Théâtral magazine L’actualité du théâtre sept. - oct. 2020

Alain Françon Thierry Frémont Helena Noguerra Sylvain Creuzevault Swann Arlaud Stéphane Braunschweig Joël Pommerat Daniel Russo Jean Bellorini Robin Renucci Jean-Michel Ribes Philippe Quesne Edouard Louis

Charles Berling

DOSSIER La peur de l’avenir M 02434 - 84 - F: 4,60 E - RD

Théâtral magazine n 84 www.theatral-magazine.com ° ’:HIKMOD=YUY[UV:?k@k@i@e@a"

ommaire

Théâtral magazine S N° 84 - SEPTEMBRE / OCTOBRE 2020

04 AGENDA Septembre - Octobre 2020 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Charles Berling 12. Muriel Mayette-Holtz Théâtral magazine est édité par : Coulisses Editions 7 rue de l’Eperon 75006 Paris 14 À L’AFFICHE Tél : + 33 1 43 27 07 03 Email : [email protected] 14 . Alice Dufour 42 . Bénédicte Cerutti Site Internet : www.theatral-magazine.com 16 . Joël Pommerat 44 . Séverine Chavrier Directeur de la publication : Hélène Chevrier 18 . Edouard Louis 45 . Swann Arlaud Directeur de la rédaction : Enric Dausset 20 . Alain Françon 48 . Sophie Forte 22 . Adrien Béal 50 . Daniel Russo Rédactrice en chef : Hélène Chevrier [email protected] 24 . François Berléand 52 . Thomas Quillardet 25 . Frédéric Sonntag 54 . Alice Zeniter Rédaction : 26 . Lorraine de Sagazan 55 . Stuart Seide Hélène Chevrier Vincent Bouquet 28 . Arnaud Denis 56 . Sébastien Azzopardi Gilles Costaz 30 . Stéphane Braunschweig 58 . Emmanuelle Lafon Enric Dausset + Eclairage Iphigénie 59 . Jean-Philippe Daguerre Igor Hansen-Love 34 . Ruthy Scetbon 60 . Thierry Frémont Jean-François Mondot Jacques Nerson 36 . Thomas Gonzalez 62 . Helena Noguerra Nathalie Simon 38 . Arthur Nauzyciel 63 . Jean Bellorini Patrice Trapier 40 . Sylvain Creuzevault François Varlin Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 46 TÊTES D’AFFICHE Fabrication impression : SIB Imprimerie - Imprimé en France 64 DOSSIER : La peur de l’avenir Tirage : 10 000 exemplaires avec Vincent Cespedes, Gabrielle Chalmont, Clément Distribution : Presstalis Poirée, Estelle Savasta, Robin Renucci, Elise Chatauret, Dépôt légal : date de parution Com mission paritaire du journal : 0324 G 89789 Marion Siéfert, Benoît Lambert Commission paritaire du site : 1122 W 90648 Publicité : 75 FAMILLE : Agenda Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Gestion Flashcodes 76 PORTRAIT : Frédéric Biessy infotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00 Photo couverture : 78 EDUCATION : Le Soulier de satin (formation ANRAT) Charles Berling © Carole Bellaïche pour Théâtral magazine 81 ZOOM : Le prochain numéro sortira en kiosques le 29 octobre 2020 Philippe Quesne, Jean-Michel Ribes, Léa Drouet 84 PAGES CRITIQUES ABONNEMENT 90 LE GRAIN DE SEL 1 an = 25 € p. 89 de Jacques Nerson

www.theatral-magazine.com Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 3 Agenda Spectacles recommandés Mademoiselle Else, d’Arthur Schnitzler, avec Alice Dufour, 1-sept p.14 Poche Montparnasse, 75006 Paris, à partir du 1/09 Yourte , conception Gabrielle Chalmont, Théâtre 13, 75013 1-sept p.70

Paris, 1er au 17/09, et en tournée

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Contes et légendes , texte et mise en scène Joël Pommerat, h

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8-sept p.16 c e

Bouffes du Nord, 75010 Paris, du 8/09 au 10/10 r a

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Qui a tué mon père , mise en scène Thomas Ostermeier, b

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8-sept p.18 z i

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avec Edouard Louis. Abbesses, 75018 Paris, du 8 au 26/09 E

Le Rond-Point dans le jardin . Spectacles en entrée libre. @ 8-sept p.82 Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris, du 8 au 27/09 À l’abordage ! d’après Marivaux, mise en scène Clément 11-sept p.68 Poirée. La Tempête, Vincennes, du 11/09 au 18/10 Avant la retraite, de T. Bernhard, mise en scène Alain Françon, 15-sept p.20 avec . Porte Saint-Martin, 75010 Paris Les Pièces manquantes , mise en scène Adrien Béal. 17-sept p.22 La Tempête, Vincennes, du 17/09 au 18/10 _jeanne_dark_ , de Marion Siéfert, avec Helena de Laurens. 17-sept p.71 Théâtre de la Commune, 93300 Aubervilliers Par le bout du nez , avec François Berléand et François-Xavier 21-sept p.24 Demaison. Théâtre Antoine 75010 Paris D'autres mondes , de Frédéric Sonntag. Nouveau Théâtre de 22-sept p.25

Montreuil, du 22/09 au 9/10, et en tournée @

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La Vie invisible, de Lorraine de Sagazan. Comédie de Valence a n

22-sept p.26 e

du 22/9 au 16/10. Théâtre de la Ville à Paris du 2 au 13/03 M

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Marie des Poules, mise en scène Arnaud Denis r 22-sept p.28 Théâtre Montparnasse, 75014 Paris, du 2/09 au 20/12 Iphigénie , de Racine, mise en scène Stéphane Braunschweig. 22-sept p.30 Odéon/Ateliers Berthier 75017 Paris, du 23/09 au 14/11 Saint-Félix , d'Elise Chatauret. Théâtre des Célestins 69002 22-sept p.69 Lyon, du 22/9 au 3/10 et en tournée Crise de nerfs , 3 farces de Tchekhov, mise en scène Peter 22-sept Stein avec Jacques Weber... Théâtre de l'Atelier 75018 Paris

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Perte , de Ruthy Scetbon et Mitch Riley, h

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e La Scala 75010 Paris, du 24/09 au 31/10 r a

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t Abnégation , d’Alexandre Dal Farra, avec Thomas Gonzalez. e b

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24-sept p.36 z

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Le Monfort, 75015 Paris du 24/09 au 03/10 et en tournée E

Mes Frères, de Pascal Rambert, mise en scène Arthur Nauzyciel, @ 25-sept p.38 Théâtre de la Colline, 75020 Paris, du 25/09 au 21/10 Le Grand Inquisiteur, d’après Dostoïevski, mise en scène 25-sept p.40 Sylvain Creuzevault. Odéon, 75006 Paris, à partir du 25/09

4 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 S e p t . - O c t .

Les Parents terribles, de Cocteau, avec Muriel Mayette, 29-sept p.8 Charles Berling... TNN Nice, en tournée du 29/09 au 06/02 Les Serpents, de Marie Ndiaye, mise en scène Jacques Vincey. p.42 29-sept Théâtre Olympia, Tours du 29/09 au 9/10 et tournée Oblomov , d’après I. Gontcharov, mise en scène Robin Renucci, 29-sept p.72

Théâtre Dijon Bourgogne, 21000 Dijon, à partir du 29/09

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l Aria da Capo, de Séverine Chavrier. TNS 67000 Strasbourg e

B 30-sept p.44

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l du 30/09 au 4/10, CDN d’Orléans du 21 au 24/10

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a C Exécuteur 14 , de Adel Hakim, avec Swann Arlaud et @ 30-sept p.45 Mahut. Rond Point, 75008 Paris, à partir du 30/09 Lorsque Françoise paraît, texte et mise en scène Eric Bu, 1-oct p.48 avec Sophie Forte... Théâtre Lepic, 75018 Paris Farm Fatale, conception et mise en scène Philippe Quesne. 1-oct p.81 Centre Pompidou, 75004 Paris, du 1er au 4/10 Si on savait, mise en scène Jean-Luc Moreau, avec Daniel 2-oct p.50 Russo, Valérie Mairesse,Bouffes parisiens 75002 Paris Ton père, de Christophe Honoré, mise en scène Thomas 3-oct p.52 Quillardet. Comédie de Reims, du 3 au 14/10 Je suis une fille sans histoire, de et avec Alice Zeniter. 6-oct p.54 Comédie de Valence du 6 au 10/10. Puis en tournée Moby Dick, mise en scène Stuart Seide, avec Jean-Quentin 6-oct p.55 Châtelain. TNBA Bordeaux, du 6 au 17/10, et tournée Un monde meilleur , texte et mise en scène Benoît Lambert, @ 6-oct p.74

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r avec Christophe Brault. Théâtre Dijon Bourgogne, 6 au 17/10 L’embarras du choix, de Sébastien Azzopardi et Sacha 7-oct p.56 Danino, Théâtre de la Gaîté, 75014 Paris, à partir du 7/10 La visite, texte et mise en scène Anne Berest, avec Lolita 7-oct Chammah. Rond-Point 75008 Paris, du 7 au 17/10 Parlement , mise scène Joris Lacoste, avec Emmanuelle 8-oct p.58 Lafon. Théâtre de la Bastille, 75011 Paris, du 8 au 14/10 Le Petit Coiffeur , texte et mise en scène Jean-Philippe 8-oct p.59 Daguerre. Rive Gauche 75014 Paris, à partir du 8/10 Le Repas des Fauves, avec Thierry Frémont, Davy Sardou, 8-oct p.60 Julien Sibre… Théâtre Hébertot 75017 Paris

La Reine de la piste, de Pierre Notte, avec Helena Noguerra 14-oct p.62 Comédie de Caen le 14/10. Théâtre de la ville en novembre

Nous, dans le désordre, écriture et mise en scène Estelle

@ 16-oct p.73

Savasta. Gémeaux, à Sceaux, du 16 au 18/10, et tournée M

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a Le jeu des ombres , de Novarina, mise en scène Jean Bellorini.

V 23-oct p.63 e r

n La FabricA Semaine d'Art en Avignon, du 23 au 30/10

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Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 5 ctualités

A ROSELYNE BACHELOT ARNAUD MEUNIER NOUVELLE MINISTRE NOMMÉ À LA MC2 DE LA CULTURE DE GRENOBLE Ancienne pharmacienne de 73 Depuis janvier 2011, Arnaud ans, déjà titulaire de plusieurs Meunier dirige le Centre dra - portefeuilles ministériels (écolo - matique national de la Comé - gie sous le gouvernement Raf - die de Saint-Étienne et son farin, Solidarités et Cohésion École supérieure d’art drama - sociale, puis Santé sous celui de tique. En janvier prochain, il Fillon, députée, puis animatrice cède la place pour prendre la sur Direct 8 devenu C8, membre direction de la Maison de la des Grosses Têtes de Laurent Culture de Grenoble, commu -

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Ruquier… Roselyne Bachelot- F nément appelée MC2.

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Narquin est aujourd’hui ministre v

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de la Culture du gouvernement 13 août. R PAS DE THÉÂTRE À

o de Jean Castex. Passionnée Nathalie Simon connaît bien e BROADWAY AVANT d'opéra, notamment de Verdi, Blanche Gardin. Et pour cause, JANVIER 2021 elle a aussi fait du théâtre : en c'est elle, qui à force d'écumer Les théâtres de Broadway, à mars 2018, elle a joué dans une les petites salles pour y trouver New-York, qui sont déjà fermés représentation des Monologues des perles rares, est tombée sur depuis le mois de mars, garde - du vagin au théâtre Bobino cette jeune artiste au tout ront portes closes au moins avec Myriam El Khomri et Mar - début de sa carrière. Convain - jusqu’en janvier 2021 à cause lène Schiappa... cue du talent et de la grâce qui de la pandémie, selon l’associa - émanaient déjà de l'humoriste, tion professionnelle The Broad - elle la révèle à la profession à way League. "La sécurité des travers de nombreux articles, la artistes, de la production, des or - suit pendant des années chestres et du public est notre jusqu'à cette fameuse soirée première priorité et nous ne re - des Molières il y a deux ans où tournerons sur scène que lorsque Blanche Gardin conquiert les ce sera sûr", a expliqué son pré - téléspectateurs et empoche le sident, Thomas Schumacher. soir même le Molière de l'hu - mour ! Rebelote l'année OLIVIER MANTEI d'après avec une nouvelle sta - RECONDUIT À LA TÊTE

tuette. Blanche Gardin est pas - DE L’OPÉRA COMIQUE

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d sée du statut d'inconnue à celui Olivier Mantei a été reconduit r de star. Un phénomène cou - pour trois ans dans ses fonc - rant dans notre société où tout tions de directeur de l’Opéra LA VIE RÊVÉE DE change du jour au lendemain, Comique par le Président de la BLANCHE GARDIN mais qui éclipse les années de République. Arrivé en 2015 à Notre consoeur Nathalie travail et d'acharnement des la tête de la salle Favart, Olivier Simon, grand reporter culture artistes. C'est ce qu'a voulu ré - Mantei a donné un second au Figaro et collaboratrice à tablir Nathalie Simon avec La souffle à cette institution Théâtral magazine depuis 15 vie rêvée de Blanche Gardin . d’abord avec la constitution ans, vient d'écrire la première La vie rêvée de Blanche Gardin d’une troupe d’artistes, la nou - biographie (non autorisée) de par Nathalie Simon. En librai - velle Troupe Favart, mise au Blanche Gardin. Le livre est dis - rie, 240 pages, 18 € service des spectacles program - ponible en librairies depuis le més, ensuite en proposant une

6 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 L’ÉDITO de Gilles COSTAZ saison faite d’oeuvres du réper - Cour d’Honneur du Palais des UNE SAISON toire mais aussi d’oeuvres iné - Papes cet été. Du 28 au 31 oc - MASQUÉE dites contemporaines, enfin en tobre / Théâtre Benoît XII. développant un projet d’ensei - Programme complet sur A-t-on déjà vu un public masqué gnement artistique, éducatif et www.theatral-magazine.com. face à des acteurs démasqués ? Non, social novateur, la Maîtrise Po - sans doute. Notre monde, notre art, pulaire. PRIX DU SYNDICAT notre vie sont à l’envers. C’est une DE LA CRITIQUE première : le masque quitte la scène PALMARÈS Le Syndicat de la Critique a dé - pour la salle ! A cause d’un virus for - DES MOLIÈRES cerné ses prix pour 2020. Le cené, l’armure faciale est obligatoire ! La 32e cérémonie des Molières grand gagnant du palmarès est Un masque en scène, c’était du théâ - a été retransmise le 23 juin sur Clément Hervieu-Léger pour sa tre radical. Un masque en salle, c’est France 2 en prime time dans un mise en scène d' Une des der - du théâtre médical. Une autre diffé - format innovant : enregistrée nières soirées de Carnaval de rence intervient : l’acteur masqué en 3 jours au Théâtre du Châte - Goldoni. Palmarès complet sur était beau, le spectateur masqué est let devant une salle presque www.theatral-magazine.com. plutôt laid. Dommage, mais nous vide, en raison des mesures sa - avons la protection de la pénombre. nitaires en vigueur, la soirée a ANRAT : PROCHAINES Nous ne sommes pas là pour nous bénéficié d’un montage dyna - FORMATIONS montrer mais pour regarder. Tant pis mique et du savoir-faire d’une L’ANRAT (Association natio - si nous avons l’air de canards au bec journaliste télé très à l’aise en la nale de recherche et d’Action allongé. Le masque a peut-être des circonstance, Marie-Sophie La - Théâtrale) a prévu 2 formations avantages. Qui sont nos voisins, nos carrau. Entre les remises de pour la rentrée : une début oc - voisines ? Il pourrait y avoir là un prix, souvenirs des artistes pré - tobre au Préau à Vire autour du petit air de carnaval, un désir joyeux sents, numéros enregistrés, ou spectacle de Lucie Berelowitsch de percer le mystère des voisins voi - extraits des meilleures cérémo - Vanish et l'autre à la mi octobre lés. Ces prothèses sont variées, depuis nies, cette soirée restera sans à La Colline autour de Frères de la triste version dite "chirurgicale" doute l’une des plus efficaces. Pascal Rambert dans la mise en jusqu’aux déclinaisons en tissus de Trois pièces se sont distinguées scène d'Arthur Nauzyciel dans couleur : chaque spectateur est un du palmarès : Électre des bas- le cadre du projet Lycéens ci - signe à déchiffrer. Et le masque n’am - fonds, La Mouche et Marie des toyens qui associe la Colline, le plifie-t-il pas notre émotion, ne Poules. Palmarès complet sur Tns, la Comédie de Reims et le donne-t-il pas à la respiration et aux www.theatral-magazine.com Grand T. sentiments qu’elle révèle une douce www.anrat.net, 01 49 88 66 30 caisse de résonance ? Mieux UNE SEMAINE D'ART qu’avant, on entendra penser, réagir, EN AVIGNON TENIR PAROLES AU s’émouvoir, éclater des rires ou des A l’origine, en 1947, le Festi - THÉÂTRE DE LA VILLE pleurs dans ce cône où les réactions val d’Avignon s’appelait La Se - Pendant le confinement, 97 ar - s’étouffent et se révèlent à la fois. On maine d’art en Avignon. tistes et scientifiques se sont supportera mal son propre masque L’appellation est reprise cette engagés aux côtés du Théâtre mais on adorera observer les autres année pour un rendez-vous de la Ville dans l’aventure des vivre, heureux ou malheureux, dans qui aura lieu pendant les va - consultations poétiques. Réu - la demi-dissimulation de leur visage. cances de la Toussaint du 23 nis sur scène, ils évoquent ce Tout cela n’aura qu’un temps. au 31 octobre : une semaine qu’ils ont vécu entre poésie et Nous jouerons à nous amuser de cet de 7 spectacles dont Le jeu des témoignages. Tenir paroles , accessoire, jusqu’à ce qu’enfin, dans ombres de Valère Novarina Théâtre de la Ville, Espace un an, dans un lustre, ces élasto-ban - mis en scène par Jean Bellorini Pierre Cardin, 01 42 74 22 77, dages meurent dans mille feux de qui devait avoir lieu dans la du 22/09 au 9/10 joie.

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 7 Une

Charles Berling Laisser la place au fils e h c ï a l l e B

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8 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LES PARENTS TERRIBLES Nice, Toulon et tournée à partir du 29 septembre

la tête du théâtre Liberté à Toulon et du théâtre de Châ - teauvallon regroupés sous le label de Scène Nationale de Châteauvallon-Le Liberté, Charles Berling mène depuis des années un combat en faveur de comportements plus éco - logiques. Il s’agit pour cet acteur et metteur en scène en - Agagé de prendre soin du monde que nous laissons à nos enfants. Pas étonnant alors qu’on le retrouve au moment de cette rentrée menacée par les rebonds d’une pandémie que personne ne semble maîtriser dans Les Parents terribles de Cocteau aux côtés de Muriel Mayette-Holtz la nouvelle directrice du Théâtre National de Nice. Il y joue le rôle d’un père amoureux de la même fille que son fils dont il est prêt à sacrifier le bon - heur par jalousie avant une prise de conscience douloureuse. Une pièce qu’il a tenue à jouer face à son propre fils, Emile Berling…

Théâtral magazine : Cette pan - d'amener plein de bouteilles en responsables de salles, je pense démie a-t-elle changé des plastique sur les plateaux, en de - qu'on doit contribuer à ça. Et choses dans votre manière de mandant à ce qu’on mette à la Muriel, qui joue avec moi, est travailler et les thématiques disposition des acteurs des bou - aussi complètement convaincue. que vous allez aborder sur le teilles en verre, ou des gourdes. Comment est venue l’idée de la plateau ? En ce qui concerne la restaura - pièce ? Charles Berling : Je ne fais pas tion, on ne propose plus seule - Par Christophe Perton, le met - partie d’une génération née ment de la viande et du poisson teur en scène. Je l’ai fait venir avec une préoccupation éco-res - mais aussi des plats végétariens, plusieurs fois au Liberté à Tou - ponsable. Et je pense que dans des produits locaux. Une ving - lon et pour chacun de ses spec - la culture on est très en retard taine de directeurs de théâtre de tacles, j’ai trouvé qu’il avait sur ces sujets. Et la Covid ne fait la région sud sont venus à Châ - vraiment le sens du texte et de que nous confirmer qu’il faut teauvallon pour discuter de l’éla - la dramaturgie. Alors quand il agir vite. J’espère en tout cas que boration d’une charte éco m'a parlé de cette pièce, j'ai tout ça a aidé à une prise de responsable. On réfléchit à ces de suite trouvé que c'était une conscience. Moi, cela fait un questions et on met en pratique bonne idée de refaire entendre petit moment que j'ai arrêté des choses. En tant qu’artistes et Cocteau. C’est un auteur que je

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 9 CHARLES BERLING

redécouvre, comme je redécou - C’est une pièce sur la famille, sur trompé, déjà cela fait rire, un vre Jean Giono. Cela fait long - la relation d’une mère avec son homme qui est trompé par un temps qu’on ne s’intéresse plus à fils, mais aussi d’un père avec homme plus jeune cela fait en - eux. A tort. J'ai lu l’adaptation son fils. Et par rapport à cette core plus rire, mais un homme que Christophe a faite des Pa - histoire d’un père amoureux trompé par son propre fils, alors rents terribles , à partir du ma - d’une jeune femme, je connais là, c'est l'explosion de rire". C'est nuscrit et j'ai trouvé ça vraiment ça ; je sais ce que c'est que très dur parfois d'être un homme intéressant. Après, il m'a parlé d’avoir une fiancée qui a le mûr et d'aimer une femme très de Muriel Mayette pour jouer le même âge que mon fils. Et mal - jeune ; c'est à la fois une joie et rôle de la mère. C’est une actrice gré leur difficulté, le père, la une souffrance. Et on le sait, la dont j'aime beaucoup le travail. mère doivent admettre de lais - jalousie peut amener à des souf - Et comme elle vient d’être nom - ser la place à leur enfant pour lui frances abyssales. C’est pour ça mée au TNN, c'était l'occasion donner une chance de vivre. Les qu’il est prêt à commettre le pire. de travailler ensemble sur un trois personnages d’"adul- Et à un moment donné, au fond, plateau au-delà de ce qu’on peut tes" que sont Léo, Yvonne et l'amour qu'il porte à son fils, la faire en commun en tant que di - Georges ont le choix entre droiture quelque part du sacri - recteurs. Il y a quand même un rester égoïstes et empêcher fice parental, se met en marche. endroit où on reste des artistes la jeune génération d’éclore Il réussit à se faire violence pour et on a besoin de se retrouver et s’emparer du monde, ou aller vers la bonté. C'est en ça sur ce terrain là. Et cela a pris en - se battre contre eux-mêmes. que Cocteau n'est pas un intel - core plus de sens quand mon fils, Il y a des situations fantastiques lectuel aride, sec, froid. Il prône Emile, a rejoint l’équipe. Il avait à jouer : la scène entre Yvonne la bonté et la candeur. Georges déjà tourné avec moi au cinéma, la mère et Michel le fils est un a de la candeur, mais c’est sur - c'est un très bon acteur. Mais il morceau d'anthologie. C’est tout Michel qui est d'une can - ne s'était encore jamais quand même une mère qui dit deur magnifique. Cette pièce confronté au théâtre… tranquillement : "oui je suis engage beaucoup de choses for - Est-ce vous qui avez proposé à amoureuse de mon fils et alors ? " midables. En plus on a entre Christophe Perton de l’engager ? Vous qui avez un fils, vous Émile et Zoé (Schellenberg), un Il n'avait pas pensé à lui parce savez bien qu’on est amoureux couple de jeunes gens, qui ont qu’Émile ne fait pas de théâtre. fou de ses enfants. du charisme, qui sont beaux Malgré toutes les propositions Complètement. Et on voit, no - parce qu'ils ont quelque chose qu’on lui a faites, il n’a jamais tamment avec des pièces an - d'enfantin, de pur. Et les trois voulu jusqu’à présent. C’est moi tiques, que les pulsions peuvent adultes que nous sommes, Mu - qui lui ai suggéré de l’audition - amener des désastres ou au riel, Maria de Medeiros et moi ner parce que je pensais que contraire, ouvrir à la vie. sommes confrontés à cette pu - cela aurait du sens. Je crois Ce qui est fascinant c’est le re - reté. beaucoup au sens que la réalité virement du père : il est Yvonne essaye de faire le prend avec la fiction. Quand j'ai d’abord prêt à sacrifier son fils même chemin que Georges, lu la pièce, j'ai été très frappé par jalousie et subitement, il mais elle n'y arrive pas. par ça. J’ai appelé Emile et je lui lâche prise. Comment l’expli - Le personnage d'Yvonne que ai dit : "il faut que tu lises ça" et quez-vous ? joue Muriel est un personnage il a été lui aussi subjugué. Ce qui C’est un personnage qui souffre. beau, étrange et on se rend est en jeu, ce n’est pas que lui. La A un moment donné il dit "je compte que sa mort est inscrite pièce fait aussi écho à ce que j’ai voudrais être un héros de tragé - dès le début de la pièce. Ça com - pu vivre moi-même, à notre rela - die mais en fait je suis juste un mence d’ailleurs par une scène tion. C’est un tout. héros de comédie. Je fais rire. Un de mort : elle veut mourir quand À quel endroit cela fait-il écho aveugle fait pleurer mais un elle réalise que son fils a décou - pour lui, pour vous ? sourd fait rire. Un homme qui est ché. Et ça se termine exacte -

10 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LES PARENTS TERRIBLES Nice, Toulon et tournée à partir du 29 septembre

ment par la même scène quand enfants sont là pour nous éjec - il annonce qu’il va se marier sauf ter, pour prendre notre place ; n Les Parents terribles, de Jean Cocteau, mise en que cette fois elle en meure vrai - c’est dans l'ordre des choses. scène Christophe Perton, avec Muriel Mayette- ment. Mais peut-être son sacri - Le personnage de Léo est aussi Holtz, Charles Berling, Maria de Medeiros, Emile fice est-il nécessaire. Elle n’y un peu manipulateur… Berling, Zoé Schellenberg arrive pas alors elle s’éclipse. Oui, mais il ne faut pas la voir Théâtre National de Nice, Promenade des Arts D’une certaine façon, les mères comme une figure machiavé - 06300 Nice, 04 93 13 90 90, puis en tournée, du meurent toujours symbolique - lique. Parce que finalement elle 29/09 au 06/02 ment… est comme les autres, elle est dé - Et elle meurt par la drogue, en bordée par l'amour qu'elle porte s’injectant de l'insuline. Il y a à Georges. La trame fait qu’il y a toute cette question chez Coc - une forme de machiavélisme qui teau de la drogue, de la destruc - se fabrique au fur et à mesure et tion de soi-même. C’est le aussi par ses contradictions à personnage qui se détruit, qui se elle. C'est tout ce rapport du Repères au théâtre sacrifie, parce qu’elle ne veut conscient et de l'inconscient. Je pas, elle n'y arrive pas. Et ça ne crois pas qu'il y ait un person - Rôles transparaît dans les scènes entre nage qui tire toutes les ficelles. 1985 L’école des femmes, de Molière, mise en Muriel et Emile, quand je vois la C’est quand même un peu le scène Bernard Sobel délicatesse, la bonté, l'empathie, point de repère de toute la fa - 1991 La Maman et la Putain, de Jean Eustache, je dirais presque l'amour, qu'elle mille. mise en scène Jean-Louis Martinelli peut lui porter. Oui parce qu’elle a une forme de 1994 De mes propres mains, de Pascal Léo, la sœur d’Yvonne parle recul peut-être aussi parce que Rambert, mise en scène Pascal Rambert tout le temps du désordre c'est un personnage qui a une 1995 Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, qu'ils mettent dans la roulotte souffrance énorme et une frus - mise en scène Jean-Louis Martinelli et du fait qu’elle est obligée de tration telles qu’elle est à la fois 1998 OEdipe le Tyran, de Sophocle par remettre tout le temps de l'or - dedans et dehors. Hölderlin, mise en scène Jean-Louis Martinelli et dre. Qu’est-ce que représente La souffrance a quelque chose P. Lacoue-Labarthe ce désordre dans l’esprit de de sacré. Et d’ailleurs, on res - 2001 Cravate Club, de Fabrice-Roger Lacan, Cocteau ? pecte les gens qui souffrent ou mise en scène C'est la liberté, le rapport entre qui ont souffert. Ils deviennent 2011 Ithaque de Botho Strauss, mise en scène le conscient et l'inconscient. Ce quelque part intouchables. Jean-Louis Martinelli, n'est pas seulement l'ordre et le C’est ce qu’elle dit au début de la 2015 Vu du pont, de Arthur Miller, mise en désordre tels qu'on les envisage pièce : "je suis la seule adulte ici. scène Ivo Van Hove dans la roulotte, c’est aussi l'anti Tout le reste ce sont des enfants" . 2018 Art, de Yasmina Reza, mise en scène Patrice bourgeoisie ; il y a l'ordre bour - Pourquoi Cocteau a-t-il disparu Kerbrat geois et le désordre humain. Et des salles ? Léo qui essaye de trouver de l'or - On a dit que c'était un philo - Mises en scène dre laisse elle-même apparaître sophe pour les écoliers. C’est la 2006 Caligula, d'Albert Camus dans la pièce son désordre. Moi- même chose avec Camus. Et 2008 Fin de partie, de Samuel Beckett même par mon père et ma mère, Cocteau, dans ma génération, 2012 Gould et Menuhin, co-mise en scène je connais cet entrelacement n'avait pas la cote. C'est comme avec Christiane Cohendy entre la bourgeoisie et la non ça, ce sont des modes. 2016 Dans la Solitude des Champs de Coton, bourgeoisie, l’ordre et le désor - Propos recueillis par de Bernard-Marie Koltès dre dont parle Cocteau. Et en Hélène Chevrier même temps, la pièce raconte que l'ordre de la vie, c’est l'ordre de la nature : Georges dit que les

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 11 MURIEL MAYETTE

Muriel Mayette-Holtz De retour en première ligne

en même temps ils veulent être L'ancienne administratrice générale de la libres de cet amour... Vous connaissiez cette pièce ? Comédie-Française débute son mandat au Mal. Je la connaissais pour Théâtre National de Nice... sur les planches ! l'avoir vue, une seule fois. Et j'ai Sous la direction de Christophe Perton et aux découvert l'une des deux adap - tations qui existent au cinéma, côtés de Charles Berling, elle incarne Yvonne, celle réalisée par Jean Cocteau une mère malade de son amour pour son fils justement, dans laquelle Yvonne dans Les Parents terribles , un vaudeville cruel de Bray joue le personnage que et violent, signé Jean Cocteau. Malgré son je vais incarner. Je connaissais davantage Les Enfants terribles. expérience, cette proposition représente Qu'est-ce qui vous a surpris à un réel défi. sa lecture ? La violence inconsciente qui sur - git en permanence entre les per - sonnages ; c'est fou, c'est cruel, Théâtral magazine : Vous jouant dans cette pièce de Jean c'est ravageur. J'incarne une venez de prendre la direction Cocteau, je me présente au pu - femme qui ne peut se résoudre à du CDN de Nice et vous jouez blic niçois. On ne triche pas sur voir son fils quitter le foyer et qui dans la pièce qui ouvre la sai - des planches de théâtre. Je oublie son mari. C'est un person - son. Quel sens donnez-vous trouve que c'est un beau signe. nage qui jamais ne fait de vous à ce choix ? Que voulez-vous dire au public concessions, qui dit tout ce Muriel Mayette-Holtz : J'ai ac - niçois ? qu'elle ressent. C'est magnifique cepté ce rôle, avant d'être nom - Que le théâtre est profond, qu'il mais ça donne le vertige... mée au TNN. Christophe Perton, peut aborder tous les sujets, qu'il Cette pièce est rarement que je connais depuis la Comé - est capable d'être en même jouée. Elle n'a pas vieilli ? die-Française, me proposait pour temps agréable et drôle sans Pas du tout. Elle traite d'un sujet la quatrième fois de jouer dans être stupide et léger. Les Parents mythique et donc universel, un l'une de ses mises en scène. Et terribles , pour moi, s'inscrit par - peu comme Médée . que voulez-vous, quand faitement dans l'idée du specta - Vous n'aviez pas joué au théâ - quelqu'un vous désire autant, cle vivant que je veux défendre. tre depuis presque 15 ans... vous finissez par céder... Moi, en Jean Cocteau, aborde des sujets Qu'éprouvez-vous en remon - tout cas, j'ai fini par céder ! Seu - dérangeants, comme l'amour fi - tant sur scène ? lement, entre temps, j'ai été lial, avec cette question difficile Je n'avais pas joué depuis un nommée. Et nous avons été - et profondément philoso - tout petit moins de 15 ans. bousculés par l'épidémie de phique - en filigrane : jusqu'où Quand je dirigeais la Comédie- Covid. Mon travail est désormais doit s'arrêter l'amour maternel ? Française, il m'arrivait de rem - colossal ; mais j'ai tenu à honorer Les enfants veulent toujours placer des actrices, quand il le cette proposition, car au fond, en l'amour total de leurs parents. Et fallait. Mais oui, ça fait bien

12 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LES PARENTS TERRIBLES Nice, Toulon et tournée à partir du 29 septembre

lement édité, qui est plus trivial et encore plus fou que celui que l'on connaît. Qu'est-ce qu'a changé l'épidé - mie de Covid dans votre façon d'appréhender le théâtre ? A peu près tout. Les répétitions, actuellement, sont très étranges. On joue éloignés les uns des autres. Il y a certains avantages. On est obligés, par exemple, de se projeter davan - tage ; c'est un bon exercice. L'été passé nous avons organisé Les Contes d'apéro : des mises en scènes d'extraits de pièces de théâtre, de danse, de musique, de marionnettes, des lectures, tous les jours, en plein air sur la promenade du Paillon, gratuite - ment. En tant que metteure en scène, je ne veux travailler qu'avec du recyclage d'anciens costumes et décors. Et, enfin, comme directrice, j'ai décidé t e l

u d'engager six acteurs à l'année. o B

e i J'ai toujours pensé que le sys - h p o S

tème de la troupe était le sys -

@ tème le plus ajusté au fonctionnement des théâtres. Et il permet, entre autres, de s'adapter rapidement à des si - longtemps... Je suis très stressée. ment à Charles Berling, qui in - tuations inattendues comme Je suis terrorisée même, pour carne mon mari dans la pièce, celles-ci. être honnête. J'ai peur de ne pas Georges, et moi-même. Il a très Propos recueillis par être à la hauteur, d'avoir des bien compris comment réveiller Igor Hansen-Love trous de mémoire. Mais je fais la peur de la petite fille qui som - confiance à Christophe Perton, meille en moi. C'est à elle qu'il qui comprend parfaitement les s'adresse, avant tout. Pas à la di - comédiens. Sans lui je ne me rectrice ! Nous n'avons pas en - serai jamais remise sur le mar - core commencé les répétitions n Les Parents terribles, de Jean Cocteau, mise en ché ! mais Christophe a la réputation scène Christophe Perton, avec Muriel Mayette- En même temps, il dirige la di - de laisser ses comédiens assez li - Holtz, Charles Berling, Maria de Medeiros, Emile rectrice du théâtre... Cela ne bres. Pour l'instant, il nous nour - Berling, Zoé Schellenberg doit pas être évident. rit de ses réflexions. Nous avons Théâtre National de Nice, Promenade des Arts Si ! Il a dirigé la Comédie de Va - beaucoup parlé de peinture. Il 06300 Nice, 04 93 13 90 90, puis en tournée, lence pendant plusieurs années s'est procuré le texte original, du 29/09 au 06/02 et il n'est pas acteur, contraire - très différent du texte habituel -

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 13 à partir du MADEMOISELLE ELSE 1er Poche Montparnasse – Paris Sept.

Alice Dufour

Molière du jeune Talent pour Le Canard à l’orange , la pétillante Alice Dufour sera Ma - demoiselle Else d’après la nouvelle d’Arthur Schnitzler, dans l’adaptation et la mise en scène de Nicolas Briançon au Poche Mont - parnasse. Elle y incarnera une jeune femme issue de la bourgeoisie viennoise qui pour n w

sauver son père de la ruine doit s’humilier o r B

y r

face à un ancien ami de la famille. a M

@

Théâtral magazine : Comment Les choses ne sont pas aussi sim - Je fais de la gymnastique ryth - se passent les répétitions de ples. Elle n’est pas que dégoûtée mique depuis l’âge de 6 ans, j’ai Mademoiselle Else ? par cette demande déplacée, l’habitude de me présenter de - Alice Dufour : Je suis seule en non justifiable, atroce, parce vant un public, ça m’a apporté scène et c’est déconcertant de qu’elle la pousse aussi à aller au une aisance, je ne suis pas stres - ne pas avoir de partenaire et plus profond de son intériorité. sée au théâtre. Pour moi le public d’ambiance de loge, comme un On accède à ses pensées, à son est un ami, un allié, il paie sa place prolongement de l’effet confine - inconscient, à sa personnalité pour passer un bon moment. En ment. Le spectacle était prévu complexe et plurielle. Elle n’est gymnastique, on est noté. avant cette période. Philippe pas qu’une jeune femme pure et Quel genre d’actrice êtes-vous ? Tesson voulait Mademoiselle douce, elle est aussi un peu pré - Je m’accroche beaucoup à la vi - Else dans son théâtre, il aurait pu tentieuse, tente de se convain - sion du metteur en scène, peut- choisir une actrice plus connue cre qu’elle est très belle, a du être parce que j’étais accrochée que moi, mais a accepté la pro - caractère, est capricieuse, mo - aux enseignements du coach en position de Nicolas Briançon. queuse. Nicolas Briançon gymnastique. Je suis une bonne La demoiselle vit un dilemme m’avait déjà dirigée deux fois suiveuse. C’est pour cela que je entre le désir d’obéir à son père dans Faisons un rêve , où j’avais suis contente de travailler avec et celui d’être indépendante. succédé à Marie-Julie Baup, et Nicolas Briançon, il sait com - Elle est tiraillée entre ses désirs, dans Le Canard à l’orange . Pen - ment je fonctionne. Je m’en re - ses dégoûts, ses regrets même si dant les répétitions, je ris à des mets à lui. elle n’a que 19 ans. Vierge, elle choses auxquelles je n’avais pas Propos recueillis par ne rejette pas cette proposition pensé. L’histoire est tragique, Nathalie Simon qui la renvoie au trouble qu’elle mais belle. ressent face à sa sexualité. C’est Vous avez été championne de plus compliqué qu’un dilemme. gymnastique rythmique, man - n Mademoiselle Else, d’Arthur Schnitzler. Cet homme demande une fa - nequin et même danseuse au Théâtre de Poche Montparnasse, veur sensuelle, sexuelle, à une Crazy horse, qu’est-ce que ces 75 bd du Montparnasse 75006 Paris, jeune femme, de se dévêtir de - expériences vous apportent au 01 45 44 50 21, à partir du 1/09 vant lui. A-t-il tort ? A-t-elle tort ? théâtre ?

14 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du CONTES ET LÉGENDES 8 Sept. Bouffes du Nord – Paris Joël Pommerat L’humain face au robot

Pour la première fois , Joël Pommerat ne travaille pas avec ses acteurs de la compagnie Louis Brouillard. Il en a quand même gardé deux pour jouer les adultes, les o i h c

parents, dans un spectacle centré sur de très jeunes c e r a C

comédiens et leur incarnation d’adolescents et de robots. h t e b a z i

Un changement de stratégie "pour retrouver le plaisir" . l E

@

près un peu moins Qu’est-ce qu’incarner le faux ? mains ne sont-ils pas les frères de trente ans d’acti - Qu’est-ce que ça veut dire être des robots dans leurs attitudes vités en compagnie homme ou femme ? A quoi ser - grégaires ? Telles sont les autres d’une équipe qui a vent les identités ?" … questions qui surgissent dans la évolué et s’est tête du spectateur. L’ensemble A agrandie, la com - Désormais sur la scène des donne une image des hommes pagnie Louis Brouillard, Joël Bouffes du Nord, la nouvelle totalement gangrenés par l’in - Pommerat est parti à la re - pièce de Joël Pommerat, qui, fantilisme. cherche d’une autre inspiration. après un travail échelonné sur Après les représentations de son un an et demi (d’avril 2018 à no - Les interprètes sont saisis - nouveau spectacle, Contes et Lé - vembre 2019) et sa création à sants à l’intérieur de cette soirée gendes, à Nanterre-Amandiers, Nanterre, ne dévoile son objectif d’une tranquillité angoissante, en novembre dernier, il se que peu à peu. Des tableaux de d’une impressionnante perfec - confiait à Christophe Triau, lors famille et de groupes de grands tion dans la double représenta - d’un débat, en ces termes : "Je enfants mettent en relief le lan - tion de la réalité humaine et sa voulais travailler avec des en - gage violent des ados à l’égard duplication par l’artificiel. A fants, avoir des enfants sur scène. des adultes, l’autoritarisme de Nanterre, le perfectionniste C’est difficile à mettre en place, ceux-ci et le comportement cloi - Pommerat jugeait que, pour les en fonction des règlements. Alors sonné des jeunes entre eux. La robots ( "à part la scène d’eutha - j’ai réuni en deux ateliers des ac - présence, d’abord discrète, nasie de Stevens" ), il n’était pas teurs qui ne devaient pas avoir d’un robot devient peu à peu arrivé à une présence assez "né - plus d’un mètre cinquante-cinq. centrale. Une mère de famille cessaire". Un avis que nous ne Certains ont triché sur leur taille, est prête à lui céder sa place partageons pas… mais peu importe. J’ai gardé huit pour assurer les tâches de la Gilles Costaz très jeunes comédiennes et inté - maison, une idole de la chanson gré deux adultes. Quelle légiti - vient se produire et son identité n Contes et légendes, texte et mise en scène mité ces femmes avaient-elles à ne diffère guère de celle d’un an - Joël Pommerat, avec Prescillia Amany Kouamé, jouer, pour certaines, des gar - droïde… Un robot peut-il être Jean-Edouard Bodziak, Elsa Bouchain, Lena Dia... çons ? Des questions de théâtre considéré comme notre égal ? Bouffes du Nord, 37 bis bd de la Chapelle se posaient, qui dépassent le Comme une personne corvéable ? 75010 Paris, 01 46 07 34 50, théâtre. Le problème de l’artifi - Comme un être dont on peut se du 8/09 au 10/10 cialité nous a amenés aux robots. défaire à tout moment ? Les hu -

16 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du QUI A TUÉ MON PÈRE 8 Sept. Théâtre des Abbesses – Paris

façon générale, du pouvoir néo- libéral qui détruit les plus pré - Edouard Louis caires. Je suis d'avis que la tragédie théâtrale peut se re - au nom du père nouveler par la sociologie. Il y a aussi une dimension plus heu - reuse, puisqu'il s'agit des retrou - vailles entre un père et son fils... Sous la direction de Thomas Ostermeier, Enfant, je détestais mon père, le jeune écrivain incarne, seul en scène, Qui a tué porteur d'une culture masculi - mon père ; une œuvre aussi brève que magistrale, niste, déphasée avec mes désirs. dont il est l'auteur, aux allures de tragédie Mais non, je ne suis pas d'accord avec vous : il y a des choses que contemporaine où il dénonce les forces politiques je ne pourrai jamais lui pardon - qui ont brisé son père et revient sur son rapport ner. La façon, par exemple, dont intime et douloureux avec lui. il a brimé ma mère toute sa vie me révulse. Mais ce livre me per - met enfin de comprendre pour - Théâtral magazine : Lorsque vous ter, de fuir le milieu de mon en - quoi il s'est comporté ainsi. écriviez ce texte, pensiez-vous le fance, de me projeter dans une Que connaissiez-vous du tra - jouer sur une scène de théâtre ? autre existence. La scène a tou - vail de Thomas Ostermeier qui Edouard Louis : Je pensais sur - jours été une clef de mon éman - vous met en scène ? tout à Stanislas Nordey, puisque cipation. J'ai toujours un rapport J'ai découvert son théâtre à l'âge c'est lui qui m'a poussé à l’écrire. très oral à mes textes. Quand de 15 ans, avec Hedda Gabler de Et qui l'a incarné, comme prévu. j'écris, je me lève et je dis les Ibsen. Ce fut un véritable séisme ; Mais oui, cette idée était pré - phrases à voix haute, un peu essentiellement sur la question sente dans mon esprit. Le théâ - comme sur une scène de théâtre. de la violence, qui est au cœur de tre, que je pratique depuis En préambule vous notez : "Si ce son travail... Et du mien, puisque l'adolescence, a joué un rôle es - texte était un texte de théâtre", je pense qu'il y a un rapport très sentiel dans ma vie. J'y voyais avant de préciser quelques indi - étroit entre violence et vérité. En alors une façon de me réinven - cations pour la scène. Pourrait- 2018, lorsque Thomas Oster - il s'agir d'autre chose ? meier m'a proposé d'adapter n Qui a tué mon père, d'Edouard Louis, mise en J'aime brouiller la frontière mon roman Histoire de la vio - scène Thomas Ostermeier, avec Edouard Louis. entre les genres. C'est pour cela lence , ce fut un véritable boule - Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses que j'ai choisi de ne rien inscrire versement artistique et intime. 75018 Paris, 01 42 74 22 77, du 08 au 26/09 en couverture du livre ; ni roman, Qu'est-ce qu'il vous a poussé à ni essai, ni poème, ni théâtre. faire sur scène ? Mais oui, il s'agit d'un texte de Il m'a appris à ne pas avoir peur, théâtre, que j'ai toujours conçu surtout. Chaque fois que je dou - comme une tragédie. Après tais de moi, il me rétorquait que tout, il est question du destin David Bowie, lui, aurait osé. L'ar - d'un homme, mon père, qui gument massue... Thomas s'est

z d'un seul coup a été brisé par approprié le texte à tel point e d n

a des forces extérieures du qu'il a réussi à me l'apprendre et n r e F pouvoir. A l'instar d'Antigone, me le transmettre. C'était très s i u o

L qui a été anéantie par Créon, particulier. Et magnifique. - n a

e mon père a été victime de Ma - Propos recueillis par J

@ cron, Sarkozy, Chirac, et, de Igor Hansen-Love

18 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du AVANT LA RETRAITE 15 Sept. Théâtre de la Porte Saint-Martin – Paris

Alain Françon Notre continent noir

Le juge du tribunal d’une ville d’Allemagne s’apprête à partir à la retraite. Derrière cette figure rassurante, se cache un nazi invétéré. L’intrigue d’ Avant la retraite se déroule le soir du 7 octobre, date où chaque année, cet homme et l’une de ses sœurs fêtent en secret l’anniversaire de la naissance d’Himmler, en présence de leur autre soeur anti-nazie et après avoir congédié la bonne sourde et muette. Alain Françon monte la pièce de Thomas Bernhard avec André Marcon, Catherine Hiegel et Noémie Lvovsky .

Théâtral magazine : La pièce perdre de temps" . Il a d’ailleurs qu'on essaie de voir si dans est constituée de trois actes. écrit un roman qui s'appelle Les toutes les contradictions qui les Le premier est très long avec la Mange-pas-cher (1980, Galli - agitent - ils ont par exemple be - sœur qui ressort l’uniforme mard). C’est après ce premier soin d’un médecin juif -, il n’y en d’ancien nazi de son frère. acte seulement qu’on découvre a pas qui sont de notre propre Avez-vous modifié des choses ? les monstres. fond... Alain Françon : On a fait des Des monstres qui ont Thomas Bernhard parle d’ail - coupes essentiellement dans ce conscience de leur monstruo - leurs d’ "une possibilité avérée premier acte, on a aussi changé sité puisqu’ils dissimulent leur de l'humanité" . des choses. J’ai demandé à une fascination pour le nazisme : ils Pour toutes ces raisons, je trouve jeune dramaturge de venir tra - emploient une bonne sourde et la pièce intéressante. Et puis il y vailler avec nous pour revoir un muette et retiennent prison - a une vraie langue. Le texte peu le texte dans la traduction nière leur sœur paralysée et donne très peu de points de re - de Claude Porcell qui est assez anti nazie pour qu’elles ne les père, on passe très vite à la ligne juste du fait qu'il connaissait dénoncent pas… comme dans un poème. Il n’y a très bien l’œuvre de Thomas Oui. Mais moi ce qui m'inté - pas de liaison, c'est très brutal. Il Bernhard. Après c'est plus resse, c'est de voir les simili - y a un moment où on ne sait plus nourri, moins descriptif. En tudes qu'on pourrait tous où on en est, parce qu’une chose même temps, je trouve ce début avoir avec ces personnages là revient qui avait déjà été dite ou très beau parce que souvent en creusant notre propre précise ce qui avait été dit ou au Thomas Bernhard commence continent noir. Le plus souvent contraire on parle d’une nou - ces pièces par ce qu'il appelle ils parlent de leurs petites af - velle chose. Ça rend le texte très "les gens sans importance" . Il ne faires quotidiennes. Et ça tout le instable. Mais en fait Thomas dit jamais "le peuple" , ni "les pau - monde le partage avec eux. Je Bernhard s'en foutait quand il vres" ; il dit "les gens sans impor - ne veux pas qu'on ait de l'empa - écrivait. Il disait : "je place les tance à qui il ne faut pas faire thie pour eux mais je voudrais mots comme des objets sur une

20 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 portée musicale." Comme il juge et son costume d’officier était effectivement très musi - SS que sa soeur Vera repasse ; cien, qu'il avait été chanteur ainsi, les deux fonctions de d'opéra - même au sanatorium juge et de SS sont bien pré - il chantait l' Ave Maria au mi - sentes. lieu de la chorale -, il y avait Vous montez la pièce dans un chez lui un vrai souci du rendu théâtre privé, celui de la sonore. Porte Saint-Martin ; ce n’est Et justement ces répétitions pas le genre de spectacles dans cette langue très parti - qu’on y voit habituelle - culière créent du sens : on ment… voit des gens qui ressassent, Pourtant c’est une idée du di - qui sont en boucle sur un recteur. Je pense que c’est ce sujet... qu’il veut faire dans ce théâtre. Ils sont obsessionnels. Et être Il a déjà essayé plusieurs obsessionnel, c’est terrible. Il choses, notamment Ça ira (1) vaut mieux avoir affaire à des fin de Louis , de Joël Pommerat. psychotiques. Les obsession - Mais le texte avait déjà une ré - nels sont provocateurs ; le juge putation. C’est début mars est menaçant tout le temps à quand on jouait les premières cause des armes à feu qu’il ma - représentations de la pièce de nipule dans la soirée mais Peter Handke, Les Innocents, aussi simplement par la pa - Moi et l'Inconnue au bord de la role. Il dit à Clara sa petite route départementale , qu’il m'a sœur : "si ça ne tenait qu'à moi, appelé pour savoir si cela m’in - je te mettrais dans une cham - téresserait de monter Avant la bre à gaz." Sur le plateau, retraite de Thomas Bernhard. Clara, paralysée et impuis - J'ai déconné en disant : "c'est sante, incarne l’opposition mu - bon pour moi la retraite. D'ac - tilée, Thomas Bernhard ne se cord" (Rire). Je connais bien la faisant pas d'illusion sur le so - pièce. Et puis quand j’étais à la cialisme en Autriche. Colline, on en a monté plu - Cette pièce a une histoire. Elle sieurs de Thomas Bernhard : Le s’inspire du cas d’un politi - président, Minetti avec Piccoli , cien catho pratiquant, un Au but… Et je trouve ses ro - peu centre-gauche, éminem - mans aussi magnifiques. Je les ment populaire de la région ai pratiquement tous relus de Francfort et dont on a dé - pendant le confinement. couvert qu’il avait été nazi Propos recueillis par et responsable d’un nombre in - Hélène Chevrier calculable de morts. Il avait ac - cepté de prendre l'uniforme allemand et d'être SS parce qu’il voulait faire une carrière de juge et qu’on lui avait expli - qué qu’il valait mieux qu'il soit n Avant la retraite, de Thomas du côté de ceux qui pensent Bernhard, mise en scène Alain comme les nazis. Tout de suite Françon, avec Catherine Hiegel, après la représentation de la Noémie Lvovsky, André Marcon pièce à Francfort, il a démis - Théâtre de la Porte Saint-Martin, sionné de la politique. 18 boulevard Saint-Martin C’est vachement bien cons- 75010 Paris, 01 42 08 00 32,

r truit : au premier acte, il n'est à partir du 15/09 d

@ pas là mais il y a sa robe de

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 21 à partir du LES PIÈCES MANQUANTES (PUZZLE THÉÂTRAL) 17 Sept. La Tempête - Vincennes

Adrien Béal Tout un concept

Place à l'un des spectacles les plus originaux de la rentrée : une création collective, en partie

improvisée, autour de la question du fossé t e l e b r

générationnel entre des quadras et des ados. Le A

t n e c

jeune Adrien Béal et ses camarades ont inventé n i V

le premier puzzle théâtral. Explications. @

Théâtral magazine : Quel est le qui les fascinent et qui les intri - personnages, silencieusement. concept de votre création ? guent. Au fond le sujet profond C'est une façon de dire : les Adrien Béal : Celui du puzzle, de cette pièce est celui du rap - adultes ont pour langage la pa - c'est-à-dire une expérience théâ - port à l'autre, de la difficulté à le role, les ados la musique. Le trale bien particulière. Chaque comprendre. fossé générationnel sera maté - soir, six acteurs joueront des Un exemple ? rialisé ainsi. scènes, a priori décousues les Dans l'une des scènes, une prof Qu'est-ce que vous cherchez à unes des autres, en partie impro - de solfège, adulte, et son élève montrer avec cette pièce ? visées, de telle sorte que les de 15 ans vont tomber amou - Je n'ai pas écrit de manifeste... spectateurs seront amenés à reux ; la situation n'est pas ba - L'idée, philosophique, c'est que passer de l'une à l'autre, à navi - nale. Ensuite, la séquence notre expérience repose sur l'in - guer entres elles, sans forcément improvisée mettra en scène la certitude et sur des manques ; saisir, d'emblée, une vision d'en - confrontation entre la mère de c'est précisément ce qui nous lie, semble cohérente. L'objectif l'adolescent et la professeure de ce qui fait que nous pouvons étant que le public s'amuse à de - solfège. Je suis très influencé par partager des émotions et des viner les scènes manquantes, le théâtre forum, j'ai travaillé idées. En sortant, les spectateurs que celles-ci soient aussi impor - pendant plusieurs années avec et les acteurs ne seront pas ras - tantes que les scènes jouées. la compagnie Entrée de jeu qui sasiés, mais j'espère qu’ils auront Ainsi, j'espère stimuler l'imagi - s'inscrit dans le travail du Brési - partagé le désir et la frustration nation, des acteurs et des spec - lien Augusto Boal. L'idée étant des pièces manquantes. tateurs. de problématiser des scènes afin Propos recueillis par Tout de même, ces scènes sont de complexifier le réel, pour que Igor Hansen-Love traversées par un sujet com - le spectateur se demande com - mun... ment on en est arrivé là, afin de Ce qui les rassemble toutes c'est modifier sa perception. la question du fossé génération - Que sera, précisément, le rôle n Les Pièces manquantes (puzzle théâtral), nel, au sens large. Sur scène, les des adolescents ? création collective, mise en scène Adrien Béal. six comédiens, qui ont environ Ils ne seront pas présents tous Théâtre la Tempête, Cartoucherie de Vincennes 40 ans, seront confrontés à les soirs mais quand ils seront là, Route du Champ-de-Manoeuvre 75012 Paris, une génération d'adolescents, ils joueront de la musique, avant 01 43 28 36 36, du 17/09 au 18/10 qu'ils ne comprennent pas, mais tout, ils incarneront aussi des

22 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du PAR LE BOUT DU NEZ 21 Sept. Théâtre Antoine – Paris

travail, à Christian Estrosi et à Xa - vier Bertrand. Mais je n’ai imité François Ber léand personne. Avec Bernard Murat, nous avons privilégié le jeu, le rythme, comment dire les fins de phrase. Les recherches pendant des répétitions ont été un bon - heur total, avec les deux paires d’yeux des auteurs braqués sur nous. On a parfois fait corriger le texte. L’idée de "pressions testicu - laires", qu’a imaginée Madaula et n’appartient à aucune psychana - lyse, a été maintenue, mais sans que le psy qui en menace le prési - dent passe à l’acte, sans que le r d geste soit représenté. C’est mieux @ ainsi, le public rit là plus que nous l’avions prévu. On ne sent une pièce que quand on la partage Un président au premier jour avec les spectateurs. La pièce que vous deviez jouer au François Berléand et François-Xavier Demaison Rond-Point portait également n’ont joué en mars que 17 fois Par le bout du nez. sur la relation patient et psy… Et Berléand n’a pu créer la pièce La Banquette de Oui, j’adore cette relation et les Clémence Thioly, qu’il devait donner au Rond- rôles de psy (que je n’ai joués qu’au cinéma). J’aime ce rapport Point à 19h, à la même période. Il reprend, enfin où quelqu’un aiguille l’autre et et avec bonheur, son rôle de président de la est observé par celui qui répond République fraîchement élu dans la comédie de par le regard. Je ne fais que regar - der Demaison. A aucun moment, Madaula, Delaporte et de La Patellière. je ne le quitte des yeux ! L’interruption des représenta - Théâtral magazine : Avez-vous apprécié qu’il va monter cette tions va-t-elle changer votre in - hésité à jouer ce rôle de prési - version à Barcelone. terprétation ? dent de la République qui ap - Ce président, tel que vous le Non, mais on a perdu le rôle. On pelle à l’aide un psy pour un jouez, a-t-il des échos avec l’ac - s’est dit, le temps passant, qu’on problème de tic au visage le tualité française ? ne le rejouerait jamais. On tra - jour de son discours inaugural ? Il est plutôt jeune. Donc on peut vaille beaucoup pour retrouver François Berléand : C’est Fran - penser à Macron, mais ce n’est nos personnages. çois-Xavier Demaison qui me l’a évidemment pas Macron. Celui-là Propos recueillis par apporté. Comme j’avais déjà joué vient d’un milieu simple, popu - Gilles Costaz avec lui, je sais quel grand acteur laire. Delaporte et de La Patellière il est. Et j’ai trouvé le texte intelli - disent qu’ils ont pensé à plusieurs n Par le bout du nez, mise en scène Bernard gent et très drôle. C’est la pièce présidents : Chirac, Sarkozy… Ce Murat, avec François Berléand et François- d’un Catalan, Madaula, que Dela - ne peut pas être Hollande, non Xavier Demaison. Théâtre Antoine, porte et de La Patellière ont mo - plus. Comme il est carré, peut dire 14 bd de Strasbourg 75010 Paris, difiée et amplifiée. L’auteur des mots brutaux, nous avons 01 42 08 77 71, à partir du 21/09 catalan est venu et il a tellement pensé, pour le jouer, au début du

24 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 D'AUTRES MONDES à partir du Nouveau Théâtre de Montreuil 22 et tournée Sept.

quelque chose qui est purement intime ou psychologique. Frédéric Sonntag Comme par exemple ? Le fait que la fille de l’écrivain ait Dans sa nouvelle création, Frédéric Sonntag s’intéresse des absences, qu’elle n’arrive plus aux mystères des mondes parallèles. Un physicien à se projeter dans le futur. On ap - pelle ça l’amnésie du futur. Or elle renommé et son fils musicien, un auteur de science- est futurologue. Quant au musi - fiction et sa fille futurologue voient leur réalité cien, il voit surgir des souvenirs qui remise en cause par un phénomène inexpliqué... ne lui appartiennent pas alors qu’il enregistre son nouvel album dans la maison de famille de son père. g a t

n Comment montez-vous le spec - n o S

c tacle ? i r é d

é On montre ce qui arrive à ces qua - r F

@ tre personnages, à l'endroit de leur activité professionnelle et d'un point de vue plus intime. On a un dispositif qui permet d'avoir différents espaces qui s'emboî - Mémoires parallèles tent les uns dans les autres de certaines manières ou qui per - mettent à un espace d'avoir plu - sieurs valeurs. La musique Théâtral magazine : Qu’est-ce qui souffrance pour lui. permet aussi de passer d’un es - vous a inspiré cette histoire ? Et votre physicien croise un écri - pace à un autre, de la même ma - Frédéric Sonntag : Celle, réelle, vain de science-fiction. nière qu’on l'utilise souvent au d'un physicien américain qui s'ap - Je voulais travailler sur ce duo théâtre comme transition d'une pelait Hugh Everett qui a élaboré d'un physicien et d’un écrivain de séquence à une autre. Et puis, à au milieu des années 50 la théo - science-fiction, parce que c'est un la moitié de la pièce, on ferme le rie des mondes multiples et qui peu les deux extrêmes du spectre : rideau et on reprend l’histoire au dans sa vie intime vivait lui- les mondes parallèles c'est soit de début avec les quatre même per - même dans un monde parallèle : la physique théorique soit du pur sonnages mais qui n'ont pas vécu il était complètement fermé, ne imaginaire. Et l’imaginaire pur, exactement la même chose. Ça parlait quasiment pas à ses en - on le trouve souvent chez les écri - permet de superposer les choses fants. J’ai trouvé ça étonnant vains de science-fiction. légèrement. parce que si en physique le Est-ce une pièce de science-fic - Propos recueillis par monde parallèle est une abstrac - tion ? Hélène Chevrier tion mathématique, dans la vie, Non, on est plus dans une pièce on peut parfois réellement se de - fantastique avec un phénomène mander si on habite le même qui surgit dans la vie de ces quatre monde. Et il se trouve que son fils personnages. Leur point commun n D'autres mondes, texte et mise en scène est un musicien de rock assez c'est que chacun dans sa disci - Frédéric Sonntag connu, Mark Oliver Everett, qui a pline travaille sur la question 22/09 au 9/10 Nouveau Théâtre de Montreuil fondé le groupe Eels. Ce choix de des mondes multiples ou des 05 au 07/11 Théâtre Sénart faire de la musique, c’est comme réalités alternatives : l’écrivain, 16 et 17/11 Snat61, Scène nationale Alençon s’il avait essayé, par un monde al - le physicien, le musicien, la futuro - 21 et 22/01 Points Communs à Cergy-Pontoise ternatif, de réparer un univers fa - logue. Et ce phénomène fantas - 26 et 27/01 Le Grand R à La Roche-sur-Yon milial qui avait été une tique est la matérialisation de

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 25 à partir du 22 LA VIE INVISIBLE Sept. Comédie de Valence

commençait aborder les choses à travers la fiction, c'est-à-dire à tra - Voir l’invisible vers les souvenirs qu’ils avaient d'une fiction, ils se mettaient à parler même des choses les plus intimes comme si la fiction était un point d'appui pour justifier de parler d’eux." Ce sera le fil conducteur du spectacle : le sou - venir d’un spectacle qui a boule - Lorraine versé un des participants. "Sur scène, un personnage qui s'ap - z i r K pelle F, qui est non-voyant, se sou - b u k

a vient que de bribes. Cette fiction J de Sagazan

@ qui l’a bouleversé et sa propre vie s'entremêlent jusqu'à ce qu'on ne puisse plus déceler ce qui est de Travailler sur le réel depuis plusieurs années a son vécu et ce qui est de la fiction. amené Lorraine de Sagazan à s’intéresser aux mal- Avec Guillaume Poix l’auteur du voyants et à leur rapport à la réalité. La Vie invisi - texte, on a retranscrit ses bribes, ble est un spectacle à partir des souvenirs de l’un on pense avoir identifié la pièce, Petit Eyolf d’Ibsen". d’eux sur une pièce de théâtre. Pour que le spectacle puisse être accessible aux voyants ommée artiste associée il avait été hyper vexé "j'espère comme aux non-voyants, la scé - à la Comédie de Va - que je suis capable d'écouter nographie est minimaliste : pas lence, Lorraine de Saga - autre chose que simplement mon de décor, un plateau nu, et pas N zan avait envie cerveau". J'avais trouvé ça extrê - d’audio-description. "Tout existe d’explorer le territoire pour en ex - mement pertinent". grâce au texte, à la prise de pa - traire un spectacle. Et ses re - role, à l'émotion. Ce qui m'inté - cherches antérieures l’ont Les premières rencontres à resse c'est le mystère, ça s'appelle amenée à s’intéresser aux mal- Valence avec les mal-voyants lui La Vie invisible pour ça. Mais voyants et aux non-voyants. "Je donnent envie d’écrire à partir de aussi parce que ce sont des gens trouvais intéressante l’idée que leurs souvenirs, de leur quotidien, qu'on ne regarde pas. La cécité chez ces personnes le réel soit une de leur manière de percevoir. fait extrêmement peur. Pourtant, projection imaginaire. Quand on "Mais aussi de notre manière de quand on perd la vue, on gagne est voyant, on a tendance à s'ar - percevoir à nous. Il y a des gens autre chose". rêter aux images. Or il y a d'autres que j'ai rencontrés par téléphone Hélène Chevrier manières de percevoir, et parfois et sur lesquels je me suis imaginé plus profondément. Le réel ce plein de choses, et quand on les a n’est pas que ce que je vois rencontrés on s'est rendu compte n La Vie invisible, texte de Guillaume Poix, autour de moi. C'est aussi qu'on était sans cesse en train de conception et mise en scène Lorraine de Sagazan tout ce que je ne connais pas . transformer les choses" . Petit à du 22/09 au 16/10 Comédie de Valence en Au moment de la mort de Régy, petit, l’idée se précise : "chaque Comédie itinérante Place Charles-Huguenel j'ai lu une interview de lui dans la - fois qu'on parlait de l'intime de 26000 Valence 04 75 78 41 71, quelle on lui disait "vous êtes un manière frontale, les participants du 2 au 13/03 Théâtre de la Ville à Paris metteur en scène intellectuel" et se fermaient. Alors que dès qu'on

26 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du MARIE DES POULES 22 Sept. Théâtre Montparnasse - Paris

Arnaud Denis Le Triomphe, acte II Ce jeune metteur en scène a cartonné à la dernière cérémonie des Molières, remportant la statuette de la meilleure pièce du théâtre privé et celle de la meilleure comédienne pour Béatrice Agenin. La pièce signée Gérard Savoisien raconte le destin u a e n

e incroyable de la gouvernante de George p p a R Sand . Succès oblige, elle sera reprise à la rentrée, e n n e i

b passant de la petite salle du théâtre a F

@ Montparnasse à la grande.

Théâtral magazine : Qui est La qualité intrinsèque de l'écri - relever le défi était encore plus Marie des Poules ? ture. C'est la deuxième pièce de forte. Dans le théâtre Nô, le théâ - Arnaud Denis : Une femme Gérard Savoisien que je monte, tre japonais, des acteurs de plus étonnante au destin hors du après Mademoiselle Molière . de 80 ans jouent des ingénus. commun et méconnue. Marie Anne Bouvier, la comédienne de Pourquoi ne pas tenter l'expé - Caillaud était la gouvernante de Mademoiselle Molière , avait rem - rience dans le théâtre français ? George Sand. Elle est arrivée porté le Molière de la meilleure Béatrice Agenin y parvient, en dans la maison de l'écrivaine à comédienne. Et cette année, évitant l'écueil de la performance. 15 ans, à Nohant, pour s'occuper c’est Béatrice Agenin, qui in - Pourquoi est-elle une grande des poules ; d'où son surnom. En - carne George Sand et Marie des comédienne ? suite, George Sand lui a appris à Poules, qui a décroché la sta - Elle dégage une énergie dans le lire, à écrire, à se défaire de son tuette. Gérard Savoisien écrit des travail qui me plaît beaucoup ; patois berrichon et même à jouer pièces historiques mais focalise une espèce de douceur toni - au théâtre. Marie Caillaud a son récit sur l'histoire intime, en fiante. C'est très agréable pour connu le succès. Et l'amour, avec alliant le style et l'intensité dra - moi, d'autant que je suis son par - Maurice Sand, le fils de la femme matique. Les dialogues sont bril - tenaire de jeu sur scène ; j'incarne de lettres au fil d'une relation tu - lants, les situations denses. Maurice Sand. Elle a une faculté multueuse et particulièrement Quel défi représentait sa mise d'émotion extrêmement large. douloureuse... Cette femme re - en scène ? Elle allie instinct et intelligence... présente le symbole d'une La question de l'âge. Quand Béa - Je suis intarissable à son sujet. France rurale, découvrant les trice Agenin est venue me voir, Propos recueillis par arts et les lettres, mais humi - elle doutait pouvoir jouer Marie Igor Hansen-Love liée par la classe dominante, des Poules à 15 ans - puisque le puisqu'elle va découvrir que le récit narre quasiment toute sa n Marie des Poules, de Gérard Savoisien, désir d'éducation de George vie -. Ce n'était pas simple, en mise en scène par Arnaud Denis, avec Béatrice Sand et de son émancipation effet. Plusieurs théâtres, à qui Agenin et Arnaud Denis. Théâtre Montparnasse, avait ses limites. nous avons présenté la pièce, ont 31 rue de la Gaîté 75014 Paris, 01 43 22 77 74, Qu'est-ce qui vous a plu dans même estimé qu'elle ne serait pas du 22/09 au 20/12 cette pièce ? crédible. Résultat : mon envie de

28 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du IPHI GÉNIE 23 Sept. Théâtre de l’Odéon - Paris

C’est pendant le confinement que le directeur du théâtre de l’Odéon Stéphane Braunschweig a décidé de monter Iphigénie . Il cherchait une idée pour aborder la rentrée si compliquée et c’est la pièce de Racine qui lui a semblé le mieux entrer o i h

en résonnance avec notre actualité. c c e r a C

h t e b a s i l E

Stéphane Braunschweig @

Théâtral magazine : En quoi pour le rôle d'Elena. Elles s’inspi - range le moins. Iphigénie de Racine nous parle- raient mutuellement. Pour un C’est à dire l’étrangère... t-elle d’aujourd’hui ? acteur, le fait de regarder la Elle n'est pas étrangère en réa - Stéphane Braunschweig : Elle scène de l'extérieur permet de lité, mais tout le monde la consi - montre des puissants réduits à mieux la comprendre. Ce va-et- dère comme étrangère parce l'impuissance. Alors que les vient, dedans et dehors le pla - que personne ne sait que c'est Grecs partent écraser Troie, les teau, est très productif. une fille d'Hélène et de Thésée. vents s’arrêtent tout d'un coup Que penser d’Iphigénie ; est-ce C'est un coup de théâtre. Il y a et leurs bateaux ne peuvent plus une victime ? un petit côté bouc émissaire. bouger. Et se pose la question de Iphigénie c'est la fille de son père C'est passionnant, parce que ce qu’on est prêt à sacrifier pour (Agamemnon) et de sa mère c'est magnifiquement construit ; que ça reparte. Agamemnon fait (Clytemnestre). Ce n'est pas une c'est à la fois politique et psycho - appel à un devin qui affirme que petite chose. Elle crée d’ailleurs logique. Quand Achille, Aga - le sacrifice de sa fille Iphigénie la surprise à un moment donné memnon et Ulysse se retrouvent résoudra le problème… Le fait en prenant la défense de son sur la scène, au premier acte, on de traverser ces questions à tra - père face à Achille dont elle est a l'impression que ce sont trois vers une fable, c’est une manière pourtant amoureuse. C’est un rois qui ont besoin les uns des de décoller un peu de notre réa - personnage qui a une force in - autres : de la puissance militaire lité pour la faire accéder à un ni - croyable et qui va se révéler petit d'Achille, de l'intelligence straté - veau plus symbolique et plus à petit. D’ailleurs dans Iphigénie gique d'Ulysse et du sens de émotionnel. en Tauride , elle devient elle- l’Etat d’Agamemnon. Ils sont Comment transposer ça sur le même une sacrificatrice. C'est tous les trois pris dans une crise plateau ? une amoureuse aussi, elle aime qui les prive de leur puissance et En recréant de l’intimité même passionnément Achille. ils vont essayer de la résoudre dans une grande salle, avec un A quoi correspond le sacrifice ensemble. dispositif bi-frontal. A Berthier, d’Iphigénie ? Propos recueillis par c’est possible, la salle est modu - Il y a quelque chose d'un peu Hélène Chevrier lable. On peut d'ailleurs jouer faustien : avoir la toute- avec plus ou moins de distancia - puissance suppose de renon - n Iphigénie, de , mise en scène tion. En plus c'est une langue qui cer à autre chose . Après dans Stéphane Braunschweig, avec Claude gagne à la distance. Et après je la pièce, Racine a inventé le per - Duparfait, Chloé Réjon, Suzanne Aubert, me suis dit qu'il fallait le faire sonnage d’Eriphile, qui serait la Anne Cantineau… (en alternance) avec une double distribution. Il fille d'Hélène et de Thésée et qui Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier 1 rue m'est arrivé de le faire à l'opéra va se sacrifier à la place d'Iphigé - André Suarès 75017 Paris, 01 44 85 40 40, et quand j'ai monté Oncle Vania nie. L’idée c’est peut-être qu'on du 23/09 au 14/11 à Moscou j'avais deux actrices peut sacrifier ce qui nous dé -

30 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 ECLAIRAGE par Gilles Costaz Iphigénie entre les hommes et les dieux De Kokkos à Braunschweig en compagnie de Michel Azama

Iphigénie est une héroïne Calchas, les vents favorables ne dans Les Temps difficiles (1934), célèbre, et pourtant de reviendront que si l’on sacrifie forte comédie sociale où un pa - deuxième plan . Elle ne fait pas "une fille du sang d’Hélène". La tron en difficulté sacrifie sa fille le poids à côté d’Antigone ou de formule désigne Iphigénie, fille en la mariant à un riche au cer - Phèdre. On n’apprend guère à la d’Agammenon et Clytemnestre. veau débile, ce qui est une forme connaître à l’école et la pièce de Le roi veut protéger son enfant de meurtre. Racine n’est pas tout à fait clas - mais, après de douloureux dé - sée parmi ses chefs-d’œuvre bats et des conflits avec Clytem - Plus proche de nous, Mi - (mais on sait ce que valent ces nestre et Achille, accepte qu’on chel Azama, a écrit, en 1991, hiérarchies hâtivement établies ! ). sacrifie la jeune fille. Heureux une pièce beaucoup plus nour - Pourtant le mythe a une belle dénouement : c’est une autre rie du thème original , Iphigénie carrière. Parti d’Euripide qui, fille du sang d’Hélène, Eriphile, ou le Péché des dieux. Ce texte a malgré la destruction des ma - dont, finalement, les dieux vou - été conçu d’abord pour la jeu - nuscrits à travers le temps, nous laient le sacrifice, après qu’on nesse, dans une fureur liée aux laissa deux Iphigénie (une "en eut étudié à nouveau l’obscur événements mondiaux d’alors. Aulide" et une autre "en Tau - message divin. Iphigénie reste "Ce n’est pas que rien n’ait ride" ), le mythe a connu une en vie et forme avec Achille le changé, écrit l’auteur dans l’édi - belle traversée du temps. Il y eut couple attendu… tion chez Théâtrales , c’est que au XVIIe siècle, les Iphigénie de tout est devenu pire : chaque jour Rotrou et Racine puis, au XVIIIe, "Ce n’est pas que rien n’ait dans un lieu du monde moderne l’opéra de Glück, Iphigénie en s’accomplit le sacrifice de milliers Tauride , et, au XIXe, la tragédie, changé, c’est que tout est de - d’Iphigénie". Trente ans après, très méditative, de Goethe qui venu pire : chaque jour dans Michel Azama n’a guère changé porte le même titre. Le sujet un lieu du monde moderne d’avis quand il nous dit, en ré - continue d’intéresser des au - s’accomplit le sacrifice de mil - ponse à nos questions : "Comme teurs contemporains, nous y re - liers d’Iphigénie". le dit Ismaël Kadaré, "les palais viendrons. Dans l’immédiat, c’est des Atrides sont de plus en plus la pièce de Racine qui revient nombreux de par le monde". dans l’actualité avec la mise en Peu d’auteurs du XXe siè - Cette guerre en suspens, épée de scène de Stéphane Braun - cle entreprirent de donner leur Damoclès au-dessus de la tête de schweig à l’Odéon Berthier. vision du destin de la fille l'humanité, me semble hélas une d’Agamemnon. Cocteau, Sartre, bonne métaphore pour au - Rappelons la fable à Giraudoux allèrent voir ailleurs jourd'hui où les menaces ne man - grands traits . Voguant vers dans la mythologie. Il y eut bien quent pas, entre terrorisme et Troie, la flotte des Grecs, que Claude Bourdet qui s’inspira de risques pour la planète... En commande le roi Agamemnon, cette tragédie mais dans une 1991 pendant les répétitions de est immobilisée en Aulide par grande liberté : l’histoire d’Iphi - mon texte, nous étions à la veille l’absence de vents. Pour le devin génie n’est plus qu’un filigrane de l'expiration de l'ultimatum

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 31 ECLAIRAGE par Gilles Costaz

des alliés dans le Golfe... J'ai aussi d’Agamemnon, dont deux vo - 1999) mais Vitez mourut pré - voulu écrire sur l'intime de cette lumes, Piège pour Iphigénie et Le maturément. On confia la mis - famille : le déchirement et la lâ - Réveil d’Iphigénie (Gallimard sion à son scénographe, le cheté du père, la façon dont Iphi - Jeunesse, 2011) retracent les délicat Yanni Kokkos qui fit un génie apprend la vérité sur son péripéties de la vie de la jeune spectacle d’une grande poésie futur sacrifice par un lapsus de femme. picturale, d’une référence sa mère, la haine de la mère, constante à Nicolas Poussin l'amour d'Achille pour Patrocle, Quant à l’histoire de l’inter - dans les lignes, les couleurs et censuré aussi bien par Euripide prétation et la mise en scène l’émotion. Valérie Dréville (Iphi - que par Racine." Il nous précise : de la pièce de Racine, elle passe génie), Martine Chevallier (Cly - "J'ai vu quatre mises en scène de par les grandes figures des siè - temnestre), Jean-Yves Dubois mon propre texte : de Jean- cles passé (la Champmeslé à la (Achille), Sylvia Bergé (Eriphile) Claude Gal aux Gémeaux à création en 1674, Adrienne Le - et Michel Favory (Agamemnon) Sceaux, de Gilbert Barba au fes - couvreur au XVIIIe siècle, mais sont les principaux interprètes tival de Valréas, et deux mises en les divas du XIXe siècle, Melle d’une soirée qui est, avant tout, scène différentes de Véronique George et Rachel, préfèrent in - esthétique et que Michel Cour - Nordey, au TGP et à Madrid, tea - carner Eriphile, un personnage not, dans Le Monde, juge "sans tro Pradillo dans un festival plus haut en couleur, qui em - épate, sans vacarme mais infini - consacré à mes textes. Il m'en porte plus franchement l’adhé - ment humaine et divine". reste quelques belles sensations : sion). Un esprit nouveau autour les ados passionnés dirigés par d’Iphigénie commence à souffler "Il s’agit là moins d’explorer Gal, les trois jeunes filles au torse après la Seconde guerre mon - l’intériorité douloureuse d’un peint, formant une sorte d'hydre diale. Julien Bertheau, Jean-Paul en guise de choeur, et cet Aga - Cisife, Jacques Destoop donnent personnage central travaillé memnon noir poitrine nue sous à la pièce un chant immobile, par la passion, que de com - sa veste blanche... Une autre fois juste avant que Jean-Michel Ra - prendre comment toute une j'ai fait appel à la mythologie, en beux, Jacques Falguière et Silvia société peut, insensiblement, écrivant une Médée noire que j'ai Monfort la bousculent avec une se laisser gagner par le ver - située aujourd'hui aux Etats- certaine impétuosité. Le docu - tige du pire..." Unis, deux ans avant les émeutes ment le plus fidèle des re - d'aujourd'hui... C'est cela qui cherches de ces décennies nous relie aux siècles passés, la 50-80 est la réalisation télévisée En 2001, l’éclairage que permanence du malheur, l'héri - de Jean Kerchbron où Iphigénie donne Daniel Jeanneteau vise tage des malédictions, la lutte est interprétée par Elisabeth à la fois à plus d’abstraction et pour les dépasser." Wiener, entourée de Franços de violence dans la mise en Darbon, Jean-Pierre Bernard, scène qu’il crée au Centre dra - Le théâtre moderne fran - Jean Davy, Maria Tamar : un matique de Lorient. Sans mettre çais comporte une autre Iphi - phrasé intense dans un décor ra - en cause la forte individualité génie , celle qu’a écrite mené à une vaste terrasse à la - des interprètes - Valérie Dash - Jean-René Lemoine qui déclare : quelle on accède par quelques wood (Iphigénie), entourée "Je ne voulais pas être choisie, marches. de Raphaëlle Gitlis, Clotilde Mol - que m’importe à moi d’être let, Miloud Khétib, Laurent Poi - l’avion suicide qui explose dans Une vision d’une autre cou - trenaux et Serpentine Teyssier -, le ciel de Troie." A ce beau texte leur arrive avec la mise en le metteur en scène dessine un qui a la forme d’un monologue scène de Yannis Kokkos à la Co - mouvement général où chacun (Les Solitaires intempestifs, médie-Française, en 1991. An - est dans un égarement et un 2011), on peut ajouter un cycle toine Vitez devait s’en charger, sentiment d’absurdité. "La dé - de romans pour la jeunesse : comme le rappellent Jean-Pierre composition violente de cette so - Evelyne Brisou-Pellen, a imaginé Battesti et Jean-Charles Chauvet ciété affecte la structure même une trilogie autour des enfants dans leur Tout Racine (Larousse, de la pièce de Racine, écrit Jean -

32 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 IPHIGÉNIE

neteau. Rien de linéaire, rien de C'était Racine. Les tubes d'écha - n Iphigénie, de Jean Racine, mise simple, mais des humains perdus faudages, les néons, les toiles et en scène Stéphane Braunschweig, dans un monde dont ils ne per - costumes en treillis, et une sorte avec Claude Duparfait, Chloé çoivent plus la globalité. Il s’agit de mirador s'entrechoquaient su - Réjon, Suzanne Aubert, Anne là moins d’explorer l’intériorité perbement avec le texte racinien, Cantineau… (en alternance) douloureuse d’un personnage classiquement et impeccable - Théâtre de l’Odéon Ateliers central travaillé par la passion, ment dit." Berthier, 1 rue André Suarès que de comprendre comment 75017 Paris, 01 44 85 40 40, du toute une société peut, insensi - Avec Stéphane Braun - 23/09 au 14/11 blement, se laisser gagner par le schweig, l’axe change pour relier vertige du pire." Racine à l’actualité mondiale.

Parmi les metteurs en Gilles Costaz scène qui s’affirment follement raciniens, Anne Delbée n’a ja - mais monté Iphigénie – mais elle écrit un texte sur la pièce pour l’édition au Livre de Poche – et Iphigénie, mise en scène Chloé Dabert Jean-Luc Jenner, au contraire, s’en charge en compagnie d’une jeune équipe pour un spectacle donné dans son théâtre du Nord- Ouest en 2015 : le point de vue est là totalement janséniste.

La dernière Iphigénie vue dans les grands circuits avant le prochain spectacle de l’Odéon vient d’une jeune artiste qui s’in - téressait auparavant à Lagarce et à la causticité anglaise, Chloé

Dabert. Avant de tourner en r d

France et d’arriver à la Comédie @ de Reims, son Iphigénie est don - née pour la première fois au fes - tival d’Avignon 2018. Inscrite Iphigénie en Tauride, mise en scène Jean-Pierre Vincent dans un décor de chantier, avec des références aux soldats d’au - jourd’hui, les comédiens (Iphigé - nie est jouée par Victoria Dubois) jouent, pour la plupart, dans l’élégance désuète des drames bourgeois. La tentative est mal reçue par la critique. Mais notre invité pour cette chronique rétrospective, Michel Azama, nous dit le plaisir qu’il y a éprouvé : "Je crois n'avoir vu r d qu'une seule mise en scène, celle de Chloë Dabert, à Avignon. @

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 33 à partir du PER TE 24 Sept. La Scala – Paris Ruthy Scetbon D’ouvreuse à comédienne ses repères, elle perd pied, elle se Frimousse juvénile, Ruthy Scetbon vit un laisse aller, se perd dans d’autres dimensions, la folie, les senti - conte de fée. Née à Rouen, d’un père dentiste et ments. Comme tous les soirs, elle d’une mère infirmière, elle était ouvreuse à la vient passer le balai, mais décou - Scala à Paris avant de monter sur scène comme vre là un public. Elle ose demande comédienne. Elle joue Perte , un seule en scène pourquoi on la regarde, fait et dit ainsi des choses qu’elle n’a pas sur une femme de ménage qui nettoie un théâtre l’habitude de faire ou dire. C’est jusqu’au jour où elle réalise qu’il y a des spectateurs un spectacle de l’ordre de la ren - dans la salle. contre, dans l’instant. La présence du public l’amène sur un autre terrain, lui permet d’explorer les choses en profondeur et incite a jeune comédienne a barque à Paris, obtient un Mas - celui-ci à prendre de la distance". commencé à rêver de ter 2 en études théâtrales à l'uni - théâtre dès 8 ans, puis versité Sorbonne Nouvelle Paris Ruthy Scetbon interprétera L pris des cours à l’école, 3. Effectue des stages de clowns la femme de ménage avec un nez joué dans sa région nor - en parallèle, puis entre à l’Ecole en plastique : "On n’a pas cherché mande, à La Neuville-Champs- Jacques Lecoq. Puis travaille à se moquer du personnage, dit- d’Oiselle et à Franqueville-Saint- comme ouvreuse, d’abord au Lu - elle, le nez permet de se mettre à Pierre, avant de se lancer. Après cernaire puis à la Scala. "Quand nu, de dévoiler des choses." L’ac - un baccalauréat littéraire option j’ai présenté Perte dans un centre trice s’adapte à la salle : "Nous théâtre, Ruthy Scetbon dé - d’animation à Nîmes en janvier, avons écrit un canevas précis, des collègues sont venus me voir mais j’ai une grande liberté parce et ont parlé au directeur, Frédéric que le public est différent chaque Biessy, qui a vu aussi le spectacle soir. Cette femme de ménage et m’a fait passer une audition." porte toute l’histoire du théâtre. C’était le 13 mars dernier. Le pa - Elle nous attendrit. En même tron de La Scala est tombé sous temps, elle est gênée et gêne aussi le charme, mais sa protégée a dû le public qui éprouve des émo - quitter les lieux avec sa valise et tions fortes. Le spectacle a été créé son balai !, confinement oblige. comme un voyage entre l’entrée en scène et la sortie." Pour l’heure, Admiratrice d’Emma la elle réfléchit à d’autres spectacles Clown, Ruthy a écrit l’histoire de avec la Compagnie Panache Perte avec Mitch Riley, un chan - comme Space dogs qui a été re - teur lyrique de formation qu’elle poussé à 2021. a rencontré chez Jacques Lecoq, Nathalie Simon et qui la met également en scène. "Nous avons eu envie de n Perte, de Ruthy Scetbon et Mitch Riley, créer quelque chose autour du mise en scène Mitch Riley, avec Ruthy Scetbon. clown, le spectacle est un dia - La Scala (petite salle), 3 bd de Strasbourg logue entre une actrice et le 75010 Paris, 01 40 03 44 30,

r public". Pourquoi Perte ? "Perte, du 24/09 au 31/10 d

@ c’est le nom du clown, elle perd

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à partir du ABNÉ GATION 24 Le Monfort - Paris Sept. et tournée

Thomas Gonzalez La politique des bas-fonds Habitué, ces dernières an - Le tout au rythme d’une écri - Plongée dans les affres nées, à la direction de Stanislas ture percussive, celle du drama - Nordey ( Tristesse animal noir, Af - turge brésilien Alexandre Dal de la vie politique brési - fabulazione, Erich von Stroheim, Farra, auréolé du prix APCA en lienne du temps de Je suis Fassbinder ), Thomas Gon - 2014. "Dans son geste artistique Dilma Rousseff, la pièce zalez est, depuis quelques mois, très fort, très brutal, il ne s’embar - d’Alexandre Dal Farra, attiré par "l’indignité" , telle qu’il a rasse ni d’un fil, ni d’une cohérence, pu l’expérimenter avec Yves-Noël souligne le comédien . On passe Abnégation , promet Genod ( La Mort d’Yvan Illitch ) ou, d’une situation à une autre sans d’emporter le comédien plus récemment, avec Mathilde transition, et c’est bien ces gouf - et ses quatre partenaires Delahaye et son fabuleux Nickel . fres, laissés çà et là, qui donnent sa La pièce d’Alexandre Dal Farra, théâtralité au texte. Ils nous obli - dans une danse macabre Abnégation , tombe à pic. Sous la gent, non pas à les combler, mais à où la réalité elle-même direction du metteur en scène trouver une métathéâtralité pour est corrompue. Guillaume Durieux, elle devrait lui comprendre le rituel que l’auteur a donner du grain à moudre tant voulu orchestrer". elle portraiture, jusque dans ses recoins les plus sombres, Dans cette "danse autour une vie politique brésilienne d’un trou noir" qu’un Quentin Ta - qui n’a, justement, plus rien de rantino ne renierait pas, Thomas digne . Gonzalez campe le rôle de Jonas, un "golden boy négligé chic". Au centre du jeu, cinq prota - "C’est, sans doute, le plus nerveux gonistes, tous liés de près ou de et le plus instable des person - loin à un parti politique – qui res - nages, une sorte de lieutenant in - semble à s’y méprendre au Parti discipliné à l’érotisme incertain. des travailleurs de Lula et Dilma Avec mes quatre partenaires, nous Rousseff – et réunis à cause d’une allons devoir fabriquer un mode "affaire", d’un "accident" sur le - choral, tel un quintet à cordes quel, évidemment, rien ne filtre. composé d’instrumentistes qui, "Cet événement est un prétexte et lorsqu’ils jouent, veillent à faire ré - est très rapidement évacué au sonner la partition de l’autre". profit d’une dialectique de la cor - Vincent Bouquet ruption, précise Thomas Gonza - lez . Tout se passe comme si les personnages se livraient à une n Abnégation, d’Alexandre Dal Farra, mise en messe noire où, comme chez Gom - scène Guillaume Durieux. Du 24/09 au 03/10 browicz par exemple, les paroles Le Monfort, 106 rue Brancion 75015 Paris, 01 y t r

a prononcées changeaient leur 56 08 33 88. Du 21 et 22/04/21 à la Maison M

r e i ADN et les faisaient passer, en un de la Culture d’Amiens. En mai 2021 à Château - v i l O rien de temps, du statut de gangs - vallon. Du 18 au 22/05/21 La Comédie de Reims @ ter à celui de meilleur ami".

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à partir du 25 MES FRÈRES Sept. La Colline - Paris

Arthur Nauzyciel Une femme venge toutes les femmes

Pour la première fois, Pascal Rambert a écrit un texte qu’il ne met pas en scène. Aux antipodes de la famille d’intellectuels viennois d’ Architecture , Mes Frères met aux prises quatre bûcherons et menuisiers qui, chaque soir, brament devant la porte de Marie, leur servante. Cette fable animiste met à nu les errances du désir masculin face à la puissance féminine. "Quand j’ai parlé avec Arthur et les comédiens, je leur ai dit qu’il fallait qu’ils me considèrent comme un auteur presque déjà mort. Je ne me suis mêlé en aucune façon de leur travail" , explique Pascal Rambert qui est lié par une longue fraternité théâtrale avec Arthur Nauzyciel. Le directeur du théâtre national de Bretagne a déjà joué deux monologues de Rambert, L’art du théâtre et De mes propres mains , il était aussi de l’aventure d’ Architecture .

Un défi mande : qu’est-ce qu’il m’adresse un texte différent de ce que Pas - De la même façon que Pascal en fait ? C’est comme avec les ac - cal avait déjà écrit, on y trouve (Rambert) écrit pour des acteurs, teurs, il garde nos noms, on pour - une âpreté, une violence, des il a eu envie d’écrire pour un met - rait croire que c’est un peu nous images très puissantes et un hu - teur en scène. Nous avons parlé mais nous n’intervenons que mour assez formidable. Au mo - une fois, à Princetown, où nous comme une surface d’inspiration ment où j’ai lu Mes frères , nous répétions L’art du théâtre . Il m’a dont il s’éloigne en travaillant ses n’étions pas encore plongés dit qu’il voulait partir de deux de propres thèmes. Cette envie de dans les débats actuels, l’envi - mes mises en scène, Le musée de raconter comment une femme ronnement, #metoo… La pièce la mer et Ordet , pour écrire va venger toutes les femmes m’est apparue hors-sol par sa di - quelque chose. Un jour, j’ai reçu dans un conte très noir, c’est son mension de tragédie élisabé - le texte, nous avons évoqué les univers à lui. thaine, son côté conte de fées. comédiens qu’il avait imaginés Cette pièce complexe et mysté - en écrivant, je ne voulais pas for - Avant #metoo rieuse ayant à voir avec la pul - cément jouer dedans mais il a in - Je sais d’expérience que moins sion sauvage, a été rattrapée sisté. Il a terminé d’écrire la pièce les textes sont faciles à lire, plus par l’actualité mais elle conserve en résidence dans le Jutland, au ils pourront produire du théâtre. un caractère intemporel. Danemark, à quelques kilomè - C’est une pièce compliquée au tres d’où Dreyer a tourné Ordet premier abord parce qu’on passe Une histoire de la violence et c’est là aussi où j’ai lu la pièce constamment du rêve à la réa - Avant d’essayer d’en saisir le la première fois. lité mais c’est heureux puisque sens, je me suis d’abord impré - l’entre-deux-mondes est ce qui gné de la formidable énergie de Multiples adresses m’intéresse le plus au théâtre. cette pièce, de tout l’inconscient A la première lecture, on se de - J’ai été très heureux de découvrir qu’elle dégage, la bestialité et la

38 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 drôlerie à la fois. C’est une pièce la nuit des temps et que l’héroïne ment et l’énergie. très intelligente avec un disposi - va mettre en pièces. tif subtil et un retournement Se mettre en scène final qui permet de parler du Marie-Sophie Ferdane J’ai demandé à un acteur avec monde et de l’humain en n’ayant C’est une actrice habitée, traver - qui j’ai déjà travaillé pour La pas l’air d’en parler. sée, elle est tout de suite épique, Dame aux camélias , Guillaume La pièce évoque la difficulté elle a ce sens du tragique et du Costanza, de travailler le rôle d’être à la hauteur de son désir, poétique. Elle donne l’impression comme je l’ai travaillé, ce qui m’a la pauvreté de nos imaginaires que les choses viennent de très permis de regarder à travers lui, quand il s’agit d’amour. Même loin, beaucoup d’autres voix par - comment les choses se dérou - dans leur rapport à cette femme lent à travers elle, c’est sans laient. Je me suis déjà mis en qu’ils disent vouloir tous possé - doute de là que vient cette puis - scène mais pour Jan Karski, der, on peut supposer que si ja - sance. c’était différent, je n’avais pas de mais, elle se laissait faire, ces partenaire, c’était le metteur en frères seraient terrifiés. Elle leur La table et le plateau scène qui prenait la parole face dit un moment : "pauvres petits Nous avons commencé des lec - au public. garçons… " Pascal Rambert a re - tures en juillet, frustrés que le présenté un excès de masculinité confinement nous ait empêchés Le bois et le métal qui est en fait l’expression d’un de travailler, heureux de nous re - Avec le scénographe américain fantasme très infantile. trouver. On a découvert le texte Riccardo Hernandez, on a trouvé La pièce parle de quelque chose ensemble, on a pu y investir quelque chose de fort pour mar - qui ne m’est pas apparu tout de notre imaginaire, se laisser tra - quer ce rapport entre l’extérieur suite : ce qui nous est transmis verser par lui. Sur la plupart de et l’intérieur : l’espace qu’ils habi - depuis la préhistoire est de l’or - mes spectacles, je passe beau - tent est un espace 100% métal - dre de la violence. On nous ap - coup de temps à la table, parfois lique, à force d’avoir exploité la prend qu’en tant qu’hommes, deux tiers du travail prépara - forêt, tout est devenu nu et dé - tout nous appartient. Cette bru - toire. Là, il y a tellement d’action, vasté. Et cet espace est adossé à talité infligée au monde vivant d’accessoires, de mouvements une forêt détruite, des arbres nous est transmise depuis les des corps, nous sommes allés au morts, coupés au sol. grands textes sacrés. C’est une plateau plus tôt. Il a fallu travail - histoire de la violence qui tra - ler plus physiquement, articuler Propos recueillis par verse les corps masculins depuis le texte dans l’espace, le mouve - Patrice Trapier

n Mes Frères, de Pascal Rambert, mise en scène Arthur Nauzyciel, avec Adama Diop, Marie-Sophie Ferdane, Pascal Greggory, Arthur Nauzyciel et Guillaume Costanza (en alternance), Frédéric Pierrot. Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 25/09 au 21/10 r d

@

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 39 à partir du LE GRAND INQUISITEUR 25 Sept. Théâtre de l’Odéon – Paris Sylvain Creuzevault

Après ses pièces historiques, Sylvain Creuzevault est revenu à Dostoïevski l’an dernier avec Les Démons . Avant d’adapter Les frères Karamazov , il met en scène un fragment de l’œuvre-maîtresse de Dostoïevski, la parabole du grand Inquisiteur, sans doute un des textes les plus fascinants du r d

romancier russe car il attaque, @ comme un acide, les fondements du christianisme et par là même de Réquisitoire la civilisation occidentale. contre la liberté

’est un texte furtif" résume le met - mettant la liberté au-dessus de parle de notre monde, et de cette teur en scène Sylvain Creuzevault. tout a donné un idéal inaccessible infantilisation qui est le mode "On ne peut le capturer pour l’as - à la masse. Trop élitiste, en d’action de tous les gouverne - signer à une seule interprétation. somme. Et que celle-ci doit donc y ments" souligne-t-il. Il vous échappe toujours". Au renoncer pour trouver le bonheur C cours d’un récit d’une vingtaine de et la sécurité. Il y a là une dialec - Sur scène c’est Arthur Igual pages, Ivan Karamazov raconte à tique qui nous heurte : "Pour qui jouera le Christ. Un rôle bien son frère une histoire à valeur de nous Occidentaux, la liberté difficile car si le Christ ne pro - parabole. Au XVIe siècle, dans est un idéal qui semble aller nonce pas un mot, il est terrible - l’Espagne de l’Inquisition, un de soi. Or voilà que tout à ment présent tout au long du homme opère des miracles et des coup cette liberté est oppo - texte : "C’est un dialogue où l’un guérisons. C’est le Christ, revenu sée au bonheur avec des mots des personnages n’intervient pas, sur la Terre. On l’arrête. Un vieil in - d’une terrible simplicité. C’est ce mais c’est quand même un dia - quisiteur le visite en prison. Avant paradoxe que l’inquisiteur utilise logue. C’est parce que le silence du de le condamner à mort, il le sou - pour ouvrir une brèche gigan - Christ le travaille que le grand in - met à un réquisitoire brutal. "Je ne tesque dans les certitudes." quisiteur se lance dans un tel ré - t’aime pas" lui dit-il. Ou encore, quisitoire." sans doute la phrase la plus mar - Cette manière de valoriser la Jean-François Mondot quante de tout le texte : "Je te sécurité, et un bonheur même ferai périr parce que tu es venu médiocre aux dépens de la liberté nous déranger." nous ramène aux totalitarismes qui se sont succédé à partir du n Le Grand Inquisiteur, d’après Fédor Il ne s’agit pas là d’impréca - XXe siècle : "Mais cela va même Dostoïevski, mise en scène Sylvain tions. Le grand inquisiteur rai - au-delà ! Le texte ouvre sur l’ordre Creuzevault, avec Arthur Igual, Sava Lolov. sonne, et ses arguments sont institué par le néolibéralisme. Il Théâtre de Odéon, place de l’Odéon 75006 autant de coups de dague. Il renvoie à Margaret Thatcher aussi Paris, 01 44 85 40 40, à partir du 25/09 avance l’idée que le Christ, en bien qu’à Pol Pot et Staline. Il nous

40 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du LES SERPENTS 29 Théâtre Olympia - Tours Sept. et tournée

Bénédicte Cerutti joue le cauche mar

Elle découvre l’écriture de Marie Ndiaye. "Une écriture très étrange de la perception, du

ressenti qui progresse par fléchissements, glissements i t t u r e C

énigmatiques" confie Bénédicte Cerutti. Elle e t c i d

créera sous la direction de Jacques Vincey la pièce é n é B Les Serpents de l’autrice, aux côtés de Hélène Alexandridis et Thiphaine Raffier au CDN de @ Tours – Olympia le 29 septembre. Un sujet jouant avec les ressorts du fantastique et du suspense comme le rayonnement de la douleur, de la peur, de la vio - autour de la confrontation de trois femmes, une lence, de l’incompréhension. Des mère et ses deux belles-filles. touches de narration suffisent pour partir très loin dans cette perception. Nous n’avons jamais Théâtral magazine : C’est une Ce lieu est donc si important ? le bout, l’entièreté de la chose. pièce à l’ambiance de cauche - Le paysage est un autre person - On est juste dans des montées mar… nage : un champ de maïs pous - d’horreur, des mises en place de Bénédicte Cerruti : Une femme siéreux, sale, qui enferme le lieu sensations atroces qui ne trou - demande à sa belle-fille, qui le de l’action. Un non lieu comme vent pas d’aboutissement. C’est lui refuse, de la laisser entrer un désert très hostile. Les pay - un principe très étrange fait de dans la maison de son fils. Une sages viennent troubler les per - sensations désagréables. Tout troisième femme, que je joue et ceptions, comme au cinéma. Il restera en question, sans apaise - qui est l’autre belle-fille, veut fait soif, il y a de la poussière ; ment, sans résilience. savoir comment son enfant est une ambiance de fin du monde. Propos recueillis par mort pour aller sur sa tombe. Le On ne comprend pas cette mai - François Varlin père, figure du monstre, a soi- son, on entend des bruits qui disant maltraité cet enfant qui viennent de l’intérieur, vague - ne lui plaisait pas et enfermé ment des enfants. Tout est sans n Les Serpents, de Marie Ndiaye, mise en scène parce que trop chétif… Des ser - cesse remis en question. Ça joue Jacques Vincey, avec Hélène Alexandridis, pents l’auraient tué. On per - avec les ressorts du fantastique. Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. çoit une menace, un Et il y a de la violence concrète, 29/09 au 9/10 Théâtre Olympia, Tours empêchement, une énigme, des souvenirs, du deuil. On n’a ja - 13 au 16/10 Théâtre de la Cité, Toulouse un secret autour du deuil mais accès à une réalité tangible. 3 au 5/11 Théâtre des Ilets, Montluçon d’un enfant qui reste irré - Comment Marie Ndiaye joue-t- 17 au 19/12 CDN de Besançon Franche Comté solu, insoluble, inaccessi - elle avec notre imaginaire ? 10 au 13/12 Théâtre des Quartiers d’Ivry ble . On ne peut transformer sa On est comme plongé dans un 24/11 au 4/12 TNS Strasbourg douleur. Toute la pièce va se cauchemar très réel. On arrive à 2 au 26/02 Théâtre du Rond Point, Paris passer au seuil de cette maison. attraper la sensation du deuil 16 au 19/03 Théâtre National de Bordeaux Comme un passage. sans cercler l’évidence. C’est

42 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du ARIA DA CAPO 30 TNS - Strasbourg Sept. CDN d’Orléans

au point que Séverine Chavrier La passion de la musique est centrale se demande si l’improvisation ne doit pas constituer la matière dans l’univers de Séverine Chavrier. Dans Aria même du spectacle. Le dilemme da Capo, son nouveau spectacle, théâtre et tourne autour de la notion de musique sont étroitement imbriqués. Séverine grâce, qui est au cœur de sa dé - Chavrier se penche sur l’univers intime de quatre marche artistique : "La question centrale est de faire advenir la vie adolescents qui se destinent à devenir musiciens sur la plateau. Je me suis dit que professionnels. si l’on laissait tout ouvert à l’im - provisation, il y aurait des mo - ments de grâce mais aussi des moments de non-grâce. Si l’on écrit tout, les grâces seront peut- Séverine Chavrier être moins fulgurantes, mais les non-grâces seront limitées. J’ai donc choisi de tout écrire. Ce La vie en musique n’était peut-être pas la solution la plus courageuse mais c’était celle qui donnait le plus de travail ! " .

A quoi ressemblera la bande-son du spectacle ? Elle sera bien plus variée que l’uni - vers de la musique classique d’où viennent deux des protagonistes, le violoniste Areski et le basso - i r a S

niste Guilain : "On entendra pas e s i

u mal de musique française, Ravel, o L Fauré, Messiaen, mais aussi des @ chansons pop inventées pour l’oc - a musique est un mystère. L’ado - leur monde, que ce soit à travers casion". Quant au titre, Aria da lescence aussi. Ce sont deux uni - leurs confidences ou travers leur Capo , il désigne un chant qui re - vers clos qui se protègent des musique" raconte-t-elle. vient à la fin d’un développe - L regards extérieurs. Séverine Cha - ment musical. En somme, tout vrier a voulu parler de ces deux Adèle, pianiste et chan - finit par des chansons. mondes à rebours de tous les cli - teuse, rejoint l’aventure, ainsi Jean-François Mondot chés. Au départ de cette aven - que Victor, tromboniste, dans le ture, il y a la rencontre, pour l’un rôle du petit-frère observateur. de ses derniers spectacles, avec Le duo devient quatuor. A par - un jeune violoniste de 15 ans, tir de là commence un tra - Areski. Celui-ci lui avait présenté vail d’improvisation autour n Aria da Capo, conception et son ami Guilain, qui joue du bas - de thèmes variés : l’amitié, mise en scène Séverine Chavrier. son. Tous deux se destinent à l’amour, la compétition, le Du 30/09 au 4/10 TNS, 1 avenue de la Mar - être musiciens professionnels. rapport aux maîtres, et bien seillaise 67000 Strasbourg, 03 88 24 88 00. Des rapports de confiance s’éta - sûr la musique. Ils se montrent Du 21 au 24/10 CDN d’Orléans, boulevard blissent entre les adolescents et très vite aussi à l’aise dans le jeu Pierre Ségelle 45000 Orléans, 02 38 81 01 00 la dramaturge. "Ils m’ont offert théâtral que dans le jeu musical,

44 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 à partir du EXÉCUTEUR 14 30 Théâtre du Rond-Point – Paris Sept.

Swann Arlaud face au mal absolu

Très présent au cinéma ces dernières années ( Petit Paysan, Perdrix, Grâce à Dieu… ) Swann Arlaud revient au théâtre avec Exécuteur 14 , d’Adel Hakim mis en scène par sa propre mère, Tatiana Vialle. Une pièce dure, prenante, qui a pour lui une importance et une signification très particulières.

Théâtral magazine : Comment Grand Conciliateur. Il s’engage avez-vous découvert Exécuteur dans le grand affrontement entre 14 d’Adel Hakim ? deux communautés qui se haïs - Swann Arlaud : Au théâtre, à 15 sent, les Adamites et les Zélites. i s e C ans, en 1996. J’ai été happé sans On voit avec ces dénominations i n i d

bien comprendre pourquoi. Sans qu’Adel Hakim a voulu rester a t t i C

doute ai-je été sensible à la force dans un registre allégorique. Evi - i n n a du texte, et à l’interprétation de demment, on pense beaucoup à v i u G Jean-Quentin Châtelain. Ce qui la situation du Liban dans les an - m’a marqué aussi je crois, c’est nées 70, qu’Adel Hakim a person - @ le sentiment de m’approcher nellement connue. La pièce est si de la guerre comme expé - riche qu’on peut y voir beaucoup la musique jouera un rôle central rience intime, et de sentir com - de choses. Pour ma part, je pense On a le sentiment que cette bien la haine est susceptible de qu’elle nous parle d’aujourd’hui et pièce représente une sorte d’ac - trouver une porte d’entrée en de demain plutôt que d’hier… complissement pour vous… chacun de nous. Il est difficile de La langue d’Adel Hakim contri - C’est un texte qui m’a accompa - rester indifférent à une telle bue à tirer le texte vers l’univer - gné toute ma vie. Je me réjouis de pièce qui regarde en face la ques - sel… le transmettre à ceux qui ne le tion du mal absolu. Oui, c’est une langue très particu - connaissent pas. Comment résumer Exécuteur 14 ? lière, faussement simple, avec des Propos recueillis par C’est l’histoire d’un jeune homme mots anglais ou espagnols qui Jean-François Mondot dans un pays déchiré par une viennent s’intercaler dans le Fran - guerre religieuse. Il mène une vie çais. C’est très rythmé, très musi - assez banale malgré les bombar - cal. Par moments cela fait dements quotidiens, jusqu’au mo - beaucoup penser au rap. C’est n Exécuteur 14, de Adel Hakim, mise en scène ment où un événement pour cela aussi que le texte at - Tatiana Vialle, avec Swann Arlaud et Mahut. particulier le fait basculer du côté trape le spectateur de manière si Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Franklin de la haine et de la vengeance. Il imparable. Sur scène je serai ac - Roosevelt 75008 Paris, 01 44 95 98 21, devient un fanatique au service compagné de Mahut, un percus - à partir du 30/09 d’une divinité mystérieuse, le sionniste multi-instrumentiste, et

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 45 ffiche T êtes d’a

Charles Berling joue avec son fils Emile et Muriel Mayette-Holtz Catherine Hiegel joue Avant la retraite avec Noémie dans Les Parents terribles de Cocteau, à Nice et à Toulon -> p. 8 Lvovsky et André Marcon à la Porte Saint-Martin -> p. 20

Swann Arlaud joue Exécuteur 14 Joël Pommerat reprend Contes et au Rond-Point -> p. 45 légendes aux Bouffes du Nord -> p. 16

Alice Zeniter joue Je suis une fille sans Béatrice Agenin reprend Marie des François Berléand et François-Xavier Demaison histoire à la Comédie de Valence -> p. 54 Poules au théâtre Montparnasse -> p. 28 reprennent Par le bout du nez au Théâtre Antoine -> p. 24

Sébastien Azzopardi crée L’embarras du Isabelle Carré reprend La dégustation Edouard Louis joue l’adaptation de son livre Qui a tué mon choix au théâtre de la Gaîté -> p. 56 au théâtre de la Renaissance -> p. 86 père ? au théâtre de la Ville -> p. 18 Valérie Lesort et Christian Hecq créent Le Bourgeois gentilhomme au Théâtre Marigny (pendant les travaux de la Comédie-Française) du 16 septembre au 25 octobre

Thierry Frémont joue dans Le repas des fauves Pauline Bureau reprend Hors la loi au Théâtre Hébertot -> p. 60 au Vieux-Colombier -> p. 88

Robin Renucci crée Oblomov Philippe Torreton reprend au théâtre Dijon-Bourgogne -> p. 72 La Vie de Galilée aux Célestins -> p. 88

Elodie Bouchez reprend Les sorcières de Thierry Lhermitte reprend Fleurs du Soleil Salem au Théâtre de la Ville -> p. 84 au théâtre Antoine -> p. 84

Helena Noguerra crée La reine de la piste Jacques Weber reprend Crise de nerfs sous la Alexis Michalik reprend Une histoire d’amour à la Comédie de Caen -> p. 62 direction de Peter Stein à l’Atelier à la Scala-Paris -> p. 84 à partir du LORSQUE FRANÇOISE PARAÎT 1er Oct. Théâtre Lepic – Paris

Sophie Forte Humoriste, auteure, actrice, Sophie Forte aime les défis. La voilà à présent en Françoise Dolto , la psy qui a changé le regard sur les enfants. Un défi de plus proposé par une nouvelle pièce d’Eric Bu (qui, après sa comédie historique sur Arletty, r d

aborde un tout autre domaine). @ La psy qui aimait follement les enfants

Théâtral magazine : Comment moriste pendant quinze ans. d’abord joué une première ver - en êtes-vous venue à incarner Belle période mais le gag à tout sion courte, dans le cadre des Françoise Dolto ? prix tire vers le bas. J’ai arrêté Mises en capsules du théâtre Sophie Forte : Je connais Eric pour être chanteuse de jazz, Lepic. Catherine Dolto, la fille de Bu de longue date. Il est venu puis j’ai fait des voyages avec Françoise, était là. Après la re - voir ma pièce Chagrin pour soi mon ex-mari Eric Bouvron pour présentation, elle m’a embras - et m’a demandé de jouer son écrire des pièces. J’ai fait ces al - sée en m’appelant "Maman" . film Le Retour de Richard 3 par bums pour les enfants, au point Nous étions tous bouleversés. le train de 9 h 24 . Ensuite, il m’a d’avoir parfois trop d’obligations L’humour a-t-il encore sa part proposé d’être Françoise Dolto de récitals. Maintenant, Dolto, dans cette évocation ? dans sa nouvelle pièce. Je c’est une nouvelle chance – Oui, c’est tout l’art d’Eric qui n’avais sur Dolto que les idées mais être mère est mon plus conserve sa fantaisie dans son de tout le monde. Je l’avais peu beau rôle ! écriture et une mise en scène ou - lue, je n’avais pas entendu ses Comment la voyez-vous, com - verte aux idées de chacun. Il a interviews sur France Inter – je ment la jouez-vous ? conçu une sorte de jeu très mo - n’ai pas voulu les entendre tout C’est une femme incroyable derne. Stéphane Giletta et Chris - de suite, pour ne pas faire un qui, née dans un monde bour - tine Gagnepain jouent plusieurs travail de mimétisme. Ce qu’elle geois et masculin, a su créer personnages et même des ob - a apporté rejoint, dans une son destin et grâce à qui le jets. C’est une pièce sérieuse autre dimension, bien sûr, ce monde médical et social s’est d’une grande drôlerie. que j’exprime dans mes chan - mis à l’écoute de l’enfant. On a Propos recueillis par sons pour les enfants : le parler récemment attaqué son person - Gilles Costaz vrai, la sincérité, le refus des ta - nage. La pièce montre que ces bous. Et travailler cette pièce insinuations sont mensongères. m’a aidée, comme souvent le Je dois jouer tous les âges, de 8 théâtre dans ma vie. à 60 ans. Il y a peu de décor et n Lorsque Françoise paraît, texte et mise en Votre carrière est passée par d’accessoires. Tout est dans le scène Eric Bu, avec Sophie Forte, Christine plusieurs étapes. Où vous si - jeu, on est toujours en scène et Gagnepain, Stéphane Giletta. tuez-vous maintenant ? l’on se transforme à vue, je ne Théâtre Lepic, 1 avenue Junot 75018 Paris, J’ai toujours cherché à être là où dispose que d’une pince à che - 01 42 54 15 12, à partir du 1/10 on ne m’attend pas. J’ai été hu - veux et d’un châle. Nous avons

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à partir du SI ON SAVAIT 2 Oct. Bouffes parisiens - Paris

Daniel Russo Le rire est une vague

Daniel Russo venait de terminer les représentations marseillaises d’ Alors on s’aime avec Corinne Touzet quand les décisions de confinement ont arrêté la tournée du spectacle. "Ce fut très dur, dit-il . Mais j’ai pu lire des textes, très bons, que je

r n’avais pas lus". Il a ainsi lu Si on savait qu’il va d c

@ créer avec Valérie Mairesse.

Théâtral magazine : Vous allez y a quatorze changements de uns des autres. Il faudra être jouer Si on savait , une pièce décor. Une tournette permettra d’une rigueur absolue. d’un auteur encore peu connu, de passer d’un lieu à un autre. Vous avez joué à plusieurs re - bien qu’il travaille beaucoup Est-ce Dieu, le personnage qui prises aux Bouffes parisiens… comme acteur. interroge l’homme arrivé dans Nous y avions connu un énorme Daniel Russo : Eric Fraticelli, l’au-delà ? succès avec Hier est un autre déjà connu pour Le Clan , est un Non. C’est quelqu’un à son bu - jour de Sylvain Meyniac et Jean- auteur très doué. Si on savait reau. Il sait tout. A chaque af - François Cros. Mais c’était sur - est fondé sur la question que faire, il dit : "J’ai le dossier" . Il y tout le théâtre où, jeune, je chacun se pose : a-t-on pris la a un fond de tendresse, de re - venais voir mon père spirituel, bonne décision quand il a fallu grets mélancoliques. Cela Robert Lamoureux. C’est avec faire un choix ? Si on avait fait évoque ces familles qui se sont ces grands acteurs qu’on ap - un autre choix, cela aurait été déchirées et dont les membres prend ce qu’est la comédie. mieux ou pire ? C’est une découvrent que ces brouilles Jacques Fabbri me disait très pièce sur ce qui a lieu et ce qui n’avaient pas d’importance. justement : "ne parle pas sur le aurait pu avoir lieu. Mon per - Cet éclatement des scènes, rire ; le rire c’est une vague qu’il sonnage est celui d’un bricoleur n’est-ce pas un peu acroba - faut laisser passer" . J’ai appris qui commet une erreur mortelle tique ? avec ces grands personnages et se retrouve dans l’au-delà, où Oui, parce que les situations que la pièce, on ne la tient que on lui demande quels regrets il sont très différentes. Mais c’est quand le public est là. a. Par exemple, il parle de son Jean-Luc Moreau qui nous met Propos recueillis par fils qu’il ne voit plus. Aussitôt il en scène. Avec lui nous sommes Gilles Costaz est remis dans la situation comme des gamins heureux de même où il était en conflit avec retrouver la cour de récréation. son fils. Ou bien il dit : "J’aurais Je suis content de jouer à nou - n Si on savait, d’Eric Fraticelli, mise en scène été peut-être plus heureux avec veau avec Valérie Mairesse, Jean-Luc Moreau, avec Daniel Russo, ma maîtresse" . "On va voir" , lui avec laquelle j’ai fait plusieurs Valérie Mairesse, Jean-Luc Porraz. dit-on. Et il se retrouve face à sa films. Jean-Luc Porraz fera le Bouffes parisiens, 4 rue de Monsigny 75002 maîtresse… Les événements personnage énigmatique. Dans Paris, 01 42 96 92 42, à partir du 2/10 différents sont si nombreux qu’il ce type de texte, on dépend les

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à partir du TON PÈRE 3 Comédie de Reims Oct.

Thomas Quillardet "Des spectacles en phase avec ce que je vis" Un projet inattendu dans ma création. J’ai quarante Le metteur en scène a été Je préparais une pièce sur la pri - ans, la paternité d’un homosexuel bouleversé par le roman de vatisation de TF1 quand j’ai lu le est une question qui me paraît im - roman de Christophe Honoré. Au portante, nous vivons une bascule Christophe Honoré qui s’ouvre départ, je n’avais aucune inten - par rapport à la génération précé - sur un mot punaisé sur une tion et d’ailleurs, je n’aime pas dente. Christophe Honoré qui est porte "guerre et paix, contre - trop les adaptations de roman, je un tout petit peu plus âgé que trouve cela difficile. Honoré a moi, pose cette question qui de - pèterie douteuse" . Son adap - écrit un roman sur la peur, le vient du domaine du possible, tation est une évocation doute, le poids de la société sur voire de l’évidence même si au poétique d’un homme attaché nos désirs. A la dernière phrase, moment de la bataille du mariage à son identité : "père et gay", une possibilité d’ouverture se fait pour tous, c’était aussi un combat. jour. C’est cette pulsion de vie qui tout simplement. m’a donné envie d’en faire du S’éloigner de l’auteur théâtre. J’ai écrit à Christophe Ho - Christophe Honoré me laisse tra - noré que je ne connaissais pas et vailler, on s’est vu une fois, on a eu qui a accepté mon projet. J’ai re - des échanges au téléphone, il sait poussé Une télévision française aussi qu’en dehors du travail de pour monter Ton Père . coupe, ça sera 100 % son texte. J’aime échanger, cela avait été la Un récit en direct même chose avec Tiago Ro - Même s’il y a plusieurs person - drigues, mais à un moment, j’ai nages, tout est centré autour de la aussi besoin de m’éloigner un peu figure du narrateur. Christophe de l’auteur pour m’approprier le Honoré fonde son écriture sur le texte sinon on tombe dans la fi - rafistolage de la mémoire, une pa - gure de l’instituteur et c’est un role qui bégaie et qui essaie de re - peu dangereux. coller des morceaux. On ne se souvient plus très bien donc on es - Thomas Blanchard saie d’en rajouter un peu pour don - Je savais qu’il aurait cette capacité

t ner plus de théâtralité, plus de à prendre en charge toutes ces n a n r suspense. Le narrateur est le maî - voix. C’est Christophe Honoré qui e V

a

n tre du jeu, il construit sa parole au parle, Thomas ne lui ressemble i l e M

présent devant les gens, il pas mais il prend en charge tous

@ convoque les voix du passé, du pré - ses états, Christophe aujourd’hui, sent et du futur, avec beaucoup de Christophe racontant son adoles - n Ton père, de Christophe Honoré, mise en suspense. Les autres acteurs inter - cence en Bretagne, et même sa scène Thomas Quillardet, avec Thomas Blan - viennent pour l’aider à faire récit. petite fille… Thomas Blanchard chard, Claire Catherine, Morgane el Ayoubi, glisse entre toutes ces incarna - Cyril Metzger et Etienne Toqué. Comédie de Ma propre vie tions avec beaucoup d’agilité. Reims, 03 26 48 49 10, du 3 au 14/10 Plus mes spectacles sont en phase Propos recueillis par avec ce que je vis, plus je suis libre Patrice Trapier

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à partir du JE SUIS UNE FILLE SANS HISTOIRE 6 Comédie de Valence Oct. et tournée

ter aussi, car, quand on s’adresse au public, il faut tenir compte des Alice Zeniter œuvres qui ont eu un lectorat considérable... Mais je vais au- Les œuvres des autres delà de la littérature en parlant de la façon dont les journalistes et Aussitôt après la publication de son nouveau les scénaristes construisent leurs textes. Quant au titre, à chacun roman Comme un empire dans un empire , l’autrice de voir ce qu’il sous-entend. de L’Art de perdre passe au théâtre, qu’elle a Vous avez pris comme "regard toujours pratiqué comme assistante et actrice (avec extérieur" un artiste qui fait du cirque, Matthieu Gary. Brigitte Jaque-Wajman, Julie Bérès…) et joue elle- Matthieu Gary fait des specta - même sa pièce, Je suis une fille sans histoire. cles de cirque qui incluent la gra - vité, la recherche théorique. Nous ne travaillons pas de ma - nière circassienne. Il est, pour moi, un spectateur professionnel. Il me corrige, me reprend. On cor - rige ensemble mes blagues. Et c’est hyper-compliqué, les blagues de sémiologie ! Vous êtes seule en scène. C’est, pour vous, une expérience iné -

r dite ? Marc Lainé a imaginé l’es - d

@ pace où vous évoluez. Le décor de Marc Lainé est un en - Théâtral magazine : Que repré - on n’a pas de corps, pas de pre - tassement de papiers froissés, sente pour vous cette double mière personne. Je voulais travail - une banquise, un paysage hiver - activité littéraire et théâtrale ? ler à la première personne et aussi nal. Au milieu, il y a un bureau et Alice Zeniter : Le théâtre peut intégrer des obsessions person - une chaise qui ressemblent à être vu comme une activité plus nelles. J’étais prête à partir avec mon espace personnel. Je ne complexe, car on suit plusieurs un texte très simple et ma valise. crois pas qu’en jouant, je m’y sen - participations à la fois, et plus Marc Lainé m’a demandé de pren - tirais seule. Je suis dans le par - simple et plus rapide. Quand dre mon temps et d’aller plus loin tage avec le public. Je verrai les quelque chose bloque, ce n’est dans la forme théâtrale. J’ai déve - visages des gens, je verrai s’ils pas à soi seul de trouver la solu - loppé ce que j’avais écrit mais le suivent ce que je dis. Et je ne tion. La dynamique collective texte sera définitif après les répé - serai pas seule dans mon esprit : peut être un soulagement. titions et la rencontre avec le pu - les œuvres dont je parle sont Comment est né le projet de Je blic. La metteuse en scène que je dans ma tête, avec moi. suis une fille sans histoire ? suis ne respecte pas l’autrice que Propos recueillis par J’avais envie de faire quelque je suis aussi ! Gilles Costaz chose qui aurait la forme d’ une Comment se déroule votre conférence sur les œuvres lit - texte ? n Je suis une fille sans histoire, de et avec Alice téraires, la narration, l’his - Beaucoup de grandes œuvres Zeniter. Comédie de Valence, place Charles- toire des textes, la forme des sont convoquées. Des classiques. Huguenel 26000 Valence, 04 75 78 41 70, récits. Je suis une universitaire et Sherlock Holmes , avec qui j’ai un du 6 au 10/10. Puis en tournée. une autrice. Dans les colloques, rapport très particulier. Harry Pot -

54 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 MOBY DICK à partir du TNBA – Bordeaux 6 et tournée Oct.

l’épique et de l’intime. Là, c’est un marin de l’équipage d’Achab, Stuart Seide rentré chez lui, qui se souvient quelques années après. Que L’épique et l’intime reste-t-il de cette aventure ? "Ap - pelez-moi Ismaël", dit-il. Et il ra - Américain de France, Stuart Seide a installé sa conte : la folie, la haine, la passion d’Achab. Lui aussi il a été compagnie dans le Sud-Ouest et poursuit une fasciné. Mais, comme Melville lui- activité de metteur en scène et de pédagogue, même, il est devenu un bureau - depuis qu’il a quitté la direction du Théâtre du Nord crate, un peu semblable au personnage de Bartleby. C’est un à Lille. Retour à la culture américaine avec sa survivant qui s’exprime. Le seul transposition de Moby Dick . qui a survécu, le seul de tous ceux qui ont partagé, fascinés, la folie d’Achab. Dans la tradition juive, son nom veut dire l’exilé. Et cet homme est un banni, un exilé. Comment Jean-Quentin Châte - lain s’empare-t-il du texte ? Il le porte comme une écriture sa - crée. Il ouvre des brèches en lui pour faire entrer de nouvelles

r inspirations. Il creuse le texte et d

@ se laisse creuser par lui. C’est aussi une nouvelle et dou - Théâtral magazine : En mon - d’ Henry VI et de Macbeth . Je lui ble aventure pour vous : un mo - tant Moby Dick , vous cherchez ai proposé Moby Dick sous un nologue, une collaboration sans doute à être plus proche angle qui n’est pas celui, ludique, avec le TNBA de Bordeaux… de l’original que ne le sont les de mon spectacle d’il y a 50 ans J’aime bien faire ce que je n’ai ja - traductions françaises. mais sous la forme d’un spectacle mais fait. Et je me sens bien dans Stuart Seide : C’est un texte où l’acteur est solitaire dans un ce théâtre avec une école de Ca - qu’un Américain découvre en - décor dépouillé. therine Marnas. Toute ma vie j’ai fant dans des éditions illustrées. On ne verra pas un équipage à toujours évité d’avoir un style Je n’ai cessé d’y penser et j’en ai la poursuite d’une baleine tout en restant moi-même. donné une première adaptation blanche. Propos recueillis par à la Tempête, en 1978. Il y a plu - Ce ne sera pas un spectacle Gilles Costaz sieurs traductions françaises d’images. Les images se forme - dont celle de Giono qui est ma - ront dans la tête du spectateur à gnifique mais qui simplifie par - partir de la langue et aussi l’hu - n Moby Dick ou les enfants de Rachel, fois. J’ai voulu être fidèle à la mour de Melville, à partir des d’Hermann Melville, adaptation et mise en scène langue de Melville, qui est mots habités par l’acteur. La Stuart Seide, avec Jean-Quentin Châtelain. heurtée, tordue, et faire ce tra - quête monomaniaque de la ba - TNBA 3 place Renaudel 33000 Bordeaux, vail d’adaptation en pensant à leine blanche, Moby Dick, par le 03 56 51 14 00, du 6 au 17/10. Jean-Quentin Châtelain pour capitaine Achab est un récit Puis au Nouvel Olympia à Tours, du 3 au 7/11 qui j’ai fait ce projet. Jean-Quen - épique. Ce qui m’a toujours inté - et au Lucernaire à Paris à partir du 20/01 tin était dans mes mises en scène ressé, c’est la rencontre de

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 55 à partir du L’EMBARRAS DU CHOIX 7 Oct. Théâtre de la Gaîté - Paris

Sébastien Azzopardi Le choix du spectateur

Sébastien Azzopardi est un homme très occupé. Co-directeur avec Francis Nani du Théâtre du Palais - Royal et du Théâtre Michel, il n’a pas renoncé à écrire et à jouer. Il présente sa nouvelle pièce L’embarras du choix coécrite avec son complice Sacha Danino. Une des originalités réside dans sa dimension interactive : le public pourra intervenir r d c

@ sur le déroulement de l’action.

Théâtral magazine : En quoi construit un tronc commun, et Si vous-même, sur le modèle de L’embarras du choix est-elle ensuite des embranchements votre héros, vous deviez faire une pièce interactive ? qui divergent selon les décisions un choix entre vos différentes Sébastien Azzopardi : Le héros que prend le héros. Nous avons activités ? a du mal à faire un choix lorsqu’il donc plusieurs scénarios écrits En tous cas, je ne demanderais est confronté à un dilemme im - en prévision des réactions du pu - pas l’avis du public (rires) . Ce qui portant. Au lieu d’aller voir un blic. La pièce sera donc diffé - est vital pour moi, c’est d’écrire ami, ou un parent, il se tourne rente d’un soir sur l’autre. et de jouer. Quand je suis sur vers le public qui après un débat Quelle sera la tonalité de L’em - scène, je vibre. Le travail de di - lui donne un conseil. Cette di - barras du choix ? Est-ce une co - recteur de théâtre, très chrono - mension interactive n’est pas médie ? phage, n’apporte pas forcément nouvelle dans ce que nous écri - Oui, c’est une comédie, mais dif - des joies aussi puissantes, mais vons. Elle apparaissait déjà dans férente de nos pièces précé - il me permet de produire les Mission Florimond et dans La dentes. Dernier coup de ciseaux pièces qui m’intéressent et qui Dame blanche. Mais ici nous al - s’apparentait à l’univers de la me touchent. Il me donne les lons plus loin puisque le public bande dessinée. Ici, on est moyens d’une liberté qui est très va influer sur la trajectoire du dans des situations très réa - importante pour moi. Cela a héros. Cette interactivité pré - listes, quotidiennes, doulou - donc un sens de tout mener de sente l’avantage de faciliter reuses auxquelles chacun front. Après, tout est affaire d’or - l’identification du spectateur d’entre nous a été un jour ganisation ! avec le héros. Mais pour être ef - confronté . Par exemple le pro - Propos recueillis par ficace, elle ne doit pas être gra - blème de savoir s’il faut renoncer Jean-François Mondot tuite et répondre à une nécessité à un certain confort pour réaliser dramatique. ses rêves d’enfance. C’est donc Mais les conseils des specta - une comédie sans doute moins n L’embarras du choix, de Sébastien Azzopardi teurs vont inévitablement va - débridée que d’autres choses et Sacha Danino, mise en scène Sébastien rier d’un soir à l’autre. Comment que nous avons pu écrire. Nous Azzopardi, avec Sébastien Azzopardi, Alyzée allez-vous y répondre ? ne nous sommes pas interdits Costes... Théâtre de la Gaîté, 26 rue de la Gaîté La pièce est conçue comme une des moments d’une certaine gra - 75014 Paris, 01 43 20 60 56, à partir du 7/10 arborescence. Nous avons vité.

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à partir du PARLE MENT 8 Théâtre de la Bastille – Paris Oct.

d’un extrait, à un autre par des transitions différentes. Je repro - Emmanuelle Lafon duis du son, en le rendant extrê - mement vivant et en Paroles brutes m’adressant au public. Je parle, je leur parle, je fais vivre, j’inter - Cette rentrée, le Festival d’Automne consacre un prète une partition sonore au plus près en me servant de ce portrait à l’Encyclopédie de la Parole, ce projet de que c’est qu’être comédienne. recherche artistique initié par Joris Lacoste en 2007 C’est contraignant car ce n’est regroupant des artistes de tous horizons (poètes, pas un texte, je reproduis à l’into - nation et à la virgule près ce que metteurs en scène, sociolinguistes, compositeurs, j’ai entendu. J’ai ma voix, je peux chorégraphes…) autour de pratiques différentes la changer, m’en amuser, avoir sur l’oralité. En 2009, la comédienne Emmanuelle recours à mon outillage d’actrice. Lafon rejoint le collectif en créant Parlement , une Je suis donc actrice et musi - cienne, avec ce côté perfor - forme courte éminemment poétique qu’elle mance aussi comme un récital. donnera dans son intégralité au Théâtre de la L’espace mental de chaque spec - Bastille du 8 au 14 octobre. tateur est ouvert et libre ; ils re - connaissent les extraits, se Théâtral magazine : Quelle est reproduis. Rien n’est inventé, tout sentent pris à parti. Cela ac - la spécificité de Parlement ? a un jour été prononcé. Durant tionne un dispositif très fort Emmanuelle Lafon : A travers une heure on passe par exemple entre le parlant et l’écoutant. une seule bouche, plus d’une cen - d’un message laissé sur un répon - Et au-delà de la forme orale, y taine de personnes vont parler. deur par un conseiller bancaire à a-t-il un message ? Une partition faite de l’assem - un enseignement de Gilles De - Ce qui justifie le bout à bout c’est blage d’une centaine d’enregis - leuze, d’ Amour gloire et beauté à l’hétérogénéité maximale de trements de paroles, que je un poème dit par Maria Casarès, genres que l’on va alterner. Tout ou d’un commentaire de tiercé à est à écouter et envisager. La une plaidoirie de Vergès. Un bout question fond-forme est transcen - à bout, sans hiérarchie établie dée par ce genre. C’est de la pure entre les sources, les genres et les poésie faite avec l’ordinaire de natures de ces paroles. tous les jours, avec ce que l’on est, Cela se regarde ou s’écoute-t-il ? ce que l’on se dit. Un monument à On écoute la forme qu’a la la parole qui s’évanouit dès que parole comme si c’était de la fini, et à reconstruire le lendemain. musique, comme si on l’avait Propos recueillis par prélevée dans le réel pour François Varlin l’examiner. C’est un peu cubiste. On peut alors la déconstruire, voir son pouvoir et sa portée… Une n Parlement, conception, Encyclopédie idée conceptuelle très pauvre qui de la parole, composition et mise scène, ouvre sur un monde ! Joris Lacoste, avec Emmanuelle Lafon. Faites-vous là un travail de co - Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette médienne ? 75011 Paris, 01 43 57 42 14, En tant qu’interprète, seule au du 8 au 14/10 r d micro, je passe d’un document, @

Théâtral 58 magazine Septembre - Octobre 2020 LE PETIT COIFFEUR à partir du Théâtre Rive-Gauche - Paris 8 Oct.

Jean -Philippe Daguerre L’Histoire est un tremplin Adieu Monsieur Haffmann captée dernièrement au Théâtre du Châtelet et adaptée au cinéma par Fred Cayavé avant de traverser la Seine pour s’installer au théâtre de l’Oeuvre ; une nouvelle pièce, le Petit Coiffeur, publiée chez Albin-Michel avant sa création ; sans compter ses classiques e n i a qui reprennent au Ranelagh… Jean-Philippe H

é v r e Daguerre est sur tous les fronts. H

@

Théâtral magazine : Vous revenez Les deux. En parlant de ces vio - Azzopardi, nous avons imaginé un à la Seconde Guerre Mondiale. lences, je m’interroge sur nos divi - système de transformation qui per - Jean-Philippe Daguerre : Je suis sions actuelles. Pour moi, met d’avoir cinq décors en même né en 1968 mais c’est une période l’Histoire est un tremplin. J’essaie temps, les plus beaux que je n’ai ja - qui m’a profondément marqué. d’apporter de la complexité et de mais eus. Les décors bougent en Collégien, j’ai visité Auschwitz, l’indulgence pour mes person - même temps que les personnages, cela a changé ma vie. Mes grands- nages, de leur offrir la possibilité c’est très chorégraphique. pères, au Pays Basque et à Mon - de l’amour. La famille est aussi un Comment sortez-vous du confi - tauban, parlaient peu de la guerre sujet qui me passionne. nement ? mais on sentait que le poids était Comment avez-vous écrit cette Il ne faut pas se leurrer, le théâtre toujours là, il y avait encore des pièce ? privé est en grande difficulté. On gens à éviter parce qu’ils ne Je me suis installé à Chartres, à est forcés de rester optimistes. Le s’étaient pas bien comportés. l’hôtel du Grand Monarque, qui théâtre existe depuis la nuit des Pourquoi l’épuration ? avait été réquisitionné par la Ges - temps. Quand nous avons re - La fille de m’a ra - tapo. J’ai écrit en six jours, sans trouvé la scène pour la captation conté que son père avait assisté beaucoup dormir. Je pars d’une au Châtelet d’ Adieu Monsieur à des scènes d’humiliations et des idée globale, sans plan de travail, Haffmann, les comédiens étaient exécutions de femmes pendant je laisse l’imprévu prendre le des - bouleversés. Trois mois sans théâ - l’épuration, ces épisodes avaient sus. J’ai une écriture très émotion - tre… Je ne me souviens pas d’une influencé son écriture. Je suis en - nelle, je suis en transe, je pleure, émotion comparable. suite tombé sur cette photo de je ris, j’imagine les douleurs des Propos recueillis par Robert Capa prise à Chartres en personnages, leurs cicatrices, Patrice Trapier 1944, une femme tondue fuyant leurs secrets. Et puis je voulais la foule, son bébé dans les bras. écrire sur des femmes, j’ai toujours n Le Petit Coiffeur, texte et mise en scène Chartres, ce n’est pas anodin, envie de mieux les comprendre. Jean-Philippe Daguerre, avec Brigitte Faure, c’est là où Jean Moulin, préfet, a Comment ce thème a-t-il produit Charlotte Matzneff, Félix Beaupérin, Arnaud été torturé avant de rejoindre la une pièce de théâtre ? Dupont, Romain Lagarde. résistance. En écrivant, je visualise beaucoup. Théâtre Rive Gauche, 6 rue de la Gaité 75014 Votre pièce parle-t-elle d’hier ou Je tenais à rester sur un registre Paris, 01 43 35 32 31, à partir du 8/10 d’aujourd’hui ? pas trop naturaliste. Avec Juliette

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 59 à partir du LE REPAS DES FAUVES 8 12 HOMMES EN COLÈRE Oct. Théâtre Hébertot – Paris

Thierry Frémont en mode chorus Double actualité au théâtre Hébertot pour Thierry Frémont. Dès le mois d’octobre, il rejoint l’équipe de 12 Hommes en colère en première partie de soirée à 19h et celle du Repas des fauves qui se jouera à 21h dans une nouvelle r d reprise. Deux pièces chorus. @

l bout de ne pouvoir commencer sont abattus dans la rue et que la man. Le théâtre Hébertot rouvre les répétions avant le mois de Gestapo demande à deux parti - donc avec deux succès qui ont septembre. Précautions sani - cipants de se constituer otages fait leurs preuves, se battant bra - taires obligent… Thierry Fré - en représailles. "La pièce est vement contre la crise sanitaire mont est à l’affiche de la reprise d’une sublime cruauté et ra - qui a aggravé une crise écono - I du Repas des fauves , grand suc - conte combien l’être humain mique généralisée dans le sec - cès du théâtre Michel de 2010 à peut être sauvage dans une teur privé du spectacle. Frémont 2013. Davy Sardou sera égale - situation de survie . Les bonnes tonne : "Il n’y a pas eu de renou - ment de la distribution qui réunit manières sautent très vite ! Il y a vellement de spectateurs dans le l’essentiel de l’équipe de la créa - un beau verbe, la belle plume de privé ; c’est un public âgé. Un pro - tion dans une version légère - Vahé Katcha, le début est sur un blème de régénérescence qui ne se ment nouvelle que Julien Sibre ton enlevé, et puis cela devient pose pas dans le subventionné. remet en scène après réécriture très sérieux. On rit, tellement c’est Peut-être est-ce dû à des idées pré - du scénario dans l’optique d’un devenu cruel. Mon personnage a conçues, fausses, que le théâtre film futur. "Ils nous ont accueillis si peur de mourir qu’il est prêt à privé est vieillot. Il faut que les à bras ouverts ! C’est une pièce tout. Chaque caractère est très jeunes aillent au théâtre privé. De chorus, mais je n’ai jamais fait de bien raconté, dessiné, et cela bons auteurs et de jeunes met - théâtre pour me sentir seul en dresse un portrait de la société teurs en scène s’y expriment ; ce scène. Je veux jouer avec des par - française en 1942. Cela raconte n’est pas une question de qualité." tenaires. Je n’ai pas besoin de me une France". François Varlin distinguer en étant celui qui a le plus de mots à dire ; je défends un Jouer deux spectacles à la texte d’abord". suite dans une même soirée, n Le Repas des Fauves, de Vahé Katcha, mise en Thierry Frémont l’a déjà fait en scène Julien Sibre, avec Thierry Frémont, Davy Ce texte, c’est celui de l’écri - 2012 ( Hollywood et Inconnu à Sardou, Julien Sibre… à partir du 8/10 vain Vahé Katcha, texte aux al - cette adresse ) ; le challenge ne lui n 12 Hommes en colère, mise en scène Charles lures de comédie au début, fait pas peur : "J’avais adoré Tordjman, avec Thierry Frémont, Pierre-Alain racontant un dîner parisien sous cela."12 Hommes en colère en Leleu, Francis Lombrail… à partir du 8/10 l’occupation allemande en 1942, effet entame sa troisième saison > Théâtre Hébertot,78 bis bd des Batignolles puis sombrant dans le drame et troisième distribution dans la 75017 Paris, 01 43 87 23 23 lorsque deux officiers allemands mise en scène de Charles Tordj -

60 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020

à partir du LA REINE DE LA PISTE 14 Comédie de Caen Oct. et tournée Helena Noguerra emmène ses chansons au théâtre

Actrice, chanteuse, elle mélange ses différentes facettes avec La Reine de la piste intégrant ses chansons à une trame narrative. Pierre Notte a construit pour elle cet écrin, en débusquant au passage les fêlures sous le sucre vanillé de chansons apparemment légères et gracieuses. r d

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Théâtral magazine : Comment e s

qualifier La Reine de la piste ? @ Helena Noguerra : Ce n’est pas une comédie musicale, pas vrai - Non, ce n’est pas un autopor - chansons, quelques morceaux ment non plus un cabaret même trait, mais une fiction émail - de Barbara et de Dalida. Même si cela y ressemble par moments. lée de certaines résonnances si je serai accompagnée sur C’est une succession de mono - autobiographiques. Pierre scène par trois musiciens, le logues dans lesquels mes chan - Notte n’a pas recueilli mes confi - texte et les chansons reposent sons viennent s’insérer. J’ai voulu dences avant d’écrire. Il a simple - sur moi. Cela demande pas mal emmener mes chansons au ment écouté mes disques de concentration et d’énergie. théâtre. J’ai demandé à Pierre pendant deux mois. Il a été ca - C’est une des choses les plus dif - Notte de construire une fiction pable d’y capter des choses in - ficiles que j’aie jamais faites, qui leur servirait de trame. L’idée times, qui n’étaient pourtant pas mais aussi une des plus stimu - lui a plu et l’a inspiré. si explicites. Par exemple une lantes ! Quel scénario Pierre Notte a-t- certaine violence, et des mo - Propos recueillis par il imaginé pour relier vos chan - ments de désespoir. Nous nous Jean-François Mondot sons ? sommes découverts assez C’est l’histoire d’une femme qui proches sur les émotions fonda - se rend à une fête à laquelle elle mentales que nous ressentons. n’est pas conviée. Elle s’aperçoit Mais je suis allée plutôt du côté très vite qu’il s’agit de ses pro - de l’univers de Jacques Demy, et n La Reine de la piste, de Pierre Notte, pres funérailles. Elle prend alors lui du côté de celui de Pasolini. avec Helena Noguerra et Philippe Eveno la parole pour mettre les choses Quelle sera l’ambiance musi - (guitare), Agathe Issartier (violoncelle), au point et rétablir un certain cale du spectacle ? Cyrus Hordé (claviers) nombre de vérités. Les chansons Les formes musicales bougent 14/10 Comédie de Caen, 1 square du Théâtre viennent s’intégrer dans cette évidemment en fonction du 14200 Hérouville Saint-Clair, 02 31 46 27 29 parole qui se libère. Au fond, texte. Cela ira parfois du côté de 25 au 28/11 Théâtre de la Ville-Espace Pierre c’est une pièce très féministe. la pop ou de la variété, et parfois Cardin, 1 avenue Gabriel 75008 Paris Cette femme qui dit sa vérité, du côté de la Bossa Nova. Je re - c’est vous ? prendrai, en plus de mes propres

62 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 à partir du LE JEU DES OMBRES La FabricA - Avignon 23 Oct. Jean Bellorini Le 25 juillet, France 5 retransmettait la captation du Jeu des ombres de Valère Novarina, mis en scène par Jean Bellorini. La pièce devait avoir lieu cet été dans la Cour d’Honneur à Avignon. Elle a été filmée sans public au TNP de Villeurbanne que dirige Jean Bellorini et sera enfin jouée devant du public à l’automne dans le cadre de la Semaine d’Art à Avignon. Réanimer les fantômes

Théâtral magazine : Comment résonne très fort avec ce qu'on a s'est passée la création, avec tous vécu. Le spectacle parle de s a c des répétitions dans les condi - notre capacité à aimer. Et ça se u L

s n tions post-confinement ? traduit chez Novarina par une a H

Jean Bellorini : J'ai tout mis en écriture polyphonique avec des @ œuvre dans le théâtre pour que mots qui ont plusieurs significa - les règles sanitaires soient respec - tions : on ne se parle pas unique - A un moment donné, il cite le tées avec pour but de préserver le ment pour communiquer, pangolin. Est-ce une référence à plateau et libérer les acteurs dans s’informer, mais pour prendre l’épidémie ? cet espace. Après, la langue de conscience l'un de l'autre. A C'est très étrange mais c’était dans Valère Novarina est très frontale, côté de cet aspect philosophique, la première version que j’ai reçue très adressée au public, qu’elle ex - c’est joyeux. La pièce est aussi une début janvier alors que personne à prime une solitude ou une convo - parabole de cette forme d'éter - ce moment-là n'en avait parlé. Il y cation de l'au-delà, et donc il y a nité qu’est le théâtre. Le théâtre avait même un personnage qui peu de moments totalement sen - réanime quelque part les fan - s'appelait le pangolin. suels et rapprochés, même si ça tômes. Et un acteur est addi - La pièce est truffée de listes parle d’un manque amoureux. tionné de toutes les multitudes de d’animaux, d’oiseaux, de La perspective de la diffusion a- personnages qu’il a joués. plantes… t-elle compté dans votre façon C’est vous qui avez commandé Cette écriture cumulative est pro - de mettre en scène ? la pièce à Valère Novarina… pre à Novarina. Mais là, on a l'im - Oui bien sûr. On a d’abord fait une Quand on m'a proposé d'être pression que ça parle de notre première version sans se soucier dans la Cour d'Honneur, je voulais monde et que tous ces noms d’es - des caméras. Après on a travaillé le faire avec un grand mythe uni - pèces prononcés évoquent des pendant 15 jours en perspective versel, celui d’Orphée et d’Eury - pertes. Et je trouvais très beau de du film. On a pris le temps d'ima - dice. Je voulais aussi qu'il y ait finir avec des listes d’oiseaux giner les caméras sur le plateau et beaucoup de musique comme parce qu’on ne voit plus les oi - de réfléchir aux plans. Et je pense dans les spectacles qu'on fait de - seaux voler. qu’il y aura une troisième version puis des années. Et le faire avec Propos recueillis par pour les représentations en public. Valère Novarina, parce que l’un Hélène Chevrier La pièce parle du refus de la des premiers spectacles que j'ai mort. Evidemment, cela résonne monté avec Marie Ballet, c’était n Le jeu des ombres, de Valère Novarina, mise en fortement aujourd’hui… L'Opérette imaginaire de lui. Il a scène Jean Bellorini. La FabricA Semaine d'Art en Oui cette quête d’un homme qui écrit une pièce immense, très Avignon, 11 rue Paul Achard 84000 Avignon vient chercher la femme qu’il longue, très forte et j'en ai du 23 au 30/10 aime et prend le risque de mourir presque pris que des extraits.

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 63 Dossier

> Nous, dans le désordre, écriture et mise en scène Estelle Savasta

64 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 La peur de l’avenir

e contexte n’est pas très drôle . Et les pièces à l’affiche cette rentrée reflètent la tendance. Oblomov, Nous, dans le désordre, Yourte, A l’abordage !, Les parents terribles, Saint- Félix Enquête sur un hameau français, _jeanne_dark_, ou Un monde meilleur trahissent une inquiétude sur l’avenir dans notre monde. Les causes, on les connaît : désastre écologique, désastre sanitaire, désastre économique, désastre culturel. Le capitalisme est allé au bout de ses limites, a épuisé les res - sources de la planète, a détruit l’éco système et a abreuvé les foules Ld’images abêtissantes. On se croirait dans une dystopie mais c’est la réalité. Et c’est principalement la jeunesse qui en paye les frais. Alors elle tente de résister, de s’organiser, de combattre pour échapper au système… La bonne nouvelle, c’est qu’elle n’est pas que désespérée, que l’énergie du désir peut raviver une vision optimiste de l’avenir. Hélène Chevrier

Avec les interviews exclusives de Vincent Cespedes, Gabrielle Chalmont, Clément Poirée, Estelle Savasta, Robin Renucci, Elise Chatauret, Marion Siéfert, Benoît Lambert c a j l e j i B a c i n a D

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Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 65 DOSSIER

Vincent Cespedes Le théâtre de l’avenir

Le philosophe Vincent Cespedes vient d’écrire un livre, Le monde est flou (en janvier 2021, chez Plon), dans lequel il analyse la peur grandissante de l’avenir. Pour lui, elle provient d’un morcellement de la narration. r d

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Un certain nombre de pièces de la flou. Mais certains y trouvent un élé - créativité, il y a un tel fonds du passé rentrée montrent des jeunes in - ment de liberté. C'est un peu comme qu'il peut nous nourrir. Il faut prendre quiets face à l’avenir. Est-ce une un self avec 50 milliards de choix. On dans le passé des choses qui pour - peur propre à la jeunesse ou à notre a peu de chances de se retrouver avec raient nous dire comment ne plus monde contemporain ? le même plateau et le même fromage avoir peur de l'avenir. Vincent Cespedes : Les grands récits quand on est face-à-face. Et comme au début étaient faits par des com - ça fonctionne par bulles algorith - Dans Les Parents terribles , on a des munautés stables dans le temps, des miques - si je regarde une vidéo You - parents qui ont du mal à laisser la romanciers, des auteurs dramatiques Tube je regarderais toujours le même place à leurs enfants. Le père pour reconnus. Aujourd’hui, il y a un mor - genre de vidéo - on est tous isolés les rester jeune et la mère pour garder cellement narratif. Avec les réseaux uns des autres en fonction des choix son fils auprès d’elle. sociaux, avec la possibilité d'éditer premiers qu’on fait. C’est pourquoi on La peur de l'avenir vient aussi beau - très facilement, chacun peut expri - parle souvent d’absence de lien. Or coup du discours que les vieux ont sur mer sa fibre artistique, transmettre sa cette absence de lien n’est pas affec - la jeunesse. Or, la jeunesse est tout le vision et fédérer beaucoup de monde. tive, mais narrative. temps la même. Ce sont les vieux qui Du coup, il y a un émiettement se font peur et qui critiquent les des grandes narrations et du Mais comment et où retrouver des jeunes. Platon le faisait déjà à son sens, et par conséquent une grandes narrations alors qu’on a époque. C’est très intéressant de voir sorte d'atomisation sociale exis - l’impression que la créativité que dans toutes les dystopies qui tentielle ; une chose qui a du sens s’épuise ? nous font peur sur l'avenir, les jeunes rassemble, fédère. C'est dû à la pé - Pour imposer du mythe collectif, une ont soit un truc qui bugge, soit ils su - riode qu’on vit, ce que j'appelle la des premières grandes tentatives a bissent le sadisme des vieux. Kinji Fu - cyber modernité. Dès qu'il y a un dis - été le recyclage, le sample. On parle kasaku, ce cinéaste qui a vécu la cours un peu officiel, il y a 50 contre de sampling en musique quand on violence de la seconde guerre mon - discours qui arrivent. Regardez le pro - prend une vieille musique des années diale et a influencé des réalisateurs blème des masques. On nous dit qu’il 50 et qu'on la refait en rap. On la re - comme Tarantino, a sorti en 2000 faut porter les masques et puis on voit prend, on l'accélère, on la triture, on Battle Royale un film dans lequel des surgir des anti masques et puis des la bidule. Au théâtre c'est pareil, on jeunes se font exterminer : on prend anti masques de telle catégorie... Ça prend des œuvres du passé et on les une classe de terminale au hasard, on favorise les théories complotistes, les réactualise. Heiner Müller l’a fait avec l’envoie sur une île, et les élèves doi - vérités alternatives… il y a autant de Médée-Matériau . Plein d’auteurs s’ins - vent s’entretuer. C'est Divergente racismes que de couleurs de peau, au - pirent d’œuvres existantes, trouvent avant Divergente . La télé réalité fait tant de féminismes que de femmes et leurs idées aussi dans des films. Donc la même chose depuis les années de genres sexuels… Et ça donne du même s'il y a un épuisement de la 2000 en donnant un spectacle de sa -

66 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LA PEUR DE L’AVENIR

disation organisée de la jeunesse. Il y pièces, c’est comment je me réappro - tion des jeunes. Est-ce par dépres - a toujours un jury sadique qui prie ma puissance narrative. Ce n'est sion, manque d’énergie ? juge une jeunesse soumise. Et ça pas le monde en lui-même qui va mal L’énergie est toujours la même. Mais c'est une machine à faire déses - ou pas mal. C'est notre façon de le ra - elle est dévoyée dans une sorte de pérer de l'avenir. On a besoin conter. Avant on disait se faire son folie de l'image au détriment du d'un spectacle d'une jeunesse sa - film et maintenant il s’agit de se faire texte. Devant l'image, on est passif, disée pour se déresponsabiliser en son théâtre, de se faire son monde. Le on n'est pas co acteur et coréalisateur tant qu'adulte du merdier qu'on a philosophe Nelson Goodman parle de de la chose. Alors que dans un livre on mis ; j'ai bousillé la planète Terre et je "worldmaking ". Le "faire monde " doit coréaliser et coagir. Il y a une par - vais dire que les jeunes sont des cons. passe par les mots et une théâtralisa - ticipation narrative et affective. Il Ce que subit Greta Thunberg c'est tion des mots. C'est-à-dire des mots faut être capable de voir le monde exactement ça. Le bashing de tous les qui vous donnent envie de vous met - comme ça et puis comme ça et puis éditocrates contre elle est d'une vio - tre dans la peau de ce que vous dites, aussi comme ça. Ce goût à réinterpré - lence obscène. On lui reproche de ne qui vous donnent envie d'être joué, ter les choses (ce que j’appelle la puis - pas correspondre aux critères de la fé - d'être incarné. Raconter une histoire sance narrative) se perd dans un minité et elle répond "comment osez- c'est déjà transformer le monde. Le monde d'images et le texte doit être vous ? Je vous emmerde, je n'ai pas à problème du monde c'est la victoire réhabilité pour ça. La seule possibi - me justifier." C’est théâtral. C'est du du cinéma sur le théâtre. Le cinéma lité, c'est en rendant les jeunes au - théâtre de très haut niveau. est omni présent et le théâtre beau - teurs de textes. Il faut faire du coup moins et le Coronavirus n'a pas théâtre, écrire, écrire, écrire. L'école a La solution passe par le théâtre ? arrangé les choses. Il faut revenir à du un rôle énorme à jouer là-dedans. Le théâtre est génial pour ça beau - théâtre. Si on a suffisamment de ri - Mais pas selon un système vertical où coup plus que le cinéma. La peur de chesse narrative, on peut se raconter il y a ceux qui écrivent et ceux qui re - l'avenir est un des grands thèmes du une très belle histoire. L'optimisme, çoivent l'écrit. Il faut une école de la théâtre parce que le théâtre peut c'est cette capacité de se raconter la créativité. aller loin dans la symbolisation du dé - meilleure histoire parmi la palette des sastre. Ce que ne permet pas le ci - possibles. Quels sont les exemples aujourd’hui néma. Au théâtre, on s'interroge, de grandes narrations de l’avenir ? quelque soit le genre d’ailleurs, la tra - Comment toucher les jeunes ? Les Gilets Jaunes : là où ils étaient les gédie fonctionnant sur ce principe-là, Il faut entrer dans leurs réseaux pour plus forts c'est quand ils racontaient avec une issue fatale. C'est très nour - pouvoir leur dire qu'il y a plein de fa - leur vie autrement qu’avec le discours rissant en terme de narration. Quand çons de raconter les histoires. On sait officiel. Florence Aubenas a pris la on sort d'une pièce, on a de la puis - que dès qu'on leur raconte une his - plume pour eux. Elle est géniale pour sance narrative parce que le théâtre toire un peu différente par rapport à ça. C'est une des grandes narratrices télécharge en nous une capacité nar - ce à quoi ils sont habitués, ils disent de l'actualité. Et évidemment Greta rative. Oui, le théâtre est une thérapie que c’est "malaisant ", un adjectif qui Thunberg représente une révolution de l’éclatement narratif de notre vient des années 2000. Alors, il faut narrative. Elle parle autrement. Je cyber modernité. leur apprendre à être malaisants, à pense que les révolutions qui nous re - sortir de leur zone de narration habi - mettront dans la course, ce sont les Mais est-ce que le monde d’au - tuelle. Avec des clowns par exemple. révolutions narratives qui nous don - jourd’hui ne serait quand même pas Nous avons besoin de l’humour du neront envie de faire partie de l'His - plus mal en point qu’avant ? clown pour les aider à assumer leur toire. Bien sûr, il y a la situation écologique. malaisance. Parce qu’une narration Propos recueillis par Je crois que la réponse est dans nouvelle va enrichir leur palette, leurs Hélène Chevrier Yourte . Le sujet c’est comment on goûts, leurs vitamines. Il faut appor - peut se libérer du monde qu'on a ter aux jeunes le goût de la diversité construit ? Comment on peut s'affran - narrative. chir des institutions qui sont là ? Com - n Le monde est flou. L’avenir des ment on change les règles du jeu ? Et Un autre point commun à toutes ces intelligents, de Vincent Cespedes. c'est le point commun de toutes ces pièces, c’est la passivité de la réac - Chez Plon en janvier 2021

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 67 DOSSIER

A l’abordage ! Clément Poirée Le triomphe de la jeunesse

Clément Poirée a confié à Emmanuelle Bayamack-Tam r e i c r Triomphe de l’amour e la réécriture du de Marivaux. Cela M

e n a i

donne A l’abordage ! , une pièce sur le triomphe de la r A

jeunesse boostée par un désir conquérant. @

A l'abordage ! est une pièce qui beaucoup de liberté. Il y a quelque on ne peut rien. Si on n’arrête pas s’adresse aux jeunes. chose de l'innocence de l'enfance de dire à cette génération qu’elle Clément Poirée : C’est une pièce chez Emmanuelle qui me séduit va mourir sauf si elle se met dans pour la jeunesse, sur la découverte beaucoup. C'est comme si un en - une cave en attendant que la ca - de soi et la question de la protec - fant débarrassé du poids du regard tastrophe écologique, atomique ou tion. La jeune génération a besoin social abordait la question de virologique dératise l'humanité eh d'entendre qu'on peut vivre sans l'amour et du désir comme il a bien, elle va péter la digue. Certes, laisser les peurs décider de tout. abordé avant ses jeux d'enfants. nous sommes une société vieillis - C’est un texte que vous avez com - Là on a un garçon protégé au sein sante mais il y a quand même une mandé à Emmanuelle Bayamack- d'une communauté de la violence jeunesse et c'est elle qui peut ap - Tam. des émotions fortes et cela met la porter des solutions. C'est comme J'ai découvert Emmanuelle Baya - jeune fille dans une rage folle, radi - ça qu'une société avance. mack-Tam qui écrit aussi sous le cale. Elle veut foutre en l'air la gé - Comment allez-vous transmettre nom de Rebecca Lighieri, avec Ar - nération de ces bien-pensants qui cette vitalité sur scène ? cadie . J'ai eu envie de la rencontrer veulent protéger la jeunesse des La pièce a lieu dans un jardin et d’autant plus quand j'ai appris risques d'une vraie relation. comme la pièce de Marivaux d'ail - qu'elle tournait un peu autour du Et puis il y a le côté inaccessible. leurs mais on se balade un peu théâtre et je lui ai fait part de mon C'est sûr que c'est une jeune fille entre intérieur et extérieur avec désir d'adapter Le triomphe de qui ne s'en laisse pas compter. On une serre où la communauté du l'amour parce que j’y voyais un lien ne lui dit pas non. Cela s'appelle A jeune homme s'adonne à la perma - avec Arcadie . l'abordage ! . Et puis c'est un duo culture. Dans A l’abordage ! , c’est une avec deux jeunes femmes qui n'ont Propos recueillis par jeune fille qui tombe amoureuse pas le même tempérament. Il y en Hélène Chevrier d’un jeune homme, plus une prin - a une qui est beaucoup plus épicu - cesse qui veut rendre son trône à rienne et qui est assez heureuse là un jeune prince déshérité. C’est le où elle est et puis il y a cette jeune n À l’abordage ! texte Emmanuelle désir qui est dominant. Sasha qui est une conquérante de Bayamack-Tam d’après Le Triomphe Le désir n'est qu'une expression de l'amour et qui pour arriver à ses fins de l’amour de Marivaux, mise en scène l'amour qui parfois est passé sous si - est prête à séduire toutes les per - Clément Poirée. lence. Il est rapidement dévalué et sonnes qui sont entre elle et l'objet Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, un peu sali comme si l'amour était de son amour. Il y a aussi une his - Route du Champ de Manœuvre 75012 une belle chose et le désir crapu - toire de choc de générations. Il y a Paris, 01 43 28 36 36, leux. Or Emmanuelle en parle avec des élans de vitalité contre lesquels du 11/09 au 18/10

68 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LA PEUR DE L’AVENIR

Saint-Félix Elise Chatauret D’autres vies que la sienne Elise Chatauret poursuit un chemin très original : un théâtre de la réalité française, avec Saint-Félix , repris 2 C aux Célestins de Lyon en ce début de saison, et A la M

@ vie ! qui sera créé en novembre.

Vous avez été formée au Conser - lité minimum où l’on voit s’organi - car elles favorisent l’expression de vatoire. Vous vouliez être comé - ser une collectivité à cette échelle. la parole restituée : "il a dit que", dienne ? Je suis tombée sur ce très beau lieu "elle a dit que "… Elise Chatauret : Au Conserva - où la plupart des habitants sont Le spectacle suivant poursuit la toire, j’étais dans la classe de mise des étrangers. La pièce se concen - même quête ? en scène. Après, j’ai monté un clas - tre sur ces personnages avec, en ar - A la vie ! , toujours fait à partir de sique, travaillé avec des amateurs rière-plan, la présence d’un petit conversations, est sur la fin de vie. mais je cherchais d’autres maté - fantôme, une jeune fille morte à 30 En fait, j’ai toujours en moi une riaux. A partir du moment où j’ai ans, dont j’ai découvert la tombe autre question : qu’est-ce que le créé ma compagnie Babel, en au cimetière : elle figure la jeu - théâtre ? Le jour où j’aurai la ré - 2008, j’ai pu faire un théâtre écrit nesse dans ce village vieillissant. ponse, j’arrêterai. à base d’entretiens. Ce sont des en - L’objectif est de détruire les Propos recueillis par tretiens très profonds, qui durent images, les stéréotypes. Qu’est-ce Gilles Costaz de quatre à cinq heures. Quand on que la France ? Une réunion de na - prend le temps, la complexité des tionalités vivant ensemble. Nous gens apparaît. Je me reconnais n’idéalisons pas. C’est parfois cri - dans le titre du livre d’Emmanuel tique. Mais les villageois eux- Carrère : D’autres vies que la mêmes ont vu le spectacle et ont mienne . Je m’intéresse aux autres. aimé la façon dont nous les repré - n Saint-Félix, texte et mise en scène De toute façon, être comédien, sentions. Elise Chatauret, avec Justine Bachelet, metteur en scène, c’est être un N’êtes-vous pas à cheval entre le Solenn Keravis, Emmanuel Matte, autre. réel et la fiction ? Charles Zevaco. Théâtre des Célestins Ce village de Saint-Félix, qui Je n’emploie pas le terme de théâ - 4 rue Charles Dullin 69002 Lyon, donne son nom à ce spectacle qui tre documentaire parce qu’on tra - 04 72 77 40 00, du 22/9 au 3/10. vient à Lyon après sa création à duit toujours le réel par la fiction, Puis Arles, 7-8/01. Gap, 12-13/01. la Tempête et au 104, est-il réel par des outils artificiels. Avec la Malakoff, 21-22/01. Saran, 18/02. ou imaginaire ? mise en scène et la scénographie, Privas, 11-12/03. Thouars, 25/03. C’est un village véritable, un ha - nous voulons que le spectateur Monaco, 25/08 meau même. Je ne dis pas où il se entre dans l’enquête en même trouve et toute l’équipe s’est enga - temps que nous. Les éléments du n A la vie !, d’Elise Chatauret et gée à garder le secret, pour qu’il village arrivent peu à peu, sous Thomas Pondevie, MC2, Grenoble, du puisse représenter n’importe quel forme de miniatures, dans la boîte 3 au 9/11, puis Tempête, Paris, du village d’ici. Je cherchais une loca - noire. Il y a aussi des marionnettes 13/11 au 13/12

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 69 DOSSIER

en AG et le public fait partie de l'AG. Yourte Le spectacle suit leur évolution, leurs difficultés, leurs doutes… Qu'est-ce que représente la vie dans une yourte ? Pour moi la yourte c'est un peu le Gabrielle Chalmont mouton du Petit Prince . Cela peut être tout et n'importe quoi. Ce n'est pas l'objet de la yourte qui m'intéres - En communauté sait, mais l’expérience de la vie en complète autonomie. Et j'ai impres - Avec Yourte , Gabrielle Chalmont montre un groupe sion que cela ne peut avoir lieu qu’en d’amis d’enfance qui tentent la vie en communauté collectif. Une compagnie de théâtre, c'est déjà une petite communauté. Il au sein d’une yourte pour échapper au système. Le n’y a pas que la yourte, il y a plein spectacle suit leur expérience avec toute la fragilité d’autres solutions. de ce qu’elle implique. Est-ce que ça ne correspond pas à un besoin de la jeunesse de vivre en communauté ? Comment définiriez-vous le spec - Je ne crois pas, les gens qu'on a ren - tacle : est-ce du théâtre documen - contrés n’étaient pas jeunes. Ma taire, une vraie fiction ? mère, par exemple qui est céliba - Ce n'est pas du théâtre documen - taire, aimerait vivre dans une com - taire, même si le travail commence munauté avec des gens de son âge. par un travail d’enquête. Pour Mais notre société est construite au - Yourte , on a rencontré des gens qui tour de la famille. Beaucoup d’amies avaient eux-mêmes construit leur de ma mère disent aussi qu’elles ai - éco-lieu, des gens qui avaient réussi, meraient vivre avec des gens de leur des gens qui avaient échoué, des âge. Mais le jour où elles peuvent le r d

gens qui n'avaient pas du tout envie faire, il y a les petits-enfants qui arri - de faire ça. Mais au lieu de restituer @ vent et elles sont happées par leur la parole de ces gens-là sur le pla - petite tribu. Les grands-mères de - teau, on l’utilise pour en faire une fic - semble dans une grande viennent des baby-sitters gra - tion. Ça permet aux spectateurs de yourte et que tout événement tuites… Ce sera l’objet du prochain s'identifier aux personnages. Quand qui nous paraîtra douteux, on spectacle… je regarde un documentaire, je me n'y participera pas." On les re - Propos recueillis par dis qu’il y a des gens qui font vrai - trouve 20 ans plus tard en 2018. Il y Hélène Chevrier ment des trucs formidables ; quand en a un qui est devenu consultant en je vois une fiction je me dis que je management, alors que c’était le n Yourte, conception Gabrielle Chalmont pourrais faire comme eux. plus convaincu du groupe, sa sœur 1er au 17/09 théâtre 13 à Paris Que raconte le spectacle ? jumelle a monté une communauté 16/10 Saint-Rémy-les-chevreuses Ça part de quatre enfants entre 5 et avec d'autres amis avec qui elle vit 18/11 Le Champ de foire à Saint André de Cubzac 10 ans le soir de la Coupe du monde dans une yourte, un petit couple 19/11 Parthenay association Ah ? de 98. Ce sont les seuls enfants de formé depuis l’enfance et essaye 20/11 La caravelle à Marcheprime France qui ne veulent pas faire la d’être éco responsable, un autre est 21/11 Espace Simone Signoret à Canéjean fête et qui fabriquent un tipi en pen - paysagiste en fin de droits et rêve de 3/12 Meaux sant fabriquer une yourte et qui se partir dans la yourte rejoindre ses 19/03 Le Cube à Douvres-la-Délivrande font une promesse : "à partir amis. Finalement, ils se retrouvent 20/03 Rouen d'aujourd'hui, on se promet tous dedans pour essayer une se - 30/04 Espace Culturel à Treulon à Bruges que plus tard on vivra tous en - maine. Toutes les décisions se font 19/06 Fontenay-sous-bois

70 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LA PEUR DE L’AVENIR

_jeanne_dark_ Marion Siéfert Instagram pose des questions de nature théâtrale

Avec _jeanne_dark_ premier spectacle diffusé sur mon sens sont de nature théâtrale" Instagram, la jeune dramaturge Marion Siéfert relève-t-elle. s’intéresse moins à la figure historique, qu’à son Sur scène, son actrice-perfor - personnage d’adolescente malheureuse qui va à meuse Helena de Laurens aura travers elle retourner une situation de maltraitance. beaucoup de choses à faire puisqu’elle se filmera (à destination d’Instagram) tout en jouant pour les Dans Deux ou trois choses que spectateurs présents. La forme du je sais d’elle (2018) Marion Siefert spectacle s’annonce donc inno - faisait déjà s’entrechoquer le monde vante, inédite et stimulante. L’un du théâtre et celui des réseaux so - des aspects de la démarche de Ma - ciaux, en jouant avec ce que Face - rion Siéfert est de toucher un public book révélait sur certains différent : "J’aimerais que quelqu’un spectateurs. Avec _jeanne_dark_ , qui n’a jamais franchi la porte d’un son nouveau spectacle, elle va plus théâtre soit happé par les histoires loin : "C’est un spectacle pensé pour qu’il découvre sur Instagram, et que Instagram et qui sera montré en live cela lui donne envie de venir dans sur ce réseau, ce qui à ma connais - une salle de spectacle. Plutôt que r

sance n’a encore jamais été fait" pré - d d’amener les jeunes au théâtre et à

cise-t-elle. @ la culture, je pense qu’il est intéres - sant de tenter la démarche inverse, Son spectacle, très ambitieux, nuancée d’Instagram et des réseaux en allant vers eux, à travers des ap - brasse beaucoup de thèmes par le sociaux. Elle est consciente de leurs plications ou des réseaux où ils ont prisme d’une adolescente mal dans dérives (un déchaînement d’agressi - leurs repères et leurs habitudes. C’est sa peau, harcelée sur les réseaux so - vité gratuite) mais elle y voit aussi ce que je fais à travers un spectacle ciaux, qui par défi ou par bravade "un endroit de sociabilité, comme la comme celui-ci : je m’invite chez eux". choisit comme pseudonyme cour de l’école ou le club de gym, et Jean-François Mondot _jeanne_dark_. A travers cette nou - même un lieu d’information, sur le velle identité, elle assume tout ce racisme ou la sexualité" . que l’on dit d’elle : sa virginité, son catholicisme dont elle a du mal à se Pour elle, au fond, Instagram défaire, et sa violence. En se filmant n’est pas si éloigné d’une scène de n _jeanne_dark_, et en s’exprimant sur Instagram, elle théâtre : "A partir du moment où texte et mise en scène Marion Siéfert, va peu à peu sortir de son statut de quelqu’un s’expose devant un public, avec Helena de Laurens victime. même virtuel, à travers un média qui Théâtre de la Commune, 2 rue influence la représentation de soi- Edouard Poisson 93300 Aubervilliers, Marion Siéfert a une vision même, cela pose des questions qui à 01 48 33 16 16, à partir du 17/09

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 71 DOSSIER

Oblomov Robin Renucci Dans le cadre des Tréteaux de France, Robin Renucci met en scène des œuvres qui résonnent avec nos t o d

préoccupations contemporaines. Avec Oblomov , adapté r a B

e

par Nicolas Kerszenbaum de l’œuvre du roman d’Ivan h p o t s i Gontcharov (1859), il pose la question de la valeur du r h C - n a

temps : doit-on et peut-on se soustraire au temps e J

productif que la société exige de chacun de nous ? @ "Oblomov, c’est quelqu’un qui se confine"

Qui est Oblomov ? nombre de penseurs de son temps tion. J’ai donc imaginé une scéno - Robin Renucci : C’est un petit pro - comme Paul Lafargue et son droit graphie un peu cotonneuse, priétaire terrien dans la Russie du à la paresse. comme une superposition de toiles XIXe siècle, qui n’arrive plus à en - Mais l’enjeu d’Oblomov dépasse le de tulle. Dans mes notes écrites il y treprendre la moindre action. droit à la paresse. Oblomov refuse a un an, j’avais inscrit le mot Ecrire une simple lettre au régis - tout simplement de participer à la "chambre de confinement". Oblo - seur de ses propriétés lui semble in - frénésie matérialiste du monde. mov, au fond, est quelqu’un qui se surmontable. Tout comme C’est un philosophe en robe de confine. Je n’imaginais pas à quel retrouver la jeune fille qu’il aime. chambre. Il pose la question du point la pièce entrerait en réson - Dans cette Russie du XIXe siècle, temps libre : que faire des 730 000 nance avec l’actualité la plus im - en train de se transformer à toute heures que nous avons devant médiate… vitesse, où l’on construit frénéti - nous si nous atteignons l’âge de 80 Propos recueillis par quement des routes, des gares, des ans ? Devons nous les consacrer à Jean-François Mondot chemins de fer, lui fait tout le la production frénétique de la ri - contraire. Il arrête tout et se retire chesse ? Pouvons-nous nous retirer du monde. du monde ? Ce sont là des interro - Peut-on dire d’Oblomov qu’il est gations fondamentales qui font un paresseux ? d’Oblomov un personnage terrible - On peut voir Oblomov de mille fa - ment actuel : on parle d’ailleurs n Oblomov, adaptation Nicolas çons. En un siècle, les interprétations d’un Oblomov, et d’oblomovisme. Kerszenbaum d’après Ivan Gontcharov, ont d’ailleurs considérablement Le nom propre est devenu un nom mise en scène Robin Renucci, varié. On a d’abord vu en lui un pa - commun. avec Emmanuelle Bertrand, Pauline rasite, le parfait représentant d’une Que verra-t-on sur scène ? Cheviller, Valéry Forestier, Xavier Gallais classe oisive. Puis, l’on s’est aperçu Dans le roman, le rêve joue un rôle Théâtre Dijon Bourgogne, Parvis Saint- que les questions qu’il posait recou - essentiel. C’est le vrai refuge Jean 21000 Dijon, 03 80 30 12 12, paient les réflexions d’un certain d’Oblomov, et la source de son inac - à partir du 29/09

72 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 LA PEUR DE L’AVENIR

Nous, dans le désordre c a j l e j i B Estelle Savasta a n i n a D

Un jour Ismaël, un jeune homme @ - de vingt ans, ne vient pas déjeuner. Ses pa rents le s trouvent allongé dans la forêt. Il ne veut plu Provoquer bouger, alors ils s’organisent autour de lui. Que si - minutes chacune, où on voit tous la recherche et notamment une gnifie ce titre de Nous, dans le dés - les personnages passer et repasser jeune fille que le corps d’Ismaël al - ordre ? comme si Ismaël était devenu un longé angoissait complètement. A Au début je pensais faire un spec - lieu touristique, on voit aussi le père chaque fois qu'elle faisait une tacle sur la désobéissance et en et le petit frère d’Ismaël qui vien - impro, elle parlait sans une seconde avançant dans les répétitions et nent fumer une cigarette un mo - de silence et elle arrivait de chez l’écriture, je me suis rendue compte ment. Dans leur manière de fumer, elle avec des tonnes de trucs dans que c'était plus un spectacle sur on devine que le père n'a pas fumé son sac en disant : "j'ai pensé qu'il nous face à ce qu'on ne comprend depuis longtemps, et que le frère fallait le protéger du soleil, de la pas ou qui nous dépasse, nous face devient grand parce que c'est la pluie…" Un jour, elle est arrivée à notre peur du désordre. première fois qu'il fume à côté de avec une centaine de bougies Le désordre créé par Ismaël… son père. On voit aussi la petite chauffe plat qu'elle a mises autour Ismaël n'est clairement pas le sujet sœur d’Ismaël qui a très peur qu'il se de lui pour qu'il n’ait pas peur du du spectacle. Le sujet, c'est vrai - retrouve dans le noir apporter des noir. L'image était archi saisissante. ment ceux qui sont autour. L'his - lampes qu'elle met autour de lui, Propos recueillis par toire c'est surtout celle de ses dressant sans le savoir une sorte Hélène Chevrier parents, de tous ceux qu’Ismaël a d’autel mortuaire. n Nous, dans le désordre, écriture et laissés. Ça raconte comment toute Vous avez travaillé avec des ados mise en scène Estelle Savasta la vie de la famille se déplace. Cher - sur le projet. Qu’ont-ils apporté ? 16 au 18/10 Gémeaux, 49 avenue cher les raisons pour lesquelles il On a commencé à travailler sur des Georges Clemenceau 92330 Sceaux, s'est allongé ne nous intéressait cas de désobéissance très concrets. 01 46 61 36 67 pas. D’ailleurs, on ne donne pas la Je leur avais demandé de relire Bar - 8/12 Maison des Jeunes et de la parole à Ismaël. tleby, Antigone, Le baron perché et Culture de Rodez, 05 65 67 01 13 Ça fait beaucoup penser au per - après j'ai amené des articles de 10/12 Adda du Tarn à Albi, sonnage d’Oblomov. journaux sur des cas de désobéis - 05 63 77 32 18 Il y a un peu d’Oblomov, mais aussi sance. Et puis à un moment donné 27 au 31/01 Théâtre de la ville à de Bartleby. Ismaël est aussi dans j'ai décidé qu’il fallait partir sur une Paris, 01 42 74 22 77 l'inaction sauf qu’il ne la nomme histoire beaucoup plus abstraite, 30 et 31/03 Maison de la Culture de même pas. quelque chose qui me dépasse. Et je Bourges, 02 48 67 74 70 L’immobilisme d’Ismaël fait aussi leur ai dit : "il s'appelle Ismaël, il est 7 au 10/04 MC2 Grenoble, penser à la mort. allongé au milieu du chemin, il a 04 76 00 79 79 On peut le voir comme ça. Il y a trois écrit un mot." Et ils ont proposé des 15 et 16/04 Nest à Thionville, scènes sans paroles qui font neuf choses qui ont été fondatrices dans 03 82 82 14 92

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 73 DOSSIER

de telles abstractions ? C’est toute la question. Chaque spec - Un monde meilleur tacle s’est construit dans un lien fort avec les acteurs qui ont toujours été au cœur du processus de création. J’aime l’idée qu’ils s’emparent de ma - tériaux de pensée plutôt que de ré - Benoît Lambert cits de personnages. Christophe Brault est un comédien pour lequel j’éprouve une grande admiration. Sa Le mal qui vient puissance d’interprétation est fasci - nante, sa performance dans Cyrano Il y a vingt ans, Benoît Lambert entamait un feuilleton il y a quelques années, m’avait si - théâtral sur les grandes mutations du monde moderne. déré. Nous avons beaucoup lu tous les deux, je n’ai commencé à écrire Le directeur du CDN de Dijon-Bourgogne livre un qu’à partir du moment où il était sur dixième épisode en forme d’épilogue sur la fin du le plateau. Chaque matin, je lui don - monde. Retour sur une épopée contemporaine. nais des bribes, il les mettait en jeu avec une forme d’humour noir, un point de vue brechtien de déplace - Comment tout cela a commencé ? Non, le projet date d’avant et quand ment des pensées et des émotions. Benoît Lambert : En 1999, dix ans la pandémie est arrivée, j’ai été em - Ces questions angoissantes de notre après la chute du mur de Berlin, avec barrassé, il n’était pas dans mon in - devenir, il fallait les traiter avec hu - l’adaptation d’un texte de Jean-Ber - tention de livrer un commentaire sur mour et légèreté. nard Pouy, Spinoza encule Hegel . On l’actualité. C’est une réflexion plus C’est un cours auquel vous nous est partis de l’effondrement de l’hy - profonde qui se boucle, au sens pro - conviez ? pothèse communiste et pendant pre du terme. Plutôt un objet non identifié, une os - vingt ans, on a regardé ce que la vic - C’est un spectacle collapsologue ? cillation entre le cours magistral et le toire du capitalisme représentait Pas au sens où la question est abor - stand up. On ne sait jamais qui nous pour nos vies. Chaque épisode a dée dans le débat public, d’une ma - parle, il n’y a pas de rôle précisément donné lieu à des spectacles très dif - nière envahissante et utopique, défini. Parfois on pense qu’on a af - férents, des collages, des adapta - comme si tout allait s’arrêter d’un faire à un prophète, un savant fou, tions de romans, des collaborations coup. On part d’un petit cours d’an - c’est un peu dérangeant, il a une avec différents auteurs, dont une thropologie accéléré sur l’histoire de forme d’exaltation, d’inquiétude ver - assez longue avec Jean-Charles Mas - l’espèce avec cette hypothèse de tigineuse qui est une source de co - sera et deux épisodes avec François nombreux spécialistes : l’anthropo - mique. Quand j’avais monté Sixième Bégaudeau. Et puis il y a cet épi - cène, le début de la destruction, ne solo de Serge Valletti, il y avait déjà logue que j’ai moi-même écrit et qui daterait pas de la révolution indus - ces personnages qui viennent nous part aussi de l’envie de travailler trielle mais du néolithique avec la sé - parler, portés par une urgence et qui avec Christophe Brault. dentarisation et le début de prennent en otage ceux qui les écou - On en est donc à la fin du monde. l’élevage. Ensuite, la question du tent. Christophe émet des hypo - Je suis effectivement parti de la lec - spectacle tourne autour de "com - thèses auxquelles on peut ne pas ture d’un essai effrayant de Pierre- ment finir ? " C’est là où la question adhérer et tout cela se transforme Henri Castel Le mal qui vient qui d’un monde meilleur resurgit, le com - dans une sorte de jeu avec le public. évoque cette situation anthropolo - munisme non plus comme promesse Propos recueillis par gique inédite résumée d’une phrase : d’un bonheur éternel, mais comme Patrice Trapier "Il s’écoulera moins de temps possibilité de finir le moins mal pos - n Un monde meilleur, texte et mise en scène entre le dernier homme et moi sible et pas dans d’atroces guerres et Benoît Lambert, avec Christophe Brault. qu’entre, disons, moi et Chris - souffrances. C’est l’idée de George Or - Théâtre Dijon Bourgogne, Parvis Saint Jean tophe Colomb." well d’une "décence commune". rue Danton 21000 Dijon, 03 80 30 12 12, La covid a-t-elle joué un rôle ? Comment fait-on du théâtre avec du 6 au 17/10

74 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 a mille Go Théâtre F trouve le spectacle A partir de 5 ans qu’il vous faut !

Le Secret de Fabula L’appli théâtre Dans la bibliothèque de la ville de Marjaude se trouve un ouvrage très spécial : le Codex. Ce livre magique ouvre le passage vers Fabula, un monde enchanté où à télécharger gratuitement les personnages décrits dans nos livres prennent vie : princesses, magiciens et même sorcières ! Aujourd'hui l'une d'entre elles a franchi la frontière interdite. n Texte Marjorie Garcia et Aude Sappey Marinier, mise en scène Marjorie Garcia, spectacle musical. Funambule-Montmartre, 53 rue des Saules 75018 Paris, 01 42 23 88 83, 19/09 au 3/01

A partir de 6 ans

Le Bossu de Notre-Dame Adapté du chef d'oeuvre de , Le Bossu de GoT Notre-Dame raconte les aventures à la fin du XVe siècle héâ de la bohémienne Esméralda, du bossu Quasimodo, du tre juge Frollo et du capitaine Phoebus. n Adaptation et mise en scène Olivier Solivérès Théâtre de la Gaîté, 26 rue de la Gaîté 75014 Paris, 01 43 20 60 56, à partir du 4/10

Pour tous

Les aventures d'Hektor des places de théâtre Hektor est un drôle de personnage. Capable de se sortir des situations les plus périlleuses, mais aussi d’y replon - ger de plus belle. Vagabond ou migrant ayant quitté à gagner ! son pays d’origine en quête d’un monde meilleur, il charme et émeut par son obstination opiniâtre digne d’un lointain cousin des héros de Charlie Chaplin. n Texte Olivier Meyrou et Matias Pilet, mise en scène Olivier Meyrou, Stéphane Ricordel Le Monfort, 106 rue Brancion 75015 Paris, 01 56 08 33 88, 22/09 au 10/10

sur Android sur Iphone Portrait Frédéric Biessy fait ce qu’il aime Directeur de La Scala-Paris

il fallait jouer l'alternance, mélan - A Paris, boulevard de Strasbourg, à la Scala, ex- ger tous les arts. Je suis parti d'un principe très simple : aujourd’hui cabaret mythique parisien abandonné depuis tout doit être concentré dans un en - des décennies aux mains de producteurs de droit où on va chercher nos infor - porno et réhabilitée il y a trois ans par un couple, mations et nos désirs. C’est l’ère Frédéric et Mélanie Biessy, on peut voir sur scène Amazon. Et c’est pareil pour le théâtre : on cherche un lieu où on Alexis Michalik, Yasmina Reza, James Thierrée, peut voir tout ce qu’on a envie de Isabelle Adjani ou encore François Morel. Deve - voir, arts visuels, arts numé - nue un haut lieu du théâtre indépendant, la salle riques, arts de la danse. Votre souhait c'est que les gens jouit d’une direction originale qui fait portes ou - viennent au théâtre les yeux fer - vertes aux artistes. Pas question ici d’établir un més, mangent un peu, et puis ail - programme de saison car il changerait tout le lent dans les salles voir les temps au gré des coups de cœur du directeur. Un spectacles qui se jouent. Exactement. C’est ce qu’avaient très modèle économique peut-être risqué sur le pa - bien réussi à un moment donné le pier mais qui a le mérite de créer sans cesse la Rond-Point et le Lucernaire. Les surprise. Cette année, il ose même ouvrir une se - gens ont envie d'être en confiance, conde salle… ils cultivent des habitudes. Je le vois au resto, ils se mettent toujours à la même table. Après il ne faut sur - tout pas que ça devienne une re - Théâtral magazine : Comment Et on a réussi je crois à faire que les cette. Je ne veux pas avoir une fonctionne la Scala ? gens s’y sentent bien. Depuis le clientèle d'habitués et même pas Frédéric Biessy : On y fait tout ce début de la saison dernière, ça ne de clientèle du tout. La seule chose qu'on aimait chez les autres. Avec désemplit pas. Entre le 19 heures et qui compte pour moi, c'est qui va Mélanie ma femme, on est tombé le 21 heures, on voit défiler 1200 à être à l’affiche. J'aime le travail de amoureux de ce lieu. Mélanie a un 1500 personnes chaque jour. Ce James Thierrée, de Simon McBur - fonds d’investissement et elle m’a qui est énorme au bout d'un an et ney, et d’Alexis Michalik. Alexis m'a donné la possibilité d’aller au bout demi. La vraie gageure c'était de re - appelé un été en me disant "lis ça" , de ce rêve. On a quand même in - fuser de plaquer un modèle écono - j’ai lu, j'ai dit "oui" en une heure et vesti 20 millions dans ce théâtre. mique d'entrée comme celui des j'ai fait de la place pour le program - C'est complètement déraisonnable. théâtres privés : on prend un succès, mer. La musique contemporaine, Et jamais il ne vaudra ça à la vente. on le tire pendant 10 ans et le théâ - c'est une rencontre avec Rodolphe Mais c'est totalement passionnel. tre dort pendant ce temps-là. Non, Bruneau Boulmier.

76 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 Comment arrivez-vous à payer les reille. Eh bien, j’ai décidé d'ouvrir le Un humoriste… artistes ? 4 septembre avec Manifeste , le fes - Il y a quelques mois, je demande à Ils jouent le jeu. Quand Anne Quéf - tival de création contemporaine de Simon McBurney, que j'adore, ce felec venait au début faire un réci - l'IRCAM. Et ensuite le 11 septem - qu’il ferait s’il construisait un théâ - tal, elle acceptait des cachets très bre, on reprend Une histoire tre. Et il m’a répondu que les seuls bas. Et aujourd'hui que ça marche d'amour d’Alexis Michalik et on qui savaient aujourd’hui raconter le très bien, on lui reverse une partie ouvre la petite salle avec Kaori Ito monde dans lequel on vit, ce sont de la recette. Le succès du théâtre et avec Jason Brokerss. "ces mecs qui sont dans ce théâtre est aussi le leur. Alexis Michalik, qui n'est pas très loin du tien. c'est une co-réalisation. La Scala, Ecoute-les ; ce sont de vrais au - c'est une start-up pure et je veille à teurs". Il n'arrivait pas à trouver le ce qu'elle reste une start-up. On est nom du théâtre et j’ai fini par com - constamment en mouvement. prendre qu'il parlait du Jamel Co - J'adapte en fonction des projets, medy Club. Je me suis dit qu’il disait des artistes qui sont chez nous, de des conneries. Et deux ans après je la durée des spectacles. Alexis va rencontre Mathilde Carron qui a rester toute l'année. Ce n'est pas ouvert Madame Sarfati, le nouveau une chose que j'avais prévue mais comédie club parisien, et qui s'oc - je n'avais pas prévu le contraire cupe de Fary, et puis je rencontre non plus. Et Isabelle Adjani viendra Jason et plein d’autres… ces mecs jouer cinq fois si elle en a envie. Je sont des bombes atomiques. Alors veux que chaque projet soit comme j'ai décidé de les laisser venir s'ils il doit être et pas comme on vou - en avaient envie. Comme aussi drait l'imposer pour préserver cette petite nana qui s'appelle l’équilibre du théâtre. Ruthy Scetbon, qui était ouvreuse

Comment supportez-vous la crise o chez nous. Un jour on m’a dit r a c actuelle ? c qu'elle avait fait l’école Lecoq, et a V

e

On a fait nos calculs pour les mois l qu’elle présentait un spectacle i c e C

à venir. Il ne faut évidemment pas dans une autre salle. J'en ai vu 30 que la situation dure trop long - @ minutes le 13 mars et j'ai décidé de temps. Mais le gouvernement nous la programmer. C'est la fête ! a bien aidés. On est le seul pays au monde qui a aidé ses artistes. Evi - La Scala, c'est Propos recueillis par demment la première chose qu'on une start-up Hélène Chevrier s'est dite avec Mélanie ma femme, c’est que ce n’était pas le moment pure, on est constam - d’ouvrir la petite salle, qu’on n’allait ment en mouvement. pas réinvestir tout de suite. Et puis on a réfléchi : au contraire c'est le Je veux que chaque moment plus que jamais. Et on projet soit comme il ouvre donc une nouvelle salle. Et puis j'ai changé le bar d’emplace - est lui et pas comme ment. Quand le public va revenir, la on voudrait l'imposer configuration aura changé. Après on s’est demandé avec quels spec - pour l’équilibre du n La Scala Paris, 3 boulevard de Strasbourg tacles rouvrir après une crise pa - théâtre. 75010 Paris, 01 40 03 44 30

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 77 E ducation Le Soulier de satin à travers des captations comparées

de la captation de Vitez mis en pa - rallèle à chaque fois avec des ex - A l’occasion de la sortie du DVD du Soulier de satin traits des captations d’Olivier Py et mis en scène par dans la Cour des extraits du film de Manoel De d’Honneur du Palais des Papes à Avignon en Oliveira pour essayer de compren - 1987, l’ANRAT (Association Nationale de Re - dre le regard de chaque metteur en scène sur cette pièce et ce que cherche et d’Action Théâtrale) a organisé en juillet peut révéler la captation de nou - une formation sur le texte de Claudel pour la - veau et au contraire en s’interro - quelle, parmi d’autres, elle a sollicité Eric Ruf, Di - geant sur ce qu'elle ne permet pas dier Sandre, ou Olivier Py. Il s’agissait à travers d'appréhender. leurs captations de comparer les mises en scène Comme par exemple ? de Vitez et d’Olivier Py (captation de 2009) et la L'espace scénique est très compli - version de Manoel de Oliveira dans son film de qué à appréhender par la caméra. Et c’est le cas du Soulier de satin 1985. Compte tenu de l’annulation du festival de Vitez : il y a un problème de d’Avignon et des mesures sanitaires en vigueur, profondeur réelle avec beaucoup Philippe Guyard, le directeur de l’ANRAT, a coor - de gros plans et des plans italiens donné les 9 jours du stage via le logiciel Zoom. qui empêchent de suivre les mou - vements dans l'espace. D'où le fait aussi qu'on avait commencé la for - mation en recueillant les souve - Théâtral magazine : C’était la étalée sur neuf jours avec une nirs de spectateurs qui avaient vu première fois que l’ANRAT pro - mise à disposition quotidienne les pièces pour les confronter à posait d’étudier les mises en pour les stagiaires de nombreux ceux des gens qui avaient décou - scène d’un texte à partir de cap - documents destinés à nourrir la vert ces spectacles via la capta - tations. Analyser une pièce à réflexion du lendemain. Lorsque la tion. Et les souvenirs des nuits travers sa captation, qu’est-ce formation se déroule pendant le avignonnaises étaient d’autant que cela révèle ? festival d’Avignon, elle est très plus importants que le spectacle Philippe Guyard : Que la capta - concentrée sur cinq jours, et les commençait à neuf heures le soir tion n'est pas un substitut du stagiaires ont beaucoup moins le et finissait à neuf heures le matin : théâtre, mais un substrat au sens temps de consulter tous ces docu - la lumière du jour qui baisse, les où elle permet d’autres approches. ments. L’avantage aussi de la cap - étoiles qui apparaissent, la fraî - Il s’agissait d’une formation à dis - tation, c’est qu’elle permet de cheur de la nuit qui monte se mê - tance, pour laquelle on a construit revisualiser des scènes. On avait laient au souvenir du spectacle... une structure tout à fait originale, choisi un certain nombre d’extraits On a un très bel exemple avec le

78 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 Thyeste mis en scène par Thomas dimensions à deux. Et c'est extrê - Jolly. Ceux qui ne l'avaient pas vu mement difficile de mettre en va - à Avignon et qui l'ont découvert à leur cette question-là. travers la captation pensaient que les martinets étaient dans le spec - Une captation peut-elle modifier tacle. le sens donné au spectacle par le metteur en scène ?

Par rapport à la version de Vitez, Ça va mettre en valeur certains as - r D

celle d’Olivier Py appréhendait- pects. Mais je ne pense pas que le @ elle mieux l'espace ? sens général soit modifié. Le réali - Ludmilla Mikaël et Robin Renucci Celle de Py a été incontestable - sateur va travailler avec sa propre dans la mise en scène de Vitez ment beaucoup mieux filmée que sensibilité, son propre regard, celle de Vitez. L'un des grands mais il ne capte que ce qui existe. enjeux pour nous était de sug - Le théâtre, c'est d'abord une > Jeanne Balibar gérer que le film de théâtre écriture de l'espace et com - dans la mise en scène d’Olivier Py peut être un véritable genre ment on écrit sur cet espace artistique qui n'est ni du théâ - unique. La captation c'est une tre ni du cinéma. Corentin Le - écriture du temps avec des conte, qui filme toutes les pièces rythmes liés à l'alternance de Katie Mitchell, et a aussi filmé des plans au montage. Ce n'est Électre / Oreste de Ivo van Hove, pas du tout la même approche. La vie de Galilée dans la version de Face à un film, le spectateur at - Ruf… a expliqué quels étaient les tend un montage rythmique. Au - différents styles de captations jourd’hui, une captation peut possibles, les problèmes tech - compter jusqu'à 70 plans en 5 mi - niques que cela pose, le nombre nutes. On va beaucoup plus jouer de caméras au plateau, leurs em - sur les regards des comédiens qui placements, les choix d'angle : sont moins perceptibles quand on quand un comédien joue de dos, est dans une salle de théâtre. Pour faut-il le filmer de dos ou de face, moi un bon réalisateur c'est un ré - c'est-à-dire montrer une image vélateur. que personne ne peut voir ? r D

Il y a aussi la question de la salle @ On imagine que la vision du met - et de l’expérience collective. Les teur en scène prime… réalisateurs cherchent-ils à la Pas forcément. Katie Mitchell, qui restituer ? est elle-même vidéaste et utilise C'est une des grandes questions. très souvent l'image au plateau, Tout dépend de la captation. En laisse complètement carte ce moment, à cause de la situation blanche à Corentin Leconte. Il y a sanitaire, on filme des pièces sans même des metteurs en scène qui public, notamment au théâtre du vont réorienter leur spectacle à Châtelet où les tournages se sont partir de la captation. De façon enchaînés au mois de juillet. Le générale, la captation se heurte fait qu’il n’y ait pas de public per - > Michel Fau r

au défi de l'appréhension de l'es - met de mettre de nombreuses ca - dans la mise en scène d’Olivier Py D

pace scénique. On passe de trois méras sur le plateau ce qui n’est @

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 79 E ducation pas possible autrement. La ques - très compliqué. Jeanne Vitez qui n Le pire n’est pas toujours sûr ! tion que se posent les réalisateurs faisait plusieurs rôles disait qu’elle Formation ANRAT sur la captation à c'est faut-il ou non montrer le pu - avait l'impression dans ce specta - partir de l’exemple du Soulier de satin blic, ou le donner à entendre. Au cle de n'être qu’une colonne d'air. (15 au 23 juillet) début de Traviata , vous méritez un Mais ce que recherchait Claudel, Avec les interventions de Robin Renucci, avenir meilleur avec Judith Chemla, c'est que la structuration de la res - Olivier Py, Jeanne Vitez, Philippe Girard, les caméras sont posées au milieu piration dégage une émotion, un Éric Ruf, Didier Sandre, Dominique des acteurs et on se demande pen - essoufflement, un épuisement phy - Orozco, Caroline Marcadé, Éloi Recoing, dant un moment où on est. Main - sique, ou une hyper oxygénation. Hélène Brugnes, Nâzim Boudjenah, tenant à l'opéra, on a des metteurs Yannic Mancel (dramaturge), Caroline en scène qui ont parfaitement in - Les stagiaires ont-ils pu échan - Bouvier (enseignante), Joël Paubel tégré qu'il y aura une captation de ger à travers Zoom ? (plasticien), Isabelle Lapierre leur spectacle et qui l’anticipent en Tout l’enjeu était de recréer de la (enseignante), Romain Labrousse adaptant leur mise en scène. C’est sociabilité malgré la distance. Or (enseignant), Philippe Guyard le cas de Dmitri Tcherniakov, un dès le premier jour, j'ai constaté (directeur de l’ANRAT) metteur en scène russe. que plein de gens se connectaient bien avant l'heure du début de la n http://www.anrat.net/ Dans le programme du stage, il y formation. Cela me permettait de onglet formations avait l’étude du verset claudé - bien les accueillir et eux de discu - lien. Le travail à partir de la cap - ter ensemble. Et assez vite, c'est tation a-t-il favorisé la devenu une sorte de rituel. Tous compréhension des stagiaires ? ces temps de discussion informels Oui parce que ça rejoint la ques - sont devenus très importants. Et à Résumé tion du jeu. Et rien de tel qu'une partir du quatrième jour, on a di - captation pour analyser le jeu des visé les 50 stagiaires en groupes Le Soulier de satin est comédiens. Dans le théâtre de pour que ce soit plus simple pour d'abord un drame Claudel, on ne respire pas pen - chacun de prendre la parole. d'amour. L'action, qui dant un verset quelle qu’en soit la L'idée était de mettre en place un s'étale sur vingt années, longueur. J’ai accompagné la co - système fondé sur une autre se passe à la Renaissance, médienne Valérie Blanchon pour forme de pédagogie. au temps des cet atelier, qui avait joué dans conquistadors, et est L'annonce faite à Marie de Claudel Le sous-titre du stage c’est Le découpée par l'auteur en mise en scène par Frédéric Fis - pire n’est jamais sûr . Quelle est la quatre journées, suivant bach. Fisbach avait justement tra - signification de cette phrase par la tradition du Siècle d'or. vaillé la question du souffle et je rapport au texte de Claudel ? Rodrigue, le héros, est voulais que chaque stagiaire C’est au cours de la présentation passionnément amoureux puisse vivre cette expérience pour de la pièce au public que l’Annon - d'une femme mariée, mesurer comment les comédiens cier indique ce sous-titre ; "le Sou - Prouhèze, à laquelle il travaillent avec cette contrainte lier de satin ou le pire n'est pas devra renoncer. Celle-ci, et ce que ça peut donner. Sachant toujours sûr" . Il s’agit de se dire après la mort de son mari, qu’avec Le Soulier de satin qui est que quelque soit ce qui arrive, on épousera Don Camille, un une œuvre complètement hors peut quand même espérer et réa - officier qui la tient à sa norme par sa longueur, rares sont liser quelque chose… merci, et refusera de se ceux qui tiennent ; quand on a une donner à Rodrigue... longue tirade et qu’on ne peut pas Propos recueillis par souffler, ça devient physiquement Hélène Chevrier

80 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 Z oom que les humains qui étaient leurs Invité du Centre Pompidou propriétaires ou leurs maîtres ne sont plus là. Et il n’ont plus de travail parce qu’il n’y a plus d’oiseaux non plus Philippe Quesne dans nos campagnes… Les artistes eux aussi n’ont plus de travail quand les salles sont vides. A la fin de l’année, il quitte le théâtre des Amandiers Le théâtre doit-il se réinventer ? Pendant le confinement, on pouvait de son propre chef en raison de rapports compliqués acheter à manger mais on était sevré avec la ville de Nanterre. Philippe Quesne retrouvera de nourriture intellectuelle. Cela fait la vie de compagnie. Il a de quoi faire avec des spec - prendre conscience que dans nos vies tacles qui tournent depuis des années. En attendant il y a un manque absolument cruel. Ce n'est pas lié au Coronavirus mais à partir du 11 septembre, il investit le Centre aussi à l'éducation artistique qui dis - Georges Pompidou avec plusieurs propositions : paraît aussi de l'enseignement avec l’installation d’une île dans les espaces d’expositions des professeurs qui se voient réduire leurs heures. Ça c'était bien avant le dans le cadre du festival de littérature Extra !, la re - virus. Cela doit nous éveiller sur la né - prise de Farm Fatale encadrée de cartes blanches sur cessité de l'art dans nos vies. Je crois des thématiques écologiques. beaucoup au lien social généré par le spectacle vivant. Ce n'est pas un art qui est remplaçable. Après c'est un art qui a toujours résisté depuis la Farm Fatale, est-ce une vision idéa - La pandémie, le confinement vont- nuit des temps aux grandes pandé - liste ou plutôt ironique de la ferme ? ils changer votre façon de faire du mies, aux guerres, aux grandes catas - Philippe Quesne : J’ai toujours be - théâtre ? trophes. Chaque période a obligé le soin d’une forme d’ironie pour parler C'est absolument terrifiant, sidérant spectacle vivant à se repenser et à se de sujets graves. La ferme était le ce qui s'est passé, et à quelle vitesse réinventer. point de départ de l'écriture et cela on a été tous confinés. Et encore, ce Propos recueillis par a très vite dérivé sur cinq épouvan - n’est qu’une alerte comme on a déjà Hélène Chevrier tails parlant un peu après la dispa - eu des accidents nucléaires, ou rition des humains de ce qu’il est comme on a des problèmes clima - advenu des derniers agriculteurs qui tiques. Parce qu’on va sûrement voir se sont suicidés ou qui les ont aban - apparaître d'autres virus-planète n Philippe Quesne invité du Centre Pompidou donnés. Le traitement par le biais avec la fonte des glaces en Sibérie A partir du 11/09 Philippe Quesne plantera d'épouvantails donne une distance qui va libérer le permafrost... C'est lié une île dans le Forum -1, qui servira de décor et pour parler de sujets assez terri - au néolibéralisme et à toutes ces so - de matrice au festival Extra ! et de tribune pour fiants comme la mort des sols à ciétés qui font des choses en dépit du des dialogues, lectures ou performances cause des pesticides et des OGM, la bon sens. Dans mes spectacles de - solitaires des Robinson et Robinsonne Crusoé disparition du chant des oiseaux. puis une quinzaine d'années, j'essaie du monde contemporain. Les épouvantails, costumés et mas - d'aborder ces questions-là, à travers 1er au 4/10 Farm Fatale, spectacle conception qués, qui transposent la figure de le portrait de communautés qui es - et mise en scène Philippe Quesne. Grande salle. l'humain, apparaissent comme des saient de s’organiser. Farm Fatale se Et rencontres avec Philippe Quesne, Camille pantins, des clowns. Ils créent de la situe dans un futur proche où des Louis, Emanuele Coccia, Marielle Macé, Bruno nostalgie et de l'empathie. épouvantails sont orphelins parce Latour, Alain Damasio (sous réserves)

Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 81 Z oom "Le Rond-Point côté jardin"

Le théâtre plante en septembre un tréteau pour des spectacles gratuits en guise de retrouvailles.

Quel est votre état d’esprit pour Par exemple, nous avons la chance cette rentrée si particulière ? que toutes nos salles soient dotées Mon état d’esprit, c’est d’espérer d’issues de secours qui donnent sur avoir encore de l’esprit. Je n’ai pas les jardins. On va donc pouvoir faire voulu céder au découragement mais entrer les gens par les jardins, si bien

cela a été très douloureux. J’ai qu’ils éviteront de se croiser dans le r d

éprouvé l’envie de lancer des contre- hall ou devant les entrées princi - @ attaques mais j’avais l’impression pales. d’avoir un lance-pierre contre une Comment voyez-vous les choses des décors considérables, le plus im - armée de tanks. La pandémie nous a au-delà ? portant reste l’acteur et l’auteur. obligés à annuler dix spectacles. Une Nous allons commencer la saison Votre programmation est-elle chose m’a touché : la très grande ma - dans la grande salle Renaud-Barrault chamboulée ? jorité des spectateurs n’a pas voulu le 4 septembre par la soirée des Pas tant que ça. En dehors des trois se faire rembourser ses places. Topor, ces prix de l’inattendu qui se - spectacles que devaient redonner les L’été indien va permettre les re - ront télévisés. Fin septembre, début Chiens de Navarre, ce qui aurait été trouvailles. octobre, Lolita Chammah reprendra une folie sauf à ce que les dix-huit ar - Quand j’ai proposé cette idée de le texte d’Anne Berest, La Visite , dont tistes sur scène prennent leur tempé - planter un vaste tréteau derrière le le succès a été interrompu au prin - rature toutes les dix minutes, le reste théâtre, face au jardin, et d’y donner temps. Swann Arlaud va interpréter est à peu près stable. Nous avons chaque jour un spectacle différent et la pièce d’Adel Hakim, Exécuteur 14 . même réussi à caler quinze dates gratuit, la quasi-totalité des artistes Qu’est-ce que la pandémie peut pour Kadok , entre le 15 et le 31 jan - proches du Rond-Point ont répondu modifier à long terme ? vier. Christophe Rauck va redonner présents, pour ainsi dire gratuite - Un certain nombre de choses vont Départ volontaire de Rémi De Vos. Et ment : Arditi, Morel, Pennac, Alé - sans doute être repensées qu’on au - trois ans après sa création au Rond- vêque, Guillois, Madenian, etc. rait dû remettre à plat depuis long - Point et une tournée triomphale, Ces spectacles aux proportions ré - temps : les excès de production, des Poyo Rojo vont conclure leur formida - duites sont une réponse à la crise spectacles beaucoup trop chers, un ble spectacle chez nous à la fin 2020. sanitaire ? emballement dont on commençait à Propos recueillis par C’est une proposition artistique qui ressentir les effets négatifs. Je ne dis Patrice Trapier permet de réunir au moins 120-150 pas qu’il faut tout réduire drastique - personnes, en respectant tous ces ment mais il y a une économie géné - n Le Rond-Point dans le jardin. gestes-barrières, c’est une manière rale à repenser et probablement Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue d’enlever la barrière entre le public et l’établissement de passerelles entre Franklin Roosevelt 75008 Paris, le théâtre. Nous avons travaillé pour les théâtres publics et privés. On n’est 01 44 95 98 21, du 8 au 27/09, nous conformer aux nouvelles règles. pas obligés d’avoir à tous les coups Entrée libre 17/10

82 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020 Léa Drouet Histoires des violences Avec Violences qu’elle crée au festival Actoral, la jeune metteure en scène reconstitue le destin drama - tique d’une fillette kurde tuée par un policier belge. Dans son viseur, la violence dans sa pluralité, mais r d

aussi les puissances qui la combattent. @

Le titre de votre spectacle fait ré - deux destins, un système d’échos se vons les actions du "Comité Justice férence aux violences, plutôt qu’à dessine et me permet de dire d’où je et vérité pour Mawda", de ces la violence. De quelles violences parle. femmes qui ont alerté un enquê - parlez-vous ? Comment envisagez-vous de res - teur du Guardian afin de médiatiser Léa Drouet : Nous avons choisi de tituer des histoires aussi drama - l’affaire ou de ce groupe qui a col - nous concentrer sur deux histoires. tiques ? lecté de l’argent pour acheter une La première est celle de Mawda, Afin de pouvoir accueillir ces his - pierre tombale à l’enfant. une petite fille kurde de deux ans toires choquantes, nous prenons les Émerge, alors, un maillage de résis - tuée par un policier belge en mai choses à revers. Dans un contexte tance autour de la famille. Assem - 2018. Cette histoire est archéty - d’anesthésie générale par rapport à blés, ces actes individuels qui, de pale car elle additionne un grand la violence, l’enjeu n’était pas prime abord, peuvent paraître mi - nombre de violences structurelles. d’ajouter de la violence à la vio - croscopiques forment, en réalité, un A la "bavure policière" originelle, lence, mais plutôt d’aider les gens à troisième monde où peuvent naître s’ajoutent des violences institution - ouvrir leur cœur pour ressentir l’in - une puissance de contestation et nelles, venues de la justice, qui at - tolérable. De la forme que nous une société alternative. Alors que tend un an avant de mettre le avons adoptée, celle d’une ma - nous sommes, en ce moment, coin - policier en examen, des médias, qui quette avec des bâtiments en sable, cés dans la désespérance, dans un reprennent sans l’interroger la ver - se dégagent une douceur et une dé - discours qui assure qu’il n’y a pas sion des policiers, de l’administra - licatesse extrêmes qui nous permet - d’alternative, un tel maillage nous tion, qui place les parents en tent de prendre soin de ces donne l’espoir de pouvoir en sortir. détention. C’est là qu’ils appren - histoires. Avec un ton à mi-chemin Propos recueillis par dront la mort de leur enfant et entre le conte et la reconstitution Vincent Bouquet qu’on projette de l’enterrer, à la factuelle. hâte, dans le carré des indigents. Vous vous intéressez aussi à ce La seconde histoire qui, en quelque qui gravite autour de ces vio - n Violences, de Léa Drouet. sorte, "prend en sandwich" la pre - lences… Les 22 et 23/09 La Criée, dans le mière, est celle de ma grand-mère. Par la sidération qu’elle provoque, cadre du festival Actoral, 30 quai de A dix ans, elle a franchi la ligne de la violence fait écran aux solidarités Rive Neuve 13007 Marseille, démarcation pour se réfugier dans et aux puissances à l’œuvre. Nous 04 91 94 53 49. Du 7 au 10/10 à une ferme auvergnate et échapper opérons donc une tentative de dé - Nanterre-Amandiers. Du 26 au 29/11 à la rafle du Vel d’Hiv’. Entre ces cadrage pour les révéler et obser - au Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles)

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Les sorcières de Salem Fleur du soleil Une histoire d’amour

[ Le tribunal de la folie collective ] [ Ses fleurs du mal ] [ Amor à mort ] d’Arthur Miller, mise en scène Emmanuel de Simon Wiesenthal, avec Thierry Lhermitte de et avec Alexis Michalik Demarcy-Mota, avec Elodie Bouchez... Théâtre Antoine, 14 bd de Strasbourg La Scala Paris, 13 boulevard de Stras - Théâtre de la Ville Espace Cardin, 1 ave - 75010 Paris, du 8/10 au 01/11 bourg, 75010 Paris, 01 40 03 44 30, du nue Gabriel 75008 Paris, 01 42 74 22 Thierry Lhermitte apparaît raide comme 11/09 au 15/11 77, du 8/09 au 10/10 la justice, regard fixe, bras ballants dans Alexis Michalik est un grand conteur ; il a Pièce emblématique d’une époque, un cadre de lumière. D’une voix vibrante déjà bien sûr fait ses preuves. Une fois en - écrite par Arthur Miller en plein maccar - et claire, le comédien se présente. Il est core, il nous cueille par un de ses récits, thysme, Les Sorcières de Salem ressusci - Simon Wiesenthal né en Pologne en son art de le dialoguer, les confrontations tent aujourd’hui au Théâtre de la Ville 1908. Travaillé par sa conscience, il par - de personnages si proches de nous, et sous la houlette talentueuse d’Emma - tage ses doutes : un matin de 1942, à nous emmène sur des sommets. Pourtant nuel Demarcy-Mota. On oublie le mac - Lemberg, s’est-il conduit comme il le fal - son Histoire d’amour n’est pas particuliè - carthysme et on revient aux sources de lait face à Karl, un SS de 21 ans qui a as - rement romantique, pas du tout à l’eau cette histoire abominable mais authen - sassiné des milliers d’innocents ? de rose non plus, bien loin même d’un tique. En 1692, dans le Massachusetts, Quelques heures avant sa mort, le jeune conte de fées, mais elle nous touche droit une jeune fille éprise de son patron homme devenu aveugle lui a demandé au cœur. Factuelle : deux femmes qui s’ai - (Serge Maggiani) décide d’éliminer sa ri - de pardonner l’impardonnable, les crimes ment, se désaiment, la maladie, la mort, vale, l’épouse légitime, en l’accusant de commis envers les siens. "J’ai cru devoir l’avenir sombre... Non, décidément la fée sorcellerie. Elle-même et ses amies se di - lui refuser cette grâce" , écrit Simon Wie - clochette a oublié de semer le bonheur sent possédées et dénoncent des senthal dans son livre Fleurs du soleil . "Ai- sur ceux-là, et pourtant il y a de l’amour, femmes du village. Elles sont très vite se - je eu raison ou tort ? Qu’auriez-vous fait à et beaucoup, qui se dit ou ne se dit pas. condées par les habitants qui profitent ma place ? ". Différentes personnalités Avec ses coups de passions et ses coups de la panique générale pour faire arrê - auxquelles il a envoyé son livre lui répon - du sort, ce pourrait être la vie de l’un d’en - ter pour sorcellerie toutes les personnes dront : Albert Speer, architecte du IIIe tre nous qui se déroule là, sur le plateau, qui les gênent d’une façon ou d’une Reich, Simone Veil, Elizabeth de Fontenay entre originalité, singularité et banalité. autre. C’est là où la pièce atteint une di - ou Mathieu Ricard (on reconnaît les voix Au sol, quatre traits tracent une aire de mension universelle. Les filles de Salem de Cristiana Reali, Laurent Stocker... ). jeu conventionnelle ; quelques meubles prennent le pouvoir sans pitié sur leurs L’adaptation respecte l’esprit philoso - mobiles s’y glissent, et tout l’art du théâ - aînés. La mise en scène rend compte phique de l’ouvrage et met en valeur l’ob - tre entre en action. Fluidité entre les avec beaucoup d’efficacité de ce renver - session d’un homme rongé par la scènes, réalisme exemplaire de l’interpré - sement en montrant un groupe de filles culpabilité et le sentiment de ne pas tation, conversations demeurant en sus - organisé et elle met l’accent sur la folie avoir fait preuve d’humanité. Thierry pens. Tout est simple et pourtant si collective ; ce faisant elle résonne avec Lhermitte reste comme en retrait des abouti. Michalik écrit, met en scène, joue, les grands emballements contempo - mots qui sortent de sa bouche, suivant nous fait rire alors que nos yeux sont en - rains qui se manifestent dans la rue, à un cheminement qui s’accomplit tout en core pleins de larmes, nous fait froid dans travers la presse ou sur les réseaux so - intériorité. Comprendre ne signifie pas le dos et chaud au cœur. On en ressort ciaux. accepter... éblouis et KO. Hélène Chevrier François Varlin François Varlin

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J’ai envie de toi La dégustation Marie des Poules

[ Quelle comédie ! ] [ L'âme du vin ] [ Amours ancillaires ] de et avec Sébastien Castro avec Isabelle Carré, Bernard Campan... avec Béatrice Agenin, Arnaud Denis Théâtre Fontaine, 10 rue Pierre Fontaine Théâtre de la Renaissance 20 bd Saint- Théâtre Montparnasse, 31 rue de la 75010 Paris, à partir du 25/09 Martin 75002 Paris, à partir du 22/09 Gaîté 75014 Paris, à partir du 22/09 Dans cette très bonne comédie, Sébas - La nouvelle pièce d’Ivan Calbérac se Marie de Poules ! Un drôle de nom… tien Castro a réuni les meilleurs atouts : situe dans un magasin de spiritueux. Le Plutôt un surnom, celui d’une fille de son écriture à la drôlerie efficace, des commerçant est un solitaire endurci qui ferme entrée au service de la cuisine de personnages aux caractères très dessi - n’a plus de compagne dans son périmè - George Sand. La formidable pièce de Gé - nés, des rebondissements et des sur - tre affectif. La jeune cliente qui entre, rard Savoisien nous passionne autour du prises, le tout dans une mise en scène pose des questions d’ignorante et destin de cette fille simple devenue co - millimétrée et rythmée de José Paul. passe à la table de dégustation, n’a pas médienne-interprète des œuvres de la Selon le principe du décor ouvert per - non plus d’amour en cours. L’arrivée femme de lettres le jour, et maitresse de mettant de voir dans plusieurs lieux à la d’un petit truand pas méchant va rap - son fils, Maurice, la nuit. Sur la scène, la fois – deux domiciles et le pallier – d’un procher ces deux êtres qui n’atten - belle demeure Nohant est de la taille même immeuble, la farce se noue au - daient que cela. d’une maison de poupée. Ses façades tour d’un placard permettant la commu - La pièce de Calbérac est à la fois fleur s’ouvrent pour nous en montrer les inté - nication entre les appartements. On est bleue et gaillarde. Elle a tous les élé - rieurs comme un petit diorama. Et de - les uns chez les autres, et c’est une ca - ments pour faire un succès populaire, vant, la présence enveloppante de la valcade peu commune entre sex dates, en s’inscrivant dans le prolongement merveilleuse Béatrice Agenin, interpré - garde de personne âgée, conjoint ja - de la vieille romance parisienne. On a tant tour à tour Marie des Poules et loux, et troubles de copropriétés. On re - déjà beaucoup entendu ces violons du George Sand. La comédienne passe ainsi trouve le ton et la force comique de cœur et du corps, mais on les aime de la voix la plus naïve frappée du pur Sébastien Castro, la personnalité vigou - quand les interprètes s’appellent Isa - accent berrichon de la servante, à celle reuse et le jeu puissant de Maud Le Gué - belle Carré et Bernard Campan. Isa - autoritaire et distinguée de sa mai - nédal, le dynamisme électrique de belle Carré a l’art de jouer les imbéciles tresse. A ce jeu dynamique et à cette Guillaume Clerice, au cœur d’une excel - au cœur tendre qui s’avèrent tendres présence forte répond l’élégant et altier lente distribution équilibrée de six comé - mais nullement imbéciles. Elle est cra - Arnaud Denis qui signe la mise en scène diens dans laquelle personne ne tire la quante. Bernard Campan semble se aboutie de cette œuvre passionnante. Il couverture à lui. Un chorus très orchestré souvenir des râleurs bienveillants du ci - toise, domine, aime cette fille de la cam - sur des thèmes modernes, des quipro - néma français (Gabin, Carmet) et fait pagne que sa mère a instruit. Sous des quos en cascades, et du comique de ré - une prestation très amusante. Leurs éclairages aux couleurs de soleil, la pétition qui ne faiblit jamais et nous fait partenaires, Mounir Amamra, Eric Viel - pièce dépeint la violence du sacrifice des rire aux éclats à chaque réplique. Ces im - lard et Olivier Claverie, font entrer dans sentiments aux conventions sociales de broglios qui tiennent à la fois de Feydeau la cave à vins d’autres types de notre l’époque. Anecdotique mais documenté, et de Francis Weber arrachent au public société. Tchintchin ! Ce n’est pas du mesuré mais soutenu, le spectacle est des applaudissements de bonheur. grand cru, mais un cépage de qualité. une réussite. François Varlin Gilles Costaz François Varlin

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La vie de Galilée Hors la loi Le Quai de Ouistreham [ Sur les épaules de Torreton ] [ Une grande leçon de vie ] [ Un semestre en enfer ] de B. Brecht, mise en scène Claudia Stavisky texte et mise en scène Pauline Bureau texte de Florence Aubenas Célestins, 4 rue Charles Dullin 69002 Comédie-Française, théâtre du Vieux- Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, Lyon, du 7 au 18/10 Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier 75014 Paris, , à partir du 22/09 La Vie de Galilée est une pièce centrale 75006 Paris, du 18/09 au 1er/11 Durant six mois, Florence Aubenas a dans l’œuvre de Brecht. Elle ne trace pas Après le scandale du Mediator, Pauline abandonné sa carte de presse, loué une une ligne de démarcation entre le sa - Bureau s’intéresse à d’autres victimes de chambre à Caen et s’est inscrite à Pôle vant qui dit vrai et le pouvoir qui ment, la société : les femmes empêchées de Emploi. N’en pouvant plus d’entendre elle éclaire le chemin douloureux pour disposer de leur corps librement à cause parler de la crise "sans savoir réellement convaincre de cette vérité. Galilée n’a de la loi contre l’avortement du 29 juil - qu’en dire", la reporter avait décidé de pas seulement affronté d’effrayants in - let 1920. En 1972, le procès d’une jeune vivre la vie des femmes seules et pré - quisiteurs, il a semé le doute jusqu’à ses fille et de trois femmes l’ayant aidée à caires qui survivent à coup d’allocations proches, partagés entre leurs convic - avorter va faire basculer l’Histoire. et de petits boulots. Elle s’était fait la tions intellectuelles et leur attachement Marie-Claire Chevalier a 16 ans quand promesse de ne rentrer à Paris qu’après aux schémas anciens. elle est violée par un camarade et se re - avoir trouvé un CDI. En 1990, Philippe Torreton jouait le trouve enceinte de lui. Le procès qui Durant une heure, Magali Bonat inter - petit moine dans la dernière mise en s’ensuit va se transformer en procès po - prète le texte de Florence Aubenas sur scène d’Antoine Vitez, il incarne au - litique sous la houlette de l’avocate Gi - un rythme haletant, douloureux. Dans jourd’hui un formidable Galilée, puis - sèle Halimi. L’opinion publique, les un exercice âpre et virtuose, la comé - sant, fragile, d’une impressionnante artistes, les politiques, les intellectuels dienne donne vie à ces silhouettes chan - force de conviction. "Son" Galilée vont défiler à la barre… C’est l’histoire celantes. Elle porte magnifiquement la éprouve autant de plaisir à traquer la de cette jeune fille que Pauline Bureau figure de la journaliste, son regard ef - preuve de la rotation de la Terre qu’à a choisie de raconter en interrogeant ses faré, sa résistance entamée, ses mots faire sa toilette à grandes eaux ou se dé - souvenirs. Une proposition toute en sen - écrits sur un paperboard détourné de lecter d’un festin de volailles. Si le savant sibilité tenue de bout en bout par d’ex - son usage administratif, sa bouteille de sortira vainqueur (a posteriori) de son cellents comédiens et qui nous plonge Yop coco qu’elle avalait avant d’aller combat, l’homme sera défait par le re - de par la précision des détails au cœur embaucher. mords de ne s’être pas montré inflexible des années 70 où malgré le corsetage Le livre fait référence au Quai de Wigan , face aux censures vaticanes. "Qui ne de la société, la parole était libre : l’oc - l’ouvrage de George Orwell sur la vie des connaît la vérité n’est qu’un imbécile. casion de découvrir ou redécouvrir avec mineurs. Aubenas comme Orwell se sont Mais qui, la connaissant, la nomme men - émotion les interventions de Delphine écartés des discours pour plonger dans songe, celui-là est un criminel !" La ré - Seyrig, Simone de Beauvoir, Michel Ro - le réel. Mis en scène par Louise Vignaud, plique résonne avec un triste éclat au card, Jacques Monod. Une grande leçon mis en mots par Magali Bonat, cela temps des "vérités alternatives". d’histoire et surtout de vie. donne une heure de théâtre salutaire et Patrice Trapier Hélène Chevrier dérangeant. Patrice Trapier

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par Jacques NERSON

Le bal masqué

Cette chronique date du 20 août dernier. Il Paradoxale, cette crainte du masque chez les faut espérer qu’on sera enfin fixé sur la rentrée gens de spectacle. Il est vrai que les masques du d’ici à sa parution. A l’heure actuelle le mun - théâtre antique servaient, non pas à dissimuler, dillo du théâtre demeure dans le brouillard. On mais à amplifier les traits et la voix de l’acteur, ne sait toujours pas dans quelles conditions les ce qui était indispensable vu la taille des amphi - salles pourront rouvrir. Combien de personnes théâtres (Ephèse : 24000 spectateurs ; Epidaure : aura-t-on le droit d’accueillir ? Faudra-t-il laisser 6000 ; Delphes, 5000). Le masque servait donc des espaces vides entre les sièges d’une même de porte-voix et de jumelles de spectacle. Il per - rangée ? Le spectateur devra-t-il rester masqué mettait de distinguer de loin le caractère du per - le temps de rejoindre sa place ou durant toute sonnage. Roland Barthes prétend qu’il avait une la durée de la représentation ? Roselyne Bache - fonction magique : "donner à la voix une origine lot, la nouvelle ministre de la Culture, ne semble chtonienne, la déformer, la dépayser, la faire pas plus que nous savoir à quoi s’en tenir. Cer - venir de l'au-delà souterrain" . Ils étaient surtout tains évoquent un possible reconfinement. Pour utilisés pour leur pouvoir grossissant. En ce sens, ma part je n’y crois guère. Notre économie, déjà le masque de théâtre ne masque pas celui qui chancelante, ne s’en relèverait pas. le porte, il le démasque au contraire.

Même flou chez les artistes. On ne connaît pas Certains professeurs de théâtre, pour pousser encore avec certitude la programmation de la leurs élèves à jouer davantage avec le corps, Comédie-Française pour cette saison. Jean-Mi - leur imposent le port d’un masque neutre. Le chel Ribes, échaudé par une saison 2019-2020 masque médical ressemble un peu à ce masque bousillée par les Gilets jaunes et la Covid 19, ne inexpressif. Allons-nous désormais gesticuler consacre le mois de septembre du Rond-Point comme les acteurs masqués de la commedia qu’à des seul-en-scène joués gratuitement, en dell’arte ? Notez qu’alors que, pour raisons de sé - plein air, pour "tranquilliser sur les règles sani - curité, la République refuse aux musulmanes taires". A Toulon et Nice, Charles Berling et Mu - fondamentalistes le droit au voile intégral, elle riel Mayette-Holtz prétendent jouer coûte que recommande et même commande de se voiler. coûte, tandis qu’à Marseille, Macha Makeieff Par la force des choses, nous voici devenus des semble moins pressée de rouvrir la Criée : "S’il desperados westerniens attaquant une dili - faut faire rentrer des gens masqués toutes les gence. Ne manquent que le mustang, le colt et cinq places, selon une espèce de protocole hygié - le stetson. Pour obtenir ses places au contrôle il niste, c’est le contraire du théâtre… S’asseoir faudra bientôt crier "Haut les mains ! " dans une salle de spectacle, c’est accepter d’avoir un anonyme à droite, un anonyme à gauche."

90 Théâtral magazine Septembre - Octobre 2020