jeunesse dans la prison et maintenant le nouveau monde est tout à fait diffèrent de son imagination. Elle se sent comme une voyageuse martienne qui vient sur terre comme une étrangère. Alors, c’est un voyage d’aller d’inconnu vers connu. C’est un 175 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 voyage de reconnaissance de sa vraie identité à travers le déplacement. C’est le voyage pour partager ses expériences avec le monde entier pour leur mettre au courant ce qu’elle a fait face dans la prison hypothétiquement non-existant dans ce monde monarchique où les gens anonymes sont tués et restent dans les prisons anonymes dans les déserts et comment elle se réfère les horreurs du passé avec le présent. Dans ce texte notre problématique est « quelle rapport le déplacement horizontale entretient- il avec le déplacement verticale ? ». On va essayer de comprendre comment le déplacement horizontale, c’est-à-dire quand elle change l’espace géographique, la pousse vers le déplacement verticale. Elle touche les thèmes récurrents de la littérature postcoloniale où la quête d’identité d’un sujet postcolonial, la place de femme dans le monde, l’idée de la liberté répandue par les pouvoirs coloniaux, l’idée de la maison, l’idée exotique d’orient, les pouvoirs coloniaux défendant la monarchie dans le monde arabe, la forme de la religion pratiquée dans la culture barbare. Les voyages d’Oufkir ouvre un sentiment d’émerveille - chaque fois que nous voyageons à travers du temps avec elle, nous ouvrons nos esprits à une nouvelle émotion et nous nous demandons comment elle est arrivée là. Le voyage d’Oufkir est comme un kaléidoscope où nous sommes à la recherche dans une seule direction, mais l’image transmise à nos yeux est quelque chose d’autre - littéralement comme un kaléidoscope où vos yeux horizontalement mais l’image est divisé verticalement- et aussi magnifique. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et après la décolonisation, les nouveaux états émergeants sont transformés, dans le monde arabo-musulman en particulier, en des régimes dictatoriaux qui de plus en plus interdisent la parole et la liberté de leurs citoyens. Les prisons, des camps sont érigés partout dans cette région du globe, et ailleurs, pour faire face aux flux des prisonniers politiques arrêtés et séquestrés sans jugement dans la plupart des cas. À ces nouvelles méthodes de séquestration et de torture humaines. Un nombre impressionnant de prisonniers politiques avec toutes les exactions qu’ils ont subies. Le monde qui avait cru à la fin de cette barbarie la voit de plus belle répandue. Des témoignages, des romans, des autobiographies, des bandes dessinées, des images connaissent une diffusion considérable en Occident puis en Orient et vont dénoncer ces mesures de rétorsion de l’ère moderne. Des femmes écrivains prisonnières Malika Oufkir, Saïda Mnebhi, Fatna El Bouih, Fatema Ameziane, Latifa Jbabdi (Toutes du Maroc), SohaBéchara ... (Liban), des prisons célèbres telles celles de Kénitra, le camp de Khiâm, et la non moins célèbre prison de Tazmamart, sans oublier Abou Ghoreb et bien d’autres L’un des premiers écrivains est sans doute Abdel Rahman Mounif, écrivain d’origine saoudienne, mais aussi Abdela Zrika, Abdelaziz Mouride, Abdellatif Laâbi, Ahmad Marzouki, Mohamed Raïs dont le témoignage a été le déclic pour d’autres récits. Dans ce roman Malika Oufkir raconte le sort d’une enfant élevée comme une princesse a la cour d’Hassan 2. A la suite d’un coup d’état en 1972 ou son père biologique, le générale Oufkir tenta de renverser son père adoptif le roi du Maroc. Il emprisonne Malika et sa famille pour 20ans dans une prison secrète dans le désert de Sahara. Dans ce roman elle se promène dans les rue de Paris, de Marrakech, de Miami ou de New York avec les horreur de son passé ce qu’elle fait face pendant les jours dure de carcérale. À cause de ça elle est étrangère pour ce monde et vice versa. C’est un voyage antérieur qui se passe n’importe quelle moment elle voit quelques chose liée avec liberté, elle va dans son passé. Chaque

176 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 fois le déplacement l’enseigne quelques choses de nouvelle. On peut observer ça va et vient partout du roman invoque le passé et le présent. Le premier déplacement se déroule quand elle va Paris et pas encore elle n’est pas dehors de son passé. Quand elle est à l’aéroport de Maroc pour aller a paris. Elle dit avant d’embarquement. « dans quelques minutes le lourde silhouette du 747 traversera le rideau des nuages, m’ouvrant définitivement le ciel de la liberté...... m’attendent l’homme de ma vie, ma famille et une nouvelle existence presque vierge, comme si vingt-quatre ans de réclusion n’avaient été qu’un mauvais rêve. Le ciel et bleu presque irréel » (Oufkir 41). On peut voir que quand elle voit le ciel comme un symbole de la liberté. Elle se souvient de prison où elle est enchainée mais maintenant elle est libre mais pas toute a fait parce que le cœur est tout à fait remplit de ses mémoire de passée. Le déplacement horizontale (le déplacement de l’espace) dans le ciel la pousse à penser son jours de enchainement alors elle travers le temps c’est-à-dire déplacement verticale. Chaque moment elle déteste sa demeure en prison. Les moments libre provoquent son mémoire d‘aller dans le passé. Quand l’hôtesse la demande une boisson (p.42). Même le mot boisson invoque son mémoire ici aussi l’espace provoque le mémoire. L’avion est un espace du luxe ou elle voit les choses et elle dit que boire un jus d’orange dans un verre plastic la parait un comble du luxe. Quand elle va dehors de la prison, elle voit des choses inconnues qui sont tout à fait étrangères pour lui. Il n’y aucune moyen de mettre au courant dans la prison. Quand elle découvert le soleil, les voitures, les hommes, la beauté sauvage de son pays pour elle la prison est tous qu’elle sait jusqu’à maintenant et elle dit que « nous étions des extra terrestre, des Martiens en exile sur la planète Terre » (p 50) ici si on utilise l’imagination fictive on peut voir que l’endroit où elle est capturé, est une prison dans le désert de Sahara, ce sont les mêmes terrains existent sur Mars. Pour elle la terre est le Maroc, la France et les êtas unis. Elle fait distinction entre tous les trois le Maroc comme un espace postcoloniale qui fait face beaucoup de problème à cause de la monarchie et « C’est New York, cette énorme cite légendaire face à la quelle, paris est un bouge de campagne » (156) Elle valorise l’Amérique sur la France et elle dit qu’à paris elle a besoin de ses amis et son mari mais ici en Amérique elle a la liberté et dit que New York lui semble respirer sous ses pieds. La France comme un pouvoir empirique qui défend la monarchie et l’Amérique comme une espace de rêve ou on peut pratiquer la liberté comme on fait dans les rêves. La forme de la liberté est absolue et l’Amérique est le seul pays qui aaccepté les immigrants partout du monde. Chaque fois le déplacement horizontal le permet d’aller vers le déplacement vertical. Les autorités français la fait peur quand elle voit les policiers dans la France avec le bâton et elle dit que « la peur me serre au ventre, pas la peur des coups, mais celle d’être arrêté, interrogée, emprisonnée pour m’être mêlée des affaires d’autrui. » Les autorités la fait peur et elle se souvient de son passé chaque fois les éléments qu’elle voit c’est la voyage antérieur qui la permet d’aller dans l’horreur du passé. Quand dans le Paris elle voit le SDF et elle sympathise avec eux parce qu’elle se sent mêmes et peut lier avec eux. Elle n’a pas d’identité et dans la quête d’identitaire elle fait 177 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 voyage. Elle est une femme qui passe ses 24 ans dans la prison. Elle perd ses racines de l’humanité et ce voyage la permet de restaurer son identité.Entrain de voyage elle affronte un voleur et elle le batte et elle se souvient que les durs jours de sa carcérale donne le pouvoir d’affronter chaque le présent l’évoque de la voyager en temps. Dans une instance dans ce roman elle critique le Hollywood disant qu’elle représente le monde arabe exotique et elle montre les déserts et la beauté de ce monde mais elle ne montre pas la réalité grotesque, la cruauté de la monarchie, la violation des droits humains. C’est la fausse représentation du monde arabe mais les horreurs sont mal représentés. Pour conclure on peut dire que la voyage antérieur qui se déroule dans ce roman à travers le déplacement horizontal qui évoque le déplacement vertical comme Edward Saïd dit dans son livre orientalisme « The more one is able to leave one’s cultural home, the more easily is one able to judge it, and the whole world as well, with the spiritual detachment and generosity necessary for true vision. The more easily, too,does one asses oneself and alien cultures with the same combination of intimation and distance » (Said 245) C’est le déplacement à travers un voyage imaginaire ou bien physique qui nous permet d’aller dehors de notre prisme du monde et nous aide bien explorer et élaborer le monde. Dans ce livre Malika Oufkir essaie de faire une voyage antérieur qui va et vient entre passe et présent et par ses expériences dans ce monde elle critique avec propre raisonnement. Elle voudrait devenir une messagère qui illumine le monde entière qui croit dans le monde arabe exotique et ne pas voir d’autre partie grotesque. Une autre chose est qu’imaginer pour Oufkir en raison de sa vie en isolement, voyage prend un autre sens - et maintenant quand elle écrit les romans biographique elle utilise sa voix auteur pour parler à travers les zones géographiques, des générations et des temps. pour Pico Iyer-voyage est comme mouvement à travers le temps et l’espace où nous faisons l’expérience fugaces aperçus de l’histoire à travers tant de prismes - et comment elle compte résonne avec toute une génération de femmes à grandir à des ménages patriarcale violente-où ils ne sont jamais autorisés à aller dans les espaces ouverts - et le seul moyen de sortir se manifeste dans l’esprit.

Études cités

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178 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Voyage Documentaire de Michel Leiris en Afrique Noire

Bratish Sarkar

Résumé

Michel Leiris était un surréaliste désabusé, a voyagé pour l’Afrique à la recherche d’une nouvelle peau. Il a fui ses inquiétudes métropolitaines, apportant avec lui un primitivisme d’avant-garde qui a assombri sa perception de l’Afrique, de ses peuples et de ses cultures. Incapable de secouer ses rêves de Breton et de désirer des femmes bien habillées, il se tourna vers l’auto-examen et l’écriture. En tant qu’archiviste et secrétaire de la Mission Dakar-Djibouti, son journal ‘L’Afrique fantôme’ offre une fenêtre sur le développement de l’ethnographie, ses méthodes et institutions, ainsi que sur l’éthique de la collecte d’objets. Le pillage des villages pour les objets à exposer dans les musées parisiens est devenu une entreprise pseudo-érotique pour les frustrés Leiris, qui se réjouissaient dans le frisson de son pouvoir de couteau. Ce qu’il trouve dans la brousse africaine, à son grand désarroi, c’est la persistance de sa francité plutôt que de lui-même comme l’Autre primitif. La participation de Leiris à cette expédition historique sur le terrain n’était cependant que le début d’un engagement à vie avec l’Afrique et d’un processus d’incorporation des éléments des colonies aux pratiques et aux institutions culturelles françaises. Mots-clés : Mission Dakar-Djibouti, ethnographie, musées, primitivisme, Michel Leiris, avant-garde, musées, colonialisme, ethnographie, surréalisme. Plus que la plupart des participants au monde anthropologique, Michel Leiris échappe à la définition des catégories traditionnelles de l’activité intellectuelle. Avec un pied dans Anthropologie et littérature, sa vie a également été centrée sur des relations personnelles étroites avec un réseau diversifié d’artistes et de penseurs créateurs, de Picasso à Sartre. Dans Le domaine de l’anthropologie, tant sa reconnaissance de l’importance de l’ethnologue La subjectivité et sa fascination pour les situations sociales et culturelles « hybrides » (particulièrement en milieu colonial) placent son œuvre en I930 un demi-siècle en avance de son temps.Son vrai nom était Julien Michel Leiris, il est né le 20 avril 1901 à Paris et il est decedé le 30 septembre 1990 à Saint-Hilaire, Essonne, France.Il était un écrivain surréaliste et aussi un éthonographe. Michel Leiris, en 1931, prit la fuite pour l’Afrique, un homme frustré souffrant de phobies sexuelles, d’inhibitions écrivains et d’un penchant pour l’abus d’alcool (Roudinesco 1992 : 45-48). Suivant les conseils de son ami Georges Bataille, Leiris a commencé la psychanalyse en 1929 pour ces problèmes interdépendants qu’il a dû interrompre pour entreprendre son voyage à travers le continent africain. Avec le consentement de son analyste, Leiris accepte l’invitation à se joindre à la mission Dakar-Djibouti en tant qu’archiviste et secrétaire, ce qui l’éloignera de sa vie à Paris pendant une bonne partie de deux ans. Il n’est donc pas surprenant que les notes de terrain du jeune auteur reflètent sa santé mentale fragile où les obsessions personnelles, l’auto-reproche, et l’âme angoissante l’accompagnent de village en village et même sur le bateau de retour à la maison. Cette

179 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 information biographique, considérée dans ses contextes historiques et culturels, jette une lumière précieuse sur L’Afrique fantôme de Leiris à cause de son filtre remarquablement subjectif en tant qu’observateur d’Afrique (Leiris 1981). En fait, le lecteur apprend autant, sinon plus, sur le monde intérieur de Leiris dans L’Afrique fantôme que sur les peuples et les cultures de l’Afrique qu’il a rencontrés le long du chemin. Même dans les circonstances ordinaires, la localisation de l’écrivain comme sujet de cette manière est utile à l’étude de la littérature de voyage et de l’ethnographie comme discipline, mais cette approche prend de plus en plus d’importance avec L’Afrique fantôme, étant donné l’état d’esprit troublé et la mission personnelle de l’auteur : Leiris est allé en Afrique à la recherche d’une nouvelle peau. Ses attentes culturelles de l’Afrique ont tenu l’espoir pour sa propre transformation personnelle en se reconnectant avec l’enfant sauvage à l’intérieur. Bien que n’étant plus officiellement membre du groupe surréaliste lorsqu’il est parti pour l’Afrique, des traces de la participation de Leiris à cette expérience révolutionnaire sont présentes tout au long de son journal de voyage. Parmi tous ceux qui ont participé au surréalisme français, Michel Leiris fournit le meilleur exemple de la manière dont son milieu intellectuel d’avant-garde à Paris a combiné une fascination africaniste avec des notions de protestation politique. Dans cet esprit, je vais explorer à la fois les limites épistémologiques et institutionnelles de l’engagement de Leiris avec l’Afrique dans L’Afrique fantôme. L’attention portée à l’épistémologie de Leiris se focalisera sur sa perception de lui-même, de l’Afrique et des autres ethnographes de l’équipe avec lui par rapport aux constructions dominantes de « l’Afrique » avec des catégories « primitives » et « civilisées » - l’opposition structurant le primitivisme d’avant-garde. La description de Leiris de leur travail en tant qu’ethnographes (Collection d’objets, utilisation de traducteurs) et la justification de leurs actions fournit des preuves troublantes de la relation problématique de sa génération avec l’Afrique. Le rôle de l’archiviste et secrétaire de la mission Dakar-Djibouti, première expédition ethnographique française en Afrique, l’a placé dans une position privilégiée pour enregistrer à la fois les domaines où il et sa cohorte ouvrent de nouveaux horizons ainsi que les lacunes de leurs pratiques. En raison de la nature collective de cette mission ethnographique, il sera utile de considérer la dimension institutionnelle de l’engagement de ces Français avec l’Afrique en plus des concepts et des catégories organisant le discours de l’auteur. Leiris fait partie d’une équipe d’ethnographes, dirigée par Marcel Griaule, qui a traversé le continent africain d’ouest en est, commençant à Dakar à l’automne 1931 et finissant à Djibouti au printemps 1933. Bien que l’inspiration pour l’expédition ait été multiforme, L’entreprise était avant tout une entreprise de collecte de musées financée en partie par le gouvernement français. Au cours de l’année et demie du groupe passé en Afrique, ils ont rassemblé plus de 3500 oeuvres d’art et artefacts qui sont maintenant logés au Musée de l’Homme. La manière dont la Mission Dakar-Djibouti, en tant qu’initiative institutionnelle parrainée par l’Etat, structurerait et circonscrirait les actions des participants sera considérée comme faisant partie d’un processus collectif d’incorporation d’informations sur les colonies comme moyen de faire face aux impériales expansions. Ces deux dimensions de L’Afrique fantôme - l’épistémologique et l’institutionnel - mettent en évidence la nature paradoxale du rejet de Leiris de la culture française bourgeoise en fuyant en Afrique en quête d’un nouveau moi tout en restant redevables à sa nation et à sa classe, La préservation de leurs intérêts.

180 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Il y a une longue tradition d’écrivains français qui se préparent à échapper à la fatigue de leurs occupations intellectuelles à Paris ; Deux prédécesseurs mentionnés par Leiris sont Arthur Rimbaud et André Gide. Le cas de Rimbaud est le plus extrême des deux : il abandonne entièrement la poésie d’écriture et se met à la voile pour l’Afrique, seulement pour revenir des années plus tard sur une civière avec des histoires sauvages à raconter (Nicholl 1997). Pour Gide, c’est juste après avoir terminé Les Faux-monnayeurs (1925) qu’il entreprend un long voyage à travers l’Afrique équatoriale française. À son retour, Gide publia ses journaux de voyage ‘Voyage au Congo’ (1927) et ‘Retour du Tchad’ (1928), qui vendit immédiatement des milliers d’exemplaires. Non seulement les impressions de Leiris sur l’expédition africaine de Gide l’accompagnent sur la route, Leiris nourrit les espoirs de rencontrer réellement Rimbaud en Afrique - la quintessence des rebelles devenus natifs4. Le début de L’Afrique fantôme révèle l’état d’esprit initial de Leiris et comment le voyage a été entrepris avec le désir d’échapper à la monotonie de la vie métropolitaine. “En somme, très peu de différence entre la vie du fonctionnaire à Paris et sa vie à la colonie (j’entends : dans les grands centres) ; il a chaud et il vit au soleil au lieu d’être enfermé ; en dehors de cela, même existence mesquine, même vulgarité, même monotonie, et même destruction systématique de la beauté. J’ai grand’hâte d’être en brousse. Cafard” (Leiris 1981 : 28). La quête de Leiris n’était pas seulement de découvrir l’Autre, mais de se trouver en Autre. Loin de ses devoirs conjugaux, de la société française et des querelles de la Centrale surréaliste, il trouve son chemin non pas vers un être sauvage et sauvage, mais vers l’écriture. La distance dans cette équation était décisive, libératrice; Il a créé un sentiment de sécurité et de stimulation. Il a été confronté à une abondance continue d’informations à interpréter et sa tâche officielle était de prendre des notes. C’était une recette parfaite pour guérir le bloc de l’écrivain mais pas nécessairement celui qui ferait la carrière d’un écrivain. Leiris écrivit L’Afrique fantôme, l’œuvre qui le rendait célèbre, sans aucune idée qu’il deviendrait un classique, alors que ses publications ultérieures - souvent le fruit d’un travail laborieux - n’avaient jamais obtenu la même reconnaissance. La combinaison de l’ethnographie et de l’autobiographie - une recherche de soi dans l’Autre - qu’il a trouvée lors de son premier voyage en Afrique est devenue un aspect durable de sa vie d’écrivain. Dès le début, le jeune poète fait des observations approfondies sur son environnement, ce qui prête une qualité écrivain aux notes de terrain de l’ethnographe en difficulté. Il n’épargne ni les Européens ni les indigènes son ironie humoristique rendue avec un usage habile de détails descriptifs: “Allé le soir avec les B… et Griaule à L’Oasis, dancing nègre de Dakar. On y voit : des négresses – femmes ou amies de sous-officiers de tirailleurs – habillées à l’européenne ; des putains noires, métisses ou arabes ; quelques grosses négresses en costume local ; des pédérastes nègres qui dansent ensemble en petit veston cintré ; un pédéraste blanc à l’allure d’employé de bureau dansant, une fleur à la bouche, avec un marin nègre à pompon rouge ; deux sous-offs de la coloniale dansant en couple ; trois types de la marine marchande ou de la marine de transport, dont l’un (à casquette blanche à visière, petite moustache en fil, et cigare) a aussi merveilleuse allure que les plus beaux aventuriers des films américains“ (ibid.: 33). Ce passage illustre le ton d’une grande partie de L’Afrique fantôme: sa qualité hybride combine la pratique noteuse de l’archiviste-secrétaire (« On y voit : ... »), une sensibilité

181 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 littéraire à l’amoureux à la recherche de sensations fortes, comme Ainsi que l’œil d’un ethnographe pour documenter l’Autre. Le style conscient de Leiris, l’utilisation libérale des dates et des noms de lieux permettent au lecteur de situer le sujet narratif dans le temps, l’espace et la culture. En termes plus généraux, l’intersection entre autobiographie, ethnographie et vision surréaliste de la culture fait de L’Afrique fantôme un document particulièrement précieux de l’engagement de l’auteur dans les tendances culturelles qui ont façonné les valeurs et les perspectives de sa génération, notamment le primitivisme d’avant-garde. Compte tenu de son âge et de son état d’esprit - Michel Leiris n’avait que trente ans quand il partit pour l’Afrique en 1931 - il démontre parfois un admirable scepticisme et une maîtrise de soi dans ses perceptions. Il exprime des doutes sur la crédibilité de ses sources d’information et même suspecte que certaines des performances. Leiris exprime ouvertement des réserves quant à l’objectivité de l’ethnographe et se permet plutôt de communiquer ses propres contradictions personnelles - joies, peines et frustrations - à la fois dans la sélection et le commentaire des scènes, qui donne une touche d’humanité unique à L’Afrique fantôme. Leiris commence par un rejet viscéral de tout ce qui est européen et laisse échapper des occasions de railler les indigènes qu’il rencontre - pour être sauvage, analphabète, pré- logique - contrairement à d’autres témoins comme Gide. Mais la perspective française de Leiris est néanmoins opérationnelle et nulle part plus évidente que dans son rapport paradoxal à la culture métropolitaine bourgeoise, si typique du primitivisme d’avant-garde. Il remarque, par exemple: « Voici enfin que j’aime l’Afrique. Les enfants donnent une impression de gaîté et de vie que je n’ai rencontrée nulle part ailleurs. Cela me touche infiniment » (ibid., 34). Cette idéalisation de l’Afrique en tant que royaume des enfants, libre des contraintes du monde civilisé, représentait un pays des merveilles inaccessible pour Leiris. Bien que ce mythe primitiviste persistait pour la plus grande partie de son voyage, il finit par reconnaître l’impossibilité de devenir l’enfant ou l’indigène dont il rêvait. Après sept mois de route, Leiris regrette que sa vie en Afrique n’ait pas livré le paradis d’enfance qu’il avait espéré et note: « Avec mon casque, ma chemise kaki, ma culotte de trappeur, je reste le même homme d’angoisse que Certains considèrent comme un bon type, à la fois tranquille et pittoresque, Une sorte d’artiste bourgeois « (ibid., P. 162). Cette frustration résultant de son échec à la quête de l’auto-transformation le suivit tout le chemin du retour à Paris. Plutôt que la moyenne tabula rasa du discours colonial, « l’Afrique » devient une vaste étendue de territoire qui permet à l’écrivain d’explorer lui-même le continent et ses fantasmes, qu’il décrit en termes libidinaux qui ressemblent au désir d’un homme Femme (ibid.: 182). Beaucoup d’éléments de primitivisme d’avant-garde structurent la représentation de Leiris de son expérience de l’Afrique : une idéalisation du buisson primitif en contraste avec un mode de vie civilisé métropolitain, le désir persistant de se reconnecter à un être sauvage et indompté, un penchant pour l’exotique et tropical à La dépense d’évaluations plus précises et réalistes, et ainsi de suite. Leiris note régulièrement leurs acquisitions et les circonstances entourant ces activités, y compris l’utilisation de traducteurs, les négociations prolongées et les scandales intermittents. Ainsi, le processus de collecte des objets apparaît comme un thème constant 182 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de la revue. Les remarques initiales de Leiris sur ce sujet reflètent sa participation volontaire au groupe, sa reconnaissance d’une incompréhension entre les Français et les villageois ainsi que la preuve de ce que l’auteur a par la suite appelé son arrogance européenne: « L’enquête et la collecte d’objets commencent et se poursuivent dans une ambiance parfaitement idyllique. Les gens s’amusent beaucoup de nos questions, qui leur semblent invraisemblables de futilité. Il en est de même de nos achats, puisque tous ces éléments sont susceptibles d’être très frustrés (ibid., P. 41). Ses réactions, ici celle d’un amusement détaché mélangé à un sentiment d’autosatisfaction, subissent de nombreuses transformations le long du chemin allant de la frustration profonde à l’émerveillement comme Leiris relie les interactions du groupe avec les populations indigènes. Cependant, ce renversement non autorisé des valeurs, des perspectives et de l’intégrité culturelle des populations autochtones caractérise les descriptions de Leiris. En plus de rassembler des objets pour exposer dans les musées parisiens, l’équipe d’ethnographes sous la direction de Griaule a documenté et étudié divers aspects des cultures africaines qu’ils ont rencontrées y compris les arts traditionnels, le rituel, la religion, la langue et l’histoire. Les notes de terrain qu’ils ont acquises, cependant, reflètent de brèves rencontres puisque l’équipe a passé très peu de temps dans chaque endroit. Ils se sont également appuyés sur des traducteurs et n’ont pas été en mesure de connaître les personnes ou leurs pratiques. En ce sens, la dimension collecte d’objets de l’entreprise et la documentation subséquente qu’ils ont inspirée a contribué plus longtemps à l’étude ethnographique des cultures africaines France. Griaule (1933 : 7-12) décrit leur approche ethnographique comme méthodologiquement expérimentale; Forgeant une combinaison originale d’esthétique, de sociologie et de psychologie. Un groupe autour des anciens surréalistes a commencé à développer un intérêt ethnographique dans les cultures non occidentales des colonies françaises d’outre-mer; Des intellectuels tels que Bataille et Leiris ont franchi une étape au-delà des surréalistes et ont pris les cultures dites « primitives » comme objet d’étude ethnographique. Cette synthèse interdisciplinaire dont l’ethnographie française a émergé reflète l’atmosphère et la sagesse de l’entre-deux-guerres, marquant la première étape d’un processus continu qui donnerait lieu à la combinaison de l’anthropologie et du marxisme par les écrivains qui ont contribué aux Temps modernes Tour ont raffiné leurs outils analytiques en accord avec leur propre ère et ses impératifs. Le point ici est que les engagements français avec la culture coloniale sont dynamiques, mis à jour à mesure que chaque nouvelle génération redéfinit ses méthodes et ne peut être homogénéisée en une seule épistémologie colonialiste. Si son intention était d’exploiter le côté sauvage et indompté de l’individu dont Breton et les surréalistes écrivaient, l’expérience de Leiris en Afrique produisit presque l’effet inverse. Dans sa quête de quitter lui-même et sa culture - pour devenir Autre - ses quelques moments d’accomplissement viennent d’accomplir ses devoirs bureaucratiques comme archiviste et secrétaire. Le lecteur est témoin d’un double vol dans L’Afrique fantôme: incapable de perdre son moi européen dans le buisson africain tant attendu, Leiris s’enfuit de son angoisse par écrit. La prise de notes devient son refuge ultime: « Au dîner, je reçois plusieurs lettres. Comme toujours, elles me comblent de joie d’abord puis me plongent dans un abîme de tristesse, en me faisant sentir plus durement ma séparation. Je me couche et je dors à peine, réveillé d’abord par une petite pluie qui me 183 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 force à regagner mon compartiment, puis par les moustiques, la voiture n’ayant pas de lampe électrique je n’ai pas pu installer ma moustiquaire dans le wagon .12 juillet. Cafard terrible le matin, à pleurer. Puis salut, en me plongeant dans les travaux bureaucratiques et dans la rédaction de ce journal, depuis quelques jours abandonnés » (ibid., 62). Un autre coup de cafard! De toute évidence, la réalité de cette expédition n’était pas aussi remplie d’aventure que l’ancien surréaliste l’avait espéré. Quand les émotions deviennent accablantes et les raisons pour lesquelles il quitte la France, il se tourne vers l’écriture, qui devient le véritable processus de découverte. Après son retour d’Afrique, Leiris a travaillé comme ethnographe, documentant un grand nombre des objets recueillis sur cette mission dans son bureau du Musée de l’Homme. Ces développements marquent le début d’un processus continu d’incorporation des éléments des territoires français d’outre-mer aux pratiques et institutions culturelles françaises. Tout cela faisait partie d’une réorganisation et d’une rationalisation plus profonde de l’identité nationale française dans le contexte de l’héritage impérial de la nation. Une des interprétations les plus influentes de ce processus d’ajustement conceptuel de l’intelligentsia française à la suite des nouveaux termes de leur participation aux cultures et aux peuples colonisés par la France a été l’argument avancé par James Clifford dans The Predicament of Culture (1988). Pour rendre compte des affinités conceptuelles entre le surréalisme et l’ethnographie, Clifford propose que les deux activités impliquent un processus de défamiliarisation culturelle. Il compare l’effort du surréalisme pour rendre les aspects familiers de la culture française étranges avec les ethnographes dont le but est de rendre étranges cultures familières. Le processus élémentaire de repenser les valeurs culturelles et de pousser les limites conceptuelles se reflète dans la manière dont Clifford a lié les dimensions d’avant-garde de l’ethnographie et du surréalisme. Il associe l’assaut aux perceptions classiques des valeurs culturelles qui avaient été dirigées contre l’establishment bourgeois par le dadaïsme et le surréalisme avec une relativisation de la supériorité culturelle européenne par rapport aux colonies. Il fait ressortir les similitudes entre l’art d’avant-garde et l’ethnographie et affirme qu’ils ont tous deux servi à décentrer l’autorité culturelle européenne pendant les années 1930. Pour illustrer sa comparaison du surréalisme et de l’ethnographie, Clifford cite le Collège de sociologie comme son exemple unique de surréalisme ethnographique et L’Afrique fantôme de Leiris comme son seul exemple d’ethnographie surréaliste, mais il admet que les deux sont des constructions utopiques (Clifford 1988 : 147). La portée limitée de ses exemples est moins un problème que leur statut utopique; Cela soulève des questions sur ce que c’est en cette période de l’histoire intellectuelle française que Clifford cherche à s’approprier pour faire avancer la critique contemporaine des pratiques culturelles européennes. Si l’ethnographie a contribué à rendre plus visibles les cultures lointaines des populations colonisées par la France à un public métropolitain, la nature du processus conservait encore la centralité d’une perspective française. Bien que Clifford considère la collection et l’exposition d’objets d’art africains dans les musées parisiens comme rédempteurs et alimentés par une idéalisation nostalgique de l’art africain comme quelque chose de «pur» à récupérer par l’Occident, il ne reconnaît pas les implications de cette idéalisation française de l’Afrique Est inscrite dans une épistémologie colonialiste.

184 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

L’attention persistante de l’auteur aux détails ici est remarquable. La façon dont il observe ses propres gestes théâtraux suggère un plaisir pervers dans leur démonstration de volonté et de puissance. De même, la description minutieuse de détails tels que la fuite des villageois, les larmes de la jeune femme et la place déserte du village témoigne d’un manque total de compassion pour la perturbation du bien-être de la communauté. La façon dont les hommes d’oreilles roses venaient et violaient l’intégrité spirituelle de cette communauté était sans doute regrettée pour les années à venir. De plus, Leiris semble apprécier le statut de démon, de voleur et de coupable. Il décrit leur départ: « Les 10 francs sont donnés au chef et nous partons en hâte, au milieu de l’ébahissement général et parés d’un auréole de démons ou de salauds particulièrement puissants ou osés. À peine arrivée à l’étape (Dyabougou), nous déballons notre butin: c’est un énorme masque à la forme vaguement animale, malheureusement détérioré, mais entièrement recouvert d’une croûte de sang coagulé qui lui confère la majesté que le sang confère à Toutes choses » (ibid., P.104). Curieusement, Leiris considère les discussions sur la littérature et l’esthétique comme discontinues avec leur entreprise ethnographique en Afrique. Cet aveu révèle à la fois les attentes de Leiris sur les voyages en Afrique et la disparition éventuelle de ces illusions après plusieurs mois sur la route. Cette admission clarifie encore comment les informations recueillies au cours de leur voyage à travers l’Afrique a été filtré à travers l’esprit des intellectuels qui ont trouvé la conversation sur les grandes œuvres de la tradition littéraire européenne irrésistible, même une fois qu’ils sont arrivés dans le buisson longtemps attendue d’Afrique. Mais le fait qu’un filtre esthétique soit présent n’est pas du tout incongru; Au contraire, l’esthétique était à l’origine de l’engagement des intellectuels français avec les cultures non occidentales en termes ethnographiques. Ce que cette affirmation dément, c’est la façon dont leur centre de gravité est resté européen et que le sien a été la cause de la consternation. Une autre explication influente des engagements français avec l’Afrique est une version recyclée de l’hypothèse originale d’Edward Said que le geste européen d’atteindre vers les cultures étrangères met le visage intellectuel face à son propre désir. C’est aussi une idée puissante et convaincante, mais elle exclut la possibilité de processus dynamiques et de changements progressifs au fil du temps, contrairement à l’approche de Clifford, qui prétend trop optimiste sur l’avenir pour les avant-gardes européennes. Bien que le filtre perceptif de Leiris ait été nuancé par des préoccupations personnelles et un primitivisme d’avant-garde alors qu’en Afrique, au cours des années 1930, des semences ont été plantées qui ont permis des expériences ultérieures - son amitié avec Aimé Césaire, plus de voyages en Afrique et dans les Caraïbes - . En ce qui concerne les épistémologies européennes et les perceptions de l’altérité, Marc Augé a observé de façon provocante que les ethnographes du type décrit dans L’Afrique fantôme étaient principalement engagés dans le dialogue avec eux-mêmes et que cela tend généralement à être le cas (Augé 1992 : 36-40). Il semble difficile de contester la vision eurocentrique de l’art africain et son parrainage par l’establishment artistique en France pendant les années de l’entre-deux-guerres. La mission Dakar-Djibouti, par exemple, a été financée en partie par le gouvernement français et par des soirées de cravate noire organisées en tant que fonds de levée, auxquels ont assisté des hommes blancs à chaussures brillantes. La tendance de « l’art nègre », comme on

185 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 l’appelait, pendant les années d’entre-deux-guerres attirait à la fois l’establishment et ses dissidents; Il s’adressait aux marchands d’art riches ainsi qu’aux artistes d’avant-garde et aux ethnographes. Le parrainage et l’intérêt divers de la mission Dakar-Djibouti montrent comment le primitivisme français était un phénomène culturel moins lié à la décentralisation de l’autorité culturelle française qu’à l’adaptation de certains aspects de l’identité française à la consolidation de l’empire colonial français. En tant qu’événement, la mission Dakar- Djibouti suggère un processus élaboré d’interprétation et de tri des différences culturelles. La première ethnographie française a pris forme ainsi dans le cadre d’une tentative de dériver un vocabulaire conceptuel permettant d’articuler les mutations internes de la culture française résultant d’un engagement sans précédent avec les cultures et les populations des territoires d’outre-mer français. Il a fallu du temps, cependant, pour que les pratiques culturelles qui ont été inspirées par le primitivisme d’avant-garde se développent en des formes plus réfléchies d’enquête culturelle. A ce stade, le primitivisme d’avant-garde partagé par les surréalistes et les surréalistes dissidents devenus ethnographes provient de leur propre désillusion avec la société européenne en tant qu’intellectuels français. Au cours de l’entre-deux-guerres, l’appropriation conceptuelle de cette lointaine altérité par l’avant-garde française a été motivée par un désir occidental d’une existence « primitive » idéalisée, comme celle qui est venue avant la vie cosmopolite décadente. La pratique de rejoindre l’Afrique et de ramener les artefacts culturels de la manière dont Leiris décrit inéluctablement la réinscription des relations de force fondamentales du colonialisme, qui permet à ces « matières premières » d’être façonné en produits pour la consommation métropolitaine. Les relations de pouvoir qui définissent cette forme d‘« échange » culturel sont plus claires pour ceux qui sont désabusés par la transaction. En fait, la position de privilège inavoué que les artistes et les intellectuels d’avant-garde jouissaient pendant les années d’entre-deux-guerres a créé une cécité critique dans leur perception de tous les aspects des cultures « primitives » en question. Dans les fantasmes occidentaux, l’art « primitif » tend à se situer dans le passé, en association avec une existence antérieure idéalisée, et cette vision s’avère incompatible avec la vision des artistes africains comme contributeurs actifs à la redéfinition de la culture contemporaine. Avec le temps, Leiris reconnaît les limites de son filtre subjectif dans la préface qu’il écrivit à la deuxième édition de L’Afrique fantôme en 1950 : « Je ne puis nier, cependant, que l’Afrique du début de l’avant-dernière décade était elle aussi bien réelle et que ce n’est pas fait à elle mais à moi il faut que je m’en prenne si Les problèmes humains qui s’y posent déjà ne m’ont frappé que les éniles revêtent l’aspect d’abus absolument criants, sans m’arracher pour autant à mon subjectivisme de rêveur » (Leiris 1981 : 12). Le subjectivisme de rêveur de Léiris ne lui permettait pas de s’engager sérieusement dans les réalités sociales et politiques qu’il rencontrait, bien qu’il reconnaisse rétrospectivement qu’elles étaient là pour lui voir. Le vocabulaire qu’il utilise pour décrire les limites de sa perspective en 1931 évoque explicitement le surréalisme et sa conception du sujet. Comme Leiris décrit son changement de perspective, il se réfère, comme Breton, à son expérience de la Seconde Guerre mondiale: « C’est un livre bien dépassé par la situation - et pour moi bien vieilli - que cette Afrique fantôme réimprimée aujourd’hui quelques années après la mise au pilon, pendant l’occupation allemande, de presque tout le reliquat de sa première édition » (Ibid., P. 11). 186 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Leiris discute de la censure de L’Afrique fantôme sous , ainsi que d’un changement d’attitude face aux questions de race, de nation et de formes de protestation politique. La Seconde Guerre mondiale a aidé l’intelligentsia de gauche en France à voir l’exploitation coloniale et la réaction de la Négritude à une nouvelle lumière. En fin de compte, Leiris allait plus loin que Breton en mettant à jour ses idées et ses valeurs avec les temps. Au cours de la période d’après-guerre, Leiris devient rédacteur en chef de la revue Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre, où il présente la poésie d’Aimé Césaire. Essentiellement, il l’a écrit pour lui-même. Il croit qu’il a déjà dit que c’était un livre expérimental, documentaire. Il avait plein de littérature, surtout de surréalisme; Il avait eu plus que lui pourrait prendre de la civilisation occidentale. Il voulait voir ce qui se produirait quand il se’est forcé à enregistrer pratiquement tout ce qui s’est passé autour de lui et tout ce qui a traversé dans sa tête. C’était essentiellement l’idée de son écriture.

Références

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2. Breton, A, “Un grand poète noir”, in A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris : Présence africaine, 1983.

3. Clark, P, “Gide’s Africa” South Central Review, USA : Corpus Christi, 1997.

4. Clifford, J, The Predicament of Culture ,Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1988.

5. Davies, H, Sartre and “Les Temps modernes”, Cambridge : Cambridge University Press, 1987.

6. Foster, H, “The ‘Primitive’ Unconscious of Modern Art” October (Fall), USA : The MIT Press, 1985.

7. Griaule, M, “Introduction méthodologique” Minotaure, UK : Rowman & Littlefield, 1933.

8. Kaufmann, V, “Michel Leiris: On ne part pas” Revue des sciences humaines, LXXXX, 214 (April-June), France : Lille, Nordeal, 1989.

9. Leiris, M, L’Afrique fantôme, Paris : Gallimard, 1981.

10. Miller, C, Blank Darkness : Africanist Discourse in French, Chicago : University of Chicago Press, 1985.

11. Nicholl, C, Somebody Else : Arthur Rimbaud in Africa, 1880-1891, Chicago : University of Chicago Press, 1997.

12. Poitry, G, “Le jeu autobiographique” Magazine littéraire, Chicago : University of Chicago Press, 1992.

13. Rabourdin, D, “L’esprit du surréalisme” Magazine littéraire, Chicago : University of Chicago Press, 1992.

14. Roudinesco, E, “Une psychanalyse terminée” Magazine littéraire, Chicago : University of Chicago Press, 1992.

187 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Tahiti aux Yeux de Paul Gauguin : Un Témoignage entre Les Pages de Noa Noa

Ishitaa Saxena

Résumé

Le voyage n’est pas seulement un divertissement mais aussi un porte qui s’ouvre vers l’autrui et l’ailleurs. Le témoignage des réactions réelles ou imaginées, suscitées chez le voyageur face à ce qui est autre nous est disponible sous forme de la littérature de voyage. Plusieurs civilisations doivent leur proéminence dans les écrits littéraires et mêmes historiques à cette envie de dévoiler les mystères qui entourent l’Autre. Souvent ces mystères semblent impénétrables sous le couvert des légendes. Notre étude met en question cette constatation et se fonde sur la supposition que les mythes nous servent en tant que véhicules d’explorer, d’expliquer et de saisir finalement l’énigme présentée par l’Autre et non comme des voiles qui empêchent sa découverte. Nous allons analyser quelques éléments mythiques tahitiens décrits dans le récit de voyage, Noa Noa (1929) de l’artiste, Paul Gauguin dont les expériences pendant son premier séjour à Tahiti (1891 – 1893) y sont enregistrées. À l’aide d’une analyse textuelle, nous allons remarquer comment l’artiste essaie de donner un sens à ses interactions avec les Maories à travers les mythes tahitiens qui expliquent des mœurs sociales dominantes observées par le peintre dans la société tahitienne. Ainsi, nous allons définitivement établir le rôle joué par les mythes vers la compréhension des éléments semblant ésotériques en ce qui concerne l’Autre. Mots-clés : Noa Noa, mythes, légendes, Tahiti, Paul Gauguin, voyage, XIXe siècle, récit, découverte, ailleurs.

1. Introduction

Le rôle de voyage dans la découverte de l’Autre ne peut pas être nié. Le témoignage des impressions et des réactions du voyageur face à tout ce qui est Autre, nous est souvent disponible sous forme de récits de voyage. En 1891, Paul Gauguin alla à Tahiti pour la première fois. Le 26 mars 1891, il était enfin « chargé d’une mission à Tahiti, à l’effet d’étudier au point de vue de l’art et des tableaux à en tirer, les coutumes et les paysages de ce pays [...]1. Ce voyage était le résultat d’une longue planification d’un projet artistique – un « atelier des tropiques » où Gauguin avec quelques-uns de ses contemporains auraient créé des tableaux à l’écart de la rigidité imposée par l’Académisme en Europe. Cependant, déçu dans ses attentes de rassembler ses confrères dans un endroit lointain, il partit seul afin d’atteindre un nouveau monde pour faire raviver son art. Il y passe deux ans avant de revenir à Paris avec une série de tableaux au contenu et aux titres ineffablement « exotiques ». Nous savons déjà 1. AA. VV., Gauguin, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1989, p. 77, cité dans Maubon Catherine, « Noa Noa : Une Fable Exotique » in Littérature, No. 81, Peinture et Littérature, Février 1991, p. 19-20. 188 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 que Gauguin avait écrit un récit de voyage, Noa Noa, en 1894, après son retour à Paris, pour accompagner cette nouvelle série novatrice, inspirée de ses expériences à Tahiti.

2. La conception de Noa Noa

Noa Noa nous fournit des anecdotes vivides du premier séjour tahitien (de 1891 à 1893) de l’artiste. Rédigé à son retour en France, Noa Noa connut une longue histoire polémique de publication à cause du malentendu entre ses collaborateurs, Paul Gauguin et Charles Morice, comme discuté par Catherine Maubon2. Dans le cadre notre étude, nous analysons quelques extraits de l’édition définitive publiée à Paris en 19293. Sans doute, c’est un récit non-linéaire qui déborde des éléments ésotériques reliés aux évènements ou réflexions, relatés apparemment au hasard. Selon Linda Goddard,Noa Noa est un texte complexe qui s’inscrit dans la tradition établie de la littérature de voyage sur la Polynésie ainsi que lui pose un défi, en même temps4. Bien que son commentaire concerne la nature de la collaboration entre Gauguin et Charles Morice pour la rédaction du premier manuscrit de Noa Noa, nous pouvons l’appliquer à la fois à sa plénitude des instances où il narre les mythes pour faire avancer sa prose, surtout ceux qui peuvent expliquer les mœurs sociales tahitiens. Le fait que Gauguin s’entremêle la narration de ses expériences avec les mythes est conforme à la tradition de la littérature de voyage du XIXe siècle5. Mais, Maubon et Goddard néglige de remarquer dans leurs études que ce n’est pas seulement un courant littéraire qui influence l’artiste, c’est plutôt une tentative de rapprocher la vie aux mythes pour qu’il puisse utiliser l’un pour expliquer l’autre.

3. Les mythes en tant que moyen de la découverte

Plusieurs découvertes d’autrui et d’ailleurs sont incitées par une envie de dévoiler les mystères qui les entourent. La découverte d’autrui du point de vue de Gauguin est l’un des thèmes dominants de Noa Noa. En fait, l’envie de donner un sens à son nouvel environnement et la communiquer à ses compatriotes ne peut pas être niée chez Gauguin, observe Maubon6. Tout de même, les mystères d’autrui semblent impénétrables sous le couvert des mythes. Pourtant, est-il possible que les mythes nous servent en tant qu’instruments d’explorer, d’expliquer et de saisir définitivement l’énigme présentée par l’autrui ? Outre la découverte d’ailleurs, les mythes constituent un autre thème important dans Noa Noa. Qu’est-ce qui peut expliquer la raison de cette prédilection de Gauguin pour ces mythes ? Est-ce que le fait d’intercaler ces mythes tout au long de son récit est un acte délibère pour mieux expliquer le comportement des tahitiens ? Est-ce que l’exploration des mythes l’avaient aidé à naviguer avec l’aisance la société tahitienne ? Est-ce que ces mythes l’ont aidé à

2. Catherine Maubon discute l’histoire de la publication de Noa Noa ainsi que de ses diverses versions. Cf. Ibid., p. 23-24. 3. Gauguin Paul, Noa Noa, Paris, G. Cres et C1e, 1929. 4. Goddard Linda, « ‘The Writings of a Savage?’ Literary Strategies in Paul Gauguin’s “Noa Noa” », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 71, éd. The Warburg Institute, 2008, p. 278. 5. Ibid., p. 283. 6. Maubon Catherine, « Noa Noa : Une Fable Exotique »Littérature, No. 81, Peinture et Littérature, Février 1991, p. 39. 189 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 comprendre et se comporter bien dans sa nouvelle ambiance ? Ces questions nous mènent à l’hypothèse de cette étude : Gauguin essaie de donner un sens à ses interactions avec les Maories à l’aide des mythes tahitiens qui de leur part expliquent des normes sociales observées par le peintre à Tahiti. Il évoque des mythes tahitiens pour cette raison dans son récit de voyage. Quelque fois, comme souligné par les universitaires tels que Goddard, il dépend des publications européennes pour ressusciter les déités et les mythes tahitiens comme discute par Dorival dans son article « Sources of the Art of Gauguin from Java, Egypt and Ancient Greece » publié en 1951 et Huyghe dans son article « La Clef de Noa Noa » aussi paru en 19517. De plus, poursuit-elle, Gauguin construit soigneusement une narration autour de la rencontre de l’Européen (lui-même) et l’exotique en invoquant des aventures et des mythes polynésiens qui ne nous révèle pas ses expériences authentiques8. Toutefois, ses descriptions des mythes, authentiques ou non, forment une des cibles révélatrices de sa perception d’autrui et c’est pourquoi, ces mythes décrits dans son récit, nous intéressent dans le cadre de cette étude. Les mythes, inspiraient-ils dans ses poursuites artistiques ? Voire, pensait-il que ces mythes pouvaient l’entrainer à un éveil spirituel ? Pour Gauguin, les mythes tahitiens peuvent revêtir plusieurs significations des explications trop simplistes, un thème exploré par Mary Lynn Zink dans son article « Gauguin’s Poèmes barbares and the Tahitian Chant of Creation ». Elle explique que Gauguin, en considérant des mythes tahitiens, y voit des métaphores puissantes qui expriment des vérités spirituelles universelles9. Nous allons voir comment l’artiste se sert de ces mythes pour donner un sens à ses expériences avec les indigènes de cette île.

(a) L’importance des mythes

Cela nous mène à une autre question – pourquoi les mythes forment un véhicule pour Gauguin de saisir l’énigme présentée par l’Autre ? La réponse nous est donnée encore par l’historien des religions, Mircea Eliade : les concepts métaphysiques du monde archaïque ne se traduisent toujours pas dans la langue théorique mais par le symbole, le mythe, le rite et d’autres moyens propres à eux. Donc, il est nécessaire d’en comprendre la signification profonde pour traduire ces concepts dans la langue usuel10. Il est évident que Gauguin en tant qu’un homme européen a besoin des mots correspondants aux théories métaphysiques dans sa propre langue. En dépit de ses mots, il a besoin d’inventer ou emprunter des mots pour exprimer une réalité métaphysique tahitienne qui n’est possible qu’après avoir conçu les concepts semblant ineffables et leur signifiance au quotidien à cette île.

(b) Le statut des mythes dans une société primitive

Nous devons aussi considérer le statut d’un mythe dans une société archaïque. Ce que nous appelons un mythe n’en est pas dans une société d’où il est originaire. Pour les habitants 7. Goddard Linda, « ‘The Writings of a Savage?’ Literary Strategies in Paul Gauguin’s “Noa Noa” »,Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 71, The Warburg Institute, 2008, p. 277. 8. Ibid. 9. Zink Mary Lynn, « Gauguin’s Poèmes barbares and the Tahitian Chant of Creation », Art Journal, Vol. 38, No. 1, College Art Association, 1978, p.20. 10. Eliade Mircea, Cosmos and History: The Myth of the Eternal Return, New York,Harper Torchbooks, 1959, p.3. 190 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de cette société les mythes représentent des réalités qui sont sacrées, des exemplaires sur lesquels leur comportement est modelé et ont une importante signifiance dans la vie quotidienne11. Pour s’intégrer dans la société tahitienne, Gauguin dut donc avoir recours aux mythes qui lui ouvre une voie sur la compréhension de la conduite des autochtones. Il est possible que souvent les actions ritualisées, menées au quotidiens semblent étranges, voire sauvage a un homme « civilisé » dans une société « primitive » mais si nous ne nous donnons pas la peine d’en trouver le sens, ces rituels se risquent d’être vus comme « une irruption pathologique des instincts » et de disparaître sous l’influence des autres civilisations plus dominantes que celle-ci tandis que les antécédents mythiques sur lesquels ces rituels se basent, les confère une valeur religieuse, en les reconnaissant comme des faits humains, faits de culture, création de l’esprit12. Ce fait oblige Gauguin de retrouver et d’approfondir sa connaissance des rituels qu’il observe à travers les mythes. Si c’était le cas, nous pouvons dire que les mythes avaient plus d’importance pour le peintre-voyageur et ils avaient le potentiel de l’aider à naviguer ses interactions sociales avec les tahitiens en facilitant sa compréhension de leurs normes culturelles. Même Maubon soutient cette observation en constatant que ‘Ce qui fait la différence radicale de l’expérience exotique de Gauguin [...] : la conscience aigüe [...] que la connaissance de l’autre interne passe à travers la connaissance de l’autre externe et le vice-versa’13. Ainsi, les mythes qui se manifeste par les rituels, les superstitions et certains comportements explique aussi l’esprit tahitien. Pour saisir le rôle joué par les mythes à cet égard, il faut examiner, de près, quelques mythes. Donc, les mythes ne peuvent pas être rejetés comme des fabrications ayant des éléments fantastiques. Il existe une fondation concrète des mythes dans la vie. Mircea Eliade dans la préface de l’Édition Torchbooks observe que les mythes préservent et transmettent des paradigmes ou des modèles exemplaires des activités responsables auxquelles les êtres humains s’engagent14. Nous allons tirer quelques exemples des mythes de Noa Noa pour voir si cette observation tient dans ce cas dans la section suivante. Nous entreprenons cette étude à l’aide d’une analyse textuelle en repérant quelques éléments mythiques de Noa Noa.

4. Les mythes dans Noa Noa

Notre analyse se divise en quatre parties – dans un premier temps, nous allons étudier le mythe des Tupapaus (des esprits malfaiteurs) que l’artiste apprend pour se familiariser avec les attitudes tahitiennes basées sur une superstition. Puis, nous allons discuter le mythe concernant le dialogue entre la Déesse de la Lune et le Dieu de la Terre qui aide l’artiste à percevoir comment les autochtones utilisent des bases mythiques pour s’expliquer des vérités universelles comme la mortalité. L’étape suivante constitue une analyse comprenant le mythe du Dieu de la mer (Rana Hatou) pour donner encore un sens aux habitudes et aux superstitions de la société tahitienne. Et finalement, nous allons considérer le mythe 11. Ibid., p.9. 12. Eliade Mircea, Cosmos and History: The Myth of the Eternal Return, New York, Harper Torchbooks, 1959, p. 12. 13. Maubon Catherine, « Noa Noa : Une Fable Exotique », Littérature, No. 81, Peinture et Littérature, Février 1991, p. 23. 14. Eliade Mircea, Cosmos and History: The Myth of the Eternal Return, New York, Harper Torchbooks, 1959, p. viii. 191 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de la cosmogonie qui explique pourquoi Gauguin emploie des mythes pour approfondir sa connaissance du monde tahitien.

(a) Le mythe des tupapaus ou des esprits malfaiteurs

Si nous considérons les propos de Mircea Eliade sur l’importance des mythes dans les sociétés dites traditionnelles, nous arrivons à s’expliquer quelques comportements « étranges » ou hors de norme au point de vue occidental chez l’Autre. Eliade note que les mythes représentent un état primordial ; ils dénotent un pont qui lie les peuples appartenant à ces sociétés à leurs dieux ou aux ancêtres. C’est pourquoi, la crédulité de ces gens envers les mythes persiste. Ils croient que les mythes les guident à se comporter d’après un modèle idéal15. Dans le contexte de Noa Noa, nous pouvons appliquer cette observation d’Eliade pour comprendre l’attitude des autochtones tahitiens vers le mythe des Tupapaus (des esprits malfaiteurs). Gauguin raconte deux instances ou les tupapaus dictent le comportement des tahitiens. Dans un premier temps, quand l’artiste évoque son envie d’aller visiter le plateau de Tamanau qui est repoussée par les Indigènes puisque, selon un mythe tahitien, il est fréquenté par ces esprits. Les tahitiens l’avertirent qu’il sera tourmenté par eux : « Bien des hommes m’en {le plateau de Tamanau} avaient parlé, et je formai le projet d’y aller, seul, y passer quelques jours. – Mais la nuit, que feras-tu ? – Tu seras tourmenté par les tupapaus. – Il faut que tu sois téméraire ou fou pour aller déranger les esprits de la montagne !... »16 Cette instance est notoire. Les tahitiens évidemment évitent certains lieux considérés hantés par les tupapaus. Une attitude qui aurait pu être inexplicable à un étranger comme Gauguin, s’explique par le mythe de mauvais esprits qui hantent ledit plateau la nuit. Dans un deuxième temps, c’est encore la peur qui domine l’esprit des tahitiens lorsque les tupapaus sont évoqués. La maîtresse tahitienne de l’artiste, Tehura, esseulée pendant une nuit dans la case donne la preuve de la terreur bouleversante face à la présomption de la présence cette entité méchante. Gauguin, à son retour, tard dans la nuit, est surpris de la retrouver sur le lit dans un état d’un extrême effroi. Elle est presque paralysée par sa croyance qu’un tupapau l’agitait dans l’obscurité : « Quand j’ouvris la porte, la lampe était éteinte, la chambre était dans l’obscurité. [...] Vite j’allumai des allumettes et je vis… Immobile, nue, couchée à plat ventre sur le lit, les yeux démesurément agrandis par la peur, Tehura me regardait et semblait ne pas me reconnaitre. Moi-même, je restai quelques instants dans une étrange incertitude. [...] Savais-je ce qu’à ce moment-là j’étais pour elle ? Si elle ne prenait pas, avec mon visage inquiet, pour quelqu’un des démons ou des spectres, des tupapaus dont les légendes de sa race emplissent les nuits sans sommeil ? »17

15. Eliade Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard (coll. Idées), 1963, p. 14. 16. Gauguin Paul, Noa Noa, Paris, G. Cres et C1e, 1929, p. 69-70. 17. Gauguin Paul, Noa Noa, Paris, G. Cres et C1e, 1929, p.92-93. 192 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Cet incident qui fait aussi objet de l’un de ses tableaux célèbres, Manao tupapau (L’esprit des morts veille) illustre à Gauguin que les tahitiens ne considèrent pas les tupapaus comme des éléments fantastiques relégués a l’imagination mais plutôt des entités réelles qui influencent leur comportent et leurs croyances. Ces deux incidents narrés par Gauguin dans son récit de voyage éclaircissent l’état d’esprit des tahitiens à cet homme européen qui se trouve parmi eux. Il arrive à donner un sens à ces gens qui lui semblaient bizarres à sa première vue. Ce qui parait insondable si nous ont recours à la raison, se laisse déchiffrer par le prisme des mythes. Ainsi, le mythe des tupapaus expliquent à Gauguin pourquoi les tahitiens se méfient d’un certain endroit la nuit et sa compagne s’épouvante en absence de la lumière.

(b) Le mythe de Hina et Téfatou

Gauguin entrecoupe son anecdote pour nous présenter un dialogue entre la déesse de la Lune, Hina et le dieu de la Terre, Téfatou où Hina demande Téfatou de faire revivre l’homme quand il sera mort. Téfatou la refuse en déclarant que,

« [...] l’homme mourra, la végétation mourra, ainsi que ceux qui s’en nourrissent, la terre mourra, la terre finira, pour ne plus renaître. 18» Hina à son tour, proclame qu’elle fera revivre la Lune. La conclusion de leur échange est que, tous ce qui était sous le règne de Hina continuait d’exister tandis que, ce que possédait Téfatou, périssait et l’homme a dû mourir.19 Gauguin évoque le mythe d’un dialogue entre les entités mythiques pour montrer comment les autochtones s’expliquent la mortalité de l’être humaine et les phases de la lune. De ce fait, Gauguin pourrait conclure que les tahitiens cherchaient à interpréter les phénomènes observés au quotidien à travers les mythes. Ainsi, l’observation de Mary Lynn Zink sur plusieurs signifiances des mythes citée ci-dessus se tient dans ce contexte. Sans doute, des vérités universelles peuvent être interprétés par le langage symbolique des mythes.

(c) Le mythe du Dieu de la Mer

Gauguin raconte un autre incident décrivant l’expérience de la pêche avec les Maoris où il remarque une étrangeté dans les actions des Maoris :

« Nous arrivons à un endroit ou la mer est très profonde et qu’on nomme le Trou aux thons. C’est là, en effet, à côté des grottes de Mara, dit-on que ces poissons, la nuit, vont dormir. [...] Comme je demandais pourquoi on ne filait pas une longue ligne de fond dans le trou aux thons, il me fut répondu que c’était impossible : lieu sacré ! Là réside le dieu de la mer. »20 Il est évident que les pécheurs peuvent y capter aisément les poissons mais ils ne s’y approchent point ce qui est inexplicable à l’artiste. Sa curiosité le pousse à en demander la raison, ce qui lui révèle que le trou aux thons est un lieu sacré où réside Rana Hatou, le

18. Ibid., p. 73. 19. Gauguin Paul, Noa Noa, Paris, G. Cres et C1e, 1929, p.73. 20. Ibid., p. 144-145. 193 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 dieu de la mer de la mythologie tahitienne. On lui conte que les pêcheurs, pour ne jamais inviter la colère de ce dieu, ne franchit pas cette zone sacrée. Rappelons ici les propos de Mircea Eliade, dans le contexte des sociétés « primitives », c’est-à-dire, les sociétés où les mythes sont encore vivants, où ils fondent et justifient tout le comportement et toute l’activité de l’homme21 ce que nous avons déjà discuté précédemment dans cet article. Il est possible que souvent les actions menées au quotidien peuvent sembler étranges, voire sauvage à un homme occidental comme Gauguin dans une société « primitive » de Tahiti mais s’il ne se donne pas la peine d’en trouver le sens, ces rituels risquent d’être vus comme « une irruption pathologique des instincts » et par conséquent peuvent disparaître sous l’influence des autres civilisations plus dominantes que celle-ci tandis que les antécédents mythiques sur lesquels ces rituels se basent les confèrent une valeur religieuse en les reconnaissant comme des faits humains, faits de culture, création de l’esprit22. Si Gauguin ne s’efforçait pas de s’informer sur les croyances sous-jacentes qui dictaient le comportement des Maoris, il aurait pu le qualifier d’une idiosyncrasie de ses hôtes qui n’invite guère une réflexion profonde ou même un manque d’observation de leur part. La révélation du mythe de Rana Hatou ajoute une autre dimension dans sa perception de Tahiti en y attribuant une mythologie qui était encore pertinente dans le contexte culturel de cette époque.

(d) Le mythe tahitien de la cosmogonie

Avant de considérer le mythe de l’origine de la race maorie, il est important de noter que Gauguin est allé à Tahiti avec les attentes d’y trouver un paradis terrestre éloigné de l’Europe qui devint un fardeau et d’y raviver ses aspirations artistiques. Au début de Noa Noa, il se plaint de l’Européanisation de Papeete23, mais au district de Mataïeu, à un endroit loin de Papeete, il retrouve sa vigueur. Pour exprimer, cet état de rajeunissement, Gauguin raconte un incident où il va chercher un arbre de rose à la montagne pour ses projets de sculpture. La tâche de coupure de l’arbre accompli à la hache, l’artiste dans un moment d’exaltation décrit son état d’âme : « Je renaissais ; ou plutôt en moi prenait vie un homme pur et fort. [...] J’étais un autre homme maintenant, un sauvage, un Maori. »24 Il faut noter que Gauguin se ressent porté à l’extase à tel point que son assimilation dans la société tahitienne est comme une seconde naissance pour lui. Dans Aspects du mythe, Eliade postule que l’homme des sociétés primitives est obligé de remémorer l’histoire mythique de sa tribu25 et nous avons déjà dit que les mythes fondent la base de tout comportement de l’homme dans cette société. De sa propre admission, Gauguin renaquit en tant qu’un Maori. Selon Eliade, dans les sociétés primitives :

21. Eliade, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard (coll. Idées), 1963, p. 14. 22. Eliade, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard (coll. Idées), 1963, p.12. 23. Gauguin, Paul, Noa Noa, Paris, G. Cres et C1e, 1929, p.31. 24. Ibid., p.68. 25. Eliade, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard (coll. Idées), 1963, p.24. 194 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

« Cette récapitulation du mythe de cosmogonie a pour objet d’introduire rituellement le nouveau-né dans la réalité sacramentelle du monde et de la culture, et, ce faisant, de valider son existence, en la proclamant conformes aux paradigmes mythiques. »26 De son statut du « nouveau-né » dans la société tahitienne, Gauguin récapitule le mythe de cosmogonie tahitienne dans Noa Noa en invoquant Taaora, le dieu suprême dans la mythologie tahitienne et décrit la création de l’Univers par lui27. C’est l’ultime preuve de l’assimilation de l’artiste dans la société tahitienne en tant qu’un membre actif. En invoquant le mythe de la cosmogonie, il accepte quoiqu’indirectement qu’il est maintenant un Maori. Cela nous montre que les mythes ne sont pas seulement un moyen de comprendre l’autrui mais aussi une solution qui peut combler l’écart entre le Soi et l’Autre.

Conclusion

Des mythes et des légendes s’entremêlent souvent avec les expériences personnelles dans la littérature de voyage du XIX siècle. À la première vue, la découverte d’autrui semble poser un défi sous les strates complexes des éléments culturels comme des mythes mais il n’en est pas le cas dans le récit de voyage de Gauguin. En fait, il se sert des mythes non seulement pour donner un sens au comportement des tahitiens et leurs croyances qui les fondent mais aussi pour s’intégrer dans leur société et suivre leur savoir-vivre. Les mythes peuvent ainsi aider à approfondir la connaissance des cultures étrangères chez le voyageur et ils peuvent aussi avoir des signifiances supplémentaires au lieu d’être perçus comme des éléments imaginaires et insolites.

Bibliographie

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196 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Marronnage À La Reunion : Un Voyage à l’Interieur de l’Île

Balasubramanian Jenni

Résumé

Largement conçu pour être un espace d’escale, La Réunion devient très vite une plaque tournante dans l’Histoire de l’Océan Indien au XIXe. Peuplée par la colonisation et l’esclavage, le large de cette ile a connu de nombreux voyageurs. Mais ce qui est intéressant à noter c’est le voyage entrepris dans l’intérieur de l’ile par des écrivains et voyageurs au cours du XIXe siècle. Les hauts de la Réunion ont été longtemps occupés par les esclaves fugitifs, que nous appelons les marrons, alors que les bas par les colons. Ce qui fait du centre de l’ile un espace exotique, mystérieux et à découvrir pour ceux qui appartient au littoral. Dans cet article, nous allons aborder la chasse aux marrons et l’acte de marronnage comme deux types de voyages découvrant l’intérieur de l’ile. Dans un premier temps par le marron puis par le chasseur qui le suit. Mots-clés : Marronnage, récits de voyage, La Réunion, voyage à l’intérieur de l’île, récit coloniaux. Charles Baudelaire dans son poème Le voyage définit le voyage comme un désir ardent et brulant qui permet à l’homme de lutter contre la mort et l’ennui : Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! Traditionnellement, le voyage entrepris par l’Homme est un mouvement dans l’espace et dans le temps. D’après Baudelaire, il est un moyen de lutter contre l’ennui, l’ancien et le Même, qui pousserait à la recherche d’un Ailleurs nouveau et Divers. Une île montagneuse composante d’un intérieur et d’un littoral, la Réunion nous offre une lecture intéressante de son espace insulaire grâce aux mouvements des marrons et de chasseurs que nous allons traiter dans cet article. Les marrons sont des esclaves fugitifs qui fuient de la plantation et se réfugient dans les montagnes. Ce mouvement vers les hauts est tout de suite freiné par un contre-mouvement des petits-blancs, qu’est la chasse aux noirs marron. Ce qui explique que le centre de l’île depuis longtemps s’annonçait comme un espace de guerre, de découverte et de voyage. Toute une littérature de marronnage du XIXe se concentre sur le sujet de la chasse aux marrons et du marronnage en général. Dans le cadre de la littérature du marronnage, la chasse aux marrons a toujours été représentée comme une quête de l’inconnu de la part des colons or le voyage du marron ne prenait qu’un sens c’est d’échapper pour trouver la liberté. Dans ce présent article nous allons aborder la question du marronnage comme une possibilité, un leitmotiv de voyage à l’intérieur de l’île. Ce centre s’agit d’un « Ailleurs » à conquérir, à posséder. La seule façon de la posséder c’est de monter et annoncer la guerre

197 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 aux marrons. D’où nous avons affaire à lire deux mouvements, l’un étant des marrons et l’autre des chasseurs qui les suivent. Dans ces deux cas, nous observerons un mouvement vers le centre de l’île, le lieu par excellence de refuge pour les marrons et un lieu à découvrir pour les chasseurs. Nous allons essayer de montrer, par la suite, comment la littérature du marronnage sous-entend une littérature du voyage fondant le projet de la colonisation de l’espace des hauts de l’île pour les uns et exprimant un besoin de partir pour les autres. Pour cela, dans un premier temps, nous allons faire un survol des œuvres dotant de l’étiquette du roman du marronnage, que nous classifierons en des récits de voyage à l’intérieur de l’île. Dans un deuxième temps, nous allons aborder la chasse aux marrons comme un éventuel voyage destructeur des chasseurs et enfin nous montrerons la signification porterait le voyage vers les hauts pour un fugitif.

La littérature du marronnage à la Réunion

La toute première apparition du marronnage, et surtout de la chasse aux marrons dans la littérature ne se fait qu’en 1839. Ecrit par un blanc créole Eugène Dayot, le feuilleton Bourbon Pittoresque est publié comme roman après son décès prématuré. L’œuvre traite la question du marronnage, de la chasse et de la vie des créoles blancs et voulait se faire une épopée créole. Suite à un écart de cinq ans, les œuvres sur le marronnage commencent à multiplier. Louis Timagène Houat publie Les Marrons en 1844 et il serait le premier non-blanc à publier un roman traitant le marronnage dans son intégralité.Toute cette littérature traitant la question du marronnage met en exergue l’affrontement direct entre les marrons et les chasseurs de marrons. Une histoire sanglante passant au cœur de l’île est majoritairement rapporté par les chasseurs dans leurs rapports. Ce qui veut dire que le marron a eu très peu de chance de narrer sa version de l’histoire et de sa capture, sa vie dans les hauts. Sa voie est rendue silencieuse par le pouvoir coloniale, enfouie dans les archives coloniaux pourtant résonne dans la littérature coloniale. Le marron est toujours présent ainsi que son acte de marronner nourrit tout un genre littéraire propre à la Réunion. Les œuvres sur le marronnage ne cessent de multiplier depuis le début. Ce qui nous explique que le marronnage a toujours eu une place primordiale dans la société réunionnaise où plusieurs ethnies se côtoient au quotidien et permettant les mémoires s’entrelacer. Depuis la poésie jusqu’à la dernière parution des BD, le marronnage réside dans la mémoire active de la société. En dehors de cela, la toponymie de l’Île porte toujours la trace du marronnage, car les hauts de l’ile sont baptisés d’après les grands marrons qui y ont résidé pour marquer la différence entre un bas christianisé et les hauts gardant les noms malgaches.

La chasse aux marrons : un voyage ou une survie ?

Dans la littérature du marronnage, la chasse aux marrons nous apporte un pan d’histoire sanglante de l’histoire réunionnaise. Toute une gamme de littérature de l’époque ne célèbre que ce génocide systématique des marrons refugiés dans les hauts par les chasseurs. Un travail bien rentable et permettant l’exercice du pouvoir, les chasseurs se développent vite comme une classe importante à la Réunion. Une image de colon est à construire pour instruire les concitoyens métropolitains de leur bravoure par l’aspect du voyage à l’intérieur de l’île, mais aussi leur donner une place dans la société coloniale dérobée par la nouvelle classe des gros blancs riches.

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Dans Bourbon pittoresque, Dayot place sa diégèse au XVIIIe siècle. A cet époque, l’image du colon était bien à celui qui « [...] marchait la hache de défrichement d’une main et la carabine de l’autre ». Ce qui montre que le colon est porteur de deux valeurs l’un de découvreur et l’autre protecteur. Pour protéger ses biens et son peuple des marrons, il prouve sa bravoure par des chasses dangereux qui à leur tour tracent la voie du défrichement, de la découverte d’un centre qui ouvre la voie de la colonisation.Ainsi dans la nouvelle une chasse aux nègres marrons de Théodore Pavie, le narrateur-voyageur rapporte la dure vie de Maurice, un chasseur de marron qui embellie sa profession de chasseur comme un désir de conquête de l’inconnu, alors que nous comprenons que c’est la pauvreté qui le pousse à cette profession : Les montagnes attirent comme la mer ; on veut voir ce qui se passe là-haut, comme on aime à savoir ce qu’il y a là-bas, derrière l’horizon. Avec cela, nos pères étaient des aventuriers. Maurice tente de donner une image très positive et aventurière des petits-blancs de l’époque. Dans ce cas, il nie la motivation primaire de la chasse comme un acte de survie et non pas ce désir de découverte. Le Colon avant tout veut protéger son bien. La chasse qu’il entreprend n’est ni un voyage, ni une méditation, mais un acte de rentabilité. La littérature coloniale embellie la vie des petits-blancs et la surélève au statut de découvreur. En revanche, c’est grâce à l’aide de ces chasseurs que la colonie arpente l’espace géographique pour, ensuite la mettre en valeur. Et le petit blanc, qui croit être l’explorateur n’est qu’un simple outil de la politique d’expansion coloniale. Ce voyage, comme le décrit Edouard Glissant dans sa poétique de Relation, devient un nomadisme en flèche qui ne cherche pas à connaitre l’Autre mais tente « l’expansion d’un territoire », la conquête et la subjugation. Toute cette littérature apporte une touche romantique et aventurière à la narration des chasseurs alors que la chasse aux marrons est économiquement motivé et sans plus. Car le créole d’après Leconte de Lisle, « est un homme grave avant l’âge, qui ne laisse qu’aux profits nets et clairs, au chiffre irréfutable, aux sons harmonieux du métal monnayé. Après tout cela, tout est vain, -amour, amitié, désir de l’inconnu, l’intelligence et savoir » On voit que la chasse aux marrons pour les créoles ne s’agit pas d’un voyage allant à la découverte de soi mais au contraire est motivé par les primes qu’ils touchent en collectant la main gauche des marrons. Or il représente le marron comme un avide buveur de sang qui cherche à éradiquer les blancs de cette terre pour la posséder. La position du colon ne pourrait pas être dans l’ambiguë. C’est-à-dire, ses fins sont clairement posées. Et cela définit la relation qu’il entretenait avec les marrons des hauts. Si l’Homme blanc est le détenteur du pouvoir, quelques anciens esclaves perchés sur les montagnes et le surveille déstabilise sa position de force et de supériorité. Or pour réclamer de ce qu’il a perdu, la seule possibilité est de les chasser, les capturer et les tuer. Sécuriser sa survie sur cette terre devient sont ace primordial. Dans cette impulsion la plus fondamentale, le colon trouve sa bravoure et sa position de force et réclame ce qu’il a semblé perdu. Cela veut dire, le voyage qu’il entreprend n’est pas une quête de la Vérité mais une lutte contre l’ennuie, la peur et la survie. L’ennuie car l’île est fini, entourée par la mer, la peur car les marrons les guettent des hauts, la survie car avec l’avènement de l’industrie du sucre, les Gros blanc, les gros propriétaires terriens s’imposent comme l’élite de la société coloniale.

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L’errance du marron : la possibilité de redevenir Homme

Le voyage qu’entreprend le colon à travers la chasse aux marrons ne se limite qu’aux nécessités économiques et coloniales. Ce qui veut dire que son voyage n’est ni motivé par la recherche de la beauté ni par un désir luttant contre la mort. Qu’en est-il pour le marron ? Certes que pour le marron sa première impulsion du marronnage ne signifie qu’un échappement de sa condition de vie d’esclave. Mais cette impulsion dépasse toute viabilité économique. Car une fois esclave, l’Homme Noir est nié de son essence humaine et est réduit à un animal. Or marronner pour lui permet de raviver l’impulsion de recherche de la liberté et de l’humanité. Ce qui veut dire que, le marronnage devient une nécessité à retrouver ce qui a été volée de lui. Il ne voyage pas dans les hauts car il ne porterait aucune réflexion sur sa découverte, du moins nous n’avons jusqu’à présent retrouvé aucune traces écrites. Cependant, ce voyage serait pour lui une errance, un exil dans la nature Réunionnaise qui l’accueil sans trop de préjugé ou de condition. Le roman Les Marrons de louis Timagène, le narrateur nous rapporte la vie en marronnage d’un couple insolite de l’époque : une Blanche et un Noir. Dans leur cas, l’acte de marronner devient une nécessité pour regagner les valeurs humaines dérobées par l’esclavage. La notion de famille se serait que possible pour un esclave dans le marronnage, dans le contact avec la nature car le monde du bas leur renie tout droit d’être ensemble. Ainsi, dans le roman Salazie d’Auguste Vinson, l’auteur-narrateur, décrit le marronnage du fameux couple Anchaing et Héva comme une fuite de l’esclavage « [...] demandant aux bois primitifs et aux forêts vierges, dont il était encore couverte, la liberté que Dieu a donné à tous ses enfants ». Pour Vinson, le marronnage de ce couple est un moyen de s’unir avec la Nature et redevenir Homme dans la liberté absolue. En parlant de l’habileté d’aménagement d’espace par Anchaing, Vinson le décrit comme « le pionnier des temps futurs ». Il n’est pas là pour détruire cette nature mais pour en vivre avec harmonie. Alors que le Colon est là pour posséder cette terre et ne cherche aucune harmonie avec la nature. Pour le marron, ce passage devient initiatique car une fois qu’il dépasse le seuil du connu vers l’inconnu, il rentre dans un mouvement de découverte de soi, de sa raison d’être et de son environnement. Dans les mots de Glissant, le marronnage est « un nomadisme circulaire », c’est-à-dire, une errance qui crée la Relation bannissant la Racine pour laisser prospérer le rhizome : « [...] L’errant qui, n’est plus voyageur ni le découvreur ni le conquérant, cherche à connaitre la totalité du monde. Cette citation de Glissant exprime ce que réaliserait le marron par son acte de marronnage : connaître, cette totalité du monde qu’est la créolisation. Car en marronnant, l’esclave ne tente pas de réduire l’Autre en Un mais tente de se libérer qui entrainera, peut être une libération de l’Autre.Ainsi, le voyage du marron devient une errance, nomadique et rhizomique posant les premières pierres de la créolisation. Nous pouvons le voir surtout dans la littérature abolitionniste comme cette de Houat. L’auteur montre comment l’espace du marronnage donne la possibilité de revivre en famille pour un esclave de même que le métissage. Quand les protagonistes Frême et Marie s’échappent des bas à causes des persécutions raciales, les hauts leur donnent la possibilité de fonder une famille où nait l’enfant mulâtre. De même la littérature postcoloniale qui fait de l’espace du marronnage 200 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 un espace de possibilité d’une confluence culturelle où les marrons et les colons se côtoient. Cependant, ce nouvel agencement culturel tente de masquer la chasse aux marrons et ses atrocités sous le nom de la créolisation. Les romans comme Bourbon Pittoresque achevé ou Un chasseurs de Noirs marrons en introduisant un blanc dans l’espace du marronnage, ces derniers tentent de réclamer l’espace des fugitifs et apaiser la guerre des mémoires. D’où une accaparation de l’espace des hauts, nous passons à une accaparation de l’espace des mémoires des marrons à la Réunion.

Conclusion

Contrairement au colon, la vie des marrons dans la nature s’annonce comme une errance, une méditation lui permettant de découvrir l’essence jadis perdu. Certes que sa vie n’est pas bien meilleure que celle de l’habitation. Il est toujours mal habillé et mal nourrit, cependant traverser le seuil du pouvoir colonial le dénue des désirs envahisseurs. Cette nature n’est pas exotique, à posséder et à arpenter mais au contraire elle est vivante et à vénérer pour garder l’équilibre entre l’Homme et elle. Nous pourrons conclure que le marronnage s’annonce comme une errance à l’intérieur de l’île par le marron qui par son regard ne tente pas la posséder ni la détruire mais vivre en harmonie avec elle d’où un véritable voyage qui va à l’encontre de l’Autre. Donc, pour reprendre les propos de Victor Ségalen, le voyage des petits blancs tombe dans la recherche d’un exotisme stérile, motivé par des fins économique. Cette citation nous rappelle la définition du voyage donnée par Baudelaire comme la recherche du nouveau. Or nous comprenons très vite que la recherche du nouveau tombe vite dans l’obsolète si elle ne cherche que le nouveau et non « la perception totale et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle. Allant au-delà de l’immédiat pour rejoindre le Divers, la différence. »

Bibliographie

1. Charles Beaudelaire, « le voyage », Les fleurs du mal, 1857.

2. Eugène Dayot, Bourbon pittoresque,Nouvelle imprimerie Dionysienne, St Denis 1939. 3. Louis Timagène Houat Les Marrons, 1844, réédition l’Arbre vengeur, Paris, 2011. 4. la Revue des Deux Mondes, 1845. 5. Lecomte de Lisle, Sacatove, p.4. 6. Auguste Vinson, Salazie ou le piton d’Anchaing p.56. 7. Edouard Glissant, La Relation Poétique, Gallimard, 2009, p.33. 8. Victor Segalen, essaie sur l’exotisme, p.44.

201 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Paris, Notes d’Un Vaudois de C-F. Ramuz : Un Regard Familier et Critique de la Ville de Paris

Kumudham Balasubramanian

Résumé

Cette étude a pour but d’explorer l’image de la ville de Paris que Charles- Ferdinand Ramuz (1878-1947), un écrivain prolifique suisse romand, développe dans son essai autobiographique Paris , notes d’un Vaudois. Ramuz se rend à Paris dans le but de faire une thèse sur l’auteur Maurice de Guérin, mais ceci ne voit jamais le jour. Paris, notes d’un Vaudois est un chef - d’œuvre de Ramuz qui témoigne l’expérience de l’écrivain dans cette ville capitale. Paris devient pour l’écrivain un lieu de double sensation : il exprime une attraction mais en même temps une répulsion. Malgré le rapprochement linguistique entre la Suisse et la France, Paris, à travers ses multiples images devient un exil linguistique qui résulte à l’accentuation la race vaudoise de Ramuz. Paris devient donc, un lieu de rêve identitaire et de fantasme esthétique pour l’écrivain vaudois. Mots-clés : Paris, exil, Suisse, langue, écriture, politique, identité, dépaysement. Paris, Notes d’un Vaudois est un texte autobiographique écrit en 1938 par Charles- Ferdinand Ramuz, un écrivain prolifique suisse romand. Cette œuvre englobe le séjour de l’écrivain Vaudois dans la capitale de la France. Le « petit » Vaudois comme se dénomme Ramuz lui-même dans son œuvre est venu pour la première fois à Paris en 1900 dans le but de préparer une thèse sur l’écrivain français de 18ème siècle, Maurice de Guérin, dont il fut un admirateur passionné. Cependant cette thèse n’a jamais vu le jour. Son séjour était d’abord prévu pour une période de six mois. Mais, il s’est finalement étendu pendant 12 ans, jusqu’au 1938 avec des allers-retours entre Vaud et Paris. Ce texte, non seulement fait preuve d’un lieu de témoignage d’expériences du séjour de l’écrivain dans la ville de Paris, mais présente aussi la ville comme un lieu d’apprentissage et de découverte de soi. Bien que l’auteur se tienne beaucoup à la qualité vaudoise affichée, elle est pourtant ironisée dans l’œuvre. Notre étude analysera donc l’image de Paris exposé dans Paris, Notes d’un Vaudois et l’effet que celui-ci produit sur l’écrivain vaudois. Nous nous poserons les questions suivantes : Comment l’écrivain présente t-il la ville de Paris et quelle en est son image ? Quel est l’effet produit par la capitale sur notre « petit vaudois » ? Nous supposerons que Paris, qui est à la fois un lieu d’attraction et un lieu de répulsion pour l’auteur, devient un lieu de rêve identitaire et de fantasme esthétique. Pour mieux cerner notre sujet, nous diviserons notre étude en 3. Dans la première partie qui s’intitulera « Du Vaud à Paris: un exil linguistique », nous discuterons du choc linguistique qui va l’écarter de sa langue maternelle, le français. Dans la deuxième partie qui s’intitulera « Paris, la capitale à double facette », nous étudierons la description que Ramuz fait de l’agglomération de la capitale et des Parisiens comme deux entités qui se superposent. Finalement, la dernière partie s’intitulera « Un voyage esthético-politique » dans laquelle

202 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 nous discuterons en quoi ce sejour parisien forme l’esprit et l’esthétique de Ramuz et lui permet de prendre une prise de conscience politique.

De Vaud à Paris : un exil linguistique

Paris, Notes d’un Vaudois commence par la définition de ce qu’est être un Vaudois. Selon la définition que Ramuz formule, un Vaudois : C’est un Français qui parle le français parce que c’est sa langue , mais qui, d’autre part, ne dépend en aucune façon de l’organisme politique qu’est la France, si bien que sa situation y est très particulière, puisqu’il y est chez lui en tout ce qui concerne son être spirituel et qu’en même temps il y est un étranger, au même titre qu’un Bulgare ou qu’un Chinois, en tout ce qui touche sa situation légale. (Ramuz 2000 : 22) Par cette définition, nous comprenons que la langue française est le seul élément agissant comme un dénominateur commun entre un Vaudois et un Parisien, alors qu’il n’est ni politiquement ni judiciairement lié à la France. Le statut linguistique par lequel l’écrivain vaudois s’identifie à la France, se montre contrarié dans les événements qu’il faitface pendant son séjour à Paris. Dans d’autres mots nous pouvons affirmer que ce séjour parisien s’apparente à un exil linguistique dans lequel le français, pourtant aussi sa propre langue, lui devient étrangère. La première cause que Ramuz se rappelle au sujet du choc linguistique c’est que les Vaudois souffrent d’une insuffisance dans les termes techniques, comme dirait Ramuz : « [...], si nous sommes de pleins d’archaïsmes, ce qui n’est pas un mal en soi, nous souffrons d’autre part d’une grande impropriété dans les termes, surtout les termes techniques qui sont à Paris d’une grande précision. » (Ramuz 2000 : 44) Les termes comme « esprit-de-vin », « lampe » au lieu d’un réchaud à alcool, montre les nuances linguistiques entre le français du Vaudois et le français du Parisien. Ramuz constate que « Je n’avais pas compris, de mon côté, que je parlais le français, d’ailleurs pittoresque, d’un 18ème siècle singulièrement désuet. » (Ramuz 2000 : 44). Jusqu’ici la langue française qu’il avait apprise dès sa naissance comme les autres petits Parisiens, devient un obstacle sur un terrain qui diffère, non pas vraiment par sa langue, mais par sa situation géographique. En conséquence, cet obstacle linguistique engendre une sensation de dépaysement pour l’écrivain vaudois. Comme dirait Isabelle Moreau dans son article intitulé « Voyage et dépaysement : Les récits de voyage à l’épreuve du libertinage » : « L’expérience du voyageur se comprend d’abord comme une confrontation entre l’ici et l’ailleurs, entre ce qui est de son pays ce qui se dépayse et rappelle au voyageur qu’il n’est décidément pas chez lui » (Moreau 2010 : 50). « L’ailleurs » qui est la France pour le petit Vaudois venu de la Suisse, malgré la langue commune qui est le français, fortifie le sentiment de non appartenance à un pays qui lui rappelle sans cesse son impossibilité d’intégration. Ceci justifie bien la situation vécue par l’écrivain comme un exil linguistique.

Paris : la capitale à double facette

Tout au long de la description de Paris, nous constatons que le petit Vaudois oscille entre deux sentiments : une admiration pour cette ville qui « représente une réussite extraordinaire 203 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 dans l’histoire universelle » (Ramuz 2000 : 82) mais en même temps, un certain mépris envers son hostilité. Ces deux émotions émergent du fait que cette ville métropole est composée de double facette que l’écrivain sans cesse remarque pendant ses séjours. Donc, nous pouvons dire que l’admiration que Ramuz porte à cette ville est ironisée à chaque instant par lui-même, puisqu’elle contredit par l’autre facette de la ville de Paris. Ramuz s’émerveille de la qualité universelle de cette ville qui impose et instaure une image exemplaire et un modèle pour le monde entier. Paris est regardé et même apprécié par le monde entier à travers ses journaux, son théâtre, sa littérature. Ceci nous amène à penser à la vision de Nietzche sur Paris. Pour ce dernier, Paris est « une métropole qui avale[rait] tout » (Michaud 1993 : 68). Voici ce que Ramuz dit à propos de l’aspect universel de Paris : « […] Paris prend soin chaque jour d’occuper de lui l’univers. L’univers y est intéressé, j’entends continue à s’y intéresser, moins peut-être à cause de tant de souvenirs qui datent du temps du Grand Roi, quand Versailles s’imposait à toutes les cours européennes. (Ramuz 2000 : 88) Pourtant, Paris montre l’exemple à condition qu’on lui conforme. Paris est universel et excluant en même temps, d’où y règne une grande hostilité. Ce qui a pour conséquence un Ramuz doublement divisé, entre « son cas d’y adhérer parfaitement avec une partie de son être, mais de ne savoir que faire de l’autre, qui ne trouve pas à s’y situer » (Ramuz 2000 : 42) puisque Paris « est à la fois très proche de lui et très lointain, très amical et plein de rudesse [...]. » (Ramuz 2000 : 42), trouve « un Paris assez hostile, parce qu’il semble exclure d’avance ceux qui ne lui appartient pas » ((Ramuz 2000 : 89). Cette division met en question l’assimilation de Ramuz dans cette nouvelle société au contraire de ses contemporains qui ont pu s’y intégrer. Il est intéressant de voir également comment Ramuz voit l’espace que les Parisiens occupent. Il distingue la présence de deux Paris : d’un côté, un Paris qui est hostile, indifférent et prestigieux, et de l’autre « modeste et sans brillant, touchant par un contraste, un Paris humble et familier, le Paris quotidien où la vie est si difficile et auquel on finit soi-même par participer. » (Ramuz 2000 : 101-102). C’est de ce deuxième Paris que Ramuz se sent le plus proche. Un Paris qui est négligé, un Paris des gens humbles dont les ouvriers, sans papiers font partie. Cette distinction se voit parfaitement dans l’urbanisation même de la capitale. Ramuz montre ce décalage par le quartier qu’il occupe pendant son arrivée à Paris, qui est composé d’une classe prestigieuse de bourgeois qu’il décrit comme « un homme qui défend coûte que coûte ses droits, même ceux qu’ils ont usurpés. Un bourgeois qui occupe le trottoir et entend ne pas salir ses bottines ne cède le pas à personne. » (Ramuz 2000 : 46) à un autre quartier qu’il déménage par la suite « avec beaucoup d’intimité » (Ramuz 2000 : 109) dans lequel vit une population ouvrière, des retraités et des rentiers. Cette image dédoublée de Paris et des Parisiens qui forment une agglomération, accentue davantage l’identité vaudoise de l’écrivain.

Un voyage esthético -politique

Ramuz, dans une lettre datée de mai 1924 adressée à Henri-Poullaille, un grand écrivain français, résume sur la découverte que la métropole lui a rendue qui s’exprime comme:

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Je suis venu à Paris tout jeune, c’est à Paris que je me suis connu et à cause de Paris. J’ai passé pendant douze ans, chaque année, plusieurs mois au moins à Paris ; et les voyages de Paris chez moi et de chez moi à Paris ont été tous mes voyages ! (http://pages.infinit.net/poibru/ramuz/bioramuz.htm) Ce voyage à Paris qui a duré 12 ans comprenant des allers-retours à la terre natale, fut un voyage de découverte de soi. Paris lui permet de se connaitre lui-même, sur la particularité d’être Vaudois. Au contraire de Nicolas Bouvier pour qui le voyage ne définit pas par une possession de l’autre mais un dépouillement de soi comme il présente dans une expression tranchante : « On voyage pour que la route vous plume, vous rince, vous essore » ( Bouvier 2004 : 478) , Ramuz exprime une assertion de son identité vaudoise par le biais de Paris. Comme dira le Vaudois « C’est Paris qui m’a libéré de Paris » (Ramuz 2000 : 190), cette phrase clé dans cette œuvre autobiographique de Ramuz montre ce que Paris lui a enseigné. Cet ailleurs qui n’est ni mythique, ni imaginaire, mais qui représente une réalité géographique, culturelle et politique, a replacé Ramuz dans sa patrie vaudoise. Par conséquent, ce voyage lui a permis d’affirmer une prise de position politique par laquelle sa race, sa langue, sa patrie sont les seuls éléments qui forment son identité. Paris lui a montré comment être libre, ou plutôt comment être soi-même : Il m’a appris dans sa propre langue à me servir (à essayer du moins de me servir) de ma propre langue. Car il faut distinguer entre ses leçons immédiates et celles qui agissent en profondeur : dont la plus profonde est sans doute qu’étant étonnamment lui-même, il vous enseigne à être soi-même. Il a obéit à certaines loi : il vous enseigne à obéir aux vôtres. Alors longuement je m’occupais à rechercher les miennes qui étaient une nature, un sol, la destinée politique de ma petite patrie, qui étaient aussi notre patois, me disant : « Peut-être qu’il y a quelque chose à en tirer, peut-être que sur cet enjeu il vaut quand même la peine de jouer sa vie. (Ramuz 2000 : 190 – 191) Cette longue citation démontre une certaine ironie que Ramuz a de l’enseignement que Paris lui a fait. Ramuz insiste sur l’aspect de liberté à Paris, qui lui a appris à être lui-même, c’est par la même liberté que Ramuz met au défi la suprématie littéraire et linguistique de Paris par son écriture. Ramuz a été une victime de reproches venant de la métropole comme bien d’autres écrivains dont l’origine périphérique se présente comme un inconvénient, car les rendant dépendants du centre pour prospérer dans la sphère de la littérature. Ramuz était accusé de mal écrire, non seulement de mal écrire mais aussi de faire exprès d’écrire mal comme s’indignerait Auguste Bailly dans Candide en mai 1925 : « Ecrivain français, s’il veut l’être, qu’il apprenne notre langue ! » (Coyault 2005 : 347) (Comme cité dans L’écrivain et sa langue : romans d’amour de Marcel Proust à Richard Millet, p. 347.) Cette prise de conscience fonde les bases de sa création littéraire. Et vient le moment où il décide de quitter Paris pour toujours : « C’est à ce moment peut-être qu’il faut quitter Paris, c’est du moins ce que j’ai fait. On le quitte mais on lui doit tout. » (Ramuz 2000 : 193) En guise de conclusion, nous pouvons dire que la ville de Paris, par sa nature double, se présente comme un terrain d’expérimentation de la capacité de Ramuz à réfléchir sur ses origines. Cette œuvre, montrant bien l’évolution de la personnalité mentale et psychologique de Ramuz, à partir d’un « petit » vaudois étudiant qui, au final, devenant un écrivain, est une œuvre que l’écrivain qualifie comme « un premier essai d’indépendance » (Ramuz 2000

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: 180) et que « c’est une première façon de se mieux connaitre soi-même [...] .» (Ramuz 2000 : 180). Malgré le choc linguistique par lequel, sa propre langue française lui devient étrangère et le poussant à un exil linguistique, Ramuz se voit affirmer son identité vaudoise dans la terre parisienne. Pour finir, nous pouvons dire que Paris devient non seulement une métaphore urbaine de l’idéal poétique de Ramuz mais aussi lui permet d’affirmer son identité vaudoise : « Je suis toujours resté un Vaudois [...] et le suis même devenu de plus en plus. » (Ramuz 2000 : 101)

Bibliographie

Œuvre primaire : 1. RAMUZ, C-F., Paris, Notes d’un Vaudois, (2000), Tours, Éditions Les Amis de Ramuz. Œuvre secondaire : 1. BOUVIER, Nicolas, Le poisson – scorpion, In Œuvres (2004), Paris, Éditions Gallimard. 2. COYAULT, Sylviane, L’écrivain et sa langue : romans d’amour de Marcel Proust à Richard Millet, (2005), Paris, Éditions Presses Universitaires Blaise Pascal. Articles : 1. MOREAU, Isabelle, « Voyage et dépaysement : Les récits de voyage à l’épreuve du libertinage » (2010), In Cahiers XIII, 1, 49-67. file:///C:/Users/User/Downloads/Moreau_I_Cahiers17_VolumeXIII_1_2010.49_57%20(3).pdf Consulté le 01/12/2016. 2. MICHAUD, Stéphane, « Nietzsche, la culture française et l’Europe » (1993), In Romantisme, Vol 23, Num 81, 67-83. http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1993_num_23_81_5886 , Consulté le 15/12/2016. Sitographie : 1. http://pages.infinit.net/poibru/ramuz/bioramuz.htm, Consulté le 15/12/2016.

206 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 « Voyager et Jouer ?? » Enclasse de langue !!

Kanika Agrawal

Résumé

Les plus anciens traces de jeu ou de théâtre dans l’histoire de l’humanité se trouvent dans le jeu de prétention. Dans la préhistoire, quand l’homme habitait dans la nature avec les animaux et les oiseaux il n’avait qu’à prétendre, tout comme les singes. Après une immense évolution et série d’adaptation et de changement dans l’espèce humaine, nous, aujourd’hui, faisons le théâtre. Le théâtre est un très fort moyen de se représenter et de « jouer son rôle » dans la présence de l’autre. Ce théâtre a aussi largement évolué grâce à l’influence des autres cultures et d’autre pays ou les écrivains ont voyagé. Cet outil de « jeu » ou de « théâtre » est un des components très utiles et effective dans l’enseignement des langues. Tandis que cette idée parait absolument excentrique mais elle a reçu du grand succès à faire parler les élèves, briser la glace dans la classe et le plus important, relève le quotient de la connaissance interculturelle chez les étudiants de langue. Donc, dans cette intervention j’insisterai à utiliser le genre littéraire de « récit de voyage » dans une classe de FLE. Le plan pour cette présentation est : Tout d’abord j’aborderai le relevance d’apporter le théâtre dans la classe à travers un récit de voyage dans l’enseignement d’une langue étrangère, ensuite j’ouvrirais le regard sur le fait que comment ces récits de voyage apportent la culture des différents pays où voyage l’écrivain voyageur. A la fin, je prendrai l’occasion de discuter deux œuvres très intéressants, Candide de Voltaire et les Lettres Persanes de Montesquieu pour citer des exemples de relevance interculturelle et les éléments super didactique dans les deux. Mots-clés : Interculturel, français langue étrangère, activités théâtrales, voyage, ethnocentrisme, régions traversées, préjugés, stéréotypes, candide de voltaire, lettre persanes. L’individu : Identité, psychologique et moral; La société : Organisation, armée, religion, argent, guerre; La découverte du monde : Voyages, pays, parentés et différences entre les peuples; La culture : La réflexion philosophique et politique, Voltaire et le Siècle des Lumières. Un récit de voyage ou relation de voyage est un genre littéraire dans lequel l’auteur rend compte d’un ou des voyages, des peuples rencontrés, des émotions ressenties, des choses vues et entendues. Contrairement au roman, le récit de voyage privilégie le réel à la fiction. Le récit de voyage est également une source historique qu’il convient de conceptualiser et d’analyser. Les récits de voyage apportent des éléments précieux pour éclairer l’histoire des relations internationales, l’histoire sociale et politique de régions traversées par le voyageur, voire l’histoire des cultures matérielles, de l’alimentation, des religions etc. 207 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Certains auteurs comme Voltaire (Candide) utilisent le récit de voyage pour critiquer et faire une satire sur la société. Alors, voyageons et jouons en apprenant.

Pourquoi introduire des activités théâtrales en classe de FLE ?

L’approche communicative est de nos jours la plus plébiscitée par les profs de FLE. Il est donc évident que le théâtre a un rôle important à jouer dans ce type d’enseignement. Outre les bénéfices liés à la pratique du théâtre en langue maternelle (par exemple ceux concernant l’important travail de mémorisation et l’expérience en groupe et face à un public), l’activité théâtrale en classe de FLE peut apporter du vécu aux élèves et ainsi leur faire ressentir « réellement » quelle est la fonction d’une langue. Le fait de les transformer en « acteurs » de la classe doit leur faire prendre conscience, d’une manière agréable et valorisante, qu’ils peuvent utiliser le français pour communiquer, et ce dans des situations de communication très quotidiennes. Par ailleurs, le théâtre permet de travailler les quatre compétences associées à l’apprentissage d’une langue : – Compréhension des écrits : Les élèves doivent faire un grand effort préalable pour comprendre en profondeur le texte de la pièce. – Production écrite : On peut demander aux élèves d’adapter le texte à un contexte plus actuel ou de rédiger une rédaction sur les problématiques classiques liées au théâtre, notamment les relations acteur-personnage ou fiction-réalité. – Compréhension de l’oral : Les élèves doivent sans cesse être attentifs à leurs camarades et apprendre à s’écouter eux-mêmes. – Production orale : Il s’agit de la compétence la plus travaillée, non seulement au niveau de la prononciation, de la diction et de l’élocution mais aussi concernant l’expression corporelle qui peut utiliser des codes différents de ceux présents dans la langue maternelle des élèves. Les situations d’interaction orale sont les plus nombreuses mais il ne faut pas oublier qu’il est également possible de pratiquer le monologue. L’étude des récits de voyage permet à l’élève d’approfondir une compétence (inter) culturelle et un savoir-faire méthodologique : – Connaissance de deux cultures au moins, celle du voyageur écrivain et celle qui est l’objet de la description, ainsi que des interactions entre les deux ; – Sensibilisation à la différence, base sur laquelle on peut construire des voies menant l’élève à des attitudes d’ouverture et de reconnaissance de l’autre : apprendre à rationaliser, à (se) poser des questions, à remettre en question, à repérer et à analyser des manifestations de l’ethnocentrisme passif (clichés, préjugés ou stéréotypes) ;

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– Perception de la nécessité de construire une méthode d’analyse pluridisciplinaire. Dans beaucoup de pays, le cloisonnement entre les disciplines constitue souvent un obstacle dans la recherche et dans la formation. Or, étant donné le mouvement qu’il comporte et sa nature hybride (déplacement d’un voyageur, inséré dans une époque et un système de valeurs, et approche de l’autre d’un point de vue intellectuel et affectif), le récit de voyage a « naturellement » besoin d’une méthode d’analyse où convergent sciences humaines et sociales, sciences du langage et théorie littéraire. L’étude des récits de voyage permet à l’élève d’approfondir une compétence (inter) culturelle et un savoir-faire méthodologique : – Connaissance de deux cultures au moins, celle du voyageur écrivain et celle qui est l’objet de la description, ainsi que des interactions entre les deux ; – Sensibilisation à la différence, base sur laquelle on peut construire des voies menant l’élève à des attitudes d’ouverture et de reconnaissance de l’autre : apprendre à rationaliser, à (se) poser des questions, à remettre en question, à repérer et à analyser des manifestations de l’ethnocentrisme passif (clichés, préjugés ou stéréotypes) ; – Perception de la nécessité de construire une méthode d’analyse pluridisciplinaire. Dans beaucoup de pays, le cloisonnement entre les disciplines constitue souvent un obstacle dans la recherche et dans la formation. Or, étant donné le mouvement qu’il comporte et sa nature hybride (déplacement d’un voyageur, inséré dans une époque et un système de valeurs, et approche de l’autre d’un point de vue intellectuel et affectif), le récit de voyage a «naturellement» besoin d’une méthode d’analyse où convergent sciences humaines et sociales, sciences du langage et théorie littéraire.

Deuxieme partie: Récit de voyage et pédagogie interculturelle

Il y a quelques années, j’ai participé à l’élaboration d’un ouvrage didactique sur le récit de voyage. Ce livre est le fruit du travail d’une équipe d’enseignants de quatre pays européens : la Belgique, l’Espagne, la France et le Portugal. Le souhait des auteurs a été de montrer que, dans l’Europe qui se construit aujourd’hui, il est possible d’élaborer en commun des outils de pédagogie interculturelle. Le récit de voyage est aujourd’hui considéré comme un objet nouveau, soit à l’intérieur du champ de la recherche littéraire, soit dans le domaine de la didactique des langues et des cultures. Vu sa densité et sa complexité,son introduction dans l’enseignement représente un enrichissement et une ouverture, mais, d’un autre côté, elle nécessite que l’on adapte ou que l’on crée une méthode d’approche pertinente qui développe toute sa capacité formatrice.

Intérêt pour la formation des jeunes

L’étude des récits de voyage permet à l’élève d’approfondir une compétence (inter) culturelle et un savoir-faire méthodologique :

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– Connaissance de deux cultures au moins, celle du voyageur écrivain et celle qui est l’objet de la description, ainsi que des interactions entre les deux ; – Sensibilisation à la différence, base sur laquelle on peut construire des voies menant l’élève à des attitudes d’ouverture et de reconnaissance de l’autre : apprendre à rationaliser, à (se) poser des questions, à remettre en question, à repérer et à analyser des manifestations de l’ethnocentrisme passif (clichés, préjugés ou stéréotypes) ; – Perception de la nécessité de construire une méthode d’analyse pluridisciplinaire. Dans beaucoup de pays, le cloisonnement entre les disciplines constitue souvent un obstacle dans la recherche et dans la formation. Or, étant donné le mouvement qu’il comporte et sa nature hybride (déplacement d’un voyageur, inséré dans une époque et un système de valeurs, et approche de l’autre d’un point de vue intellectuel et affectif), le récit de voyage a «naturellement» besoin d’une méthode d’analyse où convergent sciences humaines et sociales, sciences du langage et théorie littéraire.

Intérêt pour l’enseignant

L’une des sources de gratification de l’enseignant est de trouver des voies qui, touten favorisant la motivation chez les élèves et la communication avec ceux-ci, lui permettent de découvrir de nouveaux champs et de se découvrir lui-même. Envisager un objet complexe tel que le récit de voyage dans une perspective de recherche et de formation implique l’ouverture à d’autres disciplines (approche interactionniste et linguistique textuelle en sciences du langage ; ethnologie, histoire, ethnohistoire en sciences humaines et sociales; théorie de la littérature) ainsi que la découverte de leur évolution et de leur dynamisme actuel (cf. le dialogue entre l’histoire et les autres sciences humaines et sociales : Ecole des Annales, Braudel). Le recours systématique à cet outillage scientifique en interaction et en évolution renforce la rigueur chez l’enseignant.

Corpus et formation

Deux éléments sont à la base de la richesse de ce matériau didactique: le corpus et l’existence d’un matériel critique propre à former les enseignants dans l’analyse de ce corpus. Même dans des pays comme l’Espagne, où l’engouement pour les récits de voyage n’a pas été une caractéristique socioculturelle, on constate actuellement un phénomène de redécouverte et de diffusion, soit dans le contexte d’une mise en valeur d’un patrimoine culturel, soit dans un contexte de recherche.

Le préjugé

Le préjugé est attesté dès 1584 comme une « opinion qu’on se forme au sujet d’un événement futur ». Ce n’est qu’au début du XVIIème siècle que, grâce à un glissement de sens, la signification moderne du mot apparaît: « croyance, opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation; parti pris » (Petit Robert).

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La réflexion et la diversité des interprétations du mot s’avèrent plus fécondes dansles sciences sociales. En effet, on y trouve deux conceptions opposées: les pédagogues définissent le préjugé comme une opinion, une idée préconçue, non fondée; les psychologues et les sociologues voient plutôt en lui une « attitude négative » envers un groupe. La première conception met en relief les idées, les mentalités; la seconde intègre le préjugé au comportement. Le seul élément commun à toutes les définitions reste la connotation du mot: « négative », « a priori », « non fondée ». Dans les récits de voyage, nous pourrons donc analyser le préjugé soit comme une idée préconçue du voyageur par rapport à un pays, à une culture ou à un peuple (le préjugé se lit directement dans le texte : un mot, une phrase...), soit comme une attitude négative du voyageur dans sa rencontre avec l’autre (attitude qui pourra seulement être reconstruite à partir de la lecture du texte).

Le cliché et le stéréotype

Nous proposons de travailler sur ces deux termes simultanément en raison de leur origine commune. En effet, ces deux mots appartiennent d’abord au lexique de la typographie. Ce n’est que par la suite que leur sens figuré (utilisé dans les sciences sociales mais aussi en littérature) les différenciera (quoique, dans la réalité, de nombreux auteurs et usagers les confondent). A l’origine, le cliché est « une plaque portant en relief la reproduction d’une page de composition d’une image, et permettant le tirage de nombreux exemplaires ». A partir de 1864 et dans un sens figuré et péjoratif, il désigne une idée ou une expression trop souvent utilisée. Par la suite, le terme est sorti du domaine technique pour entrer dans celui de la littérature et de la stylistique où le cliché est avant tout un fait de style ou une figure de rhétorique usée. C’est une phrase souvent répétée voire banale, tandis que le stéréotype est une « construction de lecture » dont les contenus varient. Mais, d’une manière générale, le stéréotype véhicule des préjugés sur un groupe. Il se caractérise par son manque de nuance et sa résistance au changement; il est préconstruit et enraciné dans l’imaginaire. On parle d’autostéréotypes (communs aux individus d’un même groupe et grâce auxquels ceux-ci se reconnaissent) et d’hétérostéréotypes (stéréotypes sur un groupe différent).

Troisième partie

Quelles sont les fonctions des voyages dans les contes de Voltaire, et plus précisément dans Candide ? Le conte philosophique: Ce genre est en général considéré comme plaisant, divertissant, léger : il raconte une « belle » histoire sans autre but. Mais il est « philosophique ». Deux sens peuvent être donnés à ce terme : l’oeuvre traite d’un thème philosophique, c’est le cas si l’on considère le titre « ou l’optimiste ». l’oeuvre a pour but de faire réfléchir : évidemment puisque l’ironie est présente à chaque chapitre du livre, ce qui permet de développer une critique de l’optimisme. si cette question vous est posée lors de l’oral, ne 211 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 limitez pas votre réponse à la définition du conte mais expliquez également l’importance de l’adjectif « philosophique ». • C’est un récit proche de l’apologue. Les personnages sont simplifiés, ils incarnent une vertu ou un vice comme dans la fable. Plusieurs récits enchâssés relèvent du genre du conte ou de la fable : l’Eldorado, la rencontre avec les rois à Venise, les entretiens avec le derviche et le jardinier dans le dernier chapitre. La narration est menée sur un ton plaisant, dans un univers intemporel et imaginaire (comme en témoigne l’incipit de Candide : « Il y avait en Westphalie, dans le château de monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh... »). Des hasards ou d’heureuses rencontres permettent aux héros de se sortir des situations les plus critiques. La trame du récit est elle-même constituée de plusieurs apologues, courts récits s’achevant sur un aphorisme prétendant enseigner une sagesse : – Le voyage en Eldorado et sa morale « il n’y a rien de solide que la vertu et le bonheur de revoir Mlle Cunégonde ». – La rencontre avec le nègre de Surinam : un dialogue terminé par deux maximes : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe », « on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible ». – D’une manière générale, les diverses péripéties servent à dénoncer l’illusion de l’optimisme. Il se termine lui-même par une sagesse générale : « il faut cultiver notre jardin ». Mais ce n’est pas un apologue car ce n’est pas un récit court. Candide est un roman sentimental, un roman d’aventures, un roman d’éducation. Voltaire outrepasse les règles du merveilleux en introduisant des réalités historiques à l’intérieur du conte : plusieurs scènes de Candide évoquent l’Inquisition ou encore le tremblement de terre de Lisbonne. Par ailleurs, il introduit à plusieurs reprises des digressions : l’action reste alors en suspens et, pendant quelques pages, Voltaire laisse la parole à un de ses personnages, afin qu’il expose une idée, s’explique sur un phénomène, Dissertation sur un principe moral. • De l’apologue nous sommes passés à un conte, ou plutôt un roman, philosophique. Le conte voltairien se présente comme une thèse que viennent appuyer ou démonter de nombreux exemples et contre-exemples, correspondant aux diverses péripéties, souvent contrastées (l’opulence de l’Eldorado s’oppose au dépouillement total du nègre de Surinam), qui rythment le récit. Chaque aventure permet de faire avancer le héros qui, progressant pas à pas, arrive à maturité au terme de l’histoire. Le conte philosophique est donc un récit d’apprentissage. La portée du conte est souvent perceptible dès le titre (ou plus exactement le sous-titre), qui pointe de manière à peine détournée le sujet dont il va être question : ainsi,

212 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 les épreuves que Candide ou l’optimisme va devoir affronter vont profondément remettre en question l’optimisme initial qui caractérise le héros. Cette construction linéaire montre la volonté clairement didactique du récit dont la finalité essentielle est d’instruire. En ce sens, les contes philosophiques de Voltaire illustrent bien des débats du siècle des Lumières et sont représentatifs des multiples combats menés par l’auteur, notamment pour le respect des droits, la tolérance, la liberté, etc. Et comme tous les masques sont possibles dans le conte (merveilleux, appel à un narrateur fictif, exagération, mensonge...), ce genre lui permet d’exprimer des idées contestataires (Voltaire dénonce la justice, le pouvoir, les abus...) en échappant à la censure. Voltaire a donc transformé le genre de la fable ou du conte populaire en une forme littéraire pour mener le combat philosophique auprès de lecteurs qui n’auraient pas consulté des ouvrages sérieux comme les essais ou les livres d’histoire. C’est bien dans le détournement subversif de l’apologue que réside le génie de Voltaire. Les lecons de Candide: Comme tout conte philosophique, candide comprend lui aussi des morales qui sont: « L’oisiveté est mère de tous les vices » Cultiver son jardin signifie travailler socialement et intérieurement son raisonnement ainsi que sa pensée. C’est une lecon de modestie et de simplicité qui donne à l’homme une place acceptée dans une situation matériellement supportable. Le travail éloigne trois grands maux: l’ennui, le vice et le besoin. L’enjeu du voyage est essentiel dans « Candide » sous l’angle de la recherche du meilleur endroit possible pour bien vivre sur la terre. Candide y consacre l’essentiel de sa vie jusqu’à la découverte de la Propontide qui lui parait la contrée la moins repoussante et la plus agréable, comparée à tous les autres pays qu’il a connus. Le climat y est doux, la vue magnifique et fruits et légumes y poussent bien. Les autres pays sont rendus invivables par le fanatisme et l’arrogance sectaire de leurs habitants. En Angleterre on tue les amiraux vaincus, en France on vole, on escroque, on ment et on persécute: quand Candide réussit à quitter ce pays, il croit être délivré de l’enfer! La description faite de la vie parisienne et de sa cohue est toujours valable aujourd’hui à mon avis... A noter l’importance majeure de la visite de l’Eldorado qui symbolise le pays idéal, utopique. Ce pays est également insupportable, car il ne s’y passe rien (arrêt de l’histoire) et les habitants sont empêchés de partir comme dans un pays communiste! Cela ressemble donc à un vaste camp de concentration dont Candide se tire parce qu’il est étranger: profonde leçon anticipatrice des dictatures du XXème siècle. Au cours de chacun de ses voyages, Candide a l’occasion d’expérimenter les conditions de vie dans différents pays, avec différentes religions (toutes sectaires et criminelles, haïssant les croyances des autres), différentes idéologies, dirions-nous aujourd’hui. Le pays idéal n’existe pas et il faut s’accommoder des moins mauvaises conditions que l’on peut rencontrer, si l’on a le choix. Notre deuxieme corpus est un roman écrit par Montesquieu sous forme de lettres échangées entre deux seigneurs persans, Usbek et Rica, ayant effectué un voyage en Europe, avec des 213 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 gens qui font partie de leur cercle amical ou familial qui sont restés en Perse. Craignant la censure de l’époque, Montesquieu a eu la prudence de le publier en 1721 sous le sceau de l’anonymat mais il est vite démasqué. Ces persans étant issus d’un pays éloigné d’Europe en culture, histoire, tradition, politique et religion, se voient confrontés à un monde totalement étranger. Avec leur regard faussement naïf ils font le compte rendu de leur voyage. Montesquieu a fait de ce roman d’une pierre deux coups : il a dressé un tableau général de la culture orientale portée à la connaissance du lecteur occidental mais surtout et avant tout il s’agit de se voir et se connaitre à travers le regard extérieur et acerbe des voyageurs orientaux venus en Occident. Connaissant l’origine française de Montesquieu et ses lecteurs potentiels, ce titre s’annonce d’emblée dans l’œuvre comme un rapport entre l’Orient et l’Occident ; son contenu le confirme d’ailleurs. C’est effectivement ce contenu qui a présidé à notre choix de cette œuvre majeure qui s’inscrit dans le firmament intellectuel et littéraire français. L’optique interculturelle que propose les Lettres Persanes est tellement considérable que cela nous a conduit à centrer notre travail sur ce thème.

Bibliographie

1. Voltaire, Candide, A Dual-Language Book, translated and with an Introduction by Shane Weller (New York: Dover Publications, 1993). 2. Frédéric Spear, Bibliographie analytique des écrits relatives à Voltaire, 1966-1990 (Oxford, 1992). 3. Robert Challe, Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales, (1690-1691) 4. Montesquieu , Lettres Persanes, (1721) 5. Astbury, Kate (April 2005). « Candide, ou l’optimisme, seconde partie (1760) / Jean-François Marmontel: un intellectuel exemplaire au siècle des Lumières ». Modern Language Review. Modern Humanities Research Association. 100 (2). EBSCO Accession Number 16763209.

214 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Récit d’un grand périple effectué par André Gide au Congo-Brazzaville

Lal Ji Maurya

Résumé

André Gide a passé près de un an (de juillet 1926 à mai 1927) dans les possessions françaises de l’Afrique équatoriale. La description des conditions de vie des Noirs le long du Congo et au Tchad forme un véritable réquisitoire contre l’administration coloniale et a fait sensation. Grâce à ces remarques sociologiques et ethnologiques, nous sommes, au- delà de l’aspect purement politique, en présence d’un des grands livres de voyage de notre littérature. L’Afrique était pour Gide un pays mystérieux, son espoir d’atteindre l’harmonie parfaite des sens et Esprit, comme l’Inde d’Eliade. Égoïste et narcissique, Gide reconnaît les habitants indigènes de l’Afrique du Nord qui n’est pas comme des éléments du paysage, mais comme des êtres qui souffrent et rêvent. Il ouvre la voie à la littérature de l’exotisme voyageant pour trouver un sens dans la vie, saisir l’imperceptible. Pendant ses voyages, il admit à peine que le passage du temps et la mort peut être présente en Afrique, terre qui est la source du désir de vivre. Le voyage en Afrique de Gide, surtout au Congo et au Tchad, aide l’auteur à découvrir des territoires inconnus et vierges, plein de sens philosophies. Le voyage en Afrique correspond aux dilemmes morales de l’auteur. Les mots-clés : Initiation, voyage, exotique, imagination occidentale, découverte. Au 16e siècle, c’était la découverte du Nouveau Monde, et plus encore au 19e siècle du fait de l’essor des voyages d’agrément, la vogue de l’orientalisme, mais aussi parce qu’il est attendu à cette époque que tout écrivain a commencé à écrire à propos de ce genre littéraire; le genre connaît même aujourd’hui un nouvel engouement du fait du développement de l’industrie touristique et de la forte démocratisation des voyages. Les textes disponibles sont essentiellement consacrés aux zones où la période coloniale sont placées sous influence française, puisque c’est principalement dans ces régions qu’ont été explorées par des explorations françaises, et que les voyageurs de la période coloniale se rendent principalement dans ces zones; parmi lesquels André Gide était l’un des très grand explorateur qui a commencé une vie de voyage principalement en Europe et en Afrique du Nord. Cela correspond donc globalement aux territoires de l’A.O.F. et de l’A.E.F., auxquels s’ajoute l’Afrique australe qui, même si elle n’a jamais appartenu à l’empire colonial français, mais elle a été explorée par des Français. Genre littéraire multiforme aux origines lointaines, le récit de voyage occupe une place importante dans l’histoire de la littérature et fait l’objet de nombreuses études. Gide, le voyageur littéraire : André Gide est né en 1869 dans une famille de la haute bourgeoisie protestante. Son père est un brillant professeur à la faculté de droit de Paris et sa mère, la fille d’un industriel rouennais du textile. Il s’affranchit de son éducation puritaine dans les Nourritures terrestre, en 1897, en exprimant son gout pour la vie il participe à la vie littéraire avec Paul Claudel, Henri Ghéon,

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Francis Jammes, Paul Valery et fonde la Nouvelle Revue Française (NRF) ou il défend une école de la rigueur et du classicisme. André Gide montre à la fois une désire de prendre parti dans les grands problèmes de son époque tout en faisant preuve de méfiance pour toute forme d’engagement. Son enthousiasme pour le communisme s’éteint après son voyage en URSS qui l’amènera à dénoncer le stalinisme. Gide, comme de nombreux écrivains de sa génération, s’est formé à une hiérarchie des genres littéraires dans laquelle le roman occupait une place secondaire, loin derrière la poésie et le théâtre - qualifié d’ailleurs de « poésie dramatique ». Le roman, même s’il permet certaines réussites artistiques - Stendhal, Flaubert, Balzac et Zola même, parfois -, est pour l’essentiel une nourriture populaire davantage fondée sur la captation émotionnelle des lecteurs que sur des exigences rigoureuses de l’esthétique. Sans partager la haine de Valéry et des mallarméens de stricte obédience pour le roman et ses préoccupations bassement psychologiques ou sociologiques, Gide refuse le postulat fondateur du romanesque : la création d’un monde imaginaire - qu’il soit ou nom proche de la réalité vécue - dans lequel, si le livre est réussi, le lecteur est emprisonné. André Gide rejette tout conformisme dans les idées, sa personnalité est complexe, à la fois sensible et puritaine, tourmenté par le doute et l’inquiétude. Il refuse toute servitude familiale, sociale. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1947.

Présentation et analyse de son œuvre « Voyage au Congo »

Pourquoi ce voyage ? Il a dit « – une sorte de fatalité inéluctable - comme tous les événements importants de ma vie. Et j‘en viens à presque oublier que ce n‘est là qu‘un „projet de jeunesse réalisé dans l‘âge mûr ; ce voyage au Congo, je n‘avais pas vingt ans que déjà je me promettais de le faire. » « La traversée à peine commencée, il note : « Je me suis précipité dans ce voyage comme Curtius dans le gouffre. Il ne me semble déjà plus que précisément je l’aie voulu (encore que depuis des mois ma volonté se soit tendue vers lui) ; mais plutôt qu’il s’est imposé à moi par une sorte de fatalité inéluctable, comme tous les événements importants de ma vie. » Par contraste avec l’ouvrage de Gide que nous avons choisi pour notre présentation est, Voyage au Congo (1927)1 renvoie à un contexte assez différent et se présente clairement comme un récit de voyage littéraire. Gide a effectué un voyage de près d’un an (juillet 1925 à mai 1926) en Afrique Équatoriale Française, en compagnie de son ami le cinéaste Allégret ; la première partie de ce voyage est relatée dans Voyage au Congo, et la seconde dans Le Retour du Tchad. Cette période 1. Pour ce texte, nous avons travaillé sur deux éditions : la première (1927a) est la version numérisée disponible sur Frantext, qui permet des interrogations à partir de formes ; cependant, le texte y est incomplet, puisque les notes de bas de page, qui représentent une part importante du texte de Gide, ne sont pas données ; c’est pourquoi conjointement nous avons travaillé sur une version papier complète (1927b). 216 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de l’entre-deux-guerres correspond à l’apogée du fait colonial (Droz 1996); on y observe une très forte diffusion de l’idéologie coloniale en France. On justifie l’entreprise de colonisation en invoquant le fait qu’elle répondrait à une nécessité économique d’une part, et qu’elle serait d’autre part la mise en œuvre d’une mission civilisatrice de l’Occident vis- à-vis de peuples moins « civilisés », en particulier vis-à-vis de l’Afrique. Mais dans les faits, le système colonial se caractérise par des abus multiples: aliénation des terres, en particulier au profit de grandes sociétés concessionnaires en A.E.F; impôts et prestations multiples; réquisition pour le travail obligatoire (entretien des routes et construction de chemins de fer, dans des conditions déplorables qui génèrent une forte mortalité parmi les populations locales); cultures obligatoires; économie de la traite; justice à double vitesse; tortures, exécutions sommaires, etc. Gide se joint aux diverses voix des milieux littéraire et journalistique qui dénoncent les abus du colonialisme – même si l’anticolonialisme reste relativement marginal. Le projet de Gide est celui à l’origine d’un voyage d’agrément, au cours duquel Gide prend plaisir à observer la faune et la flore africaine. Mais conjointement, l’auteur s’est vu confier par le ministère des Colonies une mission officieuse d’observation de l’administration coloniale; il s’agit de signaler d’éventuels dysfonctionnements et abus. Il s’engage ainsi dans une véritable enquête sur les conditions de vie faites aux indigènes et sur les écarts de l’administration coloniale. On observe dès lors, du point de vue textuel, une répartition des informations entre deux strates. Le corps du texte adopte la forme du journal de bord; il est consacré à la narration des péripéties du voyage et à la description de la faune, de la flore et des paysages africains. Une seconde strate textuelle est constituée par les notes de bas de page, où se donne à lire un violent réquisitoire contre les errements du système colonial; les cibles privilégiées sont en particulier les abus des grandes sociétés concessionnaires et le travail forcé. Mais la strate critique ne constitue qu’une faible proportion du texte, qui demeure avant tout une œuvre littéraire.2 On notera d’autre part que les faits susceptibles d’intéresser notre problématique apparaissent presque exclusivement dans cette partie du texte3 ; c’est là que Gide élabore un travail de description et de nomination de réalités spécifiquement africaines; les faits de nomination ne manquent pas d’être informés par cette dimension littéraire. Celle-ci se marque en particulier par un fort affleurement de la subjectivité: il s’agit pour Gide non pas de produire un compte-rendu objectif de ce qu’il observe lors de son voyage, mais bien de se dire soi face à ce monde autre, en particulier face à la nature qui est son objet principal d’intérêt et qui l’émerveille.4 Il importe également de prendre toute la mesure de la dimension de littérarité, qui influe sur les modes de construction de la référence dans le texte. Sur la base de ces deux textes contrastés du point de vue des contextes de production et des configurations génériques et textuelles, on se demandera en quoi les choix discursifs

2. Ce qui apparaît particulièrement net lorsque l’on compare le texte de Gide à celui de son ami Allégret (1987) – il fait aussi partie de notre corpus –, narrant le même voyage, et qui adopte davantage la facture du journal intime et ne fait pas autant l’objet d’un travail stylistique que le texte de Gide. 3. Les notes critiques n’engagent pas la question de la nomination des realia exotiques. 4. On notera en outre que Gide semble s’être vu confier par le Muséum d’histoire naturelle une mission consistant à rapporter des spécimens d’espèces naturelles endémiques du Congo, mission qu’il évoque à demi-mot dans une note. 217 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 instituent des positionnements différents vis-à-vis de l’altérité. Pour cette partie de l’étude, nous avons choisi de privilégier les entrées suivantes: la caractérisation de la posture descriptive propre à chacun des deux auteurs, le pouvoir de représentation des textes, les positions des voyageurs sur la langue, et les marqueurs de posture idéologique. Ces évaluations esthétiques sont très largement positives: Gide est positivement impressionné par la nature africaine. Le texte de Gide, tout comme ceux des autres auteurs du corpus, assume une fonction didactique: il s’agit bien de donner à connaître au lecteur principalement les espèces naturelles endémiques du Congo, et secondairement quelques objets typiques. Après arrivé à Dakar le 26 Juillet, il note le 10 Août : – Un absurde contretemps m‘empêche, en passant à Bôma (Congo belge), d‘aller présenter mes respects au Gouverneur. Je n‘ai pas encore bien compris que, chargé de mission, je représente, je suis dès à présent un personnage officiel.5

Conclusion

Voyage au Congo montre au lecteur que les fantasmes africains de Gide ont été nourris avant de se diriger vers l’Afrique brutalité perturbée par la réalité coloniale qu’il a trouvée au Congo. L’emplacement de Gide en français la culture est définie par son affirmation des principes moraux et des valeurs culturelles dans Voyage au Congo, Si Gide s’adresse à l’intelligence, à la sensibilité, à l’imagination de son lecteur, ce n’est pas pour lui imposer sa vision du monde, mais au contraire pour pousser sans cesse le lecteur à démolir puis à reconstruire la sienne, à mettre en scène et à multiplier tous les choix possibles, bref à établir avec les personnages et les situations du récit une relation critique. Mais Gide ne verra pas paraître ce livre capital. « Je ne compte plus que sur le Congo pour m’en sortir », note-t-il, fin mai, dans son journal. Plus encore que de voyage, il a besoin de distance, d’éloignement. Il lui est nécessaire de sentir de nouveau le présent le surprendre et l’enchanter. Il n’en peut plus d’attendre. L’initiation culturelle, que Gide a subie, l’a aidé à comprendre ses limites en tant que observateur et pour pénétrer le sens de la notion « différenciation ». Gide, à la recherche de particuliers révélations, à été menée par son expérience africaine à l’attention publique et politique, son voyage metamorphose de sa carrière.

Bibliographie

1. Clark, Phyllis, Gide’s Africa, South Central Review, Vol. 14, No. 1, pp.56-73, The Johns Hopkins University Press on behalf of The South Central Modern Language Association 2. Gide, André, Voyage au Congo suivi de Le retour du Tchad. Carnets de route, Paris, Gallimard (coll. Folio), 1997. 3. Gide, André, L’immoraliste, Mercure de France, Paris, 1966 4. Maillet, Henri, L’Imoraliste d’André Gide, Hachette, Paris, 1972 Sitographie: 1. http://www.upm.ro/gidni3/GIDNI-03/Lit/Lit%2003%2079.pdf le 10/03/2017 2. http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Idees/Voyage-au-Congo-suivi-de-Le- Retour-du-Tchad le 10/03/2017 5. André Gide, Voyage au Congo suivi de Le retour du Tchad. Carnets de route 218 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le voyage et la découverte de soi : une étude de Compartiment pour dames d’Anita Nair

Mahapurva Pahuja

Résumé

« Il n’y a d’homme plus complet que celui qui a beaucoup voyagé » dit Alphonse de Lamartine dans son œuvre Voyage en Orient (1835). Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’homme voyage. Au début, on voyageait à la recherche d’un abri et puis pour faire le commerce. Aujourd’hui, le voyage devient plutôt un plaisir. Quand on voyage, on fait face aux différentes cultures qui élargissent notre regard. Il nous aide à mieux comprendre notre propre culture. On voyage également pour découvrir soi-même : ce qu’on peut appeler le voyage initiatique dans lequel le voyageur subit une transformation lors de son parcours. Ce voyage fait de lui une autre personne qui se change à jamais. Il existe trois étapes du voyage initiatique : la situation de départ ou l’état initial ; la situation intermédiaire où la préparation se déroule ; et la situation finale qui est une nouvelle naissance. Le thème du voyage initiatique est fréquent dans le domaine de la littérature. Dans cette communication, nous nous proposons d’étudier Compartiment pour dames (2004) d’Anita Nair (traduction de Ladies coupé, 2001). L’objectif de cette recherche est d’analyser la façon dont un voyage permet une découverte intérieure et comment le personnage principal de cette œuvre évolue et se dépasse. La protagoniste de Compartiment pour dames, Akhila, devient le maître de son destin au lieu de se soumettre à la société patriarcale. L’aventure du personnage principal commence avec un voyage concret qui prouve d’être le moment décisif de sa vie. Mots-clés : Voyage initiatique, découverte de soi, transformation, expérience, aventure. Compartiment pour dames est la traduction du roman Ladies Coupé écrit par Anita Nair en 2001. Ce roman, traduit en français par Marielle Morin en 2002, met en lumière la vie des femmes en Inde. Anita Nair est une écrivaine indienne d’expression anglaise dont les œuvres reflètent les rôles variés exercés par les femmes dans la société. Le roman Compartiment pour dames rassemble les histoires de six femmes indiennes d’âge et d’origine sociale différents. Ces six femmes se retrouvent par hasard dans le compartiment d’un train et partagent leurs histoires lors du trajet. Cette œuvre est un roman « en pièces », morcelé, qui rassemble plusieurs petites histoires liées par le fil rouge de l’histoire d’Akhila. Le roman commence avec la description de la gare où se trouve le personnage principal. Akhila est une femme célibataire de 45 ans qui est lassée d’exercer les devoirs envers sa famille depuis la mort de son père. Étant l’aînée de deux frères et d’une sœur, c’est Akhila qui devait s’occuper de sa famille. Même si Akhila est une femme puissante, elle n’est pas tout à fait indépendante dans sa vie. C’est pour cette raison qu’elle quitte la maison, résolue à chercher la réponse aux questions qu’elle se pose depuis toujours. Elle décide alors de partir en voyage à Kanyakumari.

219 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Ayant réservé sa place au dernier moment, Akhila reçoit un billet de train pour le compartiment pour dames où elle rencontre cinq autres femmes qui voyagent toutes vers des destinations différentes et avec lesquelles elle va passer la nuit. Tout d’abord, en montant dans le train, Akhila fait la connaissance de Janaki, puis, elle rencontre Margaret et Prabha Devi. Deux autres femmes dans le compartiment s’appellent Marikolanthu et Sheela. Le voyage est une étape essentielle de la vie et il peut s’opérer à deux niveaux : au niveau physique quand il y a un déplacement du corps et au niveau mental quand une personne imagine effectuer un voyage. Le premier s’appelle le voyage concret et le deuxième le voyage de l’esprit. Un autre type de voyage est celui dont le but est la découverte de soi, on peut appeler ce voyage le voyage initiatique. Le mot initiatique vient du mot latin « initium » qui veut dire le début ou le commencement. Initier, c’est le passage d’un état à un autre. Ainsi le voyage initiatique est un voyage dans lequel le voyageur subit une transformation lors de son parcours. Ce voyage fait de lui une autre personne qui se change à jamais. Chaque voyage a une perspective initiatique, il change le regard du voyageur qui, dans un univers étrange, apprend de nouvelles choses. Il fait face aux différentes situations et de nouvelles expériences lui favorisent un esprit ouvert. Le voyage est ainsi un moyen de l’apprentissage dans lequel l’enseignant est l’autre, l’ailleurs. Eric Bourdeilh, dans son essai « La symbolique sacrée du voyage initiatique », dit que « l’expérience du voyage est créatrice d’un désordre porteur d’un renouveau » (Bourdeilh, 2008 : 9). Le voyage initiatique a ainsi une influence tellement profonde qu’on peut distinguer un avant et un après du voyageur. Le passage d’un état à un autre peut être l’occasion pour le voyageur de se dévoiler à lui-même. Le voyage initiatique peut aussi être vu au niveau mythologique et spirituel. Il existe des récits mythologiques sur le voyage initiatique dans chaque culture. Il existe trois étapes du voyage initiatique : la situation de départ ou l’état initial; la situation intermédiaire où la préparation se déroule; et la situation finale qui est une nouvelle naissance.

(a) Situation de départ

C’est la première étape d’un voyage initiatique qui reflète un « avant » du voyageur. Dans cette étape, il y a une volonté de séparation et de quête et cela mène à un détachement de la vie quotidienne. Cette partie met en lumière le personnage principal qu’il était au début, avant le voyage. Akhila est une femme ordinaire. Akhila est née dans une famille brahmane conservatrice. Elle passa son enfance dans l’environnement d’une famille traditionnelle dont les principes la gênaient mais elle ne pouvait point remettre en question ces règles. De plus, la mort de son père alors qu’elle était toute jeune, avait changé sa vie et Akhila acquit une grande maturité à partir de ce moment-là. Ses frères et sa sœur se sont mariés mais le paradoxe est que personne ne pensa au bonheur d’Akhila. Être obligée de jouer le rôle de l’homme de la famille, Akhila effaçait l’essence de la féminité d’elle-même pour devenir « vieille fille, fonctionnaire, historienne et mangeuse d’œufs ». (Nair, 2001 : 151) Akhila se sentait comme une étrangère quand elle se regardait dans le miroir : « Un pâle fantôme de ce qu’elle était autrefois. Une femme aux joues sans couleurs et à la bouche tombante. » (Nair, 2001 : 321) Entourée des devoirs, elle perdu ses

220 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 choix personnels et elle dissimulait ses émotions et ses besoins devant les nécessites des autres membres de la famille. Akhila sentait la lourdeur de ce fardeau qui l’étranglait et l’empêchait de vivre. Ce qu’elle ressentit au début comme la fierté se transforma rapidement en « un poids qui lui nouait les muscles des épaules en boules dures et tendues ». (Nair, 2001 : 128) Elle doutait de son identité et était en pleine crise d’identité. De plus, elle n’avait pas le droit de décider pour elle-même car sa vie était liée aux autres et que chaque décision qu’elle prenait avait une conséquence dans la vie des autres membres de la famille. Akhila voulait habiter seule mais sous la pression familiale et sociale elle devait rester avec sa sœur et la famille de celle-ci. Après quatre ans de tolérance, elle décida absolument un jour de vivre seule. Mais ses frères et sa sœur ont fortement résisté à sa décision seulement parce qu’elle était une femme. Akhila se sentit alors piégée puisqu’elle n’avait pas de voix étant même l’aînée de la famille. D’un autre côté, la vie avec sa sœur l’étouffait. C’était dans cette situation difficilement supportable qu’elle eut un jour « une étrange sensation d’errance ». (Nair, 2001 : 12) Elle décida brutalement de partir. Elle choisit d’aller à Kanyakumari, un endroit qui avait plusieurs signifiances : Kanyakumari, là où les trois mers se rencontrent. La baie du Bengale, l’océan Indien et la mer d’Arabie. Un calme océan mâle flanqué de deux mers femelles et agitées. Akhila connaissait l’histoire de Vivekananda qui, à Kanyakumari, appelé alors le cap Comorin, s’était jeté dans les eaux tourbillonnantes et le sel des trois mers, et avait nagé jusqu’à un rocher sur lequel il s’était assis résolument, dans l’attente de réponses qui lui avaient échappé toute sa vie. Et lorsqu’il avait quitté le rocher, il était devenu Vivekananda, celui qui a trouvé la joie de la connaissance. [...] Elle (Akhila) avait lu que Kanyakumari tirait son nom de la déesse qui, comme elle, avait mis sa vie en suspens. (Nair, 2001 : 12-13) Lorsqu’Akhila arriva à la gare, « son cœur battait la chamade, [...] elle sentit un sourire se dessiner sur ses lèvres. » (Nair, 2001 : 20) Elle était prête pour le « début de son itinéraire d’évasion ».

(b) Situation intermédiaire (la préparation)

L’étape suivante du voyage initiatique est la préparation de la transformation. Cette étape reflète le temps du voyage et prépare le terrain pour le changement. Pendant cette étape le voyageur fait face à de nouvelles rencontres. Il est également prêt d’affronter les épreuves. Dans le cas d’Akhila, le voyage fait par elle n’est pas simplement un voyage mais un moyen de se découvrir. Anita Nair utilise le voyage en train comme un outil qui joue un rôle important dans la transformation du protagoniste. C’est pendant ce grand voyage qu’Akhila rencontre les autres femmes qui l’inspireront et changeront sa vie à jamais. Au début du voyage, elle fit la connaissance de Janaki, Margaret et Prabha Devi. Les trois étaient mariées mais chacune avaient sa propre vision du mariage selon leurs expériences. Akhila voulait savoir leur point de vue sur la question si une femme pouvait vivre seule. Elle avait beau essayer de se convaincre et de convaincre sa famille mais elle avait cette peur quelque part si elle arriverait à se débrouiller. Ce voyage est donc une occasion pour elle de savoir ce qu’elle veut vraiment de sa vie. De plus, la rencontre et les expériences des autres femmes lui permettront de comprendre mieux sa propre vie. Loin du fardeau

221 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 familial, Akhila sera libre d’imaginer les nouvelles possibilités pour la direction et les attentes de sa vie dans ce compartiment du train. Après avoir entendu l’histoire de Janaki, Akhila réfléchit d’elle-même. Elle commença à se douter et de se demander si elle était en bon chemin. Akhila apprit de l’histoire de Sheela d’écouter son instinct au lieu de faire ce qui est attendu des autres. Margaret apprit à Akhila de prendre en charge sa vie et d’être indifférente de ce que les gens puissent penser. Avant de descendre à sa destination, Margaret lui dit : « Lorsque vous aurez cessé de vous préoccuper de ce que les autres vont dire de vous, votre vie n’en deviendra que plus aisée. Souvenez-vous seulement que c’est à vous de vous prendre en charge, personne d’autre ne le fera à votre place. » (Nair, 2001 : 221) Akhila obtint une meilleure perception de la vie par l’histoire de Prabha Devi. Elle apprit que la liberté d’une personne tenait dans ses propres mains et non pas dans celles des autres. Akhila s’inspira de ce personnage et se dit : « Il faut que moi aussi j’apprenne à nager dans le sens du courant de la vie, plutôt que de rester sur la berge. » (Nair, 2001 : 338) À ce stade du voyage, Akhila avait déjà gagné un peu de confiance. L’histoire de Marikolanthu apprit à Akhila de recommencer sa propre vie. Elle comprit que l’on ne peut pas changer ce qui s’est passé. En revanche, c’est à nous d’oublier le passé, de vivre le présent et d’espérer pour un avenir meilleur. Marikolanthu apprit à Akhila de chercher sa propre force qui est cachée en elle. Elle lui dit : « Elles (les femmes) sont fortes. Elles peuvent tout faire aussi bien que les hommes. [...] Mais c’est en elle qu’une femme doit chercher cette réserve de force. Elle ne se manifeste pas naturellement. » (Nair, 2001 : 339) Le voyage à Kanyakumari offre à Akhila une vue plus large du monde. Loin de la vie passive et monotone, Akhila ressent une grande joie au cours de son aventure. Evelyne Hanquart-Turner décrit le voyage en train d’Akhila dans son article : « Les sites, les odeurs et les bruits‒agréable ou désagréable ‒ tous se regroupent pour faire le voyage en train passionnant et vivifiant. » (Hanquart-Turner, 2006 : 311). Akhila regarde le paysage et le contemple : « Le paysage semblait si paisible alors même que le changement en était partie intégrante. Pourquoi seuls les hommes refusent-ils le changement ? Pourquoi le combattons-nous ? » (Nair, 2001 : 318) Akhila ne pouvait pas avoir ces expériences sans la liberté que le voyage lui offrait. Par exemple dans un cas précis, le simple acte d’acheter un petit-déjeuner à une gare devient un moment de la révélation et la transformation pour Akhila. Encouragée par Prabha Devi, Akhila goûta un plat différent « un appam avec un korma de légumes, et des beignets de banane » et le trouva agréable. Elle était étonnée de savoir qu’elle aime « le parfum de la nourriture enveloppée de feuilles de bananier » et remarqua que « c’est étrange qu’il faille quelqu’un d’autre pour nous dire ce que nous aimons ou pas ! » (Nair, 2001 : 271) Avec cet acte qui parait insignifiant, Akhila fit un pas vers la découverte de ses amours et de ses aversions. Ainsi, Anita Nair éloigne Akhila de son identité d’une personne timide qui avait autrefois peur d’essayer quelque chose de nouveau et qui commence à articuler son autonomie émergente. Le voyage en train apporta à Akhila un sentiment de protection et de détente : « Pour la première fois, elle se sentait protégée, à l’abri d’elle-même. Le train savait où il allait. Elle n’avait pas à lui dire ce qu’il fallait faire. Il veillerait tandis qu’elle dormait. » (Nair, 2001 : 152) Pendant le voyage Akhila eu un rêve étrange dans lequel elle se voyait dans les bras d’un homme. Devant sa famille, cet homme demandait Akhila d’aller vers lui mais de l’autre côté sa famille l’empêchait de faire cet acte jugé indigne. Pourtant Akhila choisit d’être avec cet homme

222 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 au lieu de se tourner vers sa famille. Ce rêve signifie le début de la transformation d’Akhila qui ne se soucie plus des autres. Pour Akhila, ce voyage à Kanyakumari se prouve d’être « l’expérience la plus excitante et libératrice de sa vie ». L’histoire des compagnons du voyage aida à Akhila de bien comprendre elle-même. Toutes ces femmes conseillèrent à Akhila d’aller contre la pression de la société et de se découvrir elle-même. Akhila apprit que c’est à elle de créer le bonheur dans sa vie et que cela tient de sa propre responsabilité. Elle réalisa qu’elle avait également joué un rôle dans la vie de ces femmes qui ont essayé de donner un sens à leur vie en racontant leur histoire car « c’est en explorant la texture de la vie des autres, en cherchant des ressemblances, susceptibles de connecter nos vies entre elles, que nous essayons de nous libérer d’un sentiment de culpabilité à l’égard de ce que nous sommes et de ce que nous sommes devenues ». (Nair, 2001 : 222) Akhila apprit des expériences de ces femmes comment se faire une place dans cette société patriarcale. Elle remarqua que les autres femmes ont aussi eu des expériences pareilles. Akhila pensa que si ces femmes arrivaient à franchir des obstacles et ramener le bonheur dans leur vie, pourquoi pas elle. Cette pensée l’a rendu joyeuse. Akhila était contente en pensant « qu’elle triompherait d’une manière ou d’une autre ». (Nair, 2001 : 151) Elle entre ainsi dans une nouvelle phase de la réalisation de soi.

(c) Situation finale (la nouvelle naissance)

C’est la dernière étape du voyage initiatique qui produit un « après » du voyageur. Il y aura un plus du personnage qui gagne un niveau de conscience plus élevé. Il éprouve le sentiment d’émancipation et de libération. Cette étape engendre de révélations et de transformations intérieures. Les apprentissages s’expriment graduellement dans la vie quotidienne. À la fin du voyage, quand Akhila descend à Kanyakumari, elleest une personne différente. Anita Nair consacre le dernier chapitre du roman pour montrer la métamorphose du protagoniste. Différent des autres chapitres sans titre consacrés à Akhila, ce chapitre porte un titre « Akhila parle ». Ce titre révèle la transformation du personnage principal en une femme pleine d’assurance qui gagne la voix. Après le changement fait par le voyage, Akhila descend comme une nouvelle femme qui est prête à profiter librement de sa vie comme elle le souhaitait. Pendant son séjour à Kanyakumari, Akhila vécut sa propre vie qu’elle avait habitude de consacrer pour les autres. Akhila était devant l’océan immense de Kanyakumari, le lieu symbolique de clairvoyance et de connaissance de soi. C’était pour la première fois de sa vie qu’ « elle se laisse aller à cueillir l’instant ». (Nair, 2001 : 435) Quand Akhila était avec un jeune garçon inconnu, elle était consciente que les gens les regardaient mais tout cela ne la concernait plus car elle surmontait la peur de la société. Akhila a gagné énormément de confiance et elle n’a plus peur de rien. L’expérience d’Akhila dans le compartiment la poussa de remettre en question des normes de la société et de rejeter le rôle attribué par le patriarcat. Ce voyage a fait plusieurs révélations dans la vie d’Akhila. Elle a connu elle-même qu’elle ignorait. Elle a découvert qu’elle aime la solitude et ne se doute plus du fait de vivre seule. Elle croit désormais en effort d’essayer : « Tout ce qu’il lui reste à espérer de la vie : pouvoir essayer de la vivre ». (Nair, 2001 : 435) Ce qui a changé chez Akhila, c’est le sens d’identité et la force qu’elle a découverte dans ce voyage de son changement intérieur. La nouvelle Akhila avait envie de faire tout pour elle-même que ce soit l’assouvissement 223 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 de ses désirs physiques. Sans connaissant même pas son nom, Akhila établit la relation sexuelle avec le jeune garçon afin d’ « assouvir un besoin. Se laver de son passé. Se prouver quelque chose. » (Nair, 2001 : 441) Akhila se sentait triomphante, complète et forte. La narratrice la compare à Shakti, c’est-à-dire la déesse désignant l’énergie féminine, sous ses dix déclinaisons : Kali. Prête à détruire tout ce qui s’immisce entre elle et le passage du temps. Tara. Avec l’Embryon d’Or d’où se développera un nouvel univers, qui sera son propre néant et son propre infini. Sodasi. La plénitude de la Fille de seize ans qui nourrit les rêves et les espoirs. Encore aujourd’hui, à quarante-cinq ans. Bhubaneswari. En qui surgissent les puissances du monde matériel. Bhairavi. Cherchant à satisfaire ses désirs avant que tout se résorbe dans le néant. Chinnamasta. La dénudée, qui perpétue l’état d’autosuffisance du monde visible, rendant possible le cycle des destructions et des renaissances. Dhumati. La malchance incarnée. Une vieille sorcière juchée sur un âne, un balai à la main et un corbeau ornant sa bannière. Bagala. Au visage de grue, aspect négatif de toutes les créatures. Jalousie, haine, cruauté, elle est tout cela et davantage encore. Matangi. La dominatrice. Kamala. Pure conscience de soi, prêtant soutien et dissipant les peurs… Akhila telle que la connaissait sa famille. Voilà la vraie Akhila : Elle est chacun de ces aspects et tous à la fois. (Nair, 2001 : 441) Le voyage initiatique d’Akhila est une quête de soi vers son autonomie. Ce voyage poussa Akhila à repenser à son amour passé, « le seul nœud qu’elle avait coupé plutôt que de le défaire ». (Nair, 2001 : 442) Akhila réalisa que tout était possible dans la vie et elle a eu finalement le courage de « reprendre là où elle s’est arrêtée et de recommencer ». (Nair, 2001 : 442) Elle contacta ainsi de nouveau Hari, son amant qu’elle avait quitté parce qu’il était plus jeune qu’elle. Transformée par le voyage, Akhila se sentit libre d’imaginer des nouvelles possibilités pour la direction de sa vie. Akhila remet en question des idéologies qui régissaient sa vie. Elle est devenue une personne tout à fait différente de celle qu’elle était avant de monter dans le train. Quand Akhila prend le train, elle sort de la sphère privée avec un but du changement et une fois le voyage terminé, elle émerge comme une femme très sure de son identité autonome dépassant des normes prédéterminées. La décision de partir au train est « un catalyseur qui permet Akhila de se libérer des bandes de fer constrictive de son identité sociale » (Bausman, 2014 : 72). Usha Natwarlal Bhatt étudie la quête de l’identité des femmes dans les romans d’Anita Nair et parle du personnage principale du Compartiment pour dames : « Akhila, à travers sa renaissance et la transcendance symbolique, est capable d’acquérir un nouveau soi- un soi qui souffrit, expérimenta et à la fin apprit la vraie essence de la vie. » (Bhatt, 2015) Le voyage de la quête de soi d’Akhila est fini et elle maîtrisa à sa crise d’identité. Akhila sourit en pensant « à quel point il est facile de sourire maintenant qu’elle prend enfin le contrôle de sa vie ». (Nair, 2001 : 441)

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Le voyage initiatique d’Akhila est un voyage du changement. C’est un moment de transition qui encourage l’évolution de la conscience. Il s’agit plutôt du processus que de la destination. Ce roman nous montre comment le protagoniste principal Akhila, transformée par l’espace libérateur du compartiment, retourne au monde. Dans ce voyage, les compagnons d’Akhila influençaient la vie de celle-ci. La conversation d’Akhila avec ses co-passagers etdes leçons qu’elle tira des expériences de leur vie ont aidé à Akhila de devenir une nouvelle personne complètement changée. Dans ce roman, le compartiment offre « un miroir dans lequel le protagoniste découvre elle-même, trouvant sa propre identité féminine reflétée » (Felski, 1989) selon Rita Felski qui parle de l’influence des autres femmes sur une femme dans son œuvre sur la littérature féministe. La séparation temporaire du système patriarcal aida Akhila à réfléchir et ainsi à gagner la connaissance de soi. Akhila représente un exemple pour des femmes qui sont en quête de l’espace féminin. Le choix de la destination comme Kanyakumari reflète l’objectif d’Anita Nair : le lieu de la découverte de soi. L’écrivaine présente le mythe d’un grand philosophe et maître spirituel indien qui y trouva des réponses à ces questions par rapport à la vie et devint Vivekananda d’un simple garçon Narendra : « le saint qui avait appris au monde à se redresser, à se réveiller et à ne s’arrêter qu’une fois le but atteint ». (Nair, 2001 : 13) Cet endroit est également lié au mythe. Le nom Kanyakumari signifie la déesse vierge qui ne s’est jamais mariée. La narratrice compare Akhila, une vieille fille, à cette déesse. Mais, à la fin, l’auteure fait Akhila une femme rebelle qui choisit d’être libre au lieu d’accepter une image honorée d’une déesse. Anita Nair essaye ainsi de briser les conventions de la société. Le voyage donna un sens de libération à Akhila. Le voyage d’Akhila représente le voyage d’une femme indienne sous patriarcat. Ce voyage est une découverte de soi d’une femme par elle-même. À la recherche de sa propre identité, Akhila partit de la maison comme une rebelle afin de rejeter les normes sociales et le mode de vie traditionnel. Akhila découvrit qu’elle ne vivait que pour les autres en se négligeant. Elle brisa la chaîne du patriarcat qui l’avait hantée depuis des décennies et ainsi se dégagea avec succès de la toile du patriarcat. La fin du voyage donna une nouvelle vie à Akhila pour s’explorer. Akhila se comprend mieux après le voyage. Une fois la quête finie, elle jeta le masque et commença à vivre pour elle-même. La situation de la société n’a pas changé ni elle a le pouvoir de le transformer, mais tout ce qui a changé c’est l’attitude d’Akhila qui ne pense plus au regard méprisant de cette société patriarcale vis-à-vis d’elle et vit sa vie désormais comme elle le voulait. L’histoire d’Akhila montre que les femmes possèdent une puissance énorme qui se manifeste dans des circonstances adverses. Akhila représente des femmes dont la force intérieure, si évoquée, peut offrir l’exemple du courage. L’histoire d’Akhila transmet un message d’espoir aux femmes qui n’osent même pas penser à changer leur condition et les encourage de vivre leur vie comme elles veulent au lieu de se consacrer pour le bonheur des autres qui ne fait même pas attention à leurs sacrifices de chaque moment. La quête d’identité d’Akhila finit par la découverte de soi qui est plutôt un guide pour la réalisation de ses propres intérêts. Akhila passe par un long processus de la réalisation de soi. Par conséquent elle devient une source d’inspiration pour d’autres femmes, les poussant ainsi à chercher leur propre « soi » et les réponses qui habitent en elles-mêmes.

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Bibliographie

1. Bausman, Cassandra, « Into a Horizon I Will Not Recognize: Female Identity and Transitional Space aboard Nair’s Ladies Coupé », Iowa Journal of Cultural Studies 15, 2014, pp. 56-79. 2. Bhatt, Usha Natwarlal, « Quest for self-identity of women in Shashi Deshpande and Anita Nair novels: A critical study », Shodhganga, juillet 2015, disponible en ligne à l’adresse suivante: http://shodhganga.inflibnet.ac.in/bitstream/10603/45687/10/10_chapter%20-%204.pdf. 3. Bourdeilh, Eric, « La symbolique sacrée du voyage initiatique », Aspects symboliques de la communication, séminaire à l’Université du Québec, Montréal, décembre 2008. 4. Felski, Rita, Beyond Feminist Aesthetics: Feminist Literature and Social Change, Harvard, U.P. 1989. 5. Hanquart-Turner, Evelyne, « ‘The Kanyakumari Tales’ or an Indian Decameron: Anita Nair’s Ladies Coupé », Transport(s) in the British Empire and the Commonwealth 4, 2006, pp.309-321. 6. Lamartine, Alphonse de, Voyage en Orient, Édition de Sophie Basch, Paris, Gallimard, 2011. 7. Mathiaparanam, Poornavali, R. Saraswathy, « Towards self-discovery: A comparative study of the lead characters of Anita Nair’s Ladies Coupé and The Better Man », Language in India, Vol. VII, mai 2007. 8. Nair, Anita, Compartiments pour dames (2001), trad. Marielle Morin, Arles, Éditions Phillipe Picquier, 2004. 9. Patil, Poonam, « Anita Nair’s Ladies Coupé and female characters », International Journal of multifaceted and multilingual studies, Vol. I, Issue XII, 2015. 10. Sinha, Sunita, « Journey of Self Discovery in Anita Nair’s Ladies Coupé » Post-Colonial Women Writers: New Perspectives, New Delhi, Atlantic Publishers, 2008, pp.147-159. 11. Thomas, Doris. « Towards the Emergence of an Autonomous Woman: a reading of Anita Nair’s Ladies Coupé » The Quest 20.19, juin 2006, pp.46-51. 12. Turner Victor Witter, Le phénomène rituel : Structure et contre-structure, Paris, Presses Universitaires de France, 1990, p.95-96. 13. Van Gennep Arnold, Rites de passages, Paris, Éditions Picard, 1981 (1909), p.14. 14. Vierne, Simone, « Le voyage initiatique », Romantisme, n°4, 1972, pp.37-44.

226 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Jeu des Regards Croisés à Travers Un Récit de Voyage : Étude de Cas Calcutta Après Michaux de Julien Roumette

Manisha Sondhi

Résumé

Tout lecteur d’un récit de voyage cherche à découvrir un endroit exotique ou ordinaire par le biais du vécu de l’auteur / voyageur. Ce vécu peut nous faire parvenir non seulement à un récit descriptif d’un endroit mais il peut également nous faire découvrir le savoir-vivre des habitants de cet endroit. Si la découverte d’un endroit et ses habitants pourrait engendrer des préjugés et des stéréotypes chez les lecteurs étrangers, chez un natif, le même récit fera naître une comparaison polémique à l’égard du vécu de l’auteur / voyageur. Un récit de voyage “exotique” pourrait mener le lecteur à effectuer une analyse du regard de l’auteur / voyageur envers sa propre culture et à découvrir d’une manière discrète la culture de l’auteur / voyageur. Dans notre étude de Calcutta après Michaux, nous tenterons d’analyser le regard de l’auteur envers Calcutta, ville pleine d’ influences culturelles et son peuple et trouver en même temps des traits de la culture de l’auteur. A la lumière de cette analyse, nous tenterons d’exploiter quelques pistes pédagogiques en vue d’amener les apprenants du français vers un travail sur l’interculturel dans une classe de langue en contexte indien. Mots-clés : Regards croisés, stéréotypes, culture étrangère, l’interculturel, récit objectif, propositions pédagogiques. Le récit de voyage est avant tout une invitation à entreprendre le voyage à un endroit. C’est le récit de voyage à travers lequel l’auteur laisse ses traces sur l’endroit pour les visiteurs ultérieurs. Tout lecteur d’un récit de voyage cherche à découvrir l’ endroit exotique ou ordinaire par le biais du vécu du voyageur. Ce vécu peut nous faire parvenir non seulement à un récit descriptif d’un endroit mais il peut également nous faire découvrir le savoir-vivre des habitants de cet endroit. L’objectif de cette étude est d’analyser la perception de la culture indienne telle qu’elle est représentée tout au long du récit de voyage de Julien Roumette à Calcutta. La culture indienne, réussit-elle à laisser des impressions ineffaçables sur le narrateur / voyageur ? Il serait également notre tentative d’étudier si à travers le regard de l’auteur sur la société indienne, un lecteur indien peut dégager la vision de l’auteur. Il convient d’analyser également si le voyageur subit, lui-même, une évolution intérieure au cours de son voyage. D’où notre hypothèse : – Le regard du voyageur sur une culture étrangère nous amène à avoir un aperçu de sa propre culture.

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Une série de questions se posent à partir de cette hypothèse : – Un récit de voyage ne vise-t-il que l’exploration géographique d’un endroit où se trouve le narrateur / voyageur ? – Un récit de voyage est-il un répertoire de stéréotypes envers le pays décrit? – Le lecteur du récit, est-il prêt à abandonner ses attentes et ses propres impressions en découvrant l’endroit visité selon le vécu du narrateur / voyageur? – La culture de Calcutta, réussit-elle à impressionner le voyageur occidental? – Un voyage à l’étranger, devient-il une expérience inoubliable pour le narrateur/ voyageur? En amont, nous estimons utile de justifier le choix du thème. Premièrement, Calcutta, la ville de Tagore et de Mère Thérèse, est une ville que nous n’avons pas encore visitée et qui reste un énigme pour nous. Le titre du récit nous semblait faire visiter cette ville métropole à travers deux perspectives françaises étant donné que l’auteur de Calcutta après Michaux s’est trouvé poussé vers l’Inde après sa lecture d’Un Barbare en Asie d’Henri Michaux. Deuxièmement, les perceptions de l’auteur à l’égard du Bengale et son peuple nous donnaient la possibilité de traiter le thème de l’interculturel dans les cours de FLE. Notre étude se divise en quatre parties. Dans la première partie, nous allons élaborer sur les impressions de Roumette à l’égard de Calcutta avant les voyages qu’il entreprend, c’est à dire ses perceptions basées sur le récit de Michaux. La deuxième partie de notre étude décrit Calcutta selon le journal et les descriptions de l’auteur. La troisième partie consiste à faire une analyse des regards sur les deux cultures opposées dont il est question dans le récit. L’interprétation d’un voyageur sur une culture étrangère nous oblige de situer le cadre théorique dans lequel s’inscrit la présente étude. De ce fait, nous nous basons sur la théorie d’Orientalism d’Edward Said. Dans la quatrième partie, il s’agit des propositions pédagogiques pour un cours sur le thème de l’interculturel en tenant compte des récits riches et pertinents dans Calcutta après Michaux.

1. Le Calcutta de Michaux : l’inspiration de Roumette

Roumette entreprend le voyage à Calcutta suite à la lecture d’Un barbare en Asie d’Henri Michaux. L’auteur a été encouragé de se débarrasser de toutes les impressions et de tous les discours sur l’Inde et de se donner une expérience « personnelle » de ce fonds énorme de culture. Roumette, reconnaissant à Michaux de cette « poussée fraternelle » (Roumette 2003 : 7), se plonge dans la description de sa propre expérience, six décennies après la parution d’Un barbare en Asie puisqu’il dit « je me suis soudain rendu compte que mon regard, après tout, en valait un autre et qu’il pouvait être porteur d’une certaine lucidité » (Roumette 2003 : 7). Selon lui, sa lecture du récit de Michaux sur l’Inde l’a rendu plus réceptive à accepter « les marques et les blessures. » (Roumette 2003 : 8) En tant qu’expérience de Michaux à Calcutta, nous ne trouvons qu’une trentaine de lignes citées tout au long du récit. Roumette évoque le nom de son inspirateur quelques fois pour marquer la différence entre la ville que connaissait Michaux, « La ville la plus pleine de l’univers » (Roumette 2003 : 73) et celle que visite Roumette. La mention des nouveaux noms des quartiers / des endroits

228 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 aurait pour but de transmettre un élément de nostalgie chez le lecteur qui connaissait la ville des années 30. Les descriptions de Roumette réussissent à établir une différence nette sur la ville des deux époques.

2. Le Calcutta de Roumette: un nouveau regard

Avant de commencer cette partie de l’analyse, nous voudrions citer Marcel Proust. Selon lui, « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » A la lumière de cette citation, l’on est mené à comprendre que tout récit de voyage ne comprend qu’un récit descriptif de l’endroit ou la ville visitée. Puisqu’on parle d’un séjour d’une certaine durée effectuée par l’auteur, il est évident que celui-ci nous donne une description subjective de ses propres expériences de la ville, des gens, leur culture, leurs attitudes et leur savoir-vivre. Calcutta après Michaux n’est pas un récit de voyage dont profiterait un futur voyageur car il y existe peu de descriptions factuelles de la ville. Il s’agit plutôt du regard de l’auteur sur une culture énormément différente que la sienne. Le récit est divisé en trois parties distinctes. Il y a un « avant » où l’auteur partage l’influence sur lui d’Un barbare en Asie. Cet « avant » est l’étape où le voyageur se prépare pour le voyage et où il s’avertit de « Ne pas juger. » Cette partie est suivie du « Journal » qui décrit le séjour de l’auteur au cours de deux ans dans les années 90 à Calcutta. La troisième partie du récit s’intitule « Après », où il s’agit de l’expérience du narrateur / voyageur après le retour dans son proper pays, auprès de ses compatriotes. C’est dans cette partie que le lecteur aura l’occasion de jeter un regard sur la culture du narrateur. Dans son récit sur Calcutta, Roumette a évoqué une gamme de thèmes à savoir, les rues de Calcutta, l’attitude curieux des Indiens envers les étrangers, la mort, la pratique de crémation, la musique classique indienne, les grèves, la bonne conscience bengali et ainsi de suite. Pour des raisons d’ordre pratique, il convient de faire état de quelques thèmes significatifs de Roumette qui nous ont permis d’avoir un aperçu de sa réflexion. Il importe de signaler que les observations positives faites par l’auteur sont bien moins que ses impressions negatives sur la ville et le peuple de Calcutta. Pour notre présente étude, nous allons élaborer sur la perception de l’auteur à l’égard des femmes et le symbole de la culture bengali, le Shantiniketan. Selon Roumette, les Indiens ne respectent pas leurs femmes dont le rôle principal est de faire naître des bébés. L’attitude des hommes à l’égard des femmes dans une famille bengali, les rôles qu’elles jouent dans les films, la situation compliquée des femmes divorcées, les mariages mal-arrangés et le mariage des jeunes filles mineures sont parmi quelques thèmes abordés par Roumette envers lesquels il ressent beaucoup de peine et d’angoisse. Pour justifier son point de vue, il réussit à crée une image émouvante entre les femmes et les fleurs. « Le Indiens ne respectent pas plus les fleurs que les femmes. Ils ne les aiment pas pour elles-mêmes. Ils les coupent, gardent la fleur, sans sa tige ni ses feuilles, et les enfilent par dizaines pour faire des colliers et des guirlandes. Et puis, le soir, ils les jettent. » (Roumette 2003 : 92) Il résume la condition des femmes en constatant « Les femmes en Inde : à brûler après l’usage ». (Roumette 2003 : 92)

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Le Shantiniketan, bastion de la culture bengali envers lequel les Bengalis ont beaucoup de respect ne réussit pas à impressionner l’auteur. Selon lui, la cité a été fondée sur le territoire qui appartenaient aux tribus tels les Baouls et les Santals. Malheureusement, leur entrée même à l’intérieure de Shantiniketan est interdite et ils sont accordés les couloirs moins lumineuses pour étaler leurs artisanats. Cette visite a aidé l’auteur à découvrir l’hypocrisie de la bourgeoisie bengali qui cache tous ses défauts derrière la façade d’un grand homme comme Tagore. Parmi les images positives créées par Roumette, il y a celles de la musique indienne, qui soulage son âme et de la visite chez Mère Thérèse entre peu d’autres. La sensibilité et la volonté des femmes de l’orphelinat à nourrir et à soigner les enfants le laisse très ému. Il avoue que malgré les défauts qui existent dans la culture indienne, elle réussit à l’envahir par sa simplicité et sa pureté.

3. Le jeu des regards

3.1. Impression ou Stéréotype ?

Avant d’effectuer une étude sur le jeu des regards, il conviendrait d’expliciter le terme « stéréotype » évoqué dans l’ interrogation de notre hypothèse. Rose-Marie Chaves, Lionel Favier et Soizic Pélisssier évoquent la définition suivante du terme. « Image mentale qui s’intercale entre la réalité et notre image de la réalité. Il s’agit d’une représentation collective et simplifiée d’un groupe. Elle correspond à des traits ou des comportements qui sont attribués à tous les membres d’un groupe et constituent donc une vision générale et réductrice de la réalité. » (Chaves et al 2012 : 111) A la lumière de cette citation, l’on est mené à se poser des questions à propos du récit de Roumette. Les impressions et les opinions transmises par Roumette au cours de son séjour, ne seront- elles pas généralisées par un lecteur natif qui s’intéresse à visiter Calcutta? Serait-il juste de considérer que les opinions de Roumette sont valables pour tous les Bengalis ? Un auteur ne doit-il pas s’abstenir de faire des remarques qui peuvent engendrer des stéréotypes concernant un peuple ? Ici, il importe de préciser que Roumette ne parle pas que des Bengalis dans son récit. Il évoque souvent des traits caractéristiques propres aux Indiens et à l’Inde. A titre d’exemple, nous aimerions citer les phrases suivantes. 1. « Sourire en Inde, c’est montrer sa gêne. Décalage terrible. Ici, on n’accueille pas. Surtout ne pas montrer qu’on accueille. » (Roumette 2003 : 76) 2. « Les Indiens ont la passion de la taxinomie. Ce sont des maniaques de la désignation. La chose une fois nommée, ils ont la conscience tranquille. » (Roumette 2003 : 41) 3. « [...] les Indiens abordent tout étranger à tout moment pour lui demander d’où il vient , quel âge il a, quel est sont métier et s’il est marié. Après ça, ils s’en vont contents, sans chercher le plus souvent à poursuivre la conversation. » (Roumette 2003 : 30) 230 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

4. « Ceux qui viennent en Inde pour se trouver se trompent. On ne se trouve pas, à l’étranger. Et surtout pas en Inde, dans ce pays d’égoïstes où c’est chacun pour soi. » (Roumette 2003 : 33) Selon Michael Byram et Michael Fleming, les langues différentes entre les deux locuteurs sont à l’origine des malentendus. « When people interact in a language which is foreign to at least one of them, the shared meanings and values it carries for those involved cannot be taken for granted in the way they are when those involved are from the same language group. » (Byram et Fleming 1998 : 2) Edward Said, soulève une question à l’égard de ces interprétations sur les pays d’Orient. Selon lui « Isn’t there an obvious danger of distortion [...] if either too general or too specific a level of description is maintained systematically. » (Said 1978 : 16) De ce qui précède, l’on peut constater que les opinions d’un auteur sont très significatives pour un natif de son pays qui va les intérioriser en tant que constat véritable. Il n’hésitera pas à croire que le comportement dont parle l’auteur est sans doute celui de tous les gens du pays. A quoi peut-on attribuer un tel regard du voyageur sur un pays oriental? Une explication apparaît sous la plume de Said d’après qui l’Orient est la plus importante vision de l’autre pour les habitants de l’Occident. « [...] its cultural contestant, and one of its deepest and most recurring images of the other. In addition, the Orient has helped to define Europe (or the West) as its contrasting image, idea, personality, experience. » (Said 1978 : 9).

3.2. Retour à Bénarès : un nouveau regard

Dans notre tentative d’analyser le discours de Roumette sur les Bengalis aussi bien que les Indiens, nous avons jugé utile de le comparer à celui d’Olivier Germain-Thomas dans Retour à Bénarès. Bien qu’il existe des similitudes dans quelques échanges entre Germain- Thomas et le peuple indien (à titre d’exemple: l’habitude de poser trop de questions en rencontrant un étranger), il ne s’y trouve guère de jugements sur le peuple indien et sur son comportement. Dans son récit, à travers une dizaine de villes indiennes, il s’agit plutôt des descriptions objectives des moments vécus. « Je suis abasourdi par le brouhaha de la gare de Mathura, horriblement secoué par le train agressé à Delhi par les cris, l’agitation, les bousculades, les hordes qui s’abattent sur moi. » (Germain-Thomas 1986 : 111) L’on ne peut pas nier le souci d’un narrateur à reporter avec l’objectivité son expérience et ses réactions au cours du voyage. Ainsi, l’habitant natif devra accepter dans une certaine mesure, ce que ressent le narrateur envers son pays. Ici, nous voudrions citer les propos de Germain-Thomas « J’aime l’Inde pour la fraternité immédiate que l’on rencontre à chaque croisement. Et c’est le pays où l’on ne cesse de vous mentir, où neuf sur dix des mains tendues sont des mains qui veulent prendre. J’aime l’Inde pour ses éblouissantes beautés, et c’est le pays où j’ai vu les maisons les plus laides, les rues les plus tristes. » Cependant tout en partageant ses opinions objectifs, Germain-Thomas admet que « Une poignée de temples et trois ou quatre livres n’expriment qu’une toute petite facette de l’Inde; » (Germain-Thomas 1986 : 32). Les propos ci-dessus de l’auteur semblent éclaircir sa prise de position à l’égard de tout ce dont il fait état au cours de ses voyages.

3.3. La représentation de « l’autre »

En vue de valider les impressions retenues par Roumette à l’égard des Bengalis, une trentaine de collègues et d’élèves du niveau B1 ont participé à une enquête brève. (Voir

231 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Annexe) Celle-ci a été conçue à partir des commentaires que Roumette a faits sur les Bengalis. L’auteur se juge capable d’avoir compris le comportement bengali pendant ces trois voyages effectués à près de sept ans d’intervalle. Par le biais de cette enquête, nous avons pu examiner si les constats de Roumette sont pertinents et valables. A travers cette enquête, nous avons trouvé que les Bengalis acceptent quatre sur dix des constatations de l’auteur. Plus de 70% de personnes ont répondu « vrai » à ces quatre déclarations. Mais tous les Bengalis interrogés étaient contre l’observation de l’auteur que les hommes bengalis ne respectent pas leurs femmes, dont la « responsabilité » primaire est de faire naître des bébés selon Roumette. Bien que 54% aient répondu à l’affirmative aux constats tels « [...] les Bengalis sont perdus, désemparés face à l’émotion. » (Roumette 2003 : 91) et « Un Bengali a toujours raison et se demande même comment, avec quelle outrecuidance, vous pouvez douter de ce qu’il dit. » (Roumette 2003 : 21), l’on ne peut pas généraliser ce constat pour la majorité des gens.

4. Propositions Pédagogiques

Un discours tel qu’il existe dans Calcutta après Michaux nous accorde la possibilité de faire un travail sur l’interculturel à deux niveaux auprès de nos apprenants. Nous voudrions partager le déroulement de notre cours sur l’interlculturel basé sur le récit de Roumette. Dans un premier temps, on a mis les apprenants indiens au courant d’un regard français sur la culture de leur pays. Plusieurs aspects de la culture indienne et bengali sont soulignés par l’auteur. Les apprenants ont été amenés à lire des extraits du récit sur la culture indienne (Roumette 2003 : 34, 102) et celle de la France (Roumette 2003 : 103, 104, 105). A l’aide de ces extraits choisis, une discussion s’est déclenchée sur les aspects caractéristiques des différentes cultures indiennes. Un dialogue entre les apprenants bengalis et ceux qui proviennent des autres états de l’Inde, basé sur les commentaires de Roumette nous a offert une possibilité unique de démarrer une discussion sur l’interculturel en Inde auprès de nos apprenants. En faisant ceci, nous avons pu sensibiliser nos apprenants à propos de leur savoir-être, autrement dit un regard sur soi face à un locuteur étranger. Pour la deuxième partie de cette activité, nous avons demandé à nos apprenants d’identifier les traits de la culture française soulignés par l’auteur dans la dernière partie du livre. Les apprenants ont été encouragés de caractériser les différences marquées entre la culture occidentale et orientale. Ce cours a fait naître un débat vif sur le jeu des regards croisés lors d’un échange entre deux cultures différentes.

En guise de conclusion

Dans notre analyse de Calcutta après Michaux, nous avons découvert les opinions de Julien Roumette vis à vis le Bengale, les Bengalis et les Indiens en général. Nous nous sommes rendu compte que tout récit de voyage ne peut guère se limiter à une description objective de l’endroit / le pays visités. Le vécu de l’auteur ou son savoir-être se confrontent sans doute avec celui des habitants, ce qui engendre le jeu des regards croisés de la part des partie prenantes. D’une part le regard de l’auteur crée des stéréotypes chez les lecteurs de la même origine que lui et d’autre part son regard sur la culture en question suscite une

232 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 interrogation en ce qui concerne les attitudes et les valeurs de la culture de l’auteur chez le peuple décrit.

Bibliographie

1. BYRAM Michael et Michael Fleming, 1998, Language Learning in intercultural perspective : approaches through drama and ethnography, Cambridge: Cambridge University Press. 2. CHAVES Rose-Marie et al, 2012, L’Interculturel en classe, PUG, Grenoble. 3. GERMAIN-THOMAS Olivier,1986, Retour à Bénarès, Albin Michel, Paris. 4. ROUMETTE Julien, 2003, Calcutta après Michaux, éditions de l’aube, France. 5. SAID Edward W., 1978, Orientalism, Routledge & Kegan Paul Ltd., London. Sitographie: 1. http://www.echo-fle.org consulté le 20 février 2017 2. www.auf.org/media/IMG2/pdf/may-ali-essam-el-dine.pdf consulté le 16 février 2017.

233 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Voyage en Vers : Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France de Blaise Cendrars Comme Un Texte Sonore

Neha Jain

Résumé

Le verbe « partir » est souvent considéré comme le mot déclencheur lorsqu’on évoque la personne et l’œuvre de Blaise Cendrars. La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913) n’est pas nécessairement le premier texte qui nous vient à l’esprit parmi toute une gamme des créations autour du voyage, un thème de prédilection des écrivains de la littérature française et francophone. Commençant par Rousseau et Châteaubriand, une époque où l’exotisme était le mot du jour, jusqu’à des poètes nomades comme Rimbaud et Verlaine, nous pouvons tracer le fil des artistes et des écrivains de la France et des pays voisins, faisant assurément partie d’un continent, intrigué par « l’Ailleurs », les empires coloniaux étaient largement nourris par cette obsession. Mots-clés : voyage, cendrars, transsibérien, musique, simultaneisme, symbolisme phonétique. Cependant, cette œuvre de Blaise Cendrars était faite en collaboration avec le peintre, , donc, de par sa genèse, elle s’engage avec autrui, et suit aussi l’autre rythme, celui des couleurs. Publiée par Cendrars, en 1913 dans une maison d’édition qui lui était propre, les Éditions des Hommes Nouveaux,1 elle est popularisée et critiquée par les médias comme « le premier livre simultané ». Comme Cendrars appartenait à une époque où le futurisme et le surréalisme dominait la scène littéraire et culturelle française, ses écrits, comme ceux de son camarade, sont chargés par cette industrie et cette vitesse qui caractérisent la génération de l’avant-guerre. Dans cette étude, ce qui nous intéresse, c’est que malgré le trajet des routes transsibériens que décrit le poète et l’immense rôle que joue la peinture dans la progression de cette lecture, l’œuvre est curieusement dédiée aux musiciens. Nous allons tenter de comprendre la musicalité de Cendrars, où ses torsions de sonorité lui mènent à entretenir un voyage non seulement dans l’espace et le temps mais aussi dans ses impressions devant le débit de ce futurisme qui lui a donné son élan d’errance dans le monde entier. Étant donné que cette œuvre de Cendrars est souvent décrite comme un « récit de voyage illustré »2, nous allons observer pourquoi cette création simultanée renie toute l’étiquette. L’auteur a délibérément choisi le titre, la forme et la structure afin de résister aux normes sur la littérarité d’un texte, bien avant que les paramètres d’une littérature de voyage soient

1. EPPS, Philomena, « Sonia Delaunay: Prose on the Transsiberian Railway and the Little Jehanne of France, 1913 » March, 2016 (page consultee le 6 Janvier, 2017 à 12:36 h) URL: http://www.tate.org.uk/art/artworks/delaunay-prose-on-the-trans-siberian-railway-and-of-little -jehanne-of-france-p07355 2. MENDOUSSE, Kevin « De la vertu préventive des logatomes contre le parasitage lexico- sémantique », Études anglaises, 2010/4 (Vol. 63), pp.451-463. 234 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 mises en place. En outre, il existe plusieurs possibilités de lire ce texte- aux niveaux des couleurs, de la typographie, des sons et des éléments de la fiction, nous comprenons donc l’intention des créateurs à interroger les limites d’un genre. Au cours de ce travail, nous allons nous appuyer sur les principes du symbolisme phonétique ou le phono-sémantique pour étudier cette œuvre de Cendrars. Nous avons intérêt à dégager l’esthétique musicale de la poétique Cendrarsienne qui plonge le lecteur engagé dans l’expérience unique d’un voyage dans l’espace et le temps afin de saisir lezeitgeist d’une époque de l’avant-guerre. Avant d’aborder l’analyse du texte, nous allons poser dans un premier temps, les conditions de la conception et la production de ce texte, situant l’œuvre dans l’Histoire. Cela est important surtout pour comprendre le besoin des expériences multimodales à une époque où l’on constate l’avènement de la radio, des films et des phonographes, transmettant la confrontation des langues et des explosions de la guerre partout dans le monde. Dans un deuxième temps, nous allons établir l’élément de la fiction et aussi l’aspect performative de l’œuvre de cet « Homer of the Transsiberian »3, comme l’avait nommé Dos Passos. Nous comprendrons par-là comment les sons jouent un rôle primordial pour faire ce voyage intérieur, qui se renouvèle à chaque fois au pôle réceptive. Ici, nous proposons une analyse des morceaux de cet ouvrage en s’appuyant sur les principes du symbolisme phonétique d’Ivan Fónagy et d’Andreas Fischer (1999). Nous avons pour but de montrer comment les indices associatifs désignent des catégories sémantiques, qui se regroupent sous les marques linguistiques communs. La dernière partie de cette étude serait consacrée à une exploration des dimensions variées du concept de voyage. Nous allons aussi examiner d’autres pistes vers des interprétations nouvelles, riches en détails de La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France (1913). 1. La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France : conception, production et situation dans l’Histoire : Frédéric-Louis Sausser, plus connu aujourd’hui comme « the international vagabond »4 ou « bourlingueur »5 était démangé par cet ferveur d’errance non seulement dans sa personne mais aussi dans ses expériences et productions littéraires : il a côtoyé successivement la poésie, le cinéma et la prose comme mode d’expression qui expriment fidèlement ses intentions sans jamais vouloir s’identifier à un mouvement ou une école spécifique. D’ailleurs, Walter Albert note la résistance de cet auteur, reconnu dans les milieux littéraires comme Blaise Cendrars après la publication de Pâques à New York (1912) envers toute tentative de classement : « A wanderer in his personal life with an expressed horror of setting a definite path for anyone else to follow, he maintained the same course in his writing (...) always remained faithful to his ideal and refused to subordinate his personal impulses to any poetic hierarchy or trend. »6 3. DOS PASSOS, Jon, “Homer of the Transsiberian”, The Saturday Review of Literature, Oct 16, 1926, p.222, cité par VIGNERAS, L.A, “Blaise Cendrars”, The French Review, Vol. 14, No. 4 (Feb, 1941), pp.311-318 4. DOS PASSOS, Jon, “Homer of the Transsiberian”, The Saturday Review of Literature, Oct 16, 1926, p.222, cité par VIGNERAS, L.A, “Blaise Cendrars”, The French Review, Vol. 14, No. 4 (Feb, 1941), pp.311-318 5. MEIZOZ, Jérôme, « Posture et poétique d’un bourlingueur : Cendrars », Poétique 2006/3 (n° 147), pp.297-315. 6. DOS PASSOS, Jon, “Homer of the Transsiberian”, The Saturday Review of Literature, Oct 16, 1926, p.222, cité par VIGNERAS, L.A, “Blaise Cendrars”, The French Review, Vol. 14, No. 4 (Feb, 1941), pp. 311-318 235 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Pourtant, la plupart des critiques, sont d’accord que l’un des ouvrages les plus importants de l’auteur est La Prose du Transsibérien et la petite Jehanne de France. « Blaise Cendrars’ reputation as a poet will, undoubtedly rest upon one poem, La Prose (...) »7. Par ailleurs, Kevin Mendousse8 note que La Prose du Transsibérien suit la thématique du voyage propre au recueil de voyage Du Monde Entier (1919). Avec les illustrations de Delaunay, fondatrice du courant simultanéisme, l’œuvre retrace l’aventure d’un voyage en Transsibérien ou comme le précise Mendousse, en Transmandchourien de Moscou à Kharbine. Le texte est publié sur une longue rouleau de papier, repliée en forme d’un accordéon ou une carte Michelin9 et s’ouvrant en vingt-deux panneaux. Chacun de ces panneaux comprend des morceaux de texte à droite et une aquarelle de Delaunay à gauche. Le travail abstrait de l’artiste étale une panoplie étourdissante des couleurs- des pastels, des bleues-clairs, indigo, vermeille, jaune et vert. Les couleurs débordent à la droite remplissant l’interlignage entre les vers de Cendrars, qui étaient imprimés sur des plaques avec une variation des couleurs entre le rouge et le noir, de la police et de la taille des lettres. Berthout nous donne un aperçu plus clair des conditions de la production de ce texte : « En 1913, il est absorbé par la composition de La prose du Transsibérien. Sonia écoute théoriser. C’est elle qui sortira ses gouaches. Cendrars va apporter un soin méticuleux à chaque détail de la composition de La prose. La peinture doit s’accorder aux émotions, à la vitesse, la lenteur, la dynamique des 445 vers. Cendrars et Sonia Delaunay en prévoient 150 exemplaires de 2 m, soit 300 m, la hauteur de la tour Eiffel, en hommage à Robert Delaunay, la tour Eiffel étant l’un de ses thèmes favoris »10 Contrairement à la perception de Mendousse de ce texte comme un récit de voyage illustré, la peinture de Delaunay devient alors une unité inaliénable pour lire ce texte. Nous pouvons bien comprendre que la lecture doit être faite non seulement sur l’axe horizontal des vers mais aussi sur l’axe vertical des couleurs pour retrouver les coordonnées qui orientent ce voyage. Mélanie Giraud relève cette dualité : « Le livre enluminé se lit donc selon les deux axes, vertical comme horizontal, s’éclairant l’un et l’autre »11. L’œuvre de Cendrars joue avec les médias, entame un dialogue sensoriel pour construire sa propre poétique. Les réflexions de Walter Albert en disent plus long sur ce sujet: il constate dans les vers de Cendrars une fusion de l’intensité de Rimbaud et le lyrisme personnel des Romantiques. Il concède cependant que le vocabulaire débridé dépasse ces restrictions vers une franchise explicite. L’œuvre de Cendrars est dans un sens véritable, celle d’un libertin qui subvertit les règles de la structure et le vocabulaire pour employer

7. Ibid. 8. MENDOUSSE, Kevin, « De la vertu préventive des logatomes contre le parasitage lexico- sémantique », Études anglaises 2010/4 (Vol. 63), pp.451-463. 9. BUCKBERROUGH, Sherry, « Delaunay Design: Aesthetics, Immigration and the New Woman », Art Journal, Vol. 54, n◦1, Clothing as Subject (Spring, 1995), pp.51-55 10. BERTHOUT, Pierre, « Blaise Cendrars, ou l’Utopie, ou ‘Bourlinguer’ », Le Coq-héron 2014/4 (n° 219), pp.122-138. 11. GIRAUD, Mélanie, « La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France de Blaise Cendrars ou les sursauts de mémoire » Contemporary French and Francophone Studies, 2013 Vol. 17, No. 5, pp.493–501 236 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

l’image association et les vers libre. Sitôt que les mètres sontrompus, les mots ressortent encore plus aiguisés. Naturellement, ce jeu des médias frappe le lecteur avec une telle extravagance que l’on s’interroge sur la véracité de ces expériences. Dans la partie suivante de ce travail, nous allons discuter d’abord du symbolisme phonétique et aussi de notre choix délibéré d’appliquer ses principes à la poésie par le biais de cet ouvrage de Cendrars et Delaunay. Par la suite, nous allons relever l’engouement de cet auteur pour bourlinguer le monde et sa passion précoce pour la musique avant de poser les faits de ce fameux voyage. 2. Le symbolisme phonétique pour un voyage sensoriel : Le symbolisme phonétique représente une approche artistique d’examiner les liens entre le son et le sens. D’après Fischer (1999), elle est encore classée sous les catégories de l’onomatopée, phonesthétique, motivation phonétique, symbolisme phonétique ou iconicité phonologique. Il a divisé son étude de l’iconicité phonologique en trois types : auditoire, articulatoire et associative. À l’encontre de la devise de Saussure que le lien entre le signifiant et le signifié reste arbitraire, Fischer conçoit l’iconicité phonologique de manière suivante,

« In iconicity, in its ideal form the relationship between form and meaning is supposed to be neither arbitrary nor conventional, but determined by the fact that form and meaning are one. »12 En premier lieu, il tient que cela est particulièrement correct pour l’iconicité auditoire, étant donné que les bruits non-linguistiques et leurs représentations linguistiques partagent l’air comme un médium commun. Par exemple,

« The sound sequence shshshshh does not arbitrarily and conventionally represent the sound of rushing wind, it is the sound of rushing wind, albeit produced by another source. »13 Nous comprenons alors que dans les situations idéales de l’iconicité auditoire, où chaque lettre aurait un son unique, on ne peut guère retrouver les traits caractéristiques du vocabulaire arbitraire d’une langue, c’est-à-dire l’ambiguïté, la polysémie, l’homonymie, etc. Pourtant, nous serons en accord avec Fischer que la plupart des onomatopées montre l’iconicité partielle et suit certaines conventions. De ce fait, nous avons les représentations variées pour le même bruit comme- cock-a-doodle doo en anglais, kukadukoo en hindi, cocorico en français et kikeriki en allemand. Entre les sons non-lexicales et lexicales, d’après Fischer, il existe des phonésthèmes au niveau submorphème, pour donner un sens ou le fragment d’un sens à un mot. Il nous donne l’exemple suivant de certains préfixes et suffixes anglais :

« fl- flame, flare, flicker, flimmer (émission lumineuse) ash- bash, brash, clash, dash, smash (violence ou vitesse) »14

12. FISCHER, Andreas, « What, if Anything is Phonological Iconicity? », Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Max Nanny et Olga Fischer, Amsterdam,1999,John Benjamin’s Publishing, p.124 13. Ibid. 14. Op. Cit.p.125 237 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Ainsi, il montre comment approcher deux d’entre ces phonésthèmes, pour en tirer un sens assez juste, ainsi flash en anglais pourrait bien être décrit comme une émission violente de la lumière. En deuxième lieu, Fischer élabore l’iconicité articulatoire qui existe au sein de plusieurs langues dans le monde. Par exemple, le /i/ antérieur signifie souvent la petitesse alors que le /a/ postérieursignifie la grandeur. Il donne l’exemple des mots comme little, wee, tiny contre large, vast, grand en anglais. Aussi, nous avons les mots opposants- souvent les masculins pour la grandeur et le féminin pour la petitesse en Hindi, comme ukyk&ukyh] ckx&cfx;k] iqLrd&iqfLrdk etc. Fischer explique cet exemple d’un point-de-vue articulatoire. Pour le /i/, voyelle antérieure, la langue est dans une position élevée, avec très peu d’espace entre la palette et la langue pour indiquer un rétrécissement, une petitesse alors que pour le /ɑ/, voyelle postérieure, la langue est dans une position de baisse, laissant plus d’espace entre la palette et la langue pour indiquer un agrandissement ou la grandeur. En troisième lieu, il nous présente l’iconicité associative. D’après lui, le locuteur, associe certains sons ou combinaisons des sons à un sens particulier (l’association primaire) mais ils le font d’abord parce qu’ils associent mentalement ces mots avec d’autres qui comprennent également ces sons ou combinaison des sons (l’association secondaire). Ainsi, un phonesthème comme flash a un sens non à cause d’une qualité intrinsèque quelconque mais tout simplement comme il existe plusieurs mots ayant la même séquence de sons. L’existence d’un nombre croissant des mots phonesthétiquement liés, peut en engendrer encore plus et crée alors des regroupements phonesthétiques des mots. D’ailleurs, ce sont des associations anciennes, c’était dans un dialogue de Plato, Cratylus15 que l’on retrouve une première mention des liens directs entre le son et le sens. Cependant, Peter Cho (2005) nous avertit que le symbolisme phonétique tel qu’il a été étudié jusqu’à nos jours ne pourrait prévoir les nouvelles tendances du langage. Cela constitue une raison suffisante pour les amateurs de Saussure et de Chomsky d’abandonner cette pratique. Il nous donne l’exemple d’une étude où l’on a montré deux dessins abstraits aux participants- l’une d’elle était angulaire, pointue alors que l’autre était arrondie, fluide. Par la suite, on les a donnés deux mots absurdes comme « takete » et « maluma » pour associer ces mots aux dessins présentés. Cho rapporte que plus de 95% des participants ont associé le mot « takete » au dessin angulaire et « maluma » au dessin avec les courbes glissantes, fluides. Cho souligne comment ce projet pose une question plus large, c’est-à-dire de notre perception des relations entre les informations sensorielles qui nous sont 15. Mentionné dans-FONAGY, Ivan, « Why Iconicity ? », Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Max Nanny et Olga Fischer, Amsterdam, 1999,John Benjamin’s Publishing p.12; CHO, Peter « Takeluma: An Exploration of Sound, Meaning and Writing », (Thèse de Maîtrise, UCLA, 2005), p.8; MENDOUSSE, Kevin, « De la vertu préventive des logatomes contre le parasitage lexico-sémantique », Études anglaises 2010/4 (Vol. 63), p.4 ; NOBILE, Luca, « Words in the mirror: analysing the sensorimotor interface between phonetics and semantics in Italian », dansPascal MICHELUCCI, Olga FISCHER et Christina LJUNGBERG (eds), Iconicity in Language and Literature 10: Semblance and Signification, Amsterdam/Philadelphia, 2011, John Benjamin’s, pp.101-131. 238 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

transmises. Dans La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de la France, Cendrars arrive à déséquilibrer le sens du lecteur avec ses analogies inédits :

« (...) On dirait la palette et le pinceau d’un peintre Des couleurs étourdissantes comme des gongs (...) » Ici, nous observons comment l’étourderie des couleurs est décrite par le retentissement d’un gong. Nous avons recours à Cho pour expliquer cette stratégie d’associer l’écoute avec d’autres dimensions, surtout dans la métaphore :

« Sound can be described as: shallow, deep or hollow; bright or dark; hard, rough or smooth. The reverse relationship is also possible: we can use sounds to describe visual or tactile phenomena exhibiting these characteristics. »16 En plus, les courbes d’une articulation ou d’un son jouent un rôle primordial au sein de la poésie, beaucoup plus que la parole de tous les jours, même si les poèmes n’ont plus de dimensions phonétiques, d’après la déclaration de Jakobson (Fónagy, 1999). La déclaration de Jakobson renie aussi les grandes valeurs esthétiques attribuées aux sons par les poètes et les critiques littéraires depuis Dionysius Halicarnassus (1ère siècle av. J.C.) jusqu’à André Spire (1986). Par contre, le lecteur doit être à l’écoute du texte de Cendrars, ce passionné de la musique pour ne pas se noyer dans ses vagues sonores dont les séductions colorées engourdissent toute résistance posée :

« Je crois bien que j’étais ivre durant plus de cinq-cent kilomètres Mais j’étais au piano et c’est tout ce que je vis Quand on voyage on devrait fermer les yeux »1 Les vers du poète, comme les notes du fameux joueur de flûte d’Hamelin, insistent que le lecteur ferme les yeux et erre malgré lui avec le poète jusqu’à ce que la musique s’arrête. Au début du poème, le poète déclare : « Les vitres sont givrées. Pas de nature. » et coupe les voies du lecteur-passager dont l’attention ne peut désormais divaguer sur la vue de l’extérieur. Par la seule véhémence des bruits minutieusement placés, Cendrars fait voyager le lecteur sur ce train des souvenirs en croissant les odeurs, les couleurs et la folie de son temps. Pour comprendre ce processus, nous allons nous appuyer sur les études de Fónagy (1999). Il a commencé en faisant les enregistrements radio-cinématographiques qui démontrent comment les mêmes attitudes émotives élicitent des stratégies phonétiques semblables dans des langues distinctes l’une de l’autre. Il a décrit ainsi le processus de la collection des données pour mener cet étude :

« French and Hungarian actresses were invited to pronounce banal sentences, mostly the same sentence, for expressing different basic emotions- anger, hatred, tenderness, joy and fear. »17

16. CHO, Peter , « Takeluma: An Exploration of Sound, Meaning and Writing », (Thèse de Maîtrise, UCLA, 2005), p.8 17. FONAGY, Ivan, « Why Iconicity ? », Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Max Nanny et Olga Fischer, Amsterdam, 1999, John Benjamin’s Publishing p.4. 239 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Résultat, il observe que les attitudes émotives telles la menace, la colère et la haine déclenche un haussement de la tension musculaire dans l’appareil phonatoire. Cela élargit, parfois deux fois de plus la surface du contact entre les articulateurs et les plosives (p, t, k) par rapport à la locution normal. Comme il y a une montée de l’effort articulatoire, cela modifie radicalement le débit, surtout des consonnes dures comme /p//t/ et /k/ et raccourci celui des voyelles. Les vers de Cendrars, où l’on a rendu gras les lettres qui contiennent ces trois phonèmes portent témoignage à cette expérience : « Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres J’aurais voulu les boire et les casser Et toutes les vitrines et toutes les rues Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaive Et j’aurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues » D’une part, nous pouvons marquer le tourment et l’impatience du poète, démangé par l’envie de partir dans l’allitération des (t). Fónagy renforce cette observation lorsqu’il constate « Tense articulations of angry speech is imitated by an unusually high number of hard consonants »18 D’autre part, les consonnes plosives comme /p//b//t/et/d/, selon Cho, peuvent connoter la lenteur. En plus, dans un des moments de repos dans ce poème, le poète marque la cadence hachée du train ainsi : « J’ai toujours été en route Je suis en route avec la petite Jehanne de France Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues Le train retombe sur ses roues Le train retombe toujours sur toutes ses roues » Nous pouvons bien remarquer la présence des phonèmes qui accordent une certaine paresse têtue des locomotives dans les vers précédents. De même, Peter Cho note que les fricatives comme /f//v//s//z/peuvent attribuer, par contre, une certaine vitesse et urgence à nos propos. Les vers de Cendrars peuvent illustrer ce fait amplement; il y existe parfois même des onomatopées : « Les͜ inquiétudes /z/ Oublie les͜ inquiétudes /z/ Toutes les gares lézardées obliques sur la route /z/ /s/ Les files télégraphiques auxquelles elles pendent /f/ /f/ Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les͜ étranglent /s/ /z/ 18. Op. Cit.p.12. 240 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente /s/ Dans les déchirures du ciel les locomotives en folie s’enfuient /s/ /v/ /f/ et dans les trous les roues vertigineuses les bouches les voies /v/ /s/ /z/ Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses/s/ Les démons sont déchaînés /s/ Ferrailles /f/ Tout est un faux͜ accord /f/ /s/ Le broun-roun-roun des roues Chocs Rebondissements /s/ Nous sommes͜ un orage sous le crâne d’un sourd... » /s/ /z/ Cendrars fait comme un clin d’œil aux lecteurs avec la mention de l’accordéon qui représente la forme de son œuvre ; le texte est plein de mots autoréférentiels, comme un éternel retour vers soi. Les mots « braise » et « cendres » y apparaissent plusieurs fois comme un jeu sonore sur le pseudonyme adopté par le poète. Reprenant les observations de Fónagy sur les gestes orales dans la poésie, « Expressive nasalization can be mimicked at the phonological level by increasing the number of nasal vowels and consonants and lending the lines the connotations of langurous desire. »19 Cela explique pourquoi les voyelles nasales comme /ɑ̃ / peuvent accorder une certaine langueur et une nostalgie aux vers du poète : « En ce temps-là, j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance » Nous avons démontré comment les principes du symbolisme phonétiques peuvent nous aider à déchiffrer un voyage sensoriel chez Blaise Cendrars. Les vers du poète offrent des possibilités immenses d’interpréter le travail complexe qui a certainement mené sur la musicalité de son ouvrage. Dans la dernière partie de notre travail, nous allons présenter la véracité de ce voyage dans la vie d’un bourlingueur. En plus, il est primordial de comprendre comment la musique qui parsème son parcours, fait de Cendrars un troubadour moderne : porteur des mélodies, des charmes et des histoires dans une époque déchirée par la guerre. 3. Transsibérien chez Cendrars : mythe ou mélodie : La fille de Cendrars, Miriam Cendrars note que la première fois que son père avait vu ce train qu’il a choisi comme titre de son œuvre, c’était en 1900 à l’Exposition Universelle de Paris. Berthout, dans son article biographique sur la vie de l’auteur note qu’il a été véritablement envoyé à Saint-Petersbourg en 1904 : « Freddy, enthousiaste, retrouve la documentation accumulée sur le transsibérien. Il part pour la Russie, décidé à aller en Chine. 1904, c’est aussi la guerre

19. FONAGY, Ivan, « Why Iconicity? », Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Max Nanny et Olga Fischer, Amsterdam, 1999, John Benjamin’s Publishing p.12. 241 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Russo-Japonaise. Les trains emmènent les soldats et ramènent les blessés. Confrontation avec la guerre, les corps blessés, la mort. »20 Nous pouvons retrouver les références à ces évènements dans les vers de Cendrars. Pourtant, il n’y a aucune évidence qu’il a réellement entrepris ce voyage au cours de sa vie. En fait, Mendousse note plusieurs instances de cette grande déception de la part du poète à l’échelle temporelle : « (...) le naufrage du Titanic survenu en avril 1912 ne peut être la réminiscence d’un premier voyage transsibérien, tout comme Jeanne ne peut avoir prononcé les ‘dit Blaise’ référant à une maturité ultérieure de l’auteur (...) lui préférant sans doute le ‘dit Freddy’ de son surnom de l’époque. »21 Mendousse note également une déception au niveau spatiale car le nom des gares sur la route du Transsibérien apparaissent de manière non-linéaire dans cet ouvrage. Certes, que cela pourrait-être un choix délibéré de l’auteur. Bref, sans l’aveu de l’auteur lui-même, nous ne saurions jamais s’il est vraiment monté dans ce train. Cendrars s’adresse à cet enquête de la part de son ami journaliste Pierre Lazareff, avec sa bonhomie naturelle : « Qu’est ce que ça peut te faire puisque je vous l’ai fait prendre à tous ! »22 Toutefois, il faut reconnaître le travail du poète dans la construction musicale de ce texte, puissant dans ses efforts de transporter le lecteur et de lui faire ressentir les rebondissements d’un train. Hormis ce travail sur la sonorité de ce texte, il y a beaucoup de références aux cris, aux bruits et aux instruments musicaux dans ces vers. Nous allons reprendre l’un de ces références, comme cela s’enchaîne à sa biographie de manière directe : « Il était toujours près du piano quand ma mère comme madame Bovary jouait les sonates de Beethoven J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone Et l’école buissonnière dans les gares, devant les trains en partance » Ici, le poète admet en quelque sorte que le voyage a été son éducation véritable. Berthout, dans son article, raconte ces attaches précoces à la musique et à un monde en-dehors des murs, cultivé par sa mère : « Il s’accroche à sa mère désemparée et au piano. Marie-louise Sauser connaît l’enseignement du pédagogue Johannes Heinrich Pestalozzi, fondé sur la relation mère-enfant. Alors, puisque Freddy reste à la maison, elle lui apprend à lire dans trois albums : la flore, les oiseaux, les grosses bêtes du monde entier. »23 20. BERTHOUT, Pierre, « Blaise Cendrars, ou l’Utopie, ou ‘Bourlinguer’ », Le Coq-héron 2014/4 (n° 219), pp.122-138. 21. MENDOUSSE, Kevin « De la vertu préventive des logatomes contre le parasitage lexico- sémantique », Études anglaises, 2010/4 (Vol. 63), pp.451-463. 22. MORLINO, Bernard, « La main amie de Cendrars », Le Figaro, publié le 10 Avril, 2008 http://www.lefigaro.fr/livres/2008/04/10/03005-20080410ARTFIG00484-la-main-amiede-cendrars. php (Page consultée le 4 janvier, 2017) 23. MENDOUSSE, Kevin « De la vertu préventive des logatomes contre le parasitage lexico- sémantique », Études anglaises, 2010/4 (Vol. 63), pp.451-463. 242 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Pour conclure, je voudrais dire que cette œuvre vaut la peine d’être analysée sur d’autres paramètres comme les couleurs, le thème de la violence et surtout la relation dissonante du poète avec le féminin. Pourtant, ce n’est pas un accident que ce « récit de voyage illustré » est dédié aux musiciens et que les combinaisons infinies du langage humain, enrichi par l’expérience serait toujours capable de vous offrir les plus grandes aventures à travers l’espace et le temps.

Bibliographie

Source Primaire : 1. CENDRARS, Blaise, Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. URL : https://electrodes-h-sinclair-502.com/poesie-poetry/blaise-cendrars/prose-du- transsiberien/ (page consultée le 13 avril, 2016 à 16:08h) Livres: 1. FISCHER, Olga et Max Nanny (eds.),Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Amsterdam, 1999, John Benjamins Publishing. 2. MICHELUCCI, Pascal, Olga FISCHER et Christina LJUNGBERG (eds.), Iconicity in Language and Literature 10: Semblance and Signification, Amsterdam/Philadelphia, 2011, John Benjamin’s Publishing. Articles: 1. BERTHOUT, Pierre, « Blaise Cendrars, ou l’Utopie, ou ‘Bourlinguer’ », Le Coq-héron 2014/4 (n° 219). 2. BUCKBERROUGH, Sherry, « Delaunay Design: Aesthetics, Immigration and the New Woman », Art Journal, Vol. 54, n◦1, Clothing as Subject (Spring, 1995). 3. CHO, Peter, « Takeluma: An Exploration of Sound, Meaning and Writing », (Thèse de Maîtrise, UCLA, 2005).

4. DOS PASSOS, Jon, “Homer of the Transsiberian”, The Saturday Review of Literature, Oct 16, 1926, p.222, cité par VIGNERAS, L.A, “Blaise Cendrars”, The French Review, Vol. 14, No. 4 (Feb, 1941). 5. FISCHER, Andreas, « What, if Anything is Phonological Iconicity? », Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Max Nanny et Olga Fischer, John Benjamin’s Publishing, 1999, Amsterdam. 6. FONAGY, Ivan, « Why Iconicity? », Form Miming Meaning: Iconicity in Language and Literature, Max Nanny et Olga Fischer, John Benjamins Publishing, 1999, Amsterdam. 7. GIRAUD, Mélanie, « La Prose du Transsibérien et la Petite Jehanne de France de Blaise Cendrars ou les sursauts de mémoire », Contemporary French and Francophone Studies, 2013 Vol. 17, No. 5. 8. MEIZOZ, Jérôme, « Posture et poétique d’un bourlingueur : Cendrars », Poétique 2006/3 (n°147). 9. MENDOUSSE, Kevin, « De la vertu préventive des logatomes contre le parasitage lexico- sémantique », Études anglaises 2010/4 (Vol. 63). 243 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

10. NOBILE, Luca, « Words in the mirror: analysing the sensorimotor interface between phonetics and semantics in Italian », dans Pascal Michelucci, Olga Fischer et Christina Ljungberg (eds.), Iconicity in Language and Literature 10: Semblance and Signification, Amsterdam/Philadelphia, 2011, John Benjamin’s. Documents Numériques : 1. EPPS, Philomena, « Sonia Delaunay: Prose on the Transsiberian Railway and the Little Jehanne of France, 1913 » March, 2016 (page consultee le 6 Janvier, 2017 à 12:36 h) http://www.tate.org.uk/art/artworks/delaunay-prose-on-the-trans-siberian-railway-and-of-little- jehanne-of-france-p07355 2. MORLINO, Bernard, « La main amie de Cendrars », Le Figaro, publié le 10 Avril, 2008 http://www.lefigaro.fr/livres/2008/04/10/03005-20080410ARTFIG00484-la-main-amiede- cendrars.php

244 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Voyage Corporel : Espace Identitaire dans Burqa de Chair et Putain de Nelly Arcan

Nimisha Joshi

Résumé

Nelly Arcan (1973-2009), une écrivaine québécoise, a écrit son premier roman Putain en 2001, nommé pour le prix Médicis et Fémina, et son dernier récit Burqa de chair a été publié après deux ans de son suicide en 2011. L’accent était toujours mis sur sa profession, son suicide et sa vie publique et privée mais jamais sur son écriture psychologique à la recherche de l’intérieur de la notion du « je ». La philosophe prostituée suit inconsciemment Lacan afin d’effectuer son style défouloir. Mots-clés : Nelly Arcan, Jacques Lacan, le stade du miroir. Nelly Arcan a dédié toute sa vie à comprendre la formation de son identité en particulier et l’identité humaine en général. Une identité c’est une quête constante qui dépend d’un voyage identitaire perpétuel entre le soi et l’autre. Nous sommes définis non seulement par le regard de l’autre mais aussi par notre perception du regard de l’autre; par ce que nous observons et ce que nous nions. Quelquefois ce voyage d’interaction et d’interchangeabilité de deux symboles (je et autre) devient l’énigme pour l’identité. Dans cette étude, le voyage que nous traitons c’est plutôt le voyage psychologique qui impose un va et vient constant entre le soi et l’autre. Comme Socrate dit « Gnothi seauton » (se connaître) car les territoires les plus étranges et choquants résident toujours dedans. Pour comprendre ce que veut dire l’identité et sa formation, le rôle que joue l’autre dans ce jeu, nous allons nous appuyer sur Lacan. Cette fondation théorique nous permettra de mieux élaborer la formation identitaire chez Arcan. Notre analyse s’étend sur trois plans dont la première partie présente la théorie de Lacan dans son œuvre Stade du Miroir. La deuxième essaie de montrer comment sa vie rime avec son image spéculaire et nous sondons ensuite les contrastes et différences de la théorie de Lacan et Arcan.

1. L’appareil théorique lacanien

Lacan est surtout connu pour la recherche qu’il a effectuée sur la manière dont un enfant conçoit le soi et l’autre lors des différentes étapes de sa prise de conscience. Dans Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je publié en 1949, pour parler de la formation d’une identité, Lacan prend l’exemple d’un enfant qui s’observe dans un miroir (imago) et y voit une unicité corporelle (gestalt) qui contrarie son expérience personnelle de son corps qui lui semble exister en fragments. Le contraste entre l’image dans le miroir et son expérience corporelle donne naissance à une confusion qui risque de déstabiliser l’enfant. L’angoisse est née chez l’enfant car il a peur que la totalité du miroir ne dévore sa réalité corporelle fragmentée.

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Et c’est à force de répétition qu’il arrive à non seulement combler la différence entre son expérience corporelle et l’image mais aussi à se voir comme une entité qui existe indépendamment des autres. Comme dit Lacan. Il éprouve ludiquement la relation des mouvements assumés de l’image à son environnement reflété, et de ce complexe virtuel à la réalité qu’il redouble, soit à son propre corps et aux personnes, voire aux objets, qui se tiennent à ses côtés. C’est par cette « analyse de différence » que l’enfant a la première expérience du « je » et de « l’autre » dans son système de compréhension du monde intérieur et extérieur. Il se questionne en regardant dans le miroir « est-ce que c’est moi ? Comment peut-il exister deux « moi » ? » Cette dualité l’énerve car son visage tel qu’il le voit ne ressemble point à ce qu’il imagine l’être. Où à l’intérieur il se sent en évolution continue et en changement perpétuel dehors il est matière fixe et stable. Le résultat de cette lutte ? Cet enfant invente, par la dialectique d’identification par apport des autres, « idéal 1 » comme un seuil pour entrer dans le monde des autres. Il finit par s›accepter en tant que produit des autres. C’est-à-dire, il commence à se comporter comme il s’imagine. Son « je » devient le « produit » des autres. Il donne naissance à un autre « objet » qui est fabriqué afin de vivre avec les autres dans le monde extérieur. Et aboutissement du stade du miroir inaugure la notion de la « défense de cette image »

2. Le regard : LARCAN

Parlons maintenant de Nelly Arcan dont le nom et les écrits riment avec Lacan et son travail. La lutte identitaire se manifeste ici entre l’identité qui lui est imposée par la société et l’identité d’écrivaine qu’elle voudrait créer pour elle-même. Ce qui est intéressant c’est comment Arcan manifeste une compréhension de cette formation du « Je » lacanien. La triade dialectique hégélien du stade du miroir « imago-gestalt-idéal 1 » se déroule exactement comme Lacan décrit. Mais quand il vient de la défense d’ « égo », l’écriture d’Arcan montre un peu de différence par exemple quand tout le monde réifie sa chair et la traite comme un objet au lieu de lui donner le statut d’un sujet de son esprit, au lieu de résister elle l’accepte restant une Putain. Le titre de ce roman révèle une conscience de la manière dont la chair comme un burqa est crée mais signale aussi le désir de l’ôter - révéler la création de ce burqa pour trouver la possibilité d’accéder au réel. Le texte sert ici de miroir où Arcan désire créer son image à sa manière. La première étape de la création de sa propre image « imago » c’est la reconnaissance du processus qui l’a créée. Ce processus chez Arcan ressemble littéralement à ce dont parle Lacan. Devant un miroir Arcan parle de la manière dont les miroirs ne pouvaient qu›accéder une petite partie de son corps, car ces miroirs étaient faits pour les adultes. Comme elle décrit dans le chapitre L’enfant dans le miroir : Quand j’étais petite je me regardais souvent dans les miroirs, mais étant trop petite, je ne me voyais pas tout de suite, je m’apparaissais peu à peu, seulement la tête parce que le reste du corps était inaccessible aux miroirs conçus pour les adultes... (63) Burqa De Chair

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Étant une fonction du regard des autres elle ne pouvait pas se voir tout de suite. Le miroir fonctionne ici comme un outil qui reflète son entité corporelle. Jusqu’à maintenant son intelligence instrumentale ne lui permet de s’adapter et comprendre le jeu du je. Le soutient répétitionel du miroir-société joue avec son assomption. Comme Lacan dit : ...Où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue dans l’universel sa fonction de sujet. C’est ici une répétition littérale du stade du miroir lacanien de la formation psychologique d’un sujet. Quand elle dit qu’elle se regardait mais ne se voyait pas, cela montre une sensibilité envers ce processus de formation identitaire. Mais petit à petit à force de la répétition, elle arrive, en tant qu’adulte à comprendre et commenter sa propre construction comme un être humain. Comme avance le stade de miroir chez Lacan pour incorporer les autres, chez Arcan aussi ce jeu du miroir commence à inventer gestalt pour la présence de ses pairs. Dans la citation qui suit, Arcan se compare avec son amie Marie-Claude qui indique achèvement du transitivisme enfantin le commencement de la concurrence d’autrui: Devant les miroirs où nos deux têtes arrivaient tout en bas du cadre, Marie-Claude me déclassait, avec elle j’ai toujours été la deuxième, avec elle j’étais dernière. (71), Burqa De Chair. Dans cette citation, le miroir a commencé à jouer le rôle d’un instrument de jugement, où il hiérarchise sa place dans le monde. Même si la notion de « je » est plus corporelle que psychologique la comparaison entre Arcan et Marie-Claude nous mène à un moment où elle est définitivement impliquée dans la société et ses règles. D’ici, il n’y a plus de possibilité pour elle de se voir sans la présence des autres car comme elle dit « On s’habitue vite aux choses lorsqu’on ne peut y échapper ». C’est le moment où elle perd son originalité et son corps, littéralement sa chair devient le burqa ultime qui cachera à jamais sa réalité. La prolongation de cette étape comme décrit Lacan, la peinture corps morcelé chez Hieronymus Bosch, Arcan aussi décrit son rêve de quotidien où elle ne retrouve pas son piano et manque de la page à sa partition dans sa petite école en brique rouge (8) devient l’horreur lui donne naissance à la notion de la « défense du moi » contre son amie. C’est pourquoi son texte montre une sensibilité qui arrive à imaginer un monde au delà de ce monde imposé. Dans la citation suivante, on peut voir la manière dont elle évoque ce monde qui aurait pu exister sans la pression de cette relation entre le soi et l›autre. Dans le roman Burqua de chair dans un monologue biographique Arcan explique ses pensées: Je laisse mon corps à l’autre, pas de problème ; moi, je suis ailleurs. Ma tête, se tient aussi loin que possible de cette rencontre qui ne la concerne pas... (45) Putain Sa prostitution est une réalité créée par les autres, et elle est consciente du fait que son « moi » est ailleurs, c’est-à-dire, ce moi ne reflète plus sa réalité. C’est en écrivant qu’elle espère explorer le « réel » que Lacan déclare non-trouvable. Arcan montre une reconnaissance de cette fonction de création du soi - elle se voit vue. Elle sait que l’image qu’elle a d’elle-même ne peut pas être originale car c’est le résultat de plusieurs répétitions (mimique) et des différences (fragmentation) perçues.

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3. Frontières floues

Nelly Arcan n’est pas du tout ignorante du fait que sa perception de son apparence physique et mentale fait parties de cette identité acquise. Que le soi n’est pas inné, c’est acquis à travers les autres et elle voudrait trouver les moyens de récupérer son « je » réel à elle. Elle est aussi consciente du fait que toute création qu’elle identifierait comme « je » serait marquée d’un résidu de sa stade de formation. Même sa manière de définir sa perception corporelle et mentale dans ses écritures est contaminée par la présence de l’Autre qu’elle imagine en elle-même. De plus, à cause de la prostitution, son corps est réduit à un lieu de résonance. Cette mise en abyme où elle explique sa perception du monde comme résultant des outils intellectuels qui lui sont passés par les autres se manifeste dans la citation suivante: Je pleure et c’est encore dans un théâtre que je pleure. Mes pleurs sont entendus par une foule formée de spectateurs de moi-même... Je m’observe car je fais aussi partie de ma foule portable. (38) Burqa de chair. Elle met en cause ses émotions et sa subjectivité. Le fait de pleurer n’est pas une simple expression de son malheur mais est causé par la présence des autres - cela fait partie d’un théâtre qui est fonction de mon « je » - un je qui porte toujours avec lui ses propres spectateurs. Et c’est sous la lumière de la reconnaissance de ce processus que je voudrais lire sa présence en tant que prostituée. Elle sait qu’elle n’attire que de la honte pour être une prostituée mais elle choisit pourtant de s’identifier ainsi. La prostitution n’est ni pour elle une libération des mœurs, ni comme oppression des femmes. Pour elle c’est la simple reconnaissance d’un fait qu’elle est la fonction d’un masque qu’elle porte. Mais à la différence de son état antérieur ce n’est plus un masque imposé, c’est un masque qu’elle est consciente de porter. Elle dit : Pour que les miroirs ne me renvoient plus qu’une doublure qui ne veut rien, ne cherche plus ou si peu, que la confirmation de sa visibilité, je suis un décor qui se démonte lorsqu’on lui tourne le dos. (25), Putain Au contraire, chez Lacan où le sujet se confond son pair comme sa réalité, Arcan rejette son double. Elle sent que la réalité que les autres la montrent d’elle-même n’est qu’un mirage dans tout le monde souhaite d’habiter pour sa part. Encore une fois devant le miroir - mais cette fois ci elle parle d’elle même en utilisant la troisième personne. Ce n’est plus le « je », mais plutôt « Nelly » son prénom qui est utilisé. Avec la reconnaissance de ce « je », il y a eu aussi la séparation de ce je de la personne qu’elle reconnaît comme Nelly. Elle dit: Nelly remettait ensuite son corps dans la robe pour s’observer à nouveau dans le miroir et concluait que l’honnêteté de la robe était, en effet, entachée par son corps. C’était son corps qui explosait la robe, et non la robe qui lui décolletait le corps. (97) Burqa de chair Il n’est plus question dans cette citation pour la robe de couvrir le corps, car la robe existe telle qu’elle est. C’est le corps qui n’arrive plus à s’habituer à ce corps. « S’observer à nouveau » montre que la dynamique a changé. Ce n’est plus la robe qui cache le corps, mais c’est le corps qui commence à pousser contre les impositions de cette robe. Elle fait l’action plutôt que l’action la fait. Elle s’épluche jusqu’à ce qu’apparaisse une charcuterie tellement 248 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 creusée qu’elle en perdait son nom. À force de se regarder elle finit par voir l’existence d’un intérieur qu’elle sait qu’il existe mais auquel elle ne pourrait jamais avoir accès. Pour conclure je voudrais dire que c’est sans doute pour cela l’écrivaine Nelly Arcan décide de se suicider. Dans ce roman on perçoit chez Arcan un désir de reconnaître le fait qu’elle n’est pas née, ou d’ailleurs que dans ce monde on ne peut pas naître comme une entité originale. Elle dit: « Tu n’es pas né, et tu ne vas pas mourir » (24) Burqa de chair. Ici, elle prouve que pendant la formation du stade de miroir ce n’est pas une personne qui naît, à l’intérieur les petites parties de notre entourage se nourrit. Il faut être deux pour jouer à ce jeu, un pour frapper à la porte et l’autre pour ouvrir. En 2009 lorsqu’elle s’est suicidée, elle n’est pas morte non plus, mais elle a mis fin à ce processus qui avait crée Nelly Arcan et l’avait marquée par le burqa de sa chair. Sa mort n’est pas sa fin mais c’est plutôt la fin du processus qui l’avait formée. Elle savait comme Lacan déclare que la présence de notre image est la cause principale de l’absence de notre réalité. Elle pensait que la force de désire de devenir semblable à notre image spéculaire nous mène vers peu de réalité. Elle prouve en disant «On est mangé par son propre reflet dans le miroir » (37). Alors même si son corps effacerait, son « je » de l’écriture comme un corpus demeurerait toujours, étant une double, dans les pensées des autres.

Références

1. Arcan, Nelly. Putain, Éditions du Seuil, 2001. 2. Arcan, Nelly. Burqa de Chair, Éditions du Seuil, 2011. 3. Lacan, Jacques. Comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique. Juillet 1949.

249 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 La découverte des parias du point de vue de Marc Boulet dans son œuvre « Dans la peau d’un intouchable »

Nisha Tiwari

Résumé

Marc Boulet dans « Dans la peau d’un intouchable » (1994) prend un voyage oriental dans la ville de Bénarès et nous montre la perspective occidentale de la condition de la vie des indiens. Il explore la vie des parias en Inde. Marc Boulet est un photographe et un écrivain parisien. De 1985 à 1987 il se transforme comme un chinois et fait une étude sur leurs conditions de vie. Dans les années 1990 il fait la recherche secrète en métamorphosant lui-même comme un indien avec la peau brune et en apprenant l’hindi. C’est en février 1992, que Marc Boulet signe un contrat pour se métamorphoser en un intouchable indien. Il connaît l’Inde déjà pour y avoir voyagé pendant 5 mois en 1990-1991 en tant que touriste. Dès que le contrat signé, il apprend l’hindi en autodidacte durant 6 mois. L’auteur se transforme en un Mundâ, une tribu aborigène en Inde et prend la forme d’un mendiant intouchable dans les rues de Bénarès. Mots-clés : (i) Voyage Orientale (ii) Bénarès (iii) Orientalisme (iv) Exotique (v) Intouchable

Introduction

En Inde, comme vous le savez, il existe le système de castes. Les plus basses castes sont les sûdras d’origine pré aryenne et ils sont généralement au service des 3 premières grandes castes qui sont par ordre hiérarchique les brahmanes, les guerriers (ksatriya) et les commerçants/serviteurs du nom de vaisya. Les sûdras sont généralement les laitiers, les barbiers, les forgerons et les pêcheurs. Une cinquième caste existe, ce sont les Chandâls, les intouchables qui sont des descendants de bâtards. Ils ont les métiers les plus sales et qui leur donnent une impureté permanente, ce sont par exemple les balayeurs, les croques morts, les cordonniers, les blanchisseurs et les aborigènes. La caste est un facteur important dans le contexte indien. Quand on parle du castisme on sait que c’est dans le contexte indien. Tandis que plusieurs pays font la distinction entre leurs peuples à la base de couleur de la peau ou de la classe sociale, l’Inde ajoute une autre stratification basée sur la caste qui distingue le type d’emploi que la personne peut exercer. Après l’Indépendance de l’Inde en 1947, le système des castes a été aboli sur le papier par la Constitution mais pas en réalité. Un pourcentage d’intouchables a droit d’avoir un métier 250 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 dans l’administration. Après l’indépendance, on les appelle les « Enfants de Dieu » ou « castes répertoriées » Marc Boulet dans son œuvre aussi évoque l’exotisme que les Occidents trouvent chez « l’Autre » d’après la théorie d’Orientalisme d’Edward Saïd. Cette recherche est divisée en trois plans. Dans le premier plan on va élaborer sur la théorie d’Orientalisme d’Edward Saïd. Dans le deuxième plan on va découvrir la vie indienne montré dans l’œuvre de Marc Boulet du point de vue occidentale en utilisant l’Orientalisme d’Edward Saïd. Finalement le dernier plan va constituer d’une conclusion.

(a) Orientalisme d’Edward Saïd

Edward Saïd dans son œuvre, « L’Orientalisme : l’Orient crée par l’Occident », explique la création du terme orientale. Selon lui, les colonisateurs ont donné le nom, Orient aux pays Asiatique et Afrique. Pour lui, les indiens, les chinois, les africains sont tous pareils. Ils sont catégorisés comme des êtres sauvages, exotiques, sales et inintelligents. Les colonisateurs donnent la raison que les orientaux doivent gouverner par la race supérieure (les Occidents) parce que les Orients ne sont pas capables de se gouverner eux-mêmes. La création de l’Orient est une idée imaginaire par les Occidents. « L’Orient » est une création de l’Occident, son double, son contraire, l’incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois, la chair d’un corps dont il ne voudrait être que l’esprit. A étudier l’orientalisme, présent en politique et en littérature, dans les récits de voyage et dans la science, on apprend donc peu de choses sur l’Orient, et beaucoup sur l’Occident. » (Edward Saïd, 1978) La domination de l’Ouest sur l’Est était d’intérêt politique mais on peut aussi dire que c’est la culture qui a créé cet intérêt. Selon Saïd Orientalisme n’est pas seulement un sujet politique qui est étudié par sa culture ou ses institutions. C’est la répartition de la conscience politique dans les textes esthétiques, savants, romantiques et philosophiques. Comme Jacques Lacan a constitué la création de l’Autre pour analyser soi-même, dans la même manière, Edward Saïd constate que la création de l’Orient est en relation avec l’Occident. L’Est existe comme un sujet pour supporter le pouvoir politique de l’Ouest. Afin de se montrer supérieure, l’Ouest a colonisé, subjugués et institutionnalisé l’Est. Le discours orientale est une formation géopolitique qui a crée l’Orient comme l’Autre. Il donne un aspect négatif en appelant l’Orient comme primitif, naïf, sauvage, barbare et exotique. Les voyageurs, les chercheurs ont commencé à écrire sur les pays exotiques afin de créer des sujets. Ces discours ont crée une image biaisée. Dans le processus de subjugation et de colonisation de l’est, ces pays étaient également féminisés.

(b) Orientalisme et le regard de Marc Boulet

Marc Boulet dans son œuvre « Dans la peau d’un intouchable » explore la ville de Bénarès. Marc Boulet est célèbre pour ses recherches cachées (coverts) pour comprendre la réalité. Marc Boulet dans son autre œuvre « Dans la peau d’un Chinois » qui est sortie en 1992, va en Chine comme un journaliste écrivain et se fait passer pour un Chinois d’ethnie Ouïgoure (dans le Xinjiang, la province à l’extrême ouest de la Chine à majorité musulmane) : il s’est

251 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 fait faire une fausse carte d’identité chinoise et a mené pendant quelques mois la vie d’un Ouïgour à Pékin. Dans cette œuvre, « Dans la peau d’un intouchable » Marc Boulet se métamorphose dans un pauvre indien. Un ami dermatologue, Bernard Levy-Klotz, l’aidera et lui donnera des conseils pour sa métamorphose. Il utilise des médicaments pour se bronzer. Il avale le methoxypsoralene, il applique également le nitrate d’argent et prend des bains de soleil pour obtenir la teint désirable. Il colore ses cheveux et sa moustache. Marc Boulet explique aussi comment il a choisi les vêtements d’un pauvre indien et il les a déchires et sali. Il les barbouille de graisse, de rimmel, défait la couture de la chemise et le lungi. Marc Boulet fait aussi un tour à Chakardharpur, un petit village à Jharkhand et observent les aborigènes. À Chakardharpur, il décide de changer son nom à Râm Mundâ parce que mundâ est le patronyme le plus simple pour les membres de la tribu mundâ. Marc Boulet dans cette œuvre, fait la distinction intellectuel entre les Orients et les Occidents. Il écrit que l’intouchabilité est suivie par tous les hindous, de toutes castes, à l’exception de quelques intellectuels occidentalisés. Il commence sa premier chapitre avec une réflexion s’il peut survive en Inde. « Que se passerait-il si un Français bien nourri, élevé dans le confort douillet de la société occidentale, devenait soudain l’un des êtres les plus indigents de la planète : indien et intouchable ? » (Marc Boulet, 1994 : 9) Et comme la définition donnée par Edward Saïd sur orientalisme, il explique comment, il va découvrir le pays fabuleux de l’Inde, ses maharajahs, ses chasses au tigre, ses temples baroques et sages méditant, ses horribles lépreux et des visions exotiques. Marc Boulet a analysé l’Inde en détail. Il apprend l’hindi. Il prendra des cours d’hindi dès son arrivée à Bénarès par deux professeurs différents avant de se plonger dans la peau d’un autre afin qu’il puisse au mieux jouer son rôle et a soigneusement observé le teint de la peau indien. Il décrit en détail les villes de Delhi, Bénarès, Ayodhya et Chakardharpur et critique comment l’architecture moderne de l’Inde parait dater des années cinquante. Il décrit comment l’architecture de Connaught Place à Delhi qui est connu pour être un des endroits les plus modernes était en ruine avec des immeubles lézardés et trop décrépis. Marc Boulet prend logement à Ravindrapuri Colony. Il habite chez S.N.Maurya qui avait l’affaire des médicaments traditionnels. La colonie des intouchables était près de son logement, il s’appelait, « quartier des balayeurs ». « Troupeaux de cochons roses qui sillonnent l’avenue à la recherche des ordures que les habitants jettent sur le cote de leur porte... où il n’y a pas l’eau courante à domicile, ni d’autre mobilier que des lits de corde, où les hommes et les porcs vivent ensemble parmi les ordures. » (Marc Boulet, 1994 : 34) Il décrit en détail l’apparence d’un intouchable. Les hommes portent un T-shirt et un lungi qui est toujours déchirés et maculées de graisse. Les femmes enveloppent dans un sari, et les enfants sont souvent nus, avec le visage sale, des crottes dans les yeux, les cheveux hirsutes. « Ça me gêne de l’écrire mais je les trouve repoussants. » (Marc Boulet, 1994 : 35)

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Marc Boulet fait la description de l’habit indien presque tout au long du livre. Selon lui, « Les vêtements des Indiens sont, à l’image de leur pays, terreux, crottés, graisseux, poisseux, élimés, déchirés. Je ne parle pas des mendiants qui sont encore plus sale, plus usés, plus troués. » (Marc Boulet, 1994, 84) À propos des femmes orientales Edward Saïd a mentionné « Oriental women were of interest insofar as they shed light on western male fantasies of power and sexual access. Oriental women merely express unlimited sensuality, they are more or less stupid, and above all they are willing... The silenced, passive, over-sexualized oriental woman was a symbol of the pacified, feminized East embracing Western imperialism penetration and domination. » (Curthoys Ned, 2007 : 242) Il accepte comment après une semaine en Inde, les femmes indiennes lui intéressent. Il mentionne très clairement que leur anatomie, leur corps lui intéresse et ils les trouvent belles. Il dépeint la femme de Chakardharpur, les aborigènes où certaines femmes portent des saris mais sans corsage. « Hélas pour les yeux, les sans-corsages que je croise, après quelques maternités ont des seins flétris, comme vidées de leur pulpe. » (Marc Boulet, 1994 : 77) Il décrit également une jeune aborigène avec des seins fermes et lisses. Ces descriptions montrent le regard objectif de Marc Boulet. Vers la fin de son œuvre, Marc Boulet décrit comment il aime regarder les femmes hindoues se baigner dans le Gange. « Il (sari) devient transparent et les pointes brunes de leurs seins jaillissent sous le textile... J’adore ce spectacle. C’est plus excitant qu’un minable strip-tease... j’appréciais la beauté sauvage des intouchables. » (Marc Boulet, 1994 : 274) Il continue de décrire la scène quand les femmes sortent de l’eau et changent leurs habits. Il les compare aux pamplemousses et il accepte qu’il voulait les téterait. Marc Boulet critique aussi les films indiens. Il est venu voir le film Beta« » d’Anil Kapoor qui était une superproduction en Inde, et le décrit comme, « Diarrhée d’images et de sons… les plans vont alors s’enchainer sans queue ni tête…c’est de la maladresse ou de la négligence. » (Marc Boulet, 1994 : 44) Marc Boulet fait une observation très intéressant. Selon son observation, pour les indiens il n’y a que deux mondes, l’Inde et l’Angleterre. « Les médicaments de type occidental sont baptisés anglais, même si le fabricant est allemand ou français. » (Marc Boulet, 1994 : 52) C’est exactement comme la théorie d’Orientalisme d’Edward Saïd. Juste comme les Occidents groupent les pays Afrique et Asiatique dans une seule catégorie dans la même façon, plupart des indiens aussi groupent tous les pays étrangers dans une seule catégorie. L’auteur raconte comment les indiens le traite comme un intouchable parce qu’il était d’une peau différente. Selon lui, les indiens méprisent un étranger parce qu’il pourrait manger du porc et pourrait manger de la main gauche qui était la main pour laver après le caca. Il soutient que cette discrimination n’était pas acceptable quand il n’avait pas se métamorphoser en un intouchable. Selon lui, la discrimination, la honte, l’humiliation pourrait être tolérable après sa métamorphose en Ram Munda mais pas quand il avait encore la peau blanche d’un français.

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En métamorphosant tout entière dans un intouchable, Marc Boulet explore les rues de Bénarès dans la nuit. Il a peur d’être identifier comme Marc Boulet. Cependant, les gens qui lui regardaient et suivaient quand il était un français, ne jettent même pas un coup d’œil sur lui maintenant, après sa métamorphose. Le 27 octobre 1992 est la date de sa première immersion dans la peau d’un intouchable. Râm Mundâ découvre Bénarès et ses ghâts sous l’apparence d’un indien. Le jour d’après il sera suivi par sa femme qui prendra discrètement quelques images. Et le 29 octobre, tard la nuit quand tous ses voisins dormiront, il sortira de son appartement tout confortable pour devenir l’intouchable et dormir dehors. Il a décidé de s’installer dans la gare de Bénarès, un lieu sûrement très intéressant pour demander l’aumône avec tous les trains qui passent, c’est d’après ses informations le deuxième lieu où est concentré le plus de mendiants après le ghât de Dashâshvamedh. Marc Boulet passe ses nuits dans la rue avec des autres mendiants et des musahar. Il commence à mendier à la gare, allant d’un passager à l’autre. Il n’utilise pas son argent mais achète de biri et une tasse de thé, avec l’aumône qu’il gagne en mendiant. Il mange du khichri comme des autres mendiants au temple Baba Khichri. La narration change peu à peu d’une image négative à positive quand Marc Boulet devient Ram Mundâ. « Depuis six jours, je couche dans la rue, je bois de l’eau du robinet et je n’ai ni la fièvre ni mal au ventre. Les étrangères s’imagine l’Inde plus sale qu’elle n’est. » (Marc Boulet, 1994 : 52) Cependant quand il est venu en Inde, il était aussi avec la même perception. Il a peur d’être attaquer avec les maladies indiennes comme malaria et lèpres. Il avoue que l’habit des étrangers le dérange maintenant. Il n’apprécie pas que les hommes et les femmes portent juste un short avec une chemise et semble à moitié nue. Il apprécie le lungi, le vêtement indien, il se trouve à l’aise dedans. Il commence à considérer les étrangers les plus laides avec des yeux verts, des yeux bleus et ils méritent le surnom de « singe rouge ». « Je perçois la laideur des Européens et cela me dépliât de penser que j’appartenais à ce groupe barbare... je n’ai pas envie de redevenir Marc Boulet » (Marc Boulet, 1994 :150) Marc Boulet visite aussi Ayodhya et il y se métamorphose comme un indien d’haut-caste et change son nom à Ram Pandey. Il remarque comment le comportement des autres indiens a changé vers lui. Ils lui sourient et lui vouvoient. Les gens pensent qu’il est un brahmane du Cachemire à cause de sa peau pâle et des habits indiens. « Les gens me parlent et semblent même très chaleureux à Ayodhya... un groupe d’une dizaine volontiers m’approche. Ils me félicitent et ils m’invitent à me joindre à eux. Il est convivial. Il me fait asseoir sur sa couette... les gens sont si gentils et ils m’estiment si pur. J’ai bu dans le verre d’un brahmane et nous voila couchés ensembles » (Marc Boulet, 1994 : 94)

Conclusion

En conclusion, Marc Boulet prétendait d’être un intouchable pour six semaines et dans ces six semaines il nous raconte comment jour après jour, il découvre l’organisation de la vie des intouchables indiens, des techniques de mendicité, de la place où dormir, de la mort qui est partout et de la violence extrême. Cette violence émane des castes supérieures (les quatre castes qui ne sont pas intouchables), des policiers, et même pire, de l’absolue justification d’un tel comportement par les traditions brahmaniques. 254 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

L’auteur critique plusieurs fois le pays. Il utilise des remarques dérogatoires pour décrire l’Inde et ses peuples. D’après son œuvre, les mendiants en Inde ne sont que des intouchables et c’est une observation bien exagérée. On voit aussi des brahmanes autour des temples, dans les rues mendiant. Il se métamorphose comme un munda qui est une tribu et selon lui, un intouchable et un munda sont pareil qui est encore un malentendu de la culture indienne. La partie majeure de son livre traite la critique des indiens. « J’ai peur. Ils sont si sales, si nombreux et affichent des têtes de brutes. Ce bidonville doit héberger des criminels... les indiens sont incapables de fabriquer un objet parfait... j’ai remarqué trois mots qu’ils ne prononcent pas : » « Pardon », « Merci », et « S’il vous plait »... l’hindouisme rend les hommes égoïstes... l’Inde n’est pas mal poli, il est impoli. » (Marc Boulet, 1994 : 265) Marc Boulet fait oscille entre un français et un intouchable et donc il n’est jamais totalement à l’aise avec l’un ou l’autre. Il a du mal à développer des amitiés profondes et est souvent solitaire et ennuyé. « Je n’ai lié aucune amitié. Je m’enlise dans la solitude et j’ai eu plusieurs fois envie de pleurer. » (Marc Boulet, 1994 : 132) D’un étranger français qui est venu en Inde avec ses idées stéréotypées a changé sa notion vers les indiens. Même qu’il critique la foule, les vaches, les chiens dans la rue, la coutume de caste, l’intouchabilité, la condition des femmes mais il fait l’éloge aussi de la cuisine et la diversité indienne. Cependant le procès de devenir intouchable est destructeur pour Marc Boulet lui-même : il découvre l’ennui, le regard qui méprise mais surtout qui ignore, qui passe sur lui comme sur le néant ; il s’étonne également de l’absence totale de contact ou de solidarité entre les intouchables. Manger, pousser l’autre, voler l’autre et surtout bien l’écraser en savourant la victoire : voilà ce qui transparaît de la société intouchable et de l’ensemble de la société indienne dans cette enquête. Enfin, l’Inde comme tout les pays émergents a beaucoup changé et il me semble que ce qui est décrit là, n’existe plus de cette manière maintenant. Mais c’est un autre débat. En tout les cas, c’est une enquête en détail et un regard passionnant sur la condition des intouchables.

Bibliographie

1. Boulet, M (1994) Dans la peau d’un Intouchable: Enquête Editions Points, Paris. 2. Curthoys, N et Ganguly, D (2007) Edward Saïd, The legacy of a public intellectual Melbourne University Press. 3. Deliège, R (1999) The intouhables of India, Berg. 4. Saïd, E (2015) L’Orientalisme : L’Orient créé par l’Occident, Traduit par : Catherine Malamoud et Claude Wauthier, Editions Points, Paris. 5. Topping, M (2004) Eastern voyages, western vision: French writings and paintings of the Orient, Peter Lang, Bern.

255 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le voyage dans les mots chez François Emmanuel

Pankhuri Bhatt

Résumé

L’objectif principal de cette étude de L’invitation au voyage (2003) de François Emmanuel, est d’explorer la représentation du voyage langagier à travers la lecture des nouvelles. Nous proposons une lecture de cette œuvre sur le thème du voyage intérieur des mots, autrement dit, nous parcourons le monde conceptuel de langage pour réfléchir sur le sens même du mot voyage. Pour ce faire, nous mettrons en relief les conceptions différentes du voyage exigées dans les mots de cette œuvre littéraire. Dans les six récits de ce texte, il s’agit de méditer sur les éléments de voyage non seulement dans le texte principal mais aussi dans les éléments de péritexte et ceux de paratexte. Ici, le voyage présenté est celui de la réalisation dans les façons variées de différents atteints. Chaque récit exige une lecture séparée mais qui culmine à la fin dans le tout du livre qui forme notre corpus. Ainsi, celui- ci lit (et exprime) le réel par des petites réflexions qui semble récapituler la réalité en entière. Écrite avec une fluidité, il est évident que l’auteur invite les lecteursà réfléchir sur la notion d’un voyage vers un but précis. Mais il conclut que ce but est superflu. Il faut au contraire examiner la transition d’une conception de la réalité à l’autre. Pourrait-on espérer comme lecteurs, de voyager sans les personnages qui traversent des grandes espaces ? Les mots d’un texte décident-ils l’expérience d’un voyage? Nous proposons à faire l’analyse littéraire d’une œuvre par ce concept du voyage. Mots-clés: François Emmanuel, voyage, mots, récit, paratexte, peritexte. Notre titre annonce d’emblée le point d’entrée que nous avons choisi d’emprunter pour tenter d’aborder la question de voyage, et de récit de voyage en particulier. Ce choix est sans doute conditionné par le fait que la question de voyage dans le domaine de la littérature se base sur l’écriture tout d’abord. Avant de parler de récit de voyage, il est important de se demander ce que c’est le voyage. Odlie Gannier, professeur et chercheur de littérature dit : « Le voyage est la réalisation de suppositions, et de rêves. Le voyage permet d’évaluer sa capacité à deviner le monde, ou à soumettre le réel à ses vues. Le voyage a un correspondant imaginaire, il reste quelque chose qui échappe littéralement au sens du mot voyage. »1. Nous inspirons de cette définition de voyage qui est pour nous, l’enquête de sentir ce qu’on n’a pas déjà senti. L’essence de récit de voyage ne se trouve plus dans l’acte de déplacer d’un endroit vers l’autre mais dans le sentiment d’avoir voyagé, dans l’acte même de voyager, ce qui caractérisait déjà les récits de voyage d’Henri Michaux comme Ailleurs (1948). Citant encore une fois Odile Gannier, « Voyages et récits de voyages sont liés, mais pas de manière indissoluble : on peut réaliser les premiers sans les seconds, ou les seconds sans les premiers. »2 Un récit est né avec les mots, une notion qui manque de clarté mais elle est défini par le CNRTL comme : « Son ou groupe de sons articulés ou figurés graphiquement, qui constitue une

1. GANNIER, Odile, La littérature de voyage, Ellipses, Paris, 2001, p.1. 2. Ibid. p.5. 256 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 unité porteuse de signification 3» . Nous allons nous inspirer de cette définition pour aborder la question des mots dans la suite de notre étude. La question de mots dans un récit nous amène à parler de notre corpus, l’œuvre intitulé l’Invitation au voyage (2003), un recueil de 6 nouvelles de François Emmanuel, auteur belge. Ce roman s’ouvre avec l’histoire intitulé l’Invitation. Dans l’Invitation, La danse du cartographe et La femme dans le paysage l’histoire se passe comme si elle surnageait dans la mémoire du narrateur des souvenirs figés ou fixés (tel voyage de « l’exploration d’une ile », tels peintures des arbres), c’est le voyage dans les rêves et dans les pensées. Dans Petits précis des distances amoureuses, il y trouve un détective qui fait une enquête. Dans Chevauchée sur la mer, il s’agit d’une version moderne de Barbe bleue de Charles Perrault, d’une tentative d’ouvrir une porte fermé. Nous trouvons une méditation sur l’acte d’écriture de la poésie dans La fin de la proseet dans La danse du cartographe. Dans chaque histoire, il y a une invitation, un rêve, un voyage et une découverte. François Emmanuel, dans son article « L’Homme et la langue » parle de l’importance d’analyser la langue écrite pour savoir ce qui se fait exprès dans une œuvre littéraire »4. Nous allons analyser la langue écrite de cette œuvre pour savoir si’ il s’agit d’un voyage qui se déroule dans les mots ? Notre approche d’analyser les textes s’appuie essentiellement sur l’analyse littéraire. L’œuvre de François Emmanuel a été considérée sous deux aspects qui formeront aussi le plan de notre étude : Tout d’abord, nous allons nous interroger sur la question d’analyses des éléments paratextuels et péritextuels qui évoque le voyage. Puis, il s’agit de l’analyse du texte, à travers l’analyse de style de l’écriture et la géocritique.

Le voyage dans les éléments de paratexte et de péritexte

Nous commencerons par illustrer que les éléments de péritexte de chaque récit dans ce recueil, signifie un voyage dans un univers particulier. Le paratexte et le péritexte sont les deux notions données par le théoricien structuraliste, Gerard Gennette, dans son œuvre Palimpsestes (1982). Dans le processus d’écriture du voyage, même les éléments paratextuels et les éléments péritextuels qui font partie des mots d’une œuvre font partie du voyage. Le titre de cette œuvre L’invitation au voyage est comme une invitation aux lecteurs de voyager dans les voyages qui ont lieu à l’intérieur de l’œuvre. Il s’agit de voyage dans différents univers. Même si tous les récits sont liés par le fil du rêve, chaque récit le présente dans sa propre façon. Cette partie sera divisée en deux. Nous allons parler de titres des récits et puis, des dédicaces du récit. Le titre du premier récit est évidemment appelé l’Invitation. C’est le récit de base pour nous faire avancer vers les différents voyages. Le deuxième récit est Petits précis de distances amoureuses. C’est le voyage de distance, le voyage dans l’imaginaire. Il y a un essaie de précision mais le distance reste, peut-être que ce voyage n’atteigne pas sa fin. Le troisième récit estLa danse du cartographe. Il se réfère au voyage du cartographe. Même si La femme dans le paysage semble parler d’une peinture. Cette

3. Centre national de ressources textuels et lexicales, Cnrtl, [en ligne], adresse URL: http://www.cnrtl. fr/définition/mot (page consultée à New Delhi, le 30 janvier) 4. EMMANUEL, François, « Les hommes et la langue », françoisemmanuel, [en ligne], adresse URL : http://www.francoisemmanuel.be/les-hommes-et-la-langue/ (page consultée à New Delhi, le 19-02- 2017)

257 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 peinture est peut-être le voyage de l’auteur ou du peintre vers la femme dans le paysage. La fin de la prose parle d’un voyage qui atteint son but, la prose ici nous présente un voyage. Chevauchée sur la mer de glace semble être un voyage qui nous encourage à voyager en hors de notre zone de confort. Nous remarquons que même si le récit, La femme dans le paysage n’est dédiée à personne, il se base « sur une peinture de Marie Desbarax », une peintre. La dédicace du récit La fin de la prose est pour la poète « à Francis Tessa et aux amis de l’Arbre à Paroles. » Ce récit est dédié à un collectif de poètes qui est devenu une maison d’édition. Les quatre derniers récits ont une dédicace. La danse du cartographe est dédié « à Pascal Allard, qui aime les vieilles valises. » Un musicien par métier, Pascal Allard aime les vieilles valises qui sont usé, qui sont un signe d’avoir beaucoup voyagé. Chevauchée sur la mer de glace est dédié à Francis Martens, un psychanalyste et anthropologue. Un anthropologue par profession, Martens a comme travail, le but de voyager, de franchir les frontières pour aller délimiter son savoir. Il est intéressant de noter que toutes ces dédicaces sont aux contemporains de François Emmanuel, mais qui viennent des différents domaines. Puisque l’auteur fait exprès les influences sur son écriture, il ne reste pas figé dans son domaine de l’écriture mais il nous fait voyager entre autres domaines, ce qu’on appelle l’intertextualité5. Nous avons abordé donc, l’intertextualité dans l’œuvre de François Emmanuel, c’est à dire l’allusion à d’autres textes ou d’autres auteurs, ou leur présence, dans le péritexte de l’œuvre pour affiner notre analyse de l’écriture du voyage emmanuellienne.

Le voyage dans le texte

Après avoir vu les éléments qui sont inclus dans l’œuvre mais qui ne font pas directement partie du texte principal, nous allons nous interroger sur ce voyage qui se retrouve aussi dans le style d’écriture de l’auteur et les éléments de la géocritique, une théorie de l’analyse littéraire. Premièrement, nous avons remarqué que l’écriture de François Emmanuel est une écriture spirale. Dans une seule phrase, un mot est évoqué plusieurs fois mais le sens du mot change avec chaque évocation. C’est comme le voyage, ou le voyage ne doit pas être à un espace étrangère chaque fois mais le retour à cet espace dans le futur est un acte nouveau parce que la personne change comme le sens du mot dans la phrase. Nous nous appuierons sur la citation du philosophe, Héraclite qui a dit qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, exactement comme un mot n’a pas la même signifiance chaque fois dans une phrase. Par exemple : « [...] l’inconnu n’est jamais tout à fait inconnu, l’inouï gît dans les replis de l’ouïe. [...] »6. De cette dernière citation du récit l’Invitation, nous voudrions extraire le point que le mot inconnu se référé au premier lieu à ce qui n’est pas connu. Ce mot est transformé en un mot avec le poids de la connaissance, la connaissance de soi et la connaissance de ce qu’on ne connait pas. Pour citer un autre exemple du livre : « J’avais quitté un pays en croyant ne jamais y revenir. Je l’avais effacé de ma mémoire. Pendant des années j’avais vécu dans cet oubli forcé, cette ignorance feinte, puis, sans que je la veuille, l’oubli à son tour s’était laissé oublier. »7

5. RABAU, Sophie, « Intertextualité », Fabula,[en ligne], adresse URL :http://www.fabula.org/atelier. php?Intertextualit%26eacute%3B(page consultée à New Delhi, le 02-02-2017) 6. EMMANUEL, François, l’Invitation au voyage, 2003, p.9. 7. Ibid. p.57. 258 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Dans La danse du cartographe, les éléments externes de voyage qui se précisent par vagues, composent peu à peu une géographie de l’existence de personnage principal qui est celle de la confusion interne d’un cartographe lié à son mémoire. Afin de poursuivre notre propos, nous voudrions faire référence au récit l’Invitation, où l’auteur a écrit ce récit dans une seule phrase qui court sur 6 pages. C’est comme si l’auteur veut que nous arrivons à la fin du récit dans la lecture d’une seule souffle parce que le voyage tout au long de ce récit se mène vers la fin, pour aboutir à l’invitation au voyage : « [...] c’est la fin d’une longue patience, je vous attends. »8 Dans ce récit, le voyage a lieu dans la tête de l’auteur, dans l’imaginaire, qui se montre sur le papier en forme de mots. Le voyage ici, est en processus qui atteint sa fin à la fin du récit. De plus, l’écriture de François Emmanuel en discours indirect libre dans les récits comme Petits précis de distances amoureuses, nous semble comme une longue errance, un voyage sans but précis mais éclectique et dynamique. Après avoir vu la particularité de l’écriture de François Emmanuel nous écrit un récit de voyage où le voyage a lieu dans les mots, nous allons voir les éléments de la géocritique, une méthode d’analyse littéraire qui se trouvent dans notre corpus. Elle fonctionne sur la spatio-temporalité et la référence. Dans La danse du cartographe, nous trouvons la mention de Nuno Garcia de Toreno, « [...] je disais être géographe, à la manière de Nuno Garcia de Toreno [...] »9, un cartographe qui est célèbre pour avoir créé la carte du monde. Il est par ailleurs question du lexique de l’œuvre. En faisant une analyse lexico-sémantique de l’Invitation, nous voyons qu’on y trouve la lexique lié au soleil : « jauni, presque hâlé par le soleil » (p.9), « solaire » (p.9), « ensoleilé » (p.11), « fait peser en juillet une chaleur blanche » (p.11), « d’après-midi chaudes » (p.12), « les éclipses de sommeil » (p.12), « dans cette pénombre » (p.13), « la blé dans la lumière blonde » (p.14), à ce dispositif langagier de soleil, l’auteur se réfère à un voyage à un espace ensoleillé, peut-être un pays chaud. Nous savons tous que François Emmanuel vient de la Belgique où il pleut la plupart du temps. Son récit sur l’attente d’un voyage vers l’Afrique avec le lexique du soleil nous montre comment un voyage a lieu déjà dans les mots. Ce roman a un ton un peu grave et un peu léger qui est le style de l’écriture propre à François Emmanuel, « qualifiées parfois « d‘été » ou « d‘hiver » 10» . Ce recueil ne cesse pas de remettre le langage en cause, d’inaugurer de nouvelles interactions verbales et de jouer avec la matière des mots. Il s’appuie à la fois sur la voix, la phrase – le souffle-, et sur cette manière de traiter le temps qui donne structure au récit. Dans les détails minutieuse, nous observons le voyage jusqu’au bout. L’écriture de l’Invitation au voyage (2003) est capable de dilater l’instant, d’ouvrir un monde dans un suspens ou tout au contraire de parcourir en quelques mots l’espace de moments intenses d’une vie, comme on sent pendant un voyage.

Conclusion

Comme les expériences de lecteurs nourrissent la réflexion sur uneœuvre littéraire, comme les réflexions sur un voyage nourrissent l’expérience de ce voyage, nous voyons comment

8. Ibid. p.15 9. Ibid. p.57. 10. EMMANUEL, François, « Biographie », Françoisemmanuel, [en ligne], adresse URL : http://www. francoisemmanuel.be/biographie/ (page consultée à 00 :04, le 19-02-2017) 259 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 dans l’univers de chaque récit, l’histoire apporte une nouvelle intervention au texte écrite ou si- on nous permet de le dire, le voyage dans les mots. Dans la première partie, nous avons vue comment le voyage qui se situe même dans les titres de chaque récit et les dédicaces personnels renvoient l’intertextualité à d’autres médias d’expression, comme la poésie, la peinture, la musique et les récits. Dans la deuxième partie, l’importance a été mis sur le style d’écriture de l’auteur et la géocritique. Pour le dire brièvement, et en accord avec notre titre, le voyage dans cette œuvre de François Emmanuel se déroule entre les mots. Cette œuvre ultime de François Emmanuel nous montre les espaces et les moments rêvés, reconstruits avec le langage d’espérance et de la quête libre et infinie. Il existe plusieurs types de voyages et les voyages qui sont les créateurs de papier sont un de ces voyages possibles. « Lire c’est la seule façon de voyager sans bouger. », a écrit Jhumpa Lahiri dans son œuvre The Namesake (2003). Nous avons remarqué que dans les mots, ce n’est pas un voyage seulement d’écrivain. C’est un voyage à deux : de l’auteur et de lecteur.

Bibliographie

Source Primaire : 1. EMMANUEL, François, l’Invitation au voyage, 2003. Source Secondaire : 1. GANNIER, Odile, La littérature de voyage, Ellipses, Paris, 2001. Sitographie : Articles : 1. BRINI, Jean, « D’une écriture qui ne ferait pas modèle », Google drive, [en ligne] adresse URL :https://drive.google.com/file/d/0BxJP7RgqWcgqZUFGUXZhT1hnaDA/view (page consultée à New Delhi, le 21-02-2017). 2. Centre national de ressources textuels et lexicales, Cnrtl, [en ligne], adresse URL: http://www. cnrtl.fr/définition/mot(page consultée à New Delhi, le 30 janvier).

3. DEMOULIN, Laurent, « Le mystère de l’Autre », Promotions des lettres, [en ligne] adresse URL :http://www.promotiondeslettres.cfwb.be/index.php?id=linvitationauvoyageemmanuel(page consultée à New Delhi, 12-02-2017). 4. EMMANUEL, François, Alain Spiess, une écriture du temps, Françoisemmanuel, [en ligne], adresse URL : http://www.francoisemmanuel.be/alain-spiess-une-ecriture-du-temps/ (page consultée à New Delhi, le 20-02-2017). 5. EMMANUEL, François, « Biographie », Françoisemmanuel, [en ligne], adresse URL : http:// www.francoisemmanuel.be/biographie/ (page consultée à New Delhi, le 19-02-2017). 6. RABAU, Sophie, « Intertextualité », Fabula, [en ligne], adresse URL : http://www.fabula.org/ atelier.php?Intertextualit%26eacute%3B(page consultée à New Delhi, le 02-02-2017).

260 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Dans les Comptoirs de l’Inde Point de Vue de Quelques Ecrivains-Voyageurs Français

Nithya Selvamourougane Commençons notre périple sur ces mots de Jacques Lacarrière : « Ainsi pourrait-on définir l’écrivain-voyageur : Crustacé parlant dont l’esprit, dépourvu de carapace identitaire, se sent spontanément chez lui dans la culture des autres » Comme dit Jacques Meunier « Si vous le coupez en deux, vous ne trouverez pas d’un côté un voyageur, et de l’autre un écrivain, mais deux moitiés d’écrivains-voyageurs... » Voici quelques textes choisis des écrivains voyageurs français dans les comptoirs français en Inde.

Pondichery

Fondé en 1673 sur la côte de Coromandel, Pondichéry va vite devenir le navire-amiral des Comptoirs français del’Inde. Son histoire sera plus que tumultueuse, la ville ayant été prise et détruite plusieurs fois par les Anglais. Aujourd’hui, c’est à la fois une ville indienne de taille moyenne extrêment active, la “ville noire”, et une petite ville coloniale tranquille, la “ville blanche” (appellations d’époque) où se trouvent rassemblés tous les bâtiments officiels, hôtels de charme, superbes maisons cachées par des haies de bougainvillées.

Pierre Loti

Jean-Claude Perrier est journaliste littéraire à Livres-Hebdo et au Figaro. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, romans, essais, biographie. Voyageur en Inde depuis vingt- cinq ans, il dirige la collection Domaine indien au cherche midi. L’été 2003, Jean-Claude Perrier a eu la chance de pouvoir exaucer l’un de ses rêves: voyager dans les cinq anciens Comptoirs de l’Inde. Pérégriner en toute liberté à travers tout le sud du continent indien, du Kerala au Bengale en passant par le Tamil Nadu et l’Andhra Pradesh. Mahé la tropicale, Pondichéry la blanche, Karikal la modeste, Yanaon l’oubliée et l’émouvante Chandernagor, alanguie sur les bords de la rivière Hooghly, fille et affluent du Gange... Des milliers de kilomètre dans des conditions parfois farfelues, cinq étapes, et, partout, des rencontres, avec des Indiens et des Français qui ont en partage des souvenirs, une langue, une culture. Sans nostalgie, mais avec une curiosité toujours en alerte, et une totale empathie, Jean- Claude Perrier est parti à la recherche de la moindre trace de la présence française dans le Sud de l’Inde. Son livre est un carnet de voyage original et vécu, abondamment illustré de photos prises par l’auteur. C’est aussi une défense et illustration de la francophonie, loin des discours technocratiques. C’est un hymne d’amour à l’Inde, un livre de dialogue entre deux terres de culture et d’antique civilisation. Loti n’avait bien sûr pas lu Proust. Mais, dès l’enfance, le petit Julien Viaud s’était montré sensible à des noms de ville qui fleuraient bon l’exotisme, le dépaysement, l’aventure.

261 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Dont Pondichéry, et l’île de Gorée au Sénégal. C’est peut-être pour cela qu’il a tant voyagé. À Pondichéry, en tout cas, Pierre a pris Julien pas la main, et ils ont fait ensemble une promenade enchanteresse et mélancolique. « Pondichéry !... De tous ces noms de nos colonies anciennes, qui charmaient tant mon imagination d’enfant, celui de Pondichéry et celui de Gorée étaient les deux qui me jetaient dans les plus indicibles rêveries d’exotisme et de lointain. »

Anquetil-Duperron

Orientaliste du milieu du XVIIIe siècle, Anquetil-Duperron, en bon adepte des idées de rousseau, fait une description contrastée de l’inde, qu’il découvre en 1756. Débarqué à Calcutta, il assiste à la destruction de Chandernagor par les Anglais en 1757 puis, au terme d’un incroyable périple, il arrivera jusqu’à Surat, dans le Gujarat, à trois cents kilomètres au nord de Bombay, où il pourra s’adonner de nouveau à ses chères études. Mais, àl’en croire, il a eu bien de la peine à s’arracher aux « charmeresses blandices » pondichériennes. « Je commençais déjà à regretter le temps que les plaisirs de Pondichéry dérobaient aux études sérieuses qui pouvaient faire réussir mes projets ; ma première ardeur s’affaiblissait : et en effet, comment aurait-elle tenu contre le genre de vie que l’on mène dans les Colonies ! » Yves Aubin

Yves Aubin

Dans son roman historique Dans les vents du Coromandel, qui se situe à l’époque de Dupleix, Yves Aubin évoque la destruction systématique de la « ville blanche » de Pondichéry par les Anglais de Pigot, au printemps 1761. « Les nouvelles de Pondichéry étaient très mauvaises. La situation était sans espoir. Gingy était tombé à son tour entre les mains des Anglais, ainsi que Mahé, sur la côte occidentale. Les Français avaient perdu toutes leurs possessions en Inde. Le rêve de Dupleix était à jamais évanoui »

Patrice Favaro

Patrice Favaro a situé à Pondichéry l’intrigue de son roman. Le Sang des mouches, paru en 2003. Il décrit d’abord de façon réaliste et vivante la ville actuelle, la « ville blanche » et ses environs, sillonnés à scooter. Puis s’attache à une ancienne maison coloniale, démolie sur ordre de quelque promoteur avide de profits : chaque année, en dépit des efforts de l’INTACH (l’équivalent indien de notre direction du patrimoine, mais sans les moyens ni l’arsenal législatif) et des amoureux de la ville, qui tentent de les acheter et de les restaurer, tant dans la « ville noire », (superbes et multicolores maisons tamoules traditionnelles à colonnades et à atrium) que dans la « ville blanche » (villas coloniales), plusieurs dizaines de maisons disparaissent à coups de pioches. On a constaté le même phénomène à Karikal. C’est tout un patrimoine irremplaçable qui se trouve ainsi mis en danger. Dans ce domaine comme dans tant d’autres, l’Inde, requise par d’autres priorités plus prégnantes (lutte contre la misère, alphabétisation, par exemple) a fait beaucoup de progrès, mais il lui reste encore beaucoup à faire pour préserver ses innombrables richesses culturelles.

262 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

« Balade en scooter pour explorer la ville, tête nue, ma chemise se gonfle comme une voile. Le matin, l’Inde se donne tout entière. Pondichéry à nouveau vierge. Le ciel est propre et frais, un drap neuf... »

Karikal

Fondée en 1737, à une centaine de kilomètres au sud de Pondichéry, Karikal a toujours été un peu sa petite sœur, trop proche pour pouvoir se développer de façon intensive et autonome, mais assez proche pour servir de refuge aux Français menacés par les Anglais. La ville actuelle, où se mêlent, plus qu’à Pondichéry, les différentes communautés, a encore pas mal de charme, et quelques francophones militants, regroupés autour de La Maison de France, siège de l’Alliance française et lieu de mémoire, tentent d’y maintenir une présence. Un peu au nord de Karikal, l’ancien Comptoir danois de Tranquebar, petite citadelle à moitié morte, est un lieu d’une beauté et d’une mélancolie saisissante. C’est à Tranquebar, où sa mère s’était réfugiée chez des amis, qu’est née, en 1762, Catherine Verlée, qui épousera plus tard un certain Talleyrand. Elle est morte princesse de Bénévent en 1835, peu de temps avant son machiavélique époux.

Yves Aubin

Ayant finalement pu fuir Pondichéry et les canons anglais, Johanna, l’héroïne d’Yves Aubin, trouve asile à Karikal. Et s’y ennuie, regrettant la dolce vita pondichérienne. « Karikal était une petite ville, avec quelques belles maisons de style colonial, au bord du vaste estuaire de la Cavéry. ... » « Karikal était une ville largement musulmane, aux mosquées nombreuses. À la différence de Pondichéry et des villes hindoues, on voyait peu de femmes dans les rues, sinon des femmes voilées »

Mahé

Créé en 1721, Mahé s’illustra longtemps dans le commerce des épices. Ce port fluvial est aujourd’hui une modeste ville tranquille, un peu assoupie sous ses cocotiers (l’emblème de l’État du Kerala et l’une de ses richesses). Une petite colonie de francophones tente, contre vents et marées, d’y maintenir la langue vivante, français. Mais Mahé est bien loin de Pondichéry, peu accessible, rares sont les voyageurs qui s’y rendent. Dommage.

Pierre Loti

L’infatigable Loti, lui, n’a pas raté Mahé. Et il a eu bien raison. Il commence par faire une balade- rapide, la ville n’est pas bien grande- dans le centre. Puis, à l’endroit où la rivière Mahé se jette dans la mer d’Oman, il a eu droit à l’un de ces couchers de soleil tropicaux qui l’enchantaient. « C’est plus grand qu’on ne pense, ce Mahé. En se promenant dans les avenues vertes, on découvre peu à peu des quartiers qu’on ne soupçonnait pas d’abord, tant ils étaient bien cachés sous les palmiers : une église, bâtie sur une place- ou plutôt dans une clairière du bois ; un presbytère, paisible et campagnard ; un petit couvent avec des bonnes sœurs ; puis

263 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 quelques hautes maisons, habitées à présent par des Indiens pauvres, mais ayant gardé du vieux temps un certain grand air. »

Mukundan

Né dans une famille francophone et francophile (mais son père a opté pour l’Inde à la restitution), Mukundan, qui a longtemps travaillé au service culturel de l’ambassade de France à Delhi, vit aujourd’hui entre Delhi et Mahé, sa ville d’origine. Et il écrit en malayalam, la langue du Kerala. Dans son roman, « Sur les rives du fleuve Mahé », il dresse le tableau de sa ville juste avant la restitution de 1954, et raconte les « événements » qui l’ont précédée. « Le commissaire était subjugué par la beauté de Mahé. Il s’avança sur la jetée. Une pluie de fleurs de flamboyants tomba sur lui. Émerveillé, il contemplait la mer, le fleuve et les arbres en fleurs... »

Conclusion

Les écrivains-voyageurs, leur vie durant, ils ont trempé leur plume dans l’encre de leurs errances ; ils ont conjugué voyage et écriture, à la rencontre d’autrui, voire en quête d’un frère inconnu ; ils ont largué les amarres et sont partis pour « dire le monde », pour raconter l’extraordinaire épopée de l’être humain, de sa condition, en franchissant toutes les «dernières frontières » physiques et mentales.

Bibliographie

1. Dans les Comptoirs de l’Inde, carnets de voyage © Le Cherche Midi Éditeur, 2004. 2. Zend-Avesta : Discours préliminaire, Anquetil- DUPERRON. 3. Dans les vents du Coromandel, Yves Aubin © Éditions Robert Laffont, 2002. 4. L’Inde (sans les Anglais), Pierre Loti. 5. Le Sang des mouches, Patrice Favaro © Éditions Denoël, 2003. 6. Sur les rives du fleuve Mahé, Mukundan, traduit de l’anglais (Inde) par Sophie Bastide-Foltz© Actes Sud, 2002.

264 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Vers un récit sous-marin dans « Children of the Sea » d’Edwidge Danticat

Rebecca Vedavathy

Résumé

Le « voyage », et surtout le genre « récit de voyage » évoquent un monde où il est possible de se déplacer et aussi où on a le luxe des moyens, financiers ainsi qu’intellectuels, pour partager ses expériences. James Clifford a raison, lorsqu’il dit que le récit de voyage est un genre spécifiquement lié au « middle class « literary » or recreational, journeying, spatial practices long associated with male experiences and virtues » (Clifford, 4). L’impérialisme européen a approprié ce genre d’écriture et a produit une nouvelle vision du monde basée sur les catégories discursives et sociales nées de la modernité occidentale, telles : le soi et l’autre, la métropole et la périphérie, le civilisé et le sauvage. Cette conception du monde où le puissant « voyage » pour découvrir l’autre ne pourrait jamais expliquer des voyages forcés des marginalisés (l’immigration et l’exil) qui forment le noyau du discours postcolonial. Dans ce contexte, et surtout dans le monde contemporain occidental où le statut des immigrés engendre des polémiques virulentes, il devient impératif de problématiser le terme « voyage » et le genre « récit de voyage » afin de mieux communiquer l’expérience des gens forcés de ‘voayger’. Cette communication tentera de renouveler la définition de ce genre en examinant la nouvelle d’Edwidge Danticat « Children of the Sea » qui évoque le voyage des boat-people, des immigrés haïtiens. Ecrit sous forme épistolaire, la nouvelle de Danticat présente les échanges entre deux jeunes amoureux et traite spécifiquement les boat-people qui avaient quitté Haïti pendant la période duvaliériste pour s’installer aux États-Unis. Lorsque le voyage traditionnel implique une destination, ce voyage entrepris par des boat-people se terminait souvent au fond de la mer, évoquant ainsi le voyage mythique des navires négriers qui avaient souffert le même destin. Cette réunion sous-marine des boat-peoples et des esclaves d’autre fois fait l’allusion aux pensées d’Edouard Glissant et de Kamau Braithwaite qui remarquent que le Caraïbe marche sur le principe « des racines sous-marines » (Glissant, 231). Cette unicité sous- marine qu’évoque Glissant redéfinit la temporalité messianique et la conception spatiale de l’Occident et ainsi offre une conception alternative non seulement de l’Histoire mais aussi des termes « voyage » et « récit de voyage ». Mots-clés : Les boat-people, haïtien(ne)s, l’unicité sous-marine, le récit de voyage, l’immigration, l’altérité. Dans son œuvre Imperial Eyes: Travel Writing and Transculturation, Mary Louise Pratt, raconte comment, Richard Pietschmann, un académicien danois, a décelé une lettre, dans le Danish Royal Archives en 1908, écrit par un amérindien, Guamon Poma en 1613. Cette lettre de douze cent mots, était écrite au roi Phillip III d’Espagne en espagnole et en langue quechua. D’après Pratt, cette écriture « bilingual et dialogic » (Pratt, 7) était une tentative de

265 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 réécrire l’histoire de l’inquisition espagnole et d’autres pratiques narratives euro-centriques qui concernaient « travel and exploration writing, merged or infiltrated to varying degrees with indigenous modes. » (Pratt, 4) Cette nouvelle forme de récit de voyage introduit par Poma qui questionne le récit de voyage traditionnel et approprie la forme du récit ethnographie européen, engendre une nouvelle perspective historique et générique, sur ce que pourrait vouloir dire, un récit de voyage. C’est ce remaniement des formes littéraires associées avec le colonisateur qui se trouve aussi dans la nouvelle Children of the Sea d’Edwidge Danticat, écrivaine nord-américaine d’origine haïtienne, qui permet de ré-imaginer non seulement l’histoire d’une communauté colonisée mais aussi la définition du récit de voyage. Ici, la nature ethnographique de la description des expériences des peuples colonisés prend la forme auto-ethnographique et arrive à inclure la voix de l’Autre. James Clifford, explique cette association qu’a le récit de voyage avec les structures de pouvoirs dominantes, lorsqu’il dit que le récit de voyage est un genre spécifiquement lié au « middle class « literary » or recreational, journeying, spatial practices long associated with male experiences » (Clifford, 4). Le récit de voyage comme un genre a atteint son apogée pendant les explorations coloniales. Les explorateurs blancs qui ont écritces récits avaient des ressources monétaires de soutenir ces pratiques récréatives et littéraires. L’impérialisme européen a approprié ce genre d’écriture et a produit une nouvelle vision du monde basée sur les jugements ethnographiques où les catégories discursives et sociales sont nées de la modernité occidentale, telles : le soi et l’autre, la métropole et la périphérie, le civilisé et le sauvage.Cette conception du monde où le puissant « voyage » pour découvrir l’autre ne pourrait jamais expliquer des voyages forcés des marginalisés (l’immigration et l’exil) qui forment le noyau du discours postcolonial. Dans ce contexte, et surtout dans le monde contemporain où le statut des immigrés engendre des polémiques virulentes, il devient impératif de problématiser le terme « voyage » et le genre « récit de voyage ». C’est dans ce contexte contemporain que la nouvelle Children of the Sea qui fait partie du recueil Krik Krak aborde le thème des « boat peoples » ou des réfugiés haïtiens et présente la possibilité d’analyser le genre du récit de voyage. La première partie de cette communication présente comment Children of the Sea, une nouvelle, peuvent être catégorisée dans la catégorie du « récit de voyage », un genre qui est principalement défini, pour la plupart de son statut monolingue, non-fictionnel et monologique. Ensuite, la deuxième partie abordera le thème de la temporalité spirale de l’histoire et comment elle s’oppose à la temporalité linéaire autour de laquelle se déroule le récit de voyage traditionnel. La troisième partie se focalisera sur le traitement spatial du récit de voyage et comment la création d’un espace sous-marin mimique aussi la création d’une nouvelle pratique textuelle plus inclusive.

I. Déstabilisation du genre de récit de voyage

Il est d’abord nécessaire de faire une distinction entre la nature fictive d’une nouvelle comme Children of the Sea que j’analyse et la valeur d’un texte authentique accordée au genre de récit de voyage. Cette histoire est présentée sous forme d’un rapport écrit au premier personne singulier ou le narrateur raconte ses expériences vécues pendant un

266 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 voyage en tant qu’immigré illégal sur un bateau qui amènent les voyageurs vers Miami. Selon Paul Fusell, le genre du récit de voyage est considéré comme : a sub-species of memoir in which the autobiographical narrative arises from the speaker’s encounter with distant or unfamiliar data, and in which the narrative – unlike that in a novel – claims literal validity by constant reference to actuality. (Fussell, 203) Fusell qui écrit pendant les années quatre-vingt n’inclut pas le récit fictionnel dans sa conception du récit de voyage. Il le décrit comme un récit autobiographique qui trouve son ancrage dans la réalité. En faisant une distinction claire entre la réalité et le mode narratif d’un roman, Fusell nous signale vers le contexte plus large de sa politique envers les conversations postcoloniales. Pourtant, au contexte du récit de voyage postcolonial les théoriciens comme Holland et Huggan problématise cette distinction nette faite entre la fiction et la non-fiction ; entre le réel et le non-réel. Selon eux, tout écrivain, même ceux qui sont considérés traditionnellement comme des écrivains des récit de voyage, privilégient certains moments et expériences. Ce choix, en lui-même pose, pas mal de problèmes discursifs. Or, ce qui rend la question plus urgente, dans le contexte postcolonial c’est comment ces mensonges coloniaux à travers ces récits ethnographiques ont renforcé la division de ce monde en des hiérarchies. Afin de reformuler cette conception erronée, il faut qu’on déstabilise les genres comme ceux de récits de voyage pour les rendre plus inclusifs. C’est pourquoi, Jonathan Raban, dans son œuvre For Love & Money: Writing – Reading – Travelling, a raison quand il declare : travel writing is a notoriously raffish open house where different genres are likely to end up in the same bed. It accommodates the private diary, the essay, the short story, the prose poem, the roughnote and polished table talk with indiscriminate hospitality. (Raban, 253- 54). Ce type de théorisation qui accommode plusieurs formes d’écritures fictionnelles et non- fictionnelles en ce qui concerne le récit de voyage est un développement postcolonial. Children of the Sea, un échange épistolaire entre deux jeunes amants séparés par l’exil politique dont l’un est exilé peut facilement s’intégrer dans ce genre. Ecrite principalement en anglais mais avec l’intervention du français, cette nouvelle retient la qualité dialogique de la lettre de Guamon Poma et ainsi devient le lieu d’interrogation de la forme générique du récit de voyage monolingue.

II. Problématisation la temporalité de récit de voyage

Cette histoire bilingue tente de décrire les expériences des « boat people » haïtiens, des réfugiés produits pendant l’autocratie politique de François Duvalier dans les années soixante-dix. Même si Children of the Sea se déroule pendant les années soixante-dix et le personnage principal, un jeune homme écrivant à son amante, parle de ses expériences actuelles, il y a toujours un courant sous-jacent ciblé vers le passé. Le passé que ses aïeuls ont vécu sur les bateaux négriers pendant la traite négrière transatlantique et le passé des « boat-peoples » qui ont traversé l’océan Atlantique. Par exemple, le jeune homme qui est sur le bateau se dirigeant vers Miami écrit que : « Do you want to know how people go to the bath-room on the boat ? Probably the same way they did on those slave ships years ago. » Ce va-et-vient fluide entre le passé d’esclavage et le présent d’exil présente deux moments

267 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 historiques d’Haïti où la téléologie linéaire suivie par le genre du récit de voyage est remise en question. La temporalité linéaire perd son poids peu à peu pendant le voyage du jeune homme. Il commence avec des coordonnées de temps concrètes comme « today was our first real day at sea », « two days more » et « we spent most of yesterday telling stories ». Mais peu à peu ces marquers temporels prennent une forme intangible comme dans la phrase « sometimes it feels like we have been at sea longer than the many years that I have been on this earth ». Cette ambiguïté temporelle infiltre le texte et reformule l’outil du récit de voyage et la linéarité temporelle associé avec le monde occidental.

III. Récit de voyage : une nouvelle pratique textuelle

Ce jeune homme qui voyage n’a pas le privilège du retour comme les voyageurs d’autrefois. Le voyage traditionnel fournit un abri pour le voyageur de rentrer chez lui, toutefois le voyage qui a été entrepris par ce jeune homme n’en fournit pas la possibilité. Même si le bateau du jeune homme est en voyage vers Miami l’espace qui est plus évoqué dans son écriture est l’Afrique. Il décrit que: « I feel like we are sailing for Africa. Maybe we will go to Guinin, to live with the spirits, to be with everyone who has come and has died before us. They would probably turn us away from there too ». Même ce retour vers l’Afrique qui est évoqué est rempli de désespoir. La conception spatiale chez le voyageur du dix- huitième siècle qui voulait conquérir le monde est en nette contradiction au jeune homme exilé qui ne peut aller nulle part. La seule fuite spatiale reste au fond de la mer pour lui et ses compatriotes. Cette unification sous-marine de non-seulement le jeune homme et ses compatriotes mais aussi du jeune homme et son amante à travers un rêve devient un moment textuel central. Le jeune homme raconte que: The other night I dreamt that I died and went to heaven. This heaven was nothing like I expected. It was at the bottom of the sea... You were there with me too, at the bottom of the sea. Ce rendez-vous qui était impossible dans le monde gouverné par les statuts d’état- nation maintenant trouve son expression au fond de la mer. Quand le poète et l’historien Kamua Braithwate parle de la Caraïbe, il utilise la phrase « The unity is submarine ». (Braithwaite, 64). Cette unicité que les deux amants ont retrouvé au fond de la mer loin des lois d’immigration et d’exil forcé par la dictature met en relief la nature unidirectionnelle du voyage traditionnel. La fuite des amants vers un récit sous-marin à travers un moment textuel, d’un rêve est symptomatique non seulement de leur condition dans le monde réel mais aussi de plusieurs haïtiens pendant cette période.

Conclusion

Edouard Glissant, un écrivain, théoricien martiniquais dans son œuvre Le discours antillais postule que : Nous sommes les racines de la Relation. Des racines sous-marines : c’est-à-dire dérivées, non implantées d’un seul mât dans un seul limon, mais prolongées dans tous les sens de notre univers par leur réseau de branches (Glissant, 231). Ce « nous » dont il parle sont des antillais. Le récit de voyage qui émerge de l’occident vient du cadre de l’état-nation où existe un soi bien défini par rapport à l’Autre. Dans ce discours,

268 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 il existe des frontières géographiques. Dans la nouvelle, le jeune homme décrit comment même aux Bahamas où « their music sounds like ours. Their people look like ours. To them, we are not human ». Cette distinction territoriale résulte dans la division entre les peuples haïtiens même s’ils avaient partagé « the same African fathers who probably crossed these same seas » Par conséquent, il est nécessaire qu’on réfléchisse sur l’unicité sous-marine et stratégique qu’évoquent, Braithwate et Glissant. Cet espace stratégique se situe dans un « no man’s land » où toutes les liens historiques effacés par le discours colonial sont restitués. Les esclaves d’autrefois, les gens de Bahamas, les haïtiens, les jeunes, les âgés sont tous reliés au fond de la mer. A travers l’articulation de rêve, Danticat engendre non seulement un nouvel espace sous-marin mais aussi un nouveau récit sous-marin. Ce récit travaille comme un mode de « counter travel writing » qui ne reste pas entièrement fidèle aux exigences du genre de récit de voyage et qui met en cause les traits traditionnels du monolinguisme, de l’authenticité et de sa conception spatiale et temporelle. Cette nouvelle conception du récit de voyage crée un réseau de liens sous-marin qui prend la forme littéraire d’un récit sous-marin qui peut être observer dans la nouvelle Children of the Sea d’Edwidge Danticat, un texte qui se situe au cadre de « counter travel writing ».

Bibliographie

1. Bartkowski, Frances. Travelers, Immigrants, Inmates : Essays in Estrangement. (London : University of Minnesota Press, 1995). Print. 2. Braithwaite, Kamua. Contradictory Omens: Cultural Diversity And Integration In The Caribbean. (Mona: Savacou Publications, 1974). 3. Clifford, James. Notes on Travel and Theory. Inscription Vol. 5 (1989), pp.1-7. 4. Clifford, James. Notes On Travel And Theory, Travelling Theories, Travelling Theories. Inscriptions, Vol. 5 (1989). hhtp://www2.ucse.edu/culturalstudies/PUBS/inscriptions/vol_5/preface.html. (Website no longer live) 5. Danticat, Edwidge. Krik ? Krak ! (New York: Soho, 1969). Print.

6. Glissant, Edouard. Le discours antillais. (Paris : Gallimard. 1997). Print. 7. Guillaume, Xavier. Travelogues of Difference: Theory and Travel Literature. Alternatives: Global, Local, Political, Vol. 36, No. 2 (May 2011), pp.136-154. 8. N’Zengou-Tayo, Marie-José. Les boat-people haïtiens dans la fiction romanesque haïtienne. Journal of Haitian Studies, Vol. 2, No. 2 (Autumn 1996), pp.155-166. 9. Pratt, Mary Louise. Imperial Eyes : Travel Writing and Transculturation. (London : Routledge, 1992). Print. 10. Ravi, Srilata. Travel and Text. Asian Journal of Social Science, Vol. 31, No. 1, SPECIAL FOCUS: Travel and Text(2003), pp. 1-4.

11. FOR LOVE & MONEY: WRITING – READING – TRAVELLING 1968–1987. London: Picador, 1988. 12. Raban, Jonathan & Fussell, Paul. Abroad: British Literary Travelling Between The Wars. Oxford: Oxford University Press, 1980.

269 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le Voyage au bout du sexe dans Amours Sauvages de Calixthe Beyala

Sushant Kumar Dubey

Résumé

Quand on entend le mot le « voyage » ce qui nous frappe, c’est l’idée de déplacement d’un espace à un autre. Notre travail se porte sur le voyage au bout du sexe dans le contexte prostitutionnel. Le thème de mon étude me fait souvenir des paroles d’Emerson dans La confiance en soi à l’égard du voyage. Il écrit : « voyager est le paradis dessots.Nos premiers voyages nous révèlent combien les lieux sont indifférents. Chez moi je rêve qu’à Naples et à Rome, je pourrai m’enivrer de beauté et perdre ma tristesse. Je fais mes malles, dis au revoir à mes amis, embarque sur la mer, et enfin me réveille à Naples, et là, à mes côtés, se trouve l’austère réalité : le moi triste, implacable, celui-là même que j’avais fui ». Ses pensées reflètent que partir n’est pas du gâteau parce qu’on emmène toujours soi- même avec soi. La manifestation de l’idée précédente paraît forte, quand on remarque la destination finale du voyage d’une noire envers la prostitution, la souffrance. Elle prend ce voyage à la recherche d’une vie plus libre qu’avant mais la couleur noire, la marque d’infamie reste toujours collée à sa peau. Pour trouver un trou pour comprendre le cas précédent, cet article a pour objectif de tracer le parcours de voyage d’une africaine à travers le roman de Calixthe Beyala, Amours Sauvages, qui s’engage dans la prostitution dès son arrivée au pays d’accueil. La recherche préalable exprime que la société reste au cœur derrière leur destin final du voyage c’est-à-dire la prostitution. On va diviser cet article en trois parties : En premier lieu, l’article focalise sur le traitement raciste en raison de la couleur avec des noires. En second lieu, notre objectif est de révéler à travers ses yeux des mobiles derrière ce voyage sexuel. Finalement, l’efficacité des valeurs de la république française, en remarquant tournant de leur voyage au cauchemar. Mots-clés : France, Voyage, prostitution, prostituées noires, Calixthe Beyala. Quand on entend le mot le « voyage » ce qui nous frappe, c’est l’idée de déplacement d’un espace à un autre.Notre travail se porte sur le voyage au bout du sexe dans le contexte prostitutionnel. Le thème de mon étude me fait souvenir des paroles d’Emerson dans La confiance en soi à l’égard du voyage. Il écrit : « voyager est le paradis des sots. Nos premiers voyages nous révèlent combien les lieux sont indifférents. Chez moi je rêve qu’à Naples et à Rome, je pourrai m’enivrer de beauté et perdre ma tristesse. Je fais mes malles, dis au revoir à mes amis, embarque sur la mer, et enfin me réveille à Naples, et là, à mes côtés, se trouve l’austère réalité : le moi triste, implacable, celui-là même que j’avais fui » (Emerson 120). Ses pensées reflètent que partir n’est pas du gâteau parce qu’on emmène toujours soi-même avec soi. La manifestation de l’idée précédente paraît forte, quand on remarque la destination ultime du voyaged’une noire envers la prostitution, une activité embarrassante. Elle prend ce voyage à la recherche d’une vie plus libre qu’avant mais la couleur noire, la marque d’infamie reste toujours collée à sa peau. Pour trouver un trou pour comprendre le cas antérieur, cet article a pour objectif de tracer le parcours de voyage d’une africaine à travers le roman de Calixthe Beyala, Amours Sauvages, qui s’engage dans

270 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 la prostitution dès son arrivée au pays d’accueil. La recherche préliminaire exprime que la société reste au cœur derrière leur destin final du voyage c’est-à-dire la prostitution. On va diviser cet article en trois parties : En premier lieu, l’article focalise sur le traitement raciste en raison de la couleur avec desnoires. En second lieu, notre objectif est derévéler à travers ses yeux des mobiles derrière ce voyage sexuel. Finalement, la mise en cause de l’efficacité des valeurs de la république française, en remarquant tournerson voyage au cauchemar.

La communauté marginalisée

Tous n’ont pas la même couleur de peau par naissance, ni c’est contre le droit pourquoi donc la discrimination à cause des couleurs de peau. John Locke sur l’état de nature écrit : « L’état de nature a une loi de nature pour le diriger, qui oblige chacun et la raison, c’est la loi qui enseigne toute l’humanité, étant tout égal et indépendant, personne ne doit nuire à un autre dans sa vie, la santé, la liberté ou des biens » (Mackinnon, Fiala 145). Ici, il essaie de nous expliquer, des êtres humains sont tous égaux et personne n’a le droit d’heurter l’autre. La contestation de ses idées apparaît pertinente dans le contexte du roman Amours Sauvages de Calixthe Beyala. La manifestation de la discrimination ethnique dans la vie des prostituées noires apparaît l’éternel problème qui font un voyage à grande échelle envers les pays de l’ouest pour vivre de leur art. Le cas d’Eve-Marie, une prostituée africaine, nous montre lors de ses déplacements au cours du roman Amours Sauvages une image très ahurissante des noires au pays d’accueil. Elle raconte sa rencontre avec un épicier français. Elle constate : M. Michel Dellacqua, l’épicier français à grosse respiration, m’interpellait : « Tu veux une pomme, Bonne Surprise ? » Il roulait des yeux, grimaçait des chianchiants. Il avait le portefeuille vide et croyait me séduire avec une pomme comme le serpent de l’Eden. Il détestait les nègres, les Arabes et les juifs [...] (Beyala 15) Cet incident avec Eve-Marie exprime l’atmosphère périlleuse, pesante devant des péripatéticiennes noires à la sphère publique. Sa réaction sur cet incident : [...] Je m’enfuyais comme une collégienne » (16). Cette réponse exprime que cela a intimement touché son état. Leur corps ne symbolise qu’un moyen pour assouvir le désir sexuel sans leur consentement. L’intention de l’épicier de la séduire avec une pomme illustre le sentiment malveillant que la société française garde envers des noires. Ce n’est pas un cas seulement d’Eve- marie, il y en a plusieurs qui font face aux circonstances extrêmes dans le milieu français. L’affirmation d’Amély-James KohBela à propos des noires au milieu français reflète une réalité similaire. Elle réclame : « Les quartiers chauds du XVIIIe arrondissement de Paris, de la gare du Nord à la porte de Clignancourt, sont les sites privilégiés des péripatéticiennes africaines, pour la plupart originaires de la région subsaharienne. « À tel point que lorsque vous êtes noire et que vous parcourez ces rues, vous êtes systématiquement prise pour une prostituée » (FG, « Prostitution : La nouvelle traite des Noirs ») constate Amély- James KohBela, présidente de la Commission de l’information et de la formation à la Fédération des agences internationales pour le développement, une organisation non gouvernementale (ONG) d’action humanitaire et d’aide au développement. La pullulation des noires en tels nombres exhibe le point final de leur voyage qui est la prostitution. Cette affirmation exprime l’image esclavagiste des noires dans les yeux des Blancs sur le terrain inconnu. Leur couleur de peau les transforme en objet de consommation de la

271 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 société. La présence forte des noires dans cette pratique est inquiétante qui signifie leur voyage de trouver la meilleure vie dispersée comme des pailles sur le terrain inconnu. Elle constate : « La France compte entre 15 000 prostitué(e)s dont près de 7 000 à Paris. « 80% sont étrangers, dont un peu plus de 40 % viennent des Balkans et 37% sont d’origine africaine » (« (FG, « Prostitution : La nouvelle traite des Noirs »), pouvait-on lire dans l’Humanité du 20 décembre 2003. Ces chiffres évoquent la réalité amère de leur voyage quitourne au cauchemar au pays d’accueil. On peut dire, la société les accueille seulement pour exploiter leur vulnérabilité. Comment peut-on évoquer le sentiment fielleux envers une communauté à cause de différence de couleur ? Les paroles d’Eve-Marie en supportant toutes sortes des cruautés, des coquineries... « J’étais une sauvage et cela me donnait une grande aptitude à survivre » (164). Cette conviction auprès d’Eve-Marie exprime l’affliction extrême qu’elle a vécue au cours de sa vie prostitutionnelle qui lui pousse à définir sa vie, une sauvage. Quel horreur ! L’endroit où elles’abrite et passe des jours et des nuits manifeste aussi sa douleur insoutenable. On observe quand elle dit : À petits pas je retournais à Belleville où les rues étaient sales, étroites et laides. L’odeur des marrons et du maïsgrillés que vendaient des nègres envahissait l’air. J’étais heureuse de rencontrer ces gens qui me connaissaient. « Ça va, Eve-marie ? » me demandaient-ils. Des larmes de reconnaissance gonflaient mes paupières [...] (15). Cette image nous évoque l’atmosphère difficile où elle et sa communauté vivent en faisant face aux situations injustes dans leur vie quotidienne souvent isolée du reste de la société. Elles n’ont pas même accès aux lieux où ils peuvent vivre une vie avec dignité. Les regrets dans la voix d’Eve-Marie manifestent la rupture de ses rêves après être arrivé au pays destiné. Son intention n’était pas d’accepter la vie prostitutionnelle mais la fermeture de toutes les portes laisse devant elle, une seule option de découvrir le monde prostitutionnel qui reflète le côté discriminatoire dans le domaine du travail. Elle souffle : Nous abandonnions nos chichis de rêves, nos mélancolies et tournoyions autour de rêves, nos mélancolies et tournoyions autour des hommes. Je vendais mon immense derrière de négrésse a prix modérés et on m’appela « Mademoiselle Bonne Surprise » (13). Ces révélations d’Eve-Marie éclaircissent le fait que telle communauté n’arrive pas à réaliser leurs rêves en raison de l’attitude tout à fait difficile de la société. Elles ne trouvent pas d’autres options et plongent dans la prostitution. Ses expériences de l’Afrique continuent à la suive sur la terre inconnue des blancs. Elle évoque cet aspect dans sa voix : [...] J’avais déjà eu assez de mal à ne pas oublier ce que je savais de l’Afrique, de ses contes, de ses superstitions et de ses langues pour m’embarquer dans des réflexions nouvelles [...] » (219). Au pays d’accueil, les mêmes conjonctures, les souffrances ont rendu sa vie extrêmement déçue. La discrimination raciale avec elles leur donne beaucoup de souci qui nous fait penser à savoir les mobiles derrière ce problème majeur.

Pas de stabilité

On a déjà témoigné la mauvaise image des noires dans la communauté blanche en observant l’état d’Eve-Marie à travers de différents espaces où elle se trouve. Les Noires ne donnent que l’image des objets réifiés que les Blancs peuvent utiliser pour assouvir leurs propres désirs. La faiblesse des communautés noires au niveau économique les empêchent d’abandonner ce voyage qui ne termine que dans l’exploitation sexuelle. Les facteurs

272 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 donnés par Eve-Marie derrière leur présence sont : la perte de bourse et du travail et la souffrance de dépression chronique... qui les poussent à faire un voyage pour trouver un meilleur avenir mais finissent par les rendre la proie de la société de consommation. La remarque de Pléthore à l’égard des Blancs en les considérants la société de consommation dans la voix de narratrice éclair l’image similaire d’eux. Elle profère : « Il engueula la société de consommation qui rendait les humains si mous qu’ils en perdaient des dignités et des fraternités » (18). Cette pensée exhibe le comportement de consommation reste dominante dans la communauté Blanche et les noires deviennent la proie de telle société de consommation qui font un voyage pour échapper à la vie misère mais rendre leur vie plus ambiguë qu’avant. L’intervention dans l’espace privé comme le mariage est un autre mobile que la communauté blanche utilise pour exploiter leur état affaibli. Le voyage envers l’ouest pour trouver un mari blanc reste toujours fort dans l’esprit des Noires mais qui se termine seulement à l’état d’esclavage de son mari esclavagiste. Le mariage d’Eve- Marie avec Pléthore est un exemple vivant qui exprime que les prostituées noires restent un objet de la consommation au pays d’accueil. Elle raconte : Pléthore était agenouillé entre les jambes de Mme Flora-Flore. Il œuvrait avec violence et la jeune femme s’activait avec une passion choquante. Dès qu’ils me virent, leurs visages se morfondirent en plaisirs contrariés : Qu’est-ce que tu fais là, Eve-Marie ? Des envies de meurtre me traversèrent [...] (75). Dans cet incident, on trouve que son mari a un rapport sexuel avec une autre femme. L’aspect qui frappe notre attention ici c’est que le mari n’est pas choqué quand sa femme le voit dans cet état ce qui exprime que dans tel type de mariage les liens sacrés n’existent pas et le corps transforme en objet pour satisfaire des désirs sans aucune intervention des pensées à l’égard du lien amoureux entre le couple. Cela exprime la réalité choquante envers des Noires, lesquelles voient leur mari toujours comme une prostituée. Dans l’espace privé aussi, leurétat reste comme un objet dans une vente aux encheres. La plupart des noires restent vulnérables aux violences sexuelles, initiées par leur voyage envers l’ouest. On peut citer ici, la réflexion de Kant de l’impératif catégorique. Selon laquelle : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité [...] toujours comme un fin et jamais simplement comme un moyen » (« Kant et la morale »). Cela signifie que les actions brutales auxquelles les noires font face sont contre l’humanité ainsi que ces actes qui traitent les noirs comme un moyen sont condamnables. L’image qu’on perçoit dans Amours Sauvages à propos du comportement de Jean-Pierre Pierre, un client envers Flora-Flore, une brune exhibe c’est lui qui la piège pour la séduire. L’empiètement sur sa carrière et mal-traitement dans l’espace privé exprime l’atrocité avec des noires dans chaque étape de son voyage sur le terrain inconnu. Flora-Flore avoue : « Dès qu’il me vit, il me prit la main et nous ne nous quittâmes plus » (155). Jean-Pierre Pierre est précisément sensible au charme de Flora- Flore mais d’autre côté, on voit son attitude vexante envers elle quand il a appris à l’égard de ses rapports avec d’autres clients. Elle raconte : Quand Jean-Pierre Pierre me vit, il garda le silence de longues minutes et j’eus peur qu’il ne veuille plus de moi. Soudain, il me gifla avec une telle violence que je tombai sur le lit. « Tu es à moi », me dit-il. Il m’enferma des jours et me pénétra vers Sodome. J’avais mal, je hurlais, tandis que son sexe court fouillait mes entrailles avec une violence et une régularité qu’aucun baiser jamais n’interrompait. Il riait et me tirait les cheveux [...] » (156).

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Les gestes violents du client tombent sur Flora-Flore en raison de sa présence avec d’autres révèlent la méchanceté auprès du client qui montre sa suprématie sur le corps de prostituée en agissant selon ses propres désirs sans mettre en considération des sentiments d’elle. C’est son métier qui exige de multiples rapports. On voit Flora-Flore face à un dilemme en entendant ses cris : « Tu m’appartiens, et ça tu dois l’apprendre ! » (156). Ce cas reflète la vulnérabilité d’une prostituée noire qui tombe souvent dans telle situation délicate qui la rappelle que sa vie dépend des autres et restera toute sa vie comme un parasite piégé dans ce cercle infernal. Les prostituées noires n’ont pas même le droit d’exécuter leur pratique selon leurs propres désirs, l’intervention toujours dans leur vie auprès de la société met leur vie désespérée. Leur voyage pour trouver une vie digne reste toujours en question dans la société Blanche. Leur présence ne manifeste pas l’image des êtres humains mais au contraire un robot, manipulé par les autres. Après avoir appris des raisons derrière leur état épouvantable au pays d’accueil, c’est pertinent d’analyser le rôle de l’État envers des problèmes liés aux victimes.

L’attitude de l’État

La constitution de 1958 réclame à l’égard de la république française :« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » (« Laïcité en France »). (Article 1er de la Constitution de 1958) La déclaration de l’État de respecter toutes les croyances restent en ambiguïté, voyant le passage d’Eve-Marie et d’autres noires qui font un voyage pour profiter des valeurs de la république française mais la circonstance tourne toutà fait contre, une fois elles se trouvent dans la frontière. Un incident d’Amours Sauvages nous montre l’attitude austère de l’État envers des immigrés clandestins qui vivent la vie dans l’inquiétude profonde au pays d’accueil et ce fait a bien frappé l’esprit d’Eve-marie. Un Africain lui a révélé: […] Immigré en situation irrégulière, cherche flic bien attentionné pour le rapatrier gratuitement en Afrique ! » Je fus si interloquée par sa bravoure que je le suivis comme un chasseur qui poursuit son gibier dans la jungle. Plus loin, deux flics aux doigts grattouilleurs reniflaient les passants, soupçonneux [...] (106). Ce contexte illustre précisément que la situation des immigrés clandestins d’origine africaine reste en péril au pays d’accueil. Leur vie se trouve sous la torture constante qui les contrainte à quitter le pays sans gagner rien mais après avoir vécules douleurs inoubliables. La réaction d’Eve- Marie voyant des polices : « Mon cœur vrilla dans ma poitrine » (106). On peut ressentir la désolation profonde dans l’état d’Eve-Marie au milieu français voyant le cas des clandestins et elle persiste à avoir des mauvaises expériences au cours de son voyage où qu’elle aille. Cela révèle l’instabilité, la crainte profonde dans la vie des prostituées immigrées clandestines sur le terrain qui ne trouvent pas l’abri sous le toit de l’État par conséquence, qui sont obligées à vivre dans les endroits clandestins où elles deviennent aisément la proie des proxénètes, des clients. On peut voir qu’elles ne sont pas responsables pour leur état illégal et le retentissement troublant de cela. Au contraire, elles sont des victimes des réseaux qui confisquent leurs papiers dès leur arrivée et les rendent victimes de désespoir. C’est la raison pour laquelle on les trouve dans le cercle infernal de

274 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 la prostitution. L’expulsion ne sera pas une méthode efficace si on veut éviter leur présence parce que c’est la raison pour laquelle, elles se trouvent dans des endroits clandestins. Il y a un besoin urgent de les intégrer au milieu social ou bien leur offrir des opportunités pour qu’elles ne deviennent pas la proie des réseaux de prostitution. Comment se trouvent-elles illégalement à l’entrée sur ce terrain ? C’est la question à laquelle l’administration doit essayer de trouver la réponse pour contrôler la présence des noires dans l’esclavage sexuel. Leur arrivée dans une grande majorité et leur exploitationdans l’industrie du sexe questionne l’attitude relâchée de l’État dans les cas des noires. La déception d’Eve-Mariequand on écoute sa voix pendant sa discussion avec son fils, Flore des Océans dans un espace fermé, dévoile clairement la situation périlleuse devant les noires. Elle raconte : Aujourd’hui, alors que mon corps se désintéresse du plaisir et même de la douleur, que ce monde vire dans des tons illisibles pour mes vieux os, j’en pleure encore. Quelquefois, Flore des Océans surprend mes larmes et me demande : « Qu’est-ce que t’as, maman ? Quelqu’un t’a fait un gros chagrin ? » Je le prends dans mes bras et l’air devient doux, parfumé des senteurs qu’adorent les abeilles. « Non, mon fils. C’est la vie qui me fait mal ! » C’est ainsi et c’est bien ainsi (245). Ce qu’on peut tirer de ses sentiments à la fin de son voyage qui font l’écho de la douleur constante est qu’elle n’a pas trouvé la paix même après avoir passé plusieurs années sur la même terre qui a rendu sa vie lourde. Elle n’arrive pas à croire que la terre qu’elle a choisie après avoir appris que c’est le pays qui croità la liberté, à l’égalité, à la fraternité est le même pays qui, au cours de son voyage, lui rappelle de la situation similaire d’où elle a commencé son trajet c’est-à-dire, l’Afrique. Sa voix et son état d’esprit expriment précisément que cette terre l’a beaucoup heurtée qu’elle condamne sa destinée pour tout le malheur. En conclusion, nous pouvons réitérer que les voyages que la majorité des noires font ne sont pas destinés au voyage sexuel mais les circonstances pénibles c’est-à-dire la discrimination ethnique, la perte de repères républicains, l’attitude relâchée de l’autorité française... au jour le jour tournent la situation périlleuse devant des noires qui font face seulement aux sévices en les attrapant dans les pièges prostitutionnels. C’est lacouleur de leur peau qui décide leur destinée qui est l’esclavage du cercle infernal de la prostitution.

Bibliographie

La Source Primaire : 1. Calixthe Beyala, Amours Sauvages, Paris, Edition Albin Michel, 1999. Les Sources Secondaires : 1. Emerson. La confiance en soi, Paris, l’édition Rivages-poche, 2000. 2. Mackinnon, Barbara. Fiala, Andrew. Ethics: Theory and contemporary issues, USA, Cengage Learning, 2015. 3. Laïcité en France .Wikipédia, l’encyclopédie libre, 11 nov. 2016, . 4. Prostitution : La nouvelle traite des Noirs, Afrik. Com, samedi 24 avril 2004 par F. G. 5. Kant et la morale, la-philiosophie.com/Kant-morale. 275 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 L’aventure par Alfred Assollant (1827-1886) : Peu Connu Romancier Populaire Franҫais du XIXe Siecle

Jayita Basak

Résumé

The adventure by Alfred Assollant, a little-known French author of the 19th century, was most popular in his time and later (as Miller tells us, 20th century fans included the likes of French philosopher Jean Paul Sartre and Italian Marxist Antonio Gramsci). It is still in print but not much read or known. Assollant (1827-86) was by no means the only Frenchman to write about India — take his more famous contemporary Jules Verne (also a lawyer’s son) with “The Steam House” (also known as “The End of Nana Sahab”), and a notable character, Captain Nemo of “Twenty Thousand Leagues Under the Sea”, 1871 and more, revealed to be Indian — and with great hatred of the British. It is this vein Assollant seemed to have pioneered in his 1867 work. His French hero is brave, enterprising, and courteous while his British opponents are mostly brutal, venal, inefficient or arrogant and Indians, with exceptions, correspond to the prevailing stereotypes of noble savages, with a stress on both words.The plot seems to be simple. Assollant, who was quite radical in real life (he lost his teacher’s job for his views) makes his hero a vessel for his ideas, but colonialism puts paid to this attractive option. No matter how open and radical at home, the French and the British never followed this rule in most of their colonies. Assollant’s work is not only a dated, literary curiousity but an engrossing tale which needs to be relished. Mots-clés : L’ebenture, l’influence indienne, Le capitaine Corcoran. « Cette fois, j’ai touché le fond. Il ne me reste plus qu’à prendre sur la table les Aventures du capitaine Corcoran, qu’à me laisser tomber sur le tapis, ouvrant au hasard le livre cent fois relu », se rappelle Jean-Paul Sartre revisitant son enfance dans Les Mots (1964). Corcoran ? C’est le héros d’un roman publié en 1867, né de l’imagination d’Alfred Assollant. Alfred Assollant a eu une carrière contrastée : en phase ascendante auprès de la critique et du public dans les années 1860, il glisse sur une pente qui le mène à la déchéance la décennie suivante. Il est né à Aubusson le 20 mars 1827. Vingt ans plus tard, il entre à l’École Normale. Il sort en 1850 pour enseigner l’Histoire au lycée. Mais ses opinions républicaines durant le Second Empire le mettent en froid avec sa hiérarchie. Démissionnant alors de l’Instruction Publique, il part « à la recherche de la liberté », et part pour un voyage de trois mois en Amérique dont il revient fortement désappointé. Mais ce périple n’aura pas été inutile.

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Car il tire de cette expérience plusieurs récits publiés dans la Revue des Deux Mondes et rassemblés ensuite en volume : Scènes de la vie des États-Unis (1858). Suite au succès de cette parution, Assollant commence une carrière féconde de chroniqueur et de romancier. On voit son nom dans de très nombreux journaux (La Presse, Le Journal pour tous, etc.). Il y publie articles et pamphlets, dont une partie parait ensuite chez différents éditeurs (D’heure en heure). Après le coup d’Etat de 1851, il a abandonné sa carrière universitaire. Il connaît des échecs à l’Assemblée nationale et à l’Académie française. L’Œuvre d’ Alfred Assollant explore de nombreuses domaines des directions : notamment historique (Campagne de Russie,1886) et politique (La Branle bas européen , 1861) . Sa littérature s’épanouit dans ses récits de voyage (Scènes de la vie des Etats- Unis, 1858) , et ses romans d’aventures (aventure merveilleuse du capitaine Corcoran, 1867 ; Français Bûchamor, 1874). Alfred Assollant a écrit plusieurs romans historiques (La mort de Roland, fantaisie épique, 1860) et romans d’aventures (L’aventurier, 1873) aujourd’hui oubliés, dont le sujet lui permettait souvent de faire passer ses idées politiques. Engagé politiquement contre l’Empire, son journal le Courrier du dimanche est d’ailleurs suspendu 2 mois en 1864 à la suite d’une de ses rubriques. Un contemporain s’en souvient encore un demi-siècle plus tard : « Alfred Assolant est un type accompli du chroniqueur d’autrefois. Il est piquant, fringant, un peu superficiel. Il s’en va, bride abattue, à travers les événements que l’actualité lui apporte; il les juge d’un air impertinent et détaché » Il apparaît également à la critique de l’époque comme un jeune auteur prometteur : Les plus grands écrivains de son temps louent son style et son originalité comme Emile Zola ou bien Francisque Sarcey qui écrit de lui : « J’aime Assollant parce qu’il sera l’un des démolisseurs de la phraserie » ; ainsi Prévost-Paradol : « M. Assollant est le plus original et le plus piquant des jeunes écrivains de notre temps [...] Il est certainement le moins pédant ». Après la chute de Napoléon III la roue tourne. Les louanges se font rares et les jugements acerbes. Ainsi la Revue politique et littéraire de 1874 qui parle de « stérilité d’invention. On ne se jette dans le bizarre que pour n’avoir pas su observer ni peindre le vrai ». Assollant se présente deux fois aux élections, en vain. Personne ne veut de lui non plus à l’Académie Française (1878). En outre, sa vie privée connaît des drames : en 1875, il perd sa femme et sa fille, et deux ans plus tard il voit son fils mourir. D’un caractère déjà rugueux, il devient irritable et désemparé. Un témoin le décrit ainsi : « il parlait tout seul, la bouche parfois crispée, parfois souriant, les deux mains dans la poche de son maigre paletot étriqué et luisant aux coutures, son pantalon trop court battant sur ses souliers lassés. Il allait ainsi, presque chaque jour, pressé d’arriver à un but qu’il ne connaissait pas, mais vers lequel il hâtait sa course ». Il finit, ruiné, par être recueilli dans une maison de santé municipale à Paris, où il s’éteint le 4 février 1886. Assollant fut un homme contradictoire .Patriote voire chauvin, il détestait l’arbitraire et les privilèges qu’il combattit toute sa vie, demandant par exemple l’amnistie pour les communards (Assez tué !) ou défendant l’égalité des sexes (Le Droit des femmes). Une autre de ses caractéristiques est l’ironie dont il parsème ses textes, et qu’on retrouve dans ses romans, qu’ils soient historiques : Deux amis en 1792, La Bataille de Laon (1814), François Buchamor ou d’aventures : L’Aventurier, Montluc le Rouge, Marcomir. Cet humour se trouve dès les premières lignes des Aventures merveilleuses mais authentiques du Capitaine Corcoran : « Ce jour-là, le 29 septembre vers trois heures de l’après-midi,

277 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 l’Académie des sciences de Lyon était en séance et dormait unanimement [...] Du reste, aucun des dormeurs ne s’était rendu sans combat », et cela continue tout du long, avec souvent des métaphores surprenantes : « à la distance où les deux adversaires étaient l’un de l’autre, les deux cervelles risquaient de sauter ensemble, comme les bouchons de deux bouteilles de vin de Champagne ». Cette histoire destinée aux adolescents, narrant d’un ton léger l’équipée d’un breton à l’étranger et ses affrontements avec l’armée britannique, est contée sur un ton goguenard et malicieux. C’est son plus grand succès, sans cesse réédité, même de nos jours, et qui a marqué des générations entières. Certains voient dans l’aventurier Bob Morane, créé par Henri Vernes, l’incarnation moderne de Corcoran. Vernes, qui rend à son tour hommage au fameux capitaine : Bob Morane « trouva seulement un roman qui avait enchanté ses jeunes années et que, avant de quitter la France, il avait emporté comme une sorte de relique. C’était Le Capitaine Corcoran. L’auteur y relatait les aventures et mésaventures d’un Français chevaleresque et audacieux qui parcourait les Indes en compagnie de son tigre apprivoisé, y faisait la guerre et y épousait une belle princesse » (Henri Vernes, La Vallée infernale, 1958). Les exploits de Corcoran et de son tigre Louison contre l’armée impériale britannique sont racontés sur un ton gouailleur et ‘’parisien’’, qui les rendent amusants non seulement aux enfants mais aussi aux adultes. L’intrigue est assez répétitive donnant au récit un aspect picaresque. Le Capitaine Corcoran appartient au genre de romans d’aventures. Il est intéressant de noter que ce récit se déroule en Inde comme plusieurs romans célèbres de Jules Vernes. Je voudrais noter une partie de premier chapitre de ce roman, Le Capitaine Corcoran où on trouve l’influence indienne.

L’Académie des sciences (de Lyon) et le capitaine Corcoran

Ici l’orateur fut interrompu par trois salves d’applaudissements. « Puisqu’il en est ainsi, répliqua Corcoran, et que vous n’avez besoin de personne, j’ai l’honneur de vous saluer. » Il fit demi-tour à gauche et s’avança vers la porte. « Eh ! monsieur, lui dit le président, que de vivacité ! Dites-nous au moins le sujet de votre visite. – Voici, répondit Corcoran, vous cherchez le Gouroukaramtâ, n’est-ce pas ? » Le président sourit d’un air ironique et bienveillant à la fois. « Et c’est vous, monsieur, dit-il, qui voulez découvrir ce trésor ? – Oui, c’est moi. – Vous connaissez les conditions du legs de M. Delaroche, notre savant et regretté confrère ? – Je les connais.

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– Vous parlez anglais ? – Comme un professeur d’Oxford. – Et vous pouvez en donner une preuve sur-le-champ ? – Yes sir, dit Corcoran. You are a stupid fellow. Voulez-vous quelque autre échantillon de ma science ? – Non, non, se hâta de dire le président, qui n’avait de sa vie entendu parler la langue de Shakespeare, excepté au théâtre du Palais-Royal. C’est fort bien, cher monsieur... Et vous connaissez aussi le sanscrit, je suppose ? – Quelqu’un de vous, messieurs, serait-il assez bon pour demander un volume de Baghavatâ Pouranâ ? J’aurai l’honneur de l’expliquer à livre ouvert. – Oh ! Oh ! dit le président. Et le parsi ? et l’indoustani ? » Corcoran haussa les épaules. « Un jeu d’enfant ! » dit-il. Et tout de suite, sans hésiter, il commença dans une langue inconnue un discours qui dura dix minutes. Toute l’assemblée le regardait avec étonnement. Quand il eut fini de parler « Savez-vous, dit-il, ce que j’ai eu l’honneur de vous raconter là ? – Par la planète que M. Le Verrier a découverte ! répondit le président, je n’en sais pas le premier mot. – Eh bien ! dit Corcoran, c’est de l’indoustani. C’est ainsi qu’on parle à Kachmyr, dans le Nepâl, le royaume de Lahore, le Moultan, l’Aoude, le Bengale, le Dekkan, le Carnate, le Malabar, le Gandouna, le Travancor, le Coïmbetour, le Maissour, le pays des Sikhs, le Sindhia, le Djeypour, l’Odeypour, le Djesselmire, le Bikanir, le Baroda, le Banswara, le Noanogar, l’Holkar, le Bopal, le Bailpour, le Dolpour, le Satarah et tout le long de la côte de Coromandel. On peut se demander pourquoi les auteurs français les plus populaires dans le genre du roman d’aventures aimaient situer leur récit en Inde et exprimer à travers ces récits une forme d’opposition ou de critique de la dramatisation anglaise alors à son apogée? Pourquoi choisissent – ils l’Inde ? L’Inde est un grand patchwork à découvrir : entre traditions, religions, culure, histoire, art de vivre, ... Et cela change selon l’Etat où vous soyez voire même la ville. Je pense que c’est une raison de choisir l’Inde par les écrivains français. Le siècle change... mais l’attirance d’Inde est presque même. Dans son Oubli de l’Inde, Roger- Pol Droit a brillamment exposé l’amnésie qui a frappé le monde universitaire français en ce qui concerne la philosophie indienne, comme si l’Inde, qui a tant privilégié les explorations de l’esprit humain, n’avait jamais rien produit qui soit digne d’être qualifié de philosophie. Mais cette amnésie s’étend à d’autres sphères, dont certaines doivent pourtant beaucoup à l’Inde : celle de la littérature, par exemple. Ce sous-continent exotique, mystérieux, bigarré, odorant et pullulant, où se mêlent joyeusement sagesse et superstition, le sublime et le

279 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 barbare, se présente presque comme l’antithèse de l’Europe, et pourtant y a nourri plusieurs mouvements littéraires et courants de pensée depuis le XIXe siècle. En France, notamment, attirés ou repoussés, bon gré mal gré, bien des d’auteurs en ont reçu l’empreinte, même si nos dictionnaires et biographies la passent généralement sous silence, comme s’il s’agissait d’un engouement de peu de conséquence. Les romans d’Alfred Assollant comme ceux de Jules Verne nous insistent à explorer le rôle de l’Inde dans l’imaginaire français des années 1860- 1880 ,de succès de ces représentations et de leur transmission jusqu’à aujourd’hui.

Bibliography

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280 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 La langue chantée: Une approche musicale d’enseignement/apprentissage du français

Jaivardhan Singh Rathore Depuis la création de cette planète, la musique était présente. La musique remonte à l’origine de l’humanité aussi. De l’enfance, l’être humain est entouré de toutes sortes de musique. Il y a la musique qui nourrit notre enfance et plus tard elle reste tout au long de notre vie. Cet aspect musical pourrait être exploité d’une manière profonde dans un cours de Français Langue Étrangère. La musique crée non seulement une forme de convivialité dans le cours mais allège également l’ambiance dans la classe. Cela signifie aussi que les étudiants mettent l’accent sur la compréhension globale de la chanson au lieu de la traduire mot à mot. Ainsi, les apprenants deviennent plus autonomes et commencent à repérer le sens du texte. Les chansons montrent aussi la culture, la géographie, la politique et les autres systèmes d’un pays et permettent d’intensifier la connaissance générale et interculturelle de l’apprenant. Cet article aura pour l’objectif d’examiner les théories favorisant la musique dans l’apprentissage/l’enseignement ainsi créer une liaison entre l’apprentissage/l’enseignement du français et les chansons. De plus, les défis auxquels font face les enseignants pendant l’exploitation de musique en cous de FLE, seront évoqués pour y porter des solutions. Mots-clés : La musique, l’apprentissage, l’approche.

Introduction

Les chansons jouent un rôle très important dans la vie de chacun. Depuis la naissance, les chansons bercent notre vie et au fur et à mesure de notre existence nous apprenons un certain nombre de mots, expressions et idiomes par leur biais. Ces chansons permettent un apprentissage, non conscientisé de vocabulaire et de constructions grammaticales. Aussi, quand il s’agit d’apprendre une langue étrangère, pourquoi ne pourrait-on pas s’appuyer sur l’utilisation de ces chansons pour perfectionner et favoriser l’apprentissage ? L’apprentissage d’une langue étrangère a pour but premier de réussir à communiquer dans des situations différentes. Il est facile de connecter ces actes de parole à ceux de chansons et d’envisager l’apprentissage de cet acte suivant ce média. La progression chez les apprenants est toujours spiralaire, il y a une acquisition progressive. Il faut bien comprendre l’importance de “savoir-faire”, “savoir-être” et “savoir-vivre” pour bien absorber une compétence sociale et psycholinguistique. L’apprentissage d’une langue reste toujours un défi pour certains apprenants qui n’arrivent pas à assimiler selon les méthodes traditionnelles. Grâce aux chansons ils ont une alternative d’apprentissage qui leur permettra d’acquérir plus rapidement les capacités de communication. Il y a toujours une variété chez les étudiants et une grande gamme de chansons peut être visée pour les apprenants. Quelques fois les exercices répétitifs dans le cours le rendent difficile et ennuyeux et pour améliorer la situation cela devient important de changer de déroulement.

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Les chansons comme “Outils de l’apprentissage”

Selon Guimbretière la langue chantée « l’avantage de la chanson est de motiver tout d’abord, d’aider la perception de sons nouveaux, de lever certaines inhibitions et donc de permettre une production (linguistique) plus aisée portée en cela par la musique et le rythme »1 Tristan Nihouarn dit « enseigner une langue par la chanson ou le rock, c’est une manière de faire intéressant... Arrivés à l’adolescence les jeunes accrochent plus là-dessus. C’est une manière de faire passer la langue plus facilement »2 Pour Amr Ibrahim « En trois ou quatre minutes, avec un minimum de mots et de constructions, une chanson doit avoir dressé un décor, campé un ou plusieurs personnages, produit une émotion et, éventuellement, livrer un message, en un mot : justifié une production verbale 3» Ainsi on voit qu’un travail sur la chanson en classe de langue peut contribuer à détendre l’auditoire, tout en déclenchant un processus d’apprentissage, comme celui de type phonétique, qui exige le développement des capacités d’écoute, mais aussi endurance et répétition dans la pratique articulatoire. On peut envisager de mélanger deux formes d’exploitation pédagogique : un cours entier autour d’une chanson (avec des activités qui dépassent le cadre strictement phonétique) et ensuite la répétition régulière de l’exercice « langue chantée », qui facilite la détente et la concentration.

Quelques théories pour l’apprentissage musical La musique et l’intelligence

La musique joue un rôle très prépondérant dans l’apprentissage de toute matière et les langues font partie de ce champ des domaines. Il y a des étudiants qui prennent leurs notes chez eux en écoutant la musique qui facilite un apprentissage léger et tranquille. Les étudiants qui s’impliquent beaucoup dans les activités musicales sont très à aise en ce qui concerne l’écoute et la répétition car ils le font habituellement. Leur intelligence musicale se développe et ainsi cela les aide à se perfectionner. Ces étudiants arrivent à se fredonner qu’utiliser tout le corps pour bien incorporer les chansons. Les moments durs de la vie qui arrivent à tout le monde et qui démotivent les gens sont inévitables, alors la musique crée une ambiance assez positive pour se sortir de ces problèmes. Chez les gens qui font de la musique, ils apprécient mieux les chansons de toutes sortes, en plus, ils peuvent comprendre les petites nuances de la musique et les paroles. Ils développent les aptitudes de musique pour la théorie, pour la composition et même pour l’interprétation des chansons. Le cerveau humain apprend tout le temps et est constamment en fonction. Le cerveau développe ses propres conclusions et ainsi, nous pouvons comprendre des notions complexes. Toute chanson est basée sur des émotions qui peuvent renforcer et augmenter l’efficacité de l’apprentissage. Les émotions offrent une source d’énergie aux étudiants dans le cours. Dans les chansons s’il y a une histoire captivante, ou une idée intéressante, cela peut nous permettre de nous identifier à cette histoire et à ces émotions. En plus, quand 1. Guimbretière, E. Phonétique et enseignement de l’oral. Paris : Didier / Hatier, 1994, pp.84. 2. Demari, Jean-Claude. “Une langue vivante pour une musique vivant”. Le français dans le monde 318, Nov-Dec 2001, pp.8-9. 3. Ibrahim, Amr.. “Les professeurs face à la chanson”. Le français dans le monde 131, Aout -Sep 1977, pp.35. 282 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 nous apprenons d’une manière originale, nous nous sentons plus stimulé et proche de la réussite. Dans l’ambiance d’enseignement classique, la tâche principale du professeur est de motiver l’apprenant autonome, plutôt que de le forcer à faire des exercices. De plus, de travailler sur les intelligences spécifiques de chaque étudiant. Selon Howard Gardner il y a huit types d’intelligences qui se trouvent chez les êtres-humains c’est- à-dire qui sont : Intrapersonnelle, Aptitude à accéder à ses propres sentiments et à reconnaître ses émotions; connaissance de ses propres forces et faiblesses, Interpersonnelle, Aptitude à discerner l’humeur, le tempérament, la motivation et le désir des autres personnes et à y répondre correctement, Kinesthésique, Aptitude à maîtriser les mouvements de son corps et à manipuler des objets avec soin , Linguistique, Sensibilité aux sons, aux structures, à la signification et aux fonctions des mots et du langage, Logicomathématique, Sensibilité aux modèles logiques ou numériques et aptitude à les différencier; aptitude à soutenir de longs raisonnements, Musicale, Aptitude à produire et à apprécier un rythme, une tonalité et un timbre; appréciation des formes d’expression musicale, Spatiale, Aptitude à percevoir correctement le monde spatio-visuel et à y apporter des transformations, Naturaliste, Aptitude à discerner l’organisation du vivant. Pour ce qui est l’intelligence musicale c’est liée aux aspects suivants :

Le Cerveau humain et la musique

Le cerveau humain se compose de deux hémisphères notamment l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit4. Ces deux hémisphères sont également importants pour l’être humain où se font les exercices non seulement de l’académique mais aussi de la créativité. Selon Guglielmino5 « Songs bridge the brain’s hemispheres, strengthening retention through a complementary function as the right hemisphere learns the melody, the left, the words »6. Pour apprendre la musique et ensuite les autres matières ces deux parties de cerveau jouent ensemble pour une participation active de ces deux zones. A travers la musique le cerveau commence à établir la relation entre les mots, l’intonation, l’accent, la tonalité ainsi il développe une capacité pour la compréhension des mots difficiles et même des fois les mots inconnus. Cette compétence se fait la base pendant l’apprentissage des langues étrangères où un apprenant est censé apprendre plusieurs nouveaux mots avec leurs bonnes prononciations et la capacité de les écouter d’une façon correcte. Pareillement la musique émane des langues aussi tout en démontrant les qualités rythmiques et tonales des mots.

4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Psycholinguistique consulté le 13 septembre 2017 16h30 Jaipur 5. Guglielmino, L. M. “The affective edge: using songs and music in ESL instruction. Adult Literacy and Basic Education“, 10, (1986). pp.19-26. 6. Les chansons sont comme un pont pour relier les hémisphères du cerveau où l’hémisphère droit retient la musique tandis que l’hémisphère gauche retient les mots. 283 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

De même, la poésie et les textes littéraires emploient les mêmes routes de communication comme se trouvent dans la musique. Des fois les choses qui paraissent compliquées à un apprenant avec un coté logique pourraient être facile pour un apprenant de son coté musicale. La musique favorise complètement l’apprentissage des langues de façon que l’apprenant décode les notations musicales comme il le fait mêmes pour le décodage des langues.

ZPD de Vygotski

La zone proximale de développement7 (ZPD) se situe entre la zone d’autonomie et la zone de rupture. La ZPD se définit comme la zone où l’élève, à l’aide de ressources, est capable d’exécuter une tâche. Une tâche qui s’inscrit dans la ZPD permet à l’élève en apprentissage de se mobiliser, car il sent le défi réaliste. Concept central issu des travaux du psychologue russe Lev Vygotski8, la zone proximale du développement (ZPD) se base sur l’aspect qu’il y a une marge entre ce que l’enfant sait faire tout seul et ce qu’il fera en collaboration avec les autres. La distance entre ces états est comblée par la méthodologie utilisée par les enseignants en ce qui concerne l’enseignement. Cette stratégie s’adapte non seulement selon les besoins langagiers des étudiants mais aussi selon les compétences des professeurs. Pour Vygotski, la ZPD est un écart qui divise ce dont l’enfant est capable quand il travaille seul, de ce qu’il est en mesure de réussir en collaboration avec un adulte ou des pairs. Vygotski ajoute : « ce que l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain ». En conséquence, l’efficacité dans l’apprentissage consisterait à anticiper sur le développement, dans les limites, évidemment, de la ZPD. Quant aux chansons, ils servent une meilleure façon de combler ce fossé entre d’où on commence et où on va. A travers les chansons les activités qui se déclenchent en collaboration pourraient s’achever comme les acquisitions linguistiques et sociolinguistiques.

La musique et la mémoire (déclarative et non déclarative)

Tout apprenant possède une mémoire qui se développe au cours de son apprentissage. Il y a deux parties de mémoire la mémoire déclarative et la mémoire non déclarative9. La première nous sert à l’apprentissage des habiletés qui inclus des habitues et les savoir faire sans faire d’efforts que l’on sait faire « par exemple faire du ski, composter un billet » tandis que l’autre nous permet d’exprimer une connaissance pour « déclarer » ce que nous pouvons faire en retenant un souvenir à la mémoire. La première est considéré « Mémoire non déclarative » ou « procédurale » ou encore « implicite ». La seconde est appelée mémoire déclarative ou explicite. Les fonctionnements des ces deux mémoires sont différents. La première est inconsciente car c’est un « savoir faire » mais l’autre est conscient « savoir que ». Nous avons tous depuis notre enfance en mémoire une chanson particulière dont nous nous souvenons de l’année et des circonstances où nous l’avons écoutée. L’association entre la musique et les souvenirs personnels est fréquente et resserrée, soit ce sont des chansons de musique folklorique, de musique classique, de chansons populaires : certaines musiques jalonnent notre mémoire autobiographique, voire de notre identité.

7. Concept central dans les travaux de Vygotsky. http://www.definitions-de-psychologie.com/fr/ definition/zone-proximale-de-developpement.html consulte le 14 septembre 2017 16h00 Jaipur 8. Vygotski, L. Pensée et langage. Paris : éditions sociales (1985) pp.87 9. Coutrtillon. J., Elaborer un cours de FLE, Paris, Hachette, coll. F, 2003. pp.45 284 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Qu’est-ce que la « mémoire musicale » ? Bien que la mémoire soit complexe et présente de multiples facettes, plusieurs des dimensions sont liées au domaine de la musique. Tout d’abord, elle peut passer selon un mode volontaire, contrôlé, explicite, ou mode conscient, ou selon un mode involontaire, automatique, implicite, ou mode inconscient. En effet, nous mémorisons les choses qui nous entourent soit en faisant un effort mental afin de retenir des informations, ce qui fonctionne par des stratégies de répétitions ou d’associations de ces informations – mode conscient –, soit sans faire d’effort particulier – mode inconscient. En qui concerne les chansons dans un cours de FLE, elles jouent un rôle fondamental pour améliorer la mémoire des apprenants en passant par la mémoire déclarative vers la mémoire non déclarative. En faisant écouter une chanson dans un cours de FLE pour aborder la notion de subjonctif pour la première fois a travers la chanson par exemple « Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion », cela serait assez intéressant d’incorporer la notion de subjonctif avec la partie « pour que ». A ce propos que penser des exercices à trous où l’on demande à l’étudiant de donner le subjonctif, ils font bien sur appel à la mémoire déclarative mais ils ne permettent pas de s’engager dans une « procédure ». On aurait plus de chances d’obtenir l’insertion de subjonctifs dans la mémoire procédurale en demandant aux étudiants de rédiger les petits consignes pour réaliser l’emploi du temps personnalisée à un ami ou les phrases commençant par les phrases comme « il faut que » etc. c’est à travers ces activités qu’on pourrait développer la mémoire procédurale chez les apprenants lors d’utilisation des chansons. Les étudiants écoutent et répètent la chanson plusieurs fois et elle s’ancre dans les cerveaux des apprenants. Il faut quand même arriver à discriminer les exercices qui peuvent déclencher des habiletés (le jeu de rôles en est un) de ceux qui font appel qu’à la mémoire déclarative. Les pratiques fondées sur la mémoire procédurale devraient précéder celles fondée sur la mémoire déclarative et leur être supérieur en temps et en quantité. En ce qui concerne la répétition des chansons en les chantant, elle se fait une toute autre stratégie importante dans les premières phases de l’unité de didactique. Cela commence quand les étudiants répètent à voix haute pour chanter ensemble et pour améliorer leur prononciation en même temps. Après la répétition et la mémorisation de ces phrases qui se trouve dans les chansons, les activités comme jouer une scène a deux pourraient être amorcée. Plusieurs personnes peuvent y essayer. Cette pratique n’est pas monotone et s’avère comme la remémoration. Même à l’écrit les questions qui incluent la formulation de subjonctif comme « il faut que », « c’est nécessaire que » etc. pourrait être utilisée auxquelles les élèves répondent en écrivant. Ou bien la chanson de Pink Martini « Je ne veux pas travailler »

Autonomie

Louis Porcher dit « Elle constitue à la fois un but et un moyen d’acquérir une capacité à communiquer (et à apprendre). Son principe est le suivant : seul l’apprenant, personne ne peut le faire à sa place et le professeur doit résister à cette tentation. Il n’est qu’une aide à l’apprentissage et c’est une fonction capitale et particulièrement délicate. L’autonomie complète n’est jamais atteinte, on est toujours en voie d’autonomisation : il faut donner à l’apprenant les moyens d’exercer sa responsabilité sur son apprentissage et le mettre

285 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 en situation pour le faire. C’est seulement ainsi qu’il apprendra et aura attitude active à l’égard de la langue »10 La capacité de l’apprenant d’apprendre en charge de son apprentissage. Il s’agit pour l’enseignant de permettre à l’apprenant d’apprendre la langue lui-même. C’est-à-dire l’enseignant doit comporter des activités pédagogiques qui vont permettre à l’apprenant d’apprendre à apprendre une langue étrangère. « L’autonomie est donc un but, mais, en même temps, un instrument d’apprentissage, un moyen a ne pas négliger sur la voie d’apprentissage » C’est à travers les chansons que les étudiants deviennent autonomes en les chantant eux- mêmes après les cours. Cela les aide à perfectionner leur langue et ainsi les rend compétents pour pouvoir utiliser les structures déjà apprises des chansons pour communiquer avec leurs amis dans leur entourage.

Les situations actuelles d’inclusions des chansons dans l’apprentissage

Au cours de cette recherche, le problème majeur que nous avons pu rencontrer était le non compatibilité du professeur de français et des chansons en français. C’est un facteur important car sans le consentement et l’implication des professeurs de langues on ne peut pas penser aux chansons françaises à être utilisées comme un outil d’enseignement et d’apprentissage dans la classe de langue française. L’incorporation des chansons françaises n’est pas possible jusqu’à ce que les professeurs de langue ne se trouvent pas à l’aise avec l’utilisation de chansons dans la classe de langue étrangère. Il ya beaucoup de professeurs de langues qui ne considèrent pas l’utilisation de chansons importantes dans la classe en raison de nombreuses raisons. Les raisons englobent les questions de temps pour terminer les chapitres, le manque d’intérêt des professeurs pour la musique et les chansons, la mauvaise connaissance ou aucune connaissance de l’utilisation du chant dans une classe de français et surtout la timidité des professeurs de français de chant dans la classe En raison du manque de confiance et la peur d’être moqué par les étudiants. Il est urgent que la formation des enseignants de langue française soit menée à la plus grande priorité pour être à l’aise avec l’utilisation des chansons. Ce confort ne traite pas seulement de la capacité de chanter dans la classe avec les étudiants, mais en même temps traite de la notion de la conduite d’une classe à l’aide de chansons. En même temps, la motivation parmi les enseignants est également un facteur important qui pourrait augmenter ou diminuer l’implication des chansons parmi la classe en raison du facteur d’intérêt de l’enseignant. La sensibilisation des enseignants à l’utilisation et à une meilleure exploitation des chansons dans la classe est un autre thème important qui a été généré par la recherche actuelle. Le principal problème auquel se confrontent les professeurs lorsqu’ils utilisent les chansons et le matériel pédagogique supplémentaire pendant les heures de cours, est représenté par des éléments de grammaire qui ne correspondent pas au standard linguistique et par l’image non–conformiste des interprètes de musique pop. Dans la plupart des cas, ces éléments de grammaire qui s’écartent de la norme de la langue standard induisent en erreur les 10. Porcher, L. L’enseignement des langues étrangères. Paris : Hachette Education FLE. (2004) pp.36. 286 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 apprenants, surtout à cause du fait que certaines langues cible de ce projet ne sont pas fréquemment utilisées ou enseignées. Puisque toutes les chansons ne sont pas adéquates aux cours de langues étrangères, les professeurs de spécialité doivent recourir à leur entière expérience et compétence au moment où ils choisissent les chansons qu’ils voudraient employer, parce que cette étape représente le premier pas efficace et de bonne qualité. Ce qui est le plus important, c’est que les enseignants de langues acceptent les changements dans le domaine de l’enseignement de l’apprentissage et s’adaptent ainsi aux nouvelles méthodologies et techniques d’enseignement. Les changements dans les méthodologies sont un phénomène en constante évolution et continueraient à jamais. Par conséquent, la nécessité de l’heure est de s’adapter soi-même en fonction des besoins changeants des étudiants et de l’environnement. Selon la nature musicale et l’élément chargé de chansons de la culture indienne, la musique et la partie chanson dans l’atmosphère d’enseignement ne peut être évitée à tout prix. Grâce à cette recherche, nous avons essayé de mettre en avant l’aspect que par l’incorporation de chansons et de musique dans l’élément d’enseignement et d’apprentissage, l’étudiant peut être porté à un plus haut niveau de compréhension de la langue. Au premier front, il faut une acceptation par l’enseignant de la langue à l’association de la musique et de la pédagogie d’enseignement et une fois qu’ils sont convaincus que l’enseignement pourrait être fortement amélioré avec l’implication des chansons et de la musique, puis commence l’effort pour préparer les enseignants pour le même. Il y a une énorme pénurie de programmes de formation des enseignants en ce qui concerne la musique et les chansons dans la pédagogie pédagogique. La crainte du mauvais chant ou simplement le chant lui-même est encore ancrée parmi le professeur qui ne leur permet pas de chanter dans la classe. En même temps l’absence de l’expertise pour utiliser des chansons existe qui ne leur permet pas d’utiliser des chansons dans la classe. Ainsi, ce qui est nécessaire, ce sont les formations intensives spécialement pour les enseignants de langue afin qu’ils puissent utiliser plus de chansons dans leur classe d’une manière efficace. L’implication de plus en plus d’enseignants entraînerait également un changement chez les élèves qui les préparerait à une certaine concurrence en français, par exemple « l’idole indienne » pour les élèves qui pouvaient bien chanter en français a été ouverte depuis longtemps. De plus, l’événement «chansons sans frontière» qui encourage les jeunes apprenants français à les écrire et à les exprimer en français est une merveilleuse opportunité pour les apprenants de langue française de présenter leur talent au niveau international dans le domaine du français.

La conclusion

La culture indienne est pleine de musique et de chansons mais malheureusement il ya une appréhension chez les professeurs de langue de chanter et d’utiliser les chansons de langue française dans la classe. L’écart doit être comblé par plusieurs efforts continus. La sensibilisation des enseignants doit être faite pour l’incorporation des chansons à travers ces formations et ateliers afin qu’ils puissent comprendre les avantages que les chansons portent en elles pour améliorer le langage des compétences chez les étudiants. En même temps, les professeurs qui ont peur de chanter doivent être rassurés de la même façon qu’on pourrait être conscient de parler en français dans un premier temps dans la classe, mais au fur et à mesure, on y est à l’aise. Plus que de chanter correctement, il est

287 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 important de chanter. La beauté du chant pourrait être améliorée par les séances de karaoké qui sont disponibles sur Internet. Plus, les enseignants s’impliquent eux-mêmes; plus ils seraient à l’aise avec l’utilisation de chansons dans la classe. Les angoisses initiales et les appréhensions disperseraient avec l’utilisation continue des chansons dans la classe. Cette facilité les rendrait à l’aise dans l’exploitation des chansons dans la classe. Ce sont seulement ces professeurs qui pourraient encourager leurs élèves à participer à certaines compétitions de langue française. Ils aideraient les étudiants à affiner leur créativité de parler, d’écrire ou d’échanger en français et ainsi améliorer leurs compétences linguistiques en les mettant à un meilleur état que les autres étudiants. “Words make you think a thought. Music makes you feel a feeling. A song makes you feel a thought.” – E.Y. Harburg

Bibliographie

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288 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Le récit d’un voyage est le miroir de la société : Une étude de « Lettres Persanes » comme une source d’activités ludiques en FLE

Manali Agarwal

Résumé

Un récit de voyage est un genre littéraire dans lequel l’auteur rend compte de ce qu’il a vécu lors d’un voyage. Cela compte toutes les expériences personnelles concernant d’un ou des voyages, des peuples rencontrés, des émotions ressenties, des choses vues et entendues. La plus importante caractéristique de ce genre de littérature qui la différencie des romans est sa nature d’être réelle. Le récit du voyage s’avère un excellent support pédagogique pour bien apprendre la langue étrangère .Par le biais d’un récit du voyage l’auteur nous emmène vers un autre monde extérieur, vers une autre terre étrangère et nous explique des mœurs et des propres valeurs de cette civilisation .En outre, cette expérience donne un regard extérieur vers une culture inconnue. Donc, par ce genre de littérature le lecteur a une belle occasion de voyager d’outre mer et de goûter les cultures et les traditions d’un pays inconnu tout en restant chez lui en ne lisant que les expériences de l’auteur. Cette idée pourrait être bien comprise par le roman épistolaire « Lettres Persanes » de Montesquieu où deux personnes Usbek et Rica visitent Paris pendant 18 siècle où ils dévoilent la société française et ses systèmes comme la loi, le gouvernement, les mœurs etc. Cet article focalise sur l’usage du récit du voyage comme une activité ludique à fin de bien expliquer la culture et les mœurs d’un pays étranger par un œil extérieur et surtout dévoiler la condition de la femme à cette époque-là. Mots-clés : Récit du voyage, Nouvelle Culture, Regard extérieur, la femme au siècle de la lumière, Activités Ludiques.

Introduction

Le voyage forme un moyen inévitable pour rencontrer l’autre, et sentir la différence. Le voyage est en effet, le commencement d’une nouvelle appréhension de soi et de l’autre. On peut poursuivre un voyage dans deux manières : d’une manière réelle ou imaginaire. Dans le premier cas, on entreprend soi -même un voyage et expérimente les nouvelles cultures et les nouvelles terres en déplaçant physiquement. Dans le deuxième cas, c’est l’esprit qui fait le voyage et donc, on poursuit un voyage par le biais de quelqu’un d’autre. Le récit du voyage est donc une meilleure façon de voyager mentalement avec l’auteur où il fait voyager ses lecteurs par ses propres expériences. Un des meilleurs exemples de cette sorte est le roman épistolaire de Montesquieu « Les Lettres persanes » qui sont publiées en 1721. Cela raconte un voyage des deux seigneurs persans Usbek et Rica qui entreprennent un voyage en France de 1712 à 1720. Ils écrivent des lettres à leurs amis en Perse décrivant leurs expériences en France et leurs observations et leurs impressions sur la société française

289 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

.En retour, ils reçoivent également des lettres de leur propre pays contenant les novelles de leur sérail à Ispahan. Les deux voyageurs sont restés pour huit années en France où ils ont eu l’occasion de bien observer les mœurs et les traditions de la société française. Leur interaction avec les gens français permet de bien comprendre les coutumes, la loi, la situation religieuse et politique, et fait un rapport pour leurs amis en Perse. Pendant leur séjour à Paris Rica et Usbek échangent 161 lettres avec 25 correspondants différents : amis, épouses, eunuques, ce qui leur permet d’aborder les grands sujets de l’époque. Par son œuvre, Montesquieu a essayé de montrer la différence entre les cultures de deux civilisations : l’orient et l’occidentale et cela évoque également la différence dans la condition des femmes et leur statut dans ces deux pays.

Les femmes dans les Lettres persanes

Pendant leur voyage, les deux voyageurs ont constaté plusieurs situations interculturelles qu’ils ont exhibées dans leurs lettres. Et une de ses chocs interculturels est la différence dans le statut de la femme entre l’orient et l’occidentale.

La différence des pratiques culturelles entre les femmes de deux pays

L’objectif principal de l’auteur est très certainement de critiquer la société française du 18e siècle, mais l’auteur cherche également à divertir son lecteur. Et ainsi, Usbek fait des éloges de la tradition orientale concernant la femme et, dans une lettre adressée à sa femme Roxane au sérail, il critique la femme européenne tout en rappelant une pratique culturelle donnant à la femme persane le droit de se servir des énuques. Il dit à cet égard « ... Les femmes y ont perdu toute retenue : elles se présentent devant les hommes à visage découvert, comme si elles voulaient demander leur défaite ; elles les cherchent de leurs regards [...] l’usage de se faire servir par des eunuques leur est inconnu. » En effet, il y a d’autres épisodes qui racontent leur mécontentement de plusieurs valeurs occidentales surtout dans le cas des femmes. Selon eux, ils n’font pas attention aux morales de leurs femmes. « Ils ont une manière de recevoir leurs hôtes qui n’est point du tout persane. Dès qu’un étranger entre dans une maison, le mari lui présente sa femme : l’étranger la baise ; et cela passe pour une politesse faite au mari. » Donc, ils ne comprennent pas leurs habitudes, coutumes et manières. Et tout cela les étonne. Au contraire les femmes perses même n’ont pas le droit de s’exposer aux regards d’un homme autre qu’eux.

La femme : Métaphore de beauté

Dans Les lettres persanes, les femmes sont souvent représentées à la toilette. Les normes de beauté et les différentes étapes de la toilette quotidienne sont décrites de manière rigoureuse par Montesquieu. Le premier objectif de la femme perse est de combler son époux, de devenir sa favorite. Pour cela, elle doit chercher à se montrer toujours plus belle et élégante que les autres épouses.

290 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

« Chacune de nous se prétendait supérieure aux autres en beauté. Nous nous présentâmes devant toi après avoir épuisé tout ce que l’imagination peut fournir de parures et d’ornements. » (III). La beauté qui caractérise ici les femmes perses semble être maintenue dans l’unique but de plaire à l’époux, tous les efforts possibles et imaginables étant bons pour y parvenir. Ainsi, la femme perse, qui vit au sérail est représentée de manière très sensuelle. Les femmes sont animées par « L’ardeur de (te) plaire ». Montesquieu utilise beaucoup d’expressions à fin d’éveiller l’intérêt de son lecteur et rend ainsi les descriptions plus vivantes. Par exemple, Fatmé ne va jamais se coucher sans s’être parfumée des « essences les plus délicieuses ». Les hyperboles sont aussi fréquemment utilisées par Montesquieu pour décrire la beauté de ces femmes. Elles apparaissent alors comme être presque divines, d’un autre monde, extraordinaires. Au contraire, il évoque dans une des lettres la toilette des femmes françaises de manière ironique : « Il n’y a rien de plus sérieux que ce qu’il se passe le matin à la toilette, au milieu des domestiques ; un général d’armée n’emploie pas plus d’attention à placer sa droite ou son corps de réserve qu’elle met à poser une mouche. » L’antiphrase « rien de plus sérieux » est définitivement utilisée de rendre les femmes d’Occident ridicules.

La mode en France

Ainsi, Rica, dans la XCIXe lettre, parle de la mode en France. Là où les femmes orientales apparaissaient comme sensuelles, les femmes d’Occident sont tournées au ridicule : «Les coiffures montent insensiblement [...] il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même.» Rica, celui qui est en général plus tolérant et compréhensif vers les coutumes françaises par rapport à Usbek, va plus loin : « Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser, d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient ce changement ». Il donne une critique profondément comique de la femme du 18e siècle. Dans la LIIe lettre, destinée à son compagnon, Rica se moque des femmes qui, malgré leur âge avancé, cherchent encore à séduire. Il rapporte la conversation qu’il a eue avec une jeune femme de vingt-deux ans : « Que dîtes-vous de ma tante qui, à son âge, fait encore la jolie ? » Il faut tout de même retenir que les femmes perses et occidentales sont représentées de manière bien différente dans Les Lettres persanes : les unes sont sensuelles, attirantes et mystérieuses alors que les autres sont ridicules. Le but principal est de faire rire les lecteurs.

Le statut et le rôle de la femme en Perse

La femme en Perse n’avait pas de liberté individuelle, et elles sont tout à fait dominées par leurs maris. Elles sont même considérées une race inférieure à l’homme. De plus, la femme dispose du moins de droits et qu’elle est le plus dépendante de son époux. C’est toujours l’homme qui contrôle tous les actes de sa femme. Pour soutenir ce point ils prennent l’aide de la religion. Selon eux, si la femme dispose de si peu de libertés, c’est parce que Dieu en a décidé ainsi. Les Prophètes Mahométans ont clairement réglé les droits de l’un et de l’autre sexe : « Les femmes, dit-il, doivent honorer leur mari ; leur mari doivent les

291 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 honorer : mais ils ont l’avantage d’un degré sur elles. » Par exemple, Zélis, une des épouses d’Usbek, accepte l’idée que l’homme est d’une race supérieure à la sienne. On utilise souvent des mots « faiblesse », « désavantage », « soumission» pour décrire les femmes et à cause de l’influence de la religion musulmane en Perse et de son discours que la femme est privée de toute liberté. Il est intéressant d’analyser le regard des deux seigneurs perses quant à la liberté des femmes en Occident : - Selon Usbek, « elles y ont perdu toute retenue : elles se présentent devant les hommes à visage découvert [...] l’usage de se faire servir par des eunuques leur est inconnu. » Il y voit une « impudence brutale à laquelle il est impossible de s’accoutumer. » (XXVI).La femme française est donc présentée d’une manière ridicule.

Femme comme un objet

Pendant tout le roman, la femme persienne, apparaissent comme être des objets dans le sérail, la propriété exclusive des hommes. D’ailleurs, Usbek ne séduit pas ses épouses, mais les achète comme des matériels : « Dès que je l’eus jugée digne de toi [...] je lui mis au doigt un anneau d’or [...] Je payai les Arméniens » (LXXIX). Les femmes ne disposent d’aucune liberté. Elles sont surveillées par des eunuques (des hommes castrés) qui sont « le fléau du vice et la colonne de la fidélité ».

La comparaison entre les droits des hommes et des femmes

A cette époque là, il y avait une grande différence entre les droits des hommes et des femmes. Une multitude de choses sont permises aux hommes alors qu’elles sont interdites aux femmes. Par exemple, la polygamie est autorisée pour les hommes mais la femme est restreinte d’un seul mari. La limitation de la liberté de la femme est jugée par le fait qu’elles ne peuvent même recevoir ou fréquenter les personnes qu’elles souhaitent. Il leur est interdit de regarder ou de se montrer devant un autre homme que leur mari, ni même devant un eunuque blanc. Si une des femmes se trouve en compagnie d’un inconnu, elle serait immédiatement mise à mort. Elle doit vivre selon le désir de leur époux si non, elle pouvait être punie pour ne pas respecter fidèlement les règles strictes du sérail.

La prise de la position par la femme

Au début du roman, la femme n’est qu’un objet pour les hommes, mais cette situation est bouleversée lorsque Roxane, la femme préférée d’Usbek commet un double crime, la rébellion et l’adultère, Elle donne une image totalement différente de la femme orientale, et se présente plutôt comme la femme occidentale. Lorsque Roxane évoque dans son ultime lettre l’exécution de son amant, elle utilise seulement quelques mots blessants et humiliants pour Usbek, qui, pour la première fois n’apparaît plus en maître incontestable du sérail, mais en époux outrage. Son suicide s’avère l’ultime acte de sa revendication de liberté. Elle rejette tous les interdits de la religion et se libère certainement de l’empire d’Usbek. Avec ce personnage féminin, pour la première fois Montesquieu donne une représentation bien différente de la femme. A la fin, l’âme de Roxane s’est finalement réveillée et refuse de se soumettre aux règles arbitraires fixées par la religion et ainsi, refuse toute domination, malgré l’immense pouvoir de son époux. 292 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Dans Les Lettres persanes, Montesquieu donne différentes représentations de la femme, La femme orientale apparaît comme extrêmement sensuelle, en particulier au moment de la toilette, alors que la femme occidentale est tournée au ridicule, Montesquieu cherche ici à divertir.

Présentation de Lettres persanes comme une activité ludique

L’enseignement de la littérature n’est pas une tâche si facile. Pour certains c’est vraiment ennuyeux de maintenir leur intérêt pendant le cours de la littérature. Mais, ce n’est pas toujours le cas, la littérature pourrait être aussi intéressante si on l’introduit d’une manière ludique. Ici, on essaie de présenter le récit du voyage « Les Lettres persanes » comme une activité ludique en proposant quelques activités intéressantes.

Fiche Pédagogique

Niveau B1-B2

Thème Les femmes aux siècles des Lumières

Objectifs Culturels/ Découvrir l’esprit, le gout et la sociabilité du XVIIIe siècle. Interculturels Connaitre le débat d’idées sur la place des femmes dans la société XVIIIe siècle, tels qu’ils sont traites par différents philosophes des lumières

Objectifs Compréhension orale/audiovisuelle : Comprendre une lecture Communicatifs théâtralisée d’un texte, une scène de théâtre filmée. Expression Orale/Interaction Orale : Parler d’un auteur, intervenir dans un débat d’idées. Compréhension écrite : Lire des extraits e pamphlets et des textes historiques du XVIIIe siècle ainsi que des extraits de pièces de theatre. Expression écrite : Rédiger des résumes, des propositions de règlement.

Objectifs Lexique : Qualités des femmes et des hommes, droits et discriminations Langagiers Grammaire : Caractéristiques du discours argumentatif, interrogations rhétoriques, présentation d’exemples, etc.

Activités supplémentaires

Activité1 : Expression orale (une activité théâtrale): Présentation de la situation de la femme du 18 siècle en France et en Perse en faisant en comparaison entre les deux par une pièce de théâtre.

293 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Activité 2 : Expression Ecrite: Les élèves sont demandés de créer à leur tour une lettre fictive : « Imaginez qu’un étranger vienne visiter votre pays, votre ville et écrivez à un ami de son pays pour raconter ce qui le surprend. »

Conclusion

Pour conclure, Les Lettres persanes sont un roman décrivant le dynamisme du siècle. A travers ce roman épistolaire l’auteur a bien tenté de montrer les différences entre les deux pays de l’orient et l’occident en montrant leurs cultures et leurs mœurs. En utilisant la forme du témoignage pour montrer l’exotisme de la société française à travers les yeux des deux voyageurs persans, Les Lettres persanes constituent clairement un ouvrage critique. En effet, c’est une satire sur les mœurs et des institutions françaises et t montre également une ironie sur le statut de la femme à cette époque -là. Par ailleurs, cet œuvre nous donne l’occasion de bien comparer l’égalité et la liberté des femmes orientales et des femmes occidentales.

Bibliographie

Lettres Persanes : 1. A.Lagarde, L.Michard, Collection Littéraire Lagarde et Michard, 18th Century, Paris, 2001 Sitographie : 1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettres_persanes

294 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Voyage et Ecriture: Connais-toi toi-même

Alok Pathak

Résumé

Depuis l’aube de l’humanité, la réflexion sur l’existence humaine, « Qui suis-je ? » constitue la base de chaque culture et école philosophique. Pour le philosophe grec, Socrate, cette méditation sur la vie humaine est ‘le souci de soi-même’ : l’un doit s’occuper de soi-même et ne pas s’oublier soi-même. La question est comment déchiqueter ce ‘je’ qui fait partie de l’individu ? C’est seulement possible si nous le traitons d’une distance comme un autrui : « Je est un autre » disait Rimbaud. Et le voyage fournit cette opportunité. Il nous permet de saisir les contours de ce ‘je’ mystérieux dont nous sommes constitués. En arrivant en Inde de l’Europe, Nicolas Bouvier découvre les autres sociétés et leur culture, et par conséquent il se découvre à travers ces ‘différences’ entre le soi et l’autre. Cette différence et cette diversité offertes par le monde permet l’écrivain à saisir les nuances subtiles de la vie humaine : se connaître par soi-même. Un récit de voyage, qui est constitué de deux termes : le voyage et l’écriture, devient la double tentative de méditer sur le ‘je’ à travers l’autre. Le retour au souvenir du voyage (le voyage ‘psychique’) au moyen des mots (le récit de voyage) ouvre le passage pour connaître l’altérité de soi-même. Les mots-clés : Le soi, l’autre, le voyage, l’écriture, la méditation. L’un des thèmes fondamentaux que l’on peut remarquer dans chaque culture est la réflexion sur l’existence humaine. Ce ne serait pas une exagération à dire que cette réflexion sur la raison d’être est la base de la philosophie. Les questions telles que : comment définir un être humain, un individu sont le noyau de chaque philosophie. Autrement dit, la formule célèbre de Montaigne « Qui suis-je ? » a toujours déconcerté l’humanité. Pourrions-nous, si possible, explorer tous les aspects de notre existence ? « Le soi », se limite-t-il à l’apparence extérieure ou y a-t-il d’autres nuances ? Dans cet article nous essayerons d’analyser comment le voyage et l’écriture dans la forme du récit de voyage élabore l’horizon de la compréhension du soi. Nous nous référerons tout au long de cet article à un essai de Michel Foucault, L’Herméneutique du sujet. Foucault en conceptualise la genèse de cette question et la place à l’époque de Socrate. Il explique que pour Socrate la vérité ne réside pas dans l’acte de connaissance. Elle n’est pas donnée directement au sujet : la vérité n’est pas donnée au sujet par un simple acte de connaissance… il faut que le sujet se modifie, se transforme, se déplace et devienne dans une certaine mesure… autre que lui-même pour avoir droit à accès à la vérité.1

1. Michel Foucault, 1981-1982, « L’Herméneutique du Sujet », http://michel-foucault-archives.org/spip. php?article182, p.9, consulté le 12 février 2017. 295 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

Il est important pour le moment à retenir les mots comme : se transforme, se modifie, se déplace et autre que lui-même, auxquels nous reviendrons dans la deuxième partie de notre travail. Ainsi, dans les mots simples, la vérité n’est pas un produit fini que nous pouvons procurer mais plutôt se manifeste dans le processus que nous employons pour la chercher. Cela veut dire que la vérité existe à l’intérieur d’un individu et non pas à l’extérieur. C’est pour cette raison, l’homme doit aller à la profondeur du soi, à l’intérieur du soi pour atteindre cette réalité : « qui suis-je ». Platon en citant Socrate intitule ce processus comme « le souci de soi-même » (epimeleia heautou). Il faut que tu t’occupes de toi-même, il ne faut pas que tu t’oublies toi-même, il faut que tu prennes soin de toi-même2. Revenons aux mots soulignés au-dessus : autre que lui-même, se modifie et se transforme. Attardons un petit peu sur ‘autre que lui-même’. Que saisissons-nous par ce mot ? Faut-il qu’un homme devrait cesser d’être ce qu’il est et devenir quelqu’un d’autre ? Non. Autre que lui-même veut dire que le sujet doit dévoiler ce ‘je’ mystérieux, ce ‘je’ de l’intérieur qui se distingue du ‘je’ de l’extérieur et intégrer les deux ‘je’ pour recréer le soi dans le but de comprendre ‘qui suis-je’. Et la question à laquelle fait face l’homme tout de suite dans la recherche de la vérité est comment déchiqueter ce ‘je’ ? Rimbaud mène un pas vers la solution de cet énigme en soulignant ‘Je est un autre’3. Cette phrase courte mais complexe met en lumière que dans le but de comprendre ce ‘je’ mystérieux, il y a une nécessité de le traiter d’une distance et de le prendre comme ‘un autre’ : une altérité. Et le voyage, l’art (peinture, littérature) fournit cette occasion. Le voyage nous permet de saisir les contours de cette ‘altérité’ dont nous sommes constitués. Dans le but de comprendre la notion du ‘voyage’, nous l’analyserons dans ses divers aspects : d’un sens général donné dans le dictionnaire au sens philosophique. Le dictionnaire ‘Le Petit Robert’ le définit comme déplacement d’une personne qui se rend en un lieu assez éloigné.4 Le mot ‘déplacement’ nous amène directement à la phrase mentionnée au-dessus : il faut qu’il (le sujet) se déplace, se transforme… et ainsi met à jour le lien entre la déconstruction du soi et le voyage. Analysons encore une fois cette définition, le déplacement d’une personne qui se rend en lieu assez éloigné. Il devient nécessaire de prendre en compte la polyvalence du terme ‘lieu assez éloigné’. Ce terme montre qu’un voyage peut être à la fois à l’extérieur du soi (visiter un endroit ou un pays inconnu, par exemple le cas de Nicolas Bouvier) et à l’intérieur du soi (la méditation sur soi : Essais de Montaigne). Et dans les deux cas, l’écriture joue une fonction considérable que nous analyserons dans la deuxième partie de l’article. A l’aide du livre L’usage du monde5 de Nicolas Bouvier, nous analyserons le premier sens du mot ‘voyage’ : voyage à l’extérieur du soi. Dans cette œuvre, Bouvier décrit son parcours de l’Europe jusqu’à l’entrée en Inde. Mais ce qui nous passionne, nous attire et nous fascine chez Bouvier n’est pas son itinéraire géographique mais des expériences et des difficultés qu’il a eu durant le voyage ainsi révélant un autre aspect du voyage souvent négligé par la majorité des touristes : le déclencheur du changement. C’est-à-dire, le voyage nous montre la vérité et amène des changements dans l’homme pour qu’il puisse atteindre cette vérité (« qui suis-je ? »). L’être humain devient dynamique grâce à ces transformations. D’ailleurs,

2. Ibid., p.3. 3. Arthur Rimbaud dans une lettre à Georges Izambard, le 13 mai 1871. 4. Le Petit Robert dictionnaire, version électronique 2009. 5. Nicolas Bouvier, 1963, L’usage du monde, coll. Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Paris, Ed. Payot 296 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 tout ce qui bouge, se déplace et change est considéré vivant ou animé et son contraire étant mort. Donc, c’est le temps de reformuler la phrase de Descartes afin de dire « je voyage donc je suis ». Mais est-ce que ne sommes pas- nous tout le temps en mouvement, en voyage ? Par exemple, la terre tourne autour du soleil, le soleil autour du centre de l’univers etc. Alors comment savoir quel forme du voyage produit des changements dans l’homme ? En vérité, tout type de voyage ne nous aide pas à « se connaître ». Car le choix d’endroit ne compte pas mais plutôt l’acte de partir, de voir l’inconnu et de rencontrer la nouveauté qui donne le sentiment d’une nouvelle vie, d’un nouveau ‘je’. Comme souligne Marcel Proust : le seul véritable voyage... ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autre, de cent autres, de voir les cents univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.6 Les yeux qui pourraient dévoiler les faits cachés ainsi nous permettant à bien saisir les autres. Cependant il faut être réceptif, ouvert d’esprit et prêt à accepter des changements, des différences minutieuses ou grandes. La plupart d’entre nous visitent l’autrui (endroit ou des autres) et se contentent de son apparence extérieure (observation phénoménologique) qui limite considérablement notre compréhension de l’endroit ou de l’autre et par conséquent du soi. Mais Bouvier dans ce livre montre comment, en étant voyageur conscient et éveillé, nous pouvons comprendre le sens profond de nos alentours et enfin savoir pourquoi cette différence est différente et, par la suite, qu’est-ce qui nous sépare des autres. Quand le rapport de consommation entre l’être humain et le voyage change, l’homme ne reste plus un acteur mais c’est le voyage qui prend désormais ce rôle. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.7 A l’égard de cette citation, nous pouvons passer à la question suivante : comment le voyage nous fait ou défait car ce n’est qu’en nous déconstruisant et ensuite reconstruisant que le voyage nous fait approcher vers le ‘je’ mystérieux. En fait, la première étape pour le souci de soi-même est la sensibilité vers le soi et la conscience du soi qui ne viennent que quand le sujet est prêt à bien comprendre l’autre. L’autre devient une partie intégrale dans l’appréhension du soi. Et le voyage réalise cette assimilation du soi et de l’autre. Le voyage nous éloigne de tous les clichés, de préjugés et d’images pour que notre corps et notre esprit puissent accueillir la nouveauté, la variation présente dans l’autre. En le faisant, d’un côté le voyage améliore notre vision du monde et la rend plus universelle et de l’autre côté il crée un vide chez nous en effaçant ces compréhensions toute-faites. Le vide où ne se trouve que l’essence de l’existence humaine, le ‘soi’ de base et non pas le soi construit par les normes, les règles et les contraintes sociales. On pourrait peut-être le comparer au soi primitif du Rousseau quand il dit : l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt8. Dans le cas de Nicolas Bouvier, le voyage nous ramène encore à cet ‘état primitif’, une vie sans bagages précédentes, pour que nous puissions saisir de nouveau nos alentours : la vertu d’un voyage c’est de purger la vie avant de la garnir9. Il faut se débarrasser de toutes

6. Marcel Proust, 1923, La Prisonnière, Paris, Editions de la Nouvelle Revue Française, p.69. 7. Nicolas Bouvier, L’usage du monde, p.12. 8. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes, http://la-philosophie. com/homme-nait-bon-societe-corrompt-rousseau, consulté le 12 janvier 2017. 9. Nicolas Bouvier, L’usage du monde, p.30. 297 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 les images préconstruites et préconçues pour comprendre les autres car c’est à travers les autres que nous pouvons atteindre l’intérieur du soi. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sur.10 Dans les phrases citées ci-dessus, nous pouvons remarquer que pour cet écrivain-voyageur, le voyage est comme un moteur qui change notre vision du monde : c’est-à-dire la manière dans laquelle nous traitons nos alentours et nous-mêmes. Et c’est cette transformation et l’évolution du soi que comprend Foucault par la notion du « souci de soi-même » de Socrate. En d’autres termes, la connaissance du soi et de l’autre accumulée durant le voyage devrait être utilisée pour apporter des changements en « soi » afin d’atteindre la forme supérieure de la méditation du soi : « le souci de soi-même ». Et c’est ici vient le rôle de l’écriture. Dans cette partie, nous explorerons le rapport entre le voyage et l’écriture, qui est aussi notre sujet, pour souligner la place du récit de voyage dans la découverte du soi. Le récit de voyage est constitué de deux notions, le voyage et l’écriture, qui sont à la fois différentes et liées. Différente parce que généralement le voyage se réfère à un déplacement à l’extérieur, d’un endroit à l’autre, tandis l’écriture se déroule dans un espace clos. Liées car les deux amènent le sujet d’un état d’âme à un nouveau et accomplissement des transformations en lui. Dans la première partie nous avons étudié l’importance du voyage dans la compréhension du soi et de l’autre ; et l’écriture à son tour permet le sujet et le lecteur à refaire la visite. Car l’écriture est en elle-même une sorte de voyage : le trajet de signe en signe, de phrase à phrase. George Bougey dans son article L’écriture comme un voyage11 souligne le rapport intrinsèque entre l’écriture et le voyage en disant : ‘la littérature de voyage et de la littérature en tant que voyage’ dont la preuve nous constatons dans le livre de Bouvier où il lie ces deux phénomènes. Premièrement, le voyage et l’écriture, les deux actions contrôlent la situation et affectent l’homme. Comme dit, Georges Bogey : ce qui est libre ce n’est pas le voyageur mais le voyage, ce n’est pas l’écrivain mais l’écriture12. On ne peut pas deviner l’état final des deux actions (voyage et écriture) dès le début et c’est l’absence de la certitude qui les rend influents. Deuxièmement, elles s’étalent sur un cadre temporel et ne se déroulent pas instantanément. Nous avons observé comment le voyage nous permet de comprendre ce ‘je’ mystérieux en le comparant à l’autrui. Pareillement, l’écriture fournit la deuxième opportunité de traiter ce ‘je comme un autre’ ainsi nous amenant à l’étape suivant de la compréhension du soi : « le souci du soi-même ». Nous pourrions comprendre ce phénomène à l’aide d’un exemple. Si le voyage montre que je suis ‘vert’ et l’autre ‘bleu’, l’écriture à travers son structure réflexive nous oblige à pondérer sur cette différence : pourquoi suis-je vert et les autres bleus et comment cette frontière entre moi et autrui peut être effacée afin de trouver une harmonie qui englobe les deux couleurs, les deux cultures, les deux idéologies, les deux individus et ainsi de suite. L’écriture rend possible cette deuxième méditation sur l’existence humaine à deux niveaux : premier au niveau de la phrase et le deuxième au niveau esthétique. Au niveau syntaxique,

10. Ibid., p.418. 11. George Bougey, L’écriture comme un voyage, http://www.deroutes.com/Images/L%27Autre%20 Voie%20n%B08/PDF%20AV8/Aravis%208.pdf, consulté le 8 février 2017. 12. Ibid., p.3.

298 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 chaque mot se sépare de l’autre et chaque phrase d’une autre. Ce vide devient la place de toute la créativité et fournit une occasion à l’écrivain à repenser sur le soi et l’autre. Il est également important à rappeler ce que Saussure a révélé : le lien arbitraire entre le mot et le sens. Chaque mot se réfère à une gamme de sens et la contrainte de choisir des mots justes à décrire le voyage fait que l’écriture ne reste plus une activité mais se transforme à un voyage mentale. Au niveau esthétique, un texte écrit est déjà à une certaine distance quand nous l’écrivons ou lisons. La distance physique et la distance temporelle. Et cette double distance dans le texte écrit le rend un autrui : une altérité séparée par la distance physique et le décalage temporel. C’est pour cette raison que le récit du voyage permet non seulement à bien comprendre une culture étrangère, mais aussi notre propre culture. En d’autres termes, l’écriture initie le voyage à l’intérieur du soi pour mieux saisir la subtilité et les coins obscurs de notre existence. Nous remarquons ce fait dans L’Usage du monde où le décalage temporel entre le temps du voyage et le temps d’écrire le livre fait que Bouvier entreprend encore le voyage au passé dans le présent et médite sur le rapport entre le soi et l’autre au contexte actuel. Et c’est l’actualité de l’écriture qui évolue la connaissance du soi au souci du soi. Cependant, le voyage dépasse le sens étroit de parcourir d’un endroit à l’autre afin de devenir un moyen et un outil de se poser des questions existentielles. Il devient plus pertinent aujourd’hui de faire un voyage et de parler d’un voyage car dans l’époque actuelle, l’accent est de plus en plus sur l’individu ou plutôt sur son aspect matérialiste et extérieur alors que sa conscience intérieure, ce ‘je’ mystérieux, reste cachée et inexplorée. En conséquence, il n’est ni capable de se connaître ni les autres. De ces jours, lorsque nous sommes confrontés partout à la violence, au manque de dialogue et de compréhension mutuelle, Bouvier avec ses ouvrages nous montre le chemin qui a joué un rôle instrumental dans le passé et que nous avons plus besoin ces jours que jamais : voyager et écrire.

299 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 Les images de la littérature ancestrale dans le monde romanesque d’Ananda Dévi

Alpana Palkhiwale

Résumé

Au 19ème siècle traverser l’océan c’était un acte interdit aux indiens, mais ce voyage interdit, tabou, était entrepris par les ouvriers migrants à l’ile Maurice. Pour eux, pour oublier cet éloignement spatial, leur seul confort est leur langue d’origine et leur littérature ancestrale, les mythes de leurs ancêtres et une association aux personnages, aux allégories et aux images mythologiques. Même aujourd’hui les écrivains indo-mauriciens s’exprimant en français comme Ânanda Dévi utilise ce pouvoir de la littérature ancestrale pour lier le passé au présent. Mots-clés : La littérature ancestrale, la littérature indo-mauricienne, la voix féminine, les images mythologiques, les rites de mariage. Au 19ème siècle traverser l’océan c’était un acte interdit aux indiens, au milieu de ce siècle, les planteurs français de canne à sucre à l’île Maurice avaient besoin de travailleurs. A ce moment, l’Inde était dévastée par une sécheresse et la faim, donc une migration des ouvriers agricoles de l’origine indienne engagés sous un contrat à l’île Maurice, s’est passée au 19ème siècle. Poussés par la pauvreté et la faim ces immigrés volontaires venaient chercher la prospérité à l’île Maurice. Ce pays était un pays de rêves et de prospérité: une Terre promise.On l’appelle ‘Mariccch desh’. Maricch un personnage de ‘Ramayana’ qui a créé un cerf d’or qui n’était qu’une illusion. Ainsi ce pays del’or n’était qu’un piège sans retour dont la description se trouve dans le roman ‘Lal Pasina’ (Sueurs de sang) d’Abhimanyu Unnuth, un écrivain indo mauricien. Les immigrants étaient quasiment esclavagés et leur vie était pleine de souffrance et de peine. Traverser l’océan un voyage interdit, tabou, était entrepris par ces ouvriers. Leur seul lien avec leur pays d’origine et leur seul confort, pour oublier cet éloignement spatial est leur langue d’origine et leur littérature ancestrale, les mythes de leurs ancêtres et une association aux personnages, aux allégories et aux images mythologiques. Ils débarquent à l’île Maurice des rêves de prospérité en leurs yeux etune version duRamayana ou du Mahabharat dans leurs maigres bagages. Par exemple leur sentiment d’être un exilé dans une terre inconnue les aide à s’identifier au personnage mythologique de Rama exilé de son royaume. Après tout, le Ramayana, une épopée gigantesque qui est au cœur de la dévotion hindoue moderne ainsi que la référence des valeurs humaines et morales, raconte justement l’exil du dieu Rama, roi hindou idéal. Mais cet éloignement ou cet exil est essentiel dans la lutte entre le bien et le mal et pour manifester l’identité d’un être humain.Cet exil n’est plus un acte de lâcheté ni de fuite mais un pas vers la grandeur humaine. Il n’y a pas de perte définitive des racines ancestrales. Cette vision se reflète dans l’œuvre littéraire qui redéfinit l’identité indo-mauricienne où on peut trouver les traces du voyage entrepris par leurs ancêtres traversant l’océan indien

300 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 et de l’éloignement de leur pays d’origine. Ce voyage physique s’est manifesté en trajet psychique. Aujourd’hui plusieurs écrivains de l’origine indienne de l’île Maurice s’expriment en français,et leur œuvre reflète une envie de retenir leur lien avec la littérature ancestrale d’où se dérive l’identité de l’indo-mauricien. Dans leur univers littéraire, on trouve une culture pleine de diversité qui jaillit des mythes de leurs ancêtres et des images mythologiques. Ils utilisent ce pouvoir pour lier le passé au présent. Ici on va analyser ce lien dans l’œuvre d’Ananda Dévi et dans son monde romanesque. On se concentre sur son roman ‘Pagli’ pour explorer cette unique diversité culturelle et linguistique et pour comprendre comment les protagonistes féminins de son œuvre qui libèrent la voix étouffée de la femmesont un rappelde cet accrochement à la littérature ancestrale.Ananda Dévipuise à la tradition de ses ancêtres, notamment aux croyances et aux conventions hindoues. Elle emprunte à la littérature orale indienne, à sa mythologie, à ses contes. Dans ses romans elle prête la voix aux individus à qui l’on n’a jamais donné la parole; les individus marginalisés surtout les femmes. Mais c’est intéressant de noter comment ses protagonistes féminins s’appuient sur les traditions, les croyances, les mythes ancestraux pour libérer leur voix et pour se revendiquer. ‘Pagli’, un roman qui met en scène la souffrance d’une femme- Pagli dont le vrai nom est Daya. Savie est pleine de malheur et de désespoir, une victime de la fatalité, Daya est violée à l’âge de treize ans par son futur mari, et elle promet de se venger. Elle n’accomplit aucun de ses devoirs de femme, elle transgresse les règles qu’une femme est obligée de respecter, les. Normes communément acceptées par la société dans laquelle elle vit. Ce qui lui vaut le surnom de Pagli, c’est-à-dire la folle. Folle parce qu’elle est différente, parce qu’elle n’obéit pas aux conventions sociales. Elle ne semble pourtant pas très étonnée d’avoir reçu le nom de Pagli. Daya est marginalisée dès son enfance, elle a été maudite déjà à sa naissance à cause d’un accouchement trop compliqué. Quelques années plus tard elle devient la femme de celui qui l’avait violée, elle décide de lui faire payer pour tout ce qu’il lui a fait dans son enfance. Larévolte de Pagli contre la sociétése déclenche à travers des rites typiquement indiens. Ici Ananda Dévi se tourne vers les rites indiens de mariage qui deviennent un moyen de se venger. La cérémonie du mariage et chaque étape de cette cérémonie sont étroitement liéesà la vengeance de Pagli. Dans un mariage hindou ‘Lajja homa’ est un rituel important où les mariés ensemble offrent du riz cru au feu sacré et ils demandent de la prospérité et du bonheur conjugal. On croit que ces offrandes au feu sacré sont transmises au Dieu qui donne la bénédiction au couple. Mais dans ce roman Pagli en train d’offrir du riz cru au feu sacré demande des malédictions au lieu des bénédictions. La mariée est vêtue en rouge: la couleur de l’amour et de la vie conjugale mais pour Pagli cette couleur est un rappel du viol et de la violence et de la brutalité associées à ce viol. « Je me suis assise en face du feu en y déversant non des serments mais des malédictions. Il m’a habillée de rouge et d’or (...) Derrière le voile rouge à moitie transparent,je regardais le monde comme à travers une buée de sang, et c’était bien ainsi, car je n’avais plus rien d’humain (...). Le pandit avait commencé ses prières. Le sanskrit flottait incompris ... Puis 301 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690

le feu m’a happée.Son grondement est entré en moi. Il n’y avait plus de place que pour la colère.Alors qu’il s’élevait des bâtonnets de manguier, nourri par le ghee odorant que le pandit y déversait, j’ai pris la première poignée de riz cru et l’y ai jetée.Le feu qui me demandait mes serments a reçu la promesse de ma vengeance. » (A.Dévi 2001 : 73-74). Le pandit lui a demandé de prononcer le serment de fidélité et d’obéissance de la femme au mari: elle devrait promettre de s’occuper de lui, de le servir, de le garder en bonne santé et de lui donner beaucoup d’enfants. Mais pleine de rancune, de vengeance et de colère elle s’est. Mise à prononcer ses propres vœux. Elle demanderait le courage de toujours dire non. Elle n’oublierait jamais les souvenirs du viol et de l’humiliation. Elle regarderait cet homme droit dans les yeux avec la haine et le mépris. Elle n’accomplirait aucun devoir ni de femme, ni d’épouse, ni de mère. Elle a juré qu’aucun enfant ne naitra de son ventre que le viol a éventré et qui ne se chauffe plus du feu doux de l’amour chaleureux. Chaque poignée de riz n’était qu’une offrande de malédictions qui fournit le feu de sa vengeance. Elle continue cette incantation rageuse jusqu’à ce que le feu sacré se métamorphose en feu destructeur et furieux. ‘Saptapadi’ c’est un rite important où les sept pas de la mariée sont accompagnés des sept serments de fidélité. Ces vœux sont un rappel de son devoir et de ses responsabilités conjugales qu’elle doit accepter. Ce rite est suivi de ‘Sàt phera’ quand les deux mariés font le tour du feu ensemble, le feu sacré étant le témoin de leur union. Mais Pagli s’appuie sur ces rites pour relâcher sa vengeance. « Au moment où on nous a attachés l’un à l’autre pour faire le tour du feu, la nuit nous a enveloppés. Il n’y avait rien de sacré dans notre union, car il l’avait déjà désacralisée (...). Nous avons échangé les guirlandes de fleurs, la mienne d’épines et ma gorge s’est mise à saigner. » (A. Dévi 2001:75) Kali est la forme violente de l’énergie cosmique. Elle est la Déesse de la Nuit, de la Destruction et de la Mort. Toujours vêtue en guirlandes des crânes humaines et d’os, le front couvert du sang rouge, sa peau bleue, grise ou noire,la langue pendante et rouge, les yeux qui évoquent la peur et la terreur. Elle représente l’aspect violent du féminin qui brûle de vengeance et de rage. Dans le roman ‘Pagli’ Ananda Dévi décrit la première nuit de Pagli avec son mari qui l’avait violée il ya quelques années. La gentillesse, la douceur et l’innocence de Pagli se dissipent elle se métamorphose en Déesse de la destruction.La résistance avec laquelle elle affronte son époux la nuit de noces évoque l’image de Kali. « Avant qu’il ait prononcé une seule parole, je me mets en face de lui. J’efface du doigt le point rouge sur mon front. J’arrache la guirlande de fleurs qui était restée à mon cou. Je la fais tomber à mes pieds et je la piétine. J’enlève mes bijoux et je les jette un peu partout dans la pièce (...) Je commence à dérouler mon sari.Au fur et à mesure je le froisse. Je broie la soie brochée entre mes paumes.Je fais de mes vêtements d’apparat un tas de chiffons que je jette au coin de la chambre (...) Regarde, regarde. Je tourne lentement devant lui, j’exécute une sorte de danse lascive et haineuse à la fois, je l’excite et le glace tour à tour, il ne sait pas comment réagir. » (A. Dévi 2001 : 77-78) Ce roman est comme un monologue de Pagli une femme amoureuse qui s’adresse à son amant Zil, sauf un seul chapitre où c’est Zil son amant qui parle d’elle. Etant violée par son cousin dont l’épouse elle devient ensuite, elle n’est jamais contente avec son mari, et donc 302 Caraivéti Vol. I Issue 1 (July-December 2017) ISSN : 2456-9690 elle se laisse glisser dans une relation extraconjugale avec Zil un pécheur. Elle refuse de se soumettre aux usages et aux conventions de la société. Zil est le seul bonheur de sa vie, un pécheur créole avec qui elle voudrait s’enfuir pour toujours vers Agaléga, île-paradis qui pourrait les libérer des chaînes de la tradition. Cet amour entre Pagli et Zil est un rappel de l’union d’ici bas et de l’au delà,c’est un élan d’amour sincère qui la soulève et la guide vers le bonheur eternel bien que cet amour soit hors desengagements sociaux et coutumiers. Ici Ananda Dévi évoque l’image d’une abhisarika : abhisarika c’est l’heroine de la littérature indienne, très connue dans la littérature sanskrit ; celle qui va à la recherche de son amant. Ce n’est pas seulement son corps qui est passionné mais même son âme est assoiffée, elle ignore tous les obstacles, et elle se lance aveuglement sur le chemin de l’amour, son seul but c’est l’union avec son être désiré et aimé. Le nom Daya de ce personnage dont le surnom est Pagli signifie la pitié quel qu’un qui pardonne c’est un symbole de la Terre qui est révérée comme une mère dans la mythologie indienne. Elle représente le féminin ou la Natured’autre part Zil représente lemasculin ou le Constant. Mais chacun est incomplet sans la présence de l’autre. Pagli a envie d’une union ultime, sacrée, libre et libératrice avec Zil, la seule personne qui lui a procuré le bonheur de vivre, qui a compris sa souffrance, qui acompris ce qu’elle est (c’est lui qui révèle sa véritable identité : Daya, la pitié) parce que l’identité de Zil est liée à celle de Pagli. Dans cette description de l’amourAnanda Dévi évoque l’image de l’union sacrée de Shiva et de Parvati dans la forme connue d’Ardhanarishwar, où dans une seule image, on trouve l’intégration du masculin et du féminin. « C’était comme si au fur et à mesure que je te connaissais, je devenais. Je découvrais en moi des choses indevinées, des facettes inconnues, des visages révélés. J’étais un autre homme parce que je n’étais que complet qu’avec toi (...) Source et vie et mort à la fois. Une source qui donne la vie, mais que l’on suivrait avec une grande joie vers la mort. Sans le don que tu m’as fait de toi, je ne serais qu’un homme à peu près, un homme à demi qui ne sait pas ce que c’est que d’être homme » (A. Dévi 2001 : 145) L’amour entre ces deux semble comme le mariage cosmique de Shiva et de Parvati évoquée dans l’image de Kalyansundar. Le mot Kalyansundar signifie l’extase de l’amour, la beauté ultime associée à cette union où le temps et l’espace s’abolissent, les consciences s’apparient et coïncident avec la Nature. L’amour dont Pagli parle quand elle décrit le banyan où se passent les rendez vous de Pagli et Zil. Le banyan est considéré un arbre sacré dans la mythologie indienne; un arbre avec les racines pendantes, cet arbre est un symbole de l’Infini et de l’Eternité, de l’union de la terre et du ciel qui va au-delà des bornes terrestres. Donc un aveu de l’amour dans un bosquet des banyans signifient l’amour eternel. « Nous sommes à l’intérieur d’une cathédrale de banyans. Leurs bras se dressent tout autour de nous, leurs racines chevelues et aériennes se dénouent doucement jusqu’à terre. Ce lieu vert, à la lumière qui coule en pluie boisée, avec de lents craquements d’écorce, nous refuge [...] Jour nuit mélangés se glissent entre tes cils lorsque tu m’ouvres ton sourire. Le temps le temps passé et le temps présent et tous les avenirs possibles » (A. Dévi 2001 : 87). Cette description est la célébration de l’amour eternel, transgressif et transcendant parce qu’Ananda Dévi parle du temps eternel: le temps passé et le temps présent et tous lesavenirs possibles. Le désir amoureux et son aveu sont symboliques dans ce texte.

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Mais le bonheur de Pagli ne dure pas longtemps; l’adultère est révélé, le verdict est prononcé, elle est enfermée dans le poulailler où elle meurt noyée à cause de pluies torrentielles. Même dans la description de sa mort, il y a une allusion à une image mythologique de ‘Pralaya’ les pluies torrentielles et les inondations fureteuses causéesà cause de la colère infinie de Shiva qui prévoit la fin de l’Univers. Pour maintenir l’harmonie de l’univers telle destruction devient nécessaire de temps en temps pour purifier la terre. ‘Pagli’ est un roman sur l’ostracisme familial et social. Une femme qui ne se soumet pas aux règles que la société lui a imposées, qui ne veut pas assumer son rôle conjugal, estpunie et bannie de la société.Elle se noie dans le déferlement des eaux boueuses d’un cyclone qu’elle a invoqué dans sa colère. Les pluies torrentielles à la fin du récit semblent la purifier et la libérer de ce monde hypocrite et pourrissant. « Brisure salée sur ma bouche, embrun de glace et de mystere, ombre, ombre, ombre plus aucune violence mais une sorte de vigilance alors que j’entre dans mon large et dans mon océan de vie. » (A. Dévi 2001 : 153) On peut dire qu’Ânanda Dévi utilise le pouvoir de la littérature ancestrale pour lier le passé au présent. Son monde romanesque se resplendit de telles images donc quand elle prête une voix à ses protagonistes féminins plusieurs fois elle s’appuie sur les allégories et les mythologies indiennes. D’une part elle se lie à ses ancêtres qui ont traversé l’océan et ont entrepris le voyage interdit vers l’ile Maurice, d’autre part elle s’ouvre à une réalité indo-mauricienne d’aujourd’hui redéfinie par la globalisation et la mondialisation. Dans le roman ‘Pagli’ l’image de la cathédrale de banyans est un exemple de cette assimilation. D’ici jaillit la nouvelle identité de la littérature indo mauricienne exprimée en français qui renforce la diversité linguistique et culturelle en littérature francophone en établissant le lien entre le passé, le présent et l’avenir.

Bibliography

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