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Yasmine Seghirate El Guerrab Thierry Wirth Charlotte Brives Catherine Laroche-Dupraz Pays arabes : COVID, CROYANCES ET RÉCITS la main ne doit plus trembler… Microbes : comment Chamanes des bois se fabriquent les récits ? et chamanes des ALTERNATIVES À LA VIANDE : villes DE PROMESSES EN CONTROVERSES Une anatomie des CONSERVATION DU VIVANT : DES crises sanitaires BANQUES POUR ENRICHIR L’AVENIR Japon : une SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE : agriculture, quoi À BOIRE ET À MANGER... qu’il en coûte ? TRAVAIL : L’AGRICULTURE À BOUT La recherche DE BRAS agronomique (1992-2010) FORÊT : ENTRE ESPOIRS ET EMBÛCHES

Le confinement : quelles conséquences sur notre expérience de la nature ? sesame N°9 MAI 2021 • ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

M PAR AILLEURS COVID, CROYANCES CONSERVATION SOUVERAINETÉ AIRE Pays arabes : ET RÉCITS DU VIVANT ALIMENTAIRE SOM 2 la main ne doit Microbes : Des banques À boire plus trembler… comment se pour enrichir et à manger... fabriquent l’avenir 4 les récits ? 32 42 FRONTIÈRES 16 Chamanes des bois et chamanes À conserver TRAVAIL des villes Le coronavirus, au froid L’agriculture un agent à bout de bras de révision des 35 5 croyances ? 44 DÉCHIFFRAGE La renaissance Une anatomie des 20 de la Rove crises sanitaires LA FORÊT Défiance et 37 Entre espoirs complotisme : et embûches 6 quand les faits n’ont plus TOUT UN MONDE d’importance RÉENSAUVAGEMENT 51 Japon : une Ces chèvres agriculture, quoi 22 férales qui ont pris Conflictuelle qu’il en coûte ? le maquis par essence

8 ALTERNATIVES 38 54 À LA VIANDE LE JOUR D’AVANT De promesses La recherche en controverses ABATTAGES agronomique dans PRÉVENTIFS la globalisation agricole, 26 Et si on rectifiait alimentaire et le tir? environnementale Le mémento (1992-2010) des végétaux 56 10 30 Apprendre à déshabiter… INSTANTANÉS 60 12 sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

Le confinement : IL Y A COMME DES BÉGAIEMENTS DE L’HISTOIRE QUI EN TO quelles DISENT LONG… Un an de pandémie et plus de 100 000 morts en France. conséquences sur Premier pathogène mondial, killer number one, le Sars-Cov-2 est aussi venu EDI 3 notre expérience révéler nos propres dysfonctionnements. Serons-nous pour autant davantage de la nature ? préparés individuellement et collectivement à la prochaine épidémie ? Pas sûr. Constat sévère, pistes de réflexion et « questions impertinentes, toujours 62 légitimes en démocratie » (p. 16). Dix ans écoulés depuis les « printemps arabes » et reste, toujours, cet espoir nourri d’un souffle nouveau impulsé par la jeunesse rurale (p. 4). Vœu pieux ? Vison et Covid-19 : Une décennie, également, après la catastrophe de Fukushima, avec la triade victimes de la destructrice séisme-tsunami-contamination radioactive, on apprend que la mode réhabilitation du territoire doit passer, étonnamment, par l’agriculture érigée en priorité politique. Quoi qu’il en coûte (p. 8).

65 … ET DES ÉVOLUTIONS MUETTES À MIEUX DÉCHIFFRER. Telles les salutaires clarifications sur le rôle que pourrait jouer la forêt dans Pesticides : le changement climatique, les enjeux éthiques de la viande in vitro débattus réduire ou paisiblement ou encore cet accent mis sur les travailleurs invisibles de l’agri- interdire, et culture. Enfin, nous essaierons de suivre les voies sinueuses des chèvres et comment ? d’une foule d’autres animaux, réensauvagés, conservés, chassés… jouant souvent le rôle de boucs émissaires de nos propres errements. 68 Et surtout, n’oubliez pas : bien plus qu’une simple revue, Sesame c’est aussi un blog https://revue-sesame-inrae.fr/ sur lequel la majorité des articles de cette édition et beaucoup d’autres choses sont publiées.​ Quelques La rédaction exemples de pratiques « simples » SESAME n° 9 - Mai 2021. Publication gratuite tirée en 2300 exemplaires. Papier 100 % recyclé. en manque de « Sesame n’est pas un nouveau support de communication et n’ambitionne pas de porter la voix officielle de l’Inrae. reconnaissance Ce positionnement est souhaité et assumé ; il permettra le débat d’idées en confrontant les positions de personnalités de cultures et d’horizons variés. » Philippe Mauguin, PDG Inrae, directeur de la publication. La revue Sesame est une publication de la Mission Agrobiosciences-Inrae Inrae-MAA - 24, chemin de Borde Rouge- Auzeville CS 52627 - 31326 Castanet-Tolosan Cedex - Tél. : (33) 5 61 28 51 37 70 Abonnements et désabonnements : [email protected] Blog : https://revue-sesame-inrae.fr/ Directeur de la publication Philippe Mauguin, PDG Inrae RÉDACTION Rédactrice en chef : Sylvie Berthier, [email protected] Rédacteurs : Lucie Gillot, [email protected] ; Anne Judas, [email protected] ; Yann Kerveno, [email protected] ; Laura Martin-Meyer, [email protected] ; Valérie Péan, [email protected] ; Stéphane Thépot, [email protected]. Chroniqueurs : Lahsen Abdelmalki, Matthieu Brun, Pierre Cornu, Sergio Dalla Bernardina, Alain Fraval, Yasmine Seghirate, Egizio Valceschini. Dessinateurs : Biz, Gab, Man, Samson, Tartrais, Zoé Thouron. ADMINISTRATION Mounia Ghroud, [email protected] – Tél. 01 42 75 93 59 COMITÉ ÉDITORIAL Joël Abécassis (ex-Inra), Elsa Delanoue (Idele-Ifip-Itavi), Pascale Hébel (Crédoc), Christine Jean (LPO), Christophe Roturier (Inrae), Pierre-François Vaquié (Fédération nationale des Cuma), Julien Weisbein (Sciences-Po Toulouse). RÉALISATION Gilles Sire, Christelle Bouvet FABRICATION Imprimerie ReliefDoc, 31130 Balma N° ISSN 2554 - 7011 (imprimé) / N° ISSN 2555 – 9699 (en ligne) sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

PAR AILLEURS Pays arabes : la main ne doit plus trembler… FOND

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LORS que dix ans sont pas- est essentielle, voire consubstan- sés depuis les soulèvements tielle au développement, mais elle qualifiés de « printemps génère des tensions dès lors que les Aarabes » – et que le Covid zones d’accueil sont elles-mêmes s’impose au monde comme l’hydre sous pression et que les politiques des temps modernes –, il convient de migration ne sont pas favorables. de se remémorer les origines rurales Cette situation, qui s’est aggravée et agraires du malaise qui a conduit avec le Covid, constitue un terreau à ces événements, en n’oubliant pas propice aux contestations et reven- que les aspirations politiques d’alors dications en tout genre. avaient comme soubassement la Alors, comment sortir de cette simultanéité de la hausse des prix par Yasmine Seghirate El Guerrab, impasse ? Il faut d’abord faire l’ef- alimentaires et la détérioration des conseillère auprès du secrétaire fort de le vouloir. Sciemment écar- conditions de vie des plus humbles. général du Ciheam et responsable ter les prévisions catastrophistes et Est-il encore utile de rappeler que de la stratégie communication. les biais misérabilistes pour voir en Mohamed Bouazizi, vingt-sept ans, cette jeunesse rurale une force, sinon était le fils d’un ouvrier agricole la seule force, capable d’impulser dépossédé de ses terres hypothé- tion qui risque d’obérer davantage une dynamique pour une prospérité quées ? Qu’il vendait à la sauvette les espérances des plus jeunes. et une stabilité partagées. Avec des des légumes lorsqu’il s’est immolé Précaire, peu rentable, souvent investissements massifs et détermi- par le feu, précipitant à son insu la informel, difficile et au statut social nés dans l’éducation et la formation chute de Ben Ali ? dénigré, le travail dans l’agriculture d’excellence ainsi que dans les ser- C’est vrai, la pandémie perturbe la et dans les villes rurales n’attire plus vices de qualité « dernière géné- vie des pays arabes – citons seule- les jeunes depuis longtemps. Dans ration », ces jeunes penseront les ment les tensions observées dans le même temps, nombre d’entre nouveaux paradigmes alimentaires. les chaînes d’approvisionnement eux n’ont ni les compétences ni le Ils donneront corps à ces agricultures alimentaire – car la plupart de ces capital, ni même les terres, pour climato-résilientes vertes, raisonnées pays sont fortement dépendants des accéder à des métiers créateurs de et responsables, et à la souverai- importations pour nourrir leur popu- valeurs au sens propre comme au neté alimentaire que nous appelons lation. Et il est à craindre que le Covid sens figuré. Une situation à mettre de nos vœux pour bâtir le monde aggrave les disparités existantes. en perspective avec les taux de chô- d’après. Des politiques pro-jeunes Les dysfonctionnements structurels mage des jeunes Arabes parmi les audacieuses et stratégiques, reposant de l’activité agricole et la constante plus élevés au monde. Un paradoxe, sur des dynamiques partenariales marginalisation des espaces ruraux diront certains, alors que les sec- entre les pouvoirs publics, les acteurs arabes risquent bien de faire payer teurs agricoles peinent à recruter de l’enseignement et de la formation, un plus lourd tribut à des commu- et que la question alimentaire refait les organisations de la société civile, nautés déjà vulnérabilisées par la surface. Faute d’alternative, les les entreprises, les investisseurs ou diminution des ressources naturelles, jeunes partent pour améliorer leurs encore les laboratoires d’innovation la dégradation de la biodiversité et le conditions de vie et, d’une certaine et de fabrication, pourraient vérita- changement climatique. Une situa- façon, pour exister. Cette mobilité blement changer la donne. ◆ sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

FRONTIÈRES Chamanes des bois et chamanes des villes

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L y a quelque temps, lorsque les que le monde ordinaire, où les voca- remontées mécaniques fonction- tions inhibées par l’état de civilisation naient à plein régime, les touristes (chamane, sorcière, guerrier-fauve…) ise concentraient sur les pistes retrouvent leur éclat et leur légitimité. de ski. Maintenant convertis aux Mais pour que cela marche, il faut res- raquettes à neige, ils se dispersent par Sergio Dalla Bernardina, ter dans les bois. partout, au risque de déranger, en ethnologue même temps que la faune sauvage, CHAMANES DES VILLES. Ce qui les adeptes de la wilderness. nous amène à Jake Angeli, ce patriote on croise les odinistes. Persuadés très médiatisé qui, le 6 janvier dernier, NÉO-MYSTIQUES. En hiver, à vrai d’être les descendants des anciens a occupé le Capitole (en raison d’un dire, ils ne sont pas très nombreux. guerriers nordiques, ces dévots malentendu, paraît-il, personne ne lui Mais dès que les neiges se retirent, d’Odin s’identifient à des fauves et avait rien demandé) coiffé d’une four- la forêt commence à se peupler de sélectionnent leurs membres sur des rure et le visage décoré du drapeau néo-mystiques de toutes sortes. Ce critères « darwiniens » (pas de mau- américain. Le problème du « Sha- n’est pas un phénomène typiquement viettes chez eux, on ne garde que les man de QAnon » c’est que, au lieu européen. Cela fait un moment, outre-­ féroces…). Dans les vallons boisés du d’exercer dans la verdure, il a voulu Atlantique, que les disciples du poète Trentin, pour clore cette liste approxi- en sortir. Et son déplacement a mis en et psychothérapeute jungien Robert mative, on entend de loin les novices lumière plusieurs contradictions. Le Bly se réunissent à l’ombre des futaies qui participent aux cours de tambour fait, par exemple, qu’on ne peut pas pour retrouver leur masculinité (mise chamanique (les doués comme les être patriote et chamane à la fois. Les à mal, disent-ils, par le féminisme moins doués). Le néo-chamanisme, patriotes de l’époque glorieuse, ceux ambiant). Ils s’inspirent des céré- en fait, est très à la mode. qui ont fondé les États-Unis d’Amé- monies des peuples autochtones, rique, tiraient sur les autochtones, y entonnent des chants tribaux, inter- LE CADRE SYLVESTRE : ESPACE compris sur les chamanes, comme on prètent collégialement des récits folk- THÉÂTRAL. Les profils de ces nostal- tire sur des lapins. Donc il faut choisir : loriques, hurlent comme des loups et, giques de l’état sauvage varient, mais ou on est patriote ou on est chamane. petit à petit, leur fierté virile revient. l’idée de fond est à peu près la même : Plus généralement, l’irruption de cet Dans le même décor, lors des solstices l’immersion dans la nature révèle notre homme des bois dans les salons bien et des équinoxes, on peut surprendre identité profonde. L’impact physique y cirés du siège du Congrès a montré à les affiliées de la wicca en train de se est pour beaucoup. Les stimulations quel point le néopaganisme a besoin transmettre des secrets ésotériques. sensorielles (les parfums enivrants, le des forêts. Il suffit que le chamane C’est le sabbat des sorcières version dépaysement, la fatigue…) donnent le déménage en ville pour que son image, New Age. En Bretagne, on n’a pas sentiment d’évoluer dans un univers déjà ambiguë, vire au pittoresque. Et besoin de se rendre à Brocéliande parallèle. C’est un monde plus vrai du pittoresque au ridicule. ◆ pour tomber sur des néo-druides célébrant des rites inventés de toutes pièces, mais tout aussi suggestifs que « Donc il faut choisir : ou on est s’ils étaient authentiques. En Lom- bardie, même lorsqu’il fait très froid, patriote ou on est chamane. » sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

DÉCHIFFRAGE Une anatomie des crises sanitaires

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Les crises sanitaires ne sont pas la moitié des hémophiles ont ainsi une fatalité mais le reflet de nos contracté le VIH. Quasiment dans les sociétés modernes vouées à une mêmes temps, le dossier de « l’hor- production prodigieuse et crois- mone de croissance » a été au centre sante de richesses. Or, à crises de l’actualité entre 1982 et 1986. Selon sanitaires mondiales, il faut des l’Association des Victimes de l’Hor- politiques de régulation coopéra- par Lahsen Abdelmalki, responsable mone de Croissance (AVHC), plus de tives et mondialisées… du master 2 « Gouvernance des risques 120 jeunes sont morts de la Maladie environnementaux » (RISE), Université de Creutzfeldt-Jacob (MCJ). L’incuba- A pandémie de Covid-19 vient Lumière Lyon 2. Dernier livre paru : tion de la maladie pouvant dépasser opportunément nous rappeler « Le Commerce international », trente ans, ce nombre pourrait encore la récurrence, peut-être même éditions de Boeck, 2017 (en collaboration augmenter. Lla cyclicité, des crises sanitaires. avec René Sandretto) De son côté, le laboratoire Servier a été Jusqu’à récemment, ces dernières pre- confronté à deux grandes « affaires ». naient la forme de scandales locaux ou La première a éclaté dans la seconde nationaux, résultant le plus souvent en entretenant l’illusion que les risques partie des années 1980 autour de du non-respect par certains acteurs peuvent être à la fois définitivement l’Isoméride, un coupe-faim commercia- économiques des règles de vigilance mesurés, entièrement anticipés et par- lisé par ce laboratoire à partir de 1985. en vigueur au sein de leur profession faitement maîtrisés, l’expertise scien- Le produit a été totalement retiré de la (voir plus loin). La dernière grande tifique et l’action politique deviennent vente en septembre 1997 à la suite de crise du genre, celle que nous vivons, la source de bien des malentendus. la découverte de cas d’hypertension serait apparue chez l’homme entre la Nombre de décideurs politiques et artérielle pulmonaire. Il aurait fait plu- fin août et le début décembre 2019. Sa scientifiques peinent à comprendre sieurs dizaines de morts. La seconde particularité réside à la fois dans son que, dans notre société moderne, la affaire avait pour pivot le Médiator, un ampleur planétaire et dans sa vitesse production sociale de richesses est cor- adjuvant au régime du diabète mais de propagation. Au mois de février rélée à la production sociale de risques. largement prescrit comme coupe-faim. 2021, il est toujours difficile de dénom- D’où un cercle vicieux infernal. Il est à l’origine, pendant les trente-trois brer le nombre de personnes qui en ans de sa commercialisation, de graves sont (ou en seront) les victimes. On UNE SUCCESSION DE SCANDALES lésions cardiaques ayant entraîné plus sait en revanche qu’elle s’est étendue SANITAIRES. Le dossier du « sang de 2 100 décès, selon une expertise irréversiblement, et de façon inégale, contaminé » est celui qui a le plus et judiciaire. Un procès exceptionnel, tant à toutes les régions du monde. le plus tôt défrayé la chronique. C’est par sa durée que par le nombre de Au caractère systémique des crises la première crise du genre à avoir personnes impliquées, s’est tenu en sanitaires répond la peur tout aussi fait autant de bruit en France. Alors septembre 2019. systémique des citoyens, lesquels que la contamination remontait aux Il faut aussi évoquer la Dépakine, un espèrent de la une protection années 1983-85, il a été découvert en antiépileptique du laboratoire Sanofi. infaillible et des décideurs politiques 1991 seulement que le Centre Natio- Ce produit est au centre d’un scandale l’engagement en faveur de politiques nal de Transfusion Sanguine (CNTS) sanitaire qui a éclaté en 2015, après sanitaires parfaitement prévisibles, distribuait aux hémophiles du sang qu’eurent été observées des malforma- transparentes et efficaces. Toutefois, infecté par le virus du Sida. Environ tions chez les enfants de femmes sous sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

traitement pendant leur grossesse. Un comme un cas d’espèce, au lieu de les sont désormais pressées de se préoccu- dispositif d’indemnisation des victimes aborder comme des composantes d’un per des conditions sanitaires, environ- a été confié à l’Office National d’In- même problème de nature plus vaste. nementales et sociales qui président demnisation des Accidents Médicaux L’évidence s’impose, les crises sani- à ladite production des richesses. La (ONIAM) en juin 2019. Il prévoit un taires deviennent d’autant plus glo- nature et la vie humaine qui avaient budget de près de 80 millions d’euros bales que l’économie et la société peu (ou pas) de valeur jusqu’ici en ont à verser aux victimes potentielles. deviennent mondiales. Cette réalité davantage dorénavant. Ces scandales arrivent plusieurs impose que la création scientifique, Cette évolution produit des consé- années après la tragédie du Thalido- la production de biens publics mon- quences sociales inédites. Davantage mide, médicament fabriqué en Alle- diaux (matériels médicaux, médica- de consommateurs s’orientent vers les magne et qui était prescrit, entre la fin ments, etc.) et les politiques sanitaires produits naturels incarnant une image FOND des années 1950 et le début des années soient conduites de manière coopé- de terroir et de tradition censée les BRUITSDE 1960, comme antidote aux nausées rative, sinon, au minimum, de façon rassurer. La demande de « naturel » 7 matinales, aux maux de tête et aux coordonnée, à l’échelle mondiale. En ne renvoie pas seulement aux aspects insomnies. Il a provoqué le décès de effet, nous sommes engagés dans des techniques mais également à des nombreuses femmes enceintes et des mutations profondes qui affectent non aspects symboliques. Dans l’imaginaire malformations chez des milliers de seulement les sociétés européennes collectif, les produits « naturels » font nouveau-nés dans plusieurs pays d’Eu- contemporaines mais aussi toutes les écho à la notion de terre nourricière rope. Dans une résolution adoptée en autres, en proportion des rapports et, par-là, à quelque chose qui immu- décembre 2016, les députés européens qu’entretiennent les premières avec les nise contre les peurs de l’avenir. La ont demandé que les États membres de secondes. Au centre de ces mutations, demande de tels produits correspond l’UE veillent à une indemnisation équi- il y a la force et la vitesse des progrès en quelque sorte à une recherche de valente à celle versée en Allemagne. De scientifiques et des changements tech- sécurité affective, au besoin de savoir son côté, la Commission européenne a nologiques. Il y a aussi le fait que les d’où proviennent les biens que nous mis en place un programme européen chaînes de valeur des laboratoires et consommons. de soutien aux victimes. Ces décisions des entreprises industrielles et com- Il reste que la sécurité affective et/ou préfigurent les politiques sanitaires de merciales sont devenues mondiales. Il individuelle ne suffisent pas. Il faut prévention et de traitement des crises, en résulte un enjeu décisif en termes de aussi la sécurité collective face à des aujourd’hui en , demain à mutualisation des risques, aux niveaux risques qui planent, étape après étape, l’échelle internationale. à la fois européen et international. sur l’humanité tout entière. Beaucoup de crises récentes ou actuelles sont VERS UNE APPROCHE RENOUVE- ET LES DIFFÉRENTES COMPO- imputables non à des manipulations LÉE ET GLOBALE DES RISQUES SANTES DE LA SOCIÉTÉ DANS scientifiques mais à un usage perverti ET DE LEUR GOUVERNANCE. Para- TOUT CELA ? Visiblement, la société des connaissances scientifiques et des doxalement, la médiatisation de ces est amenée à endosser un poids crois- progrès technologiques : détournement événements ne contribue guère à en sant dans la dynamique des crises et des produits médicaux de leur véri- faciliter la compréhension. Certes, les de leur dépassement. C’est la consé- table usage comme ce fut le cas avec le médias constituent un outil majeur quence du fait que l’incertitude créée Médiator, accent mis sur la productivité pour révéler certains scandales avérés par la mondialisation alimente une entraînant la concentration des éle- que des opérateurs souhaiteraient taire appréhension de plus en plus forte vages ou économies sur la thermisation ou minimiser, afin d’éviter une chute du « cosmopolitisme ». Ce terme doit des farines animales dans le cas de de leur réputation ou de leur activité. être compris comme l’émancipation l’ESB. Ces crises s’enclenchent ou se Toutefois, il règne aussi une très vive du jeu des firmes, du fonctionnement répandent car les politiques coopéra- concurrence entre les médias. La quête des marchés et même des logiques qui tives susceptibles de leur faire barrage d’audience peut conduire certains à gouvernent les politiques publiques des font cruellement défaut. Il en résulte des surenchères et à une dramatisa- cadres locaux et nationaux. En consé- que l’avenir est à des politiques sani- tion des faits, notamment à travers des quence, plusieurs franges de la société, taires conçues à l’échelle internatio- titres choc traduisant mal la complexité en premier les plus vulnérables, se nale. La diplomatie coopérative des de certaines questions scientifiques ou sentent réellement ou virtuellement États et le rôle des institutions inter- sanitaires. Il peut en résulter des réac- menacées par ce qui est considéré nationales – telle l’OMC 1 – ont encore tions sociales disproportionnées par comme une perte de souveraineté. un bel avenir… ◆ rapport aux risques encourus. L’effet D’où un rejet persistant de la dyna- pervers du traitement médiatisé des mique de la mondialisation et un repli 1 - L’Organisation mondiale du commerce est le « gendarme » du commerce international. Créée crises sanitaires réside aussi dans vers les sphères intérieures des États. en 1995, elle a son siège à Genève. 164 pays en font le fait que les médias abordent cha- La France et l’Europe, qui s’attachaient actuellement partie. Son principal objectif est de favoriser, par la négociation, la libéralisation des cune des crises isolément, chaque fois dans le passé à produire des richesses, échanges des biens et des services. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

TOUT UN MONDE Japon : une agriculture, quoi qu’il en coûte ?

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Mars 2011. Le Japon connaît Pour les autorités, la réhabilitation l’une des catastrophes les plus du territoire devait passer par l’agri- tragiques de son histoire. Trois culture, érigée en priorité politique drames touchent alors simulta- quoi qu’il en coûte. Le pays devait nément l’archipel : le plus impor- montrer à ses voisins, en particulier tant séisme enregistré au large aux plus inquiets quant à la sécurité de ses côtes, un tsunami dont la sanitaire des produits nippons, qu’il vague, haute de trente mètres, était capable de se relever d’un tel pénètre sur dix kilomètres à choc. La délégation coréenne pour les l’intérieur des terres, détrui- par Matthieu Brun, responsable des Jeux olympiques de Tokyo 2020, par sant tout sur son passage, et une études au club Demeter, chercheur exemple, avait annoncé vouloir venir contamination radioactive à la associé à Sciences Po Bordeaux, avec ses propres denrées pour nourrir suite d’un accident nucléaire. En codirecteur de l’ouvrage annuel ses athlètes. Il fallait aussi rassurer plus de leur dimension funeste, Le Déméter (Iris éditions). la population afin de tuer dans l’œuf ces trois catastrophes affectent tout débat sur l’énergie nucléaire, sa durablement le secteur agri- sûreté et ses conséquences sur la vie cole et agroalimentaire. Dix fondément souffert du tsunami et de quotidienne des habitants. Réhabiliter ans après, la volonté politique la contamination radioactive, cette Fukushima et en refaire une zone de réhabiliter l’agriculture du dernière ayant touché 80 % des terres agricole viable a aussi été l’occasion département de Fukushima agricoles. En plus d’être polluées par d’expérimenter des techniques adap- reste forte, mais quels en sont les marées noires, les exploitations tées à un milieu contaminé pour pro- les objectifs ? Améliorer la sécu- aquacoles ont été emportées, les éle- duire des denrées comestibles. Du rité alimentaire du pays ? Sou- vages abandonnés et près de 21 000 moins en théorie car, si les produits tenir une population agricole hectares de rizières détruits. Le bilan peuvent être consommés, vivre dans vulnérable ? Redorer une image est amer. Pour le seul département de une telle zone et exploiter l’ensemble du Japon toujours écornée par Fukushima, les dégâts pour le secteur des ressources ne se fait pas sans cette catastrophe ? agricole se chiffrent à plus de deux crainte pour les producteurs, dont milliards d’euros. une partie n’a pas souhaité revenir L’AGRICULTURE POST-FUKU­ Dix ans plus tard, la situation écono- sur ses exploitations. SHIMA : PRODUIRE EN ZONE mique et productive a enfin été sta- HOSTILE. Si le département de bilisée. La production et les ventes NOURRIR LE PAYS OU GOMMER Fukushima­ n’est pas réputé comme de la région ont même dépassé leur LES ÉCARTS VILLE-CAMPAGNE ? une zone de production majeure pour niveau de 2010. Seuls 12 % des Japo- Lorsque la catastrophe de Fukushima le pays, certains produits originaires nais affirment encore hésiter à ache- frappe, les autorités ne sont pas de cette région située à 150 kilo- ter des produits en provenance de inquiètes pour la sécurité alimen- mètres de Tokyo jouissent toutefois cette zone. Un résultat obtenu au prix taire du pays, puisque cette région d’une bonne renommée : ses fruits d’efforts colossaux, notamment un y contribue peu. Rappelons-le, le rouges, pêches et autres produits de programme de décontamination des Japon importe alors la majorité de la mer sont appréciés dans tout le sols, toujours en cours, pour un coût ses denrées alimentaires (5e impor- pays. Reste que ces activités ont pro- de plus de vingt milliards d’euros... tateur mondial). Le taux d’auto- sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

suffisance calorique, qui avoisinait zones décontaminées, l’enjeu reste de soixante-cinq ans (dans certaines les 80 % en 1960, n’est plus que de le même, maintenir une population préfectures comme Hiroshima ou 37 % en 2018. Si l’archipel est quasi rurale et un revenu paysan élevé. Yamaguchi, ce taux monte à 75 %) ; autosuffisant en riz, il importe des au niveau national, l’âge moyen des produits de la mer, des viandes, des UNE AGRICULTURE SANS AGRI- agriculteurs atteint soixante-sept ans produits horticoles et des céréales CULTEURS ? La souveraineté ali- (quarante-neuf en France). En outre, en provenance des États-Unis, de la mentaire du Japon passera donc seuls 20 % des agriculteurs exercent Chine, de l’Australie et du Canada. toujours plus par les marchés interna- cette activité à temps plein, avec le Autant de produits introduits après tionaux. Tokyo semble avoir fait une risque d’une compétitivité limitée le décollage économique des années croix sur son autosuffisance tant les dans le futur. À cela s’ajoute une très 1960, qui a entraîné des change- enjeux et les contraintes sont grands faible croissance démographique. FOND ments dans le régime alimentaire des pour son secteur primaire. Deux fac- Résultat, les jeunes seront toujours BRUITSDE Japonais. Répondre aux besoins de teurs limitent le développement de moins nombreux, y compris pour 9 ses 126 millions de citoyens pousse l’agriculture : la géographie du terri- travailler en agriculture. À l’instar d’ailleurs le pays à ménager ses alliés toire ainsi que le vieillissement et la d’autres secteurs comme les services et à adopter une diplomatie permet- diminution de la population agricole. ou la santé, l’agriculture japonaise tant de garantir ses approvisionne- En raison de l’urbanisation mais devra envisager d’accueillir des tra- ments alimentaires. Tokyo le fait avec surtout d’un relief aux nombreuses vailleurs étrangers alors que le pays la Chine, l’Union européenne ou les pentes, les terres arables repré- reste très réticent à l’immigration. puissances indopacifiques et signe sentent seulement 12 % du terri- En outre, ces mêmes exploitations de des accords commerciaux qui pré- toire (54 % en France). À l’exception moins de deux hectares ne sont pas voient des réductions de droits de de l’île d’Hokkaido, au Nord, qui financièrement capables d’acquérir douane sur les produits agricoles. accueille les plus grandes exploita- la technologie d’agriculture de pré- Ces stratégies sont le fruit des choix tions agricoles, partout ailleurs le cision promue par les autorités pour politiques qui ont prévalu dans les peu de terre disponible est fragmenté moderniser les exploitations, comme années 1960. L’objectif n’était alors en de nombreuses exploitations de les robots, les drones et l’internet des pas de garantir la sécurité alimen- taille insuffisante (1,6 hectare en objets, IoT (Internet of Things). taire (volumes importants et prix moyenne) pour réaliser les investis- Si elle n’attire pas de jeunes talents, bas) mais, avant tout, de produire sements nécessaires à un accroisse- la transition environnementale et de la valeur agricole pour accroître ment de leur productivité (matériel, numérique de l’agriculture au Japon et diversifier le revenu des agricul- intrants). Cette parcellisation aux intéresse un nombre croissant d’ac- teurs et limiter l’écart croissant de nombreux effets négatifs a pourtant teurs d’autres secteurs industriels, développement entre la ville et la été activement encouragée par les en particulier depuis la libéralisation campagne. Depuis soixante ans, politiques publiques japonaises, en engagée par l’ancien premier ministre les agriculteurs ont misé sur des raison de l’histoire foncière du pays, Shinzo Abe. Toyota mise par exemple productions exotiques avec des dont la réforme de 1946 qui a interdit sur les technologies de l’information spécialisations territoriales à forte aux entreprises privées de posséder pour augmenter la productivité de valeur ajoutée (mandarine d’Ehime, des exploitations. En 2009, la loi a l’agriculture japonaise et développer pommes d’Aomori, etc.). Des den- été assouplie… Aujourd’hui, face aux son image à l’international autour rées de luxe, vendues à la pièce dans défis agricoles du pays, le gouverne- du made in Japan, quand Mitsubishi des emballages soignés, notamment ment souhaite favoriser la concen- se lance dans la viande cultivée avec pour des occasions spéciales. Cette tration des exploitations. la start-up israélienne Alpeh Farms. stratégie de montée en gamme, par- Dans le même temps, près de 100 000 D’autres conglomérats, comme fois associée à une diversification, hectares de terres arables sont lais- Fujitsu, misent sur les fermes-usines avec de l’élevage par exemple, n’a sés à l’abandon, faute de produc- pour produire des fruits et légumes cependant pas permis de mainte- teurs. Les petites exploitations sont en contrôlant l’usage des ressources. nir une population suffisante dans en effet aujourd’hui gérées par une Mais, aujourd’hui, moins d’une ferme les campagnes. Dix ans après la population agricole vieillissante, de hydroponique sur deux est rentable, catastrophe de Fukushima, alors moins en moins nombreuse, dont ce et encore grâce à des subventions que le gouvernement fait tout pour n’est souvent pas l’activité principale. publiques et presque exclusivement que la population revienne dans les Plus de 60 % des agriculteurs ont plus sur des produits « de luxe » comme des laitues, vendues 20 à 30 % plus cher que leurs équivalents classiques. « Plus de 60 % des agriculteurs Si demain la technologie doit sauver l’agriculture japonaise, une question ont plus de soixante-cinq ans. » demeure : qui en paiera le prix ? ◆ sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

LE JOUR D’AVANT La recherche agronomique dans la globalisation agricole, alimentaire et FOND

BRUITSDE 10 environnementale (1992-2010)

VEC la réforme de la Pac de montre avec éloquence, la globalisa- 1992, suivie de la création de tion ne se cantonne plus seulement l’OMC en 1994, c’en est fini aux jeux de l’échange de marchan- Ade l’alliance modernisatrice dises : elle concerne désormais le com- entre politiques publiques et recherche merce de l’homme avec la nature. Il agronomique. Ce sera désormais s’agit d’écrire, ni plus ni moins, un au marché de réguler l’économie nouveau contrat social, doublé d’un de l’innovation. Des lendemains qui « contrat naturel », comme le propose déchantent pour l’Inra, intimé de pro- Michel Serres en 1990. duire des connaissances brevetables ; Pierre Cornu et cela sans plus de relais politique, POSITIONNER L’INRA DANS ni à ni à Bruxelles, pour porter L’ESPACE EUROPÉEN DE LA une grande ambition agro-industrielle par Pierre Cornu, professeur RECHERCHE FINALISÉE D’EX- susceptible de valoriser les compé- d’histoire contemporaine et d’histoire CELLENCE. Loin de disqualifier la tences biotechnologiques et l’exper- des sciences à l’université Lyon 2, notion d’excellence scientifique, la tise économique forgées au cours membre du laboratoire d’études nouvelle gouvernance mise en œuvre des quinze années écoulées. Dans le rurales, en délégation à Inrae, et dans les années 1990 vise à la mise même temps, la défiance monte dans Egizio Valceschini, économiste, en synergie de celle-ci avec les finalités la société à l’égard du « progrès » et directeur de recherche à Inrae, sociétales et politiques de la recherche de ses innovations. Le monde agri- président du comité d’histoire Inrae. appliquée. Avec l’arrivée de Paul Vialle cole lui-même n’est pas épargné par à la direction générale de l’Institut en les remises en cause économiques et 1996, le « management stratégique » environnementales, et il se voit pris en nomiquement rationnel ne peuvent devient le maître mot de cette gou- étau dans les controverses sociétales plus suffire à guider un institut de vernance, dans un contexte tendu par montantes. recherche qui a déployé ses responsa- les crises sanitaires et par la crise de Devenu président de l’Inra à l’au- bilités de l’agriculture à l’alimentation confiance générale à l’égard de la tomne 1991, en pleine contestation et, de plus en plus, à l’environnement. recherche, sur fond d’opposition aux « paysanne » du nouvel ordre libé- Il ne s’agit plus « simplement » de OGM. ral, Guy Paillotin comprend que la produire des innovations, mais aussi Menée tambour battant en 1997- recherche agronomique publique doit d’inscrire l’agriculture française et 1998, la réforme de l’organisation se réformer en profondeur. Bien sûr, européenne dans une trajectoire qui interne de l’Inra produit un renver- il doit trouver des réponses aux défis se distingue par la qualité des procé- sement historique du positionnement de cette nouvelle époque mais il lui dés comme des productions. Ainsi, le de la recherche agronomique : d’un faut aussi transformer le rapport de la président de l’Inra voit dans l’alliance ancrage solide dans la sphère de la recherche agronomique à la société et avec « le consommateur » le point production, elle se met en situation le positionnement de l’Institut vis-à-vis d’appui pour reconstituer des chaînes d’accompagner une demande sociale du politique. Ce qui est technologi- de valeur compétitives. Cependant, multiforme – que la gouvernance de quement faisable et ce qui est éco- et la conférence de Rio de 1992 le l’Institut devra s’efforcer de rendre sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

cohérente en termes de recherche cité d’influence sur l’agenda des ins- en 1979, avait participé à la toute finalisée. Mais, compte tenu de la tances des gouvernances européenne première conférence sur le climat taille acquise par l’Inra et du mar- et mondiale ; 3) éviter un alignement à Genève, joue pour sa part le rôle ché unique européen en construction, complet des problématiques agricoles d’éclaireur de l’Institut au sein du cette cohérence ne peut plus se limiter et alimentaires sur les intérêts de l’in- GIEC (Groupe d’experts Intergouver- à l’espace national. dustrie dans la logique du marché. nemental sur l’Évolution du Climat). C’est donc vers l’Europe en phase Bertrand Hervieu, nommé président Au-delà de l’injonction éthique, c’est d’expansion à l’Est que l’Institut se en 1999, et Marion Guillou, directrice bien la place des sciences dans la tourne. De manière emblématique, générale en 2000, s’inscrivent réso- régulation d’une planète au bord du c’est à Bruxelles, lors d’une réunion de lument dans cette perspective. Pour collapsus qu’il s’agit de repenser, dans préparation du quatrième Programme donner à l’Inra à la fois visibilité et une décennie de toutes les alertes. FOND

Cadre de Recherche et Développement pertinence dans les débats internatio- BRUITSDE (PCRD), que Guy Paillotin annonce et naux, ils conçoivent et promeuvent le LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE 11 développe la nouvelle ligne interna- « tripode » agriculture, alimentation MONDIALE À L’HEURE DU CHAN- tionale de l’Inra, dans un discours et environnement. L’Institut doit non GEMENT CLIMATIQUE. Le volon- prononcé en 1994 : « La recherche seulement s’ancrer dans l’Europe, tarisme scientifique sur la question agronomique, qui est par essence mais il doit encore et surtout contri- alimentaire émerge dans un monde de nature stratégique, est soumise buer activement à un espace européen qui redécouvre la grande précarité ali- aussi bien à la pression académique de la recherche. Le vieux continent ne mentaire et sanitaire planétaire. Mais, qu’à la pression économique. Elle constitue plus une extériorité, mais pour que les organismes de recherche vit aujourd’hui de ce fait une ten- bien le périmètre de référence de la finalisée puissent prendre le relais sion exceptionnelle : le progrès des recherche française. des appareils d’État convertis au lais- sciences et des techniques agrono- Dans le cadre du consortium Euragri, ser-faire, il faut qu’ils réalisent ce que miques est extrêmement rapide, alors créé à l’initiative des Pays-Bas en 1988 ces derniers n’ont pas été capables même que la demande sociale dans pour apporter un appui scientifique de construire : un espace global de l’agriculture comme dans l’agroali- et technique à l’Union européenne, concertation et, si possible, de régula- mentaire connaît de véritables boule- l’Inra organise en décembre 2000, à tion, pour éviter un déséquilibre irré- versements1 ». Il n’y a plus d’un côté Versailles, une conférence réunissant versible du rapport entre populations, un monde académique et de l’autre un chercheurs européens et membres activités économiques et biosphère. monde économique, mais bien un seul de la Commission européenne. Les Pensée dès 2002 par le prospectiviste monde unifié par le principe de com- conclusions de la Commission ne Rémi Barré, et véritablement lancée en pétition dans le cadre de la nouvelle peuvent que ravir la direction de l’Ins- 2006, dans une étroite collaboration Pac et de l’OMC. « Dans cette situation titut : « En combinant excellence et entre l’Inra et le Cirad, la prospective de tension, le danger consisterait à se pertinence, l’espace européen de la Agrimonde est porteuse de l’ambi- réfugier dans l’une ou l’autre de ces recherche agronomique doit contri- tion de scénariser l’évolution de la deux positions extrêmes : renoncer buer à rendre ce secteur plus sensible question alimentaire à l’horizon 2050. à tout effort d’innovation – voire de à la demande du consommateur et Capitalisant sur l’intérêt suscité par la recherche – ou opérer une fuite en à améliorer de ce fait la perception publication en 2008 de ses résultats, avant dans l’exploitation aveugle des sociétale de l’agriculture en faisant l’Inra et le Cirad s’engagent en 2009 avancées technologiques actuelles2 », mieux comprendre sa contribution à dans le programme DuALIne, sur le diagnostique Guy Paillotin. la santé et à l’environnement. » thème de la durabilité des systèmes Le temps du prométhéisme agro-in- Pour l’Inra, il s’agit d’anticiper la jonc- alimentaires. Le projet accouche d’une dustriel est terminé, la recherche doit tion des problématiques de la pro- réflexion globale sur l’impasse du urgemment repenser ses relations à duction, de la consommation et de la modèle occidental, notamment sur des marchés fluctuants et interconnec- santé des populations et des écosys- les produits carnés, et sur l’échec du tés, y compris celui de la science. tèmes, comme l’y a incité, en 2002, principe du laisser-faire. Le marché le rapport d’Olivier Godard et de Ber- ne réalise pas les bons arbitrages et DE L’EUROPE AU MONDE, L’INRA nard Hubert sur le « développement le consommateur ne peut être respon- EN ÉCLAIREUR DU FUTUR. Au durable », rédigé dans le contexte du sabilisé au-delà d’un certain niveau. tournant des années 2000, les défis Sommet mondial de Johannesburg3. L’alimentation est bien le « fait total » les plus urgents pour l’Inra sont clairs : Bernard Seguin, chercheur en bio- qui appelle une réponse intégrative 1) atteindre l’excellence scientifique climatologie à l’Inra d’Avignon qui, d’un genre nouveau, plaçant pour internationale ; 2) accroître sa capa- la première fois dans l’histoire les 3 - Organisé par les Nations Unies, le sommet grands organismes de recherche, et 1 - Archive Inra, document dactylographié, 1994, mondial de Johannesburg, appelé aussi sommet notamment l’Inra, en situation de res- 5 pages, p. 1. du développement durable ou sommet de la Terre, 2 - Ibid. s’est tenu du 26 août au 4 septembre 2002. ponsabilité globale. ◆ sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

INSTANTANÉS La distanciation favorise le cannibalisme par Alain Fraval, OPIE-Insectes

Les chenilles de la pyrale et ses collaborateurs se sont servis de Dans ce cas, en effet, le voisin (indienne) des fruits secs, – alias cette peste domestique pour démontrer cannibalisé a toutes les chances d’être teigne des fruits secs, longtemps une hypothèse : le cannibalisme un cousin très proche et sa dévoration nommée Tinea, de son vrai nom Plodia est d’autant moins fréquent que nuirait à l’avenir de la parentèle plus FOND interpunctella (Lép. Pyralidé), ravageur les animaux se fréquentent de plus que le jeûne de l’individu.

BRUITSDE cosmopolite originaire d’Inde, la mite près. Théoriquement, les chances de C’est une sorte de comportement 12 alimentaire la plus commune –, vivent rencontrer un congénère proie dans altruiste, que l’on a déjà remarqué chez de nos chocolat, riz, froment, dattes un groupe resserré sont si fortes des bactéries et des parasites disposés séchées, marrons glacés et autres que s’en servir comme provende est dans des conditions de limitation de denrées stockées. En plus de leur désavantageux. leur dispersion. Et chez l’homme ? régime alimentaire très éclectique, Leur manip : élever des lots de Il apparaît moins égoïste quand il elles ne dédaignent pas se dévorer chenilles dans des milieux alimentaires est élevé dans des grandes familles entre elles. Pourtant ce n’est pas, de différentes viscosités, permettant avec beaucoup d’interactions. Et en comme on a tendance à le croire, une ou freinant leur dispersion. Au bout présentiel par rapport au distanciel ? ◆ caractéristique de l’espèce, une fatalité de dix générations, le cannibalisme a http://www.insectes.xyz/epingle21.htm pour des individus affamés. Mike Boots fortement décru dans le milieu dense, Article source (lisible gratuitement) : (université de Californie, États-Unis) où les chenilles sont restées groupées. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ele.13734

Poids lourd sur voie de garage par Tom Lines, spécialiste britannique du commerce agricole

Comment interpréter la dans le deuxième pilier de la PAC. Avec nouveaux débouchés, l’impact néfaste trajectoire d’un gros poids peut-être pour résultat une agriculture sur les pêcheries malgré les jolies lourd qui, à la suite d’une altercation, consolidée, avec des sols en meilleure promesses sur les eaux nationales quitte son dépôt sans aucun plan condition, mais réduite en surface, avec récupérées. Dernier accrochage ? La routier, roule de manière erratique quelques terres restituées aux marais Commission européenne lance deux accrochant au passage de multiples et aux forêts naturelles. procédures contre le Royaume-Uni obstacles et, après moult collisions, Reste que, en quittant la puissance pour violation de l’accord du Brexit par tente de poursuivre sa course tout commerciale qu’est l’UE, c’est du des décisions unilatérales concernant cabossé, moteur hoquetant ? Tel est côté des échanges que les accidents le cas particulier de l’Irlande, avec d’un le chemin qu’emprunte la situation de route sont les plus nombreux. À côté l’Irlande du Nord, qui reste de agroalimentaire d’un pays conduit par commencer par l’élection de Joe Biden facto dans le marché unique et l’union les forces qui ont entériné le Brexit. qui étouffe tout espoir d’un accord douanière, ce qui induit des contrôles L’objet de l’altercation dans ce commercial rapide (mais risqué pour douaniers sur le fret en provenance cas précis ? La politique agricole l’agroalimentaire) avec les États-Unis. de Grande-Bretagne, de l’autre la du « dépôt » bruxellois, que les Sans oublier, après le 1er janvier République d’Irlande, membre de l’UE. propriétaires du camion n’ont jamais 2021, les chicanes qui entravent De telles provocations ne forment appréciée. Dans leur esprit, quitter le parcours, avec les nouvelles pas une base fiable pour les l’Union européenne ouvrait des voies paperasses requises dès lors que nouvelles relations, d’autant moins plus alléchantes. Plusieurs voies, car le pays n’est plus ni dans le marché quand les ultras avaient négligé la politique agricole relève désormais unique ni dans l’union douanière, systématiquement la question politique de la responsabilité de chacune des ce qu’avaient réclamé les ultras du la plus sensible, celle de l’île de quatre parties du Royaume-Uni. Brexit, en martelant qu’il fallait se l’Irlande. Résultat ? Le Royaume-Uni Pour la plus importante – celle débarrasser du fardeau bureaucratique déstabilisé encore plus (sans oublier la de l’Angleterre –, Westminster a de Bruxelles. Patatras, une pléthore possibilité croissante de l’indépendance abandonné les paiements uniques et de documents douaniers pour écossaise) à cause d’une nouvelle entamé un approfondissement sérieux pouvoir exporter, la perte soudaine frontière commerciale entre la Grande- des principes écologiques introduits de marchés, l’incertitude quant à de Bretagne et l’Irlande du Nord. ◆ sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

Deux Pater et un Ave

Pour nommer la pauvreté, notre langue n’a jamais été avare. Il y eut longtemps la cohorte des gueux, des indigents et des nécessiteux FOND avant que tout s’accélère. Le « quart- BRUITSDE monde » d’abord, dans les années 13 1970, les « nouveaux pauvres » la décennie suivante, suivis par les « exclus »… Et voilà qu’aujourd’hui nous entrons de plain-pied dans l’ère des « précaires ». Une précarité financière, alimentaire, sanitaire, énergétique, qui va bien au-delà de la seule insuffisance monétaire. D’ailleurs, elle ne se mesure pas seulement à l’aune du fameux seuil de pauvreté – 60 % du revenu moyen, soit 1 063 euros mensuels par personne. Remontons les époques pour mieux comprendre, quand l’adjectif précaire apparaît, au Moyen Âge, pour qualifier principalement une terre. Pas n’importe laquelle, uniquement celle qui a été concédée par un plus puissant, le noble à l’égard du paysan, l’église vis-à-vis des hobereaux désargentés. Il fallait sans doute faire bien des manières pour obtenir un tel usufruit. Implorer, courber l’échine, plier le genou… Cela ne vous rappelle rien ? Oui, c’est bien de la prière – precarius en latin – que vient notre précaire ! Une supplique dont le résultat laissait conséquences du Covid. Si un Une épée de Damoclès que résume souvent à désirer, foi d’agnostique, arrêté de 1992 définit les catégories également l’idée de vulnérabilité : d’où le glissement de sens vers dites précaires – chômeurs, la possibilité d’être blessé (du latin l’instable, le fragile, l’incertain. Tiens, bénéficiaires du RMI, sans domicile vulnus, blessure). Normal, dès lors, exactement ce qui caractérise notre fixe, titulaires de contrat emploi que les « précaires » aient remplacé société actuelle, où la précarité solidarité, 16-25 ans en insertion les « exclus », puisque c’est au sein s’insinue dans presque toutes les professionnelle – soit déjà quelque même de notre système que se couches de la population et pas 3,7 millions de personnes en 2018, il fabrique l’insécurité. La cinquième seulement chez les plus pauvres. peine à circonscrire le phénomène ; puissance économique mondiale n’a La « flexibilisation » du travail, entre car que dire de certains travailleurs pour réponse que l’appel aux dons autres, est passée par là avec son indépendants, de CDI peu protégés, et le « pognon de dingue » des aides cortège d’intérimaires et de contrats de jeunes hors insertion ? Bref, de sociales. Vous me ferez deux Pater et à durée déterminée. La panne de tous ceux qui, fort légitimement, un Ave. ◆ l’ascenseur social aussi, la montée ressentent la fragilité de leur du chômage, le délitement des liens statut, craignent la chute sociale, sociaux et, depuis un an, les multiples s’imaginent potentiellement pauvres. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

INSTANTANÉS Stocker l’eau sous pression politique

Pas facile de trouver une issue coopérative. L’idée d’un syndicat mixte joueront un rôle décisif dans la gestion entre pro et anti-barrage à pour passer à la phase opérationnelle de l’eau. Le bouillant pépiniériste Sivens (Tarn) 1. Surtout dans un du « projet de territoire » fait son de Villeneuve-sur-Lot a décidé de contexte préélectoral. Contrairement chemin dans la vallée du Tescou. se présenter aux élections avec ses aux attentes de la FDSEA et de Ce sont les élus départementaux troupes syndicales dans la plupart FOND Maryline Lherm, maire de L’Isle-sur- du Tarn et du département voisin du des cantons du département. Le

BRUITSDE Tarn et conseillère départementale, Tarn-et-Garonne qui devront le mettre syndicaliste reste toutefois sous la 14 Bérangère Abba n’a pas tranché en œuvre, avec les maires élus en menace d’une peine de prison ferme le nœud gordien en imposant la 2020 dans les quatorze communes pour avoir barré le cours du Tolzac construction d’une nouvelle retenue traversées par le Tescou. d’une digue sans s’embarrasser des dans la vallée du Tescou. « Pas À la tête de la chambre d’agriculture nouvelles règles de concertation question de passer en force » a répondu du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet- post-Sivens. Son procès en appel est en effet la secrétaire d’État à la Cassagne (Coordination rurale) a bien prévu en juin, en même temps que le biodiversité, qui assistait le 30 mars en compris que les collectivités locales scrutin. ◆ téléconférence à une nouvelle réunion de l’instance de coconstruction (ICC) mise en place après la mort de Rémi Fraisse en 2014. Un médiateur va être nommé et Le Muséum déplace d’ultimes études sont en cours pour répertorier précisément les zones les limites humides dans le bassin versant de cette petite rivière, régulièrement Quel discours adopter pour envisager un futur ni à sec en été. Les associations technolâtre, ni apocalyptique ? L’invite est lancée par le environnementalistes associées à la Muséum national d’histoire naturelle, à travers son quatrième concertation sont prêtes à reconnaître Manifeste, « Face aux limites ». De celles qui nous structurent un déficit hydraulique dans la vallée. – typiquement nos cellules, notre organisme, notre finitude – Un « consentement », à défaut d’un à celles des écosystèmes. Limites le plus souvent ignorées, réel consensus. Les naturalistes méprisées, déjouées. Prenez « l’imposture transhumaniste », et les écologistes refusent toujours grand fantasme visant à abolir les quatre maux rythmant qu’un ouvrage soit érigé sur des zones l’existence depuis l’aube des temps : la naissance, la maladie, humides qui font office d’éponges la vieillesse et la mort. Un ultime stade des systèmes naturelles. économiques capitalistes, où « l’accumulation de richesses Pour des élus locaux comme Maryline autorise les plus forts à s’abstraire des limites que rencontrent Lherm, la diplomatie de l’eau initiée les sociétés ». Promu par ceux-là mêmes qui investissent des en 2017 n’a que trop duré. Les travaux milliards dans la colonisation de l’espace : on ne sait jamais, si de l’ICC, prévus initialement pour une la terre devenait invivable à force d’épuiser ses ressources. La durée de six mois, devaient aboutir à catastrophe est-elle à ce point inéluctable ? C’est en tout cas le un « projet de territoire ». On recense scénario clamé par la « collapsologie fataliste et désespérée » quarante de ces projets sur l’ensemble et son interprétation « caricaturale », hypertrophiée, des du territoire du bassin Adour-Garonne. conséquences du dépassement des limites. Que faire, alors, Dans le Tarn, la concertation a fait face à ces « extrêmes de la conscience » ? Le Muséum suggère émerger des pistes intéressantes pour de recomposer les limites, d’œuvrer à l’émergence de futurs une agriculture « de proximité » en raisonnables. Ainsi, saisir la prospective comme une occasion de circuit court. Il semble plus facile de « ne pas se laisser déborder par la densité de l’événement présent, négocier de l’eau pour du maraîchage ni à se laisser emporter par les utopies ou le fatalisme ». En bref, destiné aux cantines scolaires que pour bâtir collectivement l’avenir, en se parant d’humilité et de lucidité. du maïs semence livré à une grosse Et si, comme le soutenait Platon en son temps, c’était dans la mesure et la proportion que se trouvaient partout la beauté et la 1 - Lire sur le blog de Sesame : https://revue- vertu ? Un souffle qui a de quoi redonner des perspectives et un sesame-inrae.fr/stocker-pour-irriguer-bon-sens- paysan-ou-fuite-en-avant/ horizon à ce présent brouillé par la crise sanitaire. ◆ sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

FOND

BRUITSDE 15

BLAN CHE CARTE sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

COVID, CROYANCES ET RÉCITS

HEURT Microbes : EST-IL? HEURT EST-IL? QUEL comment se fabriquent QUEL 16 les récits ?

par Sylvie Berthier et Valérie Péan

De Pasteur à aujourd’hui, le regard sur les virus et les bactéries n’a C. B. : Dans la deuxième moitié du cessé de changer, au gré de logiques scientifiques, sanitaires, écono- XIXe siècle, le développement de miques et politiques. Récit à deux voix avec Charlotte Brives, anthro- la microbiologie avec entre autres pologue des sciences et de la santé, CNRS-centre Emile-Durkheim, les travaux de Louis Pasteur et et Thierry Wirth, microbiologiste, évolutionniste au Muséum national de Robert Koch débouche sur la d’histoire naturelle/École pratique des hautes études. théorie des germes. Pour simplifier, un germe égale une maladie, une Avez-vous été surpris par le C. B. : C’est vrai de tous les virus. causalité qui guidera une grande surgissement de cette pandémie ? La réponse du corps humain à partie de la santé publique du XXe Thierry Wirth : J’ai été surpris par un pathogène dépend de l’état siècle. Le microbe, alors considéré son ampleur planétaire, avec plus de général physiologique, de facteurs comme forcément mauvais, est 130 millions de personnes touchées, génétiques, socioéconomiques… combattu jusqu’à l’outrance, par y compris les Européens et les Nord- Ainsi, aux États-Unis par exemple, l’hygiène et l’asepsie à grand Américains, jusque-là peu sujets à ce sont les populations noires renfort d’antibactériens. Puis, pour ce genre d’événements épidémiques. américaines qui semblent les plus aller vite, au début du XXIe siècle, Rappelons qu’en 2020 la Covid-19 touchées. Les chiffres disponibles en l’essor de la métagénomique, qui va a tué plus de deux millions de France montrent également de fortes permettre un séquençage massif, personnes et est devenue ainsi le disparités en fonction de la qualité met en lumière ce que certains premier pathogène mondial devant des infrastructures sanitaires locales, savaient déjà, à savoir que les la tuberculose – un million et demi des catégories socioprofessionnelles, microbes sont partout et qu’il y en de morts chaque année –, la malaria des conditions de logement, etc. a de « bons », par exemple dans le et le sida. C’est le killer number one. Disons que ces vulnérabilités sont microbiote intestinal. Mais ce qui est Et ce n’est hélas pas fini… rendues d’autant plus visibles que un peu gênant dans ce grand récit le monde est devenu un laboratoire c’est qu’il masque le décalage entre Charlotte Brives : Me concernant, la à ciel ouvert et que nous disposons la production des savoirs et leur surprise est plutôt venue de l’ampleur d’une quantité importante de utilisation. En effet, dès l’origine, des dysfonctionnements dont on données. les connaissances en écologie n’avait pas conscience. La marche à microbienne ou en épidémiologie ont flux tendu de notre société a soudain Pourriez-vous retracer à grands produit des conceptions beaucoup été rendue visible, révélant les traits l’histoire des relations entre plus subtiles que la seule vision fragilités auxquelles elle nous expose. les hommes et les microbes en un microbe/une maladie. Prenons Occident ? De Pasteur au microbiote, Pasteur. Certes, il est le père de la Ce virus provoque des réponses très y a-t-il eu un changement de regard vaccination et de l’hygiénisme mais il différentes selon les individus, ce sur ces « petites vies » forcément avait conscience du fait que l’humain qui ajoute à l’incertitude. mauvaises qu’il fallait éradiquer ? ne peut pas vivre sans microbes. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

par la Nobel française Emmanuelle Charpentier et qui ont révolutionné l’ingénierie génétique1.

Depuis longtemps, le grand récit régnant en Occident est celui de notre domination de la nature, d’une conception du vivant extrêmement cloisonnée. Tous ces nouveaux savoirs ne viennent-ils pas infléchir nos manières de penser ? HEURT C. B. : Là encore, il y a un décalage EST-IL? QUEL entre la production des savoirs et 17 la manière dont ils vont circuler en société. Il y en a un très bel exemple : dès les années soixante, Lynn Margulis a avancé que les mitochondries qui nous permettent de produire de l’énergie sont issues d’anciennes bactéries. En théorisant l’endosymbiose (une symbiose Ce qui est moins connu c’est qu’il a en 1928, et leur démocratisation où l’un des deux organismes se travaillé sur les fermentations à la dans les années 1950. Voilà pour retrouve contenu dans l’autre), elle a demande d’industriels, de la bière les grandes avancées. Après, il y a essuyé beaucoup de critiques et de notamment, qui rencontraient des les grandes rechutes : l’apparition scepticisme avant que la preuve soit problèmes avec « leurs » micro- des souches bactériennes faite qu’elle avait raison. De même, organismes. Ses recherches ont multirésistantes, comme c’est prenons les récits épidémiques. donc été guidées par des intérêts le cas pour la tuberculose ou le À grands traits, ils fonctionnent socioéconomiques et politiques. staphylocoque doré qui résistent en trois temps : l’émergence d’un Même si, actuellement, nous de plus en plus aux antibiotiques. virus qui, tapi au fond de la jungle, mettons la focale sur les pathogènes Et puis, il y a l’émergence des attendrait quelqu’un pour lui sauter et la santé publique – c’est légitime, zoonoses, les perturbations de dessus ; puis sa diffusion, parfois il faut les traiter –, ce grand récit l’environnement, les ruptures foudroyante ; enfin la résolution de des méchants microbes est en écologiques, dont le VIH a constitué l’épidémie, soit grâce à la découverte train de changer, pour des raisons un triste summum en 1984. d’un traitement soit par une perte de extrêmement complexes, qui ne Quant au retournement du regard virulence au fil du temps. Ces récits tiennent pas uniquement à l’irruption sur les microbes, par exemple en ont des effets impressionnants sur le du microbiote. Pour comprendre matière de flore intestinale, on doit type de mesures mises en œuvre. Ils l’histoire du XXe siècle, mais aussi aussi beaucoup à Craig Venter qui empêchent d’envisager des façons dans le contexte actuel d’une telle a lancé dans les années 2004-2006 de gérer une épidémie autres que épidémie, il est donc nécessaire de une expédition océanique pour l’affirmation des frontières corporelles prendre en compte l’articulation échantillonner toute la diversité et étatiques ou le traitement et la entre des logiques scientifiques, microbienne de la colonne d’eau, vaccination. Quant au modèle de sanitaires, économiques et permettant quasiment de quintupler domination de la nature par l’homme, politiques. l’information disponible dans les quand bien même les récits alternatifs banques de données mondiales montent en puissance, la façon T. W. : Déjà, passer de la théorie des (Gene bank), notamment sur dont ils peuvent s’incarner par des miasmes à la révélation physique des les procaryotes. Souvent, des changements sociaux, économiques bactéries a constitué un saut majeur, recherches sur des thématiques et politiques est beaucoup plus semblable au passage de l’alchimie environnementales viennent enrichir compliquée. De ce point de vue, je ne au XVIIe siècle à la chimie moderne celles relevant du monde de la suis pas particulièrement optimiste de Lavoisier. La découverte du BCG santé. Enfin, dernier saut quantique sur la vitesse de transformation et ses au début du XXe siècle est le premier dont il faut impérativement parler, conséquences. pas vers la maîtrise des bactéries. les fameux ciseaux génétiques Le deuxième c’est la découverte des (CRISPR) issus de la recherche sur 1 - https://revue-sesame-inrae.fr/crispr-cas9- antibiotiques par Alexander Fleming, les bactéries, découverts notamment surtout-ne-pas-couper-court-au-debat/ sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

À bas bruit, on a le sentiment que, rendu compte que les bactéries et les dans certains milieux, on passe du virus recombinent, avec des transferts discours de l’éradication du virus à horizontaux de gènes entre espèces. celui du « faire avec ». Penser les Le monde microbien est désormais interactions plutôt que l’élimination, vu en réseau. Ainsi, les nouvelles n’est-ce pas là le tournant majeur à versions du SARS-CoV-2 sont le fait venir ? de recombinaisons génétiques avec T.W. : « Faire avec » c’est une sorte d’autres virus de la même famille. de bon sens écologique, une forme Même si vous éliminez un virus, il est de sagesse si l’éradication est donc fort probable que certains de HEURT exclue. Après un certain temps, de ses gènes demeurent présents dans EST-IL? nouveaux équilibres naturels se d’autres populations virales. C’est QUEL 18 mettent en place. Qu’est-ce que l’histoire du vivant : Néandertal n’a l’immunité collective ? C’est le vaccin pas disparu au sens strict, puisque du pauvre, avec un coût élevé en chacun de nous possède aujourd’hui termes de mortalité. Par ailleurs, encore près de 2 % de ses gènes. Thierry Wirth l’interaction entre un pathogène et son hôte évolue. Les bactéries et les Justement, certains disent qu’un virus mutent, ils s’adaptent à l’hôte virus n’est pas un organisme vivant et réciproquement. Une coévolution « On aurait dû puisqu’il a besoin d’un hôte pour se qui entraîne des changements reproduire, se répliquer... parfois assez marqués, d’un côté commencer C.B. : Il n’y a pas un seul organisme vers l’atténuation de la virulence et sur terre qui soit capable de se de l’autre vers une augmentation de par là : reproduire tout seul ! Même les la résistance de l’hôte. Je pense à plantes entrent en symbiose avec des la syphilis : les premières infections un centre bactéries et des champignons. En fait, au XVIe siècle s’accompagnaient les virus sont plutôt les symbiotes de lésions monstrueuses, qui ont unique de ultimes : des êtres qui n’existent que quasiment disparu aujourd’hui. Et dans la relation. pourtant c’est la même maladie. séquençage » Simplement, en quelques centaines T.W. : Je suis évolutionniste de d’années, la bactérie et son hôte ont formation, j’ai un peu la même vision eu une trajectoire en ce sens. que : est vivant tout Quant à vouloir éradiquer les l’antibiorésistance. Comme le dit ce qui est évolutivement pertinent et bactéries ou les virus potentiellement l’historienne des sciences Hannah qui se réplique. C’est le cas des virus. pathogènes, c’est un peu illusoire car Landecker, nous avons les bactéries fondé sur une vision anthropocentrée. que les savoirs microbiologiques de Mais ces virus n’ont-ils pas un Or, la plupart du temps, l’homme la seconde moitié du XXe siècle ont statut particulier dans le monde n’est pas le réservoir naturel de contribué à créer. Et les bactéries microbien ? ces microbes, il n’en constitue d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir C.B. : La connaissance du monde qu’une niche occasionnelle, souvent avec celles d’avant l’irruption des viral est encore très lacunaire, y accidentelle. Regardez la peste. La antibiotiques. Point positif, cela compris pour des raisons techniques, majeure partie des gens pense qu’elle nous aide à conceptualiser le côté puisque décrypter le génome d’un a disparu, mais c’est faux, elle existe extrêmement relationnel du vivant. virus reste très compliqué du fait encore un peu partout, chez les chiens Quelles relations acceptons-nous des mutations permanentes. Je de prairie en Amérique du Nord, les et lesquelles refusons-nous ? Les travaille principalement sur les virus rats à Madagascar… et elle resurgit de questions à se poser sont tout autant bactériophages (dits « phages »), qui temps en temps chez l’homme suite à scientifiques que politiques. ne pénètrent que dans des bactéries. des piqûres de puces. Inoffensifs pour les humains, ils T.W. : Le récit scientifique des commencent aujourd’hui à être C.B. : Il nous faudrait non pas « faire bactéries connaît d’énormes utilisés pour soigner des infections avec », mais « vivre avec ». On changements. Il y a encore trente bactériennes résistantes aux l’a bien vu avec l’antibiothérapie : ans, il se résumait au fait qu’elles antibiotiques. Ces phages sont une vouloir éliminer à tout prix, en se divisaient par scissiparité, c’était sorte d’alliés dans la thérapie. Depuis préventif comme en curatif, crée un l’époque du tout clonal. Même chose une quinzaine d’années, les choses nouveau problème, en l’occurrence pour les virus. Peu à peu, on s’est bougent beaucoup en Europe dans sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

ce domaine. Ce qui est intéressant, séquencés au Royaume-Uni pour c’est qu’ils nous amènent à concevoir seulement une dizaine de milliers en la multiplicité des relations entre un France. Nous, nous excellons dans la virus et son hôte : ainsi, les phages diversification des structures et des peuvent se servir des bactéries baronnies, nous multiplions les appels pour se reproduire mais peuvent d’offres et saupoudrons les aides. aussi s’intégrer dans le génome Pour preuve, une carence inquiétante bactérien, pour lui permettre de de souches mulhousiennes, qui ont s’adapter extrêmement rapidement à pourtant joué un rôle cardinal dans l’environnement. Ils jouent là le rôle la pandémie française. On aurait dû d’immenses brasseurs de gènes. commencer par là : un centre unique HEURT Enfin, quand ils sont pathogènes pour de séquençage au niveau national, EST-IL? QUEL les bactéries, ils conduisent à leur avec des moyens substantiels. Et 19 destruction, c’est aussi bénéfique : que dire de notre budget recherche cela rend disponible de la matière et développement ? La sixième organique et des éléments comme puissance mondiale met 2,2 % de son Charlotte Brives le carbone, l’azote, le phosphore, etc. PIB, alors que la moyenne mondiale Ces composteurs du monde jouent un est de 2,27 %. L’Allemagne est à plus rôle écologique fondamental. de 3 %. Enfin, il faudrait rétribuer « Il y a décemment nos infirmiers, nos T.W. : C’est vrai, ces phages jouent un médecins, nos chercheurs. La plupart rôle majeur. Ce sont des médiateurs comme une des normaliens recrutés en thèse, globaux. Par exemple, ce sont des s’ils en font une, partent dans le privé, phages qui ont médié la distribution normalisation et ils ont raison. Bref, je crains que du gène de la protéorhodopsine dans nous ne soyons pas mieux préparés... différents phyla. Ce dernier permet du nombre aux bactéries d’utiliser la lumière afin C.B. : Il y a une dégradation complète d’activer des pompes à protons et de de morts de la recherche, des services publics synthétiser de l’ATP. en général. De plus, les individus Par ailleurs, il ne faut pas toujours quotidiens » ne réagissant pas tous de la même voir les virus et les bactéries comme manière au virus, il ne peut pas y avoir des ennemis. Ils jouent un rôle de solution miracle et unitaire. D’un essentiel dans le maintien des côté il y a une prouesse pour produire écosystèmes et l’homéostasie des record. Je soulignerai en passant des vaccins, de l’autre il aurait fallu systèmes vivants. Ils étaient là bien que le PDG de Moderna Therapeutics casser le système des brevets, en avant nous et seront là après nous. (qui a produit un des vaccins) est un faire un bien commun pour que Sauf que, dans notre inconscient Français, parti aux États-Unis. Dans toutes les structures de production collectif, demeurent les stigmates les ratés, c’est un florilège. Une s’en emparent afin de vacciner de millions de victimes de la peste fermeture tardive des frontières avec massivement. C’est un choix politique. médiévale. Rien qu’à Londres en 1348, une communication erratique sur les Il faudrait réinvestir très massivement quarante pour cent des habitants ont masques ; une campagne vaccinale dans le système de santé publique péri des suites de la maladie. poussive ; l’absence de verticalité afin d’absorber les vagues de dans les décisions de santé. Dans patients, car les soignants sont au Pour mieux se préparer à une beaucoup de pays très performants, bout du rouleau. Afin également que prochaine pandémie, quelles leçons les meilleurs scientifiques et l’ensemble de la population puisse tirer de cette crise ? Qu’a-t-on réussi, industriels pharmaceutiques ont été jouir de la même prise en charge de qu’a-t-on raté ? rapidement identifiés. Ils se sont vus qualité. C’est ici un principe d’égalité T.W. : Dans les réussites, la première réunis autour d’un projet commun et qu’il faut réaffirmer. Il y a comme une chose absolument remarquable, une manne budgétaire significative. normalisation du nombre de morts c’est la disponibilité des données Les Anglais ont donné vingt millions quotidiens. C’est très effrayant. Si on scientifiques sur le génome du de livres sterling aux meilleures considère encore que cela coûte trop SARS-CoV-2, très vite générées, équipes d’Oxford, de Cambridge, de d’argent d’investir dans les systèmes disponibles sur les plates-formes, l’Imperial College pour séquencer publics, demandons-nous combien l’accès gratuit à des publications les génomes. Résultat des courses, cela nous coûte économiquement de d’ordinaire payantes. Autre succès, aujourd’hui on compte plusieurs confiner et de mettre en place des celui des vaccins produits en un temps centaines de milliers de génomes couvre-feux. ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

COVID, CROYANCES ET RÉCITS Le coronavirus, un agent de révision des croyances ? par Francis Chateauraynaud et Mathieu Noël (groupe de sociologie pragmatique et réflexive, EHESS) HEURT EST-IL? QUEL 20 À propos des confrontations pratiques avec À L’ÉPREUVE DU SAVON, AU RAS DES CORPS. la pandémie… ou comment des pratiques La question d’un patient était intrigante : comment et des savoirs peuvent ou non se nourrir de un virus qui ne résiste pas au savon peut-il provo- l’expérience de la crise. quer une pandémie mondiale ? Prendre à rebours les logiques scientifiques, médicales et technocra- tiques par des questions impertinentes est toujours N janvier 2019, débutait une recherche collabo- légitime en démocratie. Comment répondre ? Les rative entre un sociologue et un médecin généra- innombrables mesures politiques et sanitaires, les liste, afin de jeter des ponts entre pragmatisme millions d’articles, de tribunes et de commentaires sociologique et pratique médicale. Un an plus ont créé tant de doutes et de critiques que la hié- tard, les premières alertes venues de Chine ont rarchisation des causes et des raisons a longtemps dérouté nos travaux, puis tout a basculé. Pour paru impossible. Ce processus critique peut-il in de nombreux médecins, l’arrivée du Covid-19 a fine contribuer à un changement de perspective d’abord été perçue comme une banale grippe. Vite sur la santé, la maladie et la médecine au XXIe réduite à néant, cette interprétation a cédé la place siècle ? L’impatience de retrouver le monde d’avant à un tsunami de questions et d’incertitudes. Les dans celui d’après, comme lorsque le ministre de praticiens ont alors découvert les lacunes de leur la Santé prédit en mars qu’à l’automne 2021 « la savoir, la difficulté de s’informer et la nécessité pandémie sera dans les livres d’histoire », pourrait Ed’ajuster leurs activités individuelles et collectives. bien faire rater la possibilité d’une « bifurcation ». À l’échelle du système de santé, d’énormes failles Si les connaissances médicales visent l’objecti- sont apparues, souvent imputées aux réformes vité, l’activité médicale investit autant de routines antérieures. Dans ce contexte, les échanges entre que de partis pris, de techniques éprouvées que médecin et sociologue ont changé de modalité : d’expériences singulières. En 2020, l’afflux d’avis interpréter un processus jusqu’alors inimagi- contradictoires a creusé le fossé entre l’objecti- nable exigeait de sortir des cadres habituels, en visme médical et la diversité des expériences : regardant comment des pratiques et des savoirs l’urgence d’une information actualisée, attisée par pouvaient ou non se nourrir de l’expérience de le jeu médiatique servant de caisse de résonance la crise. aux conflits de spécialistes, a aggravé une défiance préexistante face au discours médical. Dans sa fulgurance, le Covid-19 a affolé les systèmes d’in- formation. Comment, en pratique, s’y prennent « Au printemps 2021, médecins et patients, mais aussi les autres acteurs concernés, pour surmonter ces tensions ? Alors que le diagnostic est sévère : des polémiques ont saturé les lignes de communi- cation – des allégations du Pr Raoult au dévelop- instrumentalisée, pement du complotisme –, cette brève contribution met en avant un autre espace de préoccupations : la lutte contre la portée des expériences pratiques, saisies au ras des corps. la pandémie de Covid La logique médiatique favorise l’expression d’opi- nions tranchées. Face aux patients, la mise en a rompu avec l’idéal de demeure est encore plus pressante, qu’il s’agisse de l’utilisation d’un traitement ou de l’efficacité “démocratie sanitaire”… » d’un vaccin. Mais la crise est aussi l’occasion pour sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

HEURT EST-IL? QUEL 21

le médecin de changer d’attitude épistémique : la dos le scepticisme et le complotisme et toutes les trajectoire insolite du Covid impose de ne pas figer attitudes qui alimentent l’impuissance individuelle son jugement, de débattre de ce qui résiste et de ce et collective. qui peut évoluer, à différentes échelles et dans une temporalité incertaine. La hiérarchisation des pro- UNE CAPACITÉ D’AUTO-ORGANISATION blèmes évolue avec la relation médicale. Ainsi, le DÉLÉGITIMÉE. La politique de santé publique et Covid oblige à tenir ensemble la prise en charge de la pratique médicale, jamais parfaitement accor- la phase aiguë, la gestion de maladies chroniques dées, ne jouent pas sur les mêmes lignes de trans- et l’interprétation de symptômes inexpliqués. Par formation. Instrumentiste plus ou moins virtuose, ailleurs, les nombreux cas rangés désormais sous le médecin doit doublement trouver sa voie : impro- la catégorie de « Covid long » engagent un tra- viser avec ses patients et interpréter les normes vail de fond qui dépasse le temps de l’épidémie publiques. Il suffit d’un minimum de sens critique proprement dite, et qui exigent la mobilisation de pour deviner que l’énonciation de règles qui n’ont réseaux interdisciplinaires, de professionnels de pas été débattues ni soumises à des acteurs de santé comme des associations de malades. terrain conduit à des blocages, des oppositions, des Pour nombre de patients qui assument une vision conflits d’autorité et, surtout, renforce le pouvoir de alternative des défenses immunitaires et usent de collèges d’experts. Dans le cas français, un opaque pratiques de soins non conventionnelles, le recours conseil de défense aura imposé pendant plus d’un au vaccin n’est plus considéré d’emblée comme an une politique sanitaire dont le statut d’intérêt une hérésie mais comme un levier de sortie du général est sujet à caution. En monopolisant la brouillard, un élargissement du répertoire d’ac- prise de décision, sans passer par la discussion tion. Les doctrines sont ainsi réévaluées face aux publique, ce dispositif s’est exercé à délégitimer enjeux. Pour les acteurs, médecins et patients, le toute capacité d’auto-organisation issue des expé- sens pratique consiste à développer une pragma- riences pratiques. Un tel mode de gouvernement tique de la complexité, visant une approche plus aggrave les déficits de démocratie déjà observés graduelle et plus dialogique des signes, offrant avant la pandémie, rendant manifeste le glisse- plus de prise sur le processus, tout en changeant ment vers une gestion autocratique : confiscation potentiellement le rapport au savoir et à l’institu- du débat public, déploiement des forces de l’ordre tion médicale. C’est le moment d’ouvrir un vaste plutôt que la société civile, standardisation de solu- chantier de remise en question, ancré dans les pra- tions industrielles au détriment de l’expérimenta- tiques. Seul un dialogue ouvert à la conflictualité, tion collective des différentes façons d’exercer la qui ne ferme pas par avance les possibles, permet médecine et d’interpréter les études scientifiques. de construire des séquences d’intercompréhen- Au printemps 2021, le diagnostic est sévère : ins- sion. Reconnaître la portée de ce travail au corps trumentalisée, la lutte contre la pandémie de Covid à corps, d’expérimentation et d’apprentissage, a rompu avec l’idéal de « démocratie sanitaire » au cœur des consultations comme dans toutes les et s’est soldée par un échec sans précédent, cor- activités médicales, des centres d’appels d’urgence roboré par la nécessité d’un nouveau confinement aux services de réanimation, c’est renvoyer dos à général en avril 2021. ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

COVID, CROYANCES ET RÉCITS Défiance et complotisme : quand les faits n’ont plus

HEURT d’importance EST-IL? QUEL 22 par Lucie Gillot et Laura Martin-Meyer

Des remous autour du vaccin AstraZeneca à la présidentielle amé- je crains qu’on ne passe à côté des ricaine, défiance et complotisme tiennent le haut de l’affiche depuis phénomènes complexes d’interaction plus d’un an. Avec cette idée : ces deux phénomènes minent tout sociale que cette pratique recouvre. autant notre capacité à débattre que la bonne marche des démo- craties. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Dialogue entre Daniel Philippe Huneman : Tout ceci est Agacinski, auteur du rapport « Expertise et Démocratie. Faire avec également vrai à propos des théories la défiance » pour France Stratégie, aujourd’hui délégué général à du complot. Trop nombreuses sont la médiation auprès du Défenseur des droits, et Philippe Huneman, les analyses, en psychologie ou en philosophe, directeur de recherche à l’Institut d’histoire et de phi- sciences cognitives, qui se saisissent losophie des sciences et des techniques (CNRS/université Paris1 de cet objet seulement en termes de Panthéon-Sorbonne). croyances individuelles. Prétendre que l’homme n’a jamais marché sur Défiance et complotisme sont pas une opinion mais un savoir à la Lune, ce n’est pas seulement faire sous les feux de la rampe depuis même d’éclairer ma décision. Dès l’énoncé d’une croyance, c’est aussi l’irruption de la crise du Covid. Que lors, la crise de la parole publique, escompter certains effets auprès désignent ces deux termes ? y compris experte, tient à la rupture d’une ou plusieurs personnes. C’est Daniel Agacinski : Ces sujets sont de cette présomption de confiance, un acte social qui consiste à dire, par dans l’actualité depuis un peu plus notamment à la suite de différents exemple, « je suis plus intelligent que longtemps. J’ai été amené à me scandales. C’est à ce sujet que j’ai vous » ou encore « regardez comme je pencher sur les manifestations employé le terme de défiance, de me moque de vous ». de défiance à l’égard des paroles façon délibérément ouverte. Car Par ailleurs, il est très compliqué de expertes quand je travaillais à France la défiance recouvre un nuancier saisir ce qu’est une croyance. Bien Stratégie1, en 2016. Comme beaucoup considérable, allant de l’exercice d’un des études appréhendent celle-ci d’acteurs du champ de l’expertise, esprit critique jusqu’au complotisme, dans son sens premier – tenir nous étions à l’époque pris d’un en passant par le questionnement quelque chose pour vrai –, alors sentiment diffus : « Pourquoi ne nous quant à l’intérêt poursuivi dans telle que, derrière les termes « je crois écoute-t-on plus ? » Le séminaire que prise de position. Prenez la défiance que… », toute une palette de sens nous avons conduit a notamment vaccinale, déjà patente avant la crise se dessine. Par exemple, lorsqu’un permis de rappeler que la « situation du Covid-19 : ce n’est pas la même individu prétend croire à la réélection d’expertise », comme disent les chose de s’inquiéter de l’effet de tel d’E. Macron, tient-il cette affirmation sociologues, suppose une forme de vaccin ou de rejeter l’idée même de pour aussi vraie que lorsqu’il croit confiance. Je m’explique. Lorsque vaccination. À ce titre, la défiance qu’il fait beau aujourd’hui ? Pas sûr… je dois prendre une décision, en est un objet assez difficile à attraper. Pour évaluer le degré de croyance, tant qu’individu, citoyen ou décideur Cela suppose en effet d’en saisir les des philosophes mathématiciens public, j’aime autant le faire en racines et les ressorts et, surtout, de comme Frank Ramsey proposent connaissance de cause. C’est ce qui se garder d’en lire les manifestations d’avoir recours au pari : combien me pousse à solliciter celles et ceux comme un phénomène purement parieriez-vous sur le fait qu’il fait dont je pense qu’ils détiennent non psychologique et individuel. beau ? Sûrement plus que sur la Illustration : si l’on considère que liker réélection d’E. Macron. À présent, 1 - France Stratégie est une institution placée ou partager une information sur les demandez à un soi-disant complotiste auprès du Premier ministre ayant vocation à alimenter le débat public et la décision collective. réseaux sociaux signifie y adhérer, combien il parie sur le fait que, sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

d’un pays à l’autre. Prenez l’adhésion aux critiques contre les pesticides, les OGM ou le nucléaire : en France, elles passent pour raisonnables. Mais revendiquez-vous anti-OGM, anti-pesticides ou anti-nucléaire aux États-Unis et vous serez aussitôt taxé de complotiste. Ainsi, au même titre que la défiance, le complotisme revêt un sens irrémédiablement social et politique. HEURT EST-IL? QUEL En quoi la crise du Covid-19 a-t-elle 23 rebattu les cartes ? D.A : La survenue de l’épidémie de Covid-19 a constitué une formidable cristallisation des enjeux de l’expertise pour la décision publique. Avec, autour du premier confinement, un moment très paradoxal où l’on a assisté à une sorte de grande revanche des experts : on a eu le sentiment que la science parlait d’une seule voix et qu’elle était légitime à inspirer la décision publique. Une forme de consensus scientifique s’était alors dessinée autour de l’impératif de réduire les interactions sociales. Ainsi, les décideurs ont recouvré un certain degré de confiance de la part de l’opinion publique, précisément dans la mesure où ils adossaient leurs décisions à un savoir scientifique en cherchant bien, on trouve des certains s’enquièrent de possibles explicité, uniformisé et revendiqué Illuminati. Sans doute ne misera-t-il effets secondaires quand, dans comme tel. Cela dure en gros quinze pas grand-chose… le second cas, d’autres postulent jours et vole en éclats avec le conflit que les Big Pharma souhaitent autour de l’hydroxychloroquine (HC). Vous citiez l’exemple des vaccins. nous rendre malades pour nous Tout à coup, les « blouses blanches » Y a-t-il des domaines qui sont vendre des médicaments. Deux cessent de parler d’une seule voix plus concernés que d’autres par remarques. Il y a tout d’abord un et une crise majeure éclate dans le les questions de défiance et de terrain favorable. Aux États-Unis, débat public. D’un côté, vous avez complotisme ? par exemple, la déclassification de le Pr Raoult qui propose un remède D.A : Je dirai que ce sont avant tout, toutes les opérations de la CIA dans censé nous sortir de cette crise et, de comme les vaccins, les phénomènes les années 80, avec notamment la l’autre, des décideurs qui ne suivent qui affectent nos vies, intimement et mise au jour d’expériences médicales pas l’avis de ce médecin médiatique collectivement, sans que nous ayons sur des êtres humains, a marqué les qui revendique pourtant le fait de de prise sur eux, qui donnent matière esprits. Il est clair que, quand vous soigner des malades. On retombe dès à inquiétude et potentiellement à êtes américain et que vous apprenez lors dans une situation antérieure à la défiance voire à complotisme, car ça, vous avez un peu tendance à crise, où les jugements sur la politique ce sont des enjeux face auxquels voir des complots partout. Ensuite, conduite et les savoirs sur lesquels nous éprouvons le besoin d’avoir des se pose la question de la limite elle s’appuie redeviennent banalement réponses. entre ce qui relève, d’une part, de la polarisés, selon les préférences critique saine des dévoiements d’une partisanes des uns et des autres. De P.H : Les vaccins sont pris à certaine industrie pharmaceutique ou ce point de vue-là, les cartes ont été l’intersection entre la défiance et le agroalimentaire et, d’autre part, du bousculées pendant un temps très complotisme. Dans le premier cas, conspirationnisme. Or celle-ci diffère court, entre le début de la crise et le sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

moment où a éclaté l’affaire de l’HC. P.H : Je rejoins D. Agacinski sur le Difficile de dire ce qu’il en restera dans rôle contre-productif que peut avoir la durée. la sanction. Elle induit souvent la réaction inverse de celle poursuivie, P.H : La crise du Covid joue le rôle avec un questionnement du type : de loupe d’un certain nombre de « Si cette personne est empêchée de phénomènes. Prenez la controverse parler, n’est-ce pas justement parce autour de l’HC : le meilleur journal qu’elle dit la vérité ? ». médical du monde, The Lancet, Par ailleurs, cette question du rapport publie un article assurant que, non aux faits est centrale. On a beaucoup HEURT seulement le médicament ne guérit parlé de Trump et de sa capacité EST-IL? personne du Covid-19 mais, en plus, à véhiculer des fake news. L’usage QUEL 24 il tue des gens. Cinq jours après, du mensonge n’est pas nouveau on apprend que les données de en politique – souvenez-vous de la cette étude ont été inventées2. À ce Daniel Agacinski guerre en Irak où l’on a fait croire moment-là, les dysfonctionnements qu’il existait des armes de destruction qui régnaient déjà en matière de massive. Reste que, contrairement à publication scientifique explosent au « Au fond, d’autres, Trump se moque totalement grand jour. de savoir si ce qu’il dit est vrai il s’agit de ou pas. Ceci est une distinction Publication de données erronées essentielle, rarement énoncée, entre dans The Lancet, promotion de l’HC prendre acte le mensonge instrumentalisé (ex. de dans l’espace public. De manière l’affaire irakienne) et les fake news de plus générale, en filigrane, se de ce que Trump : dans le premier cas, les faits pose la question du mensonge. énoncés sont destinés à être perçus Certains pointent le fait que l’on les énoncés comme vrais ; dans le second cas, ils pourrait désormais tout dire sans n’ont aucune importance et visent à conséquence aucune. Faut-il produire autre chose : l’indifférence sanctionner le mensonge ? que nous aux faits – c’est pourquoi on peut D. A : Il faut distinguer deux choses : inventer tous les jours de nouvelles la régulation à l’intérieur du monde formulons fake news parfois contradictoires avec savant et celle dans l’espace public. les précédentes. Or cette dernière Dans ce dernier cas, la question ou que nous situation s’avère finalement très me semble relativement insoluble : problématique : en effet, comment qui autorisera-t-on à sanctionner écoutons voulez-vous débattre, expliciter les le mensonge ? Je me méfie des désaccords quand les faits n’ont plus tentatives de régulation excessive de entremêlent d’importance ? l’expression publique, notamment parce qu’elle peut avoir pour effet toujours du Quelles réponses les démocraties paradoxal de renforcer une défiance devraient-elles apporter, dans ce à l’égard de ce qu’on entend dans le cadre-là ? débat public. Il importe néanmoins fait et de la D.A : Elles doivent éviter une lecture d’en protéger la probité et l’intégrité. épistémique de la démocratie, Ceci peut se faire par d’autres voies valeur. » c’est-à-dire l’idée selon laquelle comme la promotion d’une presse une « bonne » démocratie serait une indépendante ou de l’accès de tous à danger des formes de polarisation démocratie débarrassée de toute des vérités de faits. C’est un élément auxquelles nous assistons est moins une série de caractéristiques telles important : le socle de la démocratie, la polarisation des opinions que celle que la conflictualité des intérêts, les de la vie en commun, consiste à faire de la conscience des faits. Finalement, passions, les opinions, ces formes l’effort de s’accorder sur un certain sur ce sujet de la défiance, la question « d’irrationalité » pour reprendre nombre de vérités de faits, souvent dont doit se soucier un démocrate est un terme souvent cité et que je ne ordinaires et pas nécessairement celle-ci : vivons-nous dans le même reprends pas à mon compte. scientifiques d’ailleurs. Ainsi, le monde ? Avons-nous accès à un Tout au contraire, il faut s’éloigner même ensemble d’informations sur de cette idée, car elle nous conduit ce qu’il se passe dans le monde qui à aller chercher, vainement, des 2 - https://revue-sesame-inrae.fr/ pairs-et-impairs-des-publications/ nous entoure ? réponses du côté de l’autorité, sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

typiquement celle des experts. Au processus d’établissement des faits, XXe siècle, cette question a été au comme les scientifiques, puissent cœur d’une controverse fondamentale être au clair avec cette réalité et que entre deux philosophes américains, ceux qui reçoivent leur discours aussi. Walter Lippmann et John Dewey. Question de transparence. Pour Lippmann, les démocraties sont frappées du sceau de l’imperfection, L’idée même de neutralité ou ce qui nécessite, en dernier ressort, d’objectivité serait donc illusoire. de confier la décision à ceux qui Ce serait plutôt via la pluralité des savent, parce qu’ils seront plus positions que l’on pourrait atteindre à même de prendre la « bonne une forme d’équilibre ? HEURT décision ». Pour Dewey, certains, bien P.H : C’est ça. La transparence EST-IL? QUEL sûr, savent certaines choses mieux permet de voir quel type de valeurs 25 que d’autres, mais il n’y a aucun est inclus dans tel ou tel discours moyen d’éviter que le petit nombre Philippe Huneman – scientifique ou non. À partir de d’individus qui maîtrisent un sujet là, on peut construire le pluralisme prennent des décisions dans leur selon les postures des uns et des intérêt plutôt que dans celui du plus « La autres. Celui-ci peut prendre des grand nombre. Il préfère donc se formes différentes aussi bien au sein satisfaire de ces « insuffisances » de d’une discipline scientifique avec la démocratie pour éviter le règne des transparence diverses approches théoriques, qu’au experts. sein d’une équipe de recherche. Voilà pourquoi, à mon sens, les permet de Une femme n’aura sans doute pas réponses ne relèvent pas du toujours le même point de vue qu’un champ de la régulation mais de la voir quel type homme sur l’égalité homme-femme. promotion de la qualité du débat Et il n’est pas absurde de prendre public. D’un côté, il convient de de valeurs cet élément en compte quand on mettre les détenteurs d’expertise organise la recherche. utile en situation de devoir est inclus Cette question du pluralisme n’est répondre aux interpellations des pas anecdotique. Elle a au contraire citoyens, pour éviter ce phénomène dans tel ou toute sa place dans un contexte d’extériorité radicale entre les où, pendant longtemps, l’autorité « experts » et le public. De l’autre, a été incarnée par la figure d’un il faut permettre aux expériences tel discours – homme blanc hétérosexuel de de tout un chacun, qu’elles soient plus de cinquante ans – je force collectives ou individuelles, de se scientifique ouvolontairement le trait. À l’heure où constituer en expertise, c’est-à- de nouveaux venus prennent place dire de se formaliser pour pouvoir non. À partir dans la conversation démocratique, être partagées et contribuer à notre je pense que la possibilité même de monde commun. de là, on peut redéfinir l’autorité requiert que l’on Au fond, il s’agit de prendre acte introduise un peu plus de pluralisme. de ce que les énoncés que nous construire le Enfin, je crois qu’il faut s’interroger formulons ou que nous écoutons sur le rôle des algorithmes qui entremêlent toujours du fait et de pluralisme… » structurent la toile et les réseaux la valeur. Il est illusoire de croire sociaux, car ils ont un effet très net que l’expert va réussir à opérer un sur les réponses apportées par les partage pur entre le domaine des cherchons ce qui nous intéresse – ce moteurs de recherche, donc sur les faits, qui relève de l’objectivité et qui ne la disqualifie en rien, d’ailleurs. valeurs et les informations qui nous pour lequel il est le seul détenteur sont transmises en premier lieu. Or de connaissances scientifiques, et P.H : Effectivement, la science il n’y a pas la moindre transparence les valeurs, qui relèvent de l’opinion comme le savoir philosophique ont sur leur mode de fonctionnement, et de l’irrationnel. Ce que nous clairement montré depuis près d’un sur les principes qui guident leur montre la vie de tous les jours c’est siècle qu’il y a une interrelation entre construction, en dépit de l’influence, que ces aspects s’interpénètrent, jugement de faits et de valeurs. notable, qu’ils ont sur nos vies. Pour que la connaissance elle-même est L’important, finalement, c’est que moi, c’est un énorme problème chargée de valeurs, au sens où nous les personnes qui sont dans les politique. ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

ALTERNATIVES À LA VIANDE

HEURT De promesses EST-IL? HEURT EST-IL? QUEL QUEL en controverses 26 par Sylvie Berthier

Lobbys viandards versus mafia végane. Les débats sur En revanche, dans l’état actuel des connaissances, les alternatives à la viande se font à couteaux tirés, voyez il n’y a pas d’objection à consommer des la polémique sur les repas végétariens dans les cantines invertébrés dont on peut supposer qu’ils n’ont lyonnaises. Le verdissement de nos assiettes exacerbe aucune conscience, les huîtres et les moules par les fantasmes, les peurs et les crispations, et ce n’est exemple. Voilà une source de protéines animales pas l’arrivée d’innovations, notamment de la viande in qui ne s’accompagne pas de maltraitance. Je crois vitro accusée de vouloir tuer l’élevage, qui va calmer aussi que les viandes synthétiques améliorées les esprits surchauffés. Les alternatives à la viande, pourraient être diététiquement meilleures pour qu’elles soient d’origine animale ou végétale méritent la santé humaine. Comme en beaucoup de cas, bien une dispute. Aux manettes, Georges Chapouthier, l’intérêt de l’animal rejoint l’intérêt de l’homme. neurobiologiste et philosophe (directeur de recherche émérite du CNRS, membre du conseil d’administration Quid des expériences d’abattage à la ferme, bien de la Fondation Droit Animal), et Olivier Lepiller, socio- plus respectueux de l’animal, mais aussi de la logue de l’alimentation (Cirad). consommation des œufs et du lait ? G.C. : La question de l’abattage fermier ne se pose pas en première urgence même si, à terme, le but Georges Chapouthier, vous êtes partisan de ultime est le non-abattage. Si on arrive à faire des la Viande In Vitro (VIV), une viande cultivée élevages de poules pondeuses bien traitées, je ne en bioréacteur à partir de cellules souches suis pas contre3. Cela s’avère beaucoup plus délicat d’animaux. Pour quelles raisons ? Précisons que ce pour le lait, dont la production industrielle suppose procédé expérimental, encore non commercialisé, l’abattage des veaux. S’il existe une façon de fait l’objet de nombreuses controverses. produire du lait sans cet abattage, j’y suis favorable G.C. : Des raisons éthiques d’abord, le but étant aussi4. Mais, à ce jour, je pense qu’il faut s’orienter d’arriver à une alimentation ne reposant plus sur vers des laits végétaux enrichis en calcium... un élevage qui maintient des milliards d’animaux dans des conditions abominables, suivies d’un Olivier Lepiller, vous avez écrit avec Tristan abattage de masse1. Cela est moralement Fournier « Se nourrir de promesses »5, un article inacceptable. Je ne suis pas un fanatique de la détaillant les enjeux et critiques de l’introduction viande synthétique, je dis simplement que c’est de cette innovation dans le domaine alimentaire… une des solutions possibles pour supprimer la O.L. : La première promesse, évoquée par Georges, maltraitance animale et l’abattage industriel. Nous est de pouvoir continuer à manger de la viande parlons, là, d’animaux « sentients » qui à la fois sans mise à mort des animaux, cela permettrait ressentent de la douleur et ont une conscience2. que des omnivores comme des végétariens

1 - Selon la FAO, l’abattage des animaux pour fournir de la viande 3 - Poulehouse, les œufs « qui ne tuent pas la poule », s’élève à soixante-cinq milliards de têtes par an. Les estimations https://www.poulehouse.fr/ hautes sont de 150 milliards d’animaux en comptant toutes les 4 - « Ils produisent du lait qui “ne tue pas la chèvre” », Ouest-France, espèces (poissons, oiseaux, etc.). En France, trois millions d’animaux 8 octobre 2020, https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/ sont tués dans les abattoirs chaque jour. ils-produisent-du-lait-qui-ne-tue-pas-la-chevre-7006326 2 - Lire dans Sesame : « Conscience des animaux : quels consensus 5 - « Se nourrir de promesses. Enjeux et critiques de l’introduction de scientifiques ? », deux innovations dans le domaine alimentaire : test nutri-génétique et https://revue-sesame-inrae.fr/ viande in vitro », Socio, décembre 2019. conscience-des-animaux-quels-consensus-scientifiques/ https://journals.openedition.org/socio/4529 sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

d’autres êtres vivants. Alors, bien sûr, se pose la question de la sentience des animaux et de leur dignité. Mais il existe des techniques morales afin que leur mort ait un sens. C’est ce que font les peuples animistes qui reconnaissent une intériorité, comme dirait l’anthropologue Philippe Descola, un esprit, une âme… aux animaux. Là où je rejoins Georges, c’est sur la perte de sens entraînée par l’industrialisation qui a réduit les animaux au statut d’objets, à une stricte matérialité leur déniant toute intériorité. Cela pose question. HEURT Deuxième critique : longtemps, il y a eu un EST-IL? QUEL consensus en nutrition : pour avoir une ration 27 équilibrée en protéines, il fallait que tous les acides aminés soient coprésents dans le bol alimentaire. De ce point de vue, les aliments d’origine animale ont une valeur nutritionnelle supérieure à la plupart des graines, céréales ou légumineuses, qui ne contiennent pas, isolément, l’ensemble des acides aminés essentiels – à l’exception du soja. Mais la nutrition montre aussi aujourd’hui qu’un régime végétarien, s’il est suffisamment diversifié et couvre correctement les besoins énergétiques, permet de satisfaire les besoins en protéines, autant en quantité qu’en qualité. Donc la question des protéines n’est pas un enjeu, à part pour des régimes purement végétaliens excluant les céréales ou les légumineuses, ou pour certaines catégories de population à risque, comme les jeunes enfants, les personnes de grand âge ou celles souffrant de pathologies. Selon ce qui semble faire relativement consensus en nutrition consomment de la viande. Autre promesse, se aujourd’hui, nous n’avons donc pas besoin de défaire du caractère un peu particularisant, manger de viande. Or les promoteurs de la VIV voire stigmatisant de l’option végétarienne : la passent cela sous silence ou dénigrent même l’idée VIV permettrait de manger de la viande tout en qu’une réduction drastique de la consommation de respectant la norme végétarienne qui pourrait viande ou de produits laitiers est possible. devenir un jour dominante dans les sociétés occidentales. Promesse, encore : cette technique G.C. : Je suis d’accord, la fabrication de viande affranchirait complètement la production de viande synthétique n’exclut pas une augmentation de la des contraintes de l’élevage et de certains risques consommation de protéines végétales. Ma seule comme les zoonoses. Elle permettrait de produire réserve : les omnivores que nous sommes ne vont des viandes nutritionnellement équilibrées, pas trouver dans les végétaux certains composants notamment entre acides gras saturés et insaturés. présents dans les produits carnés, comme le fer, Enfin, la promesse peut-être la plus mise en avant le calcium ou certaines vitamines. Il nous faudra serait de diminuer les impacts environnementaux donc une petite quantité de protéines animales ou de la production de viande. de succédanés animaux, et enrichir le lait végétal en calcium. Mais si, à l’avenir, on obtient une Quelles sont les principales critiques que vous nourriture végétale qui répond à tous les impératifs portez à cette innovation ? actuels de la viande, même pour le goût, la O.L. : La première, c’est le présupposé, souvent question sera résolue. implicite mais clairement énoncé par Georges, de la volonté d’abolir, à terme, la mise à mort des O.L. : C’est vrai, la question se pose pour certains animaux. Or, selon moi, il est possible de l’assumer. micronutriments, mais on sait aussi que certaines En effet, nous sommes des êtres hétérotrophes, pratiques, comme l’ajout de vitamine C, favorisent en clair nous sommes obligés de nous nourrir l’absorption du fer végétal. Si l’on en croit les sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

de crevette ou même des similis de viande de chien valorisés dans des festins végétariens bouddhistes. Concernant les alternatives à la viande proposées aujourd’hui, il y a deux stratégies, deux enjeux très différents : d’un côté, des start-up comme Aleph Farms et leur promesse gastronomique d’une viande texturée, avec son gras, son tissu conjonctif, et, de l’autre, de nombreuses entreprises qui ne cherchent qu’à produire des protéines pour faire des burgers, saucisses et autres nuggets. Dans ce HEURT dernier cas, on se fiche complètement de savoir EST-IL? si ces produits viennent de cultures de cellules QUEL 28 animales ou de protéines de soja. Le pari de ces innovateurs est de faire tomber les prix de ces produits avec des économies d’échelle, mais cela Olivier Lepiller reste un pari sur l’avenir. Aujourd’hui, les coûts de production apparaissent encore prohibitifs.

Justement, un mot sur les acteurs qui portent « La viande était ces innovations. Les critiques fusent… O.L. : Les acteurs qui s’engouffrent dans ces valorisée car promesses en espérant les rendre rentables un jour sont pour la plupart d’énormes entreprises considérée comme financiarisées, comme Cargill6 ou de gros producteurs de viande, voire des États, les GAFA7 et des intérêts personnels parmi les magnats une conquête de la Silicon Valley. Nous sommes donc sur des promesses d’autonomisation alimentaire… sous sociale. » dépendance à la technique ! Cela va jusqu’au développement dans des labos américains de petits bioréacteurs domestiques8 pour la culture de nutritionnistes, il est donc a priori possible de cellules animales, de la même façon que vous avez manger végétarien tout en assurant les apports votre machine à pain ou votre « brasseur » de bière. micronutritionnels nécessaires, si le régime est Et puis il faut interroger sur le plan moral diversifié, et encore plus facilement s’il inclut des l’air de famille de la VIV avec une philosophie œufs, des produits laitiers, des mollusques ou transhumaniste qui rêve de se libérer de même simplement des fruits à coque. l’engendrement, de dépasser la vie, la mort. Qu’il s’agisse d’animaux ou seulement de végétaux, nous Venons-en au volet socioculturel… sommes contraints de détruire des êtres vivants O.L. : Oui, notre critique porte aussi sur le fait pour nourrir notre vie, et, parfois, même cette que l’on peut manger végétarien sans chercher nécessité est remise en cause. des produits qui ressemblent à de la viande. Des modèles alimentaires végétariens concernant des G.C. : Bien sûr, ceux qui vont se lancer dans la centaines de millions de personnes, en Inde par production industrielle de viande synthétique ou exemple, reposent sur des ragoûts ou des soupes végétale sont les grandes compagnies, voire les de légumineuses. Cependant, certains désirent États, qui géraient jusqu’à présent la production quand même des aliments qui ressemblent à industrielle de viande. Mais l’éthique de notre de la viande parce qu’elle est importante dans société productiviste est un autre problème… Et, leur modèle alimentaire. Satisfaire ces besoins bien entendu, ces produits seront réalisés par la peut alors passer aussi par du végétal et par des technique. Cela va dans le sens de l’humanité qui produits alimentaires transformés qui fleurissent se technicise de plus en plus. Nous avons fabriqué aujourd’hui, comme ceux d’Impossible Food, de Beyond Meat et d’autres. Il existe d’ailleurs depuis 6 - https://www.cargill.com/story/ des siècles, dans la cuisine impériale vietnamienne protein-innovation-cargill-invests-in-cultured-meats ou en Chine, des aliments à base de soja texturé 7 - Google, Apple, Facebook, Amazon. 8 - https://medium.com/new-harvest/scalable-modular-bioreactor- par différents procédés, qui reproduisent la texture for-cultured-meat-production-3acb48e4c90f sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

de technique, il faudrait davantage de frugalité, chantier moral très important, et réinventer une morale carnivore plus « low tech » que « high tech ». Il ne s’agit pas de refuser la technique supposée forcément mauvaise mais, avec cette frugalité, nous mangerions moins de viande, elle serait mieux produite, au sens d’une morale de la relation aux animaux. On pourrait s’autoriser des formes d’élevage plus artisanales et plus humaines. C’est aussi l’excès de technique qui chosifie les animaux des élevages industriels. HEURT Le fait de considérer qu’ils ont une intériorité EST-IL? QUEL devrait nous obliger à nous abstenir de tel ou tel 29 traitement, par exemple telle concentration au mètre carré parce que c’est invivable pour eux, quand bien même ce serait beaucoup plus efficace Georges Chapouthier sur le plan strictement technique.

G.C. : Je suis d’accord. Ceci dit il y aura toujours « C’est une du high tech, car on ne pourra pas nourrir des milliards d’êtres humains avec seulement de évolution moderne l’artisanal. Mais le point essentiel, à savoir que nous soyons davantage frugaux, est un souhait qui touche respectable et très légitime qui peut être ajouté à notre discussion. La frugalité était déjà revendiquée par les auteurs de la Grèce antique, par Plutarque les pays et Porphyre, qui y incluaient le respect de l’animal.

occidentaux. » Certains pensent que nous sommes dans une rupture civilisationnelle… O.L. : Après des décennies de croissance, durant des vêtements pour remplacer la fourrure, nous lesquelles la viande était valorisée car considérée implantons des pacemakers... comme une conquête sociale, celle-ci connaît en En revanche, je ne partage pas le projet France depuis la fin des années quatre-vingt-dix transhumaniste qui voudrait nous transformer en une diminution progressive, avec cette nuance : cyborgs et nous faire vivre des milliers d’années. certains types de viandes augmentent (la volaille Je ne dis pas que les transhumanistes ne vont et les élaborés) quand d’autres diminuent ou pas mettre leur nez dans ces technologies, mais stagnent (les viandes des gros quadrupèdes), mais consommer davantage de protéines d’origine les hausses ne compensent pas les baisses (baisse animale ou végétale fabriquées industriellement ne moyenne de 1 à 1,5 % par an). Cette décrue qui me paraît pas aller nécessairement dans un sens s’opère à travers le choix du végétarisme, encore transhumaniste. On peut se poser des questions très minoritaire, ou une modération volontaire, pour des raisons éthiques qui touchent au respect le flexitarisme, peut avoir des finalités diverses, de l’animal sans nécessairement opter pour le plutôt éthiques pour les plus jeunes, plus axées mouvement transhumaniste. sur la santé pour les plus âgés. On note également une forte corrélation entre la diminution de la O.L. : Je suis d’accord, ça n’y conduit pas consommation de viande et la consommation de nécessairement, c’est davantage un point de bio. vigilance. En creux, il y a l’idée qu’après une phase Il me semble toutefois que la VIV détourne de d’abondance et de maladies dites de civilisation l’enjeu numéro un qui est de manger moins de (obésité, diabète…) est venu le temps d’une viande. Il faudrait accélérer cette tendance et transition allant vers la modération. Cette redonner sa vraie valeur à la viande car des côtes tendance, qui s’observe surtout chez les catégories de porc à un euro quarante, c’est impossible. sociales les plus instruites et les plus urbaines, Cela redonnerait peut-être un caractère plus tend à se diffuser plus largement. Les végétariens exceptionnel à la viande. Au lieu de tabler sur plus en France seraient autour de 2 à 5 %, les sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

flexitariens autour de 20 à 25 %9. Dans certaines grandes métropoles comme Londres, 20 % de la LE MÉMENTO population serait végétarienne. La construction DES VÉGÉTAUX d’une morale alimentaire plus frugale se fait-elle à ces endroits-là ? Prendrait-elle aussi davantage • Le règne du végétal en compte la manière dont nos aliments nous L’alimentation se végétalise, et on ne fera plus relient à l’environnement, aux animaux mais aussi marche arrière. Pas convaincus ? Le Plan national aux autres humains, parce que se posent des nutrition santé suggère de manger « des légumes questions comme les conditions de travail dans secs comme un couscous végétarien avec des pois les abattoirs, par exemple ? Et si cette morale est chiches ou un curry de lentilles accompagné de HEURT peut-être souhaitable, dans quelle mesure ne se riz. » ; la FAO a déclaré 2021 année internationale EST-IL? joue-t-il pas là des processus de distinction, donc des fruits et légumes ; en janvier de cette année, le QUEL 30 potentiellement de ségrégation sociale, qui verrait guide Michelin décernait pour la première fois en à l’avenir une stigmatisation des « viandards », par France une étoile à un restaurant végane. exemple ? Ce sont des questions passionnantes qui doivent être explorées plus à fond. Il faudrait • Rouge sang aussi regarder les travaux des historiens, pour Galettes de soja, de blé, tofu à toutes les comprendre comment en Inde le végétarisme est sauces… Que ce soit en grandes surfaces ou en devenu dominant à travers la caste des brahmanes. magasins spécialisés, depuis longtemps déjà, les végétariens trouvent de quoi satisfaire leur G.C. : Comme l’a dit Olivier, c’est une évolution appétit. Pour séduire et conquérir de nouveaux moderne qui touche les pays occidentaux et, dans mangeurs dont la référence sensorielle et ces contrées, elle concerne surtout les classes culturelle reste le bœuf ou le poulet, des start-up « éduquées ». Ce n’est pas du tout le cas dans les se sont lancées dans la création de produits pays en développement où la viande reste encore la 100 % végétaux, ressemblant à s’y méprendre nourriture du riche. Mais cette évolution sera faite à des steaks hachés (mais encore beaucoup universellement un jour. ● plus chers), nuggets et autres aiguillettes : Pour aller plus loin sur la viande in vitro, lire les articles (quasi) même texture, même couleur, aussi avec Jean-François Hocquette (spécialiste de la viande, Inrae) et simples à cuisiner, expérience gustative presque Didier Toubia (PDG d’Aleph Farms, producteur de viande cultivée) sur le blog de la revue Sesame : identique... En la matière, la palme revient à https://revue-sesame-inrae.fr/viande_in-vitro Impossible Food qui intègre à ses burgers une molécule au goût métallique, comme du sang. Hyperconvaincant. Pourtant, nulle cellule animale 9 - https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/62309/ document/11_Synth%C3%A8se%20Panorama%20 n’est introduite dans le process ; simplement une v%C3%A9g%C3%A9tarisme%20en%20Europe.pdf?version=1 levure génétiquement modifiée, fabriquant de la

Les principales start-up MULTI SEAFOOD PORK travaillant sur des alternatives à la viande, mais aussi aux produits laitiers, poissons, œufs, foie gras…, se répartissent en deux grands groupes : celles qui n’utilisent que des produits d’origine végétale (plant-based, entourées de pointillés gris) POULTRY sont déjà bien implantées sur le marché (en France, Les Nouveaux Fermiers) ; celles travaillant à partir de cellules animales (cell-based, entourées de pointillés orange) ne sont pas encore commercialisées (en France, Gourmey et Vital Meat, qui travaillent à partir de cellules BEEF souches de volailles). Au niveau mondial, plus de deux milliards de dollars ont été investis au cours des six dernières années dans ces start-up, avec une FOIE GRAS accélération depuis trois ans. Source : DigitalFoodLab sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

léghémoglobine de soja. Reste que la présence de en Espagne. En amont, une filière pois jaune1, cet ingrédient rouge sang issu d’un OGM pourrait protéine clé de ces substituts, commence à se retarder l’autorisation de la commercialisation de développer en Europe. Roquette, partenaire de l’Impossible Burger en Europe. longue date de Beyond Meat, compte bien y jouer un rôle central. • California Dream… En une dizaine d’années, de gros leaders • Végé-tacle mondiaux, souvent californiens, comme Beyond Dans un dossier daté de mars-avril 2021, le Meat (distribué chez Carrefour et Casino en magazine « 60 millions de consommateurs » France) et Impossible Food, se sont taillés la révèle que, malgré un bon étiquetage nutritionnel part du lion dans ce marché annuel estimé à (Nutri-Score A ou B), 98 % des similis carnés, HEURT 140 milliards de dollars, soit 10 % du marché y compris en bio, ne sont pas si sains que ça. EST-IL? QUEL de la viande (les prévisions pour la France sont Aux côtés des légumes, céréales et légumineuses, 31 de 600 millions d’euros en 2021). Le consultant s’égrène une longue liste d’additifs et autres Jérémie Prouteau de DigitalFoodLab, surpris par ingrédients dégradés par des procédés industriels la vitesse à laquelle ces innovations sont arrivées agressifs. Avec cet avertissement d’Anthony Fardet dans nos assiettes, pointe un tournant en 2019, (Inrae) : « Les gros consommateurs d’aliments où se sont opérées les plus grosses levées de ultratransformés sont plus à risque de développer fonds de l’histoire des start-up alimentaires : 241 des maladies chroniques, diabète de type 2, maladies millions de dollars (M$) pour Beyond Meat qui est cardiovasculaires, obésité… » Pas le choix, il entrée en Bourse, 500 M$ pour Impossible Food. faudra améliorer les recettes ! En attendant, ce « Il n’y a pas d’équivalent en agroalimentaire, si ce qui peut être un frein pour leur développement n’est dans la livraison, avec Deliveroo qui a levé 180 peut devenir une opportunité pour d’autres, M$ en 2021 (1,6 Mrd$ depuis 2014), année de son explique J. Prouteau : « Hari & Co fait des steaks entrée en Bourse. » Comment expliquer un tel de légumineuses sans additifs qui n’ont pas du tout succès ? « Aux États-Unis, les marques ont passé l’aspect de viande. Mais croquer dans un steak de des accords avec des chaînes de fast food », McDo, haricots rouges ou de pois représente une expérience KFC, Burger King... En quelques mois, ces temples gustative radicale qui peut être perturbante. » du carné « ont popularisé ces offres végétales auprès d’une population a priori pas intéressée et qui • Aux noms de la loi en achète aujourd’hui en grande distribution ». Inquiets, pour ne pas dire furieux, de l’essor de ces produits, des promoteurs de la viande ont battu • Et Europe somnolente campagne contre ces faussaires. Les produits Pendant ce temps, le Vieux Continent observe carnés, c’est eux ! Résultat : en mai 2020, une cette agitation avec « un certain attentisme, plus proposition de loi « relative à la transparence de encore en France où l’on imagine que ça ne va l’information sur les produits alimentaires » était pas arriver chez nous, parce qu’on ne mange pas adoptée à l’Assemblée nationale. Désormais, en comme les autres. Le même genre de réflexion que France, interdiction faite aux substituts végétaux l’on a eue envers McDo dans les années soixante- d’emprunter au vocable animal (steak, filet, dix. Aujourd’hui, la France est un de ses plus saucisse…). On attend le décret. À l’inverse, en gros marchés mondiaux… », lâche J. Prouteau. octobre 2020, au Parlement européen, « une Or, l’offensive est à l’œuvre : en 2020, Beyond majorité de députés a rejeté l’amendement du Meat annonçait la construction aux Pays-Bas de rapport Andrieu qui entendait interdire “certaines sa première usine hors USA. Objectif affiché : pratiques commerciales trompeuses pour le « Devenir un acteur majeur de l’agroalimentaire, consommateur” en réservant l’usage du vocabulaire explique le consultant. Je suis convaincu qu’il y a carné à la seule viande animale, rapporte « Courrier une place à prendre, dans chaque pays européen, International ». Les produits de substitution à la par un acteur local, pour faire face à l’arrivée des viande peuvent donc continuer à être étiquetés mastodontes américains. » Pas simple pour les “hamburgers” ou “steak” dans l’UE ». En matière jeunes pousses européennes de concurrencer d’harmonisation, on a vu mieux. ces géants verts (et les grands groupes comme Danone et Nestlé qui ne sont pas en reste). À 1 - « La profession espère obtenir un relèvement des aides européennes ce jour, elles sont une poignée : en France, Les spécifiques aux protéagineux (actuellement à 187 euros par hectare) avec le futur plan protéines annoncé par le président Emmanuel Nouveaux Fermiers (financés en partie par Xavier Macron, mais qui tarde à se concrétiser. », Terre-net, 25 février 2020. Niel/Free) ont mobilisé quelques millions d’euros ; https://www.terre-net.fr/actualite-agricole/politique-syndicalisme/ article/comment-seront-utilises-les-100-millions-d-euros-du- This et Moving Mountains, en Angleterre ; et Heura, nouveau-plan-proteines-vegetales-205-174183.html 32 CROISERFAIRE LE

CROISERFAIRE LE T sesam des céréales. sert-elle sauvegarde cette de aujourd’hui est-il qu’en organismesrecherchede leassociatif,mouvementet les par fois la à Assumée biodiversité. de Question sés en agriculture s’est imposée comme une évidence. du patrimoine génétique des végétaux et animaux utili- Depuis la fin des années soixante-dix, la conservation N°9MAI2021 ? Plongez dans le monde des races locales et tée deseaux,la« banque» à – Des le Global Crop Diversity Trust etlabanque génétiquenordique. 1 -LabanqueduSvalbard est gérée parle gouvernement norvégien, lules mètres deprofondeurdanslegrèsjusqu’aux« « logiques sontpropicesàleurconservation.Cette sité engraines,c’estparcequelesconditionsgéo- c’est sonnom,accueillecetteréservedebiodiver nucléaire debandedessinée.Sil’îleSvalbard, parfaite cartepostaled’uneaprès-apocalypse de 1 une îlebattueparlefroid, peu habitée,àmoins L’endroit n’arienàenvierlascience-fiction partie dupatrimoinegénétiquevégétalmondial. bunker desîlesSpitzbergoùestconservéeune OUT lemondeoupresqueaentenduparlerdu par Yann Kerveno pour enrichir dépasse pas– rature delarochedanslaquelle elleestcreuséene panne desonsystèmeréfrigération. Latempé- banque 18 200 kilomètres du pôle Nord, bref, la presque », dessallesquioffrent1 °C. Sansactivitésismique,àl’abridelamon- CONSERVATION DUVIVANT • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT » pourlefutur s’enfonce jusqu’à 120 3 °C. Unebonne garantie décennale l’aven r banques banques 1 estprotégéed’une 500 m 3 destockage ? À quoi À ? cel- - : science vétérinaireprogressent. vers lafinduXIX Duclos (Institut de l’élevage, Idele) et regarder « comprendre commentnousensommesarrivéslà, à Paris,asusauvercescochons.Mais,pourbien sans pareilportéjusqu’auSalondel’agriculture Oteiza, charcutierqui,avecunsensdumarketing du grandpublic,telslesporcsbasquesdePierre animal. Quelques races protégées sont connues que le patrimoine à sauvegarder soit végétal ou soins particuliers sous nos latitudes et ailleurs, pation. Ilyadesdécenniesqu’ellefaitl’objetde du patrimoinegénétiqueestunsujetdepréoccu- a pasquedansleGrandNordlapréservation monde-enrichit-13590/ developpement-durable-arctique-plus-grande-reserve-graines- 2 -https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/ GRAIN. AU VEILLER pour lemilliondegrainesconservées bovins, équins,ovins…C’estaussiauXIX la puretéracialedel’ascendancedesanimaux, le biaisdeslivresgénéalogiquesqui garantissent caractéristiques des races les plus importantes par qui, d’empiriquedevient rationnel etestmisà donnent uncoupd’accélérateur aumouvement science enbiologie,génétique, en agronomie paille enFrance.AuXX irriguer toutelacréationvariétaledescéréalesà logues, développesafameusesélectionquiva que Vilmorin, accompagnédesessomptueuxcata- », précise Delphine il fautfaireunpeud’histoire »,préciseDelphine e sièclequandl’agronomieetla On tentealorsdefixerles e siècle,lesavancéesdela 2 . Maisiln’y e siècle tion variétale de nombreuses espèces avant de se tion variétaledenombreuses espècesavantdese quatre-vingt, Inrae était impliqué dans la sélec- « biochimiques, moléculaires… en procédantàdesévaluationsagronomiques, sances disponiblessurcespopulationsouvariétés profiter aupassagepourdévelopperlesconnais- de lesdistribuerau public », résume-t-il.Et d’en sources puisdelesmaintenir, de les conserver et missions sontsimples,ils’agitd’acquérirdesres- pour récolteretstockerdenouveauxgrains.« Nos tion, cequiimpliquedelessemerloinen il fautaussiconserverleurpouvoirdegermina- ne serésumepasàlesstockerenchambrefroide, l’avoine, destriticales…Conserverlessemences bien entendu,maisaussidel’orge,duseigle, accessions imposante collection de semences, environ 27 sement naïve.Avec sonéquipe,ilveillesurune fusque presqueensouriantdemaquestionfaus- François Balfourier(UMRInrae,UCA1095)s’of- cela sertàquelquechose cela sertàquelquechose on aconservé…toutcequirestait.Maisest-ceque univers depatrimoinesgénétiquesvariés.Alors peut-être perdre au change en laissant filer un années soixante-dix,onacomprisqu’onallait profit pour augmenter la productivité. Dans les wiews/glossary/fr/ en stockage pour laconservation etl’utilisation. http://www.fao.org/ représentant un cultivar, ou unelignéeoupopulation,maintenu 3 -Échantillon desemences distinct, identifiable de façon unique Depuis sacréationet jusque danslesannées 3 et variétés de céréales à paille, du blé, etvariétésdecéréalesàpaille,dublé, sesam » À Clermont-Ferrand, ! » ÀClermont-Ferrand, ? « Heureusementque N°9MAI2021 • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT

000 000 Ouest pourdonnerla Blonde d’Aquitaine pourles races allaitantes. Limousine etlafusiondesdifférents rameaux blonds dansle Sud- 4 -Prim’holtsein,Montbéliarde etNormandepourle lait,Charolaise, FINS DE RACES Russie, laChine… semences, danslespaysàl’Estdel’Europe,la de recherchequicollectionnaienteuxaussides venu letempsdeséchangesavecd’autrescentres les protocolesdeconservationconsolidés,est ces collections. »Puis,unefoistoutmisenordre, génétiques àClermontquiregrouperaittoutes l’idée decréerununiquecentreressources sailles, Dijon…C’estàcemoment-làqu’estnée de Montpellier, Clermont-Ferrand, Rennes,Ver été constituéesdanslesdifférentscentresInrae toutes cesannées,plusieurscollectionsavaient auparavant. Ainsi,pourlescéréales,pendant espèces végétalescultivées,aulieud’unecentaine sources génétiquespourgérerl’ensembledes d’un réseau d’une douzaine de centres de res à l’éliminationdesdoublonsetl’organisation donc consacréesaurangement,classement, secteur privé.Lesannéesquatre-vingt-dixfurent désengager etdepasser, enpartie,lerelaisau leur domaine une poignéederaces,jugées lesplusefficacesdans Quittet quipréconisedeconcentrerleseffortssur soixante parlesrapportsdel’ingénieurEdmond par letracteur, leursortestscellédanslesannées de l’agriculturefrançaise,unefoisdélivrésdujoug connu unfortdéclindansles annéessoixante.Et 4 . « Detrèsnombreusesraces ont ? Quant aux bovins, fers de lance Quant auxbovins,fersdelance - - 33 CROISERFAIRE LE 34 CROISERFAIRE LE pouvait apporter autant de revenus, sinonplus, sesam « fromagère associée, qu’un troupeau très que cette race, avec Nous avons montré N°9MAI2021 y a quelques situations tendues mais globalement y aquelquessituationstenduesmaisglobalement consanguinité possiblement délétère. « cune desracesconcernéesneprésenteuntauxde Duclos. Aujourd’hui,elleestimetoutefoisqu’au- généalogique, laFerrandaise »,ajouteDelphine plus importantedesracesdontnoustenonslelivre un trèspetiteffectif,àplusde2 la Lourdaise par exemple, ce qui est réellement delta estmêmelarge.« Ilvade200mères,pour Pour autant,toutesnesontpassortiesd’affaire,le ronnementales delaPolitiqueagricolecommune. particulier éligiblesàcertainesmesuresagroenvi- d’être perduespourl’agriculture classification administrative,« racesmenacées est-on sont moinsbrutales.Quaranteansaprès,oùen politique entermesdenormalisation,lescoupes Pour lesovins,quiontsubimoinsdepression bovines étaientalorsengranddanger. des dernierstaureauxvivants. » Certaines races puissent par la suite être collectées les semences les premiersinventairesetfaireensorteque état deslieuxdenombreusesraces,constituer y ena telles qu’onlesclassedésormais.Etdutravailil vail desauvetagedes« racesàpetitseffectifs» Avon. Ilincarnapendantdeuxdécenniescetra- (aujourd’hui Institutdel’élevage),c’estLaurent entamer cetravailpourquis’appelaitl’ITEB notamment, aalorsprissonbâtondepèlerinpour vegarde », expliqueDelphineDuclos.Unhomme, mettent en place les premiersprogrammesdesau- ce n’estqu’àlafindesannéessoixante-dixquese 5 -https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000030579996/ une production ? Les races à petits effectifs disposent d’une ? Lesracesàpetitseffectifsdisposentd’une ! « Ilestallésurleterrainpourfaireun • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT productif.. 000 mères pour la 000 mèrespourla 5 », qui les rend en », quilesrenden En ovins, il En ovins, il » veurs quiaugmenterégulièrement. soixante àsoixante-dixmâlesetunnombred’éle- mais elleestsurunebonnelancée.3 Trois décenniesplustard,laracen’estpassauvée, troupeau, l’alimentationetnonparlagénétique. » à exprimercepotentiellaitierparlaconduitedu petits effectifs,nousavonsfaitlechoixdechercher potentiel laitier, par rapportàd’autresraces reproducteurs. « âgés qui en conservaient pour élargir la base de objectif, ilsvontchercherlesmâleschezpaysans tères restreints standard étroitappuyésurunnombredecarac- conserver cette diversité et non pas de fixer un diversité génétique.Notrepariàl’époquefutde « chez lesprofessionnels,moinsdedixtroupeaux… grand-chose de la Provençale début desannéesquatre-vingt-dix,ilnerestepas et unepoignéedeconfrèress’emparentdusujet,au de standardisationdes races. » Quand Joël Corbon celle deshommes,etellesontéchappéautravail fait, leschèvresontété l’affaire desfemmes, pas fit de relire Giono ouPagnol pour le comprendre.De de touttempsétéassociéeaudiable,lebouc.Ilsuf- agricole en Provence, explique Joël Corbon. Elle a chèvre n’ajamaisétéconsidéréecommeunenjeu vence, sescigales,sagarrigue,chèvres sur leterrainvoircequ’ilenest.Çavousdit,laPro- oubliettes. Quand onluidemandecomment ilen sauver uneracebovine,la Nantaise, promiseaux poignée d’éleveurs ont réussila même prouesse, l’autre boutdelaFrance, Laurent Chaletetune recherche d’autonomiealimentaire. troupeaux, desexploitations depetitetailleen des doublesactifsparexemple,avecdepetits d’installations enmargedumodèledominant, air intégral.Onvoitaussiaujourd’huibeaucoup cerise sur le gâteau, peuvent se conduire en plein qui agnèlenttoutesseulesd’unseulpetitetqui, qui ne sont pas trop techniques… Des brebis ce qui les intéresse, c’est d’avoir des animaux « ligne quelesalutvientsouventdesnéoruraux. LA CHÈVRE, ANIMAL DU DIABLE. DU ANIMAL CHÈVRE, LA quand il en existe une cinquantaine pour les ovins. subsiste à peine une douzaine de races reconnues, de deuxraces,l’AlpineetlaSaanen,tandisque ment ». Désormais,lecheptelestconstituéà99 on estpasséàdeuxdoigtsd’un« grandremplace- l’élevage, Idele).Enrevanche,pourlescaprins, positives », expliqueCoralieDanchin(Institutde la grande majorité des races a des trajectoires LICORNE ET LÉGENDE. ET LICORNE La plupartn’ontpasdeformationagricole, Elle était restée à l’état de population à grande Elle étaitrestéeàl’étatdepopulationgrande », explique-t-il. Pour parvenir à cet C’est une chèvre qui a un gros Coralie Danchinsou- : 300 à 400 chèvres : 300 à 400 chèvres 000 chèvres, 000 chèvres, » Presqueà Filons donc Filons donc La ? « La % % importante aujourd’hui dansl’appellation, jene Banon. Mêmesiellen’est paslaraceplus La chèvrecommuneProvençale estassociéeau « mené enparallèleaveclarestauration delarace. développement del’appellation fromagèreBanon avons conservécetesprit. »L’autre facteur, c’estle allons versunegénérationplustechniciste,nous d’échapper àlastandardisation.Mêmesinous aspirations auchangementdevie,celapermet antisystème quelquepart,collesouventavecces stricto sensu.Notreapprocheantiproductiviste, projet de vie plus que pour un projet agricole à 95 s’installent avecdeschèvresaujourd’huisont troupeau très productif. Ensuite, les gens qui apporter autantderevenus,sinonplus,qu’un avec uneproductionfromagèreassociée,pouvait identitaire. « let. Lepremierdéclic,dit-il,c’estunequestion Provençale, JoëlCorbonrejointLaurentCha- demande laclédusuccèsrencontréparchèvre CROQUER DU PATRIMOINE. DU CROQUER ans ! »explique-t-il. rante ainsi devenubienplusfavorablequ’ilyaqua- pousser lesproduitslocaux.Lecontextenousest taine d’années,onsentaujourd’huilavolontéde restauration, avecdeschefsquiontunequaran- d’être parvenuàvivredecetroupeau.« Dansla de sereproduire.Quantànotreéleveur, ilestfier bilisé autourde1 dans lesannéesquatre-vingt,lecheptels’eststa- des quelquesdizainesdevachesquisubsistaient national aussi, la race Nantaise a repris de l’allure, de mèresserviespardeuxtaureaux.Surleplan en Gaec.Sontroupeaucompteunequarantaine il regardesonfils,Alexandre,s’installeraveclui nord deNantes.Aujourd’hui,àcinquante-huitans, sonnes danscepetitvillagede700habitantsau qui attirelafoulepardizainesdemilliersper de laraceNantaise,dufestivaldesraceslocales fin desannéesquatre-vingt-dix.Puisils’occupe de monter un troupeau de race pure, on est à la 1995, sesdeuxpremierstaureaux.Ildécidealors premières Nantaises,LicorneetLégende,puis,en et d’autres vaches croisées, il achète ses deux sionnels. Installéen1989avecdesLimousines un peu la colonne vertébrale de ses choix profes- deux vachesqu’iltrouvetellementbellesfurent période heureuse de ma vie. de lanostalgie,tente-t-il,justelesouvenird’une sa mèrevaquantàsesoccupations.« regard desdeuxdernièresNantaisesdutroupeau, l’étable desesparents,faisantdevoirssousle est arrivélà,LaurentChaletsevoitencoredans C’est lamêmemécanique identitaire quijoue. % desnéoruraux,quiviennentpourun Nous avons montré que cette race, 200 femellesdont900enâge sesam

» Cette période et ces N°9MAI2021 Quand onlui Ce n’estpas • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT - consacré àlaNantaise, LaNantaise, éditionsCastor &Pollux, 2002. 6 -Aucours d’unentretien destiné àlarédaction d’unouvrage tale portent sur des points précis, l’allèle d’un gène tale portentsurdespointsprécis, l’allèled’ungène climatique. Les demandes pour la sélection varié- l’environnement, del’adaptation auchangement çant danslechampdel’agroécologie,durespect des objectifsquiontévoluéavecletemps,sedépla- applications pratiques,lacréationvariétale.Avec d’utilisation. Lepremier, pour larechercheetses « aujourd’hui ? ressources. Mais comment tout ceci est-il utilisé créer unevastebasededonnéesaccessiblesurces plète dephénotypageetgénotypageenvue mont-Ferrand, afindeprocéderàuneétudecom- 4 d’avenir Breedwheatapermisdesélectionner 2011, l’ambitieuxprogramme d’investissement particulier lescéréales,estdifférente.Àpartirde La logiquedéployéedanslesespècesvégétales,en du territoire. nous croque un peu du patrimoine animal et social les autresmaisque,enmangeant,chacunde les produits de ces animaux « d’années, quel’importantn’étaitpasdesavoirsi de Nantesquim’expliquait,voiciunevingtaine à BernardDenis,professeurl’écolevétérinaire consolident l’unel’autre. »Dequoidonnerraison ter depayerpluscher. Lesdeuxdémarchesse consommateur peut aussi s’identifier, donc accep- duit quimetl’éleveurenvaleuretdanslequelle doute pasqu’elleleseraunjour. C’estunpro- 600 bléstendressurles12 sert aussi parfois pourdesprojets derecherche. majorité desstocks étant conservée pourle futur. Il génétique dans plusieurs races à faibles effectifs, la reprises, parexemple àréinjecter delavariabilité utilisé tous les jours maisilaserviàplusieurs Certes, le matériel decette cryobanque n’est pas les petites races oupourles races ensélection… maximum dereprésentativité, quece soitpour à conserver dumatériel reproductif pourle les porcs… L’objet delabanqueest deparvenir truites enpassant parles chevaux, les huîtres ou d’une foule d’espèces d’élevage, desbovins aux d’intérêt scientifique,elle rassemble les semences l’élevage. Créée en1999sousstatut degroupement conserver lagénétique animale pourl’avenir de La cryobanque est undesoutilsquipermetde AU FROID À CONSERVER 6 » Pour résumer, ilyadeuxtypes 000 conservésàCler sont meilleurs que - 35 CROISERFAIRE LE 36 CROISERFAIRE LE « sesam l’équation complexe, va causer des soucis va causer dessoucis c’est celle de la race Si le loup s’implante l’espèce menacée. zones concernées, durablement, cela exemple. Dansles N°9MAI2021 celle de lachèvre sont demandeurs depopulations depays mais aussidesbrasseurs.« Leplussouvent,ils sans-boulangers, celuidessemencespaysannes, retrouve en particulier le mouvement des pay GÈNES CHINOIS. GÈNES particuliers », expliqueFrançoisBalfourier. souvent plusanciens,cesontlesagriculteurset type d’utilisation,pourdesmatérielsgénétiques tance àunstressbiotiqueouabiotique…L’autre très particulierquivaciblerparexempleunerésis- Plateformes/Centre-de-Ressources-Biologiques 8 -https://www6.clermont.inrae.fr/umr1095/Organisation/ catalogue officiel. est nécessaire derespecter pourl’inscription d’unevariété dansun pas auxcritères DHS(Distinction, HomogénéitéetStabilité) qu’il variétés (cultivars) ausensjuridiqueduterme car elles nerépondent ensemble d’individusauxgénotypesvariés. Cenesontpasdes est unevariété cultivée traditionnelle, hétérogène, constituée d’un 7 -Unevariété population,ouvariété depaysouvariété deferme, de ressourcesbiologiques natives. » Tous utilisateursconfondus,leCentre la permaculture ou d’autres agricultures alter plus anarchiquesetliéesaudéveloppementde serie. Pourlesparticuliers,demandessont à des marchés de niche, en bio ou pour la bras- scientifiques derrière toutçamaiscelarépond populations. Iln’yapasforcémentdedémarches à partirdesquellesilsdéveloppentleurspropres siècle oudevariétésinscritesaudébutduXX menacée contre de Lorraine par de Lorraine par pour la survie, pour lasurvie, • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT Parmi lesagriculteurs,on 8 deClermont-Ferrand 7

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dans lesprogrammesdesélection. » l’agroécologie, nous devons utiliser cesressources est lenôtre,l’approche différente queréclame l’adaptation aumilieu…Danslecontextequi réseaux degènesquiconditionnentparexemple avons accèsàlaconnaissancedesgènesou cruciaux. Avec leséquençagedugénome,nous en particulierà la fusariose. Les enjeuxsont gènes derésistanceàdespathogènes,jepense utilisés alors qu’ils recèlent potentiellement des des bléseuropéenset,aujourd’hui,ilssontpeu histoire, lesblés chinois ont évoluédifféremment chercheur. Enraisonde leur provenance et deleur pas suffisamment intéressé jusqu’ici, estime le et l’Asie –àlaquelleonnes’estprobablement diversité trèsimportantspourlesblés,l’Europe la Chine. « L’histoire nous aléguédeuxpôles de aujourd’hui l’avenirsesituepeut-êtreducôtéde péenne, puisaméricaine,afaitlesblésmodernes, sions paran.Si la sélection française et euro- distribue aujourd’huientre6 CHOIX CORNÉLIEN. CHOIX l’espèce menacée. » ● complexe, c’estcelledela racemenacéecontre exemple. Dansleszonesconcernées, l’équation pour lasurvie,celledechèvre deLorrainepar plante durablement,cela va causerdessoucis Corneille n’auraitpasreniée Ce quinemanquepasdeposerunequestionque troupeaux décimés »,expliqueCoralieDanchin. tir lesanimauxetprendrelerisquedevoir à basculersurl’Alpinepourneplusavoirsor exemple, peut conduire les éleveurs de chèvres d’une évolution deleur milieu… « Leloup, par se retrouverdenouveauendifficultéàcause prou sortiesd’affaire,certainesracespourraient la Solognote ».Pourautant,siellessontpeuou le fontparexemplelesLandesdeBretagneou locales etterritorialesoudesentreprises,comme risent desterritoiresenlienaveccollectivités le casdespratiquesd’écopâturage,quivalo- d’acquérir unelégitimité“nouvelleutilité”,c’est existe denouveauxcréneaux pour leurpermettre certaines espèces,lesmoutonsparexemple,il des populationsquirestentfragiles.Mais,pour Delphine Duclos,« mêmeà1 de nicheintimementliéesàleurterritoire. »Pour qui restent,avecunmillierdemères,desfilières le casdelaBazadaiseouBleueduNord, Pour d’autres,leplafondestencoreplusbas,c’est où en sont la Ferrandaise ou la Bretonne pie noir. d’un « plafonddeverreautour2 bovins, ilsemblequeoui.CoralieDanchinparle ploiement desracesàpetitseffectifs défaut delescroiser, existe-t-ilunelimiteauredé- Et pour les animaux 000 animaux, ce sont 000 animaux,cesont 000 et7 : « Sileloups’im- 000 mères,là 000 acces- ? Pourles

? À - L La renaissance delaRove prouver que ce systèmepouvaittenir laroute a naturellementdumilitantisme là-dedans « Avec des troupeaux de 150 chèvres en moyenne. soit accepté,serontbientôt huit,peut-êtreneuf. dû présenterseptfoisleur dossieravantqu’il Les septproducteursdecetteaventure,quiont pour conserverlarusticité… interdite, toutcommel’inséminationartificielle, constitués degarriguessèches,l’irrigationest chèvres duRove,lesparcourssontexclusivement en noisetier. Le lait doitproveniruniquementde ambition, rigoureuxcommeuncoupdetrique Le cahierdeschargesestàlahauteurdecette breuses AOPfromagères. s’en emparecommec’estlecaspourdenom- leur produitet« éviterqu’ungrandindustriel demande », maisbienpourprotégerl’imagede ché, « tion, cen’étaitpaspourdévelopperleurmar dans ceprojetdeprotectionleurproduc- S’ils se sont lancés, voici une quinzaine d’années, AOP », ajoutel’éleveur. seulement 300 million debroussesparandanslesecteuret produire chezsoi…« Ilsevendàpeuprèsun carrément dulaitquin’arienàvoirpouren ou, pour un simple quidam urbain, qu’on achète une institution,qu’ony mélange d’autres laits d’Anthéron. Àtelpointquelacontrefaçonest explique FrançoisBorel,éleveuràLaRoque mille ans et qui suscite beaucoup d’intérêt tique delarégionMarseille,connudepuis « AOP fromagère portée par sept producteurs… Provence-Alpes-Côte d’Azur. Etc’estaussiune 10 Aujourd’hui, laRovec’estuntroupeaud’environ Rove oùelles’estensuitedéveloppée. portant portdeMarseille,nonloindumassif trouve en Grèce, qui aurait débarqué dans l’im- une racevenuedeterroirsarides,commeonen race localed’alors,laCommunedeProvence,et née d’uncroisement,ilya2 longue histoirepuisqu’elleest probablement les annéessoixante-dix,laRoveapourtantune en particulier. Réduiteàpeaudechagrindans fournissant dulaitetdelaviandeauxbergers dans lestroupeauxdebrebistranshumants,en ne jouait,depuisdessiècles,unrôleimportant disparaître dansleslimbesdel’histoiresielle A Roveestunechèvre.Unechèvrequiauraitpu La brousseduRoveestunproduitembléma- C’était aussinotreambition audépart,ily 000 têtesdontplusdestroisquartssonten nous n’arrivons déjà pas àsatisfaire la sesam 000 sontcertifiéesparnotre N°9MAI2021 » 000 ans,entrela • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT », », - : valoriser. » seule àpouvoir du Rove est la que lachèvre zones decollines entretenir ces contribuer à des jeuneset pouvait installer « … qu’on troupeau dechèvres duRove.● un atelierdetransformation pouraccueillir un tèmes-les-Vallons aconstruitunechèvrerieet collectivités locales.Ainsi, lacommunedeSep- pouvoir valoriser. » Avec parfoisl’appui des collines que la chèvre du Rove est la seule à jeunes etcontribueràentretenirceszonesde économiquement, qu’on pouvait installer des François Borel 37 CROISERFAIRE LE 38 CROISERFAIRE LE

CROISERFAIRE LE E sesam de leur régulation question la pose se sauvage, vie une à revenus tiques domes d’animaux répétition à histoires les Derrière « amis desbêtes » oules prédateurs naturels N°9MAI2021 fui l’esclavage qui ontprisle maquis Ces («montagnard») et adésigné,dèsle 16 1 -Plusprécisément, le marronnage vientdel’espagnol cimarron , marrons jadis de« marronnage»,parréférenceauxNoirs fréquents d’unphénomèneplusgénéralqualifié « férales» sontassurémentlesexemplesplus En Francemétropolitaine,ceschèvresdites de lacausecaprine. population indignée,prompteàprendreladéfense même deslevéesdeboucliersd’unepartiela sont rarementsuiviesd’effets.Ellesprovoquent sur lesroutes.Maiscesmanifestationsd’autorité cultures etàlaforêt,ainsiquelesrisquesdecollision principaux griefsinvoquésconcernentlesdégâtsaux tenter dejugulercesdivagations...capricieuses.Les préfets prennentrégulièrementdesarrêtéspour du Massif central. Bien embarrassés, maires ou des AlpesauxPyrénéesenpassantparlesfranges sodiquement signaléesdansplusieursdépartements, Ces « sauvageonnes»denoscampagnessontépi- pour avoir rompu tout lien avec la viedomestique. mal élevéesalimententlachroniquelocale,icietlà, être chasséescommedugibier. Deschèvresbien LLES n’ont plus de bergers mais ne peuvent pas par StéphaneThépot fleuve Maroni.Le terme« (non traduit), 2013. 2 -G. Monbiot,Feral: andHumanLife Rewilding theLand, Sea fugitifs. Puis,dansles Antilles françaises, l’esclave noirfugitif. les animauxdomestiques redevenus sauvages, ainsiqueles indiens George Monbiot consacré au « depuis la parution du livre de l’écologiste britannique sauvage) estdésormaispréféréenzoologie,surtout • : qui s’en charge SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT » (« 1 Bushinenge , notamment en Guyane le long du , notammentenGuyanelelongdu RÉENSAUVAGEMENT chèvres férales feral » (tiré du latin » en néerlandais) ayant » en néerlandais) ayant ? Les chasseurs, les e siècle dansles Caraïbes, réensauvagement ? ferus, » 2 - . semant « ces terribles capridés s’invitant dans les jardins et administrés. Àpartleschasseurs,personnen’avu cité l’étonnement–etquelquesmoqueriesdeses par lecomportement« agressif»d’unbouc,asus- témoignage d’unramasseurdechampignonseffrayé article dans« LaDépêcheduMidi»,rapportantle « municipal mentionne« unaccidentdelaroute»et pliées, occasionnantdégâtsetplaintes.Sonarrêté la plusvastedudépartement.Ellessesontmulti- quatre oucinqanssurleterritoiredesacommune, que quelqueschèvresseseraientéchappéesdepuis Jean-Paul Chamayou,agriculteurretraité,raconte ton, « accompagnédeschasseursdesonchoix». de chèvresparlelieutenantlouveterieducan- 2021 unarrêtéordonnantl’abattaged’unecentaine Noire etdesmontsdeLacaune,asignéle22février habitants adosséeauxcontrefortsdelamontagne de Montredon-Labessonnié,bourgade2 chronique sesituedanslesudduTarn. Lemaire « ensauvagées» leplusrécentàavoirdéfrayéla kilomètres à vol d’oiseau du centre-ville. Sur place, kilomètres à vol d’oiseau du centre-ville. Sur place, gorges escarpéesetboisées del’Agout,àplusieurs Et pourcause.Leschèvresont trouvérefugedansles médias quisesontemparés del’histoire. chiens, chats,voireperruchesvertesdanslesvilles. monde entier d’animaux redevenussauvages,enFranceetdansle cette « féralisation»toucheaussid’autresespèces domestique etauxanimauxditsdecompagnie, que relativementmarginaleparrapportaubétail pour uneabolitionpureetsimpledel’élevage.Bien animalistes etdesactivistesvéganes, qui militent suscite unregaind’intérêt,notammentauprèsdes Peu étudiédanslalittératurescientifique,lesujet BOUC ÉMISSAIRE. ». Mais un un risquedepropagationmaladies ».Mais la zizanie : chevaux, vaches, cochons, mais aussi : chevaux,vaches,cochons,maisaussi » dans le village, à en croire les » dans le village, à en croire les Sur le terrain, le cas de chèvres Sur le terrain, le cas de chèvres 000 problème sanssortirlesfusils. fondation Brigitte-Bardotpourtenterderéglerle donc battuenretraite,faisantfinalementappelàla de chasse.LemaireMontredon-Labessonniéa tagés àl’idéed’ajouterdeschèvresleurtableau Les nemrodsdusecteureux-mêmessonttrèspar cultures, commeill’afaitsursonpropredomaine. suffisamment solidesethautespourprotégerles La solutiontient,selonlui,àlaposedeclôtures aux cultures et aux plantations de jeunes arbres. parfois au-delà de ce territoire et causent des dégâts de larivière.Leproblème,c’estqu’ellesserisquent nettoyage dans les pentes abandonnées au-dessus tées enplusieursbandes,ontfaitungrostravailde priétaire reconnaît queleschèvres,désormaisécla- ensauvagées héritéesdesancienslocataires.Lepro- au sein des 300 hectares où évoluent les chèvres veur debrebiss’estinstallésurl’exploitation,située anonyme, relativiselesproblèmes.Unjeuneéle- cheval, ce« gentleman-farmer»,quipréfèrerester en gîtespourl’accueilderandonneurs,àpiedou médiatique. Propriétaired’unefermetransformée le premier concerné se déclare effaré par ce tam-tam OPÉRATION IRRÉALISTE. tout le monde est bien emmerdé, parce que per avec leconcoursdel’Institut del’élevage.« Enfait, la revueprofessionnellede la filièrecaprineéditée Noël Passal,chroniqueurrégulier de« LaChèvre», toires pratiquementchaque année », constateJean- récurrent. Lapresselocale évoquecetyped’his- sesam « C’est un phénomène C’est unphénomène N°9MAI2021 • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT - - distrayant sursonanimaldeprédilection dans l’Ariège, il a écrit un livre aussi érudit que « caprinologue» distingué.Ancienchevrierretiré par des coups defusil, ni vuconnu »,résumece animaux. Cela se règle parfois “à la montagnarde”, sonne neveutprendrelaresponsabilitédetuerces 2005. 3 -J.-N. Passal, L’Esprit delachèvre, éditionsCheminements(épuisé), Ce qui semblait le plus préoccuper fièvre aphteuse.« Cequisemblaitlepluspréoccuper maladies commelatuberculose, labrucelloseou les a trouvées « en bonétat général » et indemnes de L’autopsie pratiquéeparunvétérinairedeTarascon chasses ont finalement abattu cinq chèvres en 2001. tant exigé« leurélimination définitive ». Les garde- l’entretien de la montagne. L’administration a pour plainte. Àsesyeux,leschèvresparticipaientmêmeà a refusé en expliquant qu’il n’avait reçu aucune village de Surba de régler le problème, mais celui-ci sur-Ariège. Lapréfectureademandéaumairedu dans lemassifduSédour, au-dessusdeTarascon- troupeau d’unequarantainedechèvressauvages ment s’étaientalarmésen1999delaprésenced’un Les servicesvétérinairesetsanitairesdudéparte- dans l’Ariège. un autreépisodequis’estdéroulévingtansplustôt ouvrage. L’histoire encoursdansleTarn luirappelle de cartespostalesquiillustrentplaisammentson barbu atroquésontroupeaucontreunecollection s’établir danslesPyrénées,l’ex-soixante-huitard comme tant d’autres par les Cévennes avant de 3 . Passé . Passé - 39 CROISERFAIRE LE 40 CROISERFAIRE LE « Pour les naturalistes, sesam N°9MAI2021 dique Le problèmedeschèvresféralesestd’abordjuri- escalader lafalaiseduRocdeSédour. lage, où elles côtoient les amateurs de varappe venus courent toujoursdansleséboulisau-dessusduvil- dernières nouvelles,leschèvressauvagesdeSurba prix d’une chèvre d’une seringueépidermiqueétaitpluscherquele que l’opérationétait“irréaliste”.Enréalité,lecoût pour enposer. Maisl’administrationaconsidéré fication. Lemaireaalorsproposédelescapturer ces animauxneportaientaucuneboucled’identi- des Services Vétérinaires) de l’époque, c’est que le directeurdelaDSV(Directiondépartementale CONCURRENCE SAUVAGE. mâles pour éviter leur prolifération. « des axes routiers par agrainage et à castrer les l’association s’estengagéeàtenirleschèvresloin devenue l’ambassadriceattitrée.Encontrepartie, et lapréfectured’épargnerleschèvresdontelleest de Châteauneuf-les-Martigues(12 000habitants) elle aréussiàconvaincrelemairedesacommune fondatrice del’association.Avec unebelleénergie, dit SylvieVidal, soixante-dix-septans,présidenteet Berre. « Jevisdanslescollines,j’adorelanature», massif delaNerthe, entre Marseille et l’étang de protection d’une centaine de caprins libres dans le collines mènedepuis2016uneopérationinéditede des Bouches-du-Rhône, l’association Chèvres de nos tification », raconteSylvieVidal. Laprésidentede d’agriculture m’a fourni des boucles pour leur iden à dubétaildomestique. rarement unmaîtreattitrédèslorsqu’ilss’attaquent chose concernant les chiens réputés errants à lavigilancedecertainséleveurs.C’estmême sus, l’additionpourdesanimauxquiontéchappé que leschasseursn’ontaucuneenviederégler, en de certainesfédérations,ilestfacilecomprendre sommes engagées,menaçantparfoislesfinances agriculteurs pourlesdégâtscommis.Auvudes tions dechassequisonttenuesd’indemniserles toutefois placésous la responsabilitédesfédéra- gibier, considéré par définition sans maîtres, est dans le code civil. Au passage, on notera que le autant « res nullius », comme les animaux sauvages Mais ceschèvresunpoilbohèmesnesontpaspour personne. C’estsansdoutelàleurplusgrandtort.

: elles n’appartiennentà officiellement plus • n’existe pas. SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT le problème », raconte Jean-Noël Passal. Aux », raconte Jean-Noël Passal. Aux Dans le département Dans ledépartement La chambre La chambre : ils ont : ils ont » - peine réactualisé depuislenéolithique. l’éleveur nomade et le cultivateur sédentarisé, à mérations. C’est l’antique rivalité entre Caïn et Abel, rigues oumaquis,parfoisen périphériedesagglo- zones intermédiairesplusou moinsenfriches,gar des espacesnaturelscomme laforêtetsurtoutles « Bisounours», elles’élargitàlafaçond’entretenir entre « méchants»chasseursetami(e)sdeschèvres La confrontationneselimitedoncpasàunconflit une fermerefugeenDordogne. de chèvrescapturéesauxPennes-Mirabeaudans Brigitte-Bardot apréférétransférerunetrentaine rence sauvagedeschèvresférales,lafondation à l’hostilitédeschevriersduRovecontrelaconcur conventions depâturageavecledépartement.Face incendies quipermet aux éleveurs de passerdes rôle préventifdeschèvresdanslaluttecontreles à petits effectifs en faisant notamment valoir le à Aix-en-Provence, a réussi à sauver cette race L’association dedéfense des caprins duRove,basée de cohabiteraveccessauvageonneslagarrigue. dotée despectaculairescornesenlyre,quirefusent veurs dechèvresduRove(cf.p.37),uneracelocale Martigues etSalon-de-Provence,cesontdeséle- au-delà desonrayond’action.Surlarouteentre toute responsabilitépourleschèvresquierrent Dans lesBouches-du-Rhône,l’associationdécline des gîtesdeGranquié. l’Office françaisdelabiodiversité,aupropriétaire rie adéjàfaitlivrerdixkilosdemaïs,régléspar des aliments à sesprotégées. Dans le Tarn, la mai- crapahute régulièrementpourapporterduselet de nos collines. Avec quelquesvolontaires,elle velle ensuite »,rapportelaprésidentedeChèvres monter undossier, maisjen’aiplusaucunenou- toute laFrance,j’expliquerégulièrementcomment association dédiée dans le Tarn. « Sauf qu’il n’est pas encore question de créer une éclaté enplusieurshardes,lesmâlesvivantàpart. Montredon-Labessonnié, oùleschèvresontaussi prou lemêmescénarioquis’esquisseautourde séparés d’une vingtaine de têtes. C’estpeu ou chèvres – et les boucs – vivant dans des troupeaux qui afournil’enclospermettantderegrouperles gitte-Bardot, quirèglelesfraisvétérinaireset L’association est épaulée par la fondation Bri- sont aussichasseurs,fonttoujoursdubarouf. » avec troiscommunes,maisdeuxautresmaires,qui dans lesecteur l’ambiance deFarWest àlasaucePagnolquirôde commune voisine », s’indigne-t-elle, en décrivant l’équarrissage dehuitchèvresabattuesdansune même reçuparlettrerecommandéelafacturepour culteurs quinousenvoientleursassurancesetj’ai la propriétairelégaledutroupeau.« Ilyadesviti- l’association refuse néanmoins d’être tenue pour On travaille en bonne intelligence : « Ontravailleenbonneintelligence On m’appelle de On m’appelle de - - consommer des espacesensauvagés. » avec deschasseursquiviennent del’Héraultpour suffisamment lafaunesauvage. « Onseretrouve à vouloiréradiquerleschèvres, denepasréguler ensauvagées. Il reproche aux chasseurs, prompts plus importants »queceuxdesfameuseschèvres causés parlessangliersetchevreuils« bien sonnié. Maisl’éleveuratenuàajouterlesdégâts l’alerter, toutcomme lemairedeMontredon-Labes- paysanne ditavoirécritàlapréfèteduTarn pour Daniel Coutarel. Le porte-parole de la Confédération délèguent leproblèmeauxéluslocaux »,déplore « pas faitbonménageavecleursmoutons. » moitié sauvagesdansleLuberon.Maisellesn’ont et marginaux.« Ilsavaientrécupéréceschèvresà l’égard de cesjeunesbergers sans terre, radicaux ils furentlesfermiers,semontreplusmagnanimeà France. LepropriétairedesgîtesdeGranquié,dont le suddel’ItalieetenAfriquedunordmaisrare race elleaussitrèsrustique,assezrépanduedans de « pucer»leurtroupeaumoutonssardes.Une paysans « qui arompuaveclaConfédérationpaysanne,ces Riesel, ancienmilitantsituationnisteétablienLozère bio adhérentdeNatureetProgrès.ProchesRené « moutons enabandonnantleschèvressurplace. éleveurs, partidansl’Ariègeavecsontroupeaude plus sévèreàl’encontred’unautrecoupledejeunes Montredon-Labessonnié, DanielCoutarelestbien tion paysannedansleTarn. Éleveurdebrebisà défendus par le porte-parole de la Confédéra Les jeuneséleveursdechèvresdesPyrénéessont biologique en2022. prairies, et qui vise la certification en agriculture de cinquantehectaresforêtetvingt du couple,installédepuisnovembre2019surplus en agroforesterie est la principale source de revenus pour entretenirlaforêtdeCrouzigues gnon, forestierdeformation,apassédescontrats chèvres enyaourtsetfromagesfrais.Soncompa- une souscriptionpourtransformerlelaitdeses tionnés desgorgesdel’Agout.Ellevientlancer hybridation aveclesboucssauvagesnonsélec- menacée dedisparition.Lachevrièreredouteune de chèvresdesPyrénées,uneautreracerustique Christophe possèdentuntroupeaud’unetrentaine sur le Girou.Venus de Franche-Comté, Hélèneet antédiluvien degrandbarragesoutiend’étiage et escarpé,jadismenacéd’êtrenoyéparunprojet Montredon-Labessonnié, dans un secteur très boisé Saint-Pierre-de-Trivisy, unecommunevoisinede jeunes éleveursdechèvresinstallésrécemmentà Situation similairedansleTarn pouruncouplede MOUTONS. LES AVEC MÉNAGE MAUVAIS », juge cet éleveur Incompétents etirresponsables »,jugecetéleveur Les pouvoirs publics ne veulent pas trancher et Les pouvoirspublicsneveulentpastrancheret itinérants » et très militants, avaient refusé » et très militants, avaient refusé sesam N°9MAI2021 : l’écopâturage : l’écopâturage • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT - Philippe Charlier. ● naturalistes, leproblèmen’existepas »,regrette l’article surlesabattages préventifs p.56). Pourles avait étécapturéeau sein d’uneautreharde(lire au printemps2011.En2006,unechèvreférale vagée évoluaitavecunehardedebouquetins (Hautes-Alpes), avec lafaunesauvage.« DanslemassifdesCerces attirer l’attention surlesrisques d’hybridation appel. Cenaturalisteéclairéetsolitaireentendait sont surtoutleschasseursquiontréponduàson éparses etconstate,unpeuamèrement,quece Charlier en2012.Iln’areçuquedesréponses Arudy (Pyrénées-Atlantiques) »,écrivaitPhilippe Pyrénées) ainsiquedanslecirqued’Anglasà Chartreuse (Savoie), dans le mont Sacon (Hautes- de la Sainte-Baume (Var), dans le massif de la Verdon (Alpes-de-Haute-Provence),danslemassif taille variable sontsignalésdanslesgorgesdu par lapréfectureen2011.Destroupeauxde l’Ardèche a fait l’objet d’uneréunion organisée de laréservenaturellenationaledesgorges dans « LaChèvre».divagationdeschèvres Un appel à un recensement exhaustifa été lancé D’autres secteurs sont potentiellement concernés. dans lesvalléesencaisséesdel’AgoutetduGirou. en général, favorise son implantation définitive la multiplicationdeschèvresférales,etdugibier sions dansleTarn. DanielCoutarelredouteque de présencepermanente »,avecquelquesincur déjà danslaréserveduCaroux,déclarée« zone Le prédateuraétérepérédepuisquelquesannées faire faceàunnouvelarrivantimprévu de l’Office labiodiversité,doivent aujourd’hui des Eaux et Forêts, désormais regroupées au sein rural. Lesdeuxadministrationsdel’anciencorps en mêmetempsquelespaysanslorsdel’exode placer utilement les chèvres qui disparaissaient dans l’espritdel’Officenationaldesforêts,rem- national delachasse,lesmouflonsdevaientaussi, de nouveauxtrophéesauxchasseursparl’Office gétique etenvironnementaliste.Destinésàoffrir couples lâchés en 1956 dans une optique cyné- troduction réussie de cette espèce depuis les deux A EN DEVENIR CHÈVRE. Saint-Pons-de-Thomières, 1991. espace privilégiédumouflondeCorse,imprimerieMaraval, 4 -G. Massol, nationale defauneduCaroux La Réserve Espinouse, tements, le Tarn et l’Hérault. Un livre du Haut-Languedoc,àchevalentrelesdeuxdépar avant mêmelacréation,en1973,duparcrégional des mouflonsdeCorse,introduitslonguedate, le massifvoisinduCaroux.Ellesyvoisinentavec chèvres féralesdéfraieaussilachroniquedans

une chèvre échappée et ensau- Un autretroupeaude 4 retrace l’in- : leloup. - - ­ 41 CROISERFAIRE LE sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE

(DÉ) COU- À boire et VERTS

42À MOTS à manger...

par Valérie Péan

Elle est née officiellement en 1996 des revendications altermondialistes en réaction à la libéralisation de l’agri- culture. Une approche longtemps limitée à la défense des paysanneries et au droit à l’alimentation des peuples. Catherine Laroche-Dupraz Mais voilà que, avec la crise sanitaire et les fermetures de frontières, la souveraineté alimentaire s’est invitée à toutes les tables, y compris en Europe. Confondue avec libéralisation du commerce. Cela a été perçu comme la sécurité alimentaire voire avec l’autosuffisance, cette une menace par les pays en développement, un frein notion est devenue une véritable auberge espagnole. à leur droit de se protéger et de mettre en œuvre leur Parce qu’elle mérite mieux, le point avec Catherine propre politique agricole. De fait, les agricultures Laroche-Dupraz, du département Économie, gestion, puissantes des pays occidentaux étaient souvent société, de l’Institut Agrocampus-Ouest, membre de fondées sur des soutiens publics très forts, ce qui l’unité Smart-Lereco et coauteur d’un article1 sur ce tirait vers le bas les prix mondiaux et concurrençait concept. de manière déloyale les produits du Sud.

1 - Laroche Dupraz C., Postolle A., « La souveraineté alimentaire en Afrique est-elle Le protectionnisme agricole des pays du Nord compatible avec les négociations commerciales agricoles à l’OMC ? », dans Politique africaine n° 119, octobre 2010, p. 107-128. s’appuyait, lui, sur l’idée de sécurité alimentaire, ce qui n’est pas la même chose car cette dernière ne se soucie pas de l’origine et des manières Avec la pandémie et les craintes de pénuries, de produire les denrées. l’impératif de souveraineté alimentaire est Effectivement, c’est le cas des politiques agricoles scandé sur tous les tons pour desserrer l’étau européennes et américaines de la deuxième des dépendances. On sent bien toutefois que moitié du XXe siècle. La sécurité alimentaire, qui ce concept fait l’objet d’interprétations très consiste « seulement » à garantir à tous l’accès différentes. Revenons-en donc à ses origines. à une nourriture suffisante en quantité et en C’est une notion née dans les pays du Sud… qualité, justifiait une politique protectionniste Catherine Laroche-Dupraz : Nous avons analysé pour développer la production agricole, nourrir la cette notion telle qu’elle a été portée par les ONG population et relever les revenus des agriculteurs. et les organisations issues de la société civile, Mais, dès les années 1970, le marché intérieur ne en particulier par Via Campesina 2. En marge du suffisant plus à absorber l’offre de produits, il s’est premier Sommet mondial de l’alimentation, à Rome, agi aussi de « nourrir le monde », quitte à largement en 1996, la souveraineté alimentaire est née en subventionner les exportations. réaction à l’accord de l’Uruguay round (1986-1994) Le paradoxe c’est que le mouvement altermondialiste, qui introduisait pour la première fois l’agriculture à l’époque, a perçu l’OMC comme l’instrument dans le champ des négociations multilatérales de même du libre-échange, en protestant contre l’idée que l’agriculture pouvait être libéralisée comme 2 - La Via Campesina est un mouvement international qui coordonne les autres biens marchands. Or certains volets de des organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs ces négociations multilatérales visaient à lutter agricoles, de fermes rurales, de communautés indigènes d’Asie, des Amériques, d’Europe et d’Afrique. Ce réseau a vu le jour en 1993. contre la concurrence déloyale, le dumping, les sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

subventions à l’exportation, etc. Contrairement à ce que l’on pense, OMC et souveraineté alimentaire UNE NOTION FUTÉE pouvaient être compatibles ! Contrairement à l’autosuffisance alimentaire qui consiste à ne manger que ce qui est produit Que les pays du Sud veuillent protéger leur localement, la souveraineté alimentaire, notamment agriculture est normal, sauf que la plupart d’entre définie par Via Campesina à la fin des années 90, se eux étaient tournés vers l’agriculture de rente, veut être « un droit des États, des populations, des par exemple pour l’exportation, au détriment des communautés à maintenir et développer leur propre paysans et des communautés rurales. capacité à produire leur alimentation, à définir leurs Tout à fait. Ce terme de souveraineté, développé par propres politiques alimentaire, agricole, territoriale, les anti puis les altermondialistes, a été introduit lesquelles doivent être écologiquement, socialement, pour présenter une nouvelle voie à même d’assurer économiquement et culturellement adaptées à la sécurité alimentaire des populations, en rupture chaque spécificité ». La nouveauté : subordonner 43 certes avec la libéralisation des échanges mais les politiques agricoles et commerciales à la volonté aussi pour protester contre les politiques de leurs des peuples en termes d’alimentation. La force du propres États ! concept, selon C. Laroche-Dupraz, c’est que, «au moins en apparence, il met en accord producteurs Des pays ont-ils su tirer parti de ce concept ? et consommateurs des pays. C’est très futé. En Oui, plusieurs, mais plus tard. En fait, ce concept revanche, rien n’est dit sur les outils politiques a d’abord généré beaucoup de débats très nécessaires, qui restent à définir ». riches. Car, dès qu’on veut le traduire en outils politiques, se pose la question de la manière dont on considère l’agriculture. Est-elle un outil de compétitivité extérieure ? auquel cas, il faut encourager les filières de rente et l’agroexportation. demandaient les organisations paysannes. Voilà un Est-elle un outil de lutte contre le chômage héritage de la notion de souveraineté alimentaire : et l’exode rural ? ce qui conduit les politiques des pays qui débattent ensemble de l’agriculture publiques à soutenir les emplois agricoles, quitte qu’ils souhaitent développer dans leurs territoires. à maintenir des productions non compétitives. Ce débat devrait avoir lieu aussi en Europe ! Si on veut Ou bien est-elle le moyen de lutter contre soumettre notre politique agricole et commerciale l’insécurité alimentaire ? ce qui amène à valoriser à la volonté du peuple, il faut d’abord définir ce que les agricultures familiales nourricières, mais veut le peuple, ce qui n’est pas si simple! aussi à favoriser les importations pour sécuriser l’alimentation des populations urbaines au moindre Mais si chaque État membre souhaite sa propre coût, ce qui pose des problèmes de concurrence. souveraineté alimentaire, comme cela semble Tous ces débats ont eu lieu. être le cas, n’est-ce pas un facteur de division Ensuite, dans les années 2000, il s’est passé un en Europe ? phénomène intéressant du côté des pays de la C’est évident. Cela n’a de sens qu’à l’échelle zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) au moment européenne. Et puis, autant les débats qu’il où se négociait l’accord de Cotonou3 avec l’Union suscite sont porteurs, autant l’emploi du terme européenne et son volet commercial, les Accords « souveraineté alimentaire » me paraît dangereux de Partenariat Économique (APE). Car, en amont, quand il vise simplement à stigmatiser le commerce stimulés par les conseils d’ONG, les pays de l’Afrique international. Il me semble que l’ennemi, ce n’est de l’Ouest regroupés au sein d’une communauté pas le commerce international, c’est la concurrence économique, la CEDEAO, ont été amenés à réfléchir déloyale et le non-respect des engagements aux cultures agricoles qu’ils voulaient préserver internationaux. de la concurrence internationale. Après de longs débats, les quinze pays de cette communauté Vous tordez donc le cou aussi à l’idée que ont adopté un nouveau taux de droit de douane la souveraineté alimentaire serait un outil contre de 35 % pour les produits « sensibles », dont des la mondialisation et pour les relocalisations ? biens agricoles stratégiques localement, comme le Disons que je suis très sceptique à l’égard de cette approche. Je n’ai rien contre le fait de 3 - Les pays de l’ACP sont ceux qui ont d’abord signé les conventions manger local mais c’est plus facile quand on de Lomé (à partir de 1975) puis de Cotonou avec l’Union européenne. Ces conventions instauraient un traitement commercial préférentiel est breton qu’ardéchois… ou sahélien ! Pour moi et non réciproque entre les pays de l’ACP et l’UE, peu compatible avec cette argumentation peut vite s’apparenter à du l’OMC. C’est pourquoi l’UE a ensuite négocié des APE (Accords de partenariats économiques) avec ces pays. protectionnisme déguisé. ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

TRAVAIL

(DÉ)(DÉ) COU-COU- L’agriculture VERTSVERTS À MOTS 44À MOTS à bout debras par Lucie Gillot

La crise du Covid-19 aura eu ce mérite : non pas seu- dente de la FNSEA Christiane Lambert, plus pré- lement mettre en lumière ces travailleurs invisibles cisément « 45 000 saisonniers en mars, 80 000 que sont les salariés agricoles de tous bords, mais en avril et à peu près autant en mai ». reconnaître leur caractère indispensable. Une « armée Pour beaucoup, la crise du Covid-19 aura servi de l’ombre » placée subitement sous les projecteurs. À de révélateur aussi bien du caractère « essen- l’heure où les déplacements de population se heurtent tiel » de l’activité agricole et alimentaire, dont encore aux frontières sanitaires, où la récolte de fraises les professionnels sont restés « sur le front » est de nouveau en péril, la question de la pénurie de durant toute la période de confinement2, que main-d’œuvre reprend le chemin des médias. Reste de la « dépendance » du système agricole fran- qu’il serait illusoire de croire qu’elle disparaîtra une çais à la main-d’œuvre étrangère3. Avec à la clé fois la crise du Covid-19 passée. Dans une France une multitude de débats, ici sur la nécessité de préoccupée par la problématique de la souveraineté « relocaliser la main-d’œuvre » à des fins de alimentaire, une question fait tache : qui va biner ? souveraineté alimentaire, là sur le désamour des Français pour ces métiers jugés peu attractifs, sans oublier la question, centrale, des conditions et de la pénibilité du travail. Mais que sait-on E 18 mars 2020, à peine le confinement était-il du rôle et de l’importance de la main-d’œuvre décrété, les frontières fermées, que la FNSEA salariée en agriculture ? publiait un communiqué de presse. Objectif : Loin d’être une nouveauté, le salariat existe interpeller le gouvernement sur les risques que depuis longtemps en agriculture. « Au XIXe siècle, cette décision faisait peser sur la production la part de salariés était très importante ; elle française et la satisfaction des besoins en main- est aujourd’hui plus faible », rappelle Jean-Noël d’œuvre. Et les ministères de l’Économie et de Depeyrot, chargé de mission au Centre d’études l’Agriculture de répliquer sans attendre, avec et de prospective du ministère de l’Agriculture, l’annonce, le 24 mars, d’un plan de soutien spé- lors d’une séance de l’Académie d’agriculture de cifique. De celui-ci, médias et réseaux ont retenu France4. Cette ancienneté ne doit cependant pas l’appel lancé par Didier Guillaume à « rejoindre masquer de profonds changements. Mobilisant la grande armée de l’agriculture française1 ». les données du vaste chantier Actif’Agri (voir « À Les volontaires n’étaient pas incités à prendre visages découverts »), J.-N. Depeyrot esquisse le maquis mais à se connecter à une plateforme touche après touche le portrait d’un secteur où conçue par la start-up WiziFarm « Des bras pour s’estompe le modèle de l’exploitation familiale. ton assiette », afin de venir prêter main-forte aux exploitants. Un chiffre tourne alors en boucle : 2 - « Les métiers au temps du corona », France Stratégie, avril 2020. 200 000 postes sont à pourvoir, selon la prési- 3 - « No Food, Water, Masks or Gloves: Migrant Farm Workers in Spain at Crisis Point », The Guardian, 1er mai 2020. 4 - « La sécurité alimentaire en France. La crise Covid-19 rebat-elle les cartes ? Les questions autour de la main-d’œuvre », Jean-Noël 1 - « Course contre la montre pour éviter une pénurie Depeyrot, colloque « État de l’agriculture en 2021. L’agriculture post- Lde saisonniers », Agra Presse, 27 mars 2020. covid : global ou local ? », AAF, 10 février 2021. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

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Parmi ses signes distinctifs, retenons tout d’abord LE MIRAGE DE LA RELOCALISATION. Loin ceci : alors que le nombre d’exploitants agri- d’être hexagonale, la problématique du travail coles décroît – la France a perdu un quart de ses saisonnier et le recours à une main-d’œuvre exploitants en quinze ans –, le travail salarié, étrangère se pose, avec une insistance plus ou à l’inverse, « se renforce et se diversifie ». En moins marquée, au sein d’autres États membres 2016, 756 000 salariés agricoles ont travaillé de l’Union européenne (voir « L’Homme invi- dans les exploitations françaises, tous types de sible »). Dans une note éditée en juin 2020 par contrats confondus – CDI, temporaires (CDD, le Cepii5, le Centre d’Études Prospectives et saisonniers) et apprentis. Cet essor du travail d’Informations Internationales, les économistes salarié s’explique en partie par « l’externali- Cristina Mitaritonna et Lionel Ragot ont étudié sation croissante de la main-d’œuvre ». Ainsi, les réponses apportées par plusieurs d’entre de plus en plus d’exploitants délèguent certains eux suite au premier confinement et aux res- travaux à une entreprise dédiée. Qu’il s’agisse trictions de circulation ou d’accès à l’espace de groupements d’employeurs, d’entreprises de communautaire. Et leurs conclusions sont riches travaux agricoles ou d’agences d’intérimaires, d’enseignements. elles ont pour point commun d’avoir fortement Premièrement, les tentatives de remplacement prospéré ces dernières années et de recourir de la main-d’œuvre étrangère par une main- majoritairement – mais pas uniquement – à des d’œuvre autochtone ont échoué. À la fin du contrats temporaires. confinement, selon WiziFarm, plus de 300 000 Qu’en déduire ? Si le salariat existe depuis très Français s’étaient portés volontaires. Et pour- longtemps en agriculture, il prend depuis une tant, au regard de ces chiffres, le nombre de vingtaine d’années des formes nouvelles, que contrats signés fait grise mine. Un rapport du caractérise l’essor du travail temporaire, avec Sénat souligne ainsi que sur les « 300 000 ins- une poussée marquée des contrats saisonniers et criptions entre mi-mars et début mai, 15 000 ont le recours croissant à des entreprises extérieures. obtenu un contrat de travail6 ». Même constat Outre la forte précarité associée à ces boulots de au Royaume-Uni où, sur les 50 000 candidatures courte durée, se pose la question des tensions que postées, moins de 200 ont finalement abouti. cela génère lors des pics d’activité ainsi que celle, Pour L. Ragot, professeur d’économie à l’univer- primordiale, du suivi sanitaire de ces travailleurs. sité Paris Nanterre et conseiller scientifique au « Entre 2002 et 2016, 90 % des saisonniers sont Cepii, il s’agit là d’un phénomène de fond : il est sortis du système, ce qui pose un problème de illusoire de croire que la main-d’œuvre étrangère suivi en termes de management, de formation et peut être remplacée par des autochtones, même de santé », précise J.-N. Depeyrot. Et la main-d’œuvre étrangère dans tout ça ? Si 5 - « After Covid-19, Will Seasonal Migrant Agricultural Workers l’on en croit les données d’Actif’Agri, leur pro- in Europe Be Replaced by Robots? » C. Mitaritonna et L. Ragot, CEPII portion va croissant : en 2010, 18,8 % des sai- Policy Brief n°33, juin 2020. 6 - Rapport d’information n°535 (2019-2020) de MM. L. Duplomb, sonniers étaient étrangers, contre 24 % en 2016. F. Montaugé, B. Buis et F. Menonville, déposé le 17 juin 2020. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

proposés est quasiment nulle ». En clair, à l’arrêt du programme, « ils [les braceros] n’ont pas été substitués par des travailleurs américains : soit il y a eu substitution technologique, dans ce cas-là les fermiers ont basculé sur du capital et des machines, soit il y a eu substitution de produc- tion, c’est-à-dire que les agriculteurs américains ont opté pour des cultures nécessitant moins de main-d’œuvre ». Deuxièmement, il est probable que la crise du Covid-19 agisse comme un déclencheur condui- sant à des changements structurels du travail 46 agricole et que, dans son sillage, les agriculteurs mettent en place, à plus long terme, des stratégies pour se passer des travailleurs étrangers. Cette hypothèse repose sur un cas concret : l’épisode du Brexit au Royaume-Uni. « Nous avons été inter- pellés par la situation anglaise parce que, avant Frédéric Décosse le Covid-19, elle a connu une diminution assez sensible du nombre de travailleurs migrants suite au vote du Brexit ». Les raisons ? « Une ambiance « En mars et avril, globale hostile, un des principaux déterminants du Brexit ayant quand même été le refus de l’im- les politiques se migration ». S’y est greffée une baisse de la valeur de la livre sterling, rendant moins attractive la sont vraiment faits venue au Royaume-Uni. Les agriculteurs outre-Manche « ont essayé de les porte-voix de remplacer cette main-d’œuvre qui ne venait plus par une main-d’œuvre locale. Mais, là non plus, l’idée selon laquelle ça n’a pas marché. C’est également ce que nous avons retrouvé avec le Covid-19 ». Face à cette on manquait raréfaction, les Britanniques « se sont lancés dans la substitution technologique », comme les de main-d’œuvre. agriculteurs américains avant eux. Le gouverne- ment britannique a ainsi alloué quatre-vingt-dix Et, comme millions de livres – environ 104 millions d’euros –, à un programme axé sur le développement de toujours, ce n’est l’intelligence artificielle et la robotique. Pour L. Ragot, tous ces exemples doivent nous interpel- qu’en partie vrai. » ler quant au devenir de la main-d’œuvre agricole étrangère à plus long terme. À partir du moment où les technologies de la robotique seront éco- nomiquement matures (baisse de leurs prix), ce en augmentant sensiblement la rémunération. qui n’est pas encore le cas, elles s’imposeront. Pour étayer ce constat, il s’appuie notamment « Opter pour ou refuser leur usage relèvera d’un sur les travaux de Michael A. Clemens. Cet éco- choix de société, mais pas d’une option écono- nomiste américain a étudié l’impact qu’a eu, en mique », prévient-il. D’autres éléments vont, en 1964, l’arrêt du programme « Bracero ». Mis outre, peser dans la balance. « Le robot n’a besoin en place en 1942, ce dernier permettait à des de personne. Il pourra récolter en une nuit et un citoyens mexicains de venir travailler temporai- jour tout ce qui se trouve sous une serre. Et là, rement dans des fermes américaines7. L. Ragot il n’y a pas de loi du travail qui empêche de le en résume ainsi les conclusions : « L’élasticité de faire travailler la nuit. » l’offre de travail des autochtones aux salaires DEVINE QUI VIENT BINER CE SOIR. Fin de l’histoire ? Pas encore. Revenons à l’exemple de 7 - Source : https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/ histoire-et-culture/the-bracero-program-4175798 la plateforme WiziFarm, ses 300 000 candidats sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

… « rechigner À VISAGES DÉCOUVERTS à employer de Fruit d’un travail collectif édité par le Centre d’Études et de Prospective (CEP) du ministère la main-d’œuvre de l’Agriculture en 2019, Actif’Agri propose une minutieuse radiographie du travail en agriculture française qui n’est et de ses acteurs – exploitants, salariés et aidants familiaux. De cette vaste enquête, retenons ici pas qualifiée, quatre points. Premièrement, le travail salarié s’accroît. qui n’a pas assez Une tendance qui doit être mise en regard 47 de la diminution du nombre d’exploitants, un de rendement. » agriculteur sur trois n’étant pas remplacé. Parmi les différents statuts possibles – CDI, CDD, CDD-saisonniers ou apprentis, ce sont les contrats versus les 15 000 embauches. Question : comment saisonniers qui progressent le plus. En 2016, expliquer un tel fossé entre le nombre de candida- environ un tiers de la main-d’œuvre salariée tures déposées et le peu de recrutements ? « Beau- des exploitations, évaluée en Unité de Travail coup se sont inscrits mais finalement n’y sont Annuel1 (UTA), était assuré par des saisonniers. pas allés, détaille L. Ragot. Ce résultat provient Mais la proportion change dès lors qu’on plus des réticences de la part des agriculteurs regarde le nombre de travailleurs concernés : à signer des contrats que d’un engouement des sur les 756 000 salariés agricoles présents sur volontaires8. » les exploitations en 2016, 532 800 étaient des Pour Frédéric Décosse, sociologue au Laboratoire saisonniers, soit 70 %. d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST- Deuxièmement, le recours au travail salarié CNRS), nous touchons là au cœur du problème. diffère de façon manifeste d’une exploitation « En mars et avril, les politiques se sont vraiment et d’un secteur d’activité à l’autre. « Les 10 % faits les porte-voix de l’idée selon laquelle on d’exploitations les plus grandes emploient 22 % manquait de main-d’œuvre. Et, comme toujours, de la main-d’œuvre totale, 14 % des actifs familiaux ce n’est qu’en partie vrai. » Pour celui-ci, le et 40 % des salariés », détaille J.-N. Depeyrot. discours autour de la pénurie de main-d’œuvre Côté production, l’arboriculture et la viticulture revêt deux aspects, rarement distincts. Il y a tout sont les secteurs les plus friands de main-d’œuvre d’abord la question du « stock », à savoir celle du temporaire. manque de bras, et cette idée selon laquelle les Troisième phénomène, l’externalisation croissante autochtones ne postulent pas aux offres d’emplois de la main-d’œuvre. Auparavant marginale, agricoles. Conséquence, les producteurs n’ont la sous-traitance devient peu à peu courante, d’autre choix possible que celui de se tourner témoignant d’un changement du modèle agricole vers une main-d’œuvre étrangère. et du recul de la figure de l’exploitation familiale, Mais ce discours masque, selon F. Décosse, une encore majoritaire. En 2010, la main-d’œuvre réalité dont on fait peu de cas : les producteurs dite externe était estimée à 8 000 UTA… contre rechignent eux aussi à recruter des autochtones. 29 760 UTA en 2016. Et il insiste sur la « fonction idéologique de la En dernier lieu, que sait-on de ces travailleurs ? pénurie de main-d’œuvre » qui vient justifier le « Ce sont des salariés plutôt jeunes, et ceux en CDD recours aux travailleurs étrangers. « Quand vous le sont encore plus », explique J.-N Depeyrot. Ainsi, écoutez les discours des employeurs, les termes 45 % des salariés hors CDI ont moins de trente sont les mêmes – “Les gens sont venus mais ne ans et ce sont plutôt des « emplois masculins ». font pas l’affaire ; ils n’ont pas le rendement que Source : Conférence de J.-N. Depeyrot, Actif’Agri : « Transformations des emplois et des activités en agriculture », analyse n° 145, l’on attend”. […] Au-delà de la question du stock novembre 2019. et de l’idée qu’il n’y aurait pas suffisamment de bras pour satisfaire les besoins, il y a la ques-

8 - Forte pénibilité du métier, manque de visibilité, défaut de 1 - Selon l’Insee, « l’Unité de Travail Annuel (UTA) est l’unité de mesure formation complètent également cette liste. Voir le thread de la de la quantité de travail humain fourni sur chaque exploitation agricole. Revue Sesame de mai 2020 : https://twitter.com/RevueSesame/ Cette unité équivaut au travail d’une personne travaillant à temps plein status/1258068913046372354 pendant une année ». sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

L’HOMME INVISIBLE « …J’étudie la Si le travail saisonnier et le recours à la main-d’œuvre étrangère sont une réalité question de la dans plusieurs États membres de l’UE, ils prennent cependant des proportions diverses. main-d’œuvre Par exemple, en Italie, 932 000 travailleurs sont concernés par les contrats saisonniers ; agricole depuis ils assurent 59 % des UTA salariés. Après avoir fortement progressé ces dernières quinze ans et j’ai années, la main-d’œuvre étrangère y effectue désormais 36 % des emplois saisonniers. 48 toujours entendu Au Royaume-Uni, le travail saisonnier concerne 37 % des travailleurs salariés. Il est dire que les locaux cependant assuré à 95 % par des travailleurs migrants, qui œuvrent principalement dans le sont des bras secteur des fruits et légumes. Dans leur note, C. Mitaritonna et L. Ragot cassés… » précisent que « les données nationales officielles sous-estiment le rôle des migrants saisonniers dans l’agriculture » puisqu’elles « tiennent compte des travailleurs saisonniers tion du travail. Quel est le rendement attendu ? recrutés par des entreprises de services situées Quelles sont les conditions de travail, d’emploi et sur le territoire national » mais « n’incluent pas de rémunération ? C’est bien ça qui est en jeu », ceux qui sont employés par des entreprises de relève le sociologue. services basées dans d’autres pays de l’UE ». D’ailleurs, la profession ne tait pas ses réticences Autrement dit, les travailleurs détachés1. à solliciter ses concitoyens. « Si on embauche des Rares sont les chiffres fiables sur le sujet. locaux, on ne va pas sortir nos récoltes », lâchait Actif’Agri a estimé à 67 600 le nombre de un producteur de fraises du Lot au « Monde9 », travailleurs détachés ayant travaillé sur une quand un producteur de cerises déclarait au exploitation française en 2016. micro de France Bleu « rechigner à employer de Source : « After Covid-19, Will Seasonal Migrant Agricultural la main-d’œuvre française qui n’est pas quali- Workers in Europe Be Replaced by Robots? », op. cit. 10 fiée, qui n’a pas assez de rendement ». 1 - « Un travailleur “détaché” est un salarié envoyé par son Loin de jeter la pierre aux principaux concernés, employeur dans un autre État membre en vue d’y fournir un service à titre temporaire. » Source : https://ec.europa.eu/social/main. F. Décosse plaide pour que la question du travail jsp?catId=471&langId=fr soit pleinement investie. « J’étudie la question de la main-d’œuvre agricole depuis quinze ans et j’ai toujours entendu dire que les locaux sont des bras cassés ». Reste que, derrière cet argu- ment, une question demeure en suspens, « celle de l’assignation au travail ». Contrairement aux CE QUI NOUS TRAVAILLE. Bien évidemment, travailleurs étrangers, les salariés français ont la cette problématique doit être mise en regard possibilité de « comparer les conditions de rému- d’éléments tels que la pression économique, très nération, d’emplois, de mettre en concurrence les forte sur les secteurs agricoles qui ont recours à ce employeurs et les secteurs », y compris hors agri- type de main-d’œuvre. Citant le cas des Bouches- culture. Finalement, la problématique à instruire du-Rhône et de ses exploitations arboricoles et est « celle de la liberté de travail ». Sous-entendu : maraîchères fortement tournées vers l’export, c’est une liberté dont les migrants disposent peu F. Décosse invite à « replacer la problématique (voir son entretien sur le blog de Sesame11). dans le contexte d’une agriculture globalisée » où plusieurs bassins – Provence, Espagne ou Maroc – se livrent une âpre lutte des prix. « La concur- 9 - « Saison agricole : “Si on embauche des locaux, on ne va pas sortir rence s’opère sur la base du travail, celui-ci nos récoltes” », Le Monde, 15 mai 202O. 10 - « Coronavirus, le manque de main-d’œuvre se fait sentir pour représentant 50 % du coût de production. » Même er les cultures », France Bleu Occitanie, 1 avril 2020. analyse du côté des auteurs d’Actif’Agri qui rap- 11 - https://revue-sesame-inrae.fr/les-saisonniers-en-agriculture- sont-vus-comme-des-oiseaux-de-passage pelaient ainsi que « l’accroissement du salariat et sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

AGROÉCOLOGIE : MODE D’EMPLOIS Ce pourrait être un sujet de question, ils ont notamment étudié développement de la vente directe colle d’une école d’agro : par la charge de travail en agriculture – va également faire bouger le son moindre recours aux biologique, entendue ici comme curseur. Tout ne relève donc pas intrants chimiques, la transition un exemple possible de pratiques des pratiques aux champs. À ce agroécologique va-t-elle générer agroécologiques. Résultat : tout stade, il s’avère encore difficile de un surcroît de travail ? Et peut-on d’abord, l’orientation productive va tirer des conclusions générales sur l’estimer ? Tandis que certains lourdement peser dans l’équation. la charge de travail que va induire se lancent dans de surprenantes « En maraîchage, il n’y a guère la transition agroécologique. conjectures – un article de de différence car ce sont déjà des Pour C. Détang-Dessendre, « L’Express » avance par exemple exploitations intensives en termes « il faut être très prudent dans ce qu’une agriculture « affranchie de charge de travail. En revanche, que l’on dit de la relation travail, 49 des éléments chimiques » sur les bovins lait, on serait à 15 % emploi et agroécologie. D’un côté, devrait mobiliser 20 à 30 % de la de plus de main-d’œuvre et 26 % les agriculteurs disent redonner population active française1, les en grandes cultures », explique du sens à leur métier et, de l’autre, chercheurs planchent sur le sujet. Cécile Détang-Dessendre, le déploiement de ces pratiques Comme souvent, leurs conclusions directrice scientifique adjointe leur demande souvent de travailler sont un tantinet plus nuancées. agriculture à INRAE. Ensuite, plus, dans un contexte où le temps Pour tenter d’objectiver la la diversification des activités de travail en agriculture dépasse agricoles – par exemple la création déjà les niveaux des autres secteurs 1 - « Le mythe de la relocalisation et de l’autonomie économique », L’Express, 30 avril 2020. d’ateliers de transformation ou le d’activité ».

l’externalisation concourent au développement ainsi l’absence de prise en compte, dans l’at- d’emplois précaires12. Cette fragilité et le faible tribution de ces aides publiques, du « respect niveau des rémunérations des salariés sont à des droits de l’homme ». Plus près de nous, le mettre au regard de la modicité et de l’instabilité ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, des revenus de la majorité des exploitants ». a rappelé le rôle que pouvait jouer la robotique Improbable relocalisation de la main-d’œuvre, agricole dans la transition agroécologique. Il a essor de la robotique, vrai-faux débat autour de annoncé qu’à l’occasion du plan de relance, le la pénurie de main-d’œuvre, recours croissant gouvernement mettait « à disposition 215 mil- aux travailleurs migrants avec toutes les interro- lions d’euros pour financer le renouvellement gations que cela soulève, pénibilité, manque d’at- des équipements14 ». Parallèlement, certains tractivité du métier… Quel visage aura demain réfléchissent à une autre manière de penser le le salarié agricole, si tant est qu’il soit toujours capital en agriculture, entendu cette fois au sens humain ? premier du terme, « ce qui est capital et que l’on Loin d’être épisodique, la question du travail veut préserver ». C’est le fil suivi par l’associa- agricole va devenir centrale. Si vous en doutez tion La Coop des communs avec le principe de encore, voici, en guise de conclusion, quelques- la méthode Care qui bouge les lignes habituelles uns de ses derniers bruissements. Alors que se des grilles comptables. Leur question : pourquoi poursuivent les discussions sur la réforme de la la comptabilité ne prend-elle en considération Pac 2021, un collectif de 300 organisations euro- que le capital financier et pas les salariés (capital péennes a récemment proposé de conditionner humain) ou la nature (capital environnemen- les aides de la Pac « au respect des conditions tal)15 ? Réponse aux prochains épisodes. ● de travail et d’emploi », au même titre que les normes environnementales ou celles concernant la santé publique13. L’un des auteurs dénonce

12 - Constatant la forte exposition des travailleurs saisonniers et mobiles à des « conditions de travail et de vie défavorables ainsi 14 - Voir son intervention lors de la 5e édition du Forum international qu’au risque d’exploitation », le Conseil européen a invité en octobre de la robotique, le 8 décembre 2020, et son interview pour L’Usine 2020 la Commission à mener une étude sur ce sujet. Nouvelle, le 5 mars 2021. 13 - « Les esprits s’échauffent autour de l’inclusion des droits 15 - « Comptabilité et communs : l’apport de la méthode Care », des travailleurs dans la Pac », Euractiv.com, 18 février 2021. point d’étape du 8 décembre 2020, la Coop des communs. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

LA FORÊT

(DÉ) COU- Entre espo rs VERTS

À MOTS et embûches 50

par Valérie Péan

Pour limiter la concentration des gaz à effet de serre dans FAITES LES COMPTES. C’est dans cette touf- l’atmosphère, la forêt française en fait des tonnes. Mais feur qu’émerge, depuis une dizaine d’années, un pourra-t-elle continuer ? Et, surtout, pourrait-elle en autre enjeu majeur, conférant une importance faire plus ? C’est un des paris des pouvoirs publics pour stratégique de plus à cet écosystème : l’atténuation atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Reste à du changement climatique par la captation du savoir comment. Car deux approches s’opposent de plus dioxyde de carbone (CO2). En France, bon an mal en plus quant à l’optimisation de son rôle en termes de an, 15 % de nos émissions brutes de Gaz à Effet gaz à effet de serre : faut-il intensifier la récolte de bois de Serre (GES) sont réabsorbés par nos forêts, pour en développer les usages ou, au contraire, laisser qui emmagasinent le CO2 dans les arbres et les la forêt évoluer librement ? Entre ces deux extrêmes, la plantes, l’humus, le sol et les bois morts. C’est vérité est au fond du puits… de carbone. donc, effectivement, le premier puits de carbone dans l’hexagone, et le deuxième au niveau mondial après les océans. On sait moins que ce stockage E ne sont pas des sentiers qu’il faudrait mais des s’opère également dans tous les produits issus du quatre-voies pour que tous ceux qui se croisent bois, des charpentes aux meubles en passant par dans les sous-bois ne sortent pas les haches. les panneaux de particules ou le papier, tant qu’ils Multifonctionnelle, ainsi que l’énonce la loi du ne sont pas détruits ou brûlés. Mieux, il convien- 9 juillet 2001, la forêt française métropolitaine drait d’intégrer à ce bilan les émissions évitées est une réserve de biodiversité pour l’écologue, grâce à l’usage du bois en remplacement d’éner- une ressource économique pour le scieur, un lieu gies fossiles ou de matériaux ayant une empreinte de cueillette, de chasse, un paysage admirable… carbone plus élevée. Jusque-là, ces « économies » Des exemples de frictions ? À Lannemezan, dans sont comptabilisées uniquement du côté des sec- les Hautes-Pyrénées, c’est le collectif « Touche pas teurs industriels concernés. Elles ne sont donc à ma forêt » arc-bouté contre le projet de ladite pas attribuées à la filière forêt-bois. C’est ce que mégascierie Florian1. Dans le Morvan, c’est la nous apprend Bertrand Schmitt (Inrae), l’un des multiplication des coupes rases de feuillus qui fait coordinateurs de l’expertise collective et prospec- bondir les militants du Chat sauvage. Dans l’Isère, tive « Filière forêt-bois française et atténuation le projet de Center Parcs vient d’être abandonné du changement climatique2 ». Selon cette étude face aux associations de protection de la nature visant à dessiner les meilleures voies pour opti- et de l’environnement mobilisées depuis les pre- miser le piégeage du carbone, en additionnant les miers défrichements, en 2014. Sans oublier, un séquestrations et les émissions de GES évitées, peu partout, les batailles rangées entre chasseurs, la filière en question permettrait de soustraire à forestiers et naturalistes à propos des effectifs de sangliers et autres cervidés. 2 - Roux, A., Colin, A., Dhôte, J.-F., Schmitt, B., Filière forêt-bois et atténuation du changement climatique. Entre séquestration du carbone en forêt et développement de la bioéconomie, éditions Quae, coll. Matière à débattre et décider, 5 août 2020, 169 pages. Étude réalisée 1 - Sur ce sujet, lire le dossier https://www.agrobiosciences.org/ par Inrae et l’IGN à la demande du ministère chargé de l’Agriculture environnement-120/article/hetre-ou-ne-pas-hetre-quel-avenir-pour- et de la Forêt, par la Direction à l’Expertise, à la Prospective et aux Cla-gestion-des-forets-pyreneennes Études (DEPE) d’Inrae. sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

UNE DÉFINITION FLOUE Ne cherchez pas la définition de la forêt dans un texte de loi, national ou européen… elle n’existe pas ! En France, seul l’Inventaire forestier national en précise les termes : « La forêt est un territoire occupant une superficie d’au moins cinquante ares (500 m2) avec des arbres capables d’atteindre une hauteur supérieure à cinq mètres à maturité in situ, un couvert arboré de plus de 10 % et une largeur moyenne d’au moins vingt mètres. » Avec ce paradoxe : même les terrains ayant subi une coupe rase continuent à être assimilés à une forêt 51 tant que n’existent pas d’autres usages du sol. En revanche, toute formation arborée, dès lors qu’elle fait l’objet d’une utilisation agricole prédominante, tels les vergers ou les truffières cultivées, en est exclue. Au niveau mondial, la FAO reprend les notre empreinte carbone de 100 à 170 millions de mêmes critères, mais voit plus grand : une forêt 2 tonnes de tCO2eq/an à l’horizon 2050, selon les doit atteindre le seuil de 5 000 m . différents scénarios et hypothèses envisagés. Reste à savoir, au regard de la stratégie bas carbone de la France, s’il faut préserver les forêts, les déve- que dans le Grand Est. » Bien plus, donc, que ce lopper ou encourager l’usage du bois. Pas simple, qu’ambitionne le plan France Relance : d’ici deux comme nous le verrons plus loin… En attendant, ans, régénérer 45 000 hectares de forêts pour les plans de relance et les fonds abondent, sans capter 150 000 tonnes de CO2 supplémentaires compter une pluie d’associations qui œuvrent pour chaque année. Remplacer les arbres morts ou planter des arbres. dépérissants, certes, mais par quelles essences ? Des essences locales, dites natives par les fores- CES ARBRES QUI DÉPÉRISSENT. Car, si la tiers, pour favoriser la résilience ? Pas forcément. forêt française ne cesse de s’accroître, elle n’est Pour C. Collet, « Pas question de remettre du frêne, pas pour autant en bonne santé. Ici et là, elle par exemple, tant que la chalarose est présente ». peine à se régénérer et fait face à de nombreuses Des chênes ? « Leur installation n’est pas tou- menaces climatiques et sanitaires, ce qui pour- jours facile. Lors des sécheresses de 2015, 2018 rait conduire à des relargages de carbone dans et 2019, nous avons connu un taux d’échec de l’atmosphère. Il faut donc replanter. Mais, oh là, plantations de 30 à 40 %. » Des résineux, alors ? pas si vite ! Quelles essences pour que la forêt La question fâche certains. S’ils ne constituent soit plus résiliente, dans quels territoires et com- que 30 % des essences en France, contre 70 % de ment ? Dans certaines régions en effet, les dégâts feuillus, ils demeurent des mal-aimés aux yeux de se comptent actuellement en milliers de mètres nombreux citoyens. cubes de bois. Catherine Collet, chercheuse au sein de l’UMR Silva (Centre Inrae, Nancy) énu- AU RISQUE DE LA MALFORESTATION. Il faut mère : « Depuis 2017, dans le Grand Est, hêtres dire que, dans le Morvan ou dans les Cévennes et chênes dépérissent ; 80 % des frênes subissent notamment, l’« enrésinement », c’est-à-dire le des attaques de chalarose, une maladie invasive remplacement de feuillus par des plantations causée par un champignon ; quant aux épicéas, d’épicéas, de douglas et autres sapins, heurte les chez nous comme dans toute l’Europe centrale, ils regards et froisse certains écologues. Car c’est connaissent des affaiblissements considérables aussi le symbole d’une visée purement écono- dus aux sécheresses et aux scolytes, de petits mique et de critères productivistes, encouragés coléoptères creusant des galeries sous l’écorce. » dans les années 1960 et 70 par le Fonds forestier Une estimation des pertes ? « Pour toutes ces national. À la faveur de l’exode agricole et pour essences, cela représente souvent l’équivalent répondre à la demande des industriels, nombre d’une ou plusieurs années de récolte, qu’il faut de parcelles étaient alors conduites de manière à couper et débarder en urgence. Et, selon la filière favoriser la mécanisation : une seule essence, des (Fibois), les surfaces forestières à reconstituer arbres de même âge plantés en ligne, puis des pourraient aller de 55 000 à 75 000 hectares, rien coupes rases et on recommence. Une pratique qui sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

l’on veut introduire de nouvelles essences plus méridionales, nous devons acheter les graines à l’étranger, par exemple pour des pins, des cèdres, voire certains chênes. Sachant qu’il faut deux ans avant d’obtenir un plant transplantable, il est nécessaire d’anticiper les besoins si nous voulons reboiser des milliers d’hectares qui ne peuvent plus se régénérer naturellement. » D’autant que pour planter il faut une intervention humaine. Or, là encore, surprise, la main-d’œuvre quali- fiée n’est pas toujours au rendez-vous : « Non seulement les métiers de planteurs ou d’ouvriers 52 sylviculteurs sont peu attractifs et peinent à recruter mais, du technicien à l’ingénieur, on a moins formé à la plantation ces dernières années. On risque alors de mal faire les choses, surtout Catherine Collet en un temps aussi court. »

L’ARBRE PAIE LA FORÊT. Voilà en partie ce qu’il «…il est nécessaire faut résoudre si nous voulons garder notre puits de carbone… Regardons à présent du côté des straté- d’anticiper les gies projetées pour amplifier le rôle d’atténuation du changement climatique. Là, deux visions se font besoins si nous face, comme l’indique Bertrand Schmitt. L’une adepte d’une extensification et d’une exploitation voulons reboiser minimaliste, l’autre favorable au contraire à l’in- tensification des prélèvements. Commençons par des milliers cette dernière. Puisque le bois stocke du carbone et que son emploi pourrait remplacer des com- d’hectares…» bustibles ou des matériaux très émetteurs de GES, il s’agirait de récolter plus ! Dans cette logique, qui correspond au vieil adage « l’arbre paie la forêt », nos massifs sont sous-exploités. Au point tend, depuis, à reculer. Au point que, globalement, que, si la forêt ne cesse de croître, c’est certes depuis la fin du siècle dernier, ce sont les feuil- dû à la déprise agricole mais aussi parce que la lus qui progressent le plus à l’échelle nationale. moitié seulement de son accroissement annuel est Avec des exceptions bien connues, que rappelle récolté. Autre argument, la filière, très fragmentée C. Collet : « Dans les Landes, difficile d’introduire et encore souvent artisanale en amont, accuse un d’autres essences que les pins maritimes. Il y a déficit commercial croissant, exportant les pro- bien eu une volonté de diversification après les duits bruts et important les produits transformés tempêtes de 1999 et de 2009, mais suivie de qui en sont issus. Dès lors, renforcer la valori- peu d’effets, non seulement à cause des sols très sation sur place et développer les usages de ce contraignants dans lesquels seules les essences matériau paraît frappé au coin du bon sens. D’ail- les plus robustes parviennent à se développer, leurs, le Programme National Forêt Bois (PNFB) mais aussi en raison de l’inertie de la filière qui 2016-2026, sorte de feuille de route de la politique est optimisée pour le pin maritime. » forestière en France, vise à récolter douze mil- L’objectif, du moins, est clair : replanter des lions de mètres cubes supplémentaires à l’horizon forêts diversifiées et résistantes aux conditions 2026. Pas gagné quand on sait que, depuis 2016, climatiques futures. Certes, mais à une réserve date du début du PNFB, la récolte commercialisée près que relèvent notre chercheuse nancéenne et a progressé d’à peine un million de mètres cubes l’étude prospective citée plus haut : la disponibilité (source Agreste). Et puis, il faudrait s’assurer que des graines, d’abord, récupérées en forêt dans ces volumes soient effectivement absorbés par des peuplements classés ou dans des vergers à les industries de transformation. En clair, que graines. « Actuellement, nous frôlons la pénu- l’offre corresponde aux demandes des industriels, rie pour de nombreuses essences, par exemple mais aussi que les structures de ces derniers aug- les variétés améliorées de pin maritime. Et, si mentent leur capacité productive actuellement sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

très faible. Sans compter que le secteur de la construction, entre autres, demande principale- 31 % DU TERRITOIRE ment des résineux, alors que les prélèvements En France métropolitaine, la forêt ne cesse de sont au moins pour moitié des feuillus. Quant à gagner du terrain depuis le début du XIXe siècle. diminuer les stocks sur pieds, ou à « sortir » les Elle occupe aujourd’hui 31 % du territoire, ce plus gros arbres, pour le bois d’œuvre notamment, qui la hisse au quatrième rang européen, après impossible pour la plupart des scieurs. Explication la Suède, la Finlande et l’Espagne. Soit près de de B. Schmitt : « Ils ont investi dans des machines dix-sept millions d’hectares, contre sept millions formatées pour l’Amérique du Nord ou les pays seulement il y a deux cents ans. Côté essences, scandinaves et donc ne parviennent pas à sortir elle est composée à un tiers de résineux et aux le gros bois d’œuvre : les machines canter, qui ont deux tiers de feuillus. On y compte 136 espèces remplacé les scies à ruban, venues d’Amérique du différentes dont la plus importante reste le chêne. Nord, sont idéales pour des troncs de trente-cinq À qui appartient-elle ? Un quart seulement au 53 à quarante centimètres de diamètre, mais inopé- domaine public (État et communes), les trois rantes au-delà de cinquante-cinq centimètres… » quarts restants relevant de quelque trois millions De fait, c’est un grand plan d’investissement sur et demi de propriétaires privés. plusieurs années qu’il faudrait, pour les scieurs À ces chiffres, il faut ajouter, hors métropole, la comme pour les transformateurs, afin que la filière forêt guyanaise française qui couvre huit millions soit plus efficace… d’hectares, de type tropical humide, en grande partie domaine public. LABEL AU BOIS DORMANT. Non seulement la Sources : IGN mise est colossale mais des voix s’élèvent pour une stratégie inverse, celle d’une libre évolution des massifs pour mieux atténuer les effets du change- ment climatique. À commencer par les forestiers eux-mêmes et une frange de la communauté scientifique. Et d’énoncer les contre-arguments c’est celui qui émet par sa combustion le plus de à la vision dite productiviste. Le stockage du car- GES par unité d’énergie produite. bone dans les produits issus du bois ? Aujourd’hui, Du coup, aux yeux des écologues et des mouve- « peanuts », disent certains. Au regard de leur ments environnementalistes, il s’agit de tout miser cycle de vie, entre le carbone qu’ils stockent et sur la forêt en tant que telle, de manière à ce celui qu’ils relâchent lors de leur destruction, qu’elle joue au mieux son rôle de puits de carbone l’effet est quasiment neutre. Les émissions évitées en atteignant son équilibre – et qu’elle remplisse en augmentant l’usage du bois matériau et du bois au passage ses fonctions en faveur de la biodi- énergie ? « Tout dépend de l’évolution des maté- versité. Des forêts à maturité, presque en libre riaux substitués, indique B. Schmitt. Miser sur le évolution, faiblement exploitées et artificialisées. bois pour remplacer du ciment, de l’acier ou de Si tant est, rappelons-le avec C. Collet, qu’elles ne l’alu, très bien, mais si ces derniers sont de plus dépérissent pas et qu’elles puissent se régénérer en plus décarbonés, comme certains fabricants facilement, ce qui n’est pas toujours le cas dans le clament, la stratégie risque d’être bien moins certaines régions. efficace. Sans compter les nouveaux matériaux Et le déficit commercial de la forêt, alors, les qui peuvent apparaître dans les années à venir. 400 000 emplois de ses filières, son chiffre d’af- Il y a là une incertitude majeure. » Même chose faires de soixante milliards d’euros ? « Peanuts », du côté du bois énergie qui, chez nous, constitue là aussi ? Vision purement marchande et comp- de loin la première source d’énergie renouvelable table, rétorquent les environnementalistes. Et de (47 %) et devance tous les autres usages. Là, prôner plutôt la rémunération des services éco- pour B. Schmitt, tout dépend de la part du « mix systémiques rendus par ces espaces. L’équivalent énergétique » de chaque pays. En Allemagne, des prestations pour services environnementaux cet usage est ainsi plus intéressant en termes de en agriculture. Une idée inscrite dans le nouveau GES car il vient en remplacement de centrales code forestier et dont le PNFB est chargé d’éva- fonctionnant notamment avec du charbon. Mais luer les modalités. Ainsi, pour France Nature en France, où le nucléaire prédomine (qu’on le Environnement, « un hectare de forêt rapporte en regrette ou non), l’économie est bien moindre. moyenne cent euros par an à son propriétaire en Nombre d’associations écologistes vont plus loin : ventes de bois mais dix fois plus à la collectivité non seulement le pouvoir calorifique du bois est tout entière ». Une évaluation que rejoint celle du faible mais, parmi les énergies renouvelables, Conseil d’analyse stratégique. ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

Conflictuelle par essence

Depuis la nuit des temps, la forêt suscite passions et tensions. Un « miroir de la société » reflétant de multiples aspirations, au gré des enjeux, des acteurs et des époques. Les éclairages du sociologue et agronome Raphaël Larrère, ancien directeur de recherche Inra, spécialiste de l’éthique de la nature, coauteur d’un ouvrage de référence avec O. Nougarède, L’Homme et la Forêt, Gallimard, 1993.

Effrayante ou féerique, la forêt connaît en France tels les animaux sauvages et les brigands. Cette 54 une épaisseur symbolique telle qu’elle nourrit image négative est également issue des conflits non seulement des conflits d’usage mais aussi des d’usages : les nobles se réservent le bois de haute conflits d’images. futaie, la Couronne vise le bois de marine et seules Raphaël Larrère : L’image ambivalente des forêts ces classes sociales ont le droit d’y chasser. Sans est un phénomène très ancien qui remonte au oublier que les nobles peuvent aussi être maîtres Moyen Âge. Les forêts connaissent alors trois de forges, ce qui exige du charbon de bois, en usages majeurs. Pour la noblesse, c’est un espace concurrence avec le bois d’œuvre. Quant aux de loisirs : y chasser est une manière de continuer riverains, ils n’hésitent pas à usurper des droits et à faire la guerre en temps de paix. Pour l’Église, à braconner. La répression est parfois féroce. elle est l’équivalent du désert érémitique (propre à un ermite) : un lieu où l’on rompt avec la société. Voilà pour la part obscure de la forêt. C’est ensuite On peut s’y perdre aussi bien qu’on peut y trouver la monarchie qui en change la perception… la grâce. Une épreuve d’autant plus exigeante que Au XVIIe siècle, elle s’empare de la forêt, avec la forêt était depuis longtemps vue comme peuplée la grande ordonnance de Colbert en 1669 pour de sortilèges, de fées et de nymphes, nourrissant instaurer des règles de gestion, obtenir à long des croyances païennes. Quant à la troisième forêt terme du bois de marine, organiser au mieux médiévale, elle est une annexe des champs et l’approvisionnement en bois de chauffe des villes des activités villageoises : car, si les propriétaires alors en expansion, régler les droits d’usage. La des forêts sont exclusivement des seigneurs, des royauté cherche à désensauvager la forêt, perçue droits d’usage accordés aux riverains permettent comme une ressource stratégique et un bien de ramasser du bois – seule source d’énergie à d’État : on doit pouvoir y chasser tranquillement et y l’époque – et de mener les bêtes manger en sous- faire moins de mauvaises rencontres. Une tentative bois. Ainsi, loin d’être un désert, la forêt est très de mise en ordre, qui n’aura guère de succès. fréquentée, et même habitée, par des sabotiers, À partir de la fin du XVIIIe, deux phénomènes des charbonniers ou des bûcherons. nouveaux et contraires émergent. Les romantiques, d’une part, développent une vision esthétique de Pourtant, le Moyen Âge a laissé une image plutôt la forêt, lieu du sublime, de la grandeur et d’une négative de la forêt… sauvagerie valorisée. D’autre part, se met en place Oui, parce que traverser la forêt, s’y enfoncer, un grand discours sur les bienfaits de la forêt et constitue une épreuve dont le résultat n’est pas les méfaits du déboisement. La forêt lutte contre toujours heureux. On s’y perd plus souvent qu’on y les miasmes, adoucit le climat, protège les sols et trouve la grâce, on y fait de mauvaises rencontres, assainit les mœurs. Ce discours impose l’idée que la forêt est par essence un bien d’État. Dès lors, ingénieurs des ponts et forestiers ont dénoncé le déboisement et fait la guerre au pastoralisme, «…parce que appliquant très rigoureusement le code forestier et combattant les droits d’usage. Ils se sont lancés traverser la forêt, dans de grands reboisements autoritaires en 1860, pour lutter contre les inondations. Cela s’est s’y enfoncer, surtout traduit par de belles levées de fourches… En 1881, ce fut la restauration des terrains de constitue une montagne laquelle a été plus efficace. Nous sommes donc là loin de la sauvagerie exaltée par épreuve…» Chateaubriand : c’est une forêt très gérée, qui se sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

À LA RACINE La vivacité des débats entourant la forêt n’est pas sans rappeler que ce mot plonge ses racines dans le forum antique où l’on débattait des affaires publiques. Mais, bizarrement, forestis n’est au début qu’un adjectif accolé à la silva (la selve en ancien français). De nature juridique, il désigne sous les Mérovingiens les domaines qui relèvent de la justice du roi. En ce sens, forestis pouvait aussi 55 Raphaël Larrère s’appliquer à des pêcheries. Quant à la « selve », ancien nom des forêts, on en a certes tiré la sylviculture mais « La forêt est aussi le mot sauvage, attribué à ceux perçue comme qui vivaient dans les bois. la quintessence de la nature : une belle forêt à gérer ? Très tôt, l’École des eaux et forêts de Nancy, créée en 1824, va considérer que nature sauvage, c’est une futaie régulière, bien alignée, avec une seule espèce, des parcelles ayant des arbres du inappropriable, même âge, visant une régénération naturelle (ou une coupe rase avec replantation). À l’inverse, un lieu de liberté d’autres forestiers préconisaient la futaie jardinée, avec différentes essences et une pyramide des auquel on est très âges constante. Ce clivage est encore à l’œuvre de nos jours : ainsi l’association Pro Silva milite en attaché.» faveur des forêts multispécifiques et jardinées. Une deuxième ligne de fracture est également apparue entre les forestiers étatistes, très hostiles aux bergers dans le cadre de la restauration dissocie peu à peu des pratiques villageoises, à autoritaire des terrains de montagne, et les la faveur de l’usage du charbon de terre et de la disciples de l’ingénieur Frédéric Le Play (1806- première révolution agricole. Pour la bonne société, 1882), convaincus que ce reboisement ne cela devient aussi un lieu où se ressourcer via des pouvait s’opérer qu’en aidant les communautés forêts aménagées, comme à Fontainebleau. montagnardes à abandonner le sylvopastoralisme au profit de la polyculture et de l’élevage de rente. Il semble qu’aujourd’hui, la forêt soit l’image Ce sont les forestiers dits aussi « sociaux ». même de la nature et que cet espace appartienne à Enfin, dernier clivage, dans l’entre-deux-guerres se tout le monde. met en place l’École de Nîmes, un courant opposé Oui. La forêt est perçue comme la quintessence de aux thèses de Nancy et qui prône une « sylviculture la nature : une nature sauvage, inappropriable, un du moindre effort ». L’idéal, c’est le climax, cet état lieu de liberté auquel on est très attaché. d’équilibre stable et durable d’une forêt donnée avec les sols et le climat, dont le forestier doit Dans ces espaces ouverts, on connaît bien les seulement accélérer l’arrivée pour ensuite laisser conflits entre chasseurs, cueilleurs et autres le milieu évoluer au maximum de lui-même. promeneurs, mais beaucoup moins les tensions au Une théorie du laisser-faire que l’on retrouve sein même des forestiers, ces ingénieurs chargés aujourd’hui chez certains écologues forestiers de leur gestion. au nom de la résilience face au changement Ces tensions anciennes entre ingénieurs climatique, à laquelle s’oppose une vision plus s’articulent autour de la question : qu’est-ce qu’une productiviste. ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

ABATTAGES PRÉVENTIFS (DÉ) Et si on rectifiait COU- VERTS le

56À MOTS

par Laura Martin-Meyer tir?

L’émergence d’une épidémie au sein de la faune sauvage Et le verdict de tomber pour un élevage de 6 000 ou domestique n’est pas seulement dommageable à canards, situé dans les Landes, détecté positif l’élevage ou, éventuellement, à la santé humaine. Elle le 5 décembre 2020. Là aussi, aller simple pour l’est avant tout pour ces animaux, malades, bien sou- l’équarrissage, avec quelque trois autres millions vent, de nos propres dysfonctionnements. Une crise et demi de palmipèdes concernés, durant toute la sanitaire ? Direction l’équarrissage, quand bien même, crise. Funeste bilan, pas loin derrière celui des parfois, les malheureux élus sont sains. Comment en deux dernières grippes aviaires, H5N1 en 2015- sommes-nous arrivés là ? 2016 et H5N8 en 2016-2017, qui avaient conduit à la condamnation de quatre millions de canards.

UI veut noyer son chien l’accuse de la rage. L’ex- L’HISTOIRE AVEC UNE GRANDE HACHE. pression, rendue célèbre par Molière dans « Les Vous saturez déjà ? Normal, car depuis les pre- Femmes savantes », pourrait se décliner à l’infini miers abattages de ruminants atteints de la peste tant elle est d’actualité : qui veut tuer ses renards, bovine au XVIIIe siècle, en passant par les bûchers blaireaux, canards ou visons les accuse de la rage, de vaches folles, jusqu’à la destruction de nos certes, mais aussi de la tuberculose, de la grippe visons et volailles, c’est toujours la même routine aviaire ou de la Covid-19. Mais pas question, inflexible : identification d’un agent pathogène, dans le langage administratif de parler de tuerie. destruction des animaux touchés ou susceptibles Il s’agit plutôt de « dépeupler » à titre préventif et de l’être, désinfection des lieux et repeuplement. systématique. Avec, en tête de l’ordonnance (pré- Du moins, dans les pays dits développés et le plus fectorale), cette priorité : la protection de la santé souvent exportateurs (voir encadré : « Indemne… humaine, en cas de zoonose. Et de la santé de son de vaccin ? »). Pour comprendre la mécanique, économie, en cas d’épizootie1. Prenez cet élevage crochet par l’histoire. C’est au début du XVIIIe, en de visons d’Eure-et-Loir, détecté positif à la Covid- pleine peste bovine, que l’on songe pour la pre- 19 en novembre 2020. Dans la foulée, « l’abattage mière fois à systématiser « l’abattage sanitaire ». de la totalité des 1 000 animaux encore présents Giovanni Maria Lancisi (1654-1720), premier sur l’exploitation […], afin de protéger la santé médecin du pape Clément XI, est chargé de trou- publique contre la Covid-19 » est ordonné par le ver un rempart à l’extension de la maladie dans ministre de l’Agriculture. Triste mois de novembre les États pontificaux. Ses recommandations : « Si car, au même moment, survient une nouvelle épi- la maladie se répand, placer immédiatement les zootie mondiale de grippe aviaire, avec des pre- bovins malades dans une étable isolée. Pour les miers foyers repérés en Russie et au Kazakhstan. bovins visiblement atteints de maladie, il faut les exécuter aussitôt d’une balle d’escopette, afin 1 - Une épizootie est une épidémie circulant au sein des que pas une seule goutte de sang contaminé ne populations animales, tandis qu’une zoonose est une maladie soit répandue. » Traversons la Manche, sous le Qse transmettant naturellement des animaux vertébrés à l’être er humain, et inversement, via un agent pathogène. Pour en savoir règne du roi George I , pour voir les premières plus, voir le dossier « [Covid-19] Santés humaine et animale : applications du traitement de choc : en l’espace de destins liés », Sesame 7, mai 2020 : https://revue-sesame-inrae.fr/ covid-19-santes-humaine-et-animale-destins-lies/ trois à cinq mois, 6 000 bovins sont exécutés dans sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

INDEMNE… DE VACCIN ? Qu’elle suscite espoirs ou défiance, la vaccination est dans l’air du temps. Nos amies les bêtes ne sont pas en reste. Un vaccin plutôt que l’abattoir ? La question, légitime, n’est pas nouvelle. Du côté des animaux sauvages, sachez d’ailleurs qu’elle a déjà fait ses preuves : « Si on s’est débarrassé de la rage, ce n’est pas en exterminant tous les renards, mais bien en les vaccinant », témoigne Thierry Durand, vétérinaire. Mais que l’on songe à appliquer la 57 formule magique aux cheptels domestiques et tout se complique. « Lors de la grippe aviaire de 2005, indique F. Moutou, on aurait pu vacciner les canards des Landes ». Idem pour les bovins atteints de la fièvre aphteuse. Pourquoi, alors, avoir enterré le Middlesex, l’Essex et le Surrey. Et la maladie cette option ? Comme l’indiquait récemment Julien de décliner jusqu’à disparaître entièrement, au Denormandie, en pleine épizootie de grippe aviaire : rythme des carcasses qui s’entassent. Même scé- la vaccination « pose problème pour l’exportation, nario en France, en 1774, à cette réserve près du les pays craignant les animaux porteurs sains du professeur Félix Vicq d’Azyr : « Que l’on se garde virus ». Tout pays exportateur de viande doit en effet bien d’une loi aussi sévère lorsqu’on n’a pas les pouvoir arguer du statut « indemne de maladies », moyens de la faire exécuter partout et en même règle d’or du commerce international – accord SPS, temps ; alors, au lieu d’un projet utile, on exécu- conclu entre l’OMC et l’Organisation mondiale de terait une suite de vexations aussi onéreuses à la santé animale (OIE). Comprenez : « On peut très l’État qu’elles sont à charge aux particuliers…2 » bien faire de la prévention médicale, en vaccinant les Pas sûr que le conseil soit parvenu jusqu’à nous. bêtes contre une multitude de maladies. Or, reconnaît F. Moutou, cela n’empêchera jamais la circulation des MÉCANIQUE TRAGIQUE. Nous revoilà en 2021, virus, à bas bruit, au sein des élevages. » Impossible, les mêmes outils de gestion de crise en poche donc, de prouver leur absence et d’espérer – quoique peut-être un peu rouillés. Seule nou- décrocher le sacro-saint statut. Résumons : veauté : l’extension des mesures d’abattage à « C’est clair que la vaccination bloque l’impact tous les animaux, même sains, situés à proximité clinique, et empêche donc qu’il y ait trop de perte dans des foyers d’infection. Question de prévention, les productions. Par contre, cela ralentit le commerce depuis les vagues successives de fièvre aphteuse entre les pays. » Et en cas d’épizootie ? Toujours la qui ébranlèrent le continent européen dans les même routine mortifère. années 1990 et en 2001. Comme le rappelle Fran- çois Moutou, vétérinaire, épidémiologiste et ancien directeur adjoint du laboratoire santé animale de l’ANSES (Agence Nationale de SÉcurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du tra- forte probabilité de contamination de l’élevage en vail), c’est un désastre car le virus se transmet question, c’est simple, direction l’abattoir. Voilà, par l’air et les animaux commencent à l’excréter pour la première fois en 1993, le sort réservé avant l’apparition des premiers signes cliniques. à une exploitation italienne de 20 000 cochons Du coup, à compter de ce moment-là, un élevage, avoisinant un foyer de fièvre aphteuse. « D’un même indemne, pouvait se voir condamner du point de vue économique, c’était la solution la seul fait de sa proximité avec un foyer de contami- plus rationnelle, même si, déplore le vétérinaire, nation. Dès lors, un arbitrage s’impose : « Doit-on on a sans doute abattu 20 000 cochons sains ». attendre de voir apparaître les signes cliniques Mais touché, cet élevage en aurait contaminé de la maladie pour abattre, ou doit-on le faire « des dizaines et des dizaines d’autres » et pro- avant ? » Si les modèles prédictifs concluent à une bablement coulé la profession tout entière. Même scénario en 2001, lorsqu’une extraordinaire vague 2 - Thèse pour le doctorat vétérinaire (École nationale vétérinaire de fièvre aphteuse frappe à nouveau l’Angleterre d’Alfort), Mehdi Lombardi, 11 janvier 1989 : http://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=1884 puis le reste du continent européen. Et une fois sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

le feu éteint ? « On n’a jamais pris le temps de faune sauvage, typiquement les bouquetins, et la faire un retour d’expérience, à froid, pour mettre vache en question ». L’explication la plus crédible, en commun toutes les pratiques à l’échelle euro- d’après lui : une contamination indirecte. Selon péenne ; pointer ce qui a fonctionné ou pas », cette hypothèse, un bouquetin femelle malade s’émeut F. Moutou. Dommage car, depuis, la même aurait avorté et un autre animal aurait déplacé mécanique tragique s’applique à tous les animaux l’avorton pour le consommer, à proximité des d’élevage touchés de près ou de loin par une épi- bovins. « Statistiquement, cela ne serait vraiment démie. Par exemple, lors de l’épisode d’influenza pas de chance mais c’est possible. » Les préco- aviaire, fin 2020, où tous les oiseaux d’élevage et nisations de l’Anses ? Ne rien faire, la probabilité de basse-cour situés dans un rayon d’un kilomètre que l’événement se reproduise étant proche de autour des lieux de contamination ont été abattus. zéro, faisait partie des options proposées. « Une De fait, de telles pratiques d’abattage préventif autre, indique F. Moutou, consistait à faire des 58 ont « commencé à devenir “sensées” à partir du prélèvements sur les bouquetins, pour éliminer moment où on a concentré les troupeaux, de plus les seuls individus positifs tout en marquant et en en plus grands, dans certains bassins. » Sans libérant les individus sains. » C’était sans compter compter qu’au sein des élevages de porcs et de sur le préfet de l’époque, pas tout à fait du même volailles, notamment, « tous les individus sont avis. À la Toussaint 2013, il ordonne l’abattage de homogènes. Sur le plan génétique, ce sont comme tous les bouquetins de plus de cinq ans peuplant le des “clones” ». Et les « clones », les virus, bacté- massif du Bargy3. Aucune analyse n’a été faite sur ries ou champignons adorent ça : moins de diver- ces animaux abattus. Résultat : les tireurs ayant sité génétique, cela veut dire moins d’obstacles prioritairement tué les grands mâles, plus visibles, à leur propagation. D’aucuns, comme l’écologue ont laissé le champ libre aux individus plus jeunes, et biologiste Serge Morand, sont d’ailleurs plus qui ont alors pu s’accoupler et se contaminer au tranchants : les élevages intensifs constitueraient contact de femelles épargnées et séropositives. de véritables « bombes bactériologiques ». Quant à « On a donc fait exploser la prévalence de la remettre en question nos pratiques, pas sûr qu’on maladie dans l’effectif, avec le risque que les y soit prêt tant que la faune sauvage, accusée animaux disséminent la bactérie – ce qui, pour de propager les agents pathogènes au sein des l’instant, et heureusement, n’est pas arrivé », cheptels, demeure un « parfait bouc émissaire », conclut F. Moutou. D’où cette question : pourquoi souffle F. Moutou. un tel décalage entre l’expertise et la décision publique ? Éléments de réponse dans le Code NOUS TROMPONS-NOUS DE CIBLE ? Sortons de l’environnement : avant de prendre un arrêté justement de l’autre côté de l’enclos, pour aller ordonnant l’abattage d’une espèce « dans l’intérêt sur les traces des renards, bouquetins et autres de la santé publique », le préfet doit, au préalable, chauves-souris. Quand une épidémie les frappe, saisir l’Anses sur le bien-fondé d’une telle mesure. quelle est la marche à suivre ? « Pour l’instant, on Problème, explique le vétérinaire, « rien ne l’oblige se borne encore à vouloir procéder comme dans à tenir compte de cet avis ». Comprenez : au pré- nos cheptels », regrette le vétérinaire. Prenons le fet le dernier mot. C’est ainsi qu’une foule d’es- cas du bouquetin du Bargy, qui devient fâcheuse- pèces – renards, blaireaux, bouquetins…, dont ment célèbre en 2013. Fin 2011, on découvre chez l’Anses avait déconseillé la destruction, figurent deux enfants du Grand-Bornand des cas aigus de aujourd’hui sur le tableau de chasse de certains brucellose, après qu’ils eurent mangé du caillé décideurs peu regardants. Pour le vétérinaire, de lait cru. Trois mois après, dans la même com- c’est clair, le poids des lobbies (les chasseurs) mune, une vache qui vient d’avorter est contrôlée : compterait double, voire triple, dans la balance. elle a contracté une souche de Brucella melitensis Pas si simple, nuance Thierry Durand, vétéri- proche de celle des enfants. Comment a-t-elle été naire-inspecteur et biologiste, directeur adjoint infectée ? Passent quelques mois et, à l’automne du parc national des Écrins : « Le problème de 2012, on croit avoir trouvé la pièce manquante du fond, c’est que les lobbies surfent sur un terreau puzzle : des observateurs de terrain trouvent des de méconnaissance de la dynamique des agents lésions brucelliques sur les pattes de bouquetins pathogènes dans les écosystèmes. » Et là, c’est sauvages, confirmées au laboratoire. Coupable toute la copie qui est à revoir et des années de idéal, l’affaire éclate. « C’est le reblochon ou les sous-investissement qui restent à combler. bouquetins », lit-on en une des médias. Il y a tout de même un hic, détaille F. Moutou, directement 3 - Arrêté n°2013274-0001, ordonnant l’abattage partiel des bouquetins impliqué dans le dossier à l’Anses : assez vite, on du massif du Bargy : https://www.haute-savoie.gouv.fr/content/download/17112/100090/ s’aperçoit « qu’il n’y a pas eu de contacts entre la file/41%20-%2001octobre13recueil%20special.pdf sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

PATATE CHAUDE ET RISQUES SURÉVALUÉS. Las « des réponses simplistes consistant à éradi- « Jusqu’où quer puis à réfléchir ensuite », T. Durand pose, en 2017, les premiers jalons d’une stratégie sanitaire s’autoriser à pour les parcs nationaux. Avec l’ambition qu’elle essaime à d’autres espaces. Objectifs ? « Mieux intervenir et à partir connaître, anticiper les crises, intervenir en amont et éviter les mesures radicales comme les abat- de quand laisser tages massifs », en invitant l’ensemble des acteurs concernés à « se mettre autour de la table ». Car, place aux processus insiste-t-il, « le moment où éclate la crise n’est peut-être pas le plus opportun pour aborder les de régulation sujets sensibles et il faut concerter “en temps de 59 paix” ». Trois axes prioritaires : la connaissance, la naturelle ? » surveillance et la gestion. Plus la naissance attendue d’un « observatoire des maladies émergentes de la faune sauvage », à même de hiérarchiser les affec- Soit, mais que faire en cas de risques avérés pour tions à gérer. Il s’agirait d’allouer majoritairement la santé humaine ? C’est là qu’entre en scène le R les moyens sur les couples hôte-agent pathogène à de « réduire » où, une fois n’est pas coutume, un fort enjeu et de remédier au défaut d’acculturation juste dosage s’impose en fonction des contextes des acteurs sur la question. Un dispositif de gou- locaux. Prenons le cas des leptospiroses associées vernance impliquant les trois ministères concer- aux activités de pleine nature, zoonoses trans- nés – Santé, Agriculture et Environnement – est à missibles à l’homme notamment via l’urine des l’étude, indique T. Durand ; ce serait « tout à fait rongeurs, dans les rivières et autres cours d’eau, neuf en termes de décloisonnement des expertises réservoirs potentiels de pathogènes. « Au lieu de et des modes de gestion ». Mais, pour l’heure, détruire tous les rongeurs en faisant du piégeage en situation tendue, « la patate chaude se passe massif, comme c’est le cas actuellement », ne pour- de l’Agriculture à l’Environnement, puis va à la rait-on pas envisager de sensibiliser les pratiquants Santé », sans vision partagée. Et la gestion dans d’activités d’eau douce, tout en « procédant à des tout ça ? Outre les mesures de biosécurité qu’il dératisations ponctuelles » dans les zones où les invite à mettre en œuvre partout où c’est possible4, probabilités de contact sont les plus importantes ? le vétérinaire propose d’appliquer à la gestion de Moustiques, tiques, la formule pourrait s’appliquer risques la séquence « Éviter-Réduire-Compenser à bien d’autres espèces vectrices de maladies. Le (ERC)5 », bien connue en matière de protection tout étant de faire de véritables analyses de risque de la nature. Premièrement, éviter : a priori, « le environnemental, au lieu de courir après l’illu- principe est plutôt celui de la non-intervention ». soire suppression de tous les dangers. Reste cette Explications : « La présence d’un agent pathogène interrogation : « Jusqu’où s’autoriser à intervenir n’induit pas automatiquement sa transmission. et à partir de quand laisser place aux processus Parfois, on est bien inspiré de ne rien faire... » de régulation naturelle ? » ; c’est là qu’intervient En témoigne la rage des chauves-souris : certes, la notion de gestion adaptative. Car, en cas de « c’est un virus rabique et si on vous l’inocule mesures drastiques, il importe d’envisager une vous êtes à peu près sûr de mourir. Pourtant, la compensation des dommages infligés aux écosys- probabilité que vous l’attrapiez est proche de zéro tèmes, « ultime marche à franchir en cas d’épui- si vous n’intervenez pas directement sur les rares sement des approches fondées sur l’évitement ou colonies infectées6 ». L’enjeu, ici, est donc de « ne la réduction du risque. » Prudence, toutefois, car pas confondre le risque et le danger ! » Traduction : la reconstitution d’écosystèmes fonctionnels peut chercher la petite bête pourrait nous coûter gros. s’avérer très coûteuse, comparée à la mise en place de mesures préventives. Pour le directeur adjoint 4 - La biosécurité désigne l’ensemble de mesures préventives du parc national des Écrins, elle serait même la plu- et réglementaires visant à réduire les risques de diffusion et de transmission de maladies infectieuses chez l’homme, l’animal et le part du temps « illusoire ». Et celui-ci de conclure végétal. En savoir plus sur le blog Sesame : sur une note d’impertinence : « En matière de https://revue-sesame-inrae.fr/biosecurite-elevages/ 5 - Pour en savoir plus, voir le dossier « Les outardes, le grand maîtrise de maladies de la faune sauvage, la rage hamster et les compensations “à la française” », Sesame 7, mai 2020 : du renard, zoonose majeure, reste le cas le plus https://revue-sesame-inrae.fr/outardes-grand-hamster-compensations/ 6 - « Pour la population générale, le risque de transmission d’un virus emblématique qu’on n’ait jamais connu en France : d’une chauve-souris à l’homme est considéré négligeable en raison à ma connaissance, on ne les a pas tous éliminés, de sa faible probabilité d’exposition aux chauves-souris », Anses, 25/09/2020 : https://www.anses.fr/fr/content/la-rage ni remplacés par des renards polaires... » ● sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

Apprendre à déshabiter…

Que dit la philosophie de notre manière de gérer épizoo- qu’on observe la même tendance avec les animaux ties et zoonoses ? Questions et réponses avec Virginie « nuisibles », aujourd’hui qualifiés d’espèces Maris, directrice de recherche au Centre d’Écologie « susceptibles d’occasionner des dégâts ». Partout, Fonctionnelle et Évolutive (CEFE). Membre du Conseil il s’agit de prêter attention aux circonstances National de la Protection de la Nature (CNPN), elle dans lesquelles évoluent ces espèces, plutôt que signait récemment « La Part sauvage du monde. Pen- d’insister sur leur caractère intrinsèquement ser la nature dans l’anthropocène » (Seuil, 2018). À bon ou mauvais. Maintenant, est-ce que les mots rebours des conceptions fondées sur la cohabitation suffisent à changer les mentalités ? Probablement 60 harmonieuse entre animaux sauvages et activités pas, mais c’est un passage obligé. humaines, elle prône une approche plus inconfortable invitant à prendre au sérieux, quand il s’impose, le repli « Dans l’intérêt de la santé publique », des stratégique. arrêtés préfectoraux sont régulièrement pris dans le sens d’une destruction d’espèces comme le renard, le blaireau ou le bouquetin du Commençons par les mots du débat. On parle de Bargy. Pourtant, les avis de l’Anses ou du CNPN « gestion » et de « régulation » des populations conseillent à chaque fois le contraire. animales, sauvages et domestiques, voire parfois Quel regard portez-vous sur ces affaires ? d’invasion. Que vous évoquent ces termes ? Il s’agit de questions très différentes. Dans le Gestion et régulation renvoient à l’hégémonie cas de la brucellose du bouquetin du Bargy, on de l’imaginaire économiste qui a essaimé à faisait face à une véritable crise sanitaire, où des tous les secteurs de la société, y compris dans enjeux éthiques s’articulaient à une situation nos rapports à la nature. On parle par exemple d’incertitude : j’ignore s’il y a de bonnes ou de de gestionnaires des milieux naturels. Or, mauvaises solutions, mais ça n’engage pas plutôt que le terme de gestion, qui est assez nécessairement nos capacités à coexister de neutre et vecteur de peu de contenu, je dirai manière pacifique avec ces animaux. Quant à que l’économicisation de nos liens aux milieux la persécution en routine des renards et des naturels devient beaucoup plus flagrante quand blaireaux, notamment, je suis effarée par la façon on parle de « capital naturel » ou de gestion dont on s’obstine à épurer nos milieux de toute une des « services écosystémiques ». Quant à l’idée cohorte d’êtres vivants avec lesquels on devrait d’invasion, arrêtons-nous sur les espèces plutôt apprendre à coexister. J’y vois une façon exotiques envahissantes, qui ne sont pas sans lien très brutale, sur le plan philosophique, d’habiter avec la propagation des maladies émergentes. les milieux naturels en faisant place nette de Toute une série de travaux, issus de disciplines tout inconvénient, de toute concurrence, et en variées, s’est penchée sur la militarisation du s’arrogeant un plein droit de cité sur ces espaces. registre lexical de la biologie des invasions, Attention, je ne crois pas non plus qu’il faille sur fond de xénophobie et de nationalisme. En souscrire naïvement à l’idée d’une harmonie avec anglais, on retrouve par exemple l’idée très la nature. La nature est compliquée, chaotique. répandue de « fight against the aliens », entraînant Mais la persécution systématique de certaines avec elle tout un imaginaire de la protection des espèces, qui ont un rôle écologique, nous empêche frontières, de l’intégrité naturelle, etc. Aux côtés de développer des ressources de créativité et de biologistes, j’ai personnellement contribué à d’ingéniosité qui pourraient nous permettre de des travaux de redéfinition de ces termes. Avec surmonter l’antagonisme. cet objectif : veiller à ce qu’ils n’embarquent pas, par défaut, des charges normatives, morales ou On parle en effet beaucoup des « services politiques dont on se passerait bien. Résultat, écosystémiques » rendus par certaines espèces, on ne parle quasiment plus d’espèces invasives, que certains invitent à voir comme des auxiliaires mais plutôt d’espèces exotiques envahissantes. plutôt que comme des ennemis à abattre. C’est une façon de préciser les termes, à savoir : Est-ce une piste pour dépasser l’antagonisme ? si ces espèces exotiques sont potentiellement Oui, c’est le cas par exemple du renard. Comme envahissantes, elles ne le sont pas par essence. celui-ci régule les populations de petits rongeurs Voilà une manière, si je puis dire, de neutraliser porteurs de tiques, on sait que sa présence sur cet imaginaire xénophobe et belliqueux. À noter un territoire participe du maintien à un niveau sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

des autres qu’humains dans un régime de créance. Comprenez : ceux qui nous sont utiles Apprendre à déshabiter… méritent notre attention, mais quid de ceux qui ne le sont pas, de ceux qui pourraient être avantageusement remplacés par des substituts techniques ? Ce qui compterait, finalement, c’est toujours la satisfaction des intérêts humains. Disons que, d’un point de vue stratégique, il ne faut pas s’interdire de faire ponctuellement appel à ce type d’arguments. Bref, c’est à manier avec subtilité. Je propose plutôt de prendre le problème à l’envers, en disant : voilà ce que nous coûte l’extermination des renards, ou de 61 toute autre espèce. Autrement dit, pensons le coût, plutôt que le bénéfice, de la destruction. Vous voyez que le même argument, selon son Virginie Maris environnement éthique, peut participer à renforcer un rapport très instrumentalisé des humains à leur milieu naturel. Ou, à l’inverse, favoriser « Je ne considère un rapport de communauté et d’inclusion des humains dans les écosystèmes et les milieux pas qu’on puisse qu’ils habitent et exploitent. En clair, au lieu de se demander : « Pourquoi est-ce utile de faire bon ménage préserver ? », je suis tentée de retourner la et vivre en bonne question : « Pourquoi détruire ? » Dès lors qu’il est question d’animaux sauvages, intelligence avec le maître mot est celui de la cohabitation. La prônez-vous aussi ? Quelle posture défendez- toutes les espèces. vous à l’égard du monde sauvage ? J’ai une approche sensiblement différente, un Certes, nous poil plus inconfortable. Je ne considère pas qu’on puisse faire bon ménage et vivre en bonne avons une marge intelligence avec toutes les espèces. Certes, nous avons une marge de progression énorme sur de progression notre capacité à cohabiter plus pacifiquement. Mais je crois parfois que l’on aurait tout intérêt énorme sur à apprendre à déshabiter, en imaginant des territoires où des autres qu’humains pourraient notre capacité avoir une forme de souveraineté. Je m’explique. On aurait pu appréhender la question des à cohabiter plus bouquetins du Bargy d’une tout autre manière : dès lors que la proximité entre espèces sauvages pacifiquement.» et domestiques pose des difficultés sanitaires, ne conviendrait-il pas d’envisager un repli stratégique, temporaire ou permanent, des humains ou du bétail de ces territoires ? On acceptable de la maladie de Lyme1. C’est une peut imaginer qu’il y a des espaces frontières et des façons de montrer les interdépendances, les que ces frontières méritent d’être renégociées bénéfices et vulnérabilités mutuels. Néanmoins, régulièrement ; que, parfois, il faudrait repenser je reste assez critique à l’égard de cette notion l’extension légitime de notre propre territoire ou, de services écosystémiques. Le risque, c’est en tout cas, nous autolimiter en ces lieux où la qu’elle ancre notre responsabilité à l’égard cohabitation pacifique n’est pas possible ; et que, donc, la solution du repli stratégique fasse partie des options, au lieu d’éradiquer tous azimuts les 1 - Pour aller plus loin : https://www.fondationbiodiversite.fr/renard-et- risque-de-transmission-de-la-maladie-de-lyme-un-effet-en-cascade/ populations sauvages problématiques. ● DE L’EAUMOULIN AU 62 sesam cheurs aenquêtéenFrance. espèces d’autres avec relations leurs sur eu a-t-il cela incidences Quelles semaines. des pendant elles chez resterconfinées dû ont sonnes per- milliardsde des Covid-19, la de Avecpandémie la N°9MAI2021 la pandémie,puisàtroisième. réactivées pour faire faceà la deuxième vague de avril 2020,lesmêmesmesuresdrastiquesontété Dans de nombreuses régions du monde, depuis placés enisolemententredeuxethuitsemaines. mondiale ontétéinvitésàresterlamaisonet personnes. Prèsdesdeuxtiersdelapopulation non essentielles et limité les déplacements des la distanciation physique, suspendu les activités Covid-19, de nombreux gouvernements ont imposé Pour endiguerlapropagationdel’épidémie DES EFFETS DU CONFINEMENT.DU EFFETS DES par RuppertVimal,CNRSUMRGeode.Texte traduit del’anglais etsynthétiséparAnneJudas. expérience delanature conséquences surnotre Le confinement :quelles espèces avaient pu s’adapter et de quelle manière la espèces avaient pus’adapteretdequellemanière la On asurtoutcherchéàcomprendre commentles Covid-19 surlabiodiversité a égalementétéévalué. ou lapollutionlumineuse.L’impact delacrise lité del’airetl’eau,les perturbations sonores confinement sur les émissions de carbone, la qua- chercheurs ontdocumentélesconséquencesdu nature, pourlessciencesenvironnementales.Des unique, commeuneexpérimentationgrandeur relations sociales. Cela a même été une occasion de finance, de santé mentale, d’éducation ou de quences duconfinementenmatièred’économieet mie, de nombreux chercheurs ont étudié les consé l’on tentaitdecomprendreladynamiquel’épidé- • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT ? Une équipe de cher- de équipe Une ? Tandis que

DEhttps://revue papier ousurle blog ces contributions danslarevue le droit depublierounon L’EAUBien sûr,larédaction seréserve [email protected] tribunes libres… à contributions, chroniques, Merci defaire parvenir vos ces pagesvous sontouvertes économiques, associatifs… Chercheurs, auteurs, opérateurs AU - » en contact avec la nature et à réduire à « entrer»encontactaveclanature etàréduire et lesportailsvirtuelsavaient puaiderlesindividus ment ou,àdéfaut,comment lesoutilsnumériques habitants deszonesurbanisées pendant leconfine- l’accès auxespacesvertsétaitimportantpourles comment. Quelques études ont montré combien a puaffecterl’expériencehumainedelanature,et essentiel decomprendresilacriseCovid-19 des sociétésmodernesau(x)vivant(s).Ilestdonc gique seraitd’abord liée à unepertedesensibilité la natureetbiodiversité.Ainsi,criseécolo- sentiments etleurscomportementsconcernant sur lebien-êtredesindividus,maisaussileurs 2011) adesconséquencesnéfastesnonseulement Oregon State University Press, Corvallis, 2011. 1 -R.M.Pyle, TheThunderTree: Lessons from anUrbanWildland , « diminué aucoursdesdernièresdécennies.Cette passant dutempsàl’extérieuraconsidérablement pratiquant desactivités deplein airousimplement États-Unis par exemple, la proportion d’enfants avec lesmilieuxnaturels,lafauneetflore.Aux moins endecontactsdirectsetquotidiens Au seindessociétésmodernes,lesindividusontde l’expérience humainedelanature radical desactivitéshumaines–peut-elleaffecter Comment cette« ont étémisenpleinelumièreàl’échellemondiale. l’homme, sonenvironnementetlesnon-humains les liensintimes,complexesetinteractifsentre cédent des activités humaines. Avec cettezoonose, nature avaitbénéficiédecetteréductionsanspré- - sesame extinction del’expérience lanature - inrae.fr/ ! anthropause » – ralentissement » – ralentissement ? ? 1 » (Pyle, » (Pyle, ment groupe, troisquestionspermettaient respective- maux, lesplantesetarbresextérieurs. Pourchaque leurs plantesetarbres, lesoiseaux,ani- groupes d’espèces ment surlesrelationsdes répondantsaveccinq La deuxièmepartieinterrogeaitl’effetduconfine- profession oudeleurspratiquesloisirs. la biodiversité, du fait de leur éducation,de liers ou non avec la gestion ou la protection de technique –consistaitàsavoirs’ilsétaientfami- participants ontrépondu,àlasuited’uneerreur quand. Une question – à laquelle seulement 575 dins) avaient àlanature(espacesnaturels,parcs,jar habitaient la ville ou la campagne et quels accès ils tion auregarddel’emploi,niveaudiplôme cerner leprofildesparticipants La premièrepartieduquestionnairepermettaitde France métropolitaine. rempli par1 laquelle aprisfinlepremierconfinement.Ilété sur lapériodedu8avrilau 11 mai2020, date à et surlesréseauxsociaux,lequestionnaireaporté LE QUESTIONNAIRE. êtres vivants. relation quotidiennedeshumainsaveclesautres le confinement,enFrance,avaitpumodifier la L’objectif denotreétudeaétémontrercomment effet bénéfiquesurlasantémentaleetsolitude. possession d’unanimaldecompagnieavaitun leur anxiété. D’autres encore ont montré que la ; s’ilsétaientconfinésseulsounonetdepuis : d’évaluerl’incidence duconfinement sur 292 personnes majeures et vivant en 292 personnesmajeuresetvivanten

: leurs animaux domestiques, Diffusé en français, en ligne Diffusé enfrançais, en ligne sesam : sexe,âge,situa- N°9MAI2021 ; s’ils ; s’ils • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT - était lasuivante de sixàhuitsemaines.Larépartitiondesâges semaines, 11 répondants avaientétéconfinésdequatreàcinq 70 un accèsdirectàlanaturelorsqu’ilssortaientet 41 d’études secondaires(81 seuls (83,2 pants étaientdesfemmes(70 déclaré avoir appris quelque chose de nouveau sur déclaré avoirappris quelquechosedenouveau sur avec d’autresanimauxetvégétaux. Plusde20 plantes ainsi qu’avec les oiseaux, et plus de 40 et interagi davantage avec leurs animaux, leurs avec elles.Plusde65 sur l’observationetl’interaction desparticipants les humains et les autres espèces, notamment le confinementaeuuneffetsurlesrelationsentre L’IMPACTCONFINEMENT.DU PARTICIPANTS.LES s’étaient sentismoinsseulsgrâceàelles. morphologiques deces espèces nouveaux traitscomportementaux,biologiquesou de savoirsilesintéressésavaientdécouvert ou tel groupe d’espèces ou à interagir avec elles le tempspasséparlesparticipantsàobservertel de protectionlabiodiversité. connaissances enmatièred’étude,degestionou 575 répondants,32 14 quarante ans,32 % disposaient d’un jardin. Plus de la moitié des % disposaientd’unjardin.Plusdelamoitiédes % vivaientàlacampagne,39 % avaientplusdesoixanteans.Enfin,surles %) etavaientaumoinsundiplôme % deuneàtroissemaineset30 : 54 % dequaranteàsoixanteanset % ontdéclarénepasavoirde % étaientâgésdedix-huità % ont déclaré avoir observé % ontdéclaréavoirobservé La plupartdespartici- %). Uneproportionde ; enfin de savoir s’ils ; enfin desavoir s’ils %), nevivaientpas Dans l’ensemble, Dans l’ensemble, % disaientavoir % ont % ont % % % ; ;

DE L’EAUMOULIN AU 63 DE L’EAUMOULIN AU 64 sesam N°9MAI2021 tenté decommuniqueraveceuxensifflant dant leurspromenades.Plusieurspersonnesont leur balcon, dans leur jardin ou à l’extérieur pen- de temps àobserveretécouterlesoiseaux,depuis sommeil, leursréactions…Ilsontaussipasséplus connaître ens’intéressantàleuralimentation, animaux (toilettage,jeux)qu’ilsontapprisàmieux de leurs plantes (taille,semis,arrosage)et de leurs beaucoup plus de temps que d’ordinaire à s’occuper dans touslesprofils.Lesparticipantsontpassé effets duconfinementseretrouvent,plusoumoins, jardin etrelativementfamilièresdelanature,ces sont plutôtdespersonnesdiplômées,possédantun propriétaires d’animaux. Même si les participants L’OBSERVATRICE. DE L’OBSERVATEUR… OU DE PROFIL LE se sentir moins seuls, leur taux atteint 60 animaux, lesplantesouoiseauxaidaientà Si 30 à 40 entre 10et15 les plantesdomestiques,animauxetoiseaux, les ontaidésà sesentirmoinsseuls.Enfin, lesper le confinementetplussensibles auxoiseaux,qui saient déjà la biodiversité ont été plus affectés par et l’apprentissage.Lesparticipants quiconnais- été moinsconcernéesparl’observation, l’interaction été plus sensibles sur ce point, en revanche elles ont contre lasolitude.Lespersonnesvivantseulesont à déclarerqueleursanimauxlesaidaientlutter plantes etlesoiseaux,ontétéplutôtmoinsportées en termesd’observationoud’interactionavecles Les personnes instruites, a priori plus sensibles leur part, l’étaient globalement moins que les autres. davantage ditstouchés.Lespersonnesâgées,pour d’un parc ou à proximité de milieux naturels se sont questionnaire, lesgensquiontunjardin,viventprès d’incidence surlasensibilitédesrépondantsau contraire, àlacampagnenesemblepasavoireu chez leshommes.Silefaitdevivreenvilleou,au confinement est plus marqué chez les femmes que tion/interaction, apprentissage,solitude),l’effetdu les espècesconsidéréesoul’effetétudié(observa- interrogées est déterminant jouer unrôle.Enparticulier, legenredespersonnes les interactions entre différentes espèces. les interactionsentredifférentesespèces. leurs chants,différencesdecomportementet habitudes alimentairesdesoiseaux,lavariétéde disent avoiramélioréleursconnaissancessurles tallant nichoirs ou mangeoires. Des répondants tégeant deleurschats,enlesnourrissant,ins- Ils ontdavantageprissoindesoiseauxenlespro- parfois l’impressionqu’ilsrépondent. » « Jesiffleetj’ai moins degensetpasvoitures. » à unoiseau.Jepensequec’estparcequ’ilyavait ou deux fois, en marchant dans la rue, je répondais • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT % des participants ont déclaré que les % des participants ont déclaré que les % sur les autres plantes et animaux. % surlesautresplantesetanimaux. Le profil des participants a pu Le profildesparticipantsapu : quelles que soient % pour les % pour les : « Une Une - Bang etKhadakkar autres êtres vivants. Cependantsi,commele disent blement larelationdesêtreshumainsavecles une pandémied’unanoudeux,transformentdura- Bien sûr, ilestpeuprobablequedeuxmois, voire mais aussilaviequotidiennedeshumains. humaines ont reconquis non seulement l’espace sentaient moinsseulsgrâceàelles.Lesespècesnon naient de nouvelles chosesàleur sujet etqu’ilsse les espècesnonhumaines,maisaussiqu’ilsappre- qu’ils observaientetinteragissaientdavantageavec oiseau particulier, etc. Nonseulementilsontdéclaré sauvaient desinsectes,apprenaientàconnaîtreun des plantes,nourrissaientlesanimauxsauvages, compagnie, observaientlacroissancequotidienne prenaient davantage soin de leurs animaux de dans lesréponsesquantàlafaçondontgens avec lesautresespèces.Diversrécitsapparaissent donc bieneudeseffetssurlarelationhumains culturels etpolitiques(Claytonal.2017) diversifiées, inscrites dans des contextes sociaux, Les expériences de lanaturesont complexes et de repérerceuxquipeuventêtreleplusconcernés. déclencher cetteexpérience.Ilaégalementpermis tré qu’unchangementmajeurdanslasociétépeut À l’échelledumondeentier, leconfinementamon- rience queleshumainsontdelanature. réponses elles-mêmespeuventtransformerl’expé- mondiales à des réponses similaires aux crises écologiques tée eturgenteàlaCovid-19devraitouvrirvoie LE RETOUR DE LA NATURE. LA DE RETOUR LE Relationship withNature”, Letters Conservation , 10:645-651,2017. TowardPrévot,“TransformationExperience: Truong,New A.C. of M.X. a 3 - S. Clayton, A. Colléony, P. Conversy, E. Maclouf, L. Martin, A.C. Torres, the National Academy of Sciences,117:29995-29999,2020. a Global Crisis: Consequences andtheWay Forward”, Proceedings of 2 -A.Bang,S.Khadakkar,“Opinion:Biodiversity Conservation During quelles-consequences-sur-lexperience-de-la-nature/ à lapage bibliographiques sont consultables sur le blog de la revue Sesame Inrae Une version complète del’article ettoutes les références tions sociales et politiques des sociétéshumaines. considérer cesquestionsàlalumièredesorganisa- envers lesautresêtresvivants,ilestimportantde avec lanatureetdévelopperunenouvellesensibilité Alors qu’il est admis que l’humanité doit renouer un accèsfacileàlanature,ontétéplustouchées. de même quelespersonnes possédantun jardin ou nement. Enparticulier, ilestclairquelesfemmes, aux changementstelsqueceuxinduitsparleconfi- personnes neréagissentpasdelamêmemanière de nosprincipalesconclusionsestquetoutesles a priori les moins accessibles, à savoir les plantes. a priorilesmoinsaccessibles,àsavoirplantes. développé unesensibilitéplusélevéeauxespèces sonnes confinéeslepluslongtempssemblentavoir : https://revue-sesame-inrae.fr/covid-19-le-confinement- », il est intéressant de constater que ces », ilestintéressantdeconstaterqueces 2 , « la réponsemondialeconcer Le confinement a Le confinement 3 . L’une ● - culier, vient de faire irruption sur le devant de la scène... à la faveur de la pandémie, le vison d’élevage, en parti- fourrure reste encore très présente dans la mode. Mais, la poils, à ou plumes à bêtes des autresamis et maux) Ani- des Traitementle dans Éthique une (Pour PETA l’associationde médiatisées très actions les Malgré l’interdiction sauver les« rable menéedanslesannéessoixante-dixpour sion publiqueetmédiatiquedelacampagnemémo- fourrure dephoque(animalsauvage)–souslapres- les importations,exportationsetexploitationsde animaux pourleurfourrure.Seulessontinterdites du traitédeLisbonne,n’interditpasd’éleverdes dans l’Unioneuropéenne,enparticulierl’article13 afférent à laprotection et aubien-êtredes animaux car ilestenvoied’extinction. lutreola) n’estélevéqu’àdesfinsconservatoires Alors que,pour sapart, levisond’Europe (Mustela vages, estclasséespèceenvahissanteenEurope. petit mustélidé,quis’échappefacilementdeséle- l’Union européenne.Notons,aupassage,quece dont 63 d’Amérique (Neovisonvison)ouvisond’élevage, sous-produits encosmétique.Voilà pourlevison fole decesboulespoils–onenutiliseaussiles grand bazardel’internetmondial…lemarchéraf- pompons ornanttoutessortesdecolifichetsdansle Manteaux, étoles,écharpes,bonnets,jusqu’aux par AnneJudas,revue » « Sesame victimes delamode Vison etCovid-19 Pologne, l’Ukraine etlaFinlande. 2 -L’Irlande, laBulgarie,l’Estonie, laLituanie,le Monténégro, la Slovénie. Pays-Bas, laNorvège, le Luxembourg, la Serbie,laSlovaquie etla Herzégovine, laRépubliquetchèque, laCroatie, laMacédoine, les 1 -LaHongrierécemment, l’Autriche, laBelgique,Bosnie- LE VISON D’AMÉRIQUEVISON EUROPE. LE EN Royaume-Uni) ourestreint Beaucoup depaysl’ontbanni(depuis2003au Europe), carunprojetdeloivoulaitl’interdire. en Pologne(deuxièmeproducteurdevisons suscité débats et manifestations de producteurs L’élevage d’animauxàfourrurearécemment plus loindanscetteprotections’ilslesouhaitent. d’autres domaines,lesÉtatslégifèrentpouraller animal, commedansEn matièredebien-être pagnie, bénéficientd’uneprotectionparticulière. et dechienslesquels,entantqu’animauxcom- % delaproductionmondialevient… sesam BB phoques 2 . EnFrance,laproposition deloi N°9MAI2021 » –, ainsi que celle de chats » –,ainsiquecelledechats 1 . D’autres envisagent . D’autresenvisagent • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT Le cadre Le cadre vages de mustélidés touchés par le virus ont été fer meurt pas.Mais,enItalie, dès l’été2020,leséle- nose. Réceptifetsensibleau virus,l’animaln’en transmet danslesdeuxsens vison, puisduvisonàl’homme, leSARS-Cov-2se touche niàlachassel’élevage. l’ont soutenumaisenvain.Leprojetdeloine mesure. Cent quatre-vingt-cinq parlementaires tive Partagée(RIP)danslequelauraitfigurécette Clément, réclamaitmêmeunRéférendumd’Initia- partie del’opinionpublique,emmenéeparHugo allaient plus loin que celui qui a été discuté. Une et/ou sénateurs,toutesobédiencesconfondues, fois, touslesprojetsdeloidéposéspardesdéputés conscience desonimportancepolitique ».Toute- la maltraitance animale symbolise laprise de Monde » titrait au Sénatfinjanvier2021,époqueàlaquelle« Le France. Cette proposition de loi a été transmise alors mêmequ’ilnerestequequatreélevagesen ments, l’interdiction serait actée dans cinq ans – dans lesdeuxans.Aprèsforcedébatsetamende- et al, LREM) voulait interdire l’élevage des visons tance animale(L.Romeiro-DiasetL.Dombreval 3661 visant à renforcerlaluttecontre maltrai- IL COURT, IL COURT LE VIRUS. CHASSE AU COVID. tences vétérinaires. Pourtant leszoonoses relèvent aussi decompé- la pandémiedeCovid-19 ». serait « opportuniste etcirconstanciel, suscitépar nécessaire etapplicable »,cetarticledelaloi maltraitance ». Sila«mesured’interdictionest des animauxpourleurfourruren’estpasune considérations quelebien-êtreanimalcar« élever tion defourrureàpartirvisonsrelèved’autres Pour cesvétérinaires,vouloirinterdirelaproduc- d’expert (20-01-2021)surlecontenudelaloi. l’Académie vétérinairedeFranceaémisunavis La commissionRelationshomme-animauxde un délaià2025. par l’élevagedevisons,legouvernementadéfendu immédiate, arguantdurisquesanitaireengendré sieurs députés plaidaient pour uneinterdiction mentaire, enjanvier2021,alorsmêmequeplu- et encore : : : actualitéoblige.Lorsdudébatparle-

: « Lapropositiondeloicontre Sauf àl’élevagedesvisons, : onparlederétrozoo- De l’homme au De l’hommeau -

DE L’EAUMOULIN AU 65 DE L’EAUMOULIN AU 66 sesam N°9MAI2021 dans et à partir des élevages d’animaux à four évaluation durisquedevoir serépandrelevirus À ladatedu20janvier2021, l’OMSapubliéune leur bien-être »(novembre2020). avec lesanimaux, sanspourautantcompromettre par la COVID-19 doivent éviter tout contact étroit d’un animalréceptif,etc.Lespersonnesatteintes visage, porterunmasqueencasdemanipulation sa litière,éviterlescontactsétroitsauniveaudu après avoirtouchéunanimalouentretiende être appliquées « tives : aux contactsentrel’hommeetcesespècesrécep- recommande d’êtreparticulièrementvigilantquant les chats,furets,levisonouhamster. L’Anses tiques sontréceptivesetsensiblesauSARS-Cov-2 pour cesquelque19 avec desrecommandationsdebiosécuritéstrictes cette voieplutôtquel’abattageoulafermeture, élevages françaisquiétaientindemnes,privilégiant un programmedesurveillancedesquatrederniers l’ANSES (l’Agence Nationale de SÉcurité Sanitaire) à tère del’Agricultureaalorsconfié,ennovembre, élevage commeundespiresd’Europe).Leminis- (l’ONG OneVoice dénonçaitdepuislongtempscet fermé etsesvisonsabattuspourcausedeCovid Au mêmemomentenFrance,unélevageétait nouveaux variantsduvirus. les élevagesdevisonsontfavorisél’apparition ger la santépublique,tantauDanemarkqu’àl’étran- impliquerait unrisquebeaucoupplusélevépour Mølbak. « Lapoursuitedel’élevagevisons contrôle des maladies infectieuses (SSI), Kåre expliqué leresponsabledel’Autoritédanoise autant auxanticorpsquelevirusnormal »,a variant. Ce qui veut dire qu’il « ne réagit pas que levirusmutédétectésurlesvisonsétaitun dix-sept millionsdebêtes,aprèsavoirdécouvert vernement avaitordonnél’abattagedequinzeà ducteur etpremierexportateuraumonde,legou- En novembre2020,auDanemark,premierpro- més pouraumoinsunan.LesPays-Basontsuivi. sars-cov-2-au) lanses-relatif-%C3%A0-la-surveillance-de-linfection-par-le-virus- 3 -https://www.anses.fr/fr/content/avis-r%C3%A9vis%C3%A9-de- ESPÈCES SENSIBLES. », a-t-il souligné. Au Danemark, c’est certain, », a-t-il souligné. Au Danemark, c’est certain, • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT Des mesuresd’hygiène strictesdoivent : se laver les mains avec du savon : se laver les mains avec du savon 000 visons Plusieurs espècesdomes- 3 . - : : ont recommandé d’enquêter dans les élevages de ont recommandé d’enquêterdanslesélevages de Quatre desexpertsdelamission d’enquêtedel’OMS commission n’étantpasindépendante. en étantcontrôlévoireinterdit parlaChine,et prélèvements sanguins ou aux échantillons, l’accès envoyée par l’OMS, faute d’accès aux données, aux être examinéessérieusementparlacommission Decroly (CNRS),ceshypothèsesn’ontpaspu puis échappéd’un laboratoire, etc.SelonÉtienne vétérinaires. la surveillancepassiveparlesagriculteurset sur lesanimauxetlepersonnel,enplusde inclure desmesuresactivestellesquetests son duSARS-CoV-2 etquelasurveillancedevrait devraient être considérées comme àrisque enrai- taire) aconsidéréquetouteslesfermesdevisons et del’EFSA(agenceeuropéennesécuritésani- Centre forDiseasePreventionandControl(ECDC) Le 19février, unrapportconjointdel’European France etunenItalie. Suède, troisenEspagne,deuxLituanie,un neuf auxPays-Bas,vingtetunenGrèce,treize l’Union européenne – 290 au Danemark, soixante- dans 400élevagesdevisons,huitpays Mais, enjanvier2021,levirusavaitétédétecté qui s’échappent. souillé, larécupérationdufumieroudesanimaux d’une fermeàl’autrevial’alimentation,lematériel de mesuresrenforcéespourévitertouttransfert vage nécessite, selon l’OMS, l’application stricte à despopulationshumaineset/oulafaunesau- possible devariantsdepuislesélevagesvisons COVID, VISONS, VARIANTS. VISONS, COVID, (martres, furets,blaireaux…etvisons). à l’homme et contamine des espèces sauvages des élevages,ilsetransmetteouretransmette que le virus se répande dans les élevages, puis que, est élevé, pour l’Europe et l’Amérique du Nord, aussi deschiensviverrinsetlapins,lerisque pays. S’agissant principalement des visons, mais rure, reposantsurlesdonnéesdetrèsnombreux DÉMIE LE VISON, CHAÎNON MANQUANT DANS L’ÉPI- naturel à l’homme hôte intermédiaire ou passage direct de l’hôte d’un hôtenaturelautrequelachauve-souris pandémie deCovid-19 diverses hypothèsessurl’origineduvirusdela Selon leCirad,ces experts devaientétudier navirus dechauves-souris. de recherchesurlesvirus,enparticuliercoro- l’automne 2019.Wuhan estaussiungrandcentre causes del’épidémiequiauraitdébutélà-basà mandatés parl’OMSàWuhan, àlarecherchedes ? En janvier2021,desexpertsontété

; virus trouvé sur le terrain : virus ancestral provenant : virusancestralprovenant La propagation ; géographique que d’un point de vue phylogénique. espèces encontactavecl’homme, tantdefaçon mentaux, lesrapportsentre espècesincluantles particulièrement leschangements environne- des virus. Ils recommandent en outre d’étudier échantillonnant les hôtes naturels ou domestiques resser auxconditionsd’apparitiondeszoonosesen chercheurs s’accordentsurlefaitqu’ilfauts’inté- domestiques etd’élevage.Ungrandnombrede mammifères etleursvirus,dontlesanimaux chinoise appelleàsurveillerdeprèsquarante-huit of Sciences »)etdans«Nature». Une équipe « PNAS» («ProceedingsoftheNationalAcademy qu’américains, continuent de publier dans Cependant deschercheurs,chinoisautant on enresteauxhypothèses. ou auxéchantillonsenChine(maisaussiailleurs), zoonoses. Mais,fauted’accèsauxdonnéesbrutes sont passéesparl’animal.Environ75 La plupartdespandémiesdernièresannées d’autres espèces,domestiquesetsauvages. chien viverrin(quin’estpasunchien),levisonou plusieurs espècesd’animauxàfourrure,commele lial, enconditionspeucontrôlées,oùsecôtoient ou élevéenAsieauseind’élevagesdetypefami- intermédiaire pourrait être un animalsauvageet/ L’une deshypothèsessur latableestque l’hôte éviter leszoonoses ». et descampagnesd’abattagesontorganiséespour l’apparition devirusaviairesdanscesélevages pandémiques chezl’humain.On surveille donc favoriser l’émergencedeviruspotentiellement grippe, onsaitquelesélevagesdecanardpeuvent le rappelleÉtienneDecroly, « pourlesvirusdela développer desvaccinsoutraitements.Comme du virus est aussi important dans la lutte que de Pourtant, mieux cerner les conditions d’émergence Chine, entrelaChineetlespaysvoisins. relations diplomatiquesentrelesÉtats-Unisetla phiques duvirusempoisonnentl’atmosphèreetles et leshypothèsesdiversessuroriginesgéogra- Tout autantqueleviruslui-même,lesinconnues VIRUS. DU ORIGINES DES RECHERCHE LA À commercialisation. » soient exemptésdel’interditportantsurleur celle desespècessauvages,afinquecesanimaux la catégorie“élevagespécial”,plutôtquedans visons, renardspolairesetchiensviverrinsdans avril 2020,legouvernementchinoisavaitclassé Ces élevagesysontenpleineexpansion.« facilité lesenquêtesdansélevages. ducteur devisonsaumonde,n’apourl’instantpas à l’unedecesespèces.MaislaChine,secondpro- virus auraitpusetransmettred’unechauve-souris mustélidés (visons,blaireauxourenards),oùle sesam N°9MAI2021 % sont des % sontdes • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT En En Chine raient avoir aggravé la peste porcine africaine en vite. Trop On nepeutqu’espérerlagagner. Maistoutvatrès La coursenefaitquecommencer. de nouveauxvaccins,pourl’hommeetl’animal. dans lesélevagesouailleurs,ilfaudradévelopper ligne et,sidenouveauxvariantsapparaissent, atteindre l’homme.Lesélevagessontenpremière dies respiratoires virales àcoronavirus qui peuvent devient unparfaitmodèleexpérimentaldesmala- Fashion Week, dumoinsenEurope vison nedéfilera-t-ilplussurlespodiumsdela classé quedeuxième pandémique. Surcepodium, leSARS-Cov-2n’est ordre décroissantenfonctiondurisquedezoonose virus àzoonosedécouvertsdepuisdixans,par LA RECHERCHE SUR LE OU LES VIRUS. LES OU LE SUR RECHERCHE LA 5 -https://www.pnas.org/content/118/15/e2002324118 d41586-019-01269-5 4 -Article deNature ANIMAL. MODEL TOP démies donné pourmissiondetenterprévenirlespan- place et une initiative à l’échelle mondiale s’est Des alliancesderecherchesemettentdoncen Mylène Ogliastro). une espèce animale pas nulqu’unvariantdevienneinfectieuxpour à fairedanslafaunesauvage,etlerisquen’est très sensiblesauvirus.Ilrestedesinvestigations qui seraientpeuréceptifs.Lesvisons,eux,sont expérimentale sontmenéssurleporc,lesbovins, est réceptif,lefuretaussi.Desessaisd’infection plusieurs modèles animaux en labo les animauxsontexaminés.Ontravailledoncsur À Inrae,« làoùilyaeudeshommescontaminés, animaux domestiques. émergences decoronaviruschezl’hommeoules ger d’hôte. Le butestd’anticiperd’éventuelles espèce hôte,d’autresont une capacitéàchan- Certains sonttrèsspécifiquesetadaptésàleur virus peuventfranchirlabarrièredesespèces. on chercheàcomprendrecommentlescorona- l’École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, on entrouvedeuxquiinfectent leporc.● gences zoonotiquesetdepandémies). 4 . « : PREZODE(Prévenirlesrisquesd’émer ? Des vaccins trop vite développés pour PNAS : https://www.nature.com/articles/ » vient de publier un tableau des » vient de publier un tableau des 5 » (Muriel Vayssier-Taussat, et, parmi les douze premiers, et,parmilesdouzepremiers, Sous peu,peut-êtrele ; en revanche, il ; enrevanche,il

: le hamster À - -

DE L’EAUMOULIN AU 67 DE L’EAUMOULIN AU 68 de réponse. éléments Nouveaux pesticides. des sortie de pistes des chercheurs ou anciens chercheurs Inrae, notamment sur collègues, plusieurs lecteurs, nombreux de avec débat pourquoi-lusage-de-produits-phytosanitaires-augmente-t-il-en-france/ 1 -https://revue-sesame-inrae.fr/ phytosanitaires augmente-t-il en France « article premier Notre sesam N°9MAI2021 est préférable d’être plusieurs pour surmonter une d’agir seulpourtraiterd’une affairecourante,il interdire, etcomment banal tralement opposés. Notre état d’esprit est assez y comprisentrepersonnes auxintérêtsdiamé- commun desobstacleset moyensdechacun, une actionavantdeconvenird’undiagnostic de vue légitime, il est impossible de construire de tous les acteurs concernés. Même avec un point par lespesticidessansunecontributionpositive problèmes depollutionparlesphytosanitairesou pas yavoirderéponsesocialementacceptableaux nelles, nousamènentàlaconclusionqu’ilnepeut gnés. Nosexpériences,associativesouprofession- situation. considérer commeinéluctableladégradationde cations aufaitqueriennechangerevient[…]à de l’écosystème « reproché de ne pas avoir fait le tour de la question. donc desmargesdeprogrès.Ilapunousêtre souligné En premièreremarque,etbiendeslecteursl’ont au champ. l’exode ruraletàl’effondrementdelabiodiversité et desrevenus agricoles, enmêmetemps qu’à une netteaméliorationdesconditionsdetravail sation etàlachimisationdel’agriculture,donc hausse desrendementsestassociéeàlamécani- objectifs légitimes.Depuisquatre-vingtsans,la décennies toutaumoins,rendrecompatiblesdes grave, nousn’avonspassu,lorsdesdernières liers d’agriculteurs. Mais, et c’est peut-être plus pourtant connuesetmisesenœuvrepardesmil- tion depratiquesàfaibleusagephytosanitaires serré de nœuds, de blocages, freine la généralisa- même principaleàcettequestion.Unécheveau Il n’apparaîtpaspournousderéponsesimpleni par Yves Guy,ingénieuragronome, Pierre Guy , retraité Inrae, AnneJudas,revue » « Sesame Pesticides Et lasantéduconsommateur, duriverain…et : chacun sait que, s’il est souvent plus rapide : chacunsaitque,s’ilestsouvent plusrapide • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT : puisquelesfreinssontconnus,ilexiste » Précisons Pourquoi l’usage de produits de l’usagePourquoi ? Trouver denombreusesexpli- : nousnesommespasrési- ? 1

» a ouvert un : réduire ou le but ultime est de préserver la biodiversité, nous le butultimeest depréserverlabiodiversité, nous fique ettechniquemaltraitée. Sil’onconsidèreque publique aétédécrédibilisée etl’expertisescienti- en pleinchampavecdesinsecticides. Ladécision le défautdeprotectiondes semencesentraitant ronnementalement, carles agriculteursontpallié ment, touslesexpertsdelafilièreledisent Nous avonsperdusurtouslesplans exemple detrèsmauvaisegouvernancecollective. dégâts économiques et environnementaux, est un leur réautorisationsurbetterave, après de forts tion desnéonicotinoïdes,suivieencatastrophede en régulantl’accèsàcertainslieux,etc.L’interdic - les rendant plus propres, en adaptant la législation, on peut chercher à en limiter l’impact ou l’usage en que l’onn’envisagepasd’interdireàcourtterme, leviers, mais insuffisants. Comme pour les voitures, telle oumolécule,formerinformersontdes peuvent êtretrèsvariables.Autoriserouinterdire selon lesmodalitésd’usage,leurseffetsindésirables tion. Toutes neposentpas les mêmes problèmeset, même si elles posent d’évidents problèmes de pollu- cules sontdesoutilsquirépondentàbesoins, ceux-ci sontévidemmentindispensables.Lesmolé- ne peutpasvenirdesseulsacteursagricoles,mais PEUT-ON SORTIR DES PESTICIDES boucs émissaires. partageant leseffortsplutôtqu’encherchantdes regard pourtrouverlescheminsdeprogrès,en protégée, ilfautaccepterlacomplexité,élargirle alors quelabiodiversitérégressemêmeenzone Face àuneréalitécommecelledespesticides, nécessaires entreacteursetdansletemps. mesurer l’importanceetlarépartitiondes efforts il s’agissaitdepermettreaulecteurmieux relles nousparaissanttropsouventnégligées, des traitements chimiques. Ces causes structu- peuvent objectivementpassepasseractuellement exploitants sontdansunesituationtellequ’ilsne structurelle auxtraitementschimiques.Certains vice –etpourtantinductricesd’unedépendance graphie, fiscalitédufoncier, venteenlibre-ser a priori trèséloignées de l’agronomie –démo Notre articleinsistaitsurdesproblématiques semble unpréalableincontournable. cristallisées, laconstruction d’un projet partagé complexité plussérieuse.Faceàdesoppositions ? : économique- ? La réponse La réponse ; envi- - - choix depolitiquespubliques. conduisant àdesrésistances.Ajoutons-ycertains mêmes) favoriseraientlasélectiondemutations qui poussentàenutiliserd’autres,toujoursles tements (oulasuppressiondecertainstraitements culture, certains choix variétaux… et certains trai- agricoles commelesrotationscourtes,lamono- du changement climatique, certaines pratiques menter lerecoursauxtraitements ravageurs etdesmaladiesdeculturesaug- facteurs quipeuventaggraverlaprésencedes Les agronomesconnaissentbonnombrede de lutte.Ilestdoncassezcomplexed’ensortir. d’autres pratiquesculturales,stratégies d’agroécologie, dediversificationdescultures, par exemple celles àbase de plus d’agronomie, une technologiequi en marginalised’autres, lage technologique le détailcequ’ilsappellentuncasde« 26, 14002. en France : décryptage d’unéchecetraisons d’espérer. Cah.Agric., Savini I.,2017.LeplanEcophyto deréduction d’usagedespesticides 2 -Guichard L.,DedieuF., Jeuffroy M.H.,Meynard J.M.,ReauR., phyto, Alexis Aulagnier (2020) explique que, à ses Dans unarticleretraçantl’histoire duplanÉco- PRIVILÉGIER UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE. PLUTÔTPISTES DES SOLUTION. QU’UNE compromis acceptable. position qu’ilyaunanoudeuxpourtrouver sommes aujourd’hui, semble-t-il, en moins bonne Écophyto. Guichardetal.(2017) notamment lorsqu’ilsontconstatél’échecduplan de chercheurssesontpenchéssurlaquestion, tion despesticides,etcen’estpaslecas.Beaucoup consommateur final – qui doit favoriser la réduc- fournisseurs desexploitationsagricolesjusqu’au système deproduction–depuislesconseillerset tout-venant est un leurre. C’est donc l’ensemble du admettent d’en payer le prix. La qualité au prix du reconnaître parlesconsommateursetqueceux-ci fallait valoriserlesméthodesvertueuses,faire molécules qued’enréduirel’usage.Pourcela,il était d’avisqu’ils’agissaitmoinsdechanger phyto, GuyPaillotin,alorsprésidentdel’Inra, l’environnement etdulancementplanÉco- 2008, aumomentdesdiscussionsduGrenellede » : l’usage des pesticides est sesam 2 N°9MAI2021 ont exposé dans ontexposédans : certainseffets verrouil- • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT En pas étéuneréussite,etCertiphyto paraîtpourbeau- gestion vertueusedesphytosanitaires (Dephy)n’a tance des variétés. Le réseau de formation àune comme l’apparitiondecontournementslarésis- tices ouderavageursrésistantsauxpesticides, phytosanitaire, cequiinclutl’apparitiond’adven- davantage dedynamiquecollectivelaprotection lance duterritoireestsurledéclin.Etiln’yapas profession agricole, la stratégie d’épidémiosurveil- Pourtant, tantducôtédel’Étatquelapart la résistance des cultures à certaines agressions. permettent de limiter les risques ou de favoriser des semencessélectionnées,certainespratiques betterave. Au-delà des produits de biocontrôleou Ce futlecas en 2020,ycompris sur l’emblématique d’autre solutionconstruiteavecl’avaldelafilière. rationnel, àdespesticidesnécessairesenl’absence qualité, marque…D’oùlerecours,regrettablemais d’une façonouautre consommateur etparl’acceptationd’unprixadapté ment, tantqu’ellesneserontpasreconnuesparle ne pourrontsansdoutepassedévelopperpleine- un marchédemasse.Cesméthodesvertueuses produits debiocontrôleneconstituentpasencore taire nesatisfaitpasencoretouteslesfilièreset inconnues nesontpaslevées.L’industrie phytosani- phyto paraissaitprometteur, en2021toutesles seulement. Sien2017levoletrecherched’Éco- donc surlebiocontrôle,utilisableen bio, mais pas industrielles. La recherche de substituts débouche reste utile,mêmesansmoléculesdesynthèse « défendue, puisécartéeauprofitdelarecherche sité d’uneapprochescientifiquesystémiqueaété débuts, quelque temps après le Grenelle, la néces ou-phytosanitaires-allons-au-dela-des-mots-7905111-7498.php?nic 3 -Voir parexemple terme aussi incontournable,aujourd’huicommeàlong L’approche systémiqueparaîtpourtanttoujours filière (lesproducteurs)resteeneffetdifficile. Le retourdelavaleurajoutéeversl’amont nisation desfilières,sansrémunérationéquitable. conduise àdeseffortssurlespratiquesetl’orga- qui redoutaientquel’approchesystémiquene tions d’organisationsagricolesouindustrielles dû àlafoisunchoixscientifiqueetauxposi-

de substituts [aux pesticides] 3 . La protection phytosanitaire des plantes : https://www.sudouest.fr/2020/09/29/pesticides- : label, signe officiel de : label,signeofficielde

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DE L’EAUMOULIN AU 69 DE L’EAUMOULIN AU 70 sont hors normes phytosanitaires l’ordre de5 En productions maraîchères, de tous les vignobles. l’appellation Cognac… maispasdans alors pluscher. Ilssontexigés dans matériel depulvérisation coûte phytosanitaires. Évidemment,le de récupérer 30à40 En vigne,despanneauxpermettent une partieengrande surface. un verger unpeuplusgrand, envend quinze pourunproducteur qui,ayant toute sarécolte endirect, etde un Gaec desDeux-Sèvres, quivend en France, iln’est quededixpour de traitement moyen detrente-cinq pommier aunindice defréquence les pratiques agricoles. Alors quele La conséquence est majeure sur alimentaires sansdéfaut apparent. supermarchés exigent desproduits des fruitsparle client,les Pour éviter trietmanipulation sesam EN MANQUE DERECONNAISSANCE QUELQUES EXEMPLESDEPRATIQUES « N°9MAI2021 % desproduits français Ressources-UVAE/Liste-des-ressources-disponibles/GASCON 4 -Ilyamêmeuneuniversité virtuelle agroécologique sur leurexploitation.Lespratiquesdeprotection chez ceuxquiavaientprisleplusd’engagements (MAEC), de2016à2018,restetrèsvif,précisément volontaires pourréduirel’usagedephytosanitaires de paiementdesaidesauxagriculteursbioou plus qu’ungagedequalité.Lesouvenirdesretards coup uneformalitéadministrativesupplémentaire, pour « bocages. Il reste beaucoup à faire, c’est certain, de produitspesticidescommeladisparitiondes biodiversité dueàd’autrescausesqu’àl’utilisation fement climatique, raréfaction de l’eau, perte de évolutions quiparaissentinéluctables de préférence.Ilnousfaudraencoreaffronterdes mesures curativessinécessaires,nonchimiques aux observationsinsitudelabiocénose,etdes la priorité aux mesures préventives non chimiques, recherchées unestratégiephytosanitairedonnant gré tout.Pourchaquesituationdeproductionsont se préoccuper davantage de la préservation se préoccuperdavantagedelapréservation % desproduits • SCIENCESETSOCIÉTÉ,ALIMENTATION, MONDESAGRICOLES ETENVIRONNEMENT 4 desculturessedéveloppentmal- : : qualité « pour nepasperdre le bénéfice de la Ils doivent réorganiser leur logistique passer detraitement après récolte. s’équipent decoûteux frigospourse au champ.Denombreux collecteurs contaminés lors dustockage etnon ont très majoritairement été dépassant les normesphytosanitaires consommation, farines parexemple, Pour les céréales, les produits de nuisent aux95 alors queles mauvaises pratiques L’infraction reste largement invisible, du Certiphyto auproducteur fautif. de vente, encore moinsderetrait n’y apratiquement jamaisderetrait sanctions (amendesengénéral), il Si ces constats conduisent àdes de lalimite maximale derésidus. non autorisée, soitundépassement on ytrouve soitunesubstance active chimique ensilo favorise donc lavente du transport. L’absence detraitement : https://www6.inrae.fr/uvae/ zéro phyto après récolte : réchauf- % d’opérateurs loyaux. pesticides-reduire-ou-interdire-et-comment références bibliographiques Pour retrouver uneversion étoffée del’article etles nement, neseraitpasdetrop.● Guy Paillotinàl’époqueduGrenelledel’environ- animateur douédecharisme,commeasul’être du système,àpermettrelalibertédeparole.Un pollutions. Ilresteraencoreàveillerlacohérence permettant lesuividel’usagedespesticideset diffusion de statistiques robustes et accessibles la recherche dédiée, mais aussi lacollecte et la nérer leseffortsetrisquespris.Ilfautsoutenir transition coordonnée à l’échelle de filières, rému tion partielle.Ilfautdesmoyenspourassurerla unique, etqu’ilnefautdoncécarteraucunesolu- Nous pensonsqu’ilnepeutyavoirdesolution bonnes volontésetlescompétencesdesacteurs. coordonnées. Noussouhaitonsquedialoguentles questions phytosanitaires,ilfautdesdémarches Mais, pourréussirunestratégiedegestiondes Jacques Poly. rural agréableetharmonieux de nosressourcesnaturellesetd’unenvironnement » lors trouvé preneurs. raisonnables n’ontpassuffisamment mélanges etpratiques raisonnés et blé Renanfutadopté,enbio. Les bio ouenconventionnel, seulle à l’agriculteur plusdeprofit qu’en pesticides etd’intrants, permettaient blés rustiques qui,avec moinsde Rennes ontpermisdeproposer des que vingtansdesélection àl’Inra de débouchés rémunérateurs. Alors des traitements, mais manquentde permettent d’abaisser lafréquence Certains mélangesde variétés la confiance reviendra croire qu’en cachant unthermomètre, plus publiédepuis2018.Quipeut produits phytopharmaceutiques, n’est un indicateur desuividurecours aux Le NOmbre deDosesUnitésouNODU, le savent de consommateurs, d’éluslocaux de lavaleur ajoutée.Maiscombien à desclientsdeproximité, relocalise SIMPLES : https://revue-sesame-inrae.fr/ ? ? », comme l’avait écrit », commel’avaitécrit ? » » - sesame N°9 MAI 2021 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

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Plus qu’une fidèle de l’édition imprimée, cet espace numérique cherche à faire vivre l’information tout au long de l’année, au travers de la publication d’articles, d’entretiens, de contributions de chercheurs et autres acteurs de la société. Le tout abondamment commenté par les lecteurs, joliment illustré par des photos et enrichi de films et de son. Au fil de ces derniers mois ont été publiés : BLOG 71 COLLAPSOLOGIE AGRICULTURE DURABLE, Découvrez les entretiens filmés de Axel Kahn et Hervé Chneiweiss, sur Science de l’effondrement ou ALIMENTATION SAINE CRISPR-Cas9 effondrement de la démarche Un défi pour tous (1/2) Ambroise Martin, sur la politique scientifique ? (1/4) https://revue-sesame-inrae.fr/une-agriculture- durable-une-alimentation-saine-un-defi-pour- nutritionnelle https://revue-sesame-inrae.fr/collapsologie- tous-1-2/ science-de-leffondrement-ou-effondrement-de-la- Philippe Chalmin et André Chassaigne, demarche-scientifique-1-4/ Le plus court chemin (2/2) sur le revenu des agriculteurs Une prospective qui fait l’économie https://revue-sesame-inrae.fr/une-agriculture- Gaëtan Séverac, sur les robots dans d’une méthode rigoureuse (2/4) durable-une-alimentation-saine-le-plus-court- les champs chemin-2-2/ https://revue-sesame-inrae.fr/collapsologie-une- Emmanuelle Auriol, sur le cannabis prospective-qui-fait-leconomie-dune-methode- par Robert Spizzichino, Gilles rigoureuse-2-4/ récréatif Maréchal et Jean-Claude Devèze Pierre Le Neindre et Georges Un appel à l’intuition comme acte Chapouthier, sur la conscience des de foi ? (3/4) TRANSITION animaux https://revue-sesame-inrae.fr/collapsologie-un- Retour à la terre… aux savoirs appel-a-lintuition-comme-acte-de-foi--3-4/ https://revue-sesame-inrae.fr/?s=entretien paysans, et à la culture Ne pas céder au défaitisme ni https://revue-sesame-inrae.fr/transition-retour-a- Pour recevoir les nouveautés abandonner la construction la-terre-aux-savoirs-paysans-et-a-la-culture/ publiées sur le blog commune d’une vision du monde Par Céline Vomièro et Anne Judas - Inscrivez-vous à la lettre (4/4) électronique, en nous en envoyant un https://revue-sesame-inrae.fr/ VIANDE CELLULAIRE petit mail à : [email protected] collapsologie-ne-pas-ceder-au-defaitisme- ni-abandonner-la-construction-commune-dune- De quoi n’est-elle pas le nom ? - Suivez-nous sur twitter vision-du-monde-4-4/ https://revue-sesame-inrae.fr/ @RevueSesame Par Pierre Sersiron de-quoi-la-viande-cellulaire-nest-elle-pas-le-nom/ - Contactez-nous au 05 62 88 14 50 et Tanguy Martin Par Claude Boiocchi ou 05 61 28 50 28

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