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TANGER FAIT SON CINEMA !

Patricia Tomé

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Avez-vous jamais rencontré la divine Cléopâtre? Croisé l’icône de l’espionnage, le sublime James Bond ? Passé vos soirées avec le séduisant Vicomte de Valmont ? Vu danser l’affreux Barrès, chef de la pègre tangéroise sous l’ère internationale ? Ces rencontres, je les ai faîtes à Tanger dans les années 80. Les caméras tournaient et, « action », le mot magique, claquait et se répétait dans les ruelles de la Kasbah : John Malkovich et Bertolucci commençaient le Thé au Sahara offert par Paul Bowles, Timothy Dalton figurait dans son premier James Bond dans un Tanger devenu Kaboul sous occupation soviétique, Roger Hanin, Thierry Lhermitte and Co passaient leur Dernier été à Tanger orchestré par Arcady, et le discret « Prick up your ears » de Stephen Frears conduisait artistes et homosexuels british pour un dernier bain dans la baie… !

J’ai toujours pensé que le film Casablanca racontait la Tanger internationale, ses espions, ses escrocs, ses trafics, touts les attributs de l’interzone pendant la seconde guerre mondiale. Normal que Tanger attire la littérature et le cinéma marocain et international, c’est la dernière porte d’Afrique vers l’Europe, et la porte d’entrée des européens vers l’Afrique. La ville du Détroit se trouve exactement à la croisée des chemins, nord et sud, Orient et Occident, à l’est les temples de la foi à Jérusalem, à l’ouest le temple du capitalisme, New York.

Une telle géographie attirait les voyageurs comme un aimant, chacun venant et séjournant à son rythme, comme le conduisaient ses pas : retournant vers la Mare Nostrum, berceau des civilisations méditerranéennes, ou en partance pour un continent d’avenir et d’espoir. Et puis il y avait ceux et celles qui décidaient de rester là, plantés face aux quatre coins cardinaux, ni exilés, ni émigrés, simplement des voyageurs errants sans billet retour, des baladins en transit, des artistes nomades qui à force de vouloir témoigner de l’exotisme du lieu et de leur mode de vie, avaient construit leur ville-légende, leur mythe, et fait de leur existence une représentation permanente dans un décor de cinéma. Tanger était devenu l’écran de leur réalité.

J’ai eu la chance d’en rencontrer quelques-uns, au hasard des rues et des évènements : des vrais écrivains, des grands acteurs et des petits comédiens, des ex-mannequins, grands couturiers, cinéastes, réalisateurs, peintres, décorateurs, faux-monnayeurs, faux gendarmes et vrais contrebandiers, milliardaires célèbres et blasés. Ils évoluaient dans un scénario entre réalité et fiction. La ville du Détroit leur offrait une scène d’exception, un théâtre grandiose à ciel ouvert, un balcon sur la mer et sous les étoiles.

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Les 70 bougies de Malcolm, la première Party Jet Set internationale du XX ème siècle

Malcolm disait: « La différence entre un homme et un enfant, c’est le prix de ses jouets ».

Dès l’Aéroport de Boukhalef, j’ai senti le choc, un souffle barbare, un électrochoc ! la chanson de Nougaro s’imposait à mes pensées. Je souriais devant le spectacle, c’était New York à Tanger, la folie de Manhattan sur le détroit : trois grands avions sur le tarmac, le futuriste Concorde et ses 100 passagers, un Boeing bicolore marron-vert de la compagnie privée Forbes et baptisé « Capitalist Tool » et un DC 8 blanc chargé de caisses de champagne et autres effets, ajoutés à une noria de jets privés déposant les quelques 800 invités de Malcolm Forbes à Tanger pour LA « Birthday Party du siècle » annoncée urbi et orbi pour le weekend du 18 au 20 Août 1989.

La fête commençait pour les invités aussitôt le pied posé sur le sol marocain. A la descente des avions, un comité d’accueil folklorique et sonore : des centaines de musiciens, chanteurs, acrobates marocains, tous vêtus de djellaba blanches, les hommes dansant au rythme des tambourins et les femmes poussant des youyous de bienvenue. Les invités souriaient et faisaient de grands signes de la main, la Jet Set américaine voulait se présenter sous son meilleur profil face aux photographes: tout ce beau monde est très chic sous le soleil, très classe, très…glamour. Les paparazzis immortalisaient le moment, prenant des clichés de chaque invité, il est vrai que la plupart d’entre eux ne sont pas des vedettes de cinéma, mais d’illustres milliardaires peu connus du grand public et des non initiés de la Finance mondiale. Dans les années 80, les magazines People n’étaient pas très nombreux, et cet anniversaire - évènement était couvert notamment par tous les médias sérieux de la planète, presse américaine en tête, du New York Times au Wall Street Journal, et bien entendu le Forbes Magazine du grand patron, organisateur et star de ce péplum en mondovision.

J’espérais être invitée. Lorsque j’avais appris la célébration des 70 ans de Malcolm Forbes au Palais Mendoub à Tanger, j’avais immédiatement envoyé par fax, à Forbes Magazine à New York, une demande d’accréditation pour couvrir l’évènement au nom de deux médias : une radio internationale basée à Tanger et un quotidien régional du sud-est de la France. Sur le plan professionnel, il m’apparaissait évident de couvrir la fête à laquelle 500 places avaient été réservées aux journalistes de la presse mondiale. Je ne voulais pas rater l’opportunité de voir dans « ma » ville, une telle assemblée de stars internationales dont , et de grands Magnats de la finance mondiale, les gens les plus riches de la planète et par conséquent les plus puissants.

La presse mondiale avait donc fait le voyage à Tanger, mais les places étaient chères. Un rendez-vous était fixé l’après-midi avec les organisateurs de la Party. L’attaché de presse de Forbes annonça aux journalistes le tri sélectif dès notre arrivée au Palais Mendoub, la résidence- musée de Malcolm et cœur des festivités.

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« Vous êtes trop nombreux, plus nombreux même que les 800 invités officiels. Alors nous avons établi une liste. Ceux qui n’y figurent pas ne sont pas invités. Sorry, désolé ! » Un brouhaha suivit l’annonce de Bill, mais ce dernier ignora toute supplique, crise de désespoir ou coup de colère.

Je n’étais pas sur la liste, tant pis, mais au fond de moi, je ne m’estimai pas encore battue. L’attaché de presse prit ensuite un ton plus conciliant : « Mais, mais, écoutez-moi, pour tous les journalistes ici présents, à la veille de la fête, vous tous, vous êtes invités à rejoindre toute de suite Malcolm Forbes dans les jardins du Palais Mendoub pour une collation et une conférence de presse, merci de votre attention. »

Cette invitation fit plaisir à tout le monde, y compris les laissés pour compte de la Party, les rejetés de la planète média : nous étions une bonne cinquantaine, journalistes, photographes, cameramen, à afficher une mine dépitée, celle du sésame refusé !

Dans les jardins, un buffet nous attendait pour nous consoler, mais dès que Malcolm Forbes fit son apparition, ce fut le silence. « Welcome to Palais Mendoub, Welcome to my Party, and Welcome to ! » déclara Forbes d’une voix forte, saluant personnellement quelques journalistes américains.

Pour ceux qui, comme moi, n’étaient pas habitués à fréquenter le Gotha du business, nous avions reçu une courte biographie de Malcolm Forbes, et un exemplaire de son Magazine connu pour son classement annuel des plus grandes fortunes de la planète. A l’époque, il n’y avait pas d’accès Internet pour surfer sur le pedigree des célébrités ! J’avais aussi fait ma petite enquête auprès de mes vieux amis américains résidant à Tanger :

« Forbes et sa famille, c’est une tribu capitaliste, m’avait dit Joe, avocat new-yorkais et spéculateur en bourse. Forbes est un ultra libéral, un vrai capitaliste, il a fait fortune à la suite de son écossais de père qui avait créé son journal à son arrivée à New York en 1917, Malcolm adore faire parler de lui, voyager, et surtout faire des frasques ! » « Il est devenu riche en parlant des riches, et en faisant leur publicité », ajouta Georges, Professeur à l’Ecole Américaine de Tanger.

« Malcolm est aussi un aventurier. L'homme est aérostier de réputation mondiale, il a établit plusieurs records du monde de traversée des Etats Unis en ballon, il a créé un Musée des ballons dans son Château en France ! Mais l’un de ses plus incroyables hobbies, c’est la collection des soldats de plomb. 115 000 soldats de plomb ! Vous vous rendez compte ? Ici, dans plusieurs pièces du Palais Mendoub, le visiteur peut découvrir des grandes batailles historiques, de Waterloo à Dien Bien Phu, ou encore la Marche verte au Sahara ! Pour faire encore plus vrai, les batailles sont recréées avec des effets sonores et lumineux. Des armées complètes sont au garde-à-vous dans les vitrines, et 600 statuettes sont placées dans les jardins pour rendre hommage à la bataille des Trois Rois. »

Joe voulut avoir le dernier mot : « Tu pourrais ajouter qu’il possède un Boeing 727 personnel, un super yacht, et des appartements et propriétés aux Etats Unis. Et tu n’as pas dit non plus qu’il collectionne les motos, surtout les Harly Davidson, on le voit d’ailleurs de

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5 temps en temps passer à fond sur les routes de Tanger, entourés de types, gardes du corps peut-être, pour faire des virées en bande. » Voilà donc en gros ce que je savais du Tycoon Forbes, riche, célèbre, divorcé, quatre grands enfants, et que certaine presse annonçait comme fiancé à l’incomparable Elizabeth Taylor !

En voyant Malcolm Forbes à l’aise face à la presse, buvant une coupe de champagne, souriant, je me pris à penser très naïvement que ce type avait tout et profitait de tout, et qu’il vivait une vie hors norme. Une question d’un journaliste américain me ramena à la réalité : « Ne pensez-vous pas insulter les habitants de ce pays en organisant un weekend de fête estimé à plus de 2 millions et demi de dollars, alors que le Maroc est un pays où la population est majoritairement très pauvre ? » ; Assurément le genre de question que seul un journaliste américain osait poser à Forbes et sur le sol marocain !

Forbes regarda les journalistes et prit son temps avant de répondre : « Pourquoi ? Pourquoi est ce que célébrer ici mon anniversaire serait insultant pour les marocains ? J’ai une maison ici, j’invite mes amis, certains viennent pour la première fois, ils pourraient un jour investir au Maroc. J’ai invité des amis du monde entier, tous réunis ils valent 40 à 50 Milliards de dollars, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Et puis nous avons organisé mon anniversaire ici pour profiter de Tanger, de la bonne cuisine marocaine, du bon vin marocain, nous avons embauché des milliers de personnes pour ce weekend, les tangérois profiteront aussi de la Fête. Enfin, que ce soit clair pour tout le monde, j’ai 70 ans et à mon âge, je fais ce que je veux ! » En bon entendeur … Malcolm se tut, sûr de lui et de l’effet de sa réponse. L’attaché de presse invita alors toute la presse à quitter le jardin et à se grouper devant l’entrée du Palais où une estrade avait été montée à l’attention des photographes. « Monsieur Forbes et Madame Elizabeth Taylor vont vous rejoindre dans quelques instants pour la photo, merci de vous installer sur l’estrade et de patienter. »

Je restai sur le côté, je n’avais pas d’appareil photo, mais je voulais surtout être au plus près de la plus grande actrice du monde. Cléopâtre en chair et en os, j’étais excitée comme un fan qui attend son idole. Je l’admirai pour ses rôles, ses folies, ses passions. Elle avait vieilli bien sûr depuis 1963, année où elle était devenue la Cléopâtre, star des stars, qui avait fait d’elle la femme actrice la mieux payée d’Hollywood, 2 millions de dollars à l’époque pour incarner la sublime pharaonne égyptienne aimée des Césars romains. Aujourd’hui, en cette année 1989, Liz ne jouait plus, elle avait 57 ans, elle avait pris du poids, s’était arrondie, et portait un traditionnel caftan vert cru. Ses longs cheveux très noirs, bouclés, tombaient sur sa nuque, dans une coupe à la lionne à la mode et sexy. Elle souriait, presque timide. Je cherchai son regard magnifique, connu pour sa particularité : ses yeux violets étaient entourés de rimmel noir couvrant sa double rangée de cils naturellement dessinés, une rareté !

Le couple s’approcha des photographes, les paparazzis hurlant mitraillaient Malcolm et Liz, en cirant « Kiss, kiss her, un baiser ! » Le couple se plia avec le sourire à cette injonction, ils se firent des petits baisers sur la bouche, des petites « béquées » plutôt qu’un baiser langoureux et amoureux. Mais ce fut suffisant pour la photo. Joe m’avait dit que Liz servait un peu de faire valoir à la Party, car il ne croyait pas du tout à cette rumeur de fiançailles. Malcolm savait soigner son image, il était passé maître dans son autopromotion !

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Avant de nous séparer, l’attaché de presse nous salua et demanda aux journalistes d’être ponctuels à la grande soirée d’anniversaire, notamment pour assister à l’arrivée des invités à partir de 18 heures. C’est alors que je réagis: il fallait que j’assiste à cet anniversaire, et que je rentre coûte que coûte dans le Palais. Impossible de renoncer, accréditation ou pas, je devais être là.

Deux journalistes américains s’approchèrent de moi pour me poser quelques questions car j’étais en quelque sorte une « locale de l’étape » en tant que journaliste résidant à Tanger.

« Vous n’êtes pas invitée ? Incroyable ! Comment intervenir, la liste des invités est bouclée et l’attaché de presse ne veut pas d’exception, quel dommage ! » Ils semblaient vraiment désolés pour moi.

« Bon, je vous parie que je vais réussir à rentrer, si, si, réservez moi une place à votre table, OK ? » Je me sentais prête à défier la planète entière devant mes célèbres pairs du New York Times et du Washington Post. « Nous comptons sur vous, nous vous attendrons » ajouta Alan devant l’attaché de presse, lui faisant part de mon pari fou de participer aux agapes sans y être invitée, et de l’impossibilité de me mettre dehors si je réussissais à franchir les portes du Palais. « Deal » ! répliqua l’attaché de presse en me fixant droit dans les yeux. Je me sentis des ailes !

En quittant le Palais Forbes je me rendis à pied du quartier du Marshan à la Médina, en passant devant l’hôpital El Kortobi, puis la porte d’entrée de la Kasbah. Je pensais aussitôt à Baraba Hutton, l’héritière Woolworth et « Jet Settrice » avant l’heure qui combla l’ennui de sa vie par l’organisation de soirées mondaines, surtout à Tanger où elle résida longtemps et rencontra plusieurs de ses éphémères maris. Cette chère Barbara avait lancé la mode des soirées tangéroises « de folie » et Forbes finalement suivait cette tradition des américains à Tanger !

Dans la Médina, je croisai quelques invités, vêtus à la fois très chic et très « casual », très sport. Certains résidaient à l’Hôtel Solazur tout juste inauguré à l’occasion de l’anniversaire, situé sur l’Avenue d’Espagne qui longe la plage de Tanger. L’hôtel flambant neuf sentait encore la peinture. Les chambres étaient petites, et ne disposaient pas de climatiseurs. Les invités se ruèrent dans la Médina pour trouver des ventilateurs, ce qui fit la fortune des vendeurs du Grand Socco. A côté de l’Hôtel Solazur, sur un terrain vague, Forbes avait installé une nacelle retenue au sol, accrochée à un de ses ballons géant et coloré flottant dans l’air du Détroit.

D’autres visiteurs s’étaient donné rendez-vous chez Majid, rue des Chrétiens et achetaient tapis, bijoux et beaux objets d’ici et d’Asie. A l’hôtel El Minzah, le plus illustre de la ville, les drinks faisaient passer le temps au bord de la piscine, entre une partie de tennis ou de golf. Je n’avais jamais vu autant de valises et de sacs Vuitton et Hermès réunis dans un hall d’hôtel ! Enfin, il y avait ceux qui résidaient sur leurs yachts, comme le magnat de la presse britannique à bord du Lady Ghislaine, ou encore Giovanni Agnelli, Monsieur Fiat, sur son voilier somptueux. Ils proposèrent le lendemain des lunches à bord de leurs superbes bateaux pendant quelques heures de navigation sur le Détroit.

Mes pas me conduisirent au Café de Paris, Place de France, où quelques journalistes espagnols faisaient un micro-trottoir sur la fameuse Fête Forbes.

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L’avis général était que : « C’était une bonne occasion de parler de Tanger, la ville oubliée au Maroc ; un bon coup de publicité » dira un employé du tourisme, « au moins on parlera d’une Tanger qui fait rêver ! »

« J’ai trouvé un emploi pour trois jours, pour le service du Dîner au Palais Mendoub, je suis content, » dira un autre.

« Ma mère va aider à la cuisine pour préparer la Pastilla, il en faut beaucoup pour les mille personnes », précisa un jeune garçon.

« Je suis content, regardes les belles voitures, le roi a envoyé ses chevaux, c’est très bien » conclut un jeune homme.

Des critiques ? Pas vraiment. Finalement les tangérois voyaient leur ville au centre du monde pour un weekend grâce à la démesure d’un milliardaire, et contrairement à ce que pensaient les journalistes américains, cela ne les gênait pas. Un officiel me dira d’ailleurs « que Tanger n’aurait jamais pu se payer une telle publicité mondiale et que les retombées économiques ne pouvaient être que bénéfique pour la population et le pays ».

Le fait que Forbes soit riche ? Pas non plus de critiques, au contraire. « C’est Dieu qui l’a voulu, alors s’il est riche c’est bien pour lui, c’est son destin ! Et si en plus il est généreux, qui va s’en plaindre ici ». Et un ami connu pour son cœur à gauche ajouta avec un peu d’amertume : « Lui, au moins il dépense son argent chez nous… »

L’état d’esprit était donc plutôt favorable à la soirée des milliardaires, du moins publiquement. Chacun savait que la famille royale était conviée, et que Forbes avait ses entrées au Palais. En outre, à Tanger comme dans tout le pays, les règles de l’hospitalité étaient sacrées pour les marocains. De l’avis unanime, Forbes avait donc fait un bon choix en pariant sur Tanger et en redorant en quelque sorte le blason de la ville restée en dehors des priorités et choix économiques nationaux du moment.

Le grand jour arriva! Et ce samedi après-midi la ville m’apparut déserte. Le Boulevard Hassan II qui menait au Marshan avait été nettoyé, les bordures des trottoirs peints en blanc, les tangérois avaient été invités à rester chez eux ou à aller sur la plage, mais ils n’étaient pas présents dans le centre-ville pour saluer un quelconque cortège. De toute façon, aucun défilé n’était prévu. Les invités arrivaient en groupes, une quarantaine par autobus, et escortés d’un service de sécurité. Le folklore commençait simplement devant l’entrée du Palais Forbes, où les centaines de musiciens et chanteurs marocains – ceux-là mêmes réunis la veille à l’aéroport - se tenaient debout face à l’entrée ; les cavaliers marocains et leurs chevaux de fantasia formant une allée d’honneur, alors que les autobus climatisés des invités approchaient lentement en roulant sur les nombreux tapis marocains installés sur le bitume jusqu’au portail d’entrée.

En cette belle nuit estivale, même le vent du Détroit s’était calmé, et la Fête s’annonçait somptueuse. Je garai ma voiture vers le Marché au Bœuf, loin du Palais, pour éviter tout encombrement. Je m’étais vêtue chic, enfin le plus correctement possible, une tenue d’été légère, un ensemble bleu imprimé, et une paire de sandale blanche. Comparé aux tenues de soirées que j’allais voir défiler, impossible de me confondre avec une riche héritière !

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Plusieurs confrères se trouvaient déjà sur place et, plutôt que d’entrer dans le Palais, préféraient voir arriver les invités par autobus et les interpeller individuellement pour un mot rapide au micro. Un peu comme aujourd’hui au Festival de Cannes ou pour la remise des Oscars à Hollywood ! Une journaliste américaine m’indiqua quelques célébrités à leur passage : une demi-douzaine de gouverneurs des Etats Unis dont j’ai oublié le nom, de nombreux représentants des plus grandes multinationales du moment, la crème de la crème : Lee Iacoca, le brillant Président de Chrysler, Giovanni Agnelli, le grand patron de la Fiat, puis l’homme de Nixon et tout puissant ex-chef de la diplomatie américaine, le très cher (Dear) et son épouse Nancy, Leonard Stern et Madame à la tête de grande compagnies américaines, des Trump mais pas Donald le plus connu, des membres de la famille Roosevelt, le grand couturier Oscar de la Renta, Diane Von Furstenberger la créatrice de mode, deux rois détrônés, Grèce et Bulgarie, l’icône de la télé américaine Barbara Walters, le fameux journaliste et chroniqueur de CBS, Walter Cronkite, puis les grands magnats de la presse, Rupert Murdoch l’australien-américain en quête d’empire, et le sulfureux patron de presse britannique Robert Maxwell ; enfin l’élite de Manhattan et de la City à Londres, et des personnalités comme Betsy Bloomingdale, amie des Reagan et propriétaire du fameux magasin géant de Manhattan. Devant moi défilait un véritable Who is Who, les 800 invités du Gotha et du roi dollar !

Parmi les invités marocains figurait le Roi Hassan II mais ce dernier avait dépêché ses deux fils pour le représenter, ainsi que des officiels de la région de Tanger. Evidemment, la Fête du siècle ne pouvait être complète sans les artistes célèbres : en Numéro 1, notre chère Elizabeth Taylor, proclamée Reine de la soirée, Paul Bowles l’Ecrivain de Tanger, et disait- on, Julio Iglesias, le crooner hidalgo préféré de ces dames (mais lui, je ne l’ai pas vu !).

Tout ce beau monde descendait calmement et souriant des autobus climatisés, et saluaient à l’entrée leur hôte Malcolm Forbes, celui-ci portant le Kilt écossais de ses aïeux, et leur hôtesse Cléopâtre, vêtue d’un grand caftan vert clair soyeux brodé d’or. Les habitués souriaient aux caméras de télévision, heureux de montrer au monde entier leur présence à la « Soirée du siècle ». Comme avait déclaré Kissinger au journaliste du NYT : « Je suis ici parce que beaucoup de mes amis sont ici…Bien entendu, quelques-uns ici veulent s’assurer que tout le monde est au courant de leur présence ici ! »

Les journalistes se mêlaient aux invités pour pénétrer dans le Palais, chacun était muni de son carton d’invitation. Ce carton était assez ironique, il avait été créé personnellement par Malcolm Forbes. Il était inscrit : « Our Mastercard (on aurait dit une carte bancaire, sur fond vert), Ali Dada’s 70 th, (le 70 ème anniversaire de Papa Ali), 08 19 89, (la date de l’anniversaire) ».

Lorsque je vis arriver une équipe de télévision privée marocaine conduite par une journaliste connue, je sus que c’était le moment : je me faufilai dans son groupe, au milieu des cameramen et preneurs de son. Je les rejoignis en un clin d’œil en souriant et en entamant la conversation. La sécurité nous regarda, Fatima mentionna le nom du média, et la sécurité nous laissa passer. Avais-je eu de la chance, ou du culot, ou un peu de tolérance de la part des gardes ? Sans doute un peu de tout cela, et c’est très fièrement que je me pointai à l’un des dix bars installés dans le sublime jardin du Palais Mendoub.

« I did it, j’ai réussi, me voilà ! » J’étais hilare. Les journalistes américains applaudirent. « Well done ! Tu vas rester avec nous, tiens voici l’attaché de presse : Hello Bill, she did it, remember her ? The french journalist from Tangier, elle a passé la sécurité,

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