SOUVENIRS PERSONNELS

LA BATAILLE DE LA

JOURNÉES DES 5 ET 6 JUIN 1940

il (i)

Pendant ce temps, et d'une façon presque parallèle, un combat aussi acharné se déroulait entre les groupements blin­ dés allemands et le 4* Hussards. Ce régiment, nous l'avons v», avait gagné, par escadron, les villages de Métigny, Laleu, l'Arbre à Mouches. La fatigue des hommes est extrême. Privés de som­ meil depuis plusieurs jours, ils viennent, lourdement chargés, de marcher de longues heures. Lors d'un premier regroupement dans le bois de la cote 72, tous les hommes de l'escadron Celle- rier, à peine arrêtés, se sont endormis. L'escadron Courson, qui pendant les cinq nuits passées en ligne n'a cessé de patrouiller sur la Somme que pour repousser des coups de main menés par de gros effectifs, a atteint la limite extrême de l'épuisement. Les hommes s'endorment sans avoir, pour la plupart, mangé la •soupe qui les attend. Les officiers que l'on réveille pour leur donner les ordres ne peuvent qu'à grand'peine tenir fixée leur attention. • Le colonel Chiappini organise aux deux extrémités de sa ligne deux centres de résistance formés : à droite, le capitaine Lefebvre, avec l'escadron Cellerier et la majeure partie de ses armes lourdes, organise le hameau de l'Arbre à Mouches en fo*v tin hérissé de canons de 25 et de mitrailleuses tenant sous leur feu la grand'route d' à Camps et le terrain à l'est. A

(1) Voir la Reuue du 1" mars. LA BATAILLE DE LA SOMME l&i gauche, le commandant de la Hamelinaye, avec l'escadron Ghasseval, qui doit être renforcé de quelques armes lourdes, occupe Métigny. Entre les deux, les escadrons Courson et Beau- regard tiennent le village de Tailly-l'Arbre-à-Mouches et Laleu, ainsi que le ruisseau de Métigny. Le P. C. du colonel est à Tailly-l'Arbre-à-Mouches. Malgré l'extrême fatigue de tous, l'organisation défensive des villages est hâtivement poussée : armes, barricades et mines sont mises en place. Les emplacements de combat choisis offrent pour la plupart des champs de tir remarquables, — ceux-ci seront, d'ailleurs, par la suite, exploités au maximum. Lorsque, vers 14 heures, la bataille s'allume au sud du Quesnoy, le régiment est alerté, mais les événements se dérou­ lent dans le compartiment de terrain voisin, qui échappe aux vues du 4" Hussards. Vers 15 heures apparaissant à l'horizon trois chars : ils viennent de la région ouest du Quesnoy, contournent par le nord le bois de l'Arbre à Mouches et prennent la direction du hameau du même nom. Mais bientôt ils effectuent un net changement de direction sur leur droite et se dirigent vers l'ouest, sur Méti­ gny. Trois autres chars les suivent, qui effectuent la mémo manœuvre, puis trois autres : au bout de quelques minutes ils sont quarante-cinq qui, laissant l'Arbre à Mouches sur leur gau­ che, s'approchent de Métigny. Us se recouvrent par leur feu, arrosant sur tout le front les villages au canon et à la mitrail­ leuse. Ils sont aussitôt pris à partie par les canons de 25 de l'Arbre à Mouches, dont le tir, ajusté et meurtrier, immobilise et incendie de nombreux chars. Le lieutenant Peyre est magnifique de sang froid : pendant toute la journée, il se portera de l'un à l'autre de ses canons de 25, absolument indifférent au feu vio­ lent de l'ennemi. Après l'Arbre à Mouches, Tailly, puis Laleu, enfin Métigny sont successivement attaqués. Partout les chars ennemis sont stoppés, subissant des pertes sensibles : nulle part l'infanterie qui les suit ne réussit à prendre pied dans nos lignes. Devant Métigny le groupement blindé venant du Quesnoy se rencontre avec un autre détachement ennemi important, débouchant d'Al- lery : à ce moment, soixante-deux chars seront comptés devant le village. A l'attaque des chars se joint le bombardement par l'artillerie et par mines : les maisons commencent à flambir, dégageant une insupportable chaleur, et une fumée qui gène sérieusement les défenseurs. L'avion de reconnaissance ennemi, LA BATAILLE DE LA SOMME - 155 l'espion, tourne inlassablement à basse altitude au dessus de la position.. Les défenseurs de l'Arbre à Mouches n'auront disposé qne d'un court répit. Vers 16 heures 30, une partie du groupement blindé ennemi de Métigny revient vers l'est, défilant entre 800 mètres et 1.200 mètres du hameau. En quelques instants le canon de 25 du brigadier-chef Duohesne en fait flamber sii et en immobilise quatre. Mais une douille restée dans le canon enraye l'arme. Le brigadier Lageon, secrétaire du bureau de l'es­ cadron, qui se trouve à proximité, court chercher !a caisse à outils et tente d'écouvifflonner la pièce. Mais un char ennemi a pu s'approcher derrière les arbres qui bordent le fossé : le bri­ gadier Lageon, les cavaliers Le Guen et Goethals sont tués sur leur pièce, le brigadier Gommet blessé. Bientôt le hameau est abordé de tous côtés par les chars, les canons de 25 d« lieute­ nant Fromageot entrent alors à leur tour en action et les atta­ ques échouent avec de lourdes pertes. Vers 17 heures, sous la protection du feu des chars, — reti­ rés hors de portée maintenant, — et de l'artillerie, l'infanterie passe à son tour à l'attaque. Mais prise sous le feu des mitrail­ leuses du sous-lieutenant Soubeiran, elle est clouée au sol, non sans être sérieusement éprouvée. A Métigny, où les canons de 25 sont détruits, les chars ennemis s'enhardissent et progressent vers les lisières. Le brigadier Olivesi et le cavalier Menou, le premier ayant placé son fusil-mitrailleur sur l'épaule du second, se lèvent d'un bloc, et tirant à bout portant stoppent successive­ ment les deux premiers chars, provoquant ainsi l'arrêt de tout le groupe. Peu à peu, la menace s'accentue vers le nord, puis vers le nord-ouest du village qui risque d'être tourné. Il est environ 17 heures 30. Tous les villages brûlent, les camionnettes de munitions sautent, caisse par caisse. Presque tous les 25 sont détruits. Les munitions s'épuisent. Dans une chaleur de fournaise, les hussards continuent à combattre avec un calme admirable. Pendant ce temps, à mon P. C. de Belloy-Saint-Léonard, je ne puis me dissimuler que la situation est devenue des plus sérieuses. Nul doute, en effet, que le commandement allemand ait engagé sur cette partie du front de très importantes forces blindées, — plusieurs Panier peut-être... (1). Le 4" Hussards (1) La division eut, ев fait, affaire, les 5 et 6 juin, au 15e Corps blindé allemand : générai! von Hoth. Celui-ci comprenait notamment lia T Punzer- division : général Roramefl, qui opérait à l'est de mit se an d'Air» i»es, et la 5» Panzerdivision, général von Hartlieb, qui avait franchi 3a Somme à l'est

Revenons maintenant au 4" Hussards. Il est 18 heures, le colonel Chiappini, qui n'a pu rentrer dans Métigny et qui suit le LA BATAILLE DE LA SOMME 157

combat des hauteurs voisines de la cote 89, estime le moment venu de ramener, conformément aux instructions reçues, son escadron sur la ligne des hauteurs boisées où le commandement s'efforce de réorganiser un front. Ses diverses unités ne sont touchées qu'avec un certain décalage. Dans toutes, le mouve­ ment s'exécutera avec un ordre parfait, par petites colonnes d'es­ couades serpentant à travers le terrain. Les flammes et les fumées des incendies, le bruit des munitions qui continuent à sauter, masquent à l'ennemi l'évacuation des villages. Le maté­ riel, les blessés sont ramenés au complet. Les défenseurs de Lalieu, de Tailly, ét de l'Arbre à Mouches peuvent exécuter leur repli avec de faibles pertes. Il n'en va pas de même à Métigny. Le commandant de la Hamelinaye a organisé son décrochage par échelons, et le fait couvrir par un échelon d'autos-mitrailleuses qui lui a été envoyé. Celui-ci, d'ailleurs, sur les pentes de la cote 89, ne lui sera pas d'un grand secours. Au moment où le peloton Kersaint- Gi'lily, arrière garde de l'escadron Chasseval, se met en marche à son tour, de nombreux chars ennemis, venant de la région d'Ai- lery, abordent le village par le nord-ouest, arrosant à la mitrail­ leuse et au canon tout le terrain entre Métigny et la cote 89 (1). Au bruit de la fusillade déclenchée par son dernier peloton, le capitaine «de Chasseval, qui marchait dans la distance d'arrière garde, revient vers lui pour prendre personnellement la direc­ tion du combat. Il est tué, ainsi que le maréchal des logis chef de Kersaint-Gi'Ily. Au 1" escadrori, les pelotons reçoivent à la fois des obus venant de l'est et d'autres venant de l'ouest ; par surcroît, les chars abordent maintenant Métigny et Laleu à revers. Le lieute­ nant de Beauregard, qui commande l'escadron, les pelotons Compagnon et Baudon, dispersés en petites colonnes, doivent rester couchés dans les blés pour échapper à la destruction. Leur discipline de combat les sauve. Par contre, quelques groupes de Sénégalais qui, au cours de l'après-midi avaient été arrêtés dans leur repli par les Hussards, et remis en ordre, sans doute terri­ fiés par les chars ennemis, essaient de s'échapper en courant •dans diverses directions. Ils seront anéantis. Au fur et à mesure de leur arrivée sur la ligne fixée, les escadrons du 4' Hussards, —ou du moins ce qui en reste, — se regroupent au contact du 18* Chasseurs et se remettent en ligue avec eux. Tandis que les minutes, puis les heures passaient, je com- (1) Voyez le croquis, page 154. 158 REVUE DES DEUX MONDES

mençais à espérer que la catastrophe irrémédiable pourrait être évitée. Certes la journée avait apporté à l'ennemi d'indiscuta­ bles succès : nos troupes avaient été mises, en quelques heures — et avec quelle brutalité — devant une situation des plus gra­ ves. Appuyées par une aviation qui dominait le champ de bataille, sans essai de discussion de la part de la nôtre, les masses blindées ennemies avaient désarticulé notre dispositif. Mais elles n'avaient pas, sur notre front tout au moins, réalisé la percée et si, au cours des deux heures de jour qui lui res­ taient, elles n'y parvenaient pas, l'exploitation vers Animale, Hor- noy ou Poix serait évitée, et avec elle l'effondrement de toute la gauche de la Xe Armée. Par ailleurs, la 13" B. L. M. était maintenant parvenue sur le lieu du combat, et la liaison avec la division Berniquet était reprise. On pouvait ainsi espérer que la 5e D. I. C. aurait réussi à reprendre en mains un certain nombre de ses unités, à réta­ blir les liens du commandement, à déployer son artillerie. Dans ce dernier ordre d'idées, le colonel Lenofcre, comman­ dant l'artillerie lourde du IX" Corps, venait de donner un bel exemple d'esprit d'eûtr'aide en mettant aux ordres du Lt-eolonni Thomas, malgré l'écart des grades, ceux de ses groupes qui paraissaient en mesure d'être intégrés dans notre dispositif. La situation n'en restait pas moins des plus sérieuses. Elle commençait à se manifester particulièrement comme telle dans le voisinage de mon P. C. L'ennemi s'était, en effet, progressive­ ment rapproché de Belloy-Saint-Léonard. Au début, des balles lointaines ou perdues, ensuite des rafales de plus en plus rap­ prochées claquaient sur les murs et dans les persiennes du châ­ teau. Bientôt on signalait des chars tout auprès des lisières dm village. ^ Maintenir mon P. C. plus longtemps à Belloy aboutirait à rendre impossible tout exercice du commandement : un départ . rapide devenait nécessaire. Mais je désirais rester à proximif? immédiate de mes troupes et pouvoir continuer à vivre vérita­ blement le combat. J'étais en effet, depuis le 10 mai, de jour en jour plus convaincu que, dans la forme que revêtait cette guerre, seul le chef qui reste à portée de ses forces combattantes peat * être tenu, en temps utile, au courant des événements et prendre sans retard les dispositions nécessaires. D'autre part, je voulais reprendre personnellement contact avec la 13* B. L. M. Je déci­ dai donc de rejoindre le colonel Lafeuillade, à son P. C. #e Selincourt, distant de Belloy-Saint-Léonard de trois kilomètres environ. LA BATAILLE DE LA SOMME 159

Les dispositions de départ furent prises rapidement, ayec le ealme des vieilles troupes : elles ne furent d'ailleurs pas exemp­ tes d'un certain comique. Même à la guerre, celui-ci perd rare­ ment ses droits... Le chef de popote, prévoyant, et notre fidèle cuisinier, avaient hâtivement préparé, avant de partir, sur la table rus­ tique de l'office, an « casse-croûte » .sommaire : pain, vin, quelques boîtes de conserve. Tout en ajustant les baudriers et en bourrant les serviettes, les officiers de mon état-major et moi-même avalions quelques rapides bouchées. Parmi les con­ serves s'était glissée unec petite boîte de foie gras, régal in ha­ bilite! qu'il paraissait impossible de laisser aux mains de l'en­ nemi. Telle était, en tous cas, l'opinion de quelques-uns et en particulier de notr? médecin-colonel qui tint à ce que la boîte fut entièrement vidée avant le départ.... Celui-ci fut exéeulé tout à fait in extremis, mais dans un ordre impeccable. Le P. C. avancé devait d'ailleurs, au cours des jours suivants, acquérir une véritable virtuosité Jans la pratique des déplacements au conlact rapproché de l'ennemi. Au carrefour des routes Belloy-Aumont et Avelesges-Selin- çowrt, je retrouvai les éléments du R. D. P., qui venaient de prendre position. Arrivé au château de Selincourt, je mis rapi­ dement le colonel Lafenillade dans l'ambiance de la situation et lui confirmai mes insticutions,précédentes. Peu à peu, dans la nuit tombée, ni'arrivèrent des nouvôlles des parties les plus éloignées du champ de bataille, puis les ordres émanant du IX* C. A. Je décidai donc de maintenir mon P. C. pour la nuit au château de Selincourt. Je m'installai, avec les officiers présents de mon état-major, dans le vaste saion de cette belle demeure, à qui je n'ai eu cependant, pendant mon court séjour, le loisir d'accorder aucun regard, de l'extérieur comme à l'intérieur... L'état-major de la 13" B. L. M. avait élu domicile dans la sa'We à manger voisine. Le problème des liaisons avec mes deux com­ mandants de brigades se trouvait ainsi heureusement résolu. Le problème du repos reçut lui aussi une solution approchée, et je me souviens d'un excellent vieux fauteuil, où je pus, dans l'iniervaile de l'arrivée et de la rédaction des ordres, glaner queWfites quarts d'heure d'assoupissement, souvent entrecoupés d'ailleurs par la visite d'un officier de liaison ou l'apport d'un compte rendu. Les ordres qui me parvinrent du commandant du IXe C. A. étaient au nombre de deux. Le premier édictait que c la situa- 160 REVUE DES DEUX MONDES tion générale paraissait s'être stabilisée en fin de journée dans la zone du C. A., on s'efforcera de constituer au cours de la nuit, au moyen des éléments disponibles, un barrage arrière sur la ligne générale ; , Tailly, l'Arbre à Mouches, Bois de , >. • ' Le second ordre était daté de 21 heures 15. « Le général commandant la 5* D. I. C. ayant fait connaître que sa division n'avait plus d'éléments disponibles, le commandement de la zone de cette division serait désormais assuré par le général Petiet, commandant ln 3* D. L. C. Le général Petiet disposera de tous les éléments des deux divisions qu'il sera possible d* regrouper dans la zone. Le général Sechet et son étaUmajor lui seront adjoints. Tout le possible sera fait pour occuper, ea liaison avec les divisions voisines, la ligne générale fixée.... > Il s'agissait donc de profiter des quelques heures de nuit restantes pour : prendre une connaissance aussi exacte qus possible de la situation ; réorganiser le commandement et les liaisons ; disposer sur la ligne indiquée tous les éléments dis­ ponibles. Quant à la constitution des réserves suffisantes, elle paraissait hélas, d'ores et déjà, du domaine des chimères.... Toutes ces opérations posaient de difficiles problèmes. J'avais bien, sous la main, la 13* B. L. M., et celle-ci était ea mesure de tenir un front, même disproportionné avec ses moyens. Je disposais également du général Maillard, mais, des deux régiments de sa brigade, le 4* hussards était extrêmement éprouvé et avait subi de très lourdes pertes. Quant au 6* dra­ gons, les quelques renseignements en ma possession remon­ taient au début de l'après-midi et faisaient apparaître que sa situation était au moins aussi grave. Aux dernières nouvelles, ses débris étaient encerclés dans Riencourt et Cavillon : seul n'était pas encore atteint. Le général Sechet était resté à son P. C. d'Aumont, mais, d'après les compte rendus qui me parvenaient, l'encerclement du village n'était plus qu'une question de temps. Le bataillon Larger qui l'occupait, réduit à cent ou cent vingt combattants, n'avait pu reprendre la liaison avec les éléments du groupe­ ment de Langle signalés dans Camps. Il avait jusqu'alors réussi à maintenir libre la communication avec Selincourt, mais les bois d' étaient occupés par un important groupement d'une Panzerdivision, dont les tentatives d'infil­ tration étaient de plus en plus difficilement réprimées. Du P. C de Selincourt, d'ailleurs, nous voyions, à douze ou quinze cents mètres de distance, monter dans la nuit les fumées et les globes LA BATAILLE DE LA SOMME 161

lumineux par lesquels le groupement blindé allemand échan­ geait, avec les avions qui le survolaient fréquemment, des signaux divers. Les compte rendus des officiers de liaison, confirmés par deux visites consécutives du capitaine de Royère et du capi­ taine Weygand, peu avant 2 heures du matin, signalaient l'ag­ gravation continue de la situation à Aumont, dont il était clair que, dès le petit jour, l'encerclement total serait facilement réalisé. Finalement, le générai Sechet put, avec son état-major, quitter à temps le village pour Saint-Aubin-Montenoy, à quel­ que six kilomètres plus au sud-est, où il allait s'efforcer de réorganiser ses unités, en liaison avec le groupement de Langle, dans la partie la plus à l'est de son ancien secteur. De tous les problèmes posés, un des plus préoccupants était celui de l'artillerie. L'artillerie de la 5e D. I. C, dont le déploiement était à peine entamé au moment de l'attaque alle­ mande, paraissait avoir, en grande partie, disparu du champ de bataille. De l'artillerie lourde du IXe Corps, j'avais pu récupérer, grâce au colonel Lenôtre, un groupe de 105 long. Quant à mes groupes organiques, je n'avais pas reçu de nouvelles particuliè­ rement mauvaises du groupe Châtelain, mais je n'ignorais pas que le groupe Pouyat avait, dans son action héroïque et meur­ trière contre les chars ennemis, subi de très lourdes pertes. Vers 2 heures du matin, je recevais du général Sechet un compte rendu, sous Dispositif prescrit pour les éléments de la 5" D. I. C, le 6 juin au jour. Entérinant ces dispositions, qui d'ailleurs étaient sages, je rédigeai et fis porter mon Ordre pour la matinée du 6 juin, qui fixait succinctement les missions, l'organisation du comman­ dement et l'articulation de l'artillerie : — But à atteindre : reconstituer un front, en liaison à gau­ che avec la 2* D. L. C, à l'est d'Avesnes-Chaussoy, et à droite avec la 13* D. I. vers Briquemesnil. — Le colonel commandant la 13* B. L. M., disposant de ses éléments organiques, devait maintenir son front, en se reliant vers le sud au point d'appui d'Hornoy. — Le général commandant la 5* D. I. C, disposant de tous les éléments qu'il pourrait regrouper, tiendrait la ligne pré­ vue : Camps, Bois des Monts, Molliens-Vidame, Bois de Bou- gainville, Bougainville, se reliant à gauche à Hornoy et à droite à la 13e D. I. BEVUE DES DEUX MONDES

— Le général commandant la 5" B. CL, prenant à ses ordres les éléments regroupés,à Dromésnil, devait se porter en réserve de commandement à Hornoy. — Artillerie : le colonel commandant le 72" R. A., avec le groupe de 105 lourd de l'A. L. C. A. IX et les restes du groupe Pouyat, devait assurer l'appui direct de la là" B. L. M. et agir, dès le petit jour, sur le groupement de chars ennemis du petit bois d'Hallrvillers. Le général commandant' la 5e D. I. C. devait reconstituer, avec le groupe Châtelain et les éléments d'artillerie récupérés de sa division, un ou deux groupements réalisant l'appui direct de ses unités et les missions anti-chars. Je m'étais par ailleurs déjà rendu compte que le maintien de mon P. C. à Selincourt, s'il avait l'avantage moral de'mani­ fester aux troupes que ï'état-major de la division ne redoutait pas exagérément le proche voisinage de l'ennemi, ne pouvait constiluer qu'un expédient momentané. Dès le ^ever du jonr, le fonctionnement d'un état-major s'y avérait une impossible acrobatie. Je décidai donc de quitter Selincourt avant la fin de la nuit et de me transporter à Hornoy, point centra! du secteur, nœud de commnnicatrons Emportant. J'arrivai peu après 3 heures à Hornoy, où camions et véhi­ cules divers encombraient totalement rues et routes, et parvins, non sans peine, au château, P. C. du L'-colonel Malcor, C le groupe de reconnaissance du IX* Corps. Malcor était un camarade de promotion que je n'avais jamais perdu d« vue au cours de ma carrière et que j'avais, en dernier lieu, retrouvé au 1" hussards, à Angers, alors que je commandais l'Ecole de Saumur. Je fis avec lui, dans son bureau, éclairé par une lampe fumeuse, un tour d'horizon assez complet, et lui communiquai les ordres donnés aux différents groupements qui constituaient mon com­ mandement. Le G. R. C. A. XI se trouvait intégré dans mon dispositif, dont il constituait en fait la charnière i son chef pourrait en outre réaliser une Haison facile avec le général Mairlard, à qui je venais justement de fixer Hornoy pour P. C. L'encombrement d'Hornoy. — qui me paraissait par ail­ leurs voué aux bombardements aériens ennemis, — me dis­ suada d'y réaliser une accumulation d'organes de comman­ dement. Je fixai donc mon P. C au petit village de Vraigaes- les-Harnoy, situé deux kilomètres. plus au sud. Je quittai Mai- cor peu avant le jour et arrivai rapidement à Vraignes, où mon LA BATAILLE DE LA SOMME 163

P. C. s'installa dans une petite maison, mi-ferme, mi-habitation, dans la partie haute du village, en bordure du plateau. Dès mon arrivée, je m'efforçai de reprendre la liaison avec tous les éléments subordonnés. Je reçus, vers 6 heures, du général Sechet, de son P. C. voisin de Saint-Auhin-Montenoy, un compte rendu : Situation à 5 h. 30 des éléments à la dispo­ sition du général commandant la 5e D. I. C. Les éléments récu­ pérés de la 5e D. I. G. étaient bien peu nombreux : cinquante ou quatre-vingts hommes du 44" R. I. C. M. S., quelques pion­ niers et sapeurs mineurs, un peloton moto, un peloton de 25, un groupe de mitrailleurs du G. R. D. I. Comme artillerie, un groupe de 155 courts et la valeur d'un groupe de 75. Le grou­ pement de Langle comportait quinze chars Somua, quelques Holohkiss et deux escadrons de dragons portés. Tous ces élé­ ments étaient épars dans les villages et les bois de la région : Lincheux-Hallinvillers, Camps, Molliens-Vidame, Bougainville, Bois des Monts. Aucun renseignement précis sur le 0e dragons. Quel espoir subsistait-il de pouvoir récupérer, regrouper et remettre en ligne d'autres éléments épars de cette division, qui auraient pu être rameutés à la faveur de la nuit ? Il aurait fallu pour cela que l'accalmie du moment put se prolonger au delà des heures du petit matin. Mais, pour qui connaissait la persévérante énergie, ou plutôt la violence continue des actionj offensives allemandes, il était difficile de« conserver en la matière des illusions excessives. J'ignorais à ce moment le nom du commandant de cette 7° Panzerdivision que je voyais opérer devant moi, et l'eussè-je su qu'il ne m'aurait rien dit. Mais ce que j'ai pu voir do la brutalité et de l'imprévu de ses manœu­ vres m'a permis, plus tard, de m'expliquer les remarquables succès du Maréchal Rommel Je n'en profitai pas moins au maximum de ces courtes heures pour compléter, par une sériu de notes et d'ordres aux groupements subordonnés, les rensei­ gnements de la nuit et les mesures à prendre. Entre 8 heures 30 et 9 heures, me parvenaient deux rensei­ gnements qni n'étaient pas pour améliorer la situation. Le pre­ mier émanait de la 2e D. L. C. et signalait d'importants mouve­ ments de forces blindées et motorisées, plus de trois cents véhicules, en marche de la région nord d'Aumont vers Poix. Je m'efforçai aussitôt de faire prendre ce groupement à partie par l'artillerie, tant par la mienne que par l'A. L. C A. IX. Pour la mienne, j'étais bien tranquille : si l'axe de déplacement des chars ennemis n'était pas hors de la portée des canons du colo- 161 REVUE DES DEUX MONDES nel Thomas, cet objectif de choix ne serait pas négligé. En fait, il me fut impossible d'entrer en relations avec l'A. L. C. A. IX ; par ailleurs ,1e bruit d'une canonnade peu éloignée devait bien­ tôt me donner à penser que le groupement blindé ennemi était d'ores et déjà arrivé au contact des faibles éléments français. Le second renseignement me fut apporté par un officier de l'état-major du général Fortune. Celui-ci commandait la 51* division britannique, belle division écossaise qui, après avoir concouru' avec les 2* et 5* D. L. C. aux tentatives de réduction de la tête de pont d', était maintenant en ligne devant cette ville, à l'extrême gauche du front de la Xe armée. Le géné­ ral Fortune me faisait connaître son intention de se reporter en arrière sur la Bresile, entre la mer et . Un rapide coup d'œiî sur la carte me convainquit que ce repli entraînerait obli­ gatoirement le retrait de la 2* D. L. C. du plateau entre Fresnoy et Avesnes. J'avertis donc aussitôt le colonel Lafeuillade des intentions du général Fortune, lui prescrivant dans le cas où ces événements se réaliseraient, de redresser sa ligne, en pre­ nant comme direction de son mouvement un axe nord-sud qui amènerait son gros à l'est d'Hornoy : dispositif d'artillerie à régler en conséquence. Dans l'intervalle des visites, de la réception des compte rendus et de l'envoi 4es ordres, j'avais pu faire une toilette rapide et me raser* dans une modeste petite chambre du pre­ mier étage de mon P. C. Je dus souvent cet agrément au dévoue­ ment de mon porte-fanion, l'adjudant-chef Nivoix, et de Picard, mon chauffeur, grâce auxquels j'ai, également, presque toujours pu prendre quelques instants de repos nocturne.

Peu avant 10 heures, des bruits de coups de canon et des rafales de mitrailleuses se firent à nouveau entendre dans ]a direction du nord, mais cette fois à faible distance, et se rappro­ chant assez rapidement. Le capitaine Perrin qui, le rasoir à i» uain, dans une pièce voisine, profitait lui aussi de la demi- accalmie du moment, et tenait sans doute beaucoup à ne pas être troublé pendant l'opération en cours, affirmait avec con­ viction qu'il s'agissait, sans contestation possible, d'un com­ bat aérien... Les officiers de l'état-major cherchaient encore, dans un ciel immuablement bleu, les avions, — invisibles, — auteurs •présumés de tout ce bruit, que des balles venaient claquer sur les murs et que les bruits familiers des moteurs de chars se LA BATAILLE DE LA SOMME 165 faisaient entendre à faible distance. Une courte investigation de mes officiers leur permit d'ailleurs de compter dix-huit chars ennemis. Ceux-ci ayant, et pour cause, trouvé le vide, ou peu s'en faut, sur le plateau à l'est d'Hornoy, étaient parvenus jus­ que devant Vraignes dont ils neutralisaient les lisières par le feu avant de les aborder. Je ne disposais dans le village d'au­ cune troupe combattante, en dehors d'un faible peloton d'un-.:, quinzaine d'hommes démontés du 6* dragons, transportés dans une camionnette. Les deux pelotons d'A. M. D. de l'escadron Kalminski que j'avais, une demi heure plus tôt, demandés au commandant de la 13* B. L. M., n'étaient, bien entendu, pas encore arrivés : en fait, ils ne devaient pas parvenir jusqu'à moi. Il n'y avait donc d'autre alternative qu'un départ immédiat, ou la capture rapide, et cette dernière solution n'améliorerait pas la situation de mon groupement. Mais c'était la seconde fois en quatorze heures que j'étais chassé de mon P .C. par les chars ennemis, et je dois avouer que c'est, pour un général de division, un acte des plus humiliants, que de devoir, coup sur coup, faute d'avoir la moindre possibilité de résistance, céder ainsi la place. En quelques instants mes dragons' étaient arrivés dans la cour de la petite ferme, et ouvraient, au mousqueton et au fusil- mitrailleur un feu, d'ailleurs modeste, sur las chars. Les quel­ ques officiers et hommes du P. C. purent remonter rapidement en voiture, emportant dessins et documents. Bientôt rejoints par la camionnette des dragons, la petite colonne traversa sans grand mal le village et gagna, par un médiocre chemin de terre, !e village voisin de , où elle stoppa et où on fit l'appel.

J'avais d'abord, pendant ce. court trajet, envisagé de rester à Lamaronde et de reprendre de là mes liaisons. Mais une rapide inspection de la carte et du terrain me permit de me rendre compte que ce village, placé au centre d'un vaste plateau, se trouvait justement dans l'axe du mouvement signalé de la Panzerdivision allemande. Outre qu'il ne me donnerait aucune facilité de liaison avec mes groupements subordonnés, je ny trouverais qu'un répit des plus momentanés. Je décidai donc de me reporter plus au sud-ouest, ce qui devrait me permettre de reprendre', en tout état de cause, contact avec le colonel Lafeuil- lade et le général Maillard. Dans le cas où le front du groupe­ ment aurait été effectivement percé par la poussée des forces blindées ennemies,, la presque totalité de la 3* D. L. C. devrait en effet nécessairement se trouver sur la partie ouest du champ de bataille. Par ailleurs, sur la partie est de celui-ci, le général 166 REVUE DES DEUX MONDES

Sechet disposait d'an état-major et de moyens de liaison d'un Q. G. de Division et devait, en outre, se trouver au centre de son dispositif. Je gagnai donc , à quelques kilomètres plus au sud- ouest, d'où je me préoccupai de reprendre le plus rapidement possible les liaisons rompues. Je pus ainsi me relier à la 13* B. L. M. mais il me fut impossible d'obtenir la liaison avec le commandant du IX' C. A. dont j'étais sans nouvelles depuis la nuit précédente. Je sus seulement que son P. C. n'était plus, depuis quelque temps, à Thieulloy-la-Ville. Pas la moindre nouvelle non plus du général commandant la 5* D. I. C, avec qui les iaisons radio elles-mêmes étaient coupées. Le village de Marlers était situé dans la zone d'action d'une division d'infan­ terie fraîche, la 40* D. I., division de chasseurs primitivement destinée à 4a Norvège. Elle occupait tous les points d'appui de cette partie du plateau. La 13e B. L. M., qui venait d'exécuter le mouvement de conversion prévu, était au contact immédiat des chasseurs, ainsi d'ailleurs que de la 2* D. L. CL, à sa gauche, qui venait d'exécuter un pivotement de même nature. Je fis de nouveau partir des agents de liaison pour renouer les liens rompus, particulièrement avec la 5* D. I. CL et leur donnai rendez-vous à Escles, petite localité d'où je pouvais à la fois reprendre contact avec mon P. C. arrière de Goupigny, où se trouvait déjà, avec mes services, une partie de mon état-major, et la région de Sarcus où certains renseignements signalaient la présence de deux états-majors, dont celui du IX* C. A. Je fis un court arrêt à Escles, où je reçus quelques nouvelles. Je sus ainsi que les éléments rescapés du 4* hussards avaient pu être enlevés en camions à Beaucamps-le-Vieux et rejoignaient leurs chevaux haut le pied dans leur zone de stationnement voisine de Coupigny. Je pns également me faire une idée approchée du « hourvari » de Vraignes-les-Hornoy et des bruits de combat qui l'avaient précédé. C'était bien mon artillerie, qui s'était à nou- • veau trouvée seule, — notre infanterie ayant en fait disparu du champ de bataille, — au contact de la Panzerdimsion allemande. Les restes du groupe Pouyat, — le commandant, un capi­ taine, un lieutenant, avec six pièces, dont une détériorée, —• avaient pu au début de la nuit du 5 au 6 être regroupés au.nord d'Hornoy : le 6 au jour, ils se retrouvaient en batterie aux lisières des bois entre Hornoy et Vraignes, prêts à recommencer la lutte. CéHe-ci n'avait pas tardé à se rallumer. Dès 7 heurc«s, il apparaissait que les chars ennemis occupaient un bois à 2 kilomètres plus au nord, et, dès 8 heures, parvenait jusqu'au LA BATAILLE DE LA SOMME 107

groupe le bruit des moteurs de chars mis en marche. Le capi­ taine Vandelle faisait aussitôt monter des observateurs dans un chêne ; Us purent signaler la marche des chars, une centaine environ, qui, déboitant dans la prairie où ils se déployaient, passèrent à l'attaque. Le feu fut ouvert, par pièce, à 1.200 mètres de distance environ, et fut très rapidement efficace. De nombreux, chars furent atteints de coups directs et sautèrent. Mais le feu ennemi s'avéra rapidement des plus meurtriers. En peu de temps, dans la seule batterie Vandelle, 3 sur 4 des chefs de pièce furent bles­ sé*. Comme la veille, les batteries évitèrent l'abordage immédiat, qui n'eut pas pardonné, et se replièrent par échelons pour occu­ per une position à 3 kilomètres plus en arrière. Le groupe, scindé en deux tronçons, toutes liaisons coupées avec le colonel Thomas et avec la division, se mit à la disposition des chasseurs de la 40* D. I. qui venaient d'arriver sur le terrain. An cours de la nuit suivante, la liaison ayant été reprise, le premier groupe du 1T d'artillerie put rejoindre la 3" D. L. C. . Les nouvelles qui me parvenaient du 6* dragons restaient vagues et des plus préoccupantes. En fait ce n'est qu'au début de la nuit que je pus, après la visite du colonel Jacottet à mon P. C arrière, me faire une idée approchée du sort de ce beau régiment : comme le 4* hussards, le 6° dragons était en ligne depuis le 31 mai : les coups de main effectués chaque nuit par l'ennemi avaient été repousses, avec de faibles pertes de notre côté : aussi le moral était-il excellent. La relève par le 44* R. I. C. M. S., qui devait s'effectuer vers minuit, avait subi un retard appréciable. Sur la partie st du front en particulier, tenue par l'escadron de Vaulx, elle n'était pas terminée au moment du déclenchement de l'attaque enne­ mie ; aussi une partie des pelotons Morel et Fresson, ainsi que le peloton de 25 du sous-lieutenant Alexeiewsky ne purent-ils se dégager. Ce dernier fut tné vers le début du combat dans le point d'appui de Saint-Pierre-à-Gouy ; le lieutenant Moreil, cerné dans l'Abbaye de Notre4)am« du Gard, avec un sous-officier, un brigadier et 4 cavaliers, s'enferma dans l'abbaye et y résista, blessé, du 5 juin au matin au 7 juin au soir... Les éléments relevés du régiment se rassemblent dans les villages de Rien- court, Cavillon, Oissy où ils prennent les mesures de défense nécessaires.

Avec le jour arrivent les premiers blessés, et aussi de nom­ breux groupes et isolés Sénégalais qui refluent,' souvent sans 168 REVUE DES DEUX MONDES combat. Us sont arrêtés et incorporés dans la défense du point d'appui. Dans tout le cours de la matinée, puis de l'après-midi, l'infanterie ennemie, fortement soutenue par une artillerie puis­ sante et active, continue sa progression. Mais au 6* dragons, où on assiste aux préparatifs de la contre attaque du groupe­ ment de Langle, on reste plein d'espoir. D'abord annulée, puis à nouveau décidée, la contre attaque se monte aux abords nord- ouest d'Oissy. Le terrain est découvert : les chars du 7* cuiras­ siers sont en pileine vue dans les champs, sous le soleil qui frappe les blindages ; bientôt l'aviation et l'artillerie ennemies les repè­ rent et le bombardement commence. Finalement la contre attaque ne partira pas... Les heures passent, le bombardement est de plus en plus sévère. Cavillon est attaqué de trois côtés, Riencourt, où se trouve le P. C. du colonel Jacottet, est presque encerclé! Les pertes, déjà sensibles, se font de plus en plus lourdes, principalement dans le corps des officiers. A Cavillon, le capitaine de Vaulx est grièvement blessé ; peu de temps après le commandant de Labouchère, qui dirige la défense avec sa bravoure coutumière, et fait lui-même le coup de feu avec le mousqueton d'un de ses cavaliers, est blessé au poignet. Après un pansement rapide, il s3 lance à nouveau dans la bagarre ; queques instants plus tard il est tué net d'une rafale de mitraillette en pleine gorge. En raison de la situation, il est impossible de ramener son corps. Le régiment et la division font dans la personne de Labouchère une perte irréparable. Chef et soldat d'un courage légendaire, son prestige auprès de la troupe était immense. Aussi s'efforce- t-on, en vain, de cacher quelque temps aux cavaliers la nouvelle de sa mort. Avec la fin de la journée la situation empire encore dans Cavillon, et bientôt le lieutenant de Balincourt, avec la poignée d'hommes qui lui reste, — une vingtaine, — réussit à se frayer un passage vers Oissy. Tous les officiers, presque tous les sous- officiers sont manquants. Bientôt Oissy est à son tour abordé, mais peu à peu la nuit tombe, et le combat diminue d'intensité. Le colonel Jacottet, qui s'est replié à la nuit de Riencourt vers Oissy, reçoit l'ordre de rassembler les débris du régiment dans Bougainvilile et d'y continuer la résistance. Le mouvement est terminé vers 2 heures du matin : les hommes, littéralement exténués, peuvent dormir trois courtes heures : aussitôt après Bougainville est mis en état de défense. Il s'y trouve des chars du 7* cuirassiers, mais les équipages sont encore bien novices. 4 LA BATAILLE DE LA SOMME 169

Dès 7 heures 30, l'ennemi vient au contact et attaque ; il est repoussé. Mais peu à peu la situation s'aggrave. Vers midi; le colonel, constatant qu'aucune infanterie amie ne se trouve plus à proximité, et coupé du général commandant la 5* D. I. C, dont il dépend, décide de se frayer un passage vers Bussy, afin de regagner nos lignes. Les diverses fractions restantes du 6* dragons quittent Bougainville sous le bombardement. Sous un soleil brûlant, exposées tout au long de leur parcours sur un plateau dénudé au feu de plus en plus violent de l'artillerie allemande, qui leur inflige des pertes cruelles, elles gagnent exténuées, Montenoy, puis Bussy. Une partie du régiment pourra être enlevée en camions dans les premières heures de la nuit et rejoint les che­ vaux haut le pied, mais un groupe important, — près de 200 hommes, — sous les ordres du capitaine de Chezelles et du lieutenant de Balincourt, est rejeté vers le sud-est au delà de Poix. Il ne pourra rejoindre la division avant l'Armistice. • * • Je tenais à reprendre coûte que coûte contact avec le général Sechet dont je ne savais toujours rien. Or, on me signalait la présence d'un état-major colonial à Elencourt, à proximité de Sarcus ^e m'y rendis aussitôt, mais le général Sechet n'y était pas. Deux de ses officiers, que j'y vis, me dirent qu'ils n'avaient depuis le matin, aucune nouvelle de leur chef. D'Elencourt, je gagnai Sarcus, où je trouvai le général Ihler; auquel je fis un exposé complet de ce que je connaissais de la situation. Le généra Ihler ne savait lui-même rien de la 5* D. I. C, ni de son dhef. Il me dit que son intention était de regrouper, au cours de la nuit, les unités récupérables de la 3* D. L. C. dans la zone de stationnement prévue, au sud-ouest et au sud d'Aumale, où se trouvaient d'ailleurs nombre de ses éléments, parmi lesquels les chevaux haut le pied, les, trains et la base. Il attendait d'un moment à l'autre la visite du commandant de l'armée et m'invita à l'attendre auprès de lui, afin que puissent être confirmées sans retard ses intentions en ce qui concernait ma division. Le général Robert Altmayer arriva en effet peu après, et m'apercevant, vint directement vers moi et me demanda où en était l'exécution des ordres importants qui m'étaient parvenus. Or, je n'avais reçu aucun ordre important, à l'exception "de celui du commandant du IX" C. A. me confiant le commandement de toutes les forces engagées dans le secteur de la 5* D. I. C. Le général Altmayer me précisa qu'il s'agissait d'une décision du commandant en chef sur le front du nord-est, prise dans le no REVUE DES DEUX MONDES courant de l'après-midi du 5 juin, et visant la constitution, sous mon commandement, d'un groupement de 5 divisions : 40* D. I., 2", 3", 5* D. L. C. et Armoured Division britannique Evans. Ce groupement, envisagé déjà depuis quelques jours, et dont la zone initiale de rassemblement devait être !a région Aumale- Formerie, était destiné à agir face à l'est, dans le flanc droit d'un ennemi descendant vers le sud sur les plateaux à l'est de la . Le commandant de l'armée paraissait d'autant plus sur­ pris que je n'eusse pas connaissance de ce document, qu'il croyait savoir que le motocycliste chargé de me porter le pli correspondant aurait rendu compte à son retour qu'il me l'avait remis en mains propres... Ayant confirme au général Altmayer que rien ne m'était parvenu ayant trait à cette question, celui-ci ajouta que la situa­ tion visée par le général Georges étant maintenant dépassée par les événements, il n'y avait plus à en faire état et qu'il aïlaU prendre à ce sujet d'autres dispositions. 11 approuvait par ailleurs les intentions du commandant du IX* C. A. en ce qui concernait la 3" D. L. C. Il avait déjà posé quelques questions au général Ihller au sujet des dispositions prises par lui, quand la porte s'ouvrit : le général Sechet, très ému, entra dans la pièce, déclarant que sa division avait entièrement disparu, qu'il n'en retrouvait aucun élément, et ne se consolait pas de ne pas avoir partagé son sort. Nous pûmes assurer le général Sechet qu'il n'avait, à cet égard, pas failli à son devoir. Je quittai peu après le P. C. de Sarcus, car je devais retrou­ ver à Escles, retour de mission, les officiers et agents de liaison que j'avais envoyés. La situation n'avait pas, sur la partie ouest du champ de bataille tout au moins, évolué de façon sensible. La 13e B. L. M. paraissait coupée du G. R. C. A. XI, enfermé dans Hornoy ; elle était sur le Ligier supérieur, au contact d'un ennemi dont les attaques étaient facilement contenues. La liaison paraissant d'ailleurs établie entre la 40° D. I. et la 2* D. L. C. Après un court arrêt à Escles, je gagnai, peu avant la nuit, Coupigny où je retrouvai mon état-major. Je fis avec lui. le bilan de la situation. Celle-ci ne s'éclaircissait que bien pro­ gressivement. Lorsque j'eus donné mes ordres pour la nuit, et avalé rapi­ dement quelques bouchées, je gagnai la chambre qui m'était réservée, et m'étendis sur le*» lit, où je m'endormis instantané­ ment. Général Petïet.