Université Lumière Lyon 2 2007-2008 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Mémoire

La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

Lagarde Lucie Séminaire : Les nouveaux partenariats public-privé Directeurs de mémoire : Alain Bonnafous, Pierre-Yves Péguy soutenu le 11 juin 2008

Table des matières

Remerciements . . 5 Introduction . . 6 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel . . 9 A- Un environnement juridique particulièrement contraignant . . 9 1- Les remontées mécaniques, un service public : le reflet de l’implication des collectivités de montagne dans leur développement . . 10 2- Les lois « Montagne » et « Sapin » bouleversent les modes de gestion des remontées mécaniques . . 12 B- Des acteurs aux intérêts potentiellement divergents . . 15 1- La gestion des remontées mécaniques, une activité particulièrement contraignante . . 16 2- Une situation oligopolistique sur le marché des opérateurs privés . . 19 3- Des stations, des collectivités : à chaque situation des enjeux spécifiques . . 23 C- Pourquoi déléguer à un opérateur privé aujourd’hui ? . . 29 1- l’apport réel d’une gestion par un opérateur privé . . 29 2- Le recours au privé, opportunité pour les stations mais choix réservé aux plus performantes ? . . 31 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire . . 34 A- Des contrats forcément incomplets . . 34 1- Une spécificité paradoxale des remontées mécaniques : la difficulté à se projeter dans la durée . . 35 2- De l’équilibre précaire entre professionnels et collectivités . . 39 B- Un problème évident de contrôle du délégataire . . 41 1- L’insuffisance des instruments de contrôle applicables aux délégations de service public . . 42 2- peu d’incitations ou de contraintes envisageables . . 48 C- La nécessité de l’adoption d’une approche à la fois juridique et économique . . 54 1- l’adoption d’une démarche préalable d’évaluation économique du projet de délégation . . 54 2- Mettre en place des mesures de contrôle du délégataire ad hoc : la nécessaire implication des collectivités. . . 56 Conclusion . . 59 Bibliographie . . 61 Entretiens réalisés : . . 61 Ressources Internet . . 61 Ressources institutionnelles . . 62 Ouvrages : . . 63 Articles . . 63 Annexes . . 65 Annexe 1 : Entretien réalisé le 4 mars avec David Ligney, Directeur Général des Services de la commune de . . 65 Annexe 2 : entretien réalisé le 24 avril avec Thierry Thomas, maire de la commune de Pralognan . . 65 Annexe 3 : Entretien réalisé les 15 et 16 mai 2008 avecStéphanie Lamouroux, directrice du service tourisme du Conseil général, responsable des syndicats mixtes d’aménagement de Pra Loup et du Val d’Allos . . 65 Annexe 4 : Entretien réalisé le 20 mai 2008 avec Emmanuel Petit, conseiller administratif et juridique au sein de l’ASADAC . . 65 Annexe 5 : Entretien réalisé le 18 avril avec Jean-François Blas, Directeur générale délégué de la Compagnie des Alpes (Domaines skiables) . . 66 Annexe 6 : Entretien réalisé le 9 mai 2008 avec Blandine Tridon, Secrétaire Générale de la société Rémy Loisirs. . . 66 Annexe 7 : quelques chiffres sur les remontées mécaniques . . 66 Remerciements

Remerciements Je tiens à remercier tout d’abord les directeurs du séminaire Les nouveaux partenariats publics- privés, Pierre-Yves Péguy et Alain Bonnafous, pour la présentation de ce vaste domaine d’étude réalisée au cours de ce séminaire, et les suggestions apportées tout au long de l’élaboration de ce mémoire. J’ai également beaucoup apprécié la grande disponibilité dont ont fait preuve toutes les personnes que j’ai sollicitées afin de les interroger. Les responsables de collectivités ou des opérateurs privés, ainsi qu’Emmanuel Petit de l’ASADAC ont systématiquement répondu favorablement à mes demandes et sont parvenus, quelles que soient leurs contraintes, à consacre quelques heures à notre entretien. Leur aide a été précieuse, et les informations recueillies grâce à eux forment la base de ce travail. Les rencontrer m’a enfin permis de toucher du doigt quelques facettes de la réalité de la gestion des collectivités de montagne, qui restent le plus souvent transparentes aux yeux d’un observateur extérieur. Qu’ils en soient remerciés.

5 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

Introduction

Pour 8,3% des français, vacances d’hiver riment avec séjour dans une station des Alpes, des Pyrénées, du Massif Central, du Jura ou des Vosges. Si un cinquième de ces visiteurs ne pratiquent pas de sports de glisse, ceux-ci sont la source principale de la fréquentation des stations de sports d’hiver1. Mais qu’est-ce qu’une station de montagne? La définition technique proposée par ODIT est celle d’ «un ensemble de centres d’hébergements désservant le même domaine skiable élémentaire», c’est à dire «géré par un même 2 exploitant et pouvant être parcouru skis aux pieds ». Cette definition a pour avantage de pointer l’élément indispensable à l’existence d’un domaine skiable, la présence d’un exploitant, et de simplifier les cas dans lesquels une même station est située sur le territoire de plusieurs collectivités. Elle a cependant pour faiblesse de nier la liaison forte qui s’établit entre une station et les acteurs directement responsables de son développement ou qui lui sont étroitement associés. Au premier rang de ces acteurs figurent les collectivités, souvent à l’origine de l’installation de la station, et largement intéressées à son développement. La France offre la plus grande superficie de domaines skiables au monde: 118 000 hectares, soit 30% du domaine skiable européen3. Ces domaines constituent donc un élément structurant de développement du territoire. A ce titre, l’installation et la gestion d’appareils de remontées mécaniques est considérée comme un service public depuis 19594. La loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi «Montagne» définit ainsi les remontées mécaniques: dans son article 43: «Sont dénommées «remontées mécaniques» tous les appareils de transports publics de personnes par chemin de fer funiculaire ou à crémaillère, par téléphérique, par téléskis ou par tout autre engin utilisant des câbles porteurs ou tracteurs». Cette loi généralise le caractère de service public de cette activité pour toute exploitation, qu’elle relève d’un opérateur public ou privé. Le choix de la collectivité reste libre entre gestion en régie, délégation de service public dans le cadre d’une Société d’Economie Mixte (SEM) ad hoc, ou délégation à un opérateur privé. Dans la pratique, les travaux d’aménagement des pistes sont le plus souvent joints à cette activité5. On parle alors de gestion de domaine skiable. La délégation de la gestion des remontées mécaniques ou du domaine skiable à un opérateur

1 ODIT France, Les chiffres clefs du tourisme de montagne en France, 2006, p13, 15.ODIT France est un groupement d’intérêt public regroupant l’Agence Française d’Ingénierie Touristique, l’Observatoire du Tourisme et le Service d’Etudes et d’Aménagement Touristique de la Montagne (SEATM). 2 ODIT France, Les chiffres clefs du tourisme de montagne en France,2006, p38. 3 ROLLAND,Vincent, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité des stations de sports d’hiver, 2006, p11. 4 Conseil d’Etat, arrêt Commune d’Huez, 23 janvier 1959, recueil Lebon p67. Le Conseil d’Etat a admis dans cet arrêt que la concession à une entreprise privée «de la construction et de l’exploitation d’un remonte-pente pour les skieurs (...) en vue de l’équipement de la commune comme station de sports d’hiver et dans l’intérêt de son développement» contribuait à assurer «le fonctionnement d’un service public». 5 Sauf pour quelques exceptions, dont par exemple Val d’Isère. 6 Introduction

privé concerne 43,5% des stations. Un même pourcentage est géré directement par les collectivités. 13% sont gérés par des SEM6. L’objet de ce mémoire est l’étude des rapports qui s’établissent dans le cadre des délégations de service public, définies par la loi «Sapin» comme « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement 7 liée aux résultats de l'exploitation du service », entre des collectivités ayant le statut d’autorité organisatrice dans le domaine des remontées mécaniques, et des opérateurs privés délégataires de ce service public, ou en passe de le devenir. Le champ retenu exclut donc les concessions de délégation de service public passées entre une collectivité et une Société d’Economie Mixte. Dans ce cas-là, en effet, la collectivité reste potentiellement présente dans les décisions de gestion courante du service. Les rapports qui s’établissent entre la collectivité et la SEM intègrent peu d’éléments conflictuels. Créée à l’initiative de la collectivité, cette société en intègre les objectifs. Ce n’est pas le cas lorsque le délégataire est un opérateur privé. Cette solution peut être préférée pour diverses raisons: présence historique du délégataire lors du développement de la station, recherche d’une gestion plus efficace, notamment en ce qui concerne la gestion du personnel ou la commercialisation de la station, ou d’un apport financier externe en raison de besoins d’investissement. Dès lors, c’est un partenariat étroit qui s’instaure entre opérateurs de remontées mécaniques ou de domaines skiables, et collectivités organisatrices. Déléguer à un opérateur privé la gestion des remontées mécaniques n’est pas un choix anodin. En effet, cette activité est cruciale pour garantir la fréquentation d’une station de montagne au cours de la saison hivernale, qui constitue souvent la base de l’économie locale. Et la mise en place de ce partenariat comporte des risques pour les deux parties. La saison 2006-2007 a montré que des variations importantes en matière d’enneigement pouvaient mettre à mal à la fois l’équilibre de certaines stations, mais aussi celui des opérateurs. L’opérateur privé Transmontagne, assurant la gestion de plusieurs domaines skiables, a ainsi fait faillite en octobre 2007. L’enneigement exceptionnellement faible a entraîné une fréquentation en baisse dans plusieurs des stations gérées. La société étant également impliquée dans une activité d’hébergement, les pertes enregistrées étaient trop importantes pour mener les préparatifs nécessaires à la reprise d’une saison. Les collectivités responsables des stations concernées ont alors dû choisir et mettre en place une alternative en un temps record avant l’ouverture de la saison 2007-2008. Les incertitudes croissantes en matière d’enneigement et la concurrence accrue entre stations françaises, mais aussi européennes sur un marché devenu mature contraignent également les possibilités de développement du secteur. Dans ce contexte, le législateur a souhaité, en imposant la forme de la délégation de service public, instaurer un cadre strict censé organiser un rapport équilibré entre autorités délégantes et délégataires. Or, opérateurs privés et collectivités ne partagent pas toujours les mêmes intérêts. Les premiers répondent à une logique de rentabilité de leur société, les seconds intègrent la notion d’intérêt général dans les modaités de développement de la station dont ils ont la charge. Dans quelle mesure la gestion des remontées mécaniques en délégation de service public répond-elle aux enjeux qui s’imposent d’une part aux autorités organisatrices et d’autre part aux opérateurs privés ?

6 SNTF (Syndicat National des Téléphériques de France), Recueil d’indicateurs et analyses 2007, p11. 7 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, article 38. 7 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

Ces enjeux sont multiples, et les définir requiert d’étudier plus en détail l’environnement des stations de montagne et les contraintes imposées par l’activité de gestion des remontées mécaniques elle-même. L’hypothèse d’une divergence d’intérêts entre délégataires et délégants devra donc être dans un premier temps étayée mais aussi nuancée,avant de permettre une réelle évaluation des conditions créées par le cadre imposé des délégations de service public. La démarche adoptée pour répondre à cette question a consisté à rencontrer des acteurs représentatifs de chaque partie aux contrats de délégation de service public. Trois responsables de collectivités (Chamrousse, Pralognan la Vanoise, Pra Loup et Val d’Allos) ayant expérimenté ou fonctionnant actuellement selon ce mode de gestion ont été interrogés. Les procédures de passation de délégation de service public ont été particulièrement évoquées, puisque deux des collectivités concernées ont récemment choisi une gestion en délégation de service public, ou étaient en cours de réalisation d’une telle procédure. Deux dirigeants d’opérateurs privés ont également été interrogés (Compagnie des Alpes, Rémy Loisirs), ainsi qu’un membre d’une association de conseil aux collectivités (ASADAC8). L’apport décisif en matière de documentation a été apporté par vingt-cinq examens des comptes des collectivités locales impliquées dans la gestion des remontées mécaniques, ou avis rendus à la suite d’une saisine par le préfet, réalisés par les Chambres Régionales des Comptes concernées. Cette démarche comporte néanmoins des limites évidentes. Compte tenu de la très grande diversité des situations, évaluer les rapports entre collectivités et opérateurs privés en général dans le secteur des remontées mécaniques est par définition impossible. Une approche a minima nécessiterait la réalisation de monographies de stations représentatives. Les quelques entretiens réalisés et les documents recueillis à l’échelle de ce mémoire permettent néanmoins de caractériser les principaux paramètres qui organisent le rapport entre collectivités et opérateurs privés dans le cadre des contrats de délégation de service public. Ce rapport est fortement conditionné par les spécificités relatives à la gestion des remontées mécaniques ou d’un domaine skiable dans son ensemble. Ces spécificités concernent la nature des acteurs en présence: appréhender une station de montagne suppose d’inclure une grande variété d’intervenants économiques, politiques, civils qui dessinent un environnement complexe. De ce fait, définir les objectifs des collectivités s’avère parfois difficile. L’activité de gestion de remontées mécaniques produit également des contraintes propres très fortes. Aux exigences très lourdes d’investissements s’ajoutent dans la période récente une incertitude grandissante en terme de régularité des résultats. L’environnement juridique tente alors de réguler un rapport potentiellement conflictuel entre autorité délégante et délégataire (I). L’examen de la mise en oeuvre des délégations de service public souligne un problème constant en matière de partenariat public-privé: obtenir des relations équilibrées entre les deux parties au contrat, afin d’assurer d’une part la qualité du service et d’autre part la rentabilité de l’activité pour l’opérateur privé. Un paradoxe apparaît: les contrats de délégation de service public devraient permettre un contrôle réel du délégataire, mais ce contrôle n’est guère effectif: la portée des procédures de mise en concurrence est réduite par le faible nombre de candidats potentiels, le suivi de l’exécution des conventions est difficile. D’autre part, certaines contraintes introduites récemment semblent peu adaptées au secteur des remontées mécaniques. En pratique, la recherche d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire s’avère difficile (II).

8 Agence Savoyarde d’Aménagement, de Développement et d’Aide aux Collectivités 8 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

Quelles sont les logiques d’action des opérateurs privés et des collectivités supports de station ? Répondre à cette question implique d’examiner le contexte au sens large dans lequel s’inscrivent les activités des délégataires et des collectivités. Ce contexte comprend d’abord l’environnement juridique, qui a connu de grandes évolutions depuis la création des stations de montagne. Il constitue le cadre formel dans lequel prennent place les relations entre exploitants et autorités organisatrices. Le cadre issu des contraintes propres à l’activité de gestion de remontées mécaniques est également un élément important de ce rapport. Les opérateurs privés et les collectivités supports de stations présentent des caractéristiques propres qui conduisent au constat d’une divergence d’intérêt et de logique de fonctionnement entre eux. Ces caractéristiques sont relativement aisées à définir en ce qui concerne les opérateurs privés, peu nombreux et répondant aux logiques de développement des sociétés privées. Elles sont plus difficiles à cerner pour les collectivités. Celles-ci peuvent être dans un premier temps différenciées suivant les enjeux de développement propres des stations : les objectifs ne sont en effet pas les mêmes si la station considérée lutte pour maintenir son activité, ou s’il s’agit de la développer face à la concurrence, notamment européenne. Dans un second temps, l’utilisation des travaux récents sur l’application de la théorie de la gouvernance aux stations de montagne permet de mettre en évidence la présence de plusieurs groupes d’acteurs dont les intérêts s’expriment au travers de la collectivité. La prise en compte de ces intérêts permet de compléter les objectifs propres des collectivités. Les objectifs des deux partenaires des délégations de service public divergent, mais l’apport d’un opérateur privé dans la gestion d’un domaine skiable reste réel. A condition cependant pour les stations de présenter des garanties minimales en terme de développement futur, et notamment d’enneigement.

A- Un environnement juridique particulièrement contraignant

La gestion de remontées mécaniques est entourée par un environnement juridique contraignant, au regard des conditions initiales dans lesquelles s’est développée cette activité. En effet, si des normes strictes ont été très vite édictées pour contrôler la sécurité des appareils de remontées mécaniques mis en service, la liberté de l’initiative privée prévalait jusqu’en 1985, malgré la possibilité pour les collectivités qui le souhaitaient 9 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

d’exploiter directement un tel service, qui participait au fonctionnement du service public9. En 1993, après l’entrée en vigueur de deux lois majeures, les conditions d’exercice sont radicalement différentes pour les opérateurs privés. Ceux-ci doivent contracter avec la collectivité, et se préparer à une éventuelle mise en concurrence pour assurer leur présence.

1- Les remontées mécaniques, un service public : le reflet de l’implication des collectivités de montagne dans leur développement Le développement des stations de montagne correspond à la volonté de l’Etat français mais aussi des collectivités de créer des conditions favorables à leur essor économique, dans un contexte où les effets de la désertification rurale se faisaient sentir en montagne. L’implication des collectivités a été très variable, suivant le mode de développement adopté lors de la création des stations. Leur importance pour le développement local a néanmoins conduit les collectivités à revendiquer une plus grande maîtrise de la politique touristique menée sur leur territoire.

a- Le développement initial des remontées mécaniques en France : une initiative privée en lien plus ou moins direct avec les collectivités Le développement de chaque station est unique. Mais une typologie classique permet de dégager des périodes distinctes d’émergence des stations, correspondant schématiquement à des modes de développement différents. Les premières stations des Alpes se développent sans plan préconçu. Le développement du ski est inattendu et très progressif. Aux quelques hurluberlus pratiquant ce loisir avant la première guerre mondiale succèdent des habitués qui repèrent systématiquement les sites skiables en altitude. Entre 1923 et 1936 sont mises en service les remontées mécaniques les plus célèbres : les téléphériques du Revard à Chambéry, de Bellevue aux Houches, du Brévent à Chamonix….En 1936, 9 stations alpines possédaient au moins un téléski. Dans les Pyrénées n’existaient qu’un téléphérique deux chemins de fer à crémaillère et deux téléskis10. L’installation de ces infrastructures relevait soit de l’initiative propre de la commune, soit de celle d’un propriétaire, qui exploite alors une ou plusieurs lignes de remontées mécaniques à titre privé. Sur le territoire d’une même station peuvent cohabiter plusieurs exploitants. La commune est souvent en position de force lorsqu’il s’agit de prendre des décisions relatives au développement de la station : elle fait face à une multitude de partenaires plutôt dispersés. Une nouvelle perspective apparaît après la Seconde Guerre mondiale. Le département de la est précurseur, avec la création de la station de la station de Courchevel en 1946. La création de cette station répond à la volonté affirmée des collectivités de s’impliquer dans le développement des stations. Un rapport rendu à cette occasion est éloquent : « Jusqu’ici (…), le Département intervenait pour prendre le plus souvent à son compte des dépenses parfois considérables pour les travaux routiers ou d’électrification. Ces travaux, non-rentables en eux-mêmes, permettaient à des particuliers ou à des sociétés, de réaliser 9 Conseil d’Etat, arrêt Commune d’Huez, 23 janvier 1959, Recueil Lebon p67. 10 BALSEINTE, R, Les stations de sport d’hiver en France », Revue de Géographie Alpine, 1956, cité par KNAFOU, R, Les stations intégrées de sports d'hiver : l'aménagement de la montagne à la française, Masson,Paris, 1985, p18. Seules trois stations possédaient alors plus qu’un seul téléphérique ou un seul téléski : Chamonix (5 téléphériques, 1 téléski), Megève (2 téléphériques, 1 téléski), Saint Gervais (2 téléphériques, 1 crémaillère). 10 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

des profits par l’exploitation, rentable celle-là, des hôtels, téléphériques, remonte pente des stations. (...)Le but que nous nous proposons, c’est de faire cesser une telle situation et de couper court à toute spéculation. Pour cela, nous vous proposons la mise en valeur complète, par le Département, d’une région entière, en exécutant non seulement les travaux de voirie, mais en prenant possession des terrains susceptibles de constituer des zones d’habitation, de construire des remonte-pentes ou des téléphériques, d’établir des pistes ; en un mot, d’aménager une station de sports d’hiver qui apportera des possibilités de 11 revenus à notre collectivité, et augmentera son patrimoine . »Le département est donc maître d’ouvrage lors de la construction de Courchevel. Les communes concernées cèdent l’emprise foncière correspondant au domaine skiable de la station au département, qui en exploite la totalité par le biais d’une régie départementale, le Service Public des Trois Vallées12. Enfin, la construction de stations dites « intégrées » est lancée à partir de 1962, la référence en ce domaine étant la station de La Plagne. Cette dernière période de construction des stations marque l’emprise d’un promoteur-concessionnaire unique chargé à la fois de la construction des immeubles de la station, mais aussi de tous ses équipements. La mise en place de ces opérations d’aménagement intégré n’a pas favorisé la clarté des montages financiers, comme dans le cas de la station des Arcs. Le développement de ces stations est favorisé par le Plan Neige élaboré en 1970 par le SEATM (Service d’Etudes et ème d’Aménagement Touristique de la Montagne) dans le cadre du IV Plan. L’Etat met en place une véritable politique d’aménagement de la montagne, avec pour but de lutter contre la désertification des territoires montagnards. Les collectivités concernées, et en premier lieu les communes, restent généralement en dehors de l’exploitation de ces stations.

b- L’affirmation du caractère de service public permet le retour des collectivités sur une question forte en enjeux de développement Le fait que dans de nombreuses stations la ou les collectivités concernées soient de fait écartées de la gestion du développement touristique de la station, et notamment de l’activité de gestion des domaines skiables, a conduit les élus à revendiquer la maîtrise de ces opérations. Les facteurs de développement économique apportés par les stations de sports d’hiver ont conduit certaines collectivités à s’engager dans la création et l’exploitation de stations, comme le souligne la Chambre Régionale des Comptes de Provence-Alpes Côte d’Azur : « Les stations de sports d’hiver apparaissent souvent aux communes de montagne en voie de dépeuplement comme l’unique chance de survie face au déclin de leurs activités traditionnelles. L’aménagement et l’exploitation d’un domaine skiable représentent, à leurs yeux, le moyen de créer des emplois sur place en valorisant les terrains et les activités

11 ème Extrait du rapport de M Sibue, au nom de la 3 Commission du Conseil Général de Savoie, séance du 26 novembre 1945, cité par KNAFOU, R, , Les stations intégrées de sports d'hiver : l'aménagement de la montagne à la française, Masson,Paris,1978,p21 12 D’autre départements prennent une initiative similaire, bien que l’aménagement de la station se fasse selon des modalités différentes. C’est le cas de la station de Chamrousse, initiée par un syndicat de communes et le département de l’Isère. Ce dernier prend en charge la maîtrise foncière du projet ainsi que les infrastructures de base, tandis qu’une société concessionnaire réalise les investissements sportifs (dont les remontées mécaniques et l’aménagement des pistes) et immobiliers. 11 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

13 locales. » Si pour certaines collectivités la tentative s’est avérée difficile à supporter financièrement, l’impact local du développement d’une station de sports d’hiver est réel. Le chiffre d’affaires global de l’économie des sports d’hiver pour la saison 2005-2006 est estimé à 6 milliards d’euros, soit 6% des revenus du tourisme. Selon Vincent Rolland, député de Savoie, « la contribution du secteur du tourisme à l’emploi en montagne est considérable 14 et se chiffre en plusieurs centaines de milliers d’emplois . » De fait, 32% des emplois dans les Alpes se trouvent dans les communes supports de stations15. L’aménagement touristique conduit également à améliorer les infrastructures existantes. En 1982, la loi Defferre transfère aux communes des compétences en matière d’urbanisme, soumises jusqu’alors à la tutelle de l’Etat. L’amorce de la décentralisation permet aux communes de montagne de revendiquer la maîtrise des décisions en matière de développement local. La loi « Montagne » introduit le principe faisant des communes ou de leurs groupements les autorités compétentes en matière d’aménagement touristique. Cela se traduit notamment par la refonte de la procédure UTN (Unité Touristique Nouvelle) à la base des opérations d’aménagement touristique. Cette loi introduit également un véritable bouleversement dans l’organisation de la gestion des remontées mécaniques.

2- Les lois « Montagne » et « Sapin » bouleversent les modes de gestion des remontées mécaniques L’exploitation d’appareils de remontées mécaniques n’était conditionnée en 1985 que par l’obtention des autorisations nécessaires notamment sur le plan de la sécurité. Initiative publique et privée coexistaient, dans des contextes très différents : très petits exploitants mettant en service un nombre réduit d’appareils, promoteurs chargés par ailleurs de l’aménagement complet de stations intégrées. Ces derniers étaient le plus souvent liés par convention avec le département ou la ou les communes concernées. La loi « Montagne » puis la loi « Sapin » introduisent deux changements successifs dans l’organisation de l’activité. D’une part, les remontées mécaniques deviennent un transport public local à part entière, organisé par les collectivités dans le cadre de leur politique d’aménagement touristique. D’autre part, les conventions conclues avec les collectivités ont une durée limitée et leur bénéfice est remis en cause par une mise en concurrence périodique.

a- La loi « Montagne » introduit une révolution dans le secteur des remontées mécaniques : La loi « Montagne » donne à toutes les collectivités supports de stations le statut d’autorités organisatrices de leur développement touristique. Compte tenu du caractère de service public reconnu à l’activité de gestion des remontées mécaniques depuis 1959, certaines collectivités exerçaient déjà cette prérogative en gérant les remontées mécaniques sous la forme d’une régie. 13 Les stations de sports d’hiver en Provence Alpes Côte d’Azur, in Rapport public annuel de la Cour des Comptes de 2000, 2001, p 812 14 ROLLAND, Vincent, Rapport au Premier Ministre : Attractivité des stations de sports d’hiver : reconquête des clients et compétitivité internationale, 2006, p15. 15 ODIT France, Les chiffres clefs du tourisme de montagne en France, 2006, p30 12 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

er La loi « Montagne » reconnaît dans son article 1 que «la politique de la montagne a pour finalité de permettre aux populations locales et à leurs élus d’acquérir les moyens de la maîtrise de leur développement en vue d’établir, dans le respect de l’identité culturelle montagnarde, la parité des revenus et des conditions de vie entre la montagne et les autres régions. Elle se fonde sur la mise en valeur optimale des potentialités locales ». La traduction de ce principe en matière de gestion des remontées mécaniques bouleverse ce secteur d’activité: Article 42 : «En zone de montagne, la mise en œuvre des opérations d’aménagement touristique s’effectue sous le contrôle d’une commune, d’un groupement de communes ou d’un syndicat mixte regroupant des collectivités territoriales. Sauf recours à la formule de la régie, cette mise en œuvre s’effectue dans les conditions suivantes : - Chaque opérateur doit contracter avec la commune ou le groupement de communes ou le syndicat mixte compétent - Chacun des contrats porte sur l’un ou plusieurs des objets constitutifs de l’opération touristique : études, aménagement foncier et immobilier, réalisation et gestion des équipements collectifs, construction et exploitation du réseau de remontées mécaniques, gestion des services publics, animation et promotion (…). » Art 46 : « Le service des remontées mécaniques est organisé par les communes sur le territoire desquelles elles sont situées ou par leur groupement (…). » Art 47 : « L’exécution du service est assurée soit en régie directe, soit en régie par une personne publique sous forme d’un service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention à durée déterminée avec l’autorité compétente. La convention est établie conformément aux dispositions de l’article 42 et fixe la nature et les conditions de fonctionnement et de financement du service. Elle définit les obligations respectives des parties (…). Elle peut prévoir la participation financière de l’exploitant à des dépenses d’investissement et de fonctionnement occasionnées directement ou indirectement par l’installation de la ou des remontées mécaniques. Dans un délai de quatre ans à compter de la publication de la présente loi, toutes les remontées mécaniques qui ne sont pas exploitées directement par l’autorité compétente doivent faire l’objet d’une convention conforme aux dispositions de la présente loi. Toutefois, si à l’expiration du délai de quatre ans, du fait de l’autorité organisatrice et sans qu’elle puisse invoquer valablement la responsabilité du contractant, la mise en conformité de la convention antérieurement conclue n’est pas intervenue, cette convention continue de produire ses effets pour une durée maximale de dix ans. »16. Les communes ou leurs groupements sont donc les autorités organisatrices en ce qui concerne l’aménagement touristique. Les groupements peuvent être une communauté de communes, un syndicat de communes, ou un syndicat mixte impliquant le département. La notion de service public utilisée auparavant pour la qualification de la gestion des remontées mécaniques n’impliquait pas de contrainte en matière d’organisation de cette activité tant qu’elle relevait de l’initiative privée. La loi « Montagne » en fait un service de transport public à part entière, en se référant à la loi sur les transports intérieurs du 30 décembre 1982 (loi n°82-1153).

16 Loi n°85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne 13 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

L’article 46 fait des communes ou de leurs groupements, dans le cas d’un domaine skiable établi sur le territoire de plusieurs communes, l’autorité organisatrice des remontées mécaniques, intégrées aux activités d’aménagement touristique. La loi fait cependant une exception pour les stations gérées avant 1985 par les départements, qui restent sous leur autorité. L’article 47 de la loi introduit clairement la notion de contractualisation obligatoire entre les communes ou leurs groupements, et les exploitants. Cette contractualisation n’a pas encore le nom de délégation de service public, créé par la loi « Sapin », mais elle en prend la forme. Les contrats peuvent être des concessions, lorsque l’opérateur privé prend en charge les investissements, ou d’affermage lorsque seuls les coûts d’exploitation et d’entretien courant sont à sa charge. Cette transformation a été vécue par les exploitants « historiques » comme une véritable « nationalisation » de leur outil de travail. Blandine Tridon, Secrétaire générale de la société Rémy Loisirs, souligne les implications de la loi « Montagne » pour son fondateur. « Rémy Loisirs à l’origine est un privé qui a créé une station dans les Vosges. Là, on est avant les délégations de service public. La loi Montagne en 1985 a en quelque sorte « nationalisé » les remontées mécaniques. Je dis cela parce qu’à l’échelle du fondateur de l’entreprise, qui avait tout créé, tout à coup on lui a signifié qu’il n’y avait plus de fond de commerce. 17 Donc il y a eu un vrai choc au niveau de ces générations-là d’entrepreneurs. » En effet, l’opérateur privé qui avait développé une activité de sa propre initiative n’est plus maître de sa présence ou non sur le terrain. L’autorité organisatrice définit avec lui par une convention les modalités de son activité. De plus, une limite de la durée de ces conventions est instaurée par l’article 42 : « La nature de ces contrats est modulée en fonction de la nature et de l’importance des investissements consentis par l‘aménageur ou l’exploitant. Elle ne peut excéder dix-huit ans que si elle est justifiée par la durée d’amortissement technique ou lorsque le contrat porte sur des équipements échelonnés dans le temps. Elle ne peut, en aucun cas, être supérieure à trente ans ». Nombre d’opérateurs impliqués dans des opérations de grande envergure étaient engagés dans des conventions d’une durée très longue. Le contrat initial liant la commune de Villard de Lans à la Société d’équipement de Villard de Lans prévoyait ainsi une durée de 75 ans18. Les contraintes introduites sont donc très importantes au regard de la situation précédant la mise en place de la loi. Elles sont accrues rapidement par la mise en place de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin ».

b- La loi « Sapin » complète ce bouleversement en introduisant une procédure de concurrence obligatoire La constitution de concessions à durée limitée signifie que leur renouvellement devient une période cruciale pour les opérateurs privés, qui prennent le risque d’être évincés de l’exploitation des remontées mécaniques. La mise en place et le renouvellement des contrats de délégation de service public sont rendus plus contraignants par l’introduction d’une procédure de mise en concurrence systématique. L’article 38 de la loi « Sapin » 17 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008. Voir Annexe 6, p 129. 18 Chambre Régionale des Comptes de Rhône-Alpes, observations définitives sur la gestion de la commune de Villard de Lans à partir de 1989, 1998, p6. 14 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

prévoit : « (…) Les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil 19 d'Etat. » De fait, cette remise en concurrence introduit un risque réel pour les opérateurs privés, qui ne sont pas assurés de conserver la possibilité d’exercer leur activité. Mais encore faut- il que cette procédure soit respectée pour que ses effets soient réels. Des procédures de contournement ou d’anticipation ont conduit à minorer dans un premier temps l’étendue de la portée de la loi « Sapin 20». Des efforts récents d’éclaircissement du droit applicable conduisent à rendre plus difficile d’échapper aux remises en concurrence. Le principe de remise en concurrence régulière des conventions de délégation de service public tend donc à prévaloir aujourd’hui. C’est ce qui fait dire à Jean François Blas, directeur délégué de la Compagnie des Alpes: «[la re-négociation de contrats arrivés à leur terme ] est le point crucial de notre métier.(…) Certains ont déjà été prolongés. Le problème, c’est que maintenant il y a une qui date d’il y a 5-6 ans, normalement on n’a plus de droit de prolonger des contrats. C’est une conséquence de la loi Sapin, qui dit qu’il faut remettre en concurrence à chaque fois normalement à l’issue de la concession. Dans notre métier, on essaie de ne pas aller à la fin de la concession, puisque pour nous ce serait très embêtant. Ça veut dire qu’à la fin de la concession, la commune peut reprendre l’exploitation ou la redonner à quelqu’un d’autre, mais avec des indemnisations qui sont relativement faibles, qui dépendant des contrats, mais la plupart du temps c’est la valeur nette comptable des installations, ce n’est donc pas beaucoup. Cela ne tient pas compte de la valeur économique 21 de la société. » Du côté des collectivités, les dispositions de la loi « Sapin » renforcent leurs prérogatives lors de la conclusion des concessions de délégation de service public. À elles cependant de veiller à définir correctement un projet de développement du domaine skiable ou des seules remontées mécaniques, et à être en mesure de conduire les négociations précédant le choix définitif de l’opérateur. La mise en place de cette procédure ne vaut par ailleurs que si une véritable concurrence peut s’installer entre opérateurs. Autant de paramètres qui mettent en question la mise en pratique du cadre défini par l’environnement législatif. Cette pratique est fortement influencée par les caractéristiques propres de l’activité de gestion de remontées mécaniques, et par la nature des acteurs en présence. .

B- Des acteurs aux intérêts potentiellement divergents

Un même ensemble de contraintes propres à l’exploitation des remontées mécaniques s’impose aux collectivités et aux délégataires. La connaissance de ces contraintes et de leur évolution peut pousser une collectivité à adopter une gestion déléguée. Par ailleurs,

19 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 20 Voir infra, p 55 et s. 21 Entretien réalisé avec M Blas le 18 avril 2008. Annexe 5, p 124. 15 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

la position des opérateurs privés déjà délégataires ou susceptibles de le devenir n’est pas aussi claire qu’il peut le paraître. Leur petit nombre les place dans un contexte de marché oligopolistique, voir monopolistique selon leur positionnement, mais ils font face dans la gestion des domaines skiables à d’autres sociétés qui réduisent leur marge de manoeuvre notamment en matière de politique commerciale. Quant aux collectivités, elles ne font pas face aux mêmes contraintes selon la position de leur station sur le marché français et européen. Elles sont également composées de plusieurs acteurs dont les intérêts peuvent s’exprimer au travers des élus dans leurs rapports avec les délégataires.

1- La gestion des remontées mécaniques, une activité particulièrement contraignante Deux caractéristiques doivent être soulignées. L’exploitation de remontées mécaniques implique une très forte intensité capitalistique, qui tend à s’accentuer récemment avec la mise en place de nouveaux types d’investissements et d’équipements. La commercialisation et la qualité du service apporté deviennent de plus en plus des caractères cruciaux dans ce secteur d’activité, compte tenu de la faible progression de fréquentation attendue dans les prochaines années, notamment e ce qui concerne la clientèle française.

a- Une activité fortement capitalistique L’installation puis la gestion de remontées mécaniques est une activité très fortement capitalistique. Ceci s’explique d’une part par le coût des appareils, et d’autre part par les réglementations relatives à la sécurité imposant un entretien parfois lourd. À ces dépenses traditionnelles s’ajoutent des postes de dépense développés plus récemment, comme la neige de culture, l’aménagement des pistes (souvent inclus au sein de la convention de délégation de service public) ou la signalétique. Le parc français de remontées mécaniques est le premier au monde en terme de nombre d’appareils, mais aussi de « moment de puissance22 », l’unité utilisée pour mesurer les capacités des installations23. En 2001, 4000 installations étaient en fonctionnement, soit 2912 téléskis, 857 télésièges, 142 télécabines, 63 téléphériques, 19 funiculaires, 10 ascenseurs. Une station au domaine skiable modeste, comme Pralognan-la-vanoise, dispose de 12 appareils. Une station très importante comme La Plagne compte 51 remontées mécaniques. Le nombre de ces installations doit être rapporté à leur valeur : aujourd’hui, un téléski de 200m de dénivelée et d’un débit de 900 skieurs par heure coûte 0,3 millions d’euros. Un télésiège de 300 mètres de dénivelée et d’un débit de 1500 skieurs par heure coûte 1,5 millions d’euros. Une installation exceptionnelle (téléphérique, funiculaire) reliant par exemple deux domaines skiables peut nécessiter la mobilisation de plus de 15 millions d’euros24. L’installation de nouveaux appareils de remontée mécaniques ne correspond plus dans la plupart des cas à l’ouverture d’un nouveau domaine skiable ou à l’extension d’un domaine 22 Le « moment de puissance » est défini par le Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés comme la multiplication du débit théorique à la montée de l’installation et de sa dénivelée. Le Syndicat National des Téléphériques de France introduit en plus un coefficient en fonction du type d’appareil considéré. 23 ODIT France, Chiffres clefs du tourisme de montagne, 2006, p 52 24 Chiffres tirés de AMOUDRY, Jean-Paul, Rapport au Sénat sur l’application de la loi Montagne, annexe au procès-verbal du 9 octobre 2002, pp179-181 16 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

préexistant. Après avoir connu une très forte croissance jusqu’en 1990, le nombre de remontées mécaniques en fonctionnement reste stable, voire en faible diminution depuis près de 20 ans25. La majeure partie des investissements concerne le renouvellement des appareils existants. L’importance des investissements nécessaires explique pourquoi malgré la longue durée de vie des équipements (30 à 35 ans pour un télésiège sans modification), le renouvellement doit être progressif et si possible ne pas prendre de retard. Au coût initial des installations s’ajoute celui des révisions et des contrôles imposés par les exigences de sécurité. Le Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés (STRMTG) assure le contrôle régulier des installations. L’autorisation d’exploitation est conditionnée par ce contrôle, qui implique des grandes inspections coûteuses dont la fréquence augmente avec l’âge de l’appareil. Aux appareils de remontées mécaniques s’ajoute enfin le matériel nécessaire à l’entretien des pistes en hiver et en été. L’exploitation d’une station de taille moyenne comme Chamrousse nécessite l’emploi de cinq dameuses, chacune d’entre-elles valant 250 000 €. Les exploitants peuvent être amenés à louer ces appareils très coûteux26. Ces dépenses traditionnelles dans le secteur des remontées mécaniques restent le poste le plus important. Cependant, depuis les années 1990, de nouveaux impératifs d’investissement sont apparus. Une succession de trois hivers à faible enneigement entre 1989 et 1991 ont convaincu les opérateurs de la nécessité de mettre en place des mécanismes d’enneigement artificiel. Les perspectives de modification des conditions climatiques hivernales, si elles ne sont pas toutes concordantes, indiquent cependant dans le futur une augmentation des fréquences des saisons peu enneigées27. Des efforts ont également porté sur l’aménagement des pistes pour permettre une meilleure skiabilité avec un enneigement réduit. En 2006, les investissements en neige de culture et en travaux de pistes représentaient 24% des investissements totaux, contre 48% pour la mise en place de nouvelles remontées mécaniques. Le Syndicat National des Téléphériques de France (SNTF) prévoit que la part des investissements en remontées mécaniques devrait diminuer sensiblement dans les prochaines années au profit des investissements destinés à assurer un enneigement effectif28.

b- Une « course à la neige » sur un marché devenu mature Comme le souligne à plusieurs reprises Emmanuel Petit, conseiller administratif et juridique auprès des collectivités au sein de l’ASADAC29, dans l’entretien réalisé, les délégations de service public en matière de remontées mécaniques ont un caractère « industriel et commercial » très marqué. En effet, les usagers du service public concerné sont loin d’être captifs, et les risques encourus par les opérateurs sont réels. « On est en dehors des compétences habituelles avec des clientèles captives, comme l’eau, l’assainissement, etc… Ce sont des délégations de service public, mais il n’y a plus grand-chose à réinventer dans 25 AMOUDRY, Jean-Paul, Rapport au Sénat sur l’application de la loi Montagne, annexe au procès-verbal du 9 octobre 2002, p180. En 1945, 50 remontées mécaniques existaient en France, 400 en 1960, 1809 en 1970 et 3270 en 1980. Depuis 1990, leur nombre est proche de 4000. 26 Voir l’entretien réalisé avec M Ligney, directeur général de la commune de Chamrousse, le 4 mars 2008, Annexe 1, p 90. 27 Voir par exemple ODIT France, Les chiffres du tourisme de montagne , 2006, reproduit en Annexe 7. 28 SNTF, Recueil d’Indicateurs et Analyses 2007, p21 29 Agence Savoyarde d’Aménagement, de Développement et d’Aide aux Collectivités 17 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

ce type de contrat, tandis que nous sommes dans des domaines atypiques, où le client peut aller dans une autre station à 15 kilomètres, avec un aléa climatique, des capacités 30 d’investissements… » Or, le plafonnement du nombre de remontées mécaniques nouvelles construites en France révèle la maturité atteinte par le marché des sports de glisse. L’augmentation de la fréquentation reste mesurée depuis les années 199031. Le taux de départ en stations reste inférieur à 9%.Les statistiques montrent par ailleurs que l’âge moyen de la clientèle des stations de sports d’hiver vieillit. Or, la pratique du ski alpin est fortement corrélée à l’âge des visiteurs. L’évolution démographique pourrait donc conduire non pas à une baisse de la fréquentation des stations, mais à une diminution de la pratique du ski32. Il n’est pas certain que l’attrait des nouvelles glisses pour les jeunes compense ce phénomène. C’est surtout la clientèle étrangère qui permet de faire augmenter la fréquentation globale. Cependant, celle-ci tend à être contrôlée par quelques tour-opérateurs qui centrent leurs partenariats avec les grandes stations. Il devient donc crucial de développer une réelle stratégie de commercialisation à l’échelle européenne. La clientèle française ou étrangère tend par ailleurs à devenir de plus en plus exigeante en matière d’équipements disponibles. Les grands domaines reliés sont privilégiés et tendent à servir de standard pour juger les prestations des stations. Or, le confort supplémentaire procuré par un système de contrôle de forfaits « mains libres », ou par un télésiège débrayable33 se traduit par un surcoût important pour l’exploitant de remontées mécaniques : de 2,4 à 4,3 millions d’euros pour un télésiège débrayable, contre 1,7 millions d’euros en moyenne pour un télésiège à pinces fixes34. La concurrence a par ailleurs tendance à s’accroître. Les destinations « ensoleillées » sont souvent préférées aux stations de sports d’hiver. De nouveaux domaines skiables captent la clientèle étrangère, notamment en Europe centrale et orientale. L’Autriche semble en capacité de concurrencer l’offre française tant pour la clientèle interne qu’externe35, notamment grâce à la réalisation d’interconnexions entre stations à la fois par les sommets, spécificité française jusque-là, et par les fonds de vallée. L’exacerbation de la concurrence engage les stations de sports d’hiver dans une véritable course à la qualité pour satisfaire au mieux la clientèle. Cette qualité concerne à la fois les remontées mécaniques elles-mêmes, avec l’installation d’appareils plus rapides et de plus grande capacité et fiabilité. Elle inclut également un effort de plus en plus important en matière de signalétique sur les pistes36 . Enfin, la garantie de l’enneigement est privilégiée avec le développement très important de la neige de culture37. Le durcissement du contexte concurrentiel explique donc en partie la progression constante des investissements en

30 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai. Annexe 4, p 109. 31 SNTF, Recueil d’indicateurs et analyses 2006, p16. Voir Annexe 7, p147. 32 ODIT France, Chiffres clefs du tourisme de Montagne, 2006, p47. 33 Les télésièges dits « débrayables » sont plus récents que les télésièges « à pinces fixes ». Généralement d’une plus grande capacité, ils permettent aussi grâce à la technique utilisée une plus grande vitesse à la montée. 34 Avis n°01-A-02 du Conseil de la concurrence relatif à l’acquisition du groupe Poma par la société Leitner, 13 février 2003 35 ROLLAND, Vincent, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité des stations de sports d’hiver, 2006, pp21, 26. 36 Entretien avec Mme Tridon, Annexe 6, p 136 37 Entretien avec M Blas, Annexe 5, p 123 18 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

volume et de leur ratio par rapport au chiffre d’affaire réalisé par les exploitants publics et privés38 . Par ailleurs, le parc de remontées mécaniques français a besoin d’être renouvelé. La première génération d’équipements date des années 1970. L’âge moyen des appareils est de 25 ans, mais ce chiffre masque de grandes disparités selon les stations. Ainsi, « Dans les petites et moyennes stations, la moitié du parc est composée d’appareils de plus de 30 ans, alors que les appareils récents, installés après 1995, ne représentent que 5% du 39 moment de puissance ».Ces appareils récents représentent près de 45% du moment de puissance dans les très grandes stations40. Le secteur des remontées mécaniques réclame donc plus que jamais d’avoir à disposition des ressources importantes afin de pouvoir faire face aux éventuelles baisses de fréquentation dues à un hiver peu enneigé et d’avoir les capacités d’investissement nécessaires pour garantir le maintien de l’activité et la place de la station sur un marché hautement concurrentiel. Le cas de l’opérateur de remontées mécaniques Transmontagne est révélateur de la réalité de ces contraintes. Cet opérateur exploitait le domaine skiable de six stations moyennes principalement dans les Alpes ainsi que sept petites stations du Queyras, mais également des remontées mécaniques dans les Pyrénées et le Massif Central. Cette gestion était le plus souvent déléguée à cette société par une SEM titulaire de la délégation de service public41. L’exploitation des domaines skiables représentait 74% du chiffre d’affaire du groupe, qui était également investit dans l’hébergement (14% du chiffre d’affaire), la location de matériel de ski (5% du chiffre d’affaire)42. La société a éprouvé de graves difficultés financières à la suite du manque de neige pendant la saison 2006-2007, dues d’une part au manque à gagner en matière de vente de forfaits, mais aussi au faible remplissage des lits gérés. La société, mise en redressement judiciaire en juillet 2007, a déposé le bilan le er 1 octobre 2007. La disparition de ce groupe a contribué à restreindre un marché des opérateurs déjà fortement concentré.

2- Une situation oligopolistique sur le marché des opérateurs privés La transformation des conditions d’exercice de la gestion de remontées mécaniques, tant sur le plan juridique que concurrentiel ou climatique a conduit à une concentration du secteur. Aujourd’hui, quatre grands groupes se partagent le marché. Une situation oligopolistique se dessine, voire monopolistique pour certains opérateurs au profil très spécifique. Il faut néanmoins souligner la place d’intermédiaires qu’occupent ces opérateurs entre les usagers et ceux qui les font venir en station, c’est-à-dire les hébergeurs et les tour opérateurs.

38 ODIT France, Chiffres clefs 2006 du Tourisme de Montagne, 2006, p42. Voir Annexe 7, p 142. 39 ROLLAND, Vincent, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité des stations de sports d’hiver, 2006, pp12-13. 40 ROLLAND, Vincent, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité des stations de sports d’hiver, 2006, p92. Voir Annexe 7, p 144. 41 C’était le cas notamment dans les stations Superlioran et Pra Loup 42 Chiffres extraits de la décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 du Conseil de la Concurrence, relative à des pratiques mises en œuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques de la station de ski de Pra Loup. 19 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

a- Un marché partagé entre quatre groupes aux positionnements distincts : oligopole v. monopole ? Si l’on exclut les exploitants centrés sur une seule station voire une partie d’un domaine skiable, les opérateurs privés capables de répondre à un appel de mise en concurrence sont peu nombreux. Dans les Alpes, les quatre opérateurs principaux sont le Compagnie des Alpes, la société Rémy Loisirs, la SOFIVAL (Société Financière de Val d’Isère) et le groupe Maulin Montagne Participation. Avant octobre 2007 existait également le groupe Transmontagne. Dans les Pyrénées, la société Altiservice, filiale de l’entreprise la Lyonnaise des Eaux, est seule présente. Cette situation, que l’on pourrait qualifier d’oligopolistique de par le nombre des acteurs présents sur le marché, ressemble plus de fait à un monopole tant les stratégies des opérateurs sont distincts. Leurs pratique des délégations de service public est également très différente, selon leur mode de développement qu’elles ont adopté. La Compagnie des Alpes est l’exploitant de remontées mécaniques le plus puissant au monde. Cette filiale de la Caisse de Dépôts et Consignations a été créée en 1989 afin de fédérer le marché des opérateurs de remontées mécaniques des grandes stations. Cotée en Bourse à partir de 1994, la Compagnie des Alpes a basé sa croissance sur la prise de contrôle de sociétés exploitant les plus grands domaines skiables français : , , La Plagne, Peisey-Vallandry, Les Menuires, Les Grands Montets, puis Méribel, Grand Massif, Serre-Chevalier. En octobre 2007, la Compagnie des Alpes a pris le contrôle de la STVI (Société des Téléphériques de Val d’Isère), exploitant des remontées mécaniques de Val d’Isère, ainsi que des participations minoritaires dans les sociétés exploitant les domaines skiables des stations de La Rosière, Valmorel et Avoriaz. La Compagnie des Alpes détient également des participations minoritaires au sein de deux stations Suisses et une station italienne. Pour compléter l’activité d’exploitation de domaines skiables, la ie Compagnie des Alpes a racheté en 2002 la société Grévin et C , gestionnaire de parcs de loisirs. En matière de remontées mécaniques, la stratégie de la société est de sécuriser sa présence en évitant si possible les procédures de remise en concurrence induites par les délégations de service public : « (…) dans tous les cas, on essaie de ne pas aller jusque-là , donc de renégocier avant. C’est ce qui s’est fait il y a plusieurs années, à la fin des années 1990. À Val d’Isère, ça a été fait dans les années 1991, on a repris 30 ans pour aller jusqu’à 2021, Tignes dans les années 1995, La Plagne… Tout ça, à la fin des années 1990, on a réussi à reprendre 30 ans. Donc aujourd’hui, on a des concessions qui finissent entre le plus 43 proche 2017-2018 et 2027-2028 ». Les stations intéressant la Compagnie des Alpes sont essentiellement des stations d’altitude, ayant de fortes capacités d’hébergement. Force est de constater que les stations de ce type en France lui appartiennent en grande majorité. Les exceptions notables sont L’Alpe d’Huez, Courchevel, ou les Deux Alpes. La prise de participation de la Compagnie des Alpes à hauteur de 60% au sein de la STVI puis à hauteur de 20% dans les stations de La Rosière, Valmorel et Avoriaz a initié un rapprochement avec un autre opérateur, la SOFIVAL. Cette société familiale s’est développée progressivement à partir de la STVI. Elle est concessionnaire de l’ensemble de ces domaines skiables, ce qui en faisait le deuxième opérateur français. Son développement reste centré sur la Savoie et la Haute-Savoie. Le rapprochement avec la Compagnie des Alpes permet à cette dernière de contrôler près de 38% du chiffre d’affaire des remontées mécaniques françaises.

43 Entretien réalisé avec M Blas le 18 avril 2008. Annexe 5, p 124 20 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

Dans le domaine des opérateurs s’intéressant aux stations de moyenne montagne, trois exploitants principaux sont présents. La société Altiservice exploite six stations dans les Pyrénées, mais n’a jamais répondu à un avis de mise en concurrence dans les Alpes. La société Rémy Loisirs exploite à ce jour 9 stations dans les Alpes. Cette société s’est développée dans un premier temps dans les Vosges, en exploitant deux stations. À partir de 1996, elle a entrepris de diversifier son activité géographiquement afin de mieux résister à l’aléa climatique. Le rachat de la Société d’Economie Mixte de St François-Longchamps lui a permis de faire ses preuves dans les Alpes. Par la suite, sa croissance a été effectuée par des réponses aux avis de mise en concurrence. Cette société se positionne depuis 2004 dans une approche de commercialisation capitalisant sur l’image de ses stations de moyenne montagne44. Enfin, le groupe Maulin Montagne Participation a fait son apparition en 2004. Cette société familiale a procédé à plusieurs rachats et réponses à des avis de mise en concurrence et a formé le domaine des Sybelles regroupant les stations du Corbier, de Saint Jean d’Arves et St Sorlin d’Arves. Le groupe Maulin a par ailleurs repris deux des stations gérées par le groupe Transmontagne lors du dépôt de bilan de ce dernier. La situation des acteurs présents sur le marché montre une répartition claire entre les positionnements des opérateurs. Le positionnement de la Compagnie des Alpes semble la mettre à l’abri de toute concurrence sérieuse dans le domaine de l’exploitation des domaines skiables de grandes stations notamment après sa prise de participation importante au sein de la SOFIVAL, à moins qu’un opérateur étranger ne se lance dans l’expérimentation des délégations de service public à la française. En ce qui concerne les stations de moyenne montagne, la disparition du groupe Transmontagne a interrompu une période de concurrence réelle dans ce secteur : « En 2004, c’est l‘arrivée du Groupe Maulin. Pendant trois ans, on a eu de véritables mises en concurrence, avec une vraie émulation, sur Praz 45 sur Arly, St François Longchamps, Pralognan. ». À présent, la présence de deux groupes ayant déjà atteint une taille relativement importante, proche de leur taille critique, semble peu apte à garantir une véritable concurrence lors des procédures de création ou de renouvellement des délégations de service public.

b- La gestion des remontées mécaniques s’intègre au sein d’une chaîne d’activités et d’opérateurs Faut-il cependant relativiser l’importance des opérateurs de remontées mécaniques dans le fonctionnement des stations ? La notion de chaîne d’acteurs responsables de la commercialisation d’une station revient systématiquement dans les entretiens réalisés. Jean-Yves Rémy qualifie ainsi les opérateurs de remontées mécaniques de « sous 46 traitants », entre la collectivité et les hébergeurs . Il faudrait ajouter à ces deux acteurs la présence des tour-opérateurs. Il est cependant trop simple de décrire les exploitants de remontées mécaniques comme des intermédiaires dépendants de paramètres définis par des agents extérieurs. Les exploitants ont développé des stratégies pour réduire fortement cette dépendance. L’hébergement est un des paramètres essentiels dans l’évaluation de la capacité de développement d’une station. Ce qui compte n’est pas tant le nombre de lits disponibles 44 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 131 45 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p114. 46 « Mon patron dit toujours que l’on est des sous traitants, entre la collectivité et les hébergeurs, qui sont les éléments déterminants pour amener les clients. » Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 133 21 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

pendant la saison hivernale, que la nature de ces lits. La présence de résidences secondaires ne garantit guère le fonctionnement d’une station à sa pleine capacité. Les hébergements intéressants sont ceux qui comportent un grand nombre de lits en location, ou lits « chauds ». La présence de ces hébergements est un élément essentiel de l’évaluation de l’équilibre économique des contrats de délégation de service public : « Pour exploiter tant de remontées mécaniques avec tant d’employés, il y a tant de charges, tant d’investissements, tant d’amortissements, et derrière il faut qu’on vende tant de forfaits. 47 Donc il faut avoir tant de lits touristiques. » L’un des enjeux auxquels font face les collectivités, et en conséquence les exploitants de remontées mécaniques, est le passage d’hébergements de la catégorie de lits « chauds » à celui de résidence secondaire aux « volets clos » à l’issue des baux conclu avec les propriétaires. Les hébergements reflètent aussi la qualité de la station auprès des usagers, plus que la société de remontées mécaniques qui reste bien souvent transparente à leurs yeux : « On ne maîtrise donc pas beaucoup notre clientèle. Elle est liée à la qualité des lits, de l’hébergement, et puis à la qualité de la station en général. Il n’y a pas la même clientèle à Val d’Isère, à Tignes c’est déjà un peu différent, aux Ménuires ça l‘est encore. Mais ce n’est pas vraiment la société de remontées mécaniques. C’est la station, l’image qu’elle a 48 et la qualité d’hébergement qu’elle a. » À un bout de la chaîne, les collectivités doivent donc évaluer les possibilités de maintien et de développement de structures d’hébergement locatif dans la station pour garantir la fréquentation du domaine. Certaines font le choix d’autoriser un grand nombre de projets immobiliers. D’autres limitent ce développement en tentant de conserver l’image spécifique de leurs stations. De plus en plus, les opérateurs exigent dans les contrats de délégation une garantie en matière de réalisation d’un certain nombre de lits, par exemple en conditionnant leurs investissements à l’augmentation de la capacité d’hébergement de la station49. Une fois la mise en place des lits assurés, l’étape de leur commercialisation est cruciale. Comme le souligne Blandine Tridon, « dans la plupart de nos stations, le ski séjour domine. Donc si on n’a pas un pied dans l’hébergement, on est en économie de cueillette. On ouvre le guichet et on attend que les clients arrivent. Les hébergeurs, qui ont su développer la stratégie de marque bien avant, ont un pouvoir de négociation. Ils peuvent orienter les 50 clients vers telle ou telle station. ». Les hébergeurs sont en première position pour commercialiser la station auprès des tour-opérateurs. Français ou Européens, ils sont peu nombreux mais ils peuvent permettre d’assurer la renommée de la station et un relais efficace auprès de la clientèle, notamment étrangère. Cette clientèle venant en séjour notamment hors des vacances scolaires françaises est un élément important pour assurer la fréquentation des stations dans les années moyennes51. Les opérateurs de remontées mécaniques au sens strict ont des relations avec les tour-opérateurs et les hébergeurs lors de la négociation des tarifs pratiqués en séjour. Les groupes Transmontagne et Compagnie des Alpes se sont investis dans les domaines de l’hébergement. Une des raisons de

47 Entretien réalisé avec M Thomas, maire de Pralognan la Vanoise, le 24 avril 2008, Annexe 2, p 98. 48 Entretien réalisé avec M Blas le 18 avril 2008, Annexe 5, p 122 49 Voir par exemple l’entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 138. 50 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 138 51 M Ligney souligne ainsi le rôle joué par la mise en place de nouveaux lits et l’arrivée d’une clientèle étrangère pour limiter les pertes de la station de Chamrousse pendant la saison 2006-2007.Voir l’entretien réalisé avec M Ligney le 4 mars 2008, Annexe 1, p 89 22 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

l’adjonction de cette activité à celle des remontées mécaniques est donnée par la société Rémy Loisirs, qui a également choisi de s’impliquer dans l’hébergement pour contrôler les prix pratiqués par les hébergeurs auprès des tour-opérateurs.« Notre cœur de métier, c’est opérateur de domaines skiables. Mais on estime que pour être au courant du marché, il nous faut de l’hébergement dans chaque station. On ne veut surtout pas de monopole, puisqu’on estime que plus on a d’hébergeurs, mieux c’est. Dans la mesure où ça tire la notoriété de la station. On accompagne les acteurs, on signe des contrats pour faire de la prévente de remontées mécaniques, etc, mais on ne veut pas se faire étrangler par eux. (…) Si l’on est totalement dépendants, il n’y a pas de porte de sortie du marché. Pour nous, avoir une résidence dans chaque station nous permet d’aller sur le marché européen, voir les tour- opérateurs à notre échelle sans se mettre en risque économique. Nous avons donc des tarifs que n’importe quel hébergeur peut proposer s’il reste dans des proportions raisonnables 52 pour ses marges. Donc nous régulons le marché. ». D’autre part, la société Rémy Loisirs a mis en place un label de qualité regroupant l’ensemble des stations exploitées, sur le modèle des « Chaînes thermales du soleil » afin de garantir une meilleure visibilité sur le marché national et européen pour ces stations d’importance moyenne. La « visibilité » est peut-être le mot clef de la stratégie commerciale des opérateurs de remontées mécaniques. Leur dépendance vis-à-vis des lits créés grâce aux autorisations de la collectivité est réelle, mais cette contrainte tend à être intégrée aux contrats. De fait, la stratégie de commercialisation apparaît comme un élément de plus en plus important du métier d’exploitant, que ce soit pour les grandes stations disposant d’une reconnaissance immédiate ou pour les stations moyennes qui doivent imposer leurs caractéristiques propres sur le marché européen. L’importance grandissante des négociations commerciales constitue une incitation de plus pour les collectivités à déléguer à un opérateur privé une activité à laquelle elles sont peu préparées.

3- Des stations, des collectivités : à chaque situation des enjeux spécifiques Définir une typologie des stations françaises et des enjeux propres qui s’y rattachent est un exercice difficile, compte tenu de l’extrême diversité des situations et de la multitude d’acteurs impliqués au sein d’une station. La notion de « gouvernance », appliquée depuis quelques années aux stations de sports d’hiver, semble pouvoir apporter une approche de cette situation complexe.

a- Les stations de montagne françaises : un paysage très hétérogène Les stations de montagne et les collectivités qui les supportent sont très hétérogènes. Les critères de la modalité de création et du mode de gestion historique de la station ont déjà été évoqués53. Une typologie pertinente pour dégager les enjeux économiques s’imposant aux autorités organisatrices est celle des perspectives de développement des stations, qui tiennent à la fois de leur altitude, de leur nivologie, de leur capacités de maintien ou d’extension de l’hébergement. En pratique, il s’agit de distinguer très grandes, grandes, moyennes et petites stations. 52 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 138 53 Voir supra, p 10 23 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

Le SNTF propose dans son enquête annuelle sur l’état des remontées mécaniques le classement suivant de ses stations adhérentes, défini à partir de leur moment de puissance54 cumulé: -113 Petites stations : moment de puissance inférieur à 2 500 m-sk/h -40 Stations moyennes : moment compris entre 2 500 et 5 000 km-sk/h -40 Grandes stations : moment compris 5 000 et 15 000 km-sk/h -14 Très grandes stations : moment supérieur à 15 000 km-sk/h55 S’il peut paraître peu lisible aux non-initiés, ce classement permet de délimiter des catégories de base. Un résultat semblable aurait pu être obtenu en tenant compte de la surface des pistes disponibles, reflet de la taille du domaine skiable, ou bien de la fréquentation moyenne des stations. Mais compte tenu du coefficient appliqué par type d’appareil, ce classement permet de prendre en compte le niveau d’équipement des stations mais aussi dans une certaine mesure son caractère plus ou moins récent. Une fois ces catégories posées, il devient possible de montrer les disparités de situation entre ces stations. Les petites et moyennes stations apparaissent d’abord plus sensibles aux aléas climatiques. Cela peut tenir à leur altitude, moins élevée en moyenne que celle des stations de catégorie supérieure56, ou bien de leur moindre visibilité. Lors des mauvaises saisons, la clientèle a tendance à se reporter sur les grandes et très grandes stations en mesure de garantir la présence de la neige57. Ces stations sont ensuite en moyenne moins bien équipées que les grandes et très grandes stations. Leur parc d’appareils est vieillissant et des investissements lourds sont nécessaires58. Cependant, elles peuvent souvent compter sur une image de tourisme de qualité, plus familial que les grandes stations et se tournent vers l’offre de séjours multi-activités. Les grandes et très grandes stations ont généralement pour principal atout la garantie d’un domaine enneigé59 donc une moindre fluctuation du chiffre d’affaire lors des mauvaises saisons, une visibilité nationale voire internationale et des équipements plus récents. Elles sont confrontées plus directement à la concurrence de stations étrangères notamment pour la clientèle européenne. Enfin, les stations peuvent être différenciées selon leur clientèle. Celle-ci peut être de proximité, c’est-à-dire venant d’une ou de plusieurs agglomérations proches essentiellement lors de journées ou de week-ends. La clientèle peut également venir en séjour. Selon l’importance de la clientèle de proximité, les stations sont plus ou moins tributaires de l’aléa climatique en terme de neige, mais aussi de beau temps lors des week- 54 rappel : le moment de puissance (débit théorique à la montée x dénivelée) utilisé par le SNTF incorpore un coefficient indiquant le type d’appareil utilisé. Par exemple, coefficient 3 pour un téléphérique, 1 pour un téléski. 55 SNTF, Recueil d’indicateurs et analyses 2007, p29 56 D’après l’étude du SNTF réalisée en 2007, l’altitude moyenne des stations selon leur catégorie est de 1463m pour les petites stations, 1622m pour les stations moyennes, 1794m pour les grandes stations, 2103m pour les très grandes stations. Cette moyenne cache cependant des disparités assez fortes. Recueil d’indicateurs et analyses 2007, SNTF, p14 57 Recueil d’indicateurs et analyses 2007, SNTF, p13 58 ROLLAND, Vincent, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité des stations de sports d’hiver, p13 59 Là encore, des contre-exemples existent, comme Serre Chevalier qui a connu des difficultés d’enneigement à plusieurs reprises. 24 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

ends et vacances scolaires. Comme souligné précédemment, la présence d’une clientèle étrangère de séjour permet d’assurer une fréquentation minimum des stations tout au long de la saison. De grandes stations peuvent bénéficier d’une clientèle de proximité développée, et des stations moyennes comme Pralognan compter essentiellement sur une clientèle de séjour. Mais en règle générale, les stations comptant principalement sur une clientèle de proximité sont les petites stations et les stations moyennes. Il serait donc pertinent de dégager schématiquement deux catégories : les très grandes et grandes stations, et les petites et moyennes stations. Les différences d’enjeu économique pour ces stations et les collectivités supports sont bien exprimées par Thierry Gamot, directeur général des services de la commune d’Autrans (gérée en régie) lors de la conférence-débat organisée par la FACIM en 2004 : « Ce que je voulais dire par ailleurs, c’est qu’étant assis à côté d’élus de La Plagne, moi DGS de la commune d’Autrans, j’ai l’impression de venir d’une autre planète. Vous, vous avez des problèmes de développement. On construit dans vos stations des appareils qui coûtent des centaines de millions de francs et peut être même d’euros, nous, notre problématique en moyenne montagne est totalement différente (…). Nous, notre problématique en moyenne montagne ce n’est pas tant de nous développer, c’est d’essayer de survivre. Et cette tentative de survie pose des problèmes très précis en termes économiques. Notre problème, ce n’est pas de calibrer nos investissements, c’est de calibrer l’évolution de nos dépenses 60 de fonctionnement ».Il y aurait donc un ensemble de collectivités pour lesquelles l’enjeu principal est de trouver les conditions dans lesquelles l’activité touristique hivernale pourra être maintenue. L’autre ensemble serait composé des collectivités étant le support des stations compétitives internationalement, qui font face à une augmentation de la concurrence, pour lesquelles l’enjeu principal est de favoriser la réunion des moyens permettant de suivre et devancer les stations concurrentes tant sur le plan du matériel que des services utilisés. La définition de ces deux catégories de stations a permis de dégager des enjeux économiques propres. Cependant, la position des collectivités engage d’autres paramètres que le seul développement des remontées mécaniques.

b- Analyser le fonctionnement d’une station de sports d’hiver : l’apport de la notion de gouvernance Une station de montagne ne se limite pas à l’existence d’un rapport entre une autorité organisatrice et un délégataire de remontées mécaniques. L’importance des relations avec les hébergeurs et les tour-opérateurs a déjà été soulignée. Il faut également évoquer les rapports entre d’une part la collectivité et les autres acteurs de la station, qui peuvent être des électeurs, des résidents secondaires, permanents, des commerçants, et d’autre part entre le délégataire des remontées mécaniques et ces mêmes acteurs. Ces relations sont complexes : « (…)la station est un ensemble de prestataires pour les clients : ils s’adressent donc à la sphère économique. Elle est une collectivité locale pour les résidents principaux de la ou les commune(s) sur laquelle la station est située. Ces résidents votent et élisent un conseil municipal. Celui-ci est, par la loi pour la montagne de 1985, l’autorité organisatrice de la station. La station est ainsi un ensemble complexe et original qui rassemble des

60 Stations de montagne, vers quelle gouvernance ? Actes de la conférence-débat organisée par la FACIM le 30 avril 2004 à Chambéry, Comp’act, Chambéry, 2004, p71 25 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

61 partenaires publics et privés aux intérêts et stratégies variées. ». La notion de gouvernance, définie à l’origine par Patrick Le Galès comme « l’ensemble des arrangements et des relations formelles et informelles entre intérêts publics et intérêts privés qui permettent 62 que soient prises et mises en œuvre les décisions » a été utilisée récemment notamment par Françoise Gerbaux et Emmanuelle Marcelpoil63 pour caractériser les relations entre acteurs des stations de montagne. Leurs travaux permettent de mieux cerner les rapports existant entre autorité délégante et délégataire, en élargissant la perspective à d’autres intervenants. Ces auteurs distinguent trois sphères au sein des stations : la sphère politique, la sphère économique et la sphère civile. La première sphère est composée notamment du maire, titulaire de compétences classiques mais aussi de celles relevant de l’aménagement touristique de sa commune. Il a donc un grand poids sur le développement touristique de la commune. Il peut également être lui-même impliqué professionnellement dans la gestion touristique locale. Enfin, il raisonne le plus souvent selon la temporalité politique, très éloignée de la durée d’un contrat de délégation de service public en matière de remontées mécaniques. Les services municipaux, autre composante de la sphère politique, doivent faire face à des missions complexes, alors qu’ils sont peu dotés en moyens d’expertise. La plus grosse des communes support de station est Chamonix, qui compte 10 000 habitants. En Savoie, 80% des communes comptent moins de 600 habitants64. Enfin, l’office du tourisme est censé permettre la représentation de l’ensemble des intérêts professionnels présents au sein de la station. La sphère économique d’une station est très hétérogène : ce sont le délégataire de remontées mécaniques, les sociétés d’hébergement marchand, les commerçants, les prestataires d’activités sportives et d’animation. Si le rapport entre le délégataire de la gestion des remontées mécaniques et la sphère politique est le « point 65 central de la gestion locale du tourisme », les hébergeurs locaux notamment ou les professions sportives peuvent être bien représentés au sein du Conseil Municipal et faire entendre leur point de vue. Enfin, la sphère civile composée des habitants permanents ou non pèse historiquement par des stratégies familiales au sein des stations, mais aussi de plus en plus par des revendications concernant le cadre de vie des résidents66. L’ensemble de ces acteurs et leurs intérêts propres pèsent lors de la mise en place, du renouvellement ou de la « vie » d’une délégation de service public. Porteurs d’une légitimité politique, mais le plus souvent présents moins longtemps que le délégataire à une place importante au sein de la station, le maire et le Conseil municipal représentent l’intérêt général. Au sein de celui-ci peuvent s’exprimer des revendications diverses, par exemple la limitation de la construction de nouveaux hébergements pour conserver une

61 GERBAUX, Françoise, MARCELPOIL, Emmanuelle, L’univers complexe des stations, in Stations de montagne, vers quelle gouvernance ? Actes de la conférence-débat organisée par la FACIM le 30 avril 2004 à Chambéry, Comp’act, Chambéry, 2004, p23 62 LE GALES, Patrick, Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine, Revue française des sciences politiques, 1995, p57-95. 63 L’approche de ces deux auteurs est basée sur l’étude de cinq stations : Autrans, Bourg Saint Maurice, Les Arcs, Courchevel, les Sept Laux. 64 Voir l’entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 108 65 GERBAUX, Françoise, MARCELPOIL, Emmanuelle, Gouvernance des stations de montagne en France : les spécificités du partenariat public-privé, in Revue de Géographie Alpine, 2006, n°1, p16. 66 Résumé établi d’après les articles précités L’univers complexe des stationset Gouvernance des stations de montagne en France : les spécificités du partenariat pubic-privé. 26 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

certaine image de la station. Ces revendications font de la municipalité à la fois un relais et une cible potentielle de critiques. Elles influencent le rapport entre le délégant et son délégataire. Lors de la négociation d’une convention de délégation de service public, le maire peut par exemple centrer son attention sur des clauses du contrat qui n’apparaîtraient pas forcément cruciales à un conseil extérieur, comme le souligne Emmanuel Petit « Les élus vont plutôt aller voir les clauses maîtrise foncière, tarifs, reprise du personnel…il y a 67 parfois un décalage entre l’enjeu politique et le conseil… ».Les opérateurs soulignent par ailleurs les difficultés issues de la différence de temporalité entre un mandat municipal et un contrat de délégation : « Par exemple pour St François, où le contrat a été renouvelé en 2006, les élus comme souvent focalisent complètement sur les remontées mécaniques. On nous a demandé de faire tant d’appareils nouveaux dans les années qui suivent. C’est un des effets pervers des DSP. Le maire est élu pour 6 ans. Il faut donc un maximum de nouveauté dès le début. Alors que ce n’est pas ce que demande le client. Il demande à ce qu’il y ait des nouveautés régulièrement. Donc sur un contrat de 20 ans, un nouvel appareil tous les 4 ans. En fait, on nous en demande trop au début, et vers la fin beaucoup moins. 68 » À cela s’ajoute la méfiance relative aux opérateurs privés de remontées mécaniques au sein de la sphère civile et économique de la station. Le maire de Pralognan-la-vanoise souligne ainsi la démarche qui a conduit à faire accepter la délégation des remontées mécaniques à un opérateur privé : « On savait que sans explication, ça ne pourrait pas se faire. On ne voulait pas l’imposer aux habitants. Le plus important pour nous, c’était de leur faire comprendre que cela faisait des années que l’on perdait de l’argent. Et c’est sur ce postulat qu’on leur a présenté les différentes solutions, ce qu’on mettrait dans le contrat pour qu’il n ‘y ait pas de flou, qu’on ne se laisse pas avoir, que ça ne soit pas la « vente de la station à un privé ». Ca s’est traduit par de l’information au personnel, au public, et on a été suivis 69 par une grosse partie de la population. » L’enjeu est le même au cours de la délégation : « (…) si l’on a été très proche avec une collectivité, cela peut la desservir. Parce que si ça se passe bien, c’est forcément parce qu’il y a collusion, puisqu’on passe pour être un opérateur 70 de pouvoir même si c’est largement surévalué .» Dans le cadre de la délégation conclue à Pralognan-la-vanoise était initialement compris un lot pour la gestion du domaine skiable, et un second lot pour la gestion de divers équipements de la commune, comme la patinoire. Les candidats ont tous refusé d’assumer la gestion de l’Office du Tourisme, en considérant que celui-ci devait rester un terrain neutre dans lequel les acteurs de la station pourraient se sentir libres de discuter. Cette prévention illustre la méfiance dont font preuve généralement les acteurs touristiques des stations lors de l’arrivée d’un opérateur privé. Cette méfiance s’applique en particulier lorsque l’opérateur a la volonté de s’impliquer dans des activités autres que les seules remontées mécaniques, comme la location de matériels71.

67 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 117 68 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 134 69 Entretien réalisé avec M Thomas le 24 avril 2008, Annexe 2, p 102 70 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 133 71 C’est le cas par exemple pour Transmontagne à Pra Loup, qui a fait l’objet d’une plainte devant le Conseil de la Concurrence (Décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra-Loup) 27 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

Il faut donc intégrer, en plus des enjeux économiques propres à la situation de la station, les revendications diverses des acteurs présents et la position précaire dans la durée de la majorité dirigeant une collectivité. Il est possible de proposer un tableau récapitulatif des contraintes et des attentes des partenaires dans une délégation de service public en matière de remontées mécaniques :

Contraintes Objectifs Autorité - faible capacité d’expertise et - maintenir ou développer une organisatrice de négociation - information activité hivernale sur le territoire incomplète de la part du de la collectivité - conserver ou délégataire - capacité développer l’image de la station - d’investissement réduite - obtenir des avancées visibles revendications diverses des notamment en prévision des acteurs de la station échéances électorales Opérateur privé - charge des investissements - assurer la rentabilité de son (dans le cas d’une concession) - activité. - tenir compte de l’aléa charges de fonctionnement -aléa climatique - assurer une qualité de climatique - incertitudes en fin service au moins égale à celle des de contrat (indemnisation des stations équivalentes - assurer biens, remise en concurrence) - une fréquentation minimale de la négociations en vue de la station (commercialisation des lits) commercialisation (tour opérateurs et hébergeurs)

Les objectifs propres des autorités organisatrices et des opérateurs privés peuvent donc se révéler contradictoires lorsqu’il s’agit de les mettre en œuvre. Si l’autorité délégante est généralement prête à soutenir un effort visant à développer l’attrait de la station et sa fréquentation, l’accord sur les modalités de ce développement est plus difficile. Une grande variété de situations existent, suivant les priorités dégagées par les acteurs de la station. Une collectivité peut ainsi restreindre l’augmentation de a fréquentation en limitant le nombre de lits nouveaux créés, ou au contraire provoquer un afflux de nouveaux usagers que le délégataire aura des difficultés à gérer , comme le remarque la secrétaire générale de la société Rémy Loisirs « on est conscients qu’il faut que le rythme soit réparti dans le temps. Le problème, c’est que les collectivités ont plutôt intérêt à mener une ZAC, avec 3000 lits qui sortent de terre. Or, une commercialisation de résidence, ça se construit. Il faut quelques années pour faire un rythme de croisière. Par contre, faire en sorte qu’une collectivité ait 72 régulièrement des lits nouveaux, c’est plutôt bon. ». Enfin, les collectivités ont tendance à demander des investissements visibles régulièrement au délégataire. Ces investissements peuvent ne pas être entièrement adaptés aux besoins du domaine skiable, ou bien ne pas correspondre aux capacités financières du délégataire. Cette exigence contraint en retour le délégataire à réaliser les investissements nécessaires, avant de privilégier la rentabilité immédiate de son activité. Les caractéristiques potentiellement conflictuelles des rapports entre le délégataire et l’autorité délégante sont avérées. Mais malgré ces différences d’objectif, collectivités et opérateurs ont tout intérêt à coopérer

72 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 138 28 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

C- Pourquoi déléguer à un opérateur privé aujourd’hui ?

Bien que les collectivités et les opérateurs privés ne partagent pas forcément les mêmes objectifs, les domaines skiables dont la gestion est déléguée ne relèvent pas tous d’un contexte historique. Des collectivités ont choisi et choisissent cette option, qui présente de nombreux avantages en terme de gestion des coûts d’exploitation, de répartition des coûts d’investissement mais aussi d’adaptation aux transformations actuelles notamment en matière commerciale. Il faut néanmoins préciser que si la gestion déléguée est une réelle opportunité pour les collectivités, elle tend à être réservée de plus en plus aux stations les plus performantes.

1- l’apport réel d’une gestion par un opérateur privé Il faut souligner que malgré l’occurrence d’expériences difficiles comme l’a montré le dépôt de bilan de la société Transmontagne, l’apport d’un opérateur privé dans la gestion des remontées mécaniques peut être réellement positif. Cet apport peut être mesuré en terme de mise en œuvre d’un savoir-faire dans les domaines techniques, de ressources humaines, mais aussi commerciaux. Enfin, choisir un opérateur privé peut permettre à une collectivité de trouver une solution à des problèmes d’investissement récurrents et lui procurer de substantielles ressources financières.

a- en terme de savoir-faire et de mutualisation des coûts de communication Les développements précédents l’ont démontré : gérer les remontées mécaniques d’une station de sports d’hiver est un métier à part entière. Cette activité suppose certes la mobilisation d’un savoir-faire spécifique, mais le savoir-faire technique peut exister dans le cadre d’une régie ou d’une SEM. Dans la plupart des cas, le délégataire privé reprend l’ensemble ou une bonne partie des employés de la structure publique à l’occasion de son arrivée dans une station. Les particularités apportées par un délégataire privé sont autres. Elles tiennent d’une part à la capacité à conduire une stratégie de ressources humaines détachée des enjeux locaux, d’autre part à la possibilité de mutualiser des coûts dont l’importance tend à se développer rapidement, et enfin à pouvoir aborder la gestion d’un domaine skiable sur le long terme et d’un point de vue strictement économique. Une collectivité peut gérer très efficacement ses remontées mécaniques de manière directe, et un opérateur privé peut avoir une politique désastreuse en matière de ressources humaines73. Mais la tendance est celle d’un effectif plus nombreux dans les stations gérées directement par les collectivités. Le SNTF souligne ainsi qu’à moment de puissance égal, les régies emploient un tiers de personnel supplémentaire par rapport aux opérateurs privés74. Cette différence peut être expliquée de différentes manières. D’une part, les remontées mécaniques exploitées en régie sont souvent celles de petites stations, dans lesquelles la productivité du travail est moins élevée par effet de seuil : il faut un nombre minimal d’opérateurs aux compétences spécifiques pour faire fonctionner des appareils de remontées mécaniques, quel que soit leur nombre. D’autre part, il est possible d’envisager que dans le cadre d’une gestion en régie, la puissance publique soit moins encline à 73 Voir l’entretien réalisé avec M Ligney, Annexe 1, pp91-92 74 SNTF, Recueil d’indicateurs et analyses, 2006, p23. Voir Annexe 7, p144. 29 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

limiter les effectifs employés, qui sont par ailleurs des électeurs. La gestion des ressources humaines par un opérateur privé peut dans ce cas apporter une amélioration de la productivité. Cet objectif est cependant à concilier avec la pratique, qui tend à favoriser les candidats locaux pour les emplois permanents et saisonniers. De la même façon, choisir de déléguer à un opérateur privé peut être une façon de tenter de définir à long terme l’avenir d’une station. C’est le cas à Pralognan-la-vanoise, qui a fait le choix de la délégation en 2005 : « Mais pour nous, ce qui est important, c’est que ce sont de grandes sociétés qui embauchent beaucoup de monde, qui investissent beaucoup sur 20-30 ans minimum, et que les visions des communes sont généralement réduites à un mandat voire deux mandats avec des changements possibles qui ne sont pas si évidents que ça à gérer. Donc là on a la possibilité avec un bon acteur privé et un bon contrat d’avoir une visibilité pour au moins une vingtaine d’année, ce qui est important pour le développement d’une société comme celle des remontées mécaniques. En plus, on a affaire à des professionnels, qui ont eu d‘autres expériences, et pas forcément simplement des élus qui se reposent sur quelques personnes locales qui sont dans la boîte depuis 75 quelques années. Il y a cette valeur ajoutée à prendre des sociétés. » La différence du temps politique et du temps de la délégation est soulignée, de manière positive cette fois. Un délégataire engagé dans une concession de longue durée apporte une perspective qui peut faire défaut aux élus. Il a par ailleurs été souligné à plusieurs reprises l’importance grandissante de la commercialisation des stations pour assurer une fréquentation minimale tout au long de la saison. Être visible nationalement et internationalement n’est donc pas qu’un problème se posant aux grandes et très grandes stations. Comme le montre Emmanuel Petit, « Aujourd’hui, commercialiser des stations, cela se résume à des salons professionnels où les stations se groupent. L’intérêt c’est d’avoir une taille critique, de la neige de culture. En face, il y a quatre ou cinq tour-opérateurs qui comptent au niveau européen qui s’adressent 76 directement aux grands groupes. Voilà l’apport des privés . ». Définir une stratégie commerciale, négocier avec des tour-opérateurs sur un marché très concurrentiel suppose de disposer de ressources propres importantes tant financières qu’humaines. L’apport d’un opérateur privé peut être de prendre en charge et de mutualiser ces coûts entre plusieurs stations, tout en leur donnant un poids accru. Enfin, déléguer l’exploitation à un opérateur privé permet, lorsque ce service est géré en régie, de passer d’un environnement de droit public à des règles de droit privé. La différence n’est pas négligeable, compte tenu de l’importance des négociations qui peuvent avoir lieu lors de l’achat des équipements, que ce soient des télésièges ou des dameuses. Cette négociation est beaucoup moins aisée dans le cadre d’un marché public.

b- en terme d’investissements et d’apport de ressources financières Les collectivités supports de stations qui assurent la gestion directe ou mixte des remontées mécaniques peuvent se trouver en difficulté financière, notamment face aux investissements à réaliser lorsque les appareils initiaux arrivent en fin de période d’utilisation. Sous certaines conditions, opter pour une délégation de service public peut être un moyen de faire reposer tout ou une partie de la charge des investissements nécessaires sur l’opérateur. Il faut alors se trouver dans une convention de concession et 75 Entretien réalisé avec M Thomas le 24 avril 2008, Annexe 2, p 97 76 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 111 30 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

non d’affermage. Cela suppose que l’opérateur privé puisse trouver dans l’exploitation de la station les ressources nécessaires à ces investissements. La collectivité peut alors assurer des garanties de chiffre d’affaire supplémentaire en favorisant la création de nouveaux lits. Elle peut aussi simplifier la tâche du délégataire en garantissant ses emprunts, voire en prenant en charge une partie des investissements, par exemple en échange d’une redevance. L’exemple de Pralognan la Vanoise illustre ce cas de figure : « Petit à petit, on s’est aperçu qu’ on ne faisait pas les efforts nécessaires lorsqu’il le fallait, notamment au niveau des investissements, puisque après chaque gros investissements cela plombait les comptes de la commune et derrière on ne pouvait plus faire grand chose. (…) Et on reculait les échéances. (…) Derrière, on avait des remontées mécaniques qui avaient une moyenne d’âge de 23 ans, donc on avait besoin de réinsuffler pas mal d’argent et de refaire pas mal d’investissements, et tous seuls on ne pouvait pas. On a joué aussi sur la possibilité d’être aidés dans le cadre du plan stations mené par le département, qui pouvait subventionner des domaines skiables comme le nôtre à partir du moment où ils savaient que l’on avait une vision à long terme. Donc ils nous ont aidés (…) à investir sur les premiers appareils. C’était une aide (…)pour que le contrat que l’on puisse passer avec un privé soit correct. Qu’il n’ait pas à supporter tous les investissements à faire, dans la mesure où cela nous 77 aurait conduit à d’autres efforts, comme doubler les capacités de lits. » Dans certains cas, cependant, les conditions économiques de la station ne permettent pas d’assurer une rentabilité suffisante pour que l’opérateur supporte même une partie des investissements. La situation est alors celle d’une convention d’affermage. La délégation des remontées mécaniques à un opérateur privé apporte enfin des ressources financières non négligeables à la collectivité. Outre la taxe professionnelle, la commune peut instituer une taxe sur les remontées mécaniques, instaurée par les articles 85, 86, 87 de la loi Montagne. Cette taxe est prélevée sur le produit de la vente de forfaits. Les départements peuvent également instituer une taxe similaire. Son taux cumulé ne doit pas dépasser 5%. Les ressources produites ne sont pas négligeables, puisque le produit cette taxe perçue par 134 communes en 1999 s’est élevé à 23 millions d’euros78.

2- Le recours au privé, opportunité pour les stations mais choix réservé aux plus performantes ? Choisir un opérateur privé peut donc être un choix cohérent pour les collectivités, en particulier lorsqu’elles sont confrontées à un besoin d’investissements importants. Cependant, pour pouvoir être gérées par ce type d’opérateurs, la station doit remplir certaines conditions : elle doit pouvoir dégager des bénéfices rapidement, et ne pas exposer l’opérateur à un risque trop fort notamment en matière d’aléa climatique. Ces deux conditions conduisent à une situation dans laquelle un nombre important de stations ne peuvent prétendre à la gestion déléguée des remontées mécaniques.

a- certaines stations sont aujourd’hui confrontées à des perspectives de résultats très aléatoires

77 Entretien réalisé avec M Thomas le 24 avril 2008, Annexe 2, p 97 78 AMOUDRY, Jean-Paul, Rapport au Sénat sur l’application de la loi Montagne, annexe au procès-verbal du 9 octobre 2002, p287 31 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

Les difficultés des stations tiennent à deux groupes de facteurs. D’une part, les conditions d’exercice d’une activité hivernale rentable tendent à se durcir sous l’effet conjugué de la maturité du marché, de la concurrence accrue, et de la tendance à la réduction de l’enneigement à long terme. D’autre part, ces stations sont de par leur situation plus exposées à ces risques, de par leur altitude ou par la nature de leur clientèle. Enfin, souvent développées au plus tard dans les années 1970, elles sont confrontées à l’échéance de renouvellement de leur équipement. Ces difficultés concernent donc souvent les petites voire moyennes stations. Cela a pu conduire la Chambre régionale des Comptes de Midi Pyrénées à conseiller vivement l’abandon de l’exploitation d’une station ou son transfert à une entité intercommunale compte tenu de son poids sur le déficit de la commune 79. Cette solution a été adoptée depuis plusieurs années par des stations d’importance moyenne situées dans les Alpes du Sud. La Cour des Comptes analyse ainsi la gestion des stations dans la région Provence Alpes Côte d’Azur : « Les communes ont pris conscience tardivement que seules les stations adossées à des structures disposant d’une surface 80 financière large pouvaient étaler l’aléa climatique. »Dans le cas des stations de Pra Loup et du Val d’Allos, aux résultats fortement liés à la fréquence des mauvaises saisons, deux syndicats mixtes ont été créés, permettant de répartir la charge des investissements entre les communes concernées et le département. Dans ces deux cas, ces conditions sont susceptibles de convenir à un opérateur privé dans le cadre d’une convention d’affermage. Le risque pris dans d’autres stations, ou l’absence d’une certaine taille critique peuvent ne pas convenir à l’intervention d’un opérateur privé. La continuité de la station repose alors exclusivement sur la collectivité. Le choix de continuer ou non l’exploitation met en balance l’ensemble des paramètres économiques de la station, comme le souligne Emmanuel Petit : « (…)les perspectives qui vont s’ouvrir à ce domaine skiable, l’aléas climatique : combien d’années difficiles prévoir pour tel laps de temps. Après, certains sites résistent mieux que d’autres. Intégrer les obligations de renouvellement d’équipement, les perspectives de croissance des charges, croiser ces données avec le potentiel de croissance en matière d’hébergement, la création de nouveaux lits, les apports de clientèle extérieurs… Et après, lorsqu’on a ça sur un prévisionnel d’exploitation, la collectivité évalue ses possibilités. Parfois, le système est vertueux et s’autoalimente, avec parfois une possibilité de verser une redevance à la station. Parfois, ça ne passe pas . La station d’Abondance a fermé car 81 ils n’avaient pas de perspectives. C’est donc toujours un choix économique. » Dans ce type de décision extrême intervient aussi l’importance de la station pour l’économie locale. Si cet apport est réellement vital,la solution peut être de rechercher un adossement à un groupement de collectivités pour permettre la répartition des charges financières de gestion et d’investissement.

b- le critère nivologique, déterminant pour l’avenir des stations La saison 2006-2007 a démontré l’impact d’un hiver « sans neige » sur les stations de montagne. Certains opérateurs se positionnent résolument sur des stations ayant une altitude minimale afin de limiter les pertes lors d’hivers particulièrement chauds. Compte tenu des investissements effectués en matière de neige de culture, le paramètre essentiel n’est plus tant la présence de la neige « naturelle » mais la possibilité de produire de 79 Avis n°2004-0234 de la Chambre Régionale des Comptes de Midi Pyrénées concernant la commune de Boutx-Argut-Dessus- Couledoux (station de Mourtis). 80 Les stations de sports d’hiver en Provence-Alpes Côte d’Azur,rapport public annuel de la Cour des Comptes de 2001, 2002, p 816 81 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 111 32 I- Les contrats de délégation de service public: une tentative de régulation juridique d’un rapport potentiellement conflictuel

l’enneigement grâce à des températures négatives. Tous les opérateurs privés sont-ils conduits à sélectionner les stations dans lesquelles ils peuvent intervenir à partir du critère de l’altitude ? Il faut introduire une nuance importante concernant ce paramètre. En effet, il ne détermine pas à lui seul l’enneigement potentiel d’une région, ou les températures. D’une part, l’altitude métrique doit être relativisée au profit de l’altitude ressentie. Certaines stations d’altitude métrique modeste profitent de conditions qui leur permettent de conserver un enneigement même faible pendant une longue période. C’est le cas de Pralognan la Vanoise, située à 1410 mètres, mais protégée par une cuvette profonde et entourée de glaciers. D’autres stations d’altitude plus élevée ont parfois été concues sur la base d’une mauvaise exposition, qui engendre des difficultés importantes en début et en fin de saison. D’autre part, il semble qu’un paramètre essentiel en matière d’aléa climatique soit plus la situation en terme de massif qu’en terme d’altitude pure : « Mais par exemple le Val d’Arly est un ensemble qui a une nivologie différente de celle de la Tarentaise. Et c’est très préservé au niveau des vents. Parce dans certaines zones, qui sont balayées par les vents, rien ne retient. Dans le Val d’Arly, les zones sont très boisées. Ce qui compte le plus, c’est l’indice de skiabillité.C’est la capacité à skier dans de bonnes conditions, et pas ce n’est pas seulement 82 les mètres de neige qui font ça. C’est tout un ensemble .» Si l’altitude en elle-même n’est donc pas un paramètre absolu, la fréquence des mauvaises saisons au niveau nivologique en est un en ce qui concerne les modalités de gestion d’une station et les conditions de mise en oeuvre d’une délégation. Comme le souligne Blandine Tridon, «(…) l’approche est différente. Quand on est dans de la gestion en basse station, il faut intégrer qu’il y ait de mauvais hivers. Donc dans le Business Plan, il faut intégrer le fait que tous les 4 ans il pourra y avoir un hiver de contrecoup. Est-on 83 capable de l’absorber dans les hivers suivants ? ». De fait, intégrer ces paramètres conduit à modifier profondément l’économie de la délégation de service public, en tenant compte par ailleurs de l’importance du chiffre d’affaire réalisé dans les bonnes saisons: plus l’enneigement est aléatoire, plus le risque supporté par le délégataire est important, et moins celui-ci peut s’engager dans des investissements importants. L’exercice de définition d’une convention devient alors difficile: quelles seront les conditions nivologiques d’une station déjà exposée à ce risque dans les années qui viennent? Les collectivités, en tant qu’autorités responsales de leur politique d’aménagement touristique, recherchent le meilleur cadre pour le développement économique des stations, dans la mesure de leurs possibilités. Ce cadre peut être fourni par la délégation à un opérateur privé, bien que s’instaure alors un rapport potentiellement conflictuel entre partenaires ne partageant pas forcément les mêmes priorités. La clef de ce rapport est constituée par la convention de délégation de service public.

82 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 132 83 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 132 33 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

La définition des principaux acteur des délégations de service public a permis de montrer les logiques qui peuvent sous-tendre leur comportement lors de la mise en oeuvre des conventions. Ces logiques ne sont pas opposées, mais peuvent induire des différences d’appréciation importantes. En pratique, la conciliation des objectifs des collectivités et de leurs objectifs est donc difficile. La meilleure approche des relations qui s’établissent semble être donnée par la théorie des coûts de transaction. Cette théorie postule en effet la rationalité limitée des acteurs, la présence de facteurs exogènes susceptibles d’agir sur les conditions initiales de la convention, et l’opportunisme des acteurs. Elle prend en compte par ailleurs l’existence d’actifs spécifiques et leur impact sur l’évolution des contrats. Elle insiste enfin sur la nécessité pour les cocontractants de s’appuyer sur le cadre institutionnel pour mettre en place des possibilités de règlement des conflits pouvant apparaître au cours de l’exécution des contrats, mais également sur la nécessité de mettre en place de telles structures de manière plus informelle. En abordant les principales difficultés de la mise en pratique des délégations de service public, il sera souligné les apports de cette théorie pour la compréhension des rapports entre délégants et délégataires, et notamment pour les procédures pouvant permettre la régulation de ce rapport. Il sera également fait appel à la théorie des incitations dans une moindre mesure pour cerner les problèmes de contrôle du délégataire rencontrés par la collectivité. Bien qu’elle postule une rationalité complète qui ne convient pas au secteur des remontées mécaniques, cette théorie a l’avantage de proposer un cadre d’analyse efficace lorsque des relations fortement asymétriques existent84.

A- Des contrats forcément incomplets

En pratique, les conventions de délégation de service public mises en place dans le domaine des remontées mécaniques présentent des caractéristiques qui en font des contrats forcément incomplets, au sens de la théorie des coûts de transaction. Deux paramètres se cumulent. Les incertitudes exogènes sont très fortes en ce qui concerne la réalisation des objectifs comme le maintien de l’économie initiale du contrat, ce qui conduit à une controverse sur la durée nécessaire des contrats. Les solutions juridiques apportées jusqu’à aujourd’hui n’ont pas été satisfaisantes, notamment pour réduire les effets induits par la 84 Caractéristiques des théorie des coûts de transaction et des incitations établies à partir de trois synthèses : ROY, William, réglementation, gouvernance et performance des services publics de transport collectif urbain, Université Lyon 2, 2007, pp116-120 BROUSSEAU, Eric, GLACHANT, Jean-Michel, Introduction : Économie des contrats et renouvellements de l'analyse économique, revue d'économie industrielle, 2000, volume 92, n°1, p23 - 50 FARES, M’hand, SAUSSIER, Stéphane, Coûts de transaction et contrats incomplets, revue française d'économie, 2002, volume 16, n°3 , p193 - 230 34 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

présence d’actifs spécifiques dans la gestion des remontées mécaniques. Par ailleurs, les rapports entre délégant et délégataire sont fortement déséquilibrés, alors que l’activité de gestion des remontées mécaniques se caractérise notamment par une impossibilité à prévoir l’évolution de la réalité par rapport à la convention rédigée. Des négociations doivent de ce fait avoir lieu au cours de l’application du contrat.

1- Une spécificité paradoxale des remontées mécaniques : la difficulté à se projeter dans la durée La gestion de remontées mécaniques possède une caractéristique paradoxale : le maintien de l’activité est conditionné par la réalisation régulière d’investissements très lourds, engageant financièrement l’exploitant sur une longue durée. Dans le même temps, cette activité est soumise aux règles notamment de la loi « Sapin » qui impose une durée limitée de délégation de service public et une remise en concurrence périodique. Deux questions, sources d’une importante controverse sur le plan juridique, sont alors posées : en cas de nouvel investissement important, est-il possible de prolonger une délégation existante par un avenant ? Si non, quelle est la modalité d’indemnisation des biens installés par le délégataire dans le cadre d’un contrat de concession ?

a- la durée autorisée des conventions de délégation de service public, une controverse juridique La durée des délégations de service public peut être abordée de deux façons par les opérateurs privés. Ce peut être tout d’abord une façon de se protéger d’un retour à la concurrence, ou d’une éventuelle reprise de l’exploitation par la collectivité support de la station. Cette stratégie, souvent mise en œuvre jusqu’en 2005, sera abordée ultérieurement85. Ce peut être également le reflet de l’économie réelle du contrat. Dans ce cas, la durée initiale de la délégation devrait théoriquement refléter la durée d’amortissement des investissements réalisés au cours du contrat. Or, en matière de remontées mécaniques, les besoins d’investissement sont généralement étalés dans le temps, d’une part parce que leur importance interdit au délégataire de les conduire simultanément, et d’autre part parce que les besoins de renouvellement du parc d’appareils disponibles sont eux-mêmes discontinus. Aligner la durée des conventions de délégation sur les durées d’amortissement des biens conduirait de fait à prolonger quasi systématiquement ces conventions. Or, la loi « Montagne » et la loi « Sapin » rappellent toutes deux que les durées de délégation doivent être limitées, mais imposent des limites différentes. La loi « Montagne » prévoit deux durées maximales. Article 42 : (…)La durée de ces contrats est modulée en fonction de la nature et de l’importance des investissements consentis par l’aménageur ou l’exploitant. Elle ne peut excéder dix-huit ans que si elle est justifiée par la durée d’amortissement technique ou lorsque le contrat porte sur des équipements échelonnés dans le temps. Elle ne peut, en 86 aucun cas, être supérieure à trente ans .

85 Voir infra, p 55 et s. 86 Loi n°85-30 du 9 octobre 1985. 35 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

La définition de la durée des conventions tient bien compte des investissements réalisés. La première durée, de 18 ans, est définie comme la duré de droit commun d’une convention. La durée maximale est de 30 ans. Par ailleurs, la loi « Sapin » stipule : Article 40 : Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en oeuvre. (…) Une délégation de service ne peut être prolongée que : a) Pour des motifs d'intérêt général. La durée de la prolongation ne peut alors excéder un an ; b) Lorsque le délégataire est contraint, pour la bonne exécution du service public ou l'extension de son champ géographique et à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus au contrat initial, de nature à modifier l'économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive. Si la délégation a été consentie par une personne publique autre que l'Etat, la prolongation mentionnée au a ou au b ne peut intervenir qu'après un vote de l'assemblée délibérante87. Il faut remarquer que conformément aux réserves formulées par le Conseil Constitutionnel sur cet article88, la loi « Sapin » n’assortit pas de limites temporelles à une prolongation de convention justifiée selon les critères définis. La coexistence de ces deux lois jusqu’en 2005 a donc exposé les opérateurs de remontées mécaniques et les collectivités à une double contrainte : celle de la durée maximale imposée par la loi « Montagne », qui interdit les prolongations amenant les conventions à dépasser une durée totale de 30 ans, et celle de la loi « Sapin » qui impose un appel à la concurrence en fin de contrat. Les ambiguïtés de cette double contrainte sont apparues lors des nombreuses tentatives de prolongation de contrats qui se sont produites après l’entrée en vigueur de la loi « Sapin ». Dans sa contribution au rapport réalisé pour le sénat en 2002 sur les modalités d’application de la loi « Montagne », l’avocat Edouard Lacroix souligne : « Divers problèmes sont nés, moins à cause des modalités de sortie de la convention observées à ce jour, que du sort réservé à des avenants d’extension ou de prorogation de contrats auxquels le contrôle de légalité réserve un sort différent, d’un département à un autre, à l’intérieur 89 même du délai maximum de trente ans que le législateur a institué. ». À la Chambre Régionale des Comptes de la région Rhône-Alpes qui relevait la prolongation d’un contrat pour une durée de trente ans par un simple avenant conclu avec la société gérant le domaine skiable des Deux Alpes, le maire de la commune de Vénosc répond « (…)les personnes

87 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques 88 Décision du Conseil Constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993. Le Conseil a estimé inconstitutionnelle une disposition visant à limiter la prolongation à un tiers de la durée initiale du contrat, compte tenu de la complexité des situations pouvant se présenter. 89 Contribution de Maître Edouard Lacroix, avocat à la Cour, in AMOUDRY, Jean-Paul, Rapport au Sénat sur l’application de la loi Montagne, annexe au procès-verbal du 9 octobre 2002, p381. 36 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

habilitées, à cette date, à conclure un avenant (…) ont pu légitimement considérer que toutes les précautions nécessaires pour garantir la légalité de l’avenant avaient été prises. Cet avenant, dont la rédaction est quasiment identique à ceux passés antérieurement par les communes de Mont-de-Lans et de Saint-Christophe, a été conçu dans un contexte juridique particulièrement évolutif en la matière à cette époque en raison de l’enchevêtrement de 90 réglementations résultant des lois (…) dite loi « Montagne et (…) dite loi « Sapin ». Deux tentative d’éclaircissement récente ont été eut lieu, notamment après les revendications des opérateurs relayées par le SNTF. La 24 février 2005, la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires rurauxa annulé la disposition de la loi « Montagne » faisant référence à une limitation de durée. Le texte correspondant à l’article 42 de la loi « Montagne » dans le code du tourisme est ainsi devenu « Art. L. 342-3. - Conformément aux dispositions de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, la durée de ces contrats est modulée en fonction de la nature et de l'importance 91 des investissements consentis par l'aménageur ou l'exploitant. ». Enfin, le 19 avril 2005, la section des Travaux publics du Conseil d’Etat sollicitée pour avis par le ministère de l’Intérieur a rappelé que compte tenu du principe de durée limitée, toute prolongation de convention est écartée sauf à réunir les trois conditions de l’article 40 de la loi « Sapin ». Il a également précisé les conditions de reprise des biens non-amortis en la basant sur leur « valeur nette comptable ». En apparence, les contraintes apportées aux délégations de service public en matière de remontées mécaniques ont été alignées sur celles des autres domaines. Cet alignement a cependant des conséquences sur les situations des acteurs lors de la mise en œuvre des investissements et lors de la remise en concurrence d’une délégation.

b- la résolution de conflits récurrents lors du contrôle de légalité, qui cache mal l’inadaptation des contraintes actuelles à ce secteur d’activité La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes soulignait en 2003 qu’entre 2000 et 2001, douze cas de prolongation ou de demandes de prolongation avaient été relevés92. Depuis l’avis émit par le Conseil d’Etat en 2005, seul un avenant demandant la prolongation d’une convention pour la réalisation d’un nouvel équipement a été accepté par le contrôle de légalité93. L’ensemble des acteurs interrogés estiment que l’introduction de tels avenants au sein d’une convention est devenu très difficile94. Quelles en sont les conséquences ? Les pratiques de contournement des procédures de remise en concurrence semblent avoir été efficacement réduites. Dans son enquête, la DGCCRF relevait ainsi que sur douze demandes de prolongation, huit se sont finalement traduites par une mise en concurrence dont quatre après l’intervention des services locaux

90 Réponse de M Balme, maire de la commune de Vénosc au rapport d’observations définitives sur l’examen des comptes de la commune de 1990 à 2001, 9 juin 2005. 91 Article 179 de la Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux 92 Actualités de la DGCCRF, Mise en concurrence des renouvellements de délégations de service public dans le secteur des remontées mécaniques : des lacunes, Brèves, janvier 2003. 93 Il s’agit d’un avenant concernant la station de Val Thorens. 94 Voir les entretiens réalisés avec M Blas , Annexe 5, p 124, M Petit, Annexe 4, pp 115, 119 37 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

de la Direction ou des préfets. Quatre demandes d’avenant ont par ailleurs été déférées devant les tribunaux administratifs. Par ailleurs, un quart des rapports étudiés rendus par les Chambres Régionales de Comptes au titre de l’examen des comptes des collectivités supports de stations font mention de prolongations ou de tentatives de prolongation du contrat initial, avec une issue diverse face au contrôle de légalité. L’éclaircissement apporté en 2005 était donc nécessaire. Enfin, l’a priori de non prolongation de convention et les conditions d’indemnisation des biens non amortis à l’issue du contrat devrait inciter le délégataire à poursuivre ses efforts d’investissement même en fin de contrat. En effet, même si celui-ci ne peut amortir ses investissements pendant la durée restante de la convention, ceux-ci devraient lui être remboursés puisque la « valeur nette comptable 95» des biens est prise en compte en cas de non reconduction du même délégataire à l’issue de la convention. Cependant, les conditions actuelles de sortie de fin de convention et de remise en concurrence posent problème. Les modalités d’amortissement des investissements par les opérateurs privés peuvent dans un premier temps être modifiées. Ceux-ci doivent en effet totalement renoncer à revendiquer une indemnisation sur la base de la « valeur d’utilité96 », qui permet de donner une valeur à un appareil complètement amorti. C’est le calcul effectué par la société Rémy Loisirs, qui a allongé la période d’amortissement de ses biens : « Cet avis (…) indique que la valeur d’indemnisation des biens est la valeur nette comptable, et les prolongations sont plus qu’hypothétiques. On était plus dans une logique de société patrimoniale, en faisant des amortissements très courts pour pouvoir réinvestir rapidement. Le fait que l’on ait amorti très vite voulait dire que la collectivité pouvait reprendre sans rien nous devoir, ce qui était aberrant. Donc plutôt que rester dans notre modèle économique en se disant que la valeur ajoutée ce sera une hypothétique indemnité de fin de contrat, la logique c’est plutôt que régulièrement on ait du résultat. L’avis du Conseil d’Etat a coïncidé avec l’arrivée des nouvelles normes comptables IFRS, qui disent que les durées d’amortissements doivent être en conformité avec la durée économique du bien. Donc on a allongé nos durées d’amortissement, de ce fait nous ressortons plus de résultats que l’on 97 en aurait si on avait fait des amortissements plus court » La conséquence d’une telle modification pour les collectivités peut être un plus faible montant d’investissements réalisés au cours d’une même durée de délégation. La présence des actifs physiques spécifiques que constituent les appareils de remontée mécanique a donc un effet non négligeable sur l’exécution et le suivi de la convention. L’exploitant étant lié à la collectivité par les investissements réalisés, il cherche logiquement à amoindrir la portée de cette dépendance en s’adaptant aux modalités d’indemnisation définies légalement. Enfin, l’existence d’une indemnisation en fin de convention peut avoir un effet dissuasif lors de la procédure de mise en concurrence. Un outil d’analyse efficace pour cette situation est la notion de « contestabilité » des marchés introduite par William Baumol98. Selon

95 En l’absence de contentieux en la matière, la définition de la « valeur nette comptable » dans le domaine des remontées mécaniques instaurée par le Conseil d’Etat est encore floue. Elle devrait néanmoins prendre en compte a minima les amortissements non réalisés. Une définition générale de la valeur nette comptable est la valeur brute du bien minorée par le montant des amortissements. 96 La valeur d’utilité est la valeur qu’accepterait de payer un entrepreneur pour s’attacher les services rendus par l’appareil. 97 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 134 98 BAUMOL, J, William, Contestable Markets : an Uprising in the Theory of Industry Structure, The American Economic Review, March 1982, p2-15. 38 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

cet auteur, plus que la structure oligopolistique ou monopolistique d’un marché, ce qui détermine le comportement optimal des agents est la possibilité pour des concurrents d’entrer sur ce marché. Un marché « contestable » est libre de coûts d’entrée et de sortie. En matière de remontées mécaniques, le délégataire dispose de trois types de biens pour assurer l’exploitation. Les biens de retour sont les biens indispensables à l’exploitation du service. Ce sont notamment les appareils de remontée mécanique, les dameuses, les équipements de neige de culture. À l’issue du contrat, l’usage de ces biens retourne gratuitement à la collectivité. Seuls les produits d’investissements demandés par la collectivité sont indemnisés s’ils ne sont pas complètement amortis. Les biens de reprise sont des biens utiles au service délégué, mais appartenant au patrimoine du délégataire. Ils sont rachetés par la collectivité sur la base de leur valeur nette comptable. Enfin, les biens propres du délégataire lui appartiennent et restent sa propriété en fin de contrat. L’introduction d’une valeur d’indemnisation des biens de retour non amortis compte tenu de l’interdiction de prolongation des contrats réduit les coûts de sortie de l’activité de gestion des remontées mécaniques. Cependant, l’effet est inverse en ce qui concerne les coûts d’entrée. Dans le cas des remontées mécaniques, ces coûts sont élevés dans le sens où les stations peu enclines à choisir un délégataire sans expérience99 ou qu’elles ne connaissent pas, et où un candidat extérieur a plus beaucoup de mal à évaluer le potentiel réel d’une station qu’un délégataire en place. L’indemnisation de biens non-amortis introduit un coût d’entrée supplémentaire pour chaque procédure de remise en concurrence. Ne pas choisir le même délégataire revient en effet à devoir lui verser une indemnité qui peut être importante. Elle peut faire supporter ce coût aux autres candidats s’ils sont choisis100, mais leur offre lors de la candidature et de la négociation tiendra compte de cette contrainte financière supplémentaire. L’interdiction de procéder à une prolongation de convention et la fixation de l’indemnisation des biens non-amortis à la valeur nette comptable a donc deux effets paradoxaux. Elle favorise l’effectivité de la mise en concurrence des délégations arrivant à leur terme, mais elle peut conduire à réduire substantiellement l’étendue de cette concurrence.

2- De l’équilibre précaire entre professionnels et collectivités Les conventions de délégation de service public en matière de remontées mécaniques sont caractérisées notamment par un haut degré d’imprécision. En effet, les conditions économiques dans lesquelles ont été conclues les conventions sont appelées à être modifiées par un ensemble de facteurs exogènes, mais aussi du fait du comportement de l’une ou l’autre des parties. L’existence de contrats « incomplets » au sens de la théorie des coûts de transaction contraint les partenaires à prévoir des modalités d’adaptation, voire à renégocier certaines des dispositions initiales. Or, le rapport entre les collectivités supports de stations et les opérateurs privés est très asymétrique.

a- des collectivités aux ressources souvent limitées Les collectivités supports de station sont souvent de petites communes qui, si elles bénéficient d’un surclassement administratif, possèdent rarement les ressources humaines 99 C’est ainsi que la société Rémy Loisirs, issue des Vosges, a dû faire ses preuves dans la gestion de St François Longchamp qu’elle avait reprise avant de prétendre remporter une délégation de service public dans les Alpes 100 En vertu de l’article L 342-3 du code du Tourisme. 39 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

nécessaires à la définition et la négociation d’une délégation de service public, ainsi qu’à son suivi. La présence d’un syndicat de communes ou d’un syndicat mixte comme autorité organisatrice n’est pas forcément la garantie d’une meilleure dotation en moyens. Ainsi , les syndicats mixtes responsables de la gestion des stations de Pra Loup et du Val d’Allos sont gérés au quotidien par le service du tourisme département des Alpes de Haute-Provence via deux mises à disposition de service, une personne à mi-temps et une personne à 70%101. Il semble cependant possible de distinguer des situations différentes, entre les stations ayant expérimenté plusieurs modes de gestion et celles qui ont été liées durablement à un opérateur. Pour Emmanuel Petit, dans les stations n’ayant pas expérimenté un changement d’opérateur ou de mode de gestion, « les élus de ces communes ne savent pas ce que fait 102 une autorité organisatrice. ». Sans forcément partager ce point de vue, ces collectivités sont de fait rattachées à un mode de gestion particulier, et souvent à un opérateur qui de par sa connaissance de la station dispose d’atouts certains pour conserver sa place, même si ce n’est pas une garantie absolue en fin de concession. La commune de Samoëns a ainsi tenté d’organiser elle-même l’exploitation des remontées mécaniques à l’issue du contrat qui la liait avec une filiale de la Compagnie des Alpes. L’expérience de la gestion en régie n’a pas eu de suite, puisque la collectivité a finalement mis en place une nouvelle convention de délégation de service public, mais cet exemple montre que les collectivités peuvent modifier le mode de gestion par choix politique. Il reste tout de même qu’avoir expérimenté une gestion en régie ou via une SEM permet au personnel politique et technique d’une collectivité de disposer de compétences utiles lors du renouvellement ou de la mise en place d’une délégation de service public, mais aussi tout au long de son application. Le maire de Pralognan la Vanoise est conscient de l’importance de cet atout, mais aussi de sa précarité: « J’étais au Conseil d’administration de la SOGESPRAL avant, j’ai fait les 6 dernières années comme Maire. J’ai pu jusqu’à présent bien suivre les évolutions de la société et du domaine skiable, et aujourd’hui on sait les questions qu’il faut poser, on sait ce qui se cache derrière ce rapport d’activités ligne par ligne, on continue à travailler avec eux avec la commission d’aménagement montagne qui les suit régulièrement, donc on a un vrai suivi. On arrive à travailler un partenariat sur le Domaine skiable. Après, on espère 103 qu’on pourra transmettre ces informations aux suivants. » L’incertitude de cette transmission est soulignée par président de l’association nationale des maires de stations françaises de sports d’hiver et d’été et maire de la commune de St Bon-Courchevel, Gilbert Blanc-Tailleur : « En admettant même que le contrat qui lie la commune à son délégataire soit parfait, nous pouvons constater que le suivi du contrat et le contrôle du respect par le délégataire de ses obligations n'est pas souvent correctement réalisé par les communes, faute de moyens suffisants et notamment de moyens humains. En outre, ces contrats étant de longue durée, alors que les échéances électorales sont courtes, plusieurs équipes municipales peuvent se succéder empêchant le bon suivi d'un contrat en cours de validité. D'autant que chaque changement de municipalité tend à faire disparaître de la mémoire communale une partie des connaissances et des pratiques 104 accumulées par l'équipe précédente. » 101 Entretien téléphonique réalisé avec Mme Lamouroux les 15 et 16 mai 2008, Annexe 3, p 106 102 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 112 103 Entretien réalisé avec M Thomas le 24 avril 2008, Annexe 2, p 101 104 Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) devant la mission commune d’information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne, 26 juin 2002 40 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

En règle générale, les collectivités maîtrisent donc peu le suivi des délégations de service public. Leurs conditions de mise en œuvre sont cependant susceptibles d’être substantiellement modifiées.

b- la négociation, au coeur des contrats de délégation La négociation puis la signature d’une convention de délégation de service public correspondent dans l’idéal à un équilibre économique viable à la fois pour le délégant et pour le délégataire. Or, dans le cas des contrats de concession, les durées de délégation peuvent être très longues. Cela implique que des évènements imprévus peuvent venir perturber l’équilibre initial du contrat. Cette modification peut être positive, comme dans l’exemple donné par Emmanuel Petit : « La difficulté, c’est vraiment de prévoir l’avenir. Dans certains sites, on se retrouve avec une multiplication de nombre de lits. La DSP avait intégré un autre nombre de lits. Le chiffre d’affaire a triplé. Le délégataire a donc réalisé 105 des investissements, sans les porter au contrat. ». Ou bien un hébergeur de renom, comme le Club Méditerranée, peut ouvrir une résidence au sein de la station et participer à l’accroissement de sa visibilité. L’élément imprévu peut être aussi négatif, par exemple dans le cas où les lits prévus ne sont pas réalisés faute d’implication de la collectivité, ou comme au début des années 1990 par cause d’une crise immobilière. Les évènements imprévus peuvent être d’origine exogène, comme l’aléa climatique, ou avoir pour source le comportement de l’une des parties. Dans le cas d’un élément exogène, il est difficile de mettre en œuvre des procédures de régulation de l’incertitude. Il est toujours possible de tenter de se prémunir contre une saison sans neige en introduisant une règle de probabilité de survenue de cet événement dans les perspectives de rentabilité de la station. Mais cette évaluation reste une approximation. Cette incertitude reste le risque majeur non maîtrisé par le délégataire et la collectivité. Elle peut être la source d’une renégociation de certaines clauses du contrat, par exemple concernant la nature ou la charge des investissements réalisables par le délégataire. Dans tous les cas, il est nécessaire d’adapter le contrat en cours de réalisation à la modification des conditions réelles qui intervient de ce fait. Les collectivités doivent donc disposer des capacités nécessaires pour évaluer la nouvelle situation et y adapter la convention. Lorsque les éléments imprévus tiennent au comportement de l’une des deux parties, il est nécessaire de prévoir au sein du contrat des possibilités de contrôle de l’exécution du contrat. Cet aléa s’impose aux deux parties dans les conventions de délégation de service public. Cependant, compte tenu du caractère déséquilibré des relations entre délégant et délégataire, les modalités de contrôle de ce dernier introduites de manière classique dans les conventions apparaissent peu efficaces. Les processus de renégociation des clauses initiales sont donc au cœur de l’exécution des délégations de service public. Leur importance doit conduire à leur accorder une place toute particulière lors de la négociation initiale entre les deux parties106.

B- Un problème évident de contrôle du délégataire

105 Entretien réalisé avec M Petit le 2à mai 2008, Annexe 4, p 117 106 Voir infra, p 72 41 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

La loi « Sapin » avait notamment pour ambition de permettre aux collectivités d’entretenir un rapport plus équilibré avec leurs délégataires. Elle instaure pour cela un certain nombre d’obligations qui doivent permettre à l’autorité organisatrice d’exercer un contrôle efficace sur l’activité exercée par l’opérateur privé. En pratique, ces dispositifs sont soit peu ou mal utilisés, soit inefficaces en matière de remontées mécaniques. Les modalités de régulation proposées par ailleurs par la théorie des incitations sont également peu applicables. La régulation par le marché et la concurrence au cours de l’exécution du contrat est de fait la plus effective.

1- L’insuffisance des instruments de contrôle applicables aux délégations de service public Les procédures prévues par la loi « Sapin » interviennent lors de la conclusion des conventions et lors de leur application. La mise en concurrence lors de l’élaboration du contrat doit permettre l’obtention d’un résultat optimal. La mise à disposition d’informations au profit des délégants doit leur permettre de réaliser le suivi des réalisations de leur délégataire. Enfin, comme dans tout contrat, les collectivités ont la possibilité de mettre en œuvre des clauses de résolution. En pratique, l’ensemble de ces dispositions est peu efficace, soit parce qu’elles sont peu observées, soit parce que le contexte particulier du marché des remontées mécaniques diminue leur efficacité.

a-une mise en concurrence à la portée souvent limitée La régulation des contrats passés au titre des délégations de service public entre 1993 et 1995 a été centrée principalement sur les procédures de mise en concurrence. C’est ainsi que le loi « Sapin » stipule : Article 38 : (…) Les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat. La collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire107. Ces dispositions ont pour but à la fois de garantir un choix de délégataire exempt de favoritisme, mais également de protéger les collectivités ayant choisi la délégation en leur permettant de comparer les offres de plusieurs candidats. Dans le secteur des remontées mécaniques, les procédures de mise en concurrence ont dans un premier temps été évitées

107 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. 42 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

par les acteurs. Si elles sont aujourd’hui pratiquées avec plus de rigueur, leur portée est limitée par le nombre peu élevé de délégataires potentiels. L’obligation de mise en concurrence des délégations de service public lors de leur renouvellement ou lors de leur création a été très diversement suivie depuis la mise en place de la loi « Sapin ». Fruits de l’ignorance ou volonté de contourner des dispositions contraignantes, de nombreuses pratiques ont conduit à diminuer l’impact de cette disposition. Les irrégularités exposées ici sont soulignées par les Chambres Régionales des Comptes lors de l’examen des comptes des autorités délégantes ou lors d’avis rendus sur la demande du préfet. Dans une certaine mesure, le recueil des 25 rapports et avis étudiés, portant sur vingt stations différentes, produit un concentré des irrégularités. Elles ne doivent donc pas être extrapolées à outrance, mais bien prises comme une illustration des pratiques pouvant être utilisées dans ce secteur d’activité pour contourner notamment les contraintes de la mise en concurrence. Dans un premier temps, certaines collectivités ont utilisé l’exception introduite par la loi « Sapin » pour les délégataires pressentis avant l’entrée en vigueur de celle-ci. Le cas de la commune de Villard-de-Lans est souligné. La convention initiale passée en 1950 avec la Société d’Equipement de Villard-de-Lans et Corrençon (SEVLC) prévoyait une durée de 75 ans. Suite à la limitation de durée introduite par le loi « Montagne », la collectivité a conclu une nouvelle convention avec son délégataire pour une durée de 30 ans en se prévalant de l’article 47 de la loi « Sapin », alors entrée en vigueur : le procédure de choix des délégataires définie par cette loi «ne sont pas applicables lorsque, avant la date de publication de la présente loi, l'autorité habilitée a expressément pressenti un délégataire et 108 que celui-ci a, en contrepartie, engagé des études et des travaux préliminaires . » La Chambre Régionale des Comptes souligne néanmoins que si le délégataire avait bien été pressenti par la commune, il n’avait pas alors engagé de travaux préliminaires tels que la réalisation d’études ou de projets de convention109. Par ailleurs, l’arrivée de la loi « Sapin » a pu être anticipée par un certain nombre de stations, qui ont alors renégocié un contrat de longue durée avec leur délégataire avant l’entrée en application de la loi. La Compagnie des Alpes a clairement anticipé les procédures de remise en concurrence : « dans tous les cas on essaie de ne pas aller jusque- là , donc de renégocier avant. C’est ce qui s’est fait il y a plusieurs années, à la fin des années 1990. À Val d’Isère, ça a été fait dans les années 1991, on a repris 30 ans pour aller jusqu’à 2021, Tignes dans les années 1995, La Plagne…Tout ça, à la fin des années 1990, on a réussi à reprendre 30 ans. Donc aujourd’hui, on a des concessions qui finissent entre 110 le plus proche 2017-2018 et 2027-2028. ». De fait, comme le souligne Emmanuel Petit, la mise en place de procédures de mise en concurrence a pris du retard « Il y a eu peu de mises en concurrence signées juste après la loi Sapin, puisque la plupart des grandes 111 stations avaient signé des avenants juste avant en sachant que la loi arrivait. » Des clauses de préférence du délégataire ont également parfois été inscrites dans la convention. Ces clauses, illégales, n’auraient aucun effet en cas de remise en concurrence,

108 Article 47 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite loi « Sapin ». 109 Chambre Régionale des Comptes de Rhône-Alpes, observations définitives sur la gestion de la commune de Villard-de- Lans depuis 1989, 1998, pp6-7. 110 Entretien réalisé avec M Blas le 18 avril 2008, Annexe 5, p 124 111 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 109 43 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

mais révèlent la méconnaissance des procédures par les élus et le délégataire au moment de la conclusion de la convention. C’est le cas du contrat liant la commune de Venosc à l’exploitant des remontées mécaniques de la station des Deux alpes, qui stipule dans son article 25 qu’à l’expiration de la convention, la commune se devra « de préférer, à conditions 112 égales le concessionnaire sortant à tout autre candidat .». Une clause comparable est présente dans le contrat liant le Syndicat Intercommunal de la Grande Plagne à la Société d’Aménagement de La Plagne. Plus répandue, la pratique des prolongations pour cause d’investissement, déjà soulignée, est relevée à plusieurs reprises113. La commune de St Gervais a ainsi tenté en 2000 de conclure un avenant prolongeant la durée d’une convention initiale de 10 ans à 30 ans. Cette prolongation, prévue dans le contrat, était conditionnée à la réalisation d’investissements par le délégataire. L’avenant a été rejeté à l’occasion du contrôle de légalité114. Enfin, des situations parfois complexes ont été mises en place dans les années 1990, avec la délégation indirecte du service à un opérateur privé. Un cas particulièrement complexe est celui de la station de Pra Loup. Un syndicat mixte ayant été créé pour gérer la station, celui-ci désirait en confier la gestion à une société d’économie mixte, sous-traitant à une société privée. La loi « Sapin » étant entrée en vigueur entre temps, le syndicat a procédé à une mise en concurrence qualifiée de « simulacre » par la Chambre régionale des Comptes115. La SEM pressentie a été choisie et a immédiatement délégué l’exploitation du domaine skiable à la société Transmontagne. L’examen réalisé par la Chambre révèle une structure complexe, dans laquelle la SEM est une structure transparente, et où aucun risque ne pèse sur le délégataire réel. Si les procédures de remise en concurrence ont pu être contournées de diverses manières, il semble qu’aujourd’hui l’obstacle principal à la réalisation d’une véritable mise en concurrence soit la structure du marché des opérateurs susceptibles d’être candidats à une délégation de service public. La disparition de la société Transmontagne réduit en effet l’hypothèse d’une concurrence réelle lors de la sélection des candidatures et des offres des candidats. La présence de plusieurs candidats donne plus de chances à la collectivité pour qu’une ou plusieurs candidatures soient retenues lors de la procédure de négociation, et pour que les délégataires potentiels proposent au final la meilleure solution en matière économique. Blandine Tridon souligne ainsi que la présence de concurrents a conduit la société Rémy Loisirs à présenter une offre plus risquée en raison de la présence de concurrents sérieux lors du renouvellement de la délégation de service public de St François Longchamp : « Il y a eu un appel d’offre. Nous étions trois en concurrence, avec Maulin et SOFIVAL. Ça nous a amené à devoir « monter au cocotier ». Ce sont des éléments qui ne sont pas évidents, puisque la collectivité joue sur la concurrence. Même si au final elle a retenu notre offre, dans la mesure où elle nous connaissait, ça peut être dangereux parfois.

112 Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes rapport d'observations définitives sur la gestion de la commune de Venosc, exercices 1990 et suivants, 2004, p9. 113 Observations définitives concernant les communes de Venosc, Saint Martin de Belleville, St Gervais, Chamrousse. 114 Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes rapport d'observations définitives sur la gestion de la commune de St Gervais, exercices 1990-1998, 2001, p11. 115 Chambre Régionale des Comptes de Provence Alpes Côte d’Azur, observations définitives relatives à la gestion du syndicat mixte pour l'aménagement de Pra-Loup, exercices 1993-1997, 1999, pp7-15 44 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

116 On n’ira pas à la surenchère dans certains endroits. » Si elle ne doit pas conduire le délégataire à accepter une délégation trop déséquilibrée à son encontre, ce qui le mettrait en difficulté pour réaliser les investissements prévus, une concurrence réelle conduit vraiment à une amélioration des offres au cours de la phase de négociation, comme le souligne le maire de Pralognan la Vanoise, qui a réalisé une procédure de délégation de service public en 2005: « On a fait des négociations avec les trois candidats. On s’est revu deux fois avec tous, et le groupe qui s’en occupait nous a présenté le choix de Rémy Loisirs. Les offres se 117 sont quand même pas mal améliorées entre les premières et les dernières. ». Si la structure du choix entre opérateurs privés reste la même, les procédures de délégation de service public des prochaines années pourraient donc être plus difficiles pour les collectivités. En effet, comme le souligne Emmanuel Petit, « Aujourd’hui, [les opérateurs] sont en position de force. On va plus se retrouver avec des sociétés qui ne répondent pas comme dans le cas du Val d’Allos. On se prépare à des lendemains plus difficiles. En Savoie, pas trop car il y a peu de stations en difficulté, en Haute-Savoie beaucoup plus : ils ont beaucoup de petits sites isolés, aux besoins importants en matière d’investissements… 118 ». En cas de renouvellement, peu de candidats alternatifs au délégataire antérieur pourraient se présenter. Certaines stations présentant des risques forts d’exploitation pourraient se voir contraintes à renoncer à un mode de gestion par délégation. Le cas des stations de Pra Loup et du Val d’Allos illustre ce cas de figure. Ces deux stations, gérées chacune par un syndicat mixte, sont très sensibles aux variations d’enneigement. Deux procédures de délégation de service public ont été lancées conjointement pour ces deux stations en janvier 2008. Les conventions envisagées étaient des contrats d’affermage, afin de tenir compte du risque supporté par le délégataire et de laisser les investissements à la charge des collectivités concernées. L’un des avis d’appel à la concurrence n’a pas reçu de réponses acceptables par la collectivité. La seconde procédure, encore en phase de négociation, est conduite avec un seul délégataire potentiel119. Dans ce contexte, il apparaît peu faisable pour l’autorité délégante d’exercer réellement une sélection ex ante du meilleur candidat. La portée de la loi « Sapin » est considérablement réduite, en particulier pour les stations en difficulté.

b- au cours de l’application du contrat : une information succincte au délégant, des procédures de résolution peu utilisées Le suivi de l’exécution du contrat par l’autorité délégante nécessite pour elle de disposer d’informations concernant la réalité du service rendu par le délégataire, et les coûts auxquels il est exposé. La loi n°95-127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public prend en compte cette nécessité en modifiant la loi « Sapin » et en instaurant un rapport annuel obligatoire du délégataire à l’autorité délégante. Un rapport qui parfois n’est pas remis et souvent reste opaque pour les collectivités. Enfin, pour être crédible, l’autorité organisatrice doit disposer des moyens juridiques pour imposer au délégataire de remplir sa mission. Ces moyens existent, mais sont rarement mis en œuvre.

116 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 134 117 Entretien réalisé avec M Thomas le 24 avril 2008, Annexe 2, p 99 118 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 115 119 Entretien réalisé avec Mme Lamouroux les 15 et 16 mai 2008, Annexe 3, p 104 45 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

La loi « Sapin » telle que modifiée en 1995 prévoit dans son article 40-1 : « Le délégataire produit chaque année avant le 1er juin à l'autorité délégante un rapport comportant notamment les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l'exécution de la délégation de service public et une analyse de la qualité de service. Ce rapport est assorti d'une annexe permettant à l'autorité délégante d'apprécier les conditions 120 d'exécution du service public. ». Le contenu de ce rapport a été précisé par un décret du 14 mars 2005, entré en vigueur en 2006. En pratique, la production de ce rapport a souvent été omise par les délégataires, et son contenu apparaît encore peu lisible pour les collectivités. er Une première difficulté tient au fait que le rapport remis le1 juin doit préciser les comptes de l’exercice précédant. En matière de remontées mécaniques, cela reviendrait à ne pas aborder les résultats de la saison hivernale, achevée en avril. Les délégataires produisant un rapport incluent généralement en plus des données concernant l’exercice clos des éléments d’information sur la saison écoulée121. La production des rapports annuels des délégataires appelle d’importantes réserves. Parmi les 25 examens des comptes de collectivités supports de station utilisés, cinq mentionnaient l’absence de production d’un rapport annuel122, et trois soulignaient le caractère succinct ou incomplet des informations fournies à la collectivité123. Ainsi, le délégataire des remontées mécaniques de Chamrousse, la société Transmontagne, n’a pas pu fournir en 2002 la preuve qu’il produisait bien ces rapports, que la collectivité n’avait pas reçu. Les trois délégataires exploitant les remontées mécaniques de la station de La Bresse présentaient en 2002 à cette commune des rapports insuffisants d’après la Chambre Régionale des Comptes de Lorraine. La société Rémy Loisirs présente le rapport le plus complet, comprenant un compte-rendu financier, une analyse de la structure et de la politique tarifaire pratiquée, un bilan des saisons estivales, une présentation générale des modalités de mise en œuvre de la délégation. La Chambre relève néanmoins le caractère succinct du rapport en ce qui concerne le compte d’exploitation. Les deux autres délégataires présentent des documents se limitant à un compte d’exploitation plus ou moins détaillé124. Des insuffisances ont été constatées pour chacun des principaux groupes impliqués dans la gestion des remontées mécaniques. Il semble donc que la production du rapport annuel n’ait pas été considérée comme une tâche importante par une bonne partie des délégataires.

120 Article 40-1 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, modifié par la loi n°95-127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public 121 Voir notamment l’entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 133-134 122 Ces observations concernent les délégations des stations de Chamrousse (Société Transmontagne), Les Ménuires (avant 2000) (Compagnie des Alpes), Les Deux Alpes (Deux Alpes Loisirs), Corrençon en Vercors (délégataire local), La Plagne (Compagnie des Alpes). 123 Ces observations concernent les délégations des stations de La Bresse (Rémy Loisirs et deux délégataires locaux), Super Bagnères (Altiservices), Villard de Lans (délégataire local) 124 Chambre Régionale des Comptes de Lorraine, observations définitives sur la gestion de la commune de La Bresse, exercices 1997-2002, 2003, p15. 46 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

Lorsque ces rapports sont effectivement produits, leur contenu reste souvent opaque pour les collectivités. L’insuffisante transparence des rapports des délégataires a été constatée par Mme Lamouroux dans le cadre des syndicats mixtes des stations de Pra Loup et du Val d’Allos : « On en revient au problème de comptabilité privée. Un problème de lecture sur des postes qui ne sont pas clairement identifiés, comme la remontée des frais de siège. On a été dans l’obligation de faire appel à un prestataire extérieur qui nous a analysé les comptes de la délégation. Et cela reste toujours très flou, du fait de ce que j’appelle des sociétés écran, c’est-à-dire des grands groupes qui créent une filiale et qui 125 à leur tour créent de nouvelles filiales. » Deux problèmes sont alors soulignés. D’une part, la faible capacité d’expertise des collectivités en général, et les difficultés éprouvées à décoder des données provenant d’une comptabilité privée. D’autre part, la faible lisibilité des informations contenues dans les rapports des délégataires en général. La question des « frais de siège », ou frais induits pour la société-mère par l’activité de la filiale locale de remontées mécaniques, illustre cette opacité. Peu détaillés, ils peuvent recouvrir des prestations diverses. Ces frais étant appelés à augmenter compte tenu de l’accroissement de l’importance de la mutualisation des frais de commercialisation, une transparence réelle est particulièrement nécessaire126. Les précisions introduites par le décret du 14 mars 2005 pourraient permettre de donner des informations plus précises et analysables aux collectivités. Ce décret précise le contenu attendu des rapports, qui comprend notamment le compte annuel de résultat d’exploitation ainsi que les règles comptables employées, afin d’assurer une imputation plus claire des charges, une description des biens nécessaires à la production du service, et un inventaire des biens de retour et de reprise. Un programme d’investissement est exigé, et des indicateurs sur l’évaluation de la qualité du service peuvent être définis par voie contractuelle. Une annexe devra notamment rendre compte des tarifs pratiqués. L’impact de ces contraintes, entrées en vigueur pour les exercices entamés en 2006, n’a pas encore été réellement ressenti127. Dans une évaluation générale de ses effets éventuels, Claudie Boiteau regrette la présentation « laconique » des dispositions censées éclairer l’analyse de la qualité du service128. Par ailleurs, les clauses permettant le cas échéant de sanctionner un comportement du délégataire sont très peu mises en œuvre. Ces clauses peuvent prévoir des sanctions pécuniaires au titre de la on production de documents tels que le rapport annuel ou les attestations d’assurance. En cas de faute grave, des sanctions coercitives peuvent être mises en œuvre, telles que la mise en régie provisoire, qui a pour effet de placer le service sous la direction de la collectivité temporairement, ou la déchéance du contrat, qui met fin au contrat avant son expiration. Enfin, une collectivité peut résilier une concession par motif d’intérêt général, notamment en cas de cession de cette société à une autre129. Le caractère très lourd des clauses de mise en régie provisoire ou de déchéance exclut leur

125 Entretien réalisé avec Mme Lamouroux les 15 et 16 mai 2008, Annexe 3, p 106 126 La Chambre Régionale des Comptes de Rhône-Alpes souligne dans ses observations définitives sur l’examen des comptes de la commune de St Martin de Belleville l’existence de frais de holding au contenu peu transparent entre la SEVABEL, exploitant le domaine skiable des Menuires, et la Compagnie des Alpes. 127 er Les premiers rapports produits selon ces modalités ont été remis le 1 juin 2007 aux autorités délégantes. 128 BOITEAU, Claudie, Brèves observations sur le rapport annuel du délégataire de service public local, in Contrats publics, VII, Mélanges en l’honneur du professeur Michel Guibal, Université Montpellier I, 2006, pp 223-232. 129 Conseil d’Etat, arrêt n°126594, Société des téléphériques du Mont-Blanc, 31 juillet 1996. 47 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

application lors de l’exécution du contrat sauf en cas de faute lourde du délégataire, comme l’abandon de l’exploitation du service. En pratique, les sanctions pécuniaires doivent assurer les modalités principales du contrôle du délégant sur le délégataire. Ces pénalités sont généralement peu élevées. Le contrat établi entre la commune de Pralognan-la-vanoise et la société Rémy Loisirs prévoit un montant forfaitaire de 500€ en cas de non versement de documents. Elles sont également peu mises en œuvre, notamment en ce qui concerne les retards de versement de redevance. La Chambre Régionale des Comptes de Rhône-Alpes souligne ainsi que les communes de Villard de Lans et de Corrençon ont consenti à des retards importants dans le versement des redevances par le délégataire130. Les collectivités n’ont en effet pas intérêt à aggraver la situation du délégataire si celui-ci connaît des difficultés. Par ailleurs, mettre en œuvre des sanctions à l’égard de l’exploitant du domaine skiable de la station implique d’instaurer un climat tendu entre celui-ci et la collectivité. Des relations ouvertement conflictuelles peuvent se révéler difficiles à gérer par les deux parties.

2- peu d’incitations ou de contraintes envisageables Le constat d’une relation asymétrique entre délégant et délégataire, et de l’inefficacité des moyens de régulation juridiques invite à rechercher des modalités de régulation empruntées notamment à la théorie des incitations. Dans ce cadre, la collectivité et le délégataire de service public sont les protagonistes d’un rapport entre « Principal » et « Agent ». Ces partenaires possèdent des informations limitées sur leur comportement respectif. Différentes solutions sont proposées pour forcer les partenaires à révéler ces informations. L’enjeu est de permettre au Principal d’inciter l’Agent à adopter une conduite optimale, que ce soit du point de vue de la qualité du service rendu ou des prix pratiqués. Les solutions proposées restent cependant difficilement applicables en matière de remontées mécaniques. Finalement, la régulation par le marché, notamment en matière de tarifs, reste la plus effective.

a- l’inefficacité des propositions traditionnelles de régulation des contrats Les solutions envisageables pour inciter les parties d’un contrat à adopter un comportement optimal sont notamment l’instauration d’une concurrence réelle à l’entrée du contrat et lors de la négociation, l’incitation par les prix, la « yardstick competition », et la « sunshine regulation ». Les développements précédents ont permis de montrer que l’offre réduite de délégataires potentiels pour une grande partie des stations réduit les possibilités d’instaurer une véritable concurrence. Il faut donc tenter d’instaurer les conditions susceptibles de favoriser la présence de plusieurs candidatures viables lors des procédures de mise en concurrence. Cela revient à assurer une meilleure contestabilité du marché. Jean Bouinot définit quelques pistes pouvant s’appliquer aux délégations de service public en général131. Une première voie concerne la durée des délais de présentation des candidatures et des offres. La limite légale de présentation des candidature est fixée à un mois après la date de

130 Chambre Régionale des Comptes de Rhône-alpes, observations définitives sur l’examen des comptes de la commune de Villard de Lans, exercices 1989 et suiv, 1999, et observations définitives sur l’examen des comptes de la commune de Correçon, exercices 1989 et suiv., 1999. 131 BOUINOT, Jean, Comment assurer l’égal accès à l’information juridique, technique et économique avant le contrat, en cours de contrat et lors de son renouvellement ?, RFDA, hors-série : La gestion déléguée du service public, 1997, pp 41-53 48 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

la publication de l’avis de mise en concurrence132. Ce délai apparaît bien faible au regard de la nécessité pour les candidats de conduire une évaluation poussée de l’état des remontées mécaniques et du potentiel économique de la station avant de proposer éventuellement leur candidature, puis une offre. Dans un deuxième temps, concéder aux candidats déclarés un temps suffisamment long pour élaborer leur offre leur devrait leur permettre de réduire leurs incertitudes sur l’état de la station, donc de proposer une offre plus adaptée. Enfin, comme le souligne par ailleurs Emmanuel Petit, il est important de laisser la possibilités aux candidats de proposer des solutions alternatives à celles envisagées par la collectivité lors de l’examen des candidatures,: « Il y a deux façons de faire, comme pour le cahier des charges. Il y a des cahiers de charges qui ressemblent déjà à des conventions. Il n’y a plus qu’à remplir. Si le but d’une DSP ce n’est pas de rechercher la meilleure offre économique possible, je n’ai rien compris. Le cahier des charges, on le fait ouvert. On laisse venir les candidats. On sait qu’en matière de DSP, plus on en met dans l’avis d’appel à concurrence et dans le cahier des charges, plus ça rassure les juristes. Par contre, c’est dommage de ne pas se laisser la possibilité qu’un candidat nous dise que l’on n’a pas imaginé telle solution, tel financement. Le but, c’est de récupérer des offres économiques avant tout. On ne spécifie pas parfois si 133 ce sera une DSP en concession ou en affermage. ». Dans ce cas, il est important que la collectivité ait par ailleurs fait l’effort de définir clairement ses objectifs préalablement. L’ensemble de ces mesures ne peut qu’améliorer les possibilités d’entrée sur le marché d’un nouvel opérateur, ou de mise en place d’une concurrence entre les principaux délégataires potentiels existants. Mais elles ne constituent pas une garantie de l’effectivité de la concurrence, en particulier lors du renouvellement des conventions de délégation. Outre le faible nombre d’opérateurs privés, le délégataire sortant dispose en effet de deux avantages. Le premier résultant de sa connaissance approfondie de la station concernée peut être contourné par les dispositions précédentes. Le second concerne l’importance des relations de confiance entre les collectivités et leur délégataire. Les collectivités tentent d’abord d’éviter de choisir un délégataire susceptible de connaître des difficultés financières. L’exemple récent de la société Transmontagne montre que les craintes des collectivités sont fondées. Cette société tendait à inspirer confiance aux autorités délégantes, et ses difficultés, normales après la saison 2006-2007, ne semblaient pas devoir provoquer un dépôt de bilan, d’après le Directeur Général des Services de Chamrousse : « Nous collectivité, comme d’autres stations, on a eu vent de tels problèmes. Ce n’était pas exceptionnel. Tout le monde avait un peu des soucis l’année dernière. La 134 montagne en général avait souffert. On ne se faisait pas plus de soucis que ça. ». Si ce paramètre peut réduire la portée des remises en concurrence, il indique par ailleurs une voie effective d’incitation dans le secteur des remontées mécaniques. La réputation des opérateurs est en effet un élément important de leur capacité à obtenir la gestion de nouvelles stations, ou de se maintenir lors du renouvellement des conventions. Comme le souligne Blandine Tridon, il est préférable que l’opérateur ne soit pas perçu comme la source de l’échec d’une délégation de service public : « On a tenté d’alerter la collectivité qui restait hermétique. Comme on préfère sortir par le haut, sachant qu’on nous demanderait ce qui s’est passé dans les prochains appels d’offre, on a recouru à

132 Décret n°93-471 du 24 mars 1993 portant application de l’article 38 de la loi « Sapin ». 133 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 116 134 Entretien réalisé avec M Ligney le 4 mars 2008, Annexe 1, p 89 49 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

135 une procédure de mandat ad hoc. »Les opérateurs ont donc tout intérêt à instaurer le rapport le moins conflictuel possible avec leur autorité délégante. En ce sens, une « sunshine regulation » est déjà effective dans ce secteur d’activité. L’impact de la réputation sur le comportement des opérateurs peut être réel. Ainsi, la société Rémy Loisirs tente à la fois de préserver de bons rapports avec les autorités organisatrices et de présenter des réponses très précises lors des appels d’offre. Cette stratégie est payante, comme le souligne Emmanuel Petit « (…)le choix final est souvent une question de confiance. Dans la phase de négociation, au bout d’un moment, les offres arrivent toutes au même endroit sensiblement. Certains répondent plus rapidement, avec plus de sérieux. A la fin, les élus vont choisir celui qui leur inspire le plus confiance, sachant que tous les autres points sont comparables. C’est un choix intuitu personae. On ne marche pas sur critère comme en marché public. En délégation de service public, on discute. Il y a la méthode, l’approche, la stratégie de la boutique, l’actionnariat de la société, sa stratégie de développement, pas seulement l’aspect technique et financier. Rémy Loisirs a pu être choisi même s’ils versaient moins de redevance à la collectivité, parce qu’au final ils avaient la meilleure approche sur 136 le résultat final d’exploitation. » La méthode plus active de compétition par comparaison, ou « yardstick competition », semble difficile à mettre en œuvre en ce qui concerne les remontées mécaniques. Elle requerrait une forte implication de l’Etat. En effet, cette méthode d’incitation repose sur la constitution d’indicateurs de référence, susceptibles d’aider les parties dans leur évaluation des coûts supportés et des prix pratiqués par l’autre partie. Un observatoire de l’eau a ainsi été créé en 1996. En pratique, les élus des collectivités supports de station ont souvent en tête une station qu’ils considèrent comme équivalente en matière de domaine skiable par exemple. Ils peuvent alors évaluer la stratégie de leur propre délégataire. Cette pratique rencontre vite des limites. Comparer deux stations de montagne est en effet un exercice difficile. Outre le fait que les modes de gestion doivent être similaires, un grand nombre de paramètres participent à la détermination des coûts supportés par le délégataire, et certains peuvent être peu visibles pour un observateur extérieur, comme les problèmes spécifiques posés par un ou des appareils, ou l’ampleur des travaux nécessaires à l’entretien ou au réaménagement des pistes. Le tarif pratiqué par des stations apparemment proches peut donc varier sensiblement sans indiquer nécessairement pour cela la captation d’une rente par un délégataire. L’instauration d’une comparaison efficace réclamerait donc une étude approfondie des paramètres constituant les structures de coût des stations. La loi « Sapin » prévoit une rémunération du délégataire permettant d’assurer un partage des risques entre les deux parties à la délégation de service public. La rémunération du délégataire est en effet « substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service 137 ». L’appréciation de la réalité de a prise en charge de ce risque est complexe en particulier pour les contrats d’affermage. Il est donc a fortiori difficile de rendre compte d’une éventuelle stratégie d’incitation par la rémunération du cocontractant. Le faible nombre de contrats ou d’examens détaillés des clauses financières disponibles pour ce mémoire n’y suffit pas. En effet, les clauses financières des contrats varient fortement d’une station à une autre. Ces clauses regroupent à la fois les conditions de fixation des tarifs par le

135 Entertien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 135 136 Entretien réalisé avec M Petit le 20 Mai 2008, Annexe 4, p 112 137 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, article 38. 50 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

délégataire, l’existence d’une redevance et son importance, les modalités de financement du développement de la station, mais aussi par extension le taux de la taxe professionnelle et des taxes spécifiques aux remontées mécaniques instaurées par la collectivité ou le département. L’enjeu est d’assurer une répartition équilibrée des risques liés à l’exploitation du service, mais également de permettre le cas échéant de partager les gains de productivité réalisés. Les formules théoriques de « cost plus » et « price cap » ne semblent pas réellement mises en œuvre en pratique. La formule « cost plus », consistant à assurer au délégataire une rémunération couvrant ses coûts effectifs et lui assurant un taux de rendement donné, suppose en effet de connaître les coûts supportés par le délégataire. Dans un domaine soumis fortement à des aléas techniques et de fréquentation, il semble difficile et surtout coûteux de mettre en place une structure d’évaluation des coûts supportés par le délégataire. Cette formule échoue à contrôler les coûts, mais présente l’avantage d’inciter le délégataire à investir. La formule « price cap » consiste à fixer une limite de rémunération au délégataire évoluant dans le temps en fonction d’un indice des coûts minoré d’un facteur extérieur. L’effet produit est une incitation forte à réduire les coûts de production du service. Cependant, le délégataire n’est plus incité à investir. Or, la gestion de remontées mécaniques étant une activité fortement capitalistique demandant le plus souvent l’engagement régulier de nouveaux investissements tout au long de la durée de la convention, cette formule semble difficilement applicable en l’état. En pratique, les quelques exemples étudiés montrent un effort variable en vue d’inciter le délégataire à maîtriser ses coûts138. Dans la plupart des cas, les tarifs pratiqués par le délégataire vis à vis des usagers sont indexés en théorie sur un indice représentant l’évolution des coûts su secteur d’activité. Ils peuvent être également fonction des améliorations réalisées par le délégataire. Dans son guide réalisé en 2005 pour aider les collectivités lors des procédures de délégation de service public, l’association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) remarque que « certaines conventions de remontées mécaniques prévoient que le délégataire est seul compétent pour fixer les tarifs. D’autre part, les tarifs ne sont 139 généralement pas stipulés dans les conventions ». Il arrive qu’en pratique le contrôle des tarifs par les autorités délégantes soit peu effectif140. Quant à la fixation de la redevance, ses modalités sont variables. Dans quelques cas, aucune redevance n’est imposée au délégataire. Par exemple, une délégation en affermage dans le cadre de laquelle la collectivité verse une redevance au délégataire supérieure au chiffre d’affaire normal de la station. Saisie par le préfet, la Chambre Régionale des Comptes a estimé que si cet aide était importante, « il convient néanmoins de considérer que la rémunération du délégataire demeure ainsi substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service au regard de la jurisprudence du juge administratif selon laquelle l’ensemble des recettes d’exploitation peut dans le cadre d’une délégation de service public être inférieur aux versements provenant de l’autorité délégante (CE, 30 juin 1999,

138 Outre la convention de délégation de Pralognan-la-vanoise, les rapports d’observation des Chambres Régionales des Comptes étudiés font mention substantiellement des clauses financières pour huit collectivités : Gavarnie, Corrençon en Vercors, Chamrousse, Bourg Saint Maurice (Les Arcs), La Bresse, La Plagne, St Gervais, Département du Cantal (Super Lioran). 139 ANMSM, Délégations de service public et domaine skiabe : mode d’emploi, p69. 140 Voir notamment les observations définitives de la Chambre Régionale des Comptes de Rhône Alpes au titre de l’examen des comptes de la commune de Saint Martin de Belleville, exercices 1997 et suiv., 2004, p 30. 51 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

141 SMITOM centre ouest seine-et- marnais) ; » . Elle constituait néanmoins une aide économique au sens du droit communautaire et aurait dû de ce fait faire l’objet d’une déclaration. La Chambre ne se prononce pas sur l’équilibre du contrat envisagé, qui semble très avantageux pour le délégataire qui de fait ne supporte que très peu de risques. Un tel déséquilibre apparent est rare. La commune de Saint Gervais par exemple n’exige pas de redevance de la part de son délégataire, mais celui-ci supporte les investissements relatifs au renouvellement des appareils de remontée mécanique. La commune assure par ailleurs une garantie des emprunts contractés. L’absence de redevance n’est pas forcément synonyme de relation déséquilibrée entre délégant et délégataire. Une telle situation peut refléter un équilibre économique particulier, dans lequel le délégataire prendrait en charge des investissements importants. Quatre des neuf conventions étudiées directement ou indirectement mentionnent une redevance calculée à suivant un taux fixe des recettes brutes. Par exemple, les trois exploitants des domaines skiables de la commune de La Bresse versent respectivement 5%, 2,70% et 4,70% de leurs recettes brutes hors taxes d’exploitation. Ces formules non évolutives se rapprochent d’un prix « cost plus » : le délégataire a intérêt à minimiser ses coûts, puisque la part de redevances versée reste la même. Des difficultés peuvent apparaître lors d’un investissement particulièrement lourd, ou d’une saison particulièrement mauvaise. Il peut être dans l’intérêt des parties de prévoir des clauses de révision en fonction de l’évolution des contraintes économiques. Deux autres conventions prévoient l’adossement de la redevance demandée au délégataire sur les annuités d’emprunt supportés par la collectivité suite à un investissement réalisé sur le domaine skiable. Ces conventions peuvent être des conventions d’affermage, ou des contrats mixtes prévoyant la prise en charge de certains investissements par la collectivité et d’autres par le délégataire. C’est le cas de la convention de délégation de Pralognan-la-vanoise, qui adosse la redevance perçue au titre de la délégation du domaine skiable à l’annuité des emprunts contractés par la commune pour financer des équipements. Dans ce cas, la convention doit prévoir ce qu’il advient lorsque l’emprunt est remboursé. Ce type de formule présente les mêmes inconvénients que la précédente. Il présente l’avantage d’assurer que la redevance versée contribue directement ou indirectement au fonctionnement du service. Il peut cependant créer une rente de fait pour le délégataire si les versements s’interrompent à l’issue du remboursement des annuités. Enfin, la formule adoptée par le département du Cantal, autorité organisatrice pour la station de Super Lioran, apparaît comme la plus incitative. La convention prévoit une clause d’indexation des tarifs pratiqués, ainsi qu’une clause de réexamen des conditions financières dans l’hypothèse où le coefficient d’indexation varierait de plus de 25% par rapport à sa valeur d’origine, en cas de financement de nouvelles installations par le destinataire, ou en cas d’évolution de plus ou moins 15% du chiffre d’affaire des remontées mécaniques sur les trois dernières années. Les tarifs pratiqués augmentent par ailleurs en fonction des tranches de travaux prévus et réalisés. La redevance est quant à elle composée de trois parties : une redevance de fixe, une redevance complémentaire pour un chiffre d’affaire égal à 2, 28 millions d’euros, et une redevance supplémentaire par tranche de 150 000 euros supplémentaires de chiffre d’affaire, lorsque celui-ci excède 2,59 million d’euros. La collectivité incite donc le délégataire à réaliser les investissements prévus. L’hypothèse d’une mauvaise saison est compensée par la faible redevance de base prévue au contrat. 141 Chambre Régionale des Comptes de Midi Pyrénées, avis sur la délégation du service public des remontées mécaniques et du domaine skiable de la station de ski de Gavarnie-Gedre conclu par la communauté de communes de Gavarnie-Gedre avec la société Altiservice, 11 déc 2007, p7 52 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

La difficulté réside cependant dans la mise en place des seuils de redevance lors de la négociation du contrat. Adopter une stratégie d’incitation par les prix est donc possible en matière de remontées mécaniques, en particulier si des clauses de prise en compte des modifications éventuelles des conditions initiales du contrat peuvent être définies. Il reste que seule une concurrence initiale réelle permet de fixer ces clauses de manière efficace.

b- une régulation des contrats laissée de fait au marché La concurrence entre opérateurs privés lors du renouvellement ou de la création d’une délégation de service public n’est pas toujours effective, mais les statistiques semblent démontrer une progression normale des tarifs aux usagers au regard des investissements réalisés, et un réel effort en matière d’investissements. Après avoir connu une augmentation sensible au début des années 2000, corrélée avec un important effort d’investissement, « Le prix moyen du forfait ne progresse pas alors même que les charges des exploitants s’alourdissent, notamment le coût des appareils neufs, et que l’offre de ski s’améliore 142 constamment. »Par ailleurs, le rapport entre les investissements engagés et le chiffre d’affaire réalisé est en progression constante. Il est de 40% en 2006, contre 20% en 1996143. Ce comportement des délégataires peut être expliqué principalement par la concurrence existant entre les stations de montagne. Les délégations de service public en matière de remontées mécaniques affirment donc leur spécificité, qui tient à la nature non captive de leurs usagers, qui constituent plutôt une clientèle. Celle-ci les contraint à maintenir, voire améliorer la qualité du service puisqu’ils sont dépendants de la fréquentation du domaine skiable pour parvenir à rentabiliser leur activité. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la fixation des tarifs pratiqués vis à vis des usagers reste largement du ressort du délégataire. Ces tarifs doivent être approuvés par l’assemblée délibérante de l’autorité organisatrice. En pratique, les conventions prévoient souvent une clause d’approbation tacite à l’issue d’un délai d’un ou deux mois après la notification des tarifs par le délégataire, bien que de telles clauses soient relevées comme illégales par les Chambres Régionales des Comptes. De plus, les tarifs approuvés sont loin de constituer la politique commerciale de l’opérateur privé. Il s’agit généralement des forfaits journée et semaine. Or, la gamme des tarifs pratiqués au cours de la saison est très large, des accords spéciaux passés avec des tour opérateurs aux forfaits « famille » intégrant des remises importantes. Le délégataire doit fournir un compte-rendu de sa politique commerciale dans le rapport annuel remis à la collectivité, mais celle-ci n’a en pratique guère de prise sur la stratégie de l’opérateur. Les opérateurs privés interrogés soulignent que les limites de la tarification appliquée sont surtout données par les contraintes du marché des sports d’hiver en France et en Europe « certaines concessions n’imposent pas de limites[en matière de tarifs]. Mais il y a la contrainte du marché. Vous ne pouvez pas 144 augmenter de 10%, comme ça…donc on tient compte de ce critère-là . » Par ailleurs, Emmanuel Petit estime que la mise en concurrence des délégations de service public, si elle peut apporter des modifications substantielles notamment en terme de redevance, ne conduit généralement pas les opérateurs à renoncer à leur évaluation

142 ROLLAND, Vincent, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité des stations de sports d’hiver, 2006, p17, 94-95. 143 ODIT France, Les chiffres clefs du tourisme de montagne, 2006, p42. 144 Entretien réalisé avec M Blas le 18 avril 2008, Annexe 5, p 127 53 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

du potentiel de la station considérée. L’apport des procédures de mise en concurrence résiderait aussi dans l’élaboration plus complète des offres proposées, et non seulement dans les conditions proposées en terme de tarifs et de redevances : « dans les procédures on a constaté que quand on lançait une DSP, les offres étaient peu finalisées. Au fur et à mesure des contrats, on a eu des offres plus cadrées. Je n’ai jamais vu le groupe Rémy Loisirs remettre en cause les fondamentaux de son étude au cours de la discussion. Son appréhension économique reste la même, sauf fait nouveau. Transmontagne était dans la même logique. Une fois qu’ils ont fait leur ratio, ils savent la capacité qu’ils ont à gérer le 145 site . » Cependant, même si la régulation induite par la concurrence entre stations réduit fortement le risque d’appliquer un tarif très élevé aux usagers, ou d’interrompre totalement les investissements nécessaires, la conservation d’un contrôle minimal du délégataire par les collectivités apparaît très coûteuse. Les possibilités de sanction prévues par les conventions ne sont pas aisées à mettre en œuvre en ce qu’elles induisent une relation dégradée entre le délégant et son partenaire. La mise en place de clauses initiales incitatrices pour s’assurer de l’absence de prise de rente est peu aisée, en ce qu’elle réclame de la part de la collectivité un effort important d’expertise avant et pendant l’écriture du contrat. Malgré son coût, cet effort semble nécessaire pour assurer le bon déroulement de la délégation.

C- La nécessité de l’adoption d’une approche à la fois juridique et économique

Les contrats de délégation de service public en matière de remontées mécaniques sont des contrats coûteux à la fois dans leur mise en place et dans leur exécution. Assurer l’équilibre des relations entre autorité délégante et délégataire lors de la conclusion et pendant le suivi du contrat suppose surtout un effort de la part des collectivités, et la mise à leur disposition de moyens adaptés. Dans un premier temps, il est nécessaire de conduire une réelle évaluation économique du projet de délégation préalablement à l’avis d’appel à concurrence. Enfin, les contrats de délégation de service publics doivent être utilisés comme des « boîtes à outils » permettant de déterminer les modalités de leur évolution en fonction de la situation réelle.

1- l’adoption d’une démarche préalable d’évaluation économique du projet de délégation Adopter une réelle démarche de réflexion sur les objectifs recherchés à travers une délégation de service public et d’évaluation des conditions économiques dans lesquelles peut être construit un tel projet est nécessaire. Cela représente un réel effort pour les collectivités, mais permet d’une part de mieux situer les offres proposées par le ou les candidats, et d’autre part de prévoir des clauses de rendez-vous réalistes au sein du contrat.

a- une démarche nécessaire préalablement à la mise en concurrence

145 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 115 54 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

L’article L1411-1 du Code Général des Collectivités Territoriales stipule « les assemblées délibérantes des collectivités territoriales, de leurs groupement et de leurs établissements publics se prononcent sur le principe de toute délégation de service public local. Elles statuent au vu d’un rapport présentant le document concernant les caractéristiques des prestations que doit assurer le délégataire ». Or, comme le souligne Jean Bouinot, ce rapport a tendance à rester silencieux sur l’argumentation du principe de recours à un délégant146. Emmanuel Petit a un point de vue similaire : si certaines collectivités font l’effort d’une véritable étude préalable, d’autres ne le font pas « Il y a avant et après la DSP. Avant de la lancer, il y a un travail préalable très important. Etude de scénario alternatif, étude technique, discussions avec le délégataire en place, tester des opérateurs, aller voir ailleurs comment cela se passe…cela impose que l’on ait une idée du cahier des charges au moment de lancer la procédure. Parce que la DSP commence par un rapport dans lequel on explique les motivations de la DSP. Si les collectivités font ce travail, c’est bien. Certaines ne le font 147 pas au préalable. » Que ce soit lors du renouvellement d’une délégation de service public, ou lors de la création d’une délégation, l’état des remontées mécaniques et de la station peut ne pas être clair pour la collectivité. Ainsi, une étude du chiffre d’affaire des stations de Pra Loup et du Val d’Allos a permis aux syndicats mixtes chargés de leur gestion de constater une stagnation en raison d’années difficiles, alors que les délégataires en place diagnostiquaient une baisse du chiffre d’affaire. La commune de Pralognan-la-vanoise a fait appel à une expertise extérieure pour élaborer un diagnostic des comptes de la station. Celle-ci était précédemment gérée en régie puis en SEM : « Le plus gros boulot a consisté à savoir d’où l’on partait et ce que l’on voulait. Ce n’était pas si simple, puisqu’en fait pendant des années comme les investissements étaient noyés dans le budget communal, on ne retrouvait pas tout. Donc on a d’abord essayé de faire une analyse financière comme si la régie gérait tout : le fonctionnement et les investissements. À partir de ces chiffres, on s’est 148 demandé comment faire pour arriver à un domaine skiable qui soit rentable. » À partir d’une évaluation de base fiable, différentes possibilités de gestion de la station peuvent être envisagées. La collectivité peut notamment évaluer l’attractivité de son offre face aux principaux candidats potentiels. Dans son article sur l’accès à l’information en matière de délégation de service public en général, Jean Bouinot souligne une pratique anglo-saxonne consistant à conduire des études lors de la phase préliminaire d’un projet pour évaluer l’existence d’entreprises pouvant potentiellement présenter des offres149. Une telle pratique peut permettre à la collectivité de réviser ses objectifs afin d’élargir le champ de l’avis de mise en concurrence, ou de prévoir une solution alternative sous la forme d’une SEM en cas de réponses insuffisantes de la part des opérateurs privés.

b- une condition à l’équilibre des relations entre les parties Les procédures de négociation sont au cœur des délégations de service public. Cela ne veut pas dire que des négociations ont lieu constamment entre délégant et délégataire, mais 146 BOUINOT, Jean, Comment assurer l’égal accès à l’information juridique, technique et économique avant le contrat, en cours de contrat et lors de son renouvellement ?, RFDA, Hors-Série : la gestion déléguée du service public, 1997, p45 147 Entretien réalisé avec M Petit le 20 Mai 2008, Annexe 4, p 118 148 Entretien réalisé avec M Thomas le 24 Avril 2008, Annexe 2, p 99 149 BOUINOT, Jean, Comment assurer l’égal accès à l’information juridique, technique et économique avant le contrat, en cours de contrat et lors de son renouvellement ?, RFDA, Hors-Série la gestion déléguée du service public, 1997, p46. 55 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

plutôt que dans le cadre de contrats de longue durée, ces deux partenaires sont amenés à adapter les modalités de leur relation contractuelle à l’évolution des conditions réelles d’exploitation. Au préalable cependant, la procédure initiale de négociation apparaît comme une phase cruciale. Avoir réalisé une étude préalable permet à la collectivité de fixer précisément ses objectifs, notamment en terme d’investissements, et d’en exiger autant de la part des candidats. Comme il l’a été montré, il n’est pas possible d’exiger la description des investissements réalisables pendant toute la durée de la convention. Mais les collectivités peuvent demander l’élaboration d’un prévisionnel d’exploitation permettant d’une part de fixer les prétentions du délégataire en matière de tarifs, et d’autre part de rendre visibles les phases d’investissement réalisables, à défaut de décrire précisément quel appareil sera modifié ou quelle solution technique préférée. La réalisation d’un tel document permet dans une certaine mesure de garantir la bonne compréhension des enjeux, notamment économiques et financiers, pesant initialement sur le délégataire et sur la collectivité. L’importance d’entretenir des relations de confiance entre délégant et délégataire a été soulignée. Ces relations sont favorisées par une bonne compréhension des conditions initiales et des objectifs de la délégation de service public. Il est également important que les collectivités soient en mesure de définir des points de rendez-vous avec le délégataire : « Le contrat est simplement là pour vérifier au cours de la convention si les hypothèses se réalisent ou pas. Et surtout : si ça se passe mieux, est-ce que l’on réinvestit, est-ce que l’on donne plus de redevance ?Si ça se passe mal, que se passe t’il ? On décale les investissements, on revoit le programme ? On baisse la redevance ? L’intérêt, sachant que les avenants sont plus compliqués maintenant, c’est de mettre dans le contrat les boîtes à outils qui permettent de réajuster les conditions 150 économiques du contrat par rapport à la réalité. » Pour élaborer et mettre en œuvre ces « outils » permettant d’envisager des procédures de renégociation, il est important de s’assurer de l’existence d’une réelle expertise au sein de la collectivité, ou de faire appel à une aide extérieure.

2- Mettre en place des mesures de contrôle du délégataire ad hoc : la nécessaire implication des collectivités. Les limites des instruments de régulation au cours de l’exécution des conventions proposés dans le cadre traditionnel des délégations de service public ont été soulignées. L’élément le plus important pour assurer l’équilibre des relations entre délégataire et délégant et la conciliation de leurs objectifs, est la mise en place de structures de dialogue. Par ailleurs, pour compenser les faibles moyens des collectivités existent d’ores et déjà des aides extérieures. Celles-ci pourraient être mieux développées, notamment en ce qui concerne le suivi des délégations.

a- un besoin d’expertise de la part des collectivités Les collectivités se trouvent donc dans l’obligation de s’impliquer réellement dans le suivi des conventions de délégation de service public. Or, le constat de leur manque de moyens humains et techniques notamment a également été fait. Le recours à une aide extérieure

150 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 115 56 II- En pratique, la recherche difficile d’un équilibre entre autorité délégante et délégataire

semble bien développé en ce qui concerne les procédures de mise en place des délégations de service public. Il resterait à assurer les collectivités de moyens de suivi des délégations. Les responsables de collectivité interrogés ayant été engagés dans une procédure de délégation de service public ont tous fait appel à une aide extérieure pour la procédure de mise en concurrence. Les possibilités sont nombreuses, bien que toutes payantes : organismes para-publics comme l’ASADAC, cabinets privés spécialisés…Ces structures peuvent cependant proposer des approches différentes, plus ou moins centrées sur l’aspect juridique des conventions. Comme il l’a été montré, il est important de s’assurer d’une expertise à la fois économique et juridique lors de l’élaboration des conventions. L’appel à l’aide extérieure ne dispense pas cependant les collectivités de faire l’effort de définir précisément leurs attentes préalablement au lancement de la procédure de délégation de service public. En ce qui concerne le suivi de l’exécution des conventions, le recours à des aides extérieures payantes est toujours possible, mais pourrait se révéler onéreux. Dans son audition devant la mission commune d’information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne, le président de l’association des maires des stations françaises de sports d’hiver et d’été souligne le manque de compétence des services de l’Etat, notamment au niveau du contrôle de légalité : « Nous pensons que le suivi d'un contrat de délégation de service public constitue une véritable responsabilité dont l'exercice nécessite des connaissances précises et une expertise certaine sur le plan technique, juridique, administratif et financier. Or, l'expérience du terrain montre que ces conditions ne sont que rarement remplies. L'intervention des services de l'Etat n'est pas à la hauteur des enjeux. En effet, mis à part les services techniques qui assurent le contrôle des engins de remontées mécaniques, les services de l'Etat appelés à intervenir, soit comme conseillers, soit comme contrôleurs, ne sont pas reconnus comme étant particulièrement compétents 151 en la matière sauf sur les questions de procédure ». La diffusion d’une expertise en matière d’évaluation économique et financière des délégations de service public en matière de remontées mécaniques s’avèrerait donc nécessaire.

b- une exigence accrue en matière d’information L’information réciproque du délégant et du délégataire constitue un élément important lors de l’exécution des contrats. Deux procédures permettent de l’améliorer, mais réclament une implication accrue des collectivités. Dans un premier temps, l’exploitation des données fournies par le rapport annuel du délégataire doit être assurée. Les contraintes apportées récemment en ce qui concerne son contenu devraient en faire un élément important du suivi des contrats. Les manquements liés à la production de ce rapport ont été soulignés, et conduisent à rejeter pour le moment l’appréciation enthousiaste de Claudie Boiteau : « le rapport annuel du délégataire pourrait 152 bien devenir l’instrument efficace d’une analyse économique du contrat de délégation ». Néanmoins, les informations contenues dans ce rapport devraient être exploitées par les collectivités. En théorie, l’assemblée délibérante de la collectivité doit dans un premier temps prendre acte de la remise du rapport, puis lors de la réunion suivante procéder

151 Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) devant la mission commune d’information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne, 26 juin 2002 152 BOITEAU, Claudie, Brèves observations sur le rapport annuel du délégataire de service public local, in Contrats publics, VII, Mélanges en l’honneur du professeur Michel Guibal, Université Montpellier I, 2006, p232. 57 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

à son examen. Le cas échéant, ce doit être l’occasion d’engager des négociations avec le délégataire si des points de désaccord apparaissent. Un tel examen semble constituer l’exception, comme le rappelle Emmanuel Petit « Mais les collectivités en face, je ne suis pas sûr qu’elles aient les ressources pour exploiter les informations, contrôler les DSP. Il n’est pas sûr que les rapports soient lus, ou même approuvés par une délibération comme 153 c’est prévu. » A contrario,La société Rémy Loisirs considère depuis quelques années ce rapport comme un élément crucial de son rapport avec le délégataire154 : « il est important de tracer [les conditions de la DSP] au fur et à mesure. Justement en se servant du rapport de DSP. C’est vrai qu’il y a encore dans la profession des gens qui ne savent même pas qu’ils doivent faire un rapport. Nous, depuis quelques années, ils sont très étayés. On produit des statistiques, etc, mais c’est un moment où l’on dit aussi les difficultés rencontrées. C’est un moment structurant. Parce que si la municipalité change, on peut les renvoyer au rapport 155 pour qu’ils soient au courant des choses qui n’allaient pas. » Les rapports annuels peuvent être un outil pour le délégataire, mais ils sont surtout un reflet de la situation réelle de l’exploitant. Veiller à leur production, à leur lisibilité et à l’examen de leurs données est donc une démarche minimale pour les collectivités. La création de Commissions Paritaires peut également être un bon moyen d’assurer un dialogue réel entre l’autorité organisatrice et l’exploitant. Ces commissions, peuvent être mises en place par les conventions de délégation et ont vocation à se réunir deux fois par ans. Elles peuvent par exemple procéder à l’examen du rapport annuel remis par le délégataire. Enfin, un système d’association des collectivités à la gestion de l’exploitant a été également mis en place dans plusieurs conventions à l’initiative de l’opérateur Rémy Loisirs. Cette démarche permet de faire participer la collectivité via une SEM au capital de la filiale créée pour la station. De ce fait, un représentant du délégant siège au conseil d’administration de la société concessionnaire : « L’avantage, c’est qu’on a un représentant de la commune en conseil d’administration qui se retrouve sous la casquette de l’exploitant. Donc il peut entendre des choses qui passent mieux qu’en Conseil Municipal. On a mis en place ce système à Orcières, Pralognan et au Val d’Arly. (…) C’est plus complexe juridiquement, mais dans cette notion d’un dialogue actif et multiforme, c’est une voie qui 156 n’est pas inintéressante. » Cette manière de partager les informations relatives à la gestion du domaine skiable mériterait d’être testée dans d’autres délégations.

153 Entretien réalisé avec M Petit le 20 mai 2008, Annexe 4, p 115 154 Ce qui ne garantit pas par ailleurs que tous les rapports remis par les filiales de cette société soient irréprochables. Mais il semble qu’en règle générale, les rapports remis par Rémy Loisirs soient parmi les plus complets. 155 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 133 156 Entretien réalisé avec Mme Tridon le 9 mai 2008, Annexe 6, p 137 58 Conclusion

Conclusion

Les intérêts des collectivités et des opérateurs privés chargés de la gestion des remontées mécaniques ne sont pas identiques. Or, la mise en place d’une convention de délégation de service public ne garantit pas l’instauration d’un rapport équilibré entre ces deux parties aux objectifs divergents. Un constat s’impose plutôt, celui d’un rapport souvent déséquilibré entre une collectivité aux moyens de contrôle limités et des opérateurs exerçant un métier très spécifique. Les délégations de service public permettent-elles aux collectivités et aux opérateurs de concilier leurs objectifs ? La position de ces opérateurs vis à vis de cette modalité d’organisation des remontées mécaniques est très diverse. Certains d’entre eux ne semblent pas devoir être directement menacés lors des remises en concurrence, mais cherchent à s’affranchir des contraintes introduites par la loi « Sapin », en rappelant que la France fait exception en considérant les remontées mécaniques comme un service public. Une des stratégies envisagée par la Compagnie des Alpes notamment serait de demander une réglementation européenne dans ce domaine. D’autres opérateurs semblent avoir intégré les contraintes des délégations de service public comme une donnée des conditions de leur activité, tant en matière de limitation de la durée des conventions qu’en matière de remise en concurrence. Leur pratique régulière de ces procédures leur permet de proposer des offres crédibles aux collectivités, sans pour cela se mettre en danger financièrement. Les contrats de délégation de service public ont néanmoins démontré leur utilité, puisqu’ils permettent aux collectivités de soulager leurs charges d’investissement, pris en charge en totalité ou en partie par les délégataires. Cette forme d’organisation juridique permet à la fois l’exploitation privée et la participation publique à certains investissements, dans un secteur à enjeux très fort en matière d’aménagement du territoire. Les remises en concurrence, si elles comportent toujours un risque pour l’opérateur en place, sont surtout un moyen de s’assurer d’une régulation du rapport entre délégant et délégataire. Dans le domaine des remontées mécaniques, cette régulation est minimale, puisqu’elle agit surtout par le biais d’une incitation pour le délégataire à conserver de bons rapports avec la collectivité pour préserver sa réputation. Les opérateurs privés, loin d’être écartés de la gestion des remontées mécaniques, affichent leurs compétences. Les transformations récentes comme l’accroissement de l’importance des stratégies commerciales renforcent les caractéristiques propres de cette activité, dont l’exercice est très éloigné des compétences habituelles d’une collectivité. Les véritables conditions de l’équilibre entre délégant et délégataire se trouvent ailleurs. Il s’agit d’abord de l’existence d’une clientèle non captive. Les usagers des remontées mécaniques ne subissent pas les prix ou la qualité du service. Ils ont la possibilité de modifier leur destination en parcourant quelques kilomètres de plus ou de moins. La concurrence entre stations est donc la meilleure garantie d’un maintien ou d’une amélioration de la qualité du service offert par l’exploitant. Il s’agit ensuite de l’implication de la collectivité dans la négociation puis le suivi de l’exécution de la convention de délégation de service public. Il a été démontré que l’élaboration d’un contrat complet est impossible. La mise en place et le suivi des délégations de service public en matière de remontées mécaniques sont très coûteux au sens de la

59 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

théorie des coûts de transaction, que ce soit pour les collectivités ou pour les délégataires. Compte tenu des caractéristiques même de cette activité, les facteurs d’incertitude sont très nombreux et les contrats nécessairement incomplets. Une fois cette donnée prise en compte, il faut rechercher les moyens d’y pallier, au moins en partie. Les pistes évoquées tiennent compte de la place prépondérante de la confiance dans la décision d’une collectivité de contracter un opérateur privé plutôt qu’avec un autre. Deux éléments sont dès lors particulièrement importants. Il faut instaurer des structures favorisant le dialogue entre délégant et délégataire tout au long de l’exécution du contrat. Cela suppose une implication des deux parties, l’une devant fournir des informations lisibles pour nourrir ce dialogue, la seconde devant faire l’effort d’y participer et de mobiliser des ressources internes ou extérieures adaptées. Enfin, il est important d’assurer la présence au sein de la convention de délégation d’outils permettant de régler les difficultés susceptibles d’être rencontrées, en provoquant notamment un réajustement des conditions d’équilibre économique du contrat par une procédure de renégociation. La gestion des remontées mécaniques en délégation de service public est bien un atout pour les collectivités qui la choisissent. Mais la convention adoptée n’est pas en elle- même ce qui détermine la conciliation entre les objectifs d’un délégataire privé et ceux de la collectivité. En tant qu’outil juridique, elle ne fait que refléter le degré d’implication des parties dans le suivi de l’évolution des conditions réelles de l’exploitation de la station.

60 Bibliographie

Bibliographie

Entretiens réalisés :

M. David Ligney, Directeur Général des Services de la commune de Chamrousse (4 mars 2008) M. Thierry Thomas, Maire de la commune de Pralognan la Vanoise (24 avril 2008) Mme Stéphanie Lamouroux, Secrétaire Générale du Syndicat Mixte d’Aménagement de Pra-Loup et du Syndicat Mixte d’Aménagement du Val d’Allos (15 et 16 mai 2008) M. Jean-François Blas, Directeur Général Délégué de la Compagnie des Alpes Domaines Skiables (18 avril 2008) Mme Blandine Tridon, Secrétaire Générale de la société Rémy Loisirs (9 mai 2008) M. Emmanuel Petit, Conseiller juridique et fiscal, Agence Savoyarde d’Aménagement, de Développement et d’Aide aux Collectivités (ASADAC).(20 mai 2008)

Ressources Internet

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Ressources institutionnelles

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Ouvrages :

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Articles

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64 Annexes

Annexes

Annexe 1 : Entretien réalisé le 4 mars avec David Ligney, Directeur Général des Services de la commune de Chamrousse

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 2 : entretien réalisé le 24 avril avec Thierry Thomas, maire de la commune de Pralognan

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 3 : Entretien réalisé les 15 et 16 mai 2008 avecStéphanie Lamouroux, directrice du service tourisme du Conseil général, responsable des syndicats mixtes d’aménagement de Pra Loup et du Val d’Allos

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 4 : Entretien réalisé le 20 mai 2008 avec Emmanuel Petit, conseiller administratif et juridique au sein de l’ASADAC

65 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 5 : Entretien réalisé le 18 avril avec Jean- François Blas, Directeur générale délégué de la Compagnie des Alpes (Domaines skiables)

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 6 : Entretien réalisé le 9 mai 2008 avec Blandine Tridon, Secrétaire Générale de la société Rémy Loisirs.

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 7 : quelques chiffres sur les remontées mécaniques

Pages extraites de ODIT France, Les Chiffres clefs du tourisme de montagne en France, 2006.

66 Annexes

67 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

68 Annexes

69 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

70 Annexes

Chiffres extraits du rapport du Syndicat Nationale des Téléphériques de France, Recueil d’indicateurs et analyses, 2006, pp 8, 13, 23.

71 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

72 Annexes

Chiffres extraits du rapport du Syndicat National des Téléphériques de France, Recueil d’indicateurs et statistiques, 2007, pp 14, 11, 13, 9.

73 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

74 Annexes

75 La gestion des remontées mécaniques par des opérateurs privés en délégation de service public

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