OI : Tous les matins du monde, roman et film

Cette séquence a été réalisée par Mme Vicky PONZA DIMITRIOU, professeur certifié de Lettres classiques, pour ses élèves de Terminale L du Lycée Montmajour à Arles

Test de lecture. Se documenter sur Sainte-Colombe, Quignard. Faire le résumé du roman sous forme de tableau synoptique en relevant les éléments suivants chapitre par chapitre et en intégrant des citations : - personnages - thèmes, actions - dates Lire le chapitre 1.

A. Étude de la structure des deux œuvres.

I. Étude de l’incipit romanesque et du début du film (4 h).

a) Lecture Analytique du chapitre 1 :

-repérer les thèmes dominants (absence/mort, musique) -le personnage de M. de SC et son univers -le jansénisme -l’écriture (le point de vue adopté, le style sobre et efficace) -les recherches des élèves sur SC et MM -synthèse : TLMDM récit historique ? Il est important de montrer que, malgré l’intérêt que porte Quignard au grand musicien et la restitution fidèle d’un contexte historique, le romancier invente largement les détails d’une vie dont nous connaissons très peu de choses. S’appuyer sur les recherches des élèves et évoquer –s’ils ne l’ont pas fait – Titon du Tillet (qui existe en document annexe dans l’édition Folioplus)

b) Le début du film : relever les différents plans (générique + chapitres 1 et 2) + les éléments de l’action

c) Comparaison roman/film :

-les points communs : à partir des relevés des éléments de l’action, montrer la fidélité au roman, même si le film réorganise ces éléments en respectant l’ordre chronologique (la mort de M. Vauquelin/la mort de Mme de SC/la prise en charge de l’éducation des deux filles par leur père/l’importance de la musique et la cabane). Montrer également que l’on retrouve les grands thèmes du roman et les caractéristiques du personnage de M. de SC, le film mettant encore plus l’accent sur son jansénisme (le mot est prononcé dans le film, tandis que dans le roman il est insinué par des références à Port Royal).

1 -les différences : l’ouverture du film (inexistante dans le roman) et le changement de point de vue qui implique un changement d’intention : l’accent est ainsi mis sur la culpabilité de Marais qui va orienter tout le film. Les élèves remarquent aussi facilement la modification de la date initiale : 1660 dans le film (1650 dans le livre) : ce choix est sûrement dû à des raisons de vraisemblance cinématographique, afin d’éviter une trop grande différence d’âge entre (né en 1656) et Madeleine (qui a 6 ans lorsque sa mère meurt, c’est-à-dire en 1650).

d) QUIGNARD : il serait intéressant de parler ici de l’auteur, de son goût pour l’histoire, l’art (notamment la peinture), sa personnalité atypique. Partir des recherches des élèves et, si nécessaire, compléter. Pour le professeur, l’étude de Quignard et de son œuvre par Dominique Rabaté (Bordas, coll. « écrivains au présent ») peut être précieuse.

e) Le jansénisme : un bref historique sur le courant et ses représentants semble indispensable. Montrer que ce courant n’est qu’un cadre intéressant pour l’auteur afin de mieux illustrer la personnalité complexe de son personnage (SC)

Lire le dernier chapitre : relever les différentes étapes du récit.

II. Etude de l’excipit romanesque et de la clôture du film. (2h)

a) Le livre : à partir du travail fait à la maison, montrer qu’on arrive progressivement à un premier vrai échange (dialogue, vin) pour finir par une véritable communion (musique, pleurs)

b) La fin du film : relever les différents plans

c) Comparaison roman/film : montrer tout d’abord que le film non seulement respecte les étapes du récit mais que, grâce aux gros plans, il met l’accent sur la réconciliation et la transmission (ex. le cahier rouge, ou encore les archers et les mains des deux hommes ; leurs visages et leurs larmes…). Montrer ensuite l’apport de la dernière scène du film (le fantôme de M. de SC faisant écho à celui de Mme de SC qui a dominé le film, mais aussi la reconnaissance explicite du musicien que fut MM : pour la première fois, SC lui demande d’interpréter pour lui la Rêveuse)

Le titre de l’œuvre : justifier (travail donné à la maison : entraînement à l’exercice du bac)

III. La structure des deux œuvres (3h : 2h film + 1h comparaison)

-voir le reste du film réaliser un tableau identique à celui fait à partir du roman -comparaison de la structure des deux œuvres : pour corriger le travail des élèves, le professeur pourra s’appuyer sur le tableau comparatif élaboré par Guillaume Bardet et Dominique Caron dans l’étude de l’œuvre (Ellipses, réseau diagonales)

2 B. Les personnages (6 h)

-Pour l’étude des personnages, la classification faite par le CNED est intéressante : les personnages du roman errent entre « ombre et lumière ». SC est un personnage obscur et attire dans cette même obscurité sa fille aînée. En revanche, sa sœur Toinette est un personnage vivant, sensuel. Il en est de même avec MM qui s’oppose à SC. Mme de SC est également un personnage lumineux, mais dont le traitement peut être fait à part, dans la mesure où ses apparitions sont liées à l’élément surnaturel.

Pour préparer l’étude de SC et de Madeleine, relever tous les éléments dans le roman relatifs à ces deux personnages qui permettent de faire les portraits de ces personnages.

I. Du côté de l’ombre :

1.SC : un anti-héros (les élèves peuvent aisément remarquer que dans les deux premiers chapitres, son portrait est fait à partir de négations et de privatifs : ex « il n’était pas riche », « il était maladroit »…). Montrer également sa difficulté à parler, à communiquer. Montrer enfin qu’il s’agit d’un personnage très contrasté, dominé par la mélancolie mais aussi par la passion (ses crises excessives de colère subite).

2.Madeleine : une victime. Les élèves remarquent facilement la passivité du personnage dès son enfance ; puis, son aspect « sacrificiel » (elle sacrifiera son père adoré au profit de son amant avant de se sacrifier elle-même). Un rapprochement intéressant peut être établi avec le personnage biblique de Marie- Madeleine, ainsi qu’avec le tableau de Georges de La Tour La Madeleine pénitente, tableau cher à Quignard, puisqu’il l’a commenté dans son livre consacré au peintre. Relever tous les éléments du roman se rapportant à Toinette et MM, permettant d’élaborer leur portrait.

II. Du côté de la lumière :

1.Toinette : à traiter en opposition à sa sœur. Insister sur l’aspect sensuel du personnage. Il est important de faire remarquer aux élèves que le traitement de ce personnage n’est pas le même dans le roman que dans le film. La scène de la « trahison » de Madeleine est assez crue dans le roman (chapitre XVII) alors que dans le film cette scène est supprimée. Faire réfléchir les élèves sur ce choix qui a sans doute comme objectif d’innocenter Toinette : le fait de tromper sa sœur avec l’homme qu’elle aime n’est pas motivé par le vice de la jeune fille, mais simplement par sa sensualité débordante.

2. MM : à traiter également en opposition à SC. Insister sur le traumatisme de la mue et lire quelques extraits de La leçon de musique de Quignard qui traite largement ce thème. On peut également faire le rapprochement avec l’auteur lui-même, dans la mesure où il fait part de son une expérience traumatisante dans Vie secrète. (voir document annexe 1)

Le film traite parfaitement ce classement avec ses clairs-obscurs : SC les costumes, les éclairages accentuent l’aspect obscur de SC et de Madeleine et illuminent les deux autres (Mme de SC aussi). Montrer aussi le choix judicieux des acteurs. L’interview de Corneau dans le complément « Une partition lumineuse » du DVD illustre bien ce choix.

3 Bac blanc 1 :

1) « Il n’était qu’austérité et colère ». Cette réflexion de Marin Marais dans le film de Corneau, vous paraît-elle caractériser pleinement le personnage de Sainte Colombe, dans le roman et dans le film ? (8 pts) 2) L’adaptation du roman par Corneau vous semble-t-elle fidèle à l’esprit du roman ? (12 pts)

C : les grands thèmes

I. Autour des apparitions de Mme de SC (1h) :

1. L’élément surnaturel : il s’agit là de montrer que malgré les nombreuses apparitions du fantôme de Mme de SC qui rythment le récit, il ne s’agit en aucune sorte d’un roman fantastique. Montrer également que Corneau arrive parfaitement à traiter ce thème délicat de manière à ne pas faire de son film un film fantastique : les apparitions de Mme de SC se font toujours à travers le regard de M. de SC. Le cinéaste explique très bien sa démarche dans son interview.

Question type bac (à traiter à la maison) : dans quelle mesure TLMDM peut-il être rapproché du conte ? Faire des recherches sur Orphée, Charon, l’Office des Ténèbres. Relever tous les passages du roman où il est question de « barque »

2.La dimension orphique (1h) : les apparitions de Mme de SC sont liées au pouvoir de la musique.

3.La Barque de Charon (1h) : importance du motif de la barque (elle fait partie du décor dès le premier chapitre) et association avec le mythe antique. Il s’agit, dans le roman, d’un moyen de communication avec l’au-delà. Compléter par une recherche sur les autres références mythologiques dans le roman.

4.l’Office des Ténèbres (2h) : l’une des apparitions de Mme de SC est liée à cet office (chapitre XV), lié cette fois-ci à la tradition chrétienne. S’attarder sur l’aspect extraordinaire de cette rencontre à tout point de vue (c’est la première fois que M. de SC exprime sa douleur face à son mutisme).

Faire des recherches sur la musique baroque. Se documenter sur .

II. Les arts dans le roman et le film :

1.La musique (2h) : à partir des recherches des élèves sur la musique baroque, poser le problème du musicien et de sa dépendance de la Cour pour opposer les deux types de musiciens qu’incarnent MM et SC. Montrer que pour SC c’est un véritable langage. Le document « Une partition lumineuse » du DVD permet une réflexion très intéressante sur le rôle de la musique dans le film, caractérisé comme une « œuvre tricéphale » par Corneau, dans la mesure où Jordi Savall occupe une place tout aussi essentielle dans la création du film que Quignard ou Corneau. Les interviews de Corneau et de Jordi Savall mais aussi celle de

4 Marielle permettent de bien comprendre dans quelle mesure la musique dans le film est un véritable personnage. On peut également faire réfléchir sur le choix de l’ordre des pièces musicales dans le film et dans le CD à partir du tableau élaboré par Mathieu MESSAGER et François MOUTTAPA dans l’étude de l’œuvre dans la collection « 40 questions/40 réponses/4 études », éditions Ellipses.

Relever tous les éléments qui se rapportent à la peinture. Relever tous les passages qui se rapportent à des tableaux précis.

2.La peinture (2h) : les références à la peinture dans le roman relevées par les élèves permettent de constater que deux peintres sont cités (Baugin et Champaigne) et que l’auteur choisit de faire de Baugin l’ami de SC. On peut alors se demander les raisons de ce choix. Le document annexe 2 permettra aux élèves de comprendre qu’en dehors de la vraisemblance historique (qui a tout de même ses limites), Quignard a surtout voulu éclairer un peintre relativement peu connu. On peut ensuite, à partir de la deuxième question, glisser à l’étude des deux tableaux de Baugin présents dans le roman : Le dessert aux gaufrettes et La nature morte à l’échiquer. Une réflexion sur les thèmes de « nature morte » et « vanité » est essentielle ici. Les documents en annexe 3 permettent de comprendre le caractère étrange du Dessert aux gaufrettes, qui ne peut pas être qualifié de vanité mais qui a une dimension mystique très forte. Cette dimension est d’autant plus importante dans le roman que Quignard a associé le tableau à l’histoire personnelle de SC. L’analyse de Sophie Noleau dans le très intéressant Les mains d’oublies permet d’approfondir la réflexion à ce propos. Ce cours peut être exploité de manière optimale avec un TBI : on peut ainsi dans un premier temps commenter avec les élèves les différents éléments du tableau ; ensuite, grâce à la diffraction du tableau dans le film réalisée par le site LETTRES VOLEES, on peut s’arrêter sur les différentes séquences du film qui reproduisent le tableau. Ces documents iconographiques peuvent être intégrés dans le cours du professeur avec le logiciel ACTIVINSPIRE. On peut de la même manière exploiter les autres diffractions réalisées par le même site, notamment La nature morte à l’échiquier mais aussi ceux qu’on voit apparaître en entrant dans l’atelier du peintre. Ces tableaux permettent également de faire une réflexion sur le thème de la vanité dans le roman et le film. On peut enfin montrer comment le cinéaste s’inspire des autres peintres chers à Quignard : des portraits jansénistes de Champaigne pour élaborer ses costumes dans le film ; des clairs-obscurs de G. de La Tour pour créer une ambiance très intimiste autour de SC notamment.

« J’aime l’or. Personnellement je cherche la route qui mène jusqu’aux feux mystérieux. », dit Baugin dans le roman. Dans le film, le même Baugin dit « J’aime l’or. Les choses mortes rapportent. » Quel est le traitement du personnage fait par Quignard ? Quel est celui fait dans le film ? A partir de cette question, on complète l’étude consacrée à la peinture, avec une étude plus centrée sur le personnage de Baugin, dont le traitement n’est pas tout à fait le même dans le roman et dans le film.

3.Le théâtre (1h) Un moment pourrait être accordé à la présence du théâtre dans le roman (chapitre XII, chapitre où les arts se croisent, comme le note l’étude du CNED), les vers de Racine en parfaite harmonie avec le reste, les références historiques sur le théâtre et les comédiens.

5 Bac blanc 2 :

1) Dans le film Tous les matins du monde, quel(s) rôle(s) jouent les costumes ? (8 pts) 2) Quelle est la représentation de la musique et du musicien dans Tous les matins du monde (livre et film) ? (12 pts)

Annexe 1 : Citations de P. Quignard

« Ce qui définit la mue vocale est toujours double, toujours redouble, toujours hante le corps d’une symétrie obscure et que la pudeur s’essaie à s’oublier. C’est au moins une symétrie que quelque chose de déjà conjugal entre le larynx et le sexe. Chez les garçons à la puberté ont lieu simultanément un double abaissement et un double développement du larynx et du sexe. Le larynx a quelque chose de l’instrument à anche. La pression expiratoire a quelque chose du chant. » , La Leçon de musique

« Ma voix est sourde. Rien n’a jamais pu la poser depuis une mue désastreuse qui me fit être rejeté des deux chorales qui faisaient ma joie. Mue qui me bannit à jamais non seulement de tous les chants mais même de tous les fredonnements. »

Pascal QUIGNARD, Vie secrète

« Ce qui définit la mue vocale est toujours double, toujours redouble, toujours hante le corps d’une symétrie obscure et que la pudeur s’essaie à s’oublier. C’est au moins une symétrie que quelque chose de déjà conjugal entre le larynx et le sexe. Chez les garçons à la puberté ont lieu simultanément un double abaissement et un double développement du larynx et du sexe. Le larynx a quelque chose de l’instrument à anche. La pression expiratoire a quelque chose du chant. »

Pascal QUIGNARD, La Leçon de musique

« Ma voix est sourde. Rien n’a jamais pu la poser depuis une mue désastreuse qui me fit être rejeté des deux chorales qui faisaient ma joie. Mue qui me bannit à jamais non seulement de tous les chants mais même de tous les fredonnements. »

Pascal QUIGNARD, Vie secrète

6 Annexe 2 Autour de Lubin Baugin

« La chose que j’aurai toujours défendue, c’est faire revenir les atypiques, les asociaux, les féroces, les précoces, les fauves pour former un paradis, un parc à bêtes sauvages, un ermitage pour anachorètes. Je venge ainsi l’isolement que j’ai connu au sein de ma famille. C’est une façon de donner raison à l’exclusion initiale tout en maintenant, pour celui qui la subit, la possibilité d’être vivant ». extrait de l’interview de Pascal Quignard avec Catherine Argand, Lire, septembre 2002

« La meilleure chance que Baugin puisse promptement retrouver l'estime dont il jouissait auprès de ses contemporains (...) c'est que Pascal Quignard, en 1991, dans un très délicat récit intitulé Tous les matins du monde, ait introduit le peintre des natures mortes en contrepoint du musicien Marin Marais, et que le metteur en scène , dans le film qui suivit, ait un instant ressuscité sur l'écran ce Monsieur Baugin dont la plupart des spectateurs n'avaient jamais entendu le nom ». Jacques Thuillier, Catalogue de l’Exposition Lubin Baugin, Musée des Beaux-Arts d’Orléans et Musée des Augustins de Toulouse, 2002

Visite virtuelle « Lubin Baugin (vers 1610-1663), Un grand maître enfin retrouvé » Site du Musée des Augustins : http://www.augustins.org. cliquer sur « expositions » puis, sur « archives » puis, « du 8 juin au 9 septembre 2002 : Lubin Baugin (vers 1610-1663) »

« La Nature morte aux gaufrettes (1630) du Louvre revient d’un bout à l’autre comme le motif essentiel qui lie l’amour à la mort, la réalité à l’au-delà. Après cela, il importe peu que Baugin, trois fois marié, soit présenté comme un artiste fasciné par l’or et comme un célibataire vivant seul avec une vieille servante, que l’auteur le situe à l’époque de Louis XIV et le montre peignant la Nature morte à l’échiquier (1630) dans le temps où on répète le Britannicus de Racine, soit plusieurs années après la mort du vrai Baugin. On tiendra ces anachronismes pour autant de licences poétiques que fait oublier sans peine la place donnée à la Nature morte aux gaufrettes. L’essentiel est que ce chef d’œuvre de la peinture apparaisse dans ce chef d’œuvre de la littérature, et que l’art de Pascal Quignard réussisse à lui conférer, artificielle ou authentique, cette sorte d’aura mystique qui n’appartient qu’à la poésie. » Jacques Thuillier, Lubin Baugin, RMN, 2002

7 Controverses autour d'une signature

Le Dessert de gaufrettes est la plus célèbre des quatre natures mortes actuellement connues et qui portent la signature "BAUGIN". Lubin Baugin, né à Pithiviers vers 1612, est reçu maître peintre à Saint-Germain-des-Prés en 1629. Il séjourne par la suite quelques années en Italie et, à son retour, il intègre l’Académie royale de peinture. Il connaît un certain succès et on retrouve de multiples mentions de ses œuvres dans les églises parisiennes. Dans un premier temps, l’opposition entre ses grandes compositions religieuses, qui dénotent les influences conjuguées de l’école de Fontainebleau et des maîtres italiens comme Corrège et Guido Reni, et les natures mortes a fait naître l’idée qu’il existait deux peintres de ce nom. Mais les recherches des dernières années dans les archives, ainsi qu’une analyse approfondie du style de toutes ces peintures, a permis de démontrer que l’auteur de ces tableaux était bien le même peintre : Lubin Baugin. Ce dernier a dû exécuter ces petites scènes silencieuses avant son départ en Italie. Notice du site du Louvre

Annexe 3 Autour du Dessert de gaufrettes

Tous s'accordent ici pour parler du chef-d'œuvre de la nature morte française du XVIIe siècle, par son dépouillement et par une rigueur géométrique poussée à l'extrême. Chacun des volumes est traité différemment : la table est parfaitement lisse, la fiasque est entièrement ciselée, la géométrie du plat d'étain poli se trouve brisée par les cylindres des gaufrettes et le verre s'anime de tout un jeu d'ornements qui en complique la structure. Trois couleurs suffisent, les trois couleurs fondamentales : une large nappe bleue, les taches jaunes délicatement nuancées et la tache de rouge foncé du vin. Cet ensemble est adouci par le gris du plat d'étain et de son ombre portée et par le vaste fond presque noir. L'accord subtil du bleu et des jaunes contient déjà, en soi, l'une des formules majeures de l'art de Lubin Baugin. On estime qu'elle a été peinte vers 1631, dans la même période que les autres natures mortes, avant le voyage à Rome. Commentaire extrait du catalogue de Jacques Thuillier

Au début de La main d'oublies, Sophie Nauleau, observant Le Dessert de Gaufrettes de Baugin ne perçoit pas cette peinture comme un exemple de peinture de Vanités. « Vanité des vanités, tout n'est que vanité », prétend le rouleau de l'Ecclésiaste. Au Louvre, face aux vulnérables enroulements des gaufrettes, je n'ai perçu ni désenchantement, ni défaut d'orgueil, ni sujet vain. […] Il n'y a ni miettes, ni insectes, ni sablier. Pas plus que d'épluchures, rongeurs, huîtres béantes ou fruits tavelés. Nulle morsure du temps. Nul indice putréfié. Juste l'éphémère d'un dessert intact, et qui dure. Ainsi un homme patient, il y a bien longtemps, avait fait de quelques chatteries beurre frais le sujet d'une peinture. » C'est en relisant attentivement « Tous les matins du monde » que Sophie Nauleau a trouvé dans le texte de Quignard – quand le fantôme de la défunte Mme de Ste Colombe vient rendre visite à son mari inconsolable : « Je suis venue parce que ce que vous jouiez m'a émue. Je suis venue parce que vous avez eu la bonté de m'offrir à boire et quelques gâteaux à grignoter. », dit le fantôme qui hante

8 Tous les matins du monde. Le corps d'une femme défunte revient neuf fois de l'au-delà, traversant le récit, telle la petite souris trottinant dans la chambre sans qu'on la voie jamais : à sa première visite, «une gaufrette est à demi-rongée». [...] Il m'a fallu longtemps avant de remarquer que l'une des pâtisseries du tableau était bel et bien légèrement abîmée. C'était pourtant la plus voyante, rayon de lune alvéolé, gaufrette ébréchée volontairement placée sur le dessus. »

Une icône de la nature morte française

Dans une composition aux volumes admirablement simplifiés prennent place, sur le rebord d’une table, un plat de gaufrettes, un verre de vin et une fiasque. L’espace est structuré par de grandes surfaces plates et monochromes (le fond noir, le mur en pierre à gauche et la nappe bleue de la table), animées, non sans virtuosité, par la lumière d’une fenêtre que l’on devine à gauche. C’est précisément par cette lumière et par ces jeux d’ombre que les objets, à la géométrie rigoureuse, prennent toute leur réalité. Ils semblent dotés d’une présence silencieuse et méditative. Enfin, l’interprétation de ces œuvres demeure problématique. Les références religieuses et symboliques, si évidentes dans les natures mortes de Zurbaran ou chez certains peintres nordiques, ne trouvent pas un écho solide dans le tableau du Louvre. Dans ce cas, quelle était la fonction de ce genre d’image et à qui était-elle destinée ? Une vie silencieuse : une image de pure peinture ?

Il a souvent été dit que les natures mortes faisaient partie de la catégorie des œuvres décoratives, que l’on vendait dans certaines foires de peinture, comme celle de Saint- Germain à Paris. Il semblait donc s’agir d’une production lucrative pour des artistes jeunes ou dans le besoin et d’une marchandise de moindre valeur pour les collectionneurs que les tableaux à figures. Toutefois, les inventaires démontrent qu’on rencontre bien souvent ces petits tableaux chez les meilleurs connaisseurs de peinture. Tout comme les paysages, ces œuvres étaient appréciées comme de véritables morceaux de peintures par les amateurs éclairés et ne constituaient donc pas, du moins pour celles de la qualité du Dessert du Louvre, de simples images commerciales et décoratives. La qualité de certains cabinets de peintures était même soulignée par leur présence.

Notice du site du Louvre

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