de FFICHE FILM Fiche technique

France 1959 1h31

Réalisateur : Alain Resnais

Scénario : Marguerite Duras

Musique : Giovanni Fusco et Résumé Critique Georges Delerue Une nuit d’amour s’achève pendant l’été J’ai dit à Resnais : "Je m’en vais, je vous 1958, dans une chambre d’hôtel à rapporterai quelque chose". Au bout de Hiroshima. L’homme est un japonais. La quinze jours, j’ai rapporté un texte. C’était le synopsis de Hiroshima mon amour. Interprètes : femme une française. Ils se sont rencon- trés la veille, dans un café. Ils s’aiment J’avais passé dix, treize jours à me dire Emmanuelle Riva éternellement. que j’abandonnais, qu’il était impossible de Après avoir évoqué la ville, la bombe, la faire un film sur Hiroshima, et je suis partie Eiji Okada mort collective, les visages rongés, les che- de cette impossibilité pour faire le film. Il y avait déjà la phrase "Tu n’as rien vu à Bernard Fresson velures atomisées, les enfants difformes, la terre brûlée, l’horreur perpétuée dans les Hiroshima". Je suis revenue. Resnais films et les musées, les amants parlent devait partir tourner à Hiroshima sept d’eux. La femme doit quitter le Japon, pour semaines plus tard. Il a accepté l’histoire toujours... Leur éternelle union doit s’inter- dans son principe. Chaque jour, j’ai déve- rompre avec l’aube prochaine. Le chant de loppé le synopsis. Resnais venait tous les l’alouette va séparer bientôt ces nouveaux jours ou tous les deux jours lire ce que Roméo et Juliette. j’avais écrit. Ou bien il le "voyait", ou bien il Quand reviennent la nuit et les fantômes, ne le voyait pas et dans ce cas-là, je la femme boit un peu trop. Le passé l’enva- recommençais jusqu’à ce qu’il le voit. hit... Ensuite, il m’a demandé de lui décrire le Georges Sadoul film comme s’il était fait. Puis il m’a rap- Les Lettres Francaises,18 juin 1959 porté des documents du Japon (...) Quand j’ai vu le film que Resnais avait rapporté du

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Japon, le premier montage, je l’ai recon- œuvre riche, foisonnante, déconcertante sont, comme la réalisalion et le dia- nu. C’était bouleversant. Je ne croyais peut-être, mais admirable de bout en logue, d’une qualité exceptionnelle. pas que c’était possible de voir une bout. Cette tragédie de l’amour et de la Guy Allombert image mentale. C’est possible quand on guerre, traitée avec une lucidité totale La Saison Cinématographique 1959 a affaire à Resnais. et un respect profond pour le spectateur, Marguerite Duras déroule une histoire simple qui déchire. Le Monde, 9 Novembre 1972 On sort, en effet, brisé de sa projection, emporté, écrasé, ahuri, secoué. Ici, pas de concession, pas de demi-mesure : il faut accepter tout d’un bloc cette litanie La fonction salvatrice, thérapeutique, amoureuse, cette tragédie de l’oubli, du L’héroïne, la première fois où elle fait exorcisante des images accomplit malheur, de l’amour unique que le l’amour avec le japonais, est ‘"écla- l’essentiel de l’opération. Ce n’est pas le temps détruit lentement dans une tée" - irradiée aussi - comme la ville support littéraire, si opérant soit-il, si mémoire et que l’amoureuse tente de sous le champignon atomique. hypnotiques que puissent être, et ils le ressusciter avec un autre, I’espace Pulvérisée par l’amour en la cité même sont, le récitatif et les dialogues duras- d’une nuit. d’Hiroshima, cessant d’être reliée à la siens, qui l’emporte, c’est le choc par vie logique par ses éléments les plus montage de deux réalités physiques qui Alain Resnais mêle intimement les stables (mari, famille, enfants, métiers), se giflent en nous pour produire le coup images du passé et celles du présent, le elle lutte à la fois contre et pour cet de foudre en retour d’une idylle qui nous mystère de Nevers et l’horreur amour qui lui apporte à la fois le bon- concerne. Hiroshima s’appuie sur la d’Hiroshima, le drame d’une seule et heur et la désintégration. Pour retrouver théorie eisensteinienne du montage celui des deux cent mille atomisés. Les un principe d’unité, elle enjambe le d’attractions, collisions et ruptures retours en arrière abondent, au hasard temps pour relier son éclatement amou- selon le modèle musical que Resnais d’un moment d’une image, imbriqués reux d’Hiroshima à son éclatement recrute chez Bartok ou Stravinsky, et qui dans les séquences au présent, sans amoureux de Nevers pendant la guerre. lui permet de fasciner tout en distan- que jamais on ne sente le heurt d’un De l’Allemand au Japonais en passant ciant : montage de quatre travellings réel japonais et du souvenir nivernais. par la tragédie et la honte, enfin se puis d’un plan fixe, deux plans fixes, Très lentement comme l’héroïne, le reconstitue en elle un itinéraire bouclé puis de nouveau un travelling. Les plans spectateur identifie l’amant japonais et et, à partir de lui, I’oubli. (...) La méthode fixes cernent l’action et la morcellent, l’amour allemand : la jeune femme de Resnais pour rendre compte harmo- les travellings, qui sont une recherche parle à celui-là de celui-ci au présent, nieusement de ces phénomènes de l’immobilité, I’éternisent. comme elle parlait et vivait à Nevers, et contraires est celle déjà employée dans Robert Benayoun dans la nuit d’Hiroshima la présence du Nuit et Brouillard : la "douceur ter- "Alain Resnais, arpenteur de l'imaginaire" mort finit par s’assimiler le vivant. rible’". Plus une chose est terrible, plus Editions Stock, 1980 Le film est comme une marche nocturne elle doit être dite avec douceur, tendres- qu’éclairent par instant de flamboyantes se, mesure. lumières qui aveuglent et transforment Jacques Doniol-Valcroze en somnanbules. Observateur, 11 Juin 1959 C’est la fascination de I’abîme, la perte Nous nous plaignons souvent que la de conscience d’un être humain recher- majeure partie des films sont infantile et chant un absolu hors du monde réel et que leurs auteurs, si l’on peut dire, pren- actuel que le cinéma nous montre, avec nent le spectateur pour un imbécile, ou, tout son pouvoir de séduction et d’enchan- à tout le moins, pour un attardé intellec- tement, au sens propre de ce terme. Cinéma tuel. Avec Hiroshima, mon amour, de l’âme et du cœur, de l’intelligence et de c’est un cinéma intelligent et adulte qui I‘esprit, "Hiroshima, mon amour" est un film s'offre à nos yeux, et son auteur, Alain qui honore le cinéma tout entier, un film Resnais, après Van Gogh, Toute la important, adulte, réalisé, enfin, par un mémoire du monde et Nuit et adulte et pour des adultes, le meilleur Brouillard prend rang parmi les plus grands film peut-être depuis vingt ans produit réalisateurs du cinéma mondial avec cette en France. Les images, I’interprétation

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Alain Resnais, un créa- Matière et mémoire Un Guignol tragique teur intransigeant et A quatorze ans, il tourne dejà de petits Resnais aborde le long métrage par un insaisissable films en 8 mm (dont une adaptation de coup de maître, Hiroshima mon amour Fantômas !) tout en se passionnant (1959). L’extrême richesse de cette pour la photographie, la bande dessinée œuvre est résumée dans son titre : Hostile aux compromissions commer- et la littérature populaire (avec une pré- d’une part l’épouvante née de l’explo- ciales, se tenant à l’écran des modes, dilection pour Harry Dickson). Il lit aussi sion nucléaire, de l’autre l’éternel retour tournant peu, préparant longuement ses Proust et André Breton et rêve de deve- de la passion, Ies deux thèmes se répon- films, Alain Resnais se présente comme nir libraire. Le monde du spectacle le dant comme les gammes majeure et un créateur intransigeant, insaisissable, fascine. En 1940 il s’inscrit au cours mineure dans la musique. Cela tient à la qui domine de très haut la production Simon et, en 1943, à l’IDHEC. fois du requiem et de l’épithalame. française contemporaine. Il assure - en Après avoir fait un peu de figuration Toutes les ressources de la technique douceur - la transition entre une concep- (dans Les Visiteurs du soir) il est narrative sont mises à contribution dans tion classique du cinéma, celle d’un engagé comme assistant sur Paris 1900 un film qui, selon Louis Malle, "a fait Renoir ou d’un Guitry, et son avancée la et commence à réaliser des films en 16 faire un bond au cinéma". Son film sui- plus modeme, dans la mouvance du mm qui n’auront pas de diffusion com- vant, L'année dernière à Marienhad "nouveau roman" et du structuralisme. Il merciale. L’un d’eux, Schéma d'une (1961), n’est pas moins révolutionnaire, est un héritier du "réalisme poétique", identification est interprété par Gérard au moins dans sa forme. Avec l’aide d' en même temps que l’initiateur d’un Philipe. Le cap professionnel est franchi Alain Robbe-Grillet, son scénariste, courant néo-spectaculaire, qui croit en avec Van Gogh (1948) un court métrage Resnais édifie un puzzle captivant, un la toute-puissance du rêve et de l’imagi- produit par Pierre Braunberger : c’est labyrinthe à mi-chemin de Julien Gracq nation créatrice. une originale "pénétration" de la caméra et des illusions optiques d’Escher. Plusieurs de ses films ont suscité à l’intérieur des œuvres de I’artiste, par Surréalisme et psychanalyse sont au l’incompréhension de la critique ou du effacement du cadre, selon un procédé rendez-vous, comme dans Je t’aime je public, parfois même des deux, voire mis au point par . André t'aime (1968) et Providence (1977). On une vive hostilité. On a censuré Les sta- Bazin discerne là une radiographie subti- aurait tort, cependant, de limiter l’art de tues meurent aussi, Hiroshima mon le de la peinture, qui met en évidence Resnais à ces dérives f a n t a s m a g o - amour a divisé le jury du festival de "un réseau hallucinant de nerfs et de riques. Ses préoccupations sont Cannes en 1958, Stavisky... reste un tendons noués sur les os du monde" aussi bien d’ordre social et politique : Ie film maudit, Providence fut un échec formule applicable mot pour mot à la traumatisme de la guerre d’Algérie avec commercial ; quant à son dernier film, I démarche ultérieure du cinéaste Muriel (1963), Ies désarrois d’un mili- Want to Go Home il a été accueilli par lui-même. tant gauchiste avec La guerre est finie des ricanements. C’est que, sans doute, Pendant dix ans, Resnais se tiendra (1966), les scandales financiers de la III° le cinéma de Alain Resnais est l’un des sagement au documentaire, traitant de République avec Stavisky... (1974), plus dérangeants qui soient. Il fait scan- thèmes tantôt graves (la guerre I’application au comportement humain dale, au sens positif que Cocteau don- d’Espagne vue par Picasso, le génocide de la psychologie génétique, Mon nait à ce terme. Il exauce le vœu de nazi), tantôt légers (des visites à la oncle d'Amérique (1980). Diaghilev disant à ce dernier : Bibliothèque nationale et aux usines Les sujets, quels qu’ils soient, sont pas- "Étonne-moi !" Pechiney). Un Iyrisme très personnel s’y sés au pressoir d’un imaginaire spéci- exprime, soutenu par une science raffi- fique à chacun d’eux, "enchantés" par un née du montage. Resnais s’affirme traitement en forme d’opéra, visuel et comme un philosophe de la perception, sonore, spatial et temporel, qui leur illustrant - plus ou moins consciemment donne à tous cette allure caractéristique - les théories de Bergson sur le concept de cérémonial funèbre, parfois ponctué du "souvenir-image". Chez Iui, en effet, d’humour. Ainsi Providence peut être I’observation de l’objet, du plus com- regardé comme une tragédie de la soli- mun au plus noble, passe à travers un tude ou un extravagant vaudeville, filtre de culture et d’émotion, la matière s’achevant sur une pointe de nostalgie. est constamment enrichie par la mémoi- Alliage singulier, qui s’explique par la re. méthode de Resnais : "Quand je com-

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mence à rêver sur des personnages, je comédie musicale... C’est une oeuvre Filmographie les vois un peu comme des marion- ouverte par excellence que la sienne : nettes, j’ai envie de les mettre dans des susceptible de multiples interprétations, espèces de boîtes, comme au théâtre de traversée d’un inextricable réseau courts métrages : Guignol - un Guignol tragique." On n’est d’influences, et exigeant du spectateur pas loin du "drame gai" de La règle du une participation active, une descente Van Gogh 1948 jeu de Renoir. vertigineuse dans un maelström de fan- Guernica 1950 tasmes. Gauguin 1951 Claude Beylie Les statues meurent aussi 1953 Une œuvre ouverte Les Maîtres du Cinéma Nuit et brouillard 1956 Toute la mémoire du monde 1956 Le mystère de l'atelier 15 1957 Resnais a toujours su s’entourer de col- Pourquoi des scénaristes-roman- Le chant du Styrène 1958 laborateurs de choix, qu’il tient à asso- cier à la réussite finale de ses "composi- ciers ? tions" : Marguerite Duras, Alain Robbe- longs métrages : Grillet, Jean Cayrol, Jorge Semprun, Pourquoi pas des romanciers ? Je ne David Mercer, Jean Gruault. Ses opéra- comprends pas la distinction entre Hiroshima mon amour 1959 teurs seraient également à citer : romanciers et scénaristes profession- L'année dernière à Marienbad 1961 Ghislain Cloquet, Sacha Vierny. Mais nels. Après tout, Jeanson est avant tout Muriel, ou le temps d'un retour 1963 c’est surtout par la musique que le cou- un homme de théâtre et Gégauff, un La guerre est finie 1966 rant passe : celle-ci est signée Georges romancier, justement. Pour moi, trouba- Loin du Vietnam 1967 Delerue ou Giovanni Fusco, mais aussi dours ou écrivains, il n’y a qu’une seule Je t'aime, je t'aime 1968 Hanns Eisler, Hans Werner Henze et catégorie : ceux qui racontent des his- Stavisky 1974 Krzysztof Penderecki. toires. Mais il se trouve que je ne peux Providence 1976 Les derniers films de Resnais vont dans travailler qu’avec des amis, des gens Mon oncle d'Amérique 1980 le sens d’une plus grande spontanéité avec qui je m’entende bien. Et je suis La vie est un roman 1983 créatrice, d’une seconde jeunesse, com- persuadé que la lecture de certaines L'amour à mort 1984 binée avec une parfaite maîtrise de la oeuvres peut remplacer dix ans d’amitié. Mélo 1986 dramaturgie : La vie est un roman Mon choix n’est donc pas un choix "litté- I want to go home 1989 (1983) est un somptueux opéra bouffe ; raire", pour la littérature, mais un choix Smoking 1993 L’amour à mort (1984) un poème de gens avec qui j’ai établi par la Iecture No smoking orphique ; Mélo (1986) une pure visua- des rapports de sympathie. Enfin, je n’ai On connait la chanson 1997 lisation de la pièce de Bernstein, qui pas le désir d’écrire mes scénarios. Je affirme hardiment sa théâtralité ; enfin, me considère comme un "metteur en I want to go home (1989) une joyeuse scène", au sens précis du terme, et c’est réflexion sur la bande dessinée, conçue tout. comme un exorcisme des caprices du Cinéma 63 n°80 (nov.1963) monde moderne. L’idéal du cinéaste semble être l’instauration par les moyens propres de l’image et du son, d' un "récitatif total" (Robert Benayoun) combinant les méandres de la pensée et les prestiges du spectacle. Un plain-chant de la conscience. Ambition sans doute démesurée. Cet alerte sexagénaire est encore plein de projets : celui sans cesse différé - Documents disponibles au France des aventures d’Harry Dickson, d’après la saga de Jean Ray, un "documentaire Revue de Presse onirique" sur le marquis de Sade, une

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